Chroniques de Mollehill 122 - Tome 1 - Guy Véhaud - E-Book

Chroniques de Mollehill 122 - Tome 1 E-Book

Guy Véhaud

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Beschreibung

Année 2035. Le cataclysme Posédonia a pulvérisé l’équilibre de la planète. La Terre n’est plus qu’un champ de ruines. Les survivants se sont divisés : au Nord, des cités ultratechnologiques repliées et arrogantes. Au Sud, les soucités, poches de résistance, qui rêvent encore de démocratie. Dans les entrailles de Molehill 122, cité souterraine sud-africaine, une unité spéciale est envoyée à l’autre bout du monde. À sa tête : Guina N’Go, capitaine redoutée, chargée de capturer un fugitif retranché en Argentine – l’un des cerveaux du désastre planétaire. Entre affrontements géopolitiques, réalités augmentées et souvenirs d’un monde perdu, une seule question subsiste : peut-on encore sauver l’humanité sans perdre son âme ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Guy Véhaud, ancien enseignant passionné de création – écriture, arts graphiques, photographie – explore dans une saga d’anticipation les grands enjeux de demain. Sensible à l’écologie, à la biodiversité et à l’avenir de l’humanité, il mêle aventure, réflexion et humanité à travers des héros hauts en couleur, dans un monde en mutation, au cœur des années 2030..

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Seitenzahl: 353

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Guy Véhaud

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chroniques de Mollehill 122

Tome I

Posédonia

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Guy Véhaud

ISBN : 979-10-422-7125-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

Avant-propos

 

 

 

Les aventures qui vous seront contées au travers de ces quatre tomes se dérouleront dans un futur relativement proche d’une cinquantaine d’années. Certains des protagonistes naissent ou sont déjà nés. D’autres ne tarderont pas à apparaître dans ce qui constitue, pour nos descendants, « l’ancien monde » et qui constitue tout simplement le monde dans lequel nous vivons.

Nous sommes proches d’un cataclysme mondial qui a eu lieu en 2035. Personne n’ose l’évoquer tellement il fut violent et traumatisant. Quel fut-il ? Guerre mondiale ? Pandémie foudroyante ? Épuisement des ressources ? Disparition de presque toute la vie sur Terre ? Contamination NBC ? Une loi naturelle démontre que toute extermination ne peut être complète. Il se trouve des survivants à toute guerre, tout génocide, toute épidémie.

Il y en eut après Posédonia, nom donné à ce cataclysme. Les faibles populations, ayant miraculeusement survécu, durent faire face à des difficultés phénoménales : raréfaction des ressources, des sources d’énergie et de la nourriture, désorganisations sociales, systèmes de communications et Internet détruits, espaces irradiés interdits et surtout caprices extrêmement violents d’une météorologie devenue folle, à tel point que la zone intertropicale est devenue inhabitable, laissée aux soins de quelques caravanes s’y aventurant et autres fous aventureux.

Il a fallu s’abriter des éléments. L’humanité se partagea en deux : les plus pauvres occupant le sud et ayant construit en urgence des soucités enterrées, les plus riches se cloîtrant à l’intérieur d’orgueilleuses cités vivant en autarcie et indépendantes les unes des autres, donc propres à se faire la guerre ou désirant conquérir le sud.

Nous sommes à l’intérieur de l’une de ces soucités appartenant à ce qui fut autrefois l’Afrique du Sud. Elle se nomme Molehill 122 et est composée d’êtres humains venus d’origines multiples que les hasards des événements ont conduits là. Elle tente de reconstruire une société juste et équitable.

Le gouvernement de Molehill, comme d’autres sociétés sudistes, et comme certains services secrets ou chasseurs de nazis l’avaient fait pour d’anciens cadres du IIIe Reich après le deuxième conflit mondial, a décidé de poursuivre les responsables politiques ou économiques du cataclysme qui auraient survécu, afin de les capturer et de les juger.

Nous suivons donc les aventures d’un commando chargé d’une mission de ce genre. Chaque agent le composant transporte son histoire, ses traumatismes, sa personnalité que l’on découvre au fur et à mesure du récit.

 

Bonne lecture…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Azur, zéphyr…

La ligne droite que le grand architecte avait tracée d’une main sûre, et dénommée horizon.

Quelques brins de nuages trop fins, trop hauts.

L’océan bleu de Prusse piqueté d’écume.

Des paillotes perchées en haut des rochers dominant l’épanchement du ressac. Une petite passerelle sur pilotis incertains, serpentant entre les cabanes et se terminant par une jetée qui évoquait un plongeoir.

Village fantôme, seulement habité du souffle marin curieux, visitant chaque habitation par ses ouvertures offertes.

Personne en ce lieu… Personne ? Au centre de l’amas de huttes, là où le chemin suspendu s’élargissait un peu, dessinant une sorte de place, s’était implanté, à l’ombre d’un rebord de toit, une sorte de couffin fait de feuilles de palmier recouvertes d’un immense drap de plage écorché. Une fille nue était allongée, sommeillant, sur l’installation incongrue. Elle était encore jeune, noire, à la chevelure d’ébène sculptée et semblait reposer tranquillement, Éole lui susurrant de douces mélopées marines antiques.

Sa peau immaculée frissonnait légèrement. Sa poitrine se soulevait régulièrement, amplement. Cet alanguissement, dédié à la beauté, semblait s’accorder en harmonique avec ce tableau exotique. L’abandon de cette Vénus n’était pas de même nature que celui du village lacustre. Il eût semblé que les habitants, ou du moins les bâtisseurs du lieu, se fussent évanouis, comme retournés au rêve qui les aurait enfantés.

Sa toison pubienne camouflait à peine un coquillage tyrien qui aurait consenti à s’entrouvrir juste assez pour pouvoir éventuellement très vite se refermer.

Le soleil tournait de l’œil et peinait à maintenir son état de conscience en contemplant la scène. Malheureusement, l’apollinien carquois était vide depuis bien des temps. Héra avait trouvé place en maison de retraite et Zeus, vieillard cacochyme, traînait sa carcasse émaciée de galaxie en galaxie.

Une ombre s’approcha, lente et furtive, recouvrit la fille…

Elle ouvrit les yeux comme des volets face à l’univers et contempla en contre-plongée l’homme qui la dominait.

— Maître Blaise… Qu’arrive-t-il ?

L’homme n’était plus de prime jeunesse, et une longue barbe grise cascadait de ses joues burinées sur un pourpoint gris d’antique facture.

La fille restait allongée, sans gêne aucune, tandis que le vieillard approchait un banc, afin de s’y poser comme un grand-duc sur un piquet de pâture.

— Guina, je suis désolé de venir interrompre ton sommeil et peut-être même tes rêves. Adelon veut te voir.

— Et c’est lui qui t’envoie ?

— Il pense que tu seras moins effarouchée, et plus encline à te rendre à sa convocation si c’est ton vieux maître qui transmet la demande. J’ai terminé ton enseignement depuis quelques années déjà, ainsi que tous les autres maîtres qui t’auront encadrée depuis ta petite enfance. Tu es la plus douée et la plus brillante de tous ceux de ta génération. Le collège fut unanime sur ce point.

— Même Perphrodite ?

— Je sais, tu penses qu’elle ne t’a jamais portée dans son cœur, mais elle te ressemble trop, cela ne peut pas coller. N’empêche, elle a suivi les avis des autres.

— Que regardes-tu ? Il semblerait que ton regard arrive à pénétrer l’univers.

— Autrefois, on imaginait des mondes inconnus au-delà de la ligne d’horizon et nous rêvions de nous lancer à l’aventure, droit sur l’océan, sur le pont de voiliers géants.

— C’est bien fini. Moi, je ne m’aventure même pas à l’extrémité de la passerelle. J’imagine seulement ce qui se trouvait en bas à la place de cette odeur tellement lourde qu’elle reste heureusement au ras du sol et finit par assurer notre défense, nul n’osant aborder de peur de mourir immédiatement asphyxié. Tu as connu cet endroit autrefois ?

— Pas particulièrement, mais je l’imagine et connais un peu l’histoire. Il faisait bon s’y allonger sur un sable brûlant comme tu le fais ici sur cette natte et se baigner dans une eau maternante. Pas mal de riches touristes s’y rendaient et dépensaient des sommes folles qui ne représentaient que de maigres pourcentages de leurs fortunes. Cet argent partait directement dans des paradis fiscaux en passant par les mains d’Ab Di Brahim, le potentat du pays d’alors. Et puis, le sable est venu à manquer par le monde. Les grands constructeurs missionnèrent de lourds équipements, et des administrations tentaculaires employant des millions de sous-traitants étendaient leurs prérogatives sur l’ensemble de la planète. Il fallait nourrir les machines en construisant toujours plus, en empiétant sur les terres, et pour regagner de la terre, les machines ont dévoré les forêts. Le béton remplaçait les arbres, les tours ignoraient la vie comme des géants inflexibles et cruels. Beaucoup de ceux qui ont protesté, étrangement, disparurent.

— Il y a une trentaine d’années, des hommes armés sont venus des montagnes interdire la plage à quiconque voudrait s’y rendre. Un énorme navire a fait débarquer des pelleteuses, des conteneurs, des bulldozers… En quelques heures, la plage était transférée dans les soutes du cargo qui est reparti, franchissant l’horizon. Les soi-disant enquêtes firent chou blanc, et personne ne fut inquiété. Cela s’était déjà passé sur d’autres côtes de ces pays qui s’appelaient alors Maroc, Inde, Philippines…

— Le sable n’est pas revenu…

— Il aurait fallu quelques milliers d’années. Au lieu de cela, ce furent des échouages de cétacés, de méduses… le développement d’algues invasives, recouvertes de déchets plastiques. Mélange détonnant.

— Et puis l’humanité a décliné, pandémies, guerres, catastrophes plus ou moins naturelles… Plus personne ne contrôlait plus rien…

— Le temps de m’habiller, j’arrive.

Maître Blaise sentit que son élève ne désirait pas poursuivre sur un récit de multiples fois rabâché. Ses ruminations réintégrèrent l’étable de son esprit troublé. Il attendit Guina un peu plus loin, le regard tentant toujours la suprême évasion.

Elle réapparut, surmontée de sa coiffure explosive et foisonnante. Elle avait revêtu la tenue stricte et unisexe des Moraïs constituant l’élite agissante de la communauté, en réalité de vieux uniformes d’apparat récupérés dans des stocks abandonnés et rapetassés par de vieilles mains, rescapées de l’ancien monde.

Tel un feu follet, elle suivit le vieil homme. Ils entrèrent dans une hutte basotho. Celle-ci, ronde, faite de solides murs de terre et d’un toit de chaume épais, très bas, devait certainement résister aux terribles ouragans ravageant régulièrement la région, contrairement au reste du village rebâti régulièrement au moyen des vestiges, comme le serait une cité antique de peu.

Personne n’occupant les cases, les reconstruire semblait une activité vaine, mais il fallait donner le change. D’étranges navires croisaient au large.

Blaise, étonnamment pour un homme de son âge, souleva aisément une grande partie du plancher qui révéla un escalier s’enfonçant dans les profondeurs. Guina s’était coiffée d’une lampe frontale qui ajoutait de l’étrangeté à sa chevelure ébouriffante. Elle passa devant.

L’escalier s’enfonçait très loin sous la terre. Après quelques minutes à le dévaler, les deux complices arrivèrent en plein milieu d’un boyau transversal. Il s’agissait plutôt d’un long tunnel qui rappelait le métro à Blaise, mais n’évoquait rien d’autre que lui-même dans l’esprit de la jeune femme.

En fait, la galerie apparaissait solide, bien construite et éclairée à intervalles suffisamment réguliers. Les galeries adjacentes auraient pu faire penser à un labyrinthe sans le balisage symbolique au niveau des embranchements.

Au bout d’une centaine de mètres, des portes ponctuaient les parois, sur lesquelles des noms et titres apparaissaient, gravés sur des plaques de cuivre.

Devant l’une d’elles, deux femmes rigides, droites, en uniforme plus grossier que celui de Guina, battle dress, rangers graissées, et le fusil d’assaut MK 602 en main, saluèrent militairement les arrivants.

— Nous sommes attendus par l’Archivel.

Maître Blaise désigna son pectoral qui s’illumina une fraction de seconde. L’une des vigiles entra, referma la porte tandis que l’autre gardait la même position jambes légèrement écartées, comme rester impassible, en garde, mais les pruneaux crachés par son arme se révéleraient plus percutants qu’un swing de Tyson Fury.

La première garde réapparue tourna les talons et les deux visiteurs lui emboîtèrent le pas. Ce furent à nouveau des couloirs, puis l’arrivée dans une pièce fortement éclairée qui les fit cligner des yeux. La sentinelle repartit prendre son poste.

Espace étrange pour un étranger que l’on y parachuterait ; murs incurvés, peints en noir mat ainsi que le reste des parois, plafonds, sols. De multiples écrans allumés, de tailles différentes, suffisant à eux seuls pour éclairer l’endroit. Apparemment, aucune autre installation informatique, et un bureau superbement antique, en chêne mouluré trônant au centre.

Assis derrière, un homme d’une cinquantaine d’années, costume trois-pièces, cravate rouge et or, le visage régulier allongé, un béret des forces spéciales vissé sur un crâne chauve contrastant avec le reste du personnage.

Guina s’était entraînée à maîtriser totalement l’expression de ses émotions, et ses émotions, même après une longue formation au cours de laquelle les élèves assimilaient la technique du transfert mental, de façon à ne pas se laisser envahir par des interactions négatives lors d’actions spéciales. Ainsi la colère, sachant mobiliser décisions et énergie, pouvait-elle, par volonté propre, supplanter peine et écœurement, et par la suite s’effacer devant un raisonnement froid et une grande capacité d’analyse. Chaque situation exigeait un ordre strict de perceptions à contrôler et éprouver, afin d’agir le plus efficacement.

Cependant, à chaque entrée dans ces lieux, la jeune femme sentait son cœur battre plus vite. Elle le contrôlait, semblant totalement impassible. Cependant, ce bref accès impulsif n’échappa pas à l’œil de l’Archivel. Il savait que cela constituait une faille dans l’armure intérieure de sa meilleure agente. Il faudrait en tenir compte pour les missions à venir.

Guina se mit au garde-à-vous et Blaise s’inclinait.

— Mademoiselle N’Go, avez-vous bien profité de la permission qui vous a généreusement été accordée ?

— Tout à fait, Monsieur. Je présume qu’elle constituait un prélude à une nouvelle mission.

— Bien sûr. Nous ne pouvons nous permettre d’accorder des vacances gratuites à nos collaborateurs, et nous tenons à ce que nos troupes, même endurcies, soient en forme pour le moment décisif. Surtout que cette fois, c’est vous qui serez à la tête du commando. Pour l’occasion, vous serez promue au grade de capitaine. Pas de remerciements ; quand vous connaîtrez le but de l’opération et serez en pleine action, vous les regretterez. Passez tous les deux dans la pièce à côté, le temps que je convoque le reste de la troupe.

Environ une heure plus tard, l’Intermental, mode d’intra-communication télépathonique, rappelait Guina. Une femme et deux hommes en uniforme se tenaient devant le bureau. L’un des hommes était Marcus, de la même promotion que Guina, un costaud, champion de street-fighting, ce qui lui avait permis de rattraper ses lacunes en d’autres matières. Quelque peu misogyne et grognon, il n’avait guère, à l’époque, supporté que la jeune femme le devance.

Pour quelle raison obscure l’Archivel l’avait-il recruté sous le commandement de la nouvelle capitaine ? Il savait très bien que les deux caractères pourraient se révéler incompatibles. Quel stratagème machiavélique avait pris naissance dans un cerveau aussi subtil ?

Les trois arrivants saluèrent leur nouveau chef, mais le regard de Marcus, fixe, parut recouvert d’un voile sombre. Guina semblait ne pas s’en soucier. Les deux autres lui furent présentés : Fernando, un grand moustachu frisé, à l’œil rigolard, féru de techniques informatiques, expert en armes diverses pouvant circuler sur ce qui restait de la planète, et Janiko, descendante lointaine d’une lignée de samouraïs, multilingue et cryptographe. Fernando et Janiko, eux, avaient entendu parler de Guina et se sentaient fiers de participer à une opération qu’elle dirigerait, prêts à se dévouer pour elle corps et âme. D’ailleurs, chacun, depuis son plus jeune âge, avait été formé à l’intégration du fait que la cohésion de groupe serait seule gage de réussite.

— Depuis Posédonia et les boucles d’interaction négatives qui ont fait s’emballer le réchauffement climatique, ce qui reste de l’humanité partage le sous-sol à la place des taupes qui, à l’instar de bien des espèces animales, ne sont plus. Pour survivre ne reste plus, à part quelques coins pour une bronzette inopinée en saison froide – regard appuyé à la capitaine – qu’à s’enterrer afin de ne pas finir grillés. Les plus riches avaient bien prévu le coup, dépensant leurs fortunes accumulées sur le dos des plus pauvres dans la construction de ghettos murés protégés – cela se passait dans les années deux mille quarante – les transformant peu à peu en cités souterraines inaccessibles. Le reste, les chimpanzés comme ils nous nomment, a dû se débrouiller pour creuser à la pelle, et à la va-vite, des cités galeries comme celle où nous passons la majorité de notre existence, moi comme vous. Nos cités se trouvant sous le tropique du Capricorne, et les leurs en majorité par-delà le Cancer avec, entre eux et nous, la zone intertropicale devenue invivable pour quiconque, nous pouvions vivre grosso modo tranquilles chacun de notre côté.

— Cependant, dans leurs gènes perdure leur volonté de domination et d’expansion. Par ailleurs, des troubles internes poussent les dictateurs à créer un ennemi extérieur afin de se maintenir au pouvoir.

— Vieille recette, mon cher Blaise, vieille recette… Ainsi sommes-nous devenus des ennemis potentiels, et nos pauvres cahutes du dessus ne suffiront pas à fournir un camouflage efficace. Des agents en place à Mosbercoulin, la grande soucité européenne, nous ont avertis de préparatifs guerriers. Il manque du carburant et un plan d’action à cette organisation pour ses drones, mais si elle arrive à réparer la vieille plate-forme destinée à forer en mer de Barents, nous pourrons nous attendre à quelques dégâts.

— Nous aurons, je suppose, à transformer un vilain tuyau en allumettes.

— Oui, Marcus, mais à l’avenir, abstenez-vous d’intervenir vis-à-vis de moi ou de votre cheffe sans qu’aucune question ne vous soit adressée directement. J’ai toute confiance en vous, mais un peu de respect envers une certaine hiérarchie vous grandirait. Pour l’instant, j’échange avec la capitaine et maître Blaise. Les autres contentez-vous d’écouter et d’observer.

Marcus réprima un rictus de contrariété.

— Comment franchirons-nous la zone tropicale ? Que ce soit sur mer ou sur terre, aucun d’entre nous ne pourra y survivre. Ce qui n’est pas le cas des drones adverses.

— Bien sûr. Vous procéderez par sauts de puce. Nous avons activé notre réseau de taupinières. Cela vous permettra de gagner les abords de votre base de départ sans trop de difficultés pour une troupe aguerrie comme la vôtre. Quant aux drones éventuels, vous disposerez du dernier modèle de FAD1, muni d’un radar spécialisé pour ce genre d’insecte, couplé à un émetteur d’impulsions infra soniques d’une portée de huit cents mètres, capable de déstabiliser l’un de ces engins et de le faire chuter. Ce sera à vous, Fernando, que reviendra la responsabilité de ce petit bijou. Je ne pense pas que les Nordistes, dans leur orgueil démesuré, aient pensé à doter leurs saloperies de système de brouillage. Nous profiterons de l’hiver austral pour bénéficier de conditions climatiques à peine plus supportables. Vous disposerez de quatre jours avant votre départ pour former une équipe solide. Pas d’adieux à vos familles qui sont consignées. Je viendrai vous souhaiter bonne chance. À part la capitaine N’Go, vous pouvez disposer.

Saluts réglementaires.

Guina se retrouvait seule face au chef suprême. Moment de silence pendant lequel chacun jaugeait l’autre comme si deux fortes volontés s’affrontaient mystérieusement.

— J’ai complètement confiance en vous, Guina.

— Complètement ?

— Vous avez raison, pas tout à fait. Disons que vous êtes la meilleure qu’autorise mon état de paranoïa avancé nécessaire à l’exercice de ma fonction.

— Le coup du pipe-line, c’est bidon.

— Bien sûr… Bravo ! Les Nordistes sont bien trop occupés à se déchirer entre eux sur les tapis feutrés de leurs appartements luxueux pour prêter attention à nous. Qu’importe si leur potentiel énergétique se renforce, il ne servira qu’aux luttes d’influences de leurs clans. Et puis, les extrémistes christianistes posent des bombes et se kamikazent pour nous. Attendons que les forces s’épuisent. Ce n’est pas notre problème du moment. Votre mission sera tout autre et nul ne doit rien en savoir, même vous. Les détails représentent une variété de virus qui se propageraient immanquablement s’ils fuitaient. Et nous avons quelques espions parmi nous qui nous servent pour l’instant à intoxiquer l’adversaire. D’ailleurs, à cette heure, nul doute qu’il est au courant du but de la mission imaginaire.

— Un membre du groupe ?

— Je n’en sais rien, cela peut partir de l’État-Major, des services annexes, de systèmes d’écoute…

— Que connaîtrai-je de la mission réelle ?

— Ce sera au fur et à mesure de votre trajet. Votre implant cérébral a été programmé pour cela. Il est muni d’un système de repérage géographique qui fera qu’à chaque étape de votre périple, les seules informations nécessaires au parcours suivant vous seront distillées automatiquement.

— Comme les audios guides d’autrefois dans ce qui s’appelait musées ?

— Exactement. La terre sera votre musée. Sachez vous extasier. Encore quelques menus détails. Vous avez appris, lors de votre formation, ce que sont les BIK et les snipfires, ces armes développées par la firme Das Soho. Les BIK sont capables d’atteindre une cible à cinq cents mètres pour lui implanter délicatement sous la peau une puce capable d’annihiler toute volonté. Le dernier modèle est encore plus dangereux car la larve qu’est devenue la cible peut se retourner contre son propre entourage et y causer de profonds dégâts. Si jamais un membre de votre équipe est victime de ce type d’arme, n’hésitez pas à régler le problème sur le champ.

— Et si cela m’arrive ?

— Vous ? J’espère que vous vous en tirerez. Votre implant, dans ce cas, est programmé pour libérer immédiatement une petite dose de cyanure dans votre organisme.

Guina sembla sonnée un instant, juste le temps d’intégrer l’information et de la caser dans un tiroir de sa conscience, puis se reprit immédiatement.

— Bien.

— Quant aux snipfires, ils s’apparentent à un type d’arme classique. Ce sont les balles qui représentent un progrès récent, bien qu’ayant dormi dans les cartons de diverses recherches militaires de certains pays depuis les années quatre-vingt-dix. Le fusil est muni d’une télécommande automatique qui, une fois la cible accrochée, permet à la balle de changer de trajectoire pour détecter et atteindre cette cible, même cachée, même à l’abri. Le système de manœuvre de la balle se base sur la déformation de la jupe et le déplacement imperceptible de la balle elle-même sur son axe. Le seul moyen de savoir si l’on a affaire à ce type de flingue est d’entendre son sifflement caractéristique… Parfois trop tard. Dans ce cas, il s’agit de se trouver un abri fermé sans aucune ouverture, sinon opposée à l’origine du tir, la balle n’ayant pas suffisamment de manœuvrabilité pour revenir en arrière, ce qui limite les ripostes. Mais vous êtes au courant…

— Vous pensez que…

— Là où vous rendrez, il faudra vous méfier de tout et faire appel à votre courage, votre intelligence et votre expérience. Rompez, Capitaine !

 

 

 

 

 

Le commando se retrouva donc, par un petit matin glacé inhabituel. Une partie du matériel se répartissait en quelques sacs à la charge du groupe. Marcus et Fernando avaient vérifié la bonne marche de chaque élément tandis que les filles peaufinaient leur plan de route.

Un vieux pick-up, qui devait, à voir la couche de poussière le recouvrant, être une trouvaille archéologique, passa les prendre. En route pour Springbok à travers un paysage aussi désolé que la Terre, elle-même, à n’avoir pas su arrêter l’humanité dans sa course folle et mortifère.

Jadis, dans le monde ancien, la petite troupe eût été héliportée avec appuis terrestres et tout le tintouin. Mais les structures technologiques s’étaient délitées et il fallait se débrouiller avec la ferraille.

Le conducteur, un grand rasta dégingandé, hyper cool, chantait sans arrêt, ce qui lui permettait d’éviter les précipices et les obstacles soudains de la piste, tout en malmenant les occupants du véhicule dont les corps devaient se couvrir d’hématomes divers au fur et à mesure des cahots. Mais bon, ce devait être une bonne assurance : plus rapide se montrerait-il, plus ils auraient des chances de déjouer de potentiels traquenards.

Le désert du Kalahari se trouvait sur la droite. Déjà inhospitalier cent ans plus tôt, il devenait insoutenable, la température du globe ayant notoirement augmenté, même en cette période de début d’hiver. Les passagers se protégeaient par la vieille technique targuie : une tunique de coton ou de lin comme sous-vêtement recouvert d’un costume ample et sombre, la couche d’air intermédiaire créant des courants rafraîchissants entre les deux tissus. De grands chapeaux isolaient les têtes. N’empêche, il ne s’agissait pas d’être en panne, aucun Petit Prince n’ayant pris l’habitude, dans ses contrées, de demander qu’on lui dessine un bête mouton.

Le soir tombait vite et il fallut songer à camper pour profiter d’une nuit d’autant plus fraîche, et aussi, parce que le moteur commençait à émettre une fumée inquiétante.

Bill, le conducteur, ne semblait pas s’en soucier outre mesure. Il avait sorti un ampli-combo aussi délabré que son pick-up, auquel il avait fait ingurgiter du Bob Marley dont les plus jeunes n’avaient jamais entendu parler. Et tandis que le reste de la troupe s’escrimait à monter les tentes et les abris, il dansait et chantait en une langue inconnue – même de Janiko – égaré dans un monde perdu.

Première nuit de bivouac, aussi glacée que le jour avait pu se montrer épuisant de chaleur. L’avantage en était que l’on ne risquait guère de se voir dérangé, attendu qu’humains et bêtes, à part quelques scorpions, avaient déserté le coin depuis belle lurette.

Épreuve du feu pour les novices, Fernando et Janiko, qui pouvaient ainsi entrevoir une des visions midrashiques antiques de l’enfer que l’on ne représentait pas seulement sous forme de brasier, mais par une alternance de feu et de glace. Les autres, bien que classés parmi les durs à cuire, souffraient également, les conditions climatiques ayant tendance à épuiser les réserves de l’organisme. Le froid, soudain apparu, aida à l’endormissement général, et la nuit permit de réparer quelques dégâts.

Le réveil se fit en musique, pas au son du clairon, mais à celui du reggae de l’inépuisable combo. Peut-être eût-il mieux valu le clairon…

Les chevaux-vapeur asthmatiques de l’antiquité refusèrent de démarrer. Il fallut les pousser pour qu’ils consentent à toussoter et à repartir. En route.

Nouvelle traversée du désert… réelle celle-là. Apollon décochait une pluie de flèches tout en se marrant là-haut.

Arrivée à Springbok. Ville fantomisée par le désert, anciennes constructions transformées en dunes avec tempêtes de sable garanties réalistes par des agences de voyages virtuelles. Un vent continuel transportait de la poussière, du sable, des débris divers. Il fallut mettre le pick-up à l’abri et retrouver les contacts prévus.

Forcer une porte bloquée par un amas de sable et descendre un escalier glissant à peine éclairé pour arriver dans une sorte de cave voûtée. Une table installée au milieu et quatre hommes assis là, apparemment pour accueillir les visiteurs.

— Je vois que Bill a bien rempli sa mission. Vous avez fait bon voyage ?

— C’est de l’ironie, ou une philosophie locale ? glissa Marcus.

— Excusez-nous, ici, au sud, nous oublions ce qu’est le confort. Vous en savez quelque chose, non ? En tout cas, bienvenue. Vous pourrez vous restaurer et vous reposer. Demain, direction Namibe. Vous bénéficierez d’un transport en camion bâché, guère plus confortable, mais au moins serez-vous à l’abri du Très Haut, je veux dire le soleil. Je suis Niram et ai été camarade de promotion d’Adelon. Il a toute confiance en moi et en mes lieutenants. Ici, vous ne craindrez rien. Maria vous montrera vos chambres, c’est ma fille. Maria ! Maria !

Une splendide jeune fille apparut. Elle salua les hôtes et les invita à la suivre. Niram n’avait pas menti et les chambres avec douches et couchages confortables, survivances de l’hôtel de luxe que fut le bâtiment, enchantèrent les filles en particulier. Seule concession au confort éteint, les fenêtres, qui devaient autrefois donner sur l’océan et un magnifique paysage, avaient été condamnées afin que les vitres n’éclatent pas sous la pression du sable.

Une heure plus tard, le quatuor, lavé, rasé ou maquillé, retrouvait les hommes en bas. Un splendide repas avait été préparé et ornait la table. Comment ces mets luxueux avaient-ils atterri en cette contrée ? Niram semblait posséder de grands pouvoirs. Ce fut une fête gastronomique, les invités, habitués aux rations et mets de peu, n’ayant jamais dégusté de telles compositions enchanteresses aux goûts et saveurs subtils.

— Profitez, mes amis, reprenez des forces, vous en aurez besoin. Capitaine, connaissez-vous le but de votre mission ?

— Étape par étape, Niram. Ma puce mentale est programmée pour me délivrer les paramètres au goutte-à-goutte, par sécurité. Pour l’instant, comme vous le savez, nous devons gagner Walvis Bay puis Swakopmund où devrait nous attendre un bateau. Après…

— Dis donc, Khâny, à ton avis ? Il n’y a qu’un gars qui puisse accepter ce genre de galère… Hein ?

— Tu penses à Dick et son Yes We Cam ?

— Exactement. Bien, alors si c’est lui, c’est bon pour vous. C’est un ogre, un ours mal léché, un Breton mal dégrossi, mais justement un Breton, droit, solide et à qui on peut se fier.

Marcus dressa l’oreille. Un pays ?

Le repas constitua un merveilleux moment, interrompu par Niram.

— Pardonnez-moi mes amis, mais je vous encourage à aller dormir. Vous aurez besoin de toute votre énergie pour la suite, surtout que le réveil et le voyage seront malheureusement assurés par Monsieur Bill…

Il rit.

— Bonne nuit à tous. Vous ne me verrez pas demain, mais un bon petit déjeuner vous attendra ici. Ma bénédiction vous est accordée et mes pensées vous suivront. Inch Allah !

— Inch’Allah et merci à vous, Niram, vous êtes un ami.

Effectivement, au petit matin, une musique tonitruante et rythmée cassa rêves et oreilles en petits morceaux épars. Béni sera le jour où Bill deviendra sourd, ou encore son infernale machine mortellement atteinte.

Petit déjeuner avec thé à volonté. Il s’agissait d’hydrater les corps à ras bord.

Qu’allait donner la conduite de Bill au volant de ce GMC vétuste ? L’avantage avec la bâche était que l’on ne voyait pas la mort venir ; ce n’était pas plus mal après tout.

Les suspensions se montraient aussi mortes que celles du pick-up. À se cramponner sans arrêt, on finissait, à un moment ou un autre, par lâcher l’appui pour aller valdinguer contre l’un des montants. Le camp fut monté dans la montagne. Les filles s’installèrent dans le camion puant et les hommes montèrent la tente. Personne ne voulut accepter Bill avec son combo et il ne put dormir abrité qu’avec sa machine kidnappée par les filles.

Au réveil, Bill ne pouvait que chanter, mais on lui rendit son ampli dont il s’empara avec l’émotion des retrouvailles d’un ami perdu de vue depuis longtemps.

Direction Keetmanshoop.

L’accueil n’y atteignait pas le niveau d’hospitalité de Niram. Des hommes d’aspect douteux les emmenèrent dans une sorte de galerie, le terme boyau semblant mieux convenir tant l’odeur de l’endroit avait quelque chose d’intestinal. Personne ne parlait. On leur assigna leur place sur un vieux tapis mité, et on leur apporta une sorte de ragougnasserie, sans couverts. Allons-y pour manger avec les doigts, et sans serviette ! Quant à s’essuyer les mains sur le tapis, beurk !

— À la guerre, comme à la guerre…

— Que j’aimerais que cette phrase se change un jour en « À la paix comme à la paix ! »

— Si vis pacem…

— On voit ce que cela a donné… C’est un précepte latin, et donc en plus de deux mille ans, on n’a fait que préparer la guerre. Pour ce que cela a donné. Et nous, nous participons à quoi ? Para bellum ?

— Ma Capitaine, vous en pensez quoi ?

— Pour l’instant, j’essaie de ne pas penser, Marcus, mais je ne t’empêche pas de le faire. Toutes les opinions sont bonnes à exprimer et je ne te blâmerai jamais sur ce point. L’important est que le groupe reste, malgré tout, soudé et que chacun et chacune veillent sur les autres. Cet endroit ne me dit rien qui vaille, aussi établirons-nous un tour de garde, on ne sait jamais. Bill, tu en seras dispensé, tu dois être reposé pour le reste du voyage. Quand nous serons arrivés au bout, que vas-tu faire ? Tu retournes au Cap ?

— Je ne sais pas, j’ai des cousins un peu partout, je peux faire la tournée de la famille, je ne serai pas aussi pressé.

Couchage au niveau de l’aire du repas, mauvaises nattes et gardiens à l’air étrange, silencieux, arme à la ceinture. Pas engageant.

Cependant, rien à signaler au cours de la nuit. Boisson infâme appelée « tea » par les types et une sorte de pain azyme comme biscottes.

— C’est bon, les gars ont fait le plein. En route !

Nouvelle étape d’un Paris-Dakar à un seul concurrent. Guina s’était installée comme co-pilote et discutait avec Bill. Au moins, pouvait-elle se cramponner un peu mieux qu’à l’arrière. Les cahots lui rappelaient les anciennes attractions des fêtes foraines de son enfance. À cette époque, elle adorait prendre des risques et avoir peur. Cette sensation ne l’avait pas quittée et c’est tout juste si, dans la montagne, elle ne s’amusait pas, roulant au-dessus du précipice, les pneus usés projetant des pierres dans le vide. Les descentes se livraient particulièrement impressionnantes. Guina se demandait si le véhicule avait été livré avec l’option freins, Bill semblait impassible, et continuait à se prendre pour Jimmy Cliff avec son bahut en guise de maracas.

 

If the rebel in me can touch the rebel in you

And the rebel in you can touch the rebel in me

And the rebels we be is gonna set us free

Then it would bring out the rebel

Bring out the rebel

Bring out the rebel in me

 

Bill s’était pris d’affection pour sa co-pilote, mais rien d’ambigu, il sentait en elle un besoin de s’exprimer et lui apprenait quelques paroles. Bientôt, les deux zigs braillaient à tue-tête, quelques vieux tubes jamaïcains, comme s’ils avaient été aussi défoncés que la route. Cela permit à Guina de discipliner sa peur et de la vaincre par la joie et l’humour.

 

I can see clearly now the rain is gone

I can see all obstacles in my way

Gone are the dark clouds that had me down

It’s gonna be a bright, bright, bright, bright sun shiny day

Oh yes I can make it now the pain is gone

All the bad feelings have disappeared

Here is that rainbow I’ve been praying for

It’s gonna be a bright, bright, bright, bright sun shiny day

— On arrivera demain.

— Où ça ? Au paradis ?

— Yeah ! Au paradis de la ganja ma poule !

Rire. Ce sont deux jeunes gens qui goûtaient le parfum de l’aventure.

Derrière, l’atmosphère pesait. Fernando s’était placé en face de Janiko afin de l’amortir lorsqu’un cahot la projetait en avant. Cela ne lui parut nullement désagréable au fond, et il guettait le prochain nid de poule. Mais Janiko, fine mouche, déviait sa course sur Marcus. Le bougon la renvoyait gentiment à sa place.

Marcus, quoiqu’à peine plus âgé que Guina, passait déjà pour un ancêtre dans ce monde d’action. Mais son expérience en la matière se révélerait bien utile pour former les plus jeunes. Sa rancœur pour sa cheffe désignée le renvoyait à son enfance quand sa petite sœur était la préférée de ses parents. Il avait beau leur montrer ce dont il était capable pour réclamer leur amour, ceux-ci semblaient l’ignorer. Il avait reporté sa frustration sur cette dernière. L’Archivel avait reproduit – sans le vouloir ? – ce schéma. Mais Adelon savait se montrer suffisamment pervers pour échafauder ce genre de tactique afin, à leur insu, de rendre ses agents plus performants. Il devait son poste à cette efficiente amoralité. Marcus, conscient de cette manipulation, aurait à discipliner ses instincts.

Dernier bivouac et dernier briefing.

Guina sortit une carte… Avec la fin des satellites et des émetteurs, on était retourné au temps des plans papier et de la boussole.

— Demain, nous devrons nous établir à Swakopmund. Autrefois, c’était une cité prospère, surtout avec la fréquentation des touristes friqués, du genre de ceux qui ont participé à ce que la catastrophe survienne. Tu t’en souviens, Marcus ? Tu es venu traîner tes guêtres par là non ?

— Oui, j’ai même participé à une commission d’enquête. Nous y sommes venus alors que c’était le bordel total. Les factions se tiraient dessus à qui mieux mieux, et il semblait que les munitions étaient inépuisables, venant d’où ? Nous étions chargés de l’établir car nous pressentions bien ce qui nous arrive actuellement. Nous avons dû nous retirer pour rester vivants sans avoir abouti à des conclusions claires. Les gens ici se sont tellement massacrés, et il y a eu de tels exodes que le patelin est passé au rang de ville fantôme.

— Ce qui ne veut pas dire que nous serons tranquilles, au contraire. Nous aurons à redouter des attaques dont nous ne connaîtrons ni l’origine ni la cause. Ce qu’ils recherchent, quels qu’ils soient, c’est un éventuel butin, des armes, des munitions, et s’ils ne trouvent personne à combattre, ils se tueront entre eux. Ainsi s’est conduit l’être humain, depuis ses lointaines origines. Comme tu connais un peu l’endroit Marcus, tu nous guideras pour nous trouver un abri sécurisable, le temps d’attendre le bateau. Pour l’instant, il vogue vers nous et devrait être prêt à nous convoyer dans quelques jours. Grâce à Bill, notre rallyman, nous sommes un peu en avance. Heureusement que tu n’es pas amateur de rocksteady !

— Ça ne risque pas, Capitaine ! La prochaine fois, si vous avez un rendez-vous urgent chez le dentiste, pensez à moi !

— Pourvu que mes dents restent en bonne santé alors…

Rires.

— Nous profiterons de notre petit séjour forcé pour maintenir notre entraînement. Marcus sera notre coach en la matière et je lui demande de ne pas nous ménager.

À voir le sourire sardonique de Marcus, chacun put estimer que ce ne serait pas de tout repos et que les ennuis n’allaient pas tarder à pleuvoir comme à Gravelotte.

— Ma Capitaine, avez-vous de nouvelles données concernant notre action ?

— Un peu plus Fernando. Tu sais, elles me viennent petit à petit. Aujourd’hui, j’ai appris que nous ne nous dirigerions pas vers le nord, mais plein ouest. Je comprends à présent que l’on t’ait recruté, et Janiko, notre plurilingue en second.

— Ola ! Plein ouest, c’est mon pays !

— Oui, je pense que nous avons quelques affaires à traiter là-bas.

— Autant sur la terre, je sais où je vais, autant sur mer… Avec ces incessants bouleversements climatiques, l’océan devient le lieu de toutes les surprises.

— Ouais, mais celui qui nous emmène se promène dessus depuis tellement de temps et a triomphé de tellement d’aléas, que nous n’avons pas trop de soucis à nous faire pour la traversée. Tu retrouveras ton élément, certainement truffé de mines et de chausse-trappes comme tu les aimes de l’autre côté.

— Et moi, je sers à quoi dans cette histoire ?

— On commence à douter, soldate ? Nous possédons chacun nos dispositions, nos qualités et nos faiblesses. D’une part, nous avons été choisis car nous sommes tous plus ou moins polyvalents, ce qui est nécessaire dans certaines situations ou si l’un ou l’une d’entre nous… tombe, et d’autre part, nos forces doivent venir compenser les faiblesses d’autres afin d’assurer une certaine invincibilité du groupe. Aucun d’entre nous n’a à se sentir supérieur aux autres et si moi, j’ai été nommée cheffe, c’est une fonction et non un élément de domination, même si je vous demande d’obéir en soldats. Compris et admis ? Janiko, tu es une combattante éprouvée, multilingue et multi arts martiaux, mais surtout, je sais que tu aimes écrire et que tu es douée d’une grande sensibilité. Tu seras chargée de rédiger un journal personnel dont tu tireras deux versions, l’une pour toi et tes émotions intimes et une autre pour le rapport au retour.

— La correspondante de presse ? Et les photos ?

— Oui, photos, films, Fernando… Ce qu’elle jugera bon pour témoigner. Quant à toi, ta connaissance dans les armes, l’électronique et ton pays nous seront indispensables. Pour tout ce que j’ai énuméré vous concernant vous deux, vous nous êtes supérieurs à Marcus, à moi et vous aurez beaucoup à nous apporter. En revanche, si à un moment donné, l’un ou l’une d’entre vous doute qu’il ou elle le signale. Un membre qui ne serait pas à la hauteur lors de l’action nous ferait perdre et risquer nos vies. Il ne s’agit pas de culpabiliser et il y aura toujours un rôle à jouer pour quelqu’un qui resterait en arrière.

Guina avait été désignée comme cheffe de l’expédition pour ses aptitudes physiques et ses performances, bien sûr, mais surtout pour sa vision humaine des choses et sa faculté à parler à ses subordonnés. Pour elle, il fallait déjà comprendre l’autre, l’écouter, saisir tout ce qui, au cours de son existence, l’avait conduit jusqu’à elle. Ensuite, il était nécessaire d’exercer une autorité réelle, non par le grade – combien de fieffés imbéciles se trouvaient à des postes de commandement ! – mais par la démonstration de ses propres dispositions à mener une mission et donner l’exemple. Mais pas l’exemple aveugle qui conduisait les chefs de guerre intrépides à charger à la tête de leurs troupes, constituant ainsi des cibles faciles. Non, une attitude mesurée, calculée, justement adaptée aux situations, ce qui demande, en sus, de remarquables prédispositions analytiques. La mort d’un chef conduit à ce que son armée soit défaite, mais un chef planqué à l’arrière aboutit à la démoralisation et à la révolte.

Guina commençait à être renommée en ce genre de fonction, et on avait tendance à lui confier des missions de plus en plus délicates et dangereuses. Elle le savait, et se demandait toujours quelle serait l’aventure de trop, celle qui la dépasserait et dont elle ne reviendrait pas. Comment estimer si ce sera celle-ci ou celle-là ? Elle acceptait volontiers d’avoir à sacrifier sa vie, mais absolument pas qu’on l’envoie délibérément au casse-pipe.

En son for intérieur, la qualité de ses équipiers, y compris la présence de ce grincheux de Marcus, la rassurait et elle tenait à le faire sentir afin que tous se sentent importants et intimement utiles.

Le briefing fini, la soirée s’illustra de quelques blagues et taquineries avant que chacun aille dormir. On laissa l’infernal appareil à Bill à condition qu’il ne le mette en marche qu’à l’heure du réveil, ce qu’il ne manqua pas de faire en dansant comme pour une prière chamanique au soleil.

Il restait encore un peu de route, mais la montagne s’estompait derrière. Tant mieux, car le GMC cacochyme n’arriverait certainement plus à escalader, tout seul, la moindre côte. Telles des salades, les occupants se sentaient essorés, et il était temps d’arriver, quitte à se frotter à quelques kalachs un tant soit peu bavardes.

La ville se découpait à l’horizon, mais ce fut Bill qui la signala. Guina avait du mal à réaliser que les dunes et morceaux de bâtiments émergents constituaient les restes de la belle cité d’autrefois. Quel gâchis !

Elle fit s’arrêter le véhicule pour débâcher. À l’approche de ces ruines, il convenait de se préparer. À découvert, le commando constituait une cible parfaite, mais avait la possibilité de riposter. Guina se joignit à lui sur la plate-forme et demanda à Bill de conduire prudemment. Si, par malheur, il était atteint, il s’agissait de limiter la casse au maximum. À Swakopmund, aucun comité d’accueil officiel, mais peut-être un autre, imprévu, serait-il à l’arrivée, non les bras ouverts, mais les doigts sur les détentes et les chargeurs remplis à ras bord.

L’entrée dans ce qui fut les faubourgs se passa sans incident. L’endroit paraissait désert et fort impressionnant. Marcus se souvenait de l’animation des rues, des cris des marchands, des bavardages, des chants dans les tavernes, des lumières, des filles dans les rues et aussi des grotesques touristes déambulant au soleil. Combien avaient survécu ? Qu’avaient-ils souffert ? Ceux qui avaient cherché à échapper à la chaleur, aux ouragans, aux tsunamis, aux épidémies, s’étaient dirigés par instinct vers le nord. Comme la croisade des enfants au XIIIe