Citoyen… flic ! - Claudio Leonardi - E-Book

Citoyen… flic ! E-Book

Claudio Leonardi

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Beschreibung

Un blogueur, critique du pouvoir, trouve la mort au cours d’un mystérieux cambriolage. Le commissaire Raphaël Tona, intrépide enquêteur, est chargé de l’affaire, plongeant dans un monde fait de secrets politiques. Alors que les indices se multiplient, il se retrouve face à un dilemme qui pourrait tout remettre en question, jusqu’à sa propre carrière.

À PROPOS DE L'AUTEUR


Claudio Leonardi puise dans ses expériences variées pour écrire des romans dénonçant les injustices de la société. Des violences faites aux femmes à la corruption en passant par la mauvaise gouvernance, "Citoyen... flic !" est un condensé de ces thèmes qu’il affectionne.

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Claudio Leonardi

Citoyen… flic !

Roman

© Lys Bleu Éditions – Claudio Leonardi

ISBN : 979-10-422-2434-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À ma mère,

à la mémoire de mon frère Alberto et de ma sœur Maria,

pour ma sœur Anne Marie et son indéfectible amour,

à mes enfants Julien, Lisa, Raphaël, Matteo et Dante,

à mes petits-enfants Milo et Nine,

à Jean-Marc, qui m’a inspiré nombre de répliques.

Tout grand pouvoir est périlleux pour un débutant.

Épictète

On peut convaincre par la force de la vérité, on ne doit pas imposer la vérité par la force.

Platon

Ce sont les hommes qui écrivent l’histoire, mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils écrivent.

Raymond Aron

Avertissement

Ce livre est une œuvre de fiction. Les personnages et les situations décrits dans ce roman sont purement imaginaires : toute ressemblance avec des personnes ou des évènements existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.

Pour la bonne compréhension de l’intrigue, certaines fonctions électives plus ou moins importantes sont nommées, le récit de l’auteur concernant les postes mis en lumière ne l’est que pour crédibiliser la fiction et lui donner un caractère plus réaliste.

Chapitre I

Un cimetière au petit matin, un jour très ensoleillé. René était debout devant la tombe de son épouse.

— Il faut que je te dise, j’ai pris « La » décision. Je sais, on en a souvent parlé, tu n’approuves pas.

Au passage d’un visiteur, René s’interrompit, le suivit du regard pendant qu’il s’éloignait, puis reprit son dialogue.

— Oui, tu as raison, Raphaël a toujours profité un peu de ma réussite, mais moi aussi j’ai profité de lui… Mais non, je n’ai jamais été amoureux de Nathalie… Elle a toujours été comme une sœur pour moi. Même si, gamin… bon, enfin !

Il s’interrompit à nouveau et commença à nettoyer la pierre tombale tout en faisant le tour.

— Tu as toujours apprécié Benjamin… Je suis très confiant malgré tout, ça se passera très bien…

Il se racla la gorge…

— Les enfants ? Ils ont trouvé cette idée géniale !

Il posa sa main sur la tombe et resta un instant silencieux…

— Je viendrai te raconter…

Raphaël Tona avait l’habitude de commencer sa journée toujours par le même rituel. Un petit café chez Kim-Yung, femme attachante avec laquelle il aimait plaisanter même si le plus souvent cette Chinoise de naissance, maîtrisant juste ce qu’il fallait de français pour mener à bien son petit commerce, n’entendait rien aux allusions au second degré dont Raphaël raffolait. Du coup, très vite, il avait définitivement banni cette forme d’humour.

Il trouvait très édifiante l’atmosphère colorée de ce bar-tabac où chaque matin se côtoyaient tant d’individus si différents aux destins si improbables. Ce bar lui faisait penser à ces points d’eau en pleine savane où toute la faune vient se désaltérer, indifférente à ce qui l’entoure. Quand il croisait les éboueurs pendant leur première pose, il ne manquait jamais de leur rendre hommage en les gratifiant d’une tournée de cafés accompagnés d’une liqueur réconfortante…

Ce rade affichait l’image de ce qui pouvait se jouer au quotidien dans tout le reste du pays. Il constituait une parfaite représentation des courants émergeant d’une consultation électorale. Le fait était qu’il arrivait de temps à autre qu’une critique d’ordre politique soit lancée, mais la nature inflammable des échanges qui s’en suivaient avait finalement cantonné les conversations à une dialectique météorologique qui, espérait-on, ne provoquerait aucune tempête. Quoique ! Raphaël se désespérait de la disparition systématique des petits commerces qui faisaient vivre le cœur de sa commune de banlieue. Il n’attendait rien de bon de ce nouveau monde promis par la plus haute autorité élue entourée de l’amateurisme de ses troupes. Raphaël avait conservé toute sa fougue d’adolescent révolté et sa ténacité juvénile. Intransigeant dans la conduite de ses enquêtes, il ne laissait rien au hasard : le rebelle qui bouillonnait toujours dans son esprit, lui conférait l’aplomb nécessaire et indispensable.

Quelque temps auparavant, percevant d’inquiétants signes au quotidien, grâce à son flair que beaucoup de canidés lui auraient envié, il avait pondu une note technique pour ses anciens collègues des renseignements généraux, identifiant les risques d’une colère populaire qui grandissait, et ce, six semaines avant l’éruption des gilets jaunes. La nature a horreur du vide… « Cela va mal finir », avait-il prévenu… Tona n’avait pas toujours été inspecteur de police. Élu de sa petite ville, il avait entrepris un travail en collaboration avec les jeunes de la cité « classée sensible » de sa commune. Le hasard des rencontres et quelques résultats l’avaient conduit au secrétariat général du gouvernement.

Les passerelles internes à la fonction publique et un petit coup de pouce très politique lui permirent d’intégrer directement le grade d’inspecteur. C’était précisément chez les RG1 qu’il avait commencé sa carrière, et ce en raison de son expérience et de sa parfaite connaissance du terrain. Tout policier qu’il était devenu, il n’en restait pas moins un citoyen attentif et actif, n’abandonnant rien de ses convictions politiques et sociales. Il était d’une ironie cinglante, gai luron, touche à tout, à la réputation plutôt sulfureuse durant la période où il s’occupait de tous ces jeunes, dont beaucoup flirtaient avec la transgression. Son entregent était impressionnant, ce qui lui avait permis d’être respecté et peut-être même craint à la brigade criminelle qu’il avait rejointe au moment de la réorganisation des services, toujours grâce à son ange gardien.

Il avait participé à de « drôles d’affaires ». Il connaissait beaucoup de choses sur les milieux politiques et artistiques et avait conservé d’importants contacts au sein de ces mouvances. Son caractère fonceur lui collait à la peau comme un second costume, peut-être un peu trop au goût de ses supérieurs.

Il ne lui déplaisait pas non plus d’organiser de temps en temps quelques parties de poker.

Les piliers de bar, sans qui la recette de fin de soirée n’aurait pas suffi à payer les factures, commençaient très tôt par des demis de bière. Quand le hasard permettait à Raphaël un arrêt dans l’après-midi, il était à chaque fois fort étonné de les retrouver imperturbablementcollés au zinc constatant qu’ils n’avaient toujours pas réussi à étancher leur soif.

Les jours de repos, il lui arrivait de prendre son temps le matin pour boire son café, s’amusant de ce qu’il entendait.

Il avait lui aussi caressé l’idée d’écrire, comme beaucoup de ses collègues qui s’étaient inspirés de leur passage dans la grande maison pour « pondre » un livre. Il se demandait souvent s’il en serait capable…

Il s’était pris d’affection pour cet endroit si pittoresque à l’ambiance débridée. Il ne se gênait pas pour critiquer certaines mesures officielles, quant à la gestion de la crise sanitaire, qui alourdissaient considérablement le travail de ses collègues d’une façon si grotesque, provoquant parfois des réactions d’incompréhension de certains clients. Même lors de l’interdiction de prendre son café debout pendant la pandémie, Raphaël ne s’asseyait jamais.

Kamel, un gamin de la citéqu’il avait vu grandir, lui fit remarquer que ses collègues ne seraient pas longs à apprendre son attitude provocante quant au non-respect de ces consignes, que beaucoup considéraient comme totalement stupides, à l’instar de l’attestation remplie par nous-mêmes nous octroyant le droit de sortir.

Plus jeune, Kamel se faisait appeler Michel, non pas pour franciser son prénom, mais pour brouiller les pistes de la police quant à ses petits larcins d’adolescent turbulent…

Il pensait que la dénonciation pourrait venir d’un habitué du matin : un certain Maurice qui considérait tous ses concitoyens comme des crétins, personne ne trouvant grâce à ses yeux. Il était obsédé par l’ordre. Il aimait se repaître du malheur des autres, il espérait même que la Covid frappe tous les réfractaires au vaccin ! Pas un jour sans l’entendre pester contre les chômeurs, les profiteurs, les grévistes du métro et du train, le personnel de santé à qui on avait accordé une augmentation de salaire et qui trouvait cela encore insuffisant, etc., etc., etc. Un citoyen modèle en somme !

Quelquefois, une critique à propos des remarques « extrêmes » de Maurice fusait dans la salle. Aussitôt, la controverse tournait à l’affrontement pour savoir qui était le plus con des deux. Il arrivait à Raphaël, avec un brin d’humour, d’avancer que lui en avait une petite idée… Et à Maurice de réagir au quart de tour !

— Avec des policiers comme toi, la France est foutue. On se demande ce que tu fous encore dans la police !

Raphaël, très calme :

— Je suis rentré dans la police à cause de la police, pour qu’il y ait aussi des gens comme moi pour faire en sorte d’éviter le pire !

Cela ne les empêchait pas de renouer chaque matin le dialogue qui, comme dans un vieux couple, les remettait en selle pour d’autres confrontations. Jean-Charles, l’ancien instituteur du village, jouait souvent le médiateur. Comme l’avait prévu Kamel, le commissariat de la ville ne fut pas long à savoir qu’un fonctionnaire de police prenait son café debout, toutes ces bonnes âmes n’oubliant pas de signaler aussi au passageleurs voisins pour être sortis plusieurs fois dans la même journée, et ce pendant plusieurs heures.

Chez Kim, il y avait aussi de vrais gentils comme Ahmed qui, lui aussi, tenait un bar de son côté, toujours prêt à rendre service et à offrir de nombreuses consommations. Il affichait clairement une autre orthodoxie politique qui le classait dans le camp des « non-alignés ».

La cinquantaine débordée, Raphaël avait accepté de rejoindre des amis d’enfance dans une grande maison que possédait l’un d’entre eux, René Bogossian, qui avait magnifiquement réussi sur le plan des affaires.

Veuf très tôt, ses enfants mariés et installés, René, qui se retrouvait seul dans son immense demeure, avait proposé à ses amis d’enfance restés célibataires de le rejoindre dans une vie communautaire à laquelle, plus jeunes, ils avaient aspiré.

Raphaël avait donc rejoint d’une part Nathalie Rive, journaliste, une femme qui détestait faire la cuisine, mais qui adorait la manger. Elle avait choisi de consacrer sa vie et son temps à son métier. Elle appréciait tout particulièrement d’être présente sur tous les théâtres d’opérations. Une femme à la sensibilité artistique aiguë, très en pointe quant à l’actualité culturelle, aimant particulièrement le cinéma, elle apportait son expérience de la politique internationale et féministe dans cet environnement à dominance masculine beaucoup trop cartésien à son goût. Elle aimait sortir et parler des spectacles auxquels elle assistait, contestant souvent la vision parfois naïve du monde décrit par ses amis.

Enfin, d’autre part, le petit dernier : Benjamin Georges. Prof de philo, qui avait toujours martelé qu’il ne se marierait jamais, il avait bien essayé d’expliquer pourquoi sans jamais parvenir à convaincre ses camarades de la cohérence de ses arguments.

Un homme plutôt sec, mais tout en rondeur côté caractère. Dans la rue, adolescent, il avait déjà à cœur d’expliquer et d’apprendre aux autres nombre de choses, de conseiller des livres ou d’organiser des réunions de discussions diverses et variées. Toujours en bagarre avec l’autorité, c’était tout naturellement qu’il s’était tourné vers le métier de professeur de philo. Capable de compromis, toujours à l’écoute, grand communicant, débonnaire, mais aussi embrouilleur professionnel.

Le jour où René leur avait proposé de le rejoindre, tous les quatre s’étaient réunis dans la bibliothèque de la maison : Nathalie et Benjamin se faisaient face chacun sur un canapé, séparés par le fauteuil de René, Raphaël tournant autour de ce petit monde.

— Je trouve ton idée super, intervint Nathalie… Nous réunir… Vivre tous les quatre, ici…

— Je me demande si tu as bien mesuré les risques de conflits… fit remarquer Benjamin.

Raphaël ne semblait pas s’intéresser à la discussion, plongé dans la lecture d’un prospectus et marmonnant sans qu’on puisse comprendre ce qu’il disait.

— Comme si on avait toujours été d’accord ces dernières années, déclara René. Combien de fois on s’est envoyé paître ? Combien de fois on a juré que l’autre était insupportable ?

— Mais le soir, chacun rentrait chez soi, décompressait à loisir, passait un week-end réparateur et pouvait de nouveau supporter un Raphaël toujours aussi délirant.

Benjamin, agacé :

— Raphaël, tu es avec nous ?

— J’entends ce que vous dites, je ne dis rien, mais j’entends…

— Si tu pouvais t’asseoir et nous donner ton avis, dit René.

Raphaël finit par obtempérer, son prospectus à la main.

— Non, mais ! Ce n’est pas une arnaque… ?

Nathalie, quelque peu surprise :

— De quoi parles-tu, de la proposition d’Azad ?

René qui n’avait pas l’habitude d’être appelé par son prénom arménien…

— Azad ?

Raphaël agacé :

— Quelle proposition ? Moi je te parle de l’arnaque des casinos !

Benjamin, toujours stoïque :

— Tu es allé au casino ?

Raphaël de plus en plus agacé :

— Oui et j’ai perdu… Il n’y avait plus aucun croupier : roulette machine, blackjack machine… les tauliers n’ont même plus le risque de perdre de l’argent, c’est une arnaque permanente. Et l’État permet ce genre de vol !

Nathalie n’en croyait pas ses oreilles…

— Non, mais je rêve ! Tu es grave quand même ! Il n’y a encore que toi pour croire qu’on peut gagner quoi que ce soit au casino ! Les « seuls » qui gagnent à tous les coups, ce sont les casinotiers et l’État, précisément. Allez, vas-y, dis-nous ce qui t’énerve ?

Raphaël jeta un regard aux autres pour leur faire comprendre qu’il ne raccrocherait pas la discussion tant qu’on ne lui aurait pas permis de vider son sac.

— Bon… les machines à sous, OK, on sait quelles sont programmées pour faire gagner à un rythme voulu le client et ramener au casino 70 % des recettes…

René, stupéfait par la naïveté de son ami :

— Tu as attendu d’avoir cinquante ans pour te rendre compte que les casinos étaient toujours gagnants ?

— Gros malin, j’ai toujours su que le casino gagnait toujours à la fin !

Nathalie, perplexe :

— Ben alors, qu’est-ce qui change ?

Raphaël haussant la voix :

— Ce qui change Nat, c’est qu’on nous prend pour des cons, et avec la bénédiction de l’État !

Benjamin affichant un large sourire :

— Tu viens de prendre conscience que l’État te prend pour un con ?

— Fais le malin, toi aussi, lui répondit Raphaël du tac au tac ! En attendant, quand un croupier lance la bille à la roulette, seul le hasard est complice. Avec la machine, on te baise. Elle est programmée pour ne jamais faire perdre le casino.

— Rien de nouveau sous le soleil, le casino gagne toujours… conclut Benjamin.

Raphaël sur le point d’exploser :

— Toi, la philo, ça va, la psychanalyse, ça va aussi. Lire… tu sais, mais quand il faut passer à la pratique, au terre à terre des petites gens, tu es perdu… S’il n’y a plus de croupier pour battre les six jeux de cartes du sabot au blackjack, alors tes chances de faire de belles séries sont nulles, puisque la machine est programmée pour ne jamais te permettre de mettre en danger le casino. C’est une escroquerie et je vais faire une campagne sur le net pour dénoncer cette saloperie ! On va attaquer les casinos avec une action de groupe et l’État aussi, pour complicité.

Benjamin levant les yeux au ciel :

— Et toi en tant que fonctionnaire de Police, il n’y a rien qui te gêne ? Ça y est, on l’a perdu !

René, qui connaissait bien les tendances très à gauche de son ami, lui apporta un soutien inattendu.

— Je trouve que, pour une fois, il met le doigt sur quelque chose de tangible. Ça ressemble en effet à de l’escroquerie. Si le casino ne peut jamais perdre, ça veut dire que le client ne peut jamais gagner ou très peu, et encore s’il est capable de s’arrêter avant que la machine ne lui reprenne ce qu’elle lui a donné.

Nathalie s’adressant à Raphaël :

— Bon, mais sinon, que penses-tu de la proposition d’Azad ?

Benjamin intervenant au vol :

— Il n’a rien écouté…

Raphaël sûr de lui :

— Si, monsieur… j’ai écouté et j’ai même tout compris. Je dois dire que j’avais un peu d’avance vu que René m’en avait déjà parlé. Je lui ai dit qu’à partir du moment où chacun avait son espace et…

René le coupe :

— Oui, j’en ai d’abord parlé à Raphaël parce que je voulais qu’il sache que chacun viendrait avec ses moyens financiers. La maison est grande et le montant de votre participation aux frais sera à la hauteur de ce que vous coûtent votre logement et votre nourriture actuellement.

Nathalie, quelque peu surprise :

— C’est donc toi qui assureras le reste du budget et qui mettra au bout si nécessaire ?

— Oui, répondit René, je pourrais tout aussi bien dépenser mon argent en voyageant dans le monde entier… Mais avec vous, je voyage dans mon enfance et, croyez-moi, c’est mille fois plus jouissif que de courir le globe, ce que j’ai déjà fait : partager mon quotidien avec vous me met en joie et me coûte moins cher !

Benjamin en bon philosophe :

— Pour ma part, tout ça ne me pose pas de problème. Après tout, on a toujours combattu les injustices et, plus jeune, on était convaincu que les richesses devaient se partager.

Nathalie, le visage souriant :

— Je n’avais jamais imaginé qu’on puisse se retrouver, comme avant, dans la Rue, quarante ans après…

René l’air ravi :

— Alors c’est d’accord, vous emménagez ?

René, c’était l’homme d’affaires et de pouvoir dans toute sa splendeur ! Il n’avait jamais renoncé à séduire. Plaire était une nécessité chez lui, il faisait tout pour garder l’apparence d’un jeune homme malgré sa cinquantaine bien sonnée, frôlant parfois le ridicule.

Le sport et ses exercices matinaux quotidiens étaient un sujet de raillerie permanent de la part de ses copains. Son alimentation choisie et mesurée en faisait un convive controversé quand il était à table. La maison lui appartenait et c’était lui qui était à l’origine de ce regroupement d’anciens copains de la Rue d’la Dé. Il avait besoin qu’on l’aime. Déjà, dans la rue de la Défense, il était le protecteur des plus faibles, mais aussi celui qui décidait bien souvent des jeux et des actions.

Raphaël n’avait jamais caché à ses supérieurs ses opinions sur le caractère ubuesque de la politique sanitaire pendant la crise. Son statut d’inspecteur à la Crime lui avait évité de pourchasser les récalcitrants au pass sanitaire… Il avait ce franc-parler qui lui avait valu, au début de sa carrière, des rappels à modération lui faisant comprendre que cela pourrait le desservir pour gravir les échelons.

Il avait envoyé paître son supérieur de l’époque. Celui-ci lui aurait bien barré le chemin, mais il ne resta pas suffisamment longtemps dans le service pour y parvenir. Raphaël avait depuis des années montré son efficacité redoutable comme enquêteur et avait plus d’une fois reçu les félicitations de la grande maison. Il était devenu intouchable. C’était toujours à lui que l’on confiait les affaires les plus tordues ou délicates.

Il avait un temps pensé à s’orienter vers le statut d’enquêteur privé, au moment où fut créé un cursus universitaire pour rendre plus crédible la faune des privés qui fleurissaient au gré de l’actualité. Chef de groupe, il entretenait avec ses « hommes et femmes » des rapports de confiance et de réel respect. Cela lui valait une sincère admiration de la part de ceux qui travaillaient sous ses ordres. Il avait un frère qui vivait dans le sud avec lequel il s’était peu à peu éloigné, sans trop en connaître les vraies raisons. Ils se téléphonaient parfois pour ne pas rompre totalement le lien familial.

Ce matin-là, Tona dut se rendre au bureau en transport en commun, sa voiture devant subir une révision pendant la journée. C’était un de ses collègues qui l’avait raccompagné la veille.

En sortant du métro, Tona constata que son portable marquait plusieurs appels en absence venant de son supérieur. Ce qui ne l’inquiéta pas plus que cela, étant donné qu’il se trouvait coupé du réseau dans les tunnels du métro. Le fait qu’ils soient tous étiquetés en provenance de son chef direct lui laissa présager qu’on devait avoir besoin de lui urgemment.

Raphaël n’en avait pas pour autant accéléré le pas. Au pire, il lui serait demandé de se rendre sur une scène de crime et donc la victime pouvait attendre un peu. Au mieux, il s’attendait à être de nouveau rappelé à l’ordre pour quelque chose qui avait dû déplaire au service sans pouvoir se souvenir de « quoi exactement », et ce, même en se creusant la tête.

Arrivé à quelques mètres du bureau du grand patron, celui-ci fit irruption dans le couloir et vint à sa rencontre. Il l’accompagna sur les quelques mètres qui lui restaient à parcourir, invitant Tona à le suivre dans son bureau.

Son supérieur direct, Henri Demarle, n’était pas très grand, mais il dégageait une sorte de force à la fois physique et émotionnelle. On ne pouvait pas qualifier cet homme de beau ni dire qu’un charme émanait naturellement de sa personne. Indéniablement, il y avait de l’intelligence sur son visage. Ses yeux étaient très sombres, profondément enfoncés dans leurs orbites sous des sourcils très épais. Ceux-ci en broussaille s’arquèrent légèrement.

Demarle, avec une maladresse perceptible, lui demanda :

— Voulez-vous une cigarette ?

Tona ne fumait pas, ne buvait pas, mais depuis toujours, il se trouvait dans l’obligation de le rappeler régulièrement à ses collègues comme à son chef.

— Asseyez-vous, Raphaël… Même si nous n’avons pas toujours été d’accord, j’ai toujours reconnu chez vous l’étoffe d’un grand flic… Bien sûr, vous avez votre caractère et votre franc-parler qui peuvent souvent en gêner certains. Mais, pour ma part, j’ai toujours considéré qu’il participait aussi de vos bons résultats.

Ses cheveux blancs étaient ébouriffés comme s’il les avait nerveusement repoussés en arrière, signe chez lui d’embarras. Quelque chose le tracassait, mais Tona avait compris qu’il ne lui dirait rien… Raphaël n’était pas habitué à entendre des appréciations aussi courtoises de la part de son chef ni même des critiques aussi hypocrites. Il attendait la suite avec quelque amusement et un peu d’appréhension quand même.

— On a retrouvé le corps d’un homme ce matin de bonne heure… Sa femme de ménage nous a alertés ! Une voiture vous attend en bas et votre équipe est déjà sur place.

— Où est-ce qu’on va ?

— Dans le XVIIe, le chauffeur a reçu l’adresse par SMS, il vous conduira…

— Pourquoi tant de mystère ? interrogea Tona.

— Aucun mystère je vous assure, une affaire comme vous les aimez d’ailleurs. L’homme aimait écrire aux députés de la majorité, jamais pour les féliciter… Au fait, Jacques Fournier, votre ancien collègue des RG est aussi sur place !

— Comme vous dites, patron, aucun mystère…

Son chef était sur le point de reprendre la parole, mais Tona ne lui en laissa pas la possibilité.

— Je cours, je vole, soyez sans inquiétude, je connais la consigne « Pas de vagues »…

Cette dernière réplique de son inspecteur eut pour effet de le faire tressaillir, comme si un glaçon venait de lui caresser la colonne vertébrale.

Chapitre II

Parvenu sur la scène de crime, et avant même de s’intéresser à la victime et au désordre apparent, Raphaël se dirigea directement vers la seule femme de son équipe, Mélanie, qui avait rejoint son groupe depuis une petite année. Major de sa promotion, et après un module à l’étranger sur les techniques de profilage, elle avait expressément émis le vœu de travailler avec lui.

La singulière personnalité de Tona, flic atypique et rebelle, avait laissé des traces dans tous les recoins de la Grande Maison… Elle avait été séduite par ses méthodes, son intransigeance, sa rigueur et, elle ne se le cachait pas, par son âpreté à comprendre et tenir tête à sa hiérarchie.

Lorsqu’elle fut présentée la toute première fois à Raphaël, un trouble certain envahit son visage, lui qui d’habitude restait imperturbable. Quelque chose s’était produit… Demarle, qui assistait à la scène, en fut étonné et crut devoir lui demander si tout allait bien…

Bouleversé par cette nouvelle venue, Tona avait chancelé comme si son équilibre l’abandonnait. Elle ressemblait à s’y méprendre à cette jeune femme qu’il avait rencontrée trente-cinq ans plus tôt… Jusqu’à son prénom ! Mélanie… Aussi blonde, à la coupe de cheveux identique qui donnait à son visage un éclat lumineux plein de charme, le même corps longiligne… Tout chez elle lui rappelait cet après-midi intimidant où ils s’étaient croisés… C’était sa jeunesse qui lui faisait face ! Les images de ce voyage en Italie se déroulaient en un flot ininterrompu, réveillant en lui des souvenirs qui pour certains avaient échappé à sa mémoire.

Il avait gardé l’empreinte de ce saisissement ressenti dans ce hall d’hôtel où elle lui était apparue. Ce souvenir s’était niché dans un coin de son esprit, place qu’il occupait toujours, et surgissait brusquement de nouveau avec une intensité intacte. Ils avaient entretenu un lien des plus amicaux. Ils leur arrivaient d’échanger de loin en loin quelques appels… Raphaël se sentait bien dans cette fidélité qu’ils avaient su préserver. C’était pour toutes ces raisons qu’au fil des premiers mois de sa collaboration avec sa nouvelle collègue, il avait posé sur elle un regard si affectueux.

Mélanie avait ressenti la bienveillance de Raphaël depuis qu’elle avait intégré la Crime, mais jamais encore Tona ne lui en avait dévoilé les raisons…

— Bonjour, Mélanie, écoute un peu… « Je suis dans un village d’Inuits, je ne sais pas bien ce que je fais là… Je suis sur le bord de la banquise. Au loin, à une centaine de mètres, un ours blanc me regarde fixement sans bouger. Je l’observe, il m’observe… Sans être vraiment effrayé, je le vois courir vers moi ! Et là, je me réveille… » Tu en dis quoi ?

Il savait que Mélanie possédait une façon bien à elle d’interpréter des signes qui échappaient bien souvent à beaucoup, même aux plus brillants de ses collègues. Il espérait une analyse de sa part qui pourrait l’éclairer sur son rêve nocturne.

— Comme ça… Rien, en particulier…

— Évidemment… Excuse-moi…

En même temps, Raphaël remarqua un visage qui ne lui était pas familier. Il l’interrogea discrètement…

— Qui est-ce ?

— Je vous présente Camille Paul notre nouvelle légiste, fraîchement nommée.

— Paul ! Ce nom me dit quelque chose…

— Des « Paul » il y en a des tonnes, patron ! Mais vous avez raison, elle n’est pas n’importe qui… Elle est apparentée au fameux légiste des belles années du 36 : Charles Paul.

Tona se dirigea vers elle pour la saluer comme il se doit.

— Mélanie, dis-nous tout sur notre victime ?

— Arnaud Vinckler, 42 ans, célibataire, blogueur à succès, poil à gratter de l’exécutif…

Je cite : « Ce phare du nouveau monde qui nous éclaire la route vers une terre promise, une République exemplaire. »

— Raphaël, ce sont « ses mots » pas les miens !

— Bonjour, madame Paul, nous sommes heureux de vous accueillir… Charles Paul ! L’homme aux cent mille autopsies, n’est-ce pas ?

— En réalité, il en a pratiqué cent soixante mille dont celles de très grosses pointures dans le milieu du grand banditisme. Mais je vous en prie, appelez-moi Camille.

— Bon, alors Camille, que nous raconte ce cadavre ? questionna-t-il en se penchant avec elle sur le corps de la victime.

La mort avait ôté toute beauté à cet homme, ses bras et ses jambes étaient entremêlés, son visage avait déjà une couleur de cendre. Il avait les cheveux châtains, des sourcils plutôt fins, mais le masque de la mort l’avait déjà enveloppé… Malgré tout, on pouvait imaginer un individu passionné.

Ce n’était pas, semble-t-il, un mort ordinaire, car Raphaël avait repéré Fournier, son ancien collègue qui se tenait bien à l’écart dans un coin. Mais il n’avait pas encore jugé bon de le saluer, préférant attendre que son équipe lui apporte des informations susceptibles de le renseigner sur la présence de son ex-copain des R.G, sur cette scène de crime en particulier…

— Monsieur Tona, enchaîna la légiste, il n’y a pas eu lutte. On l’a assommé, un coup net derrière la tête, qui à lui seul, ne me permet pas d’affirmer qu’il est à l’origine du décès. Je pencherais plutôt pour une conséquence indirecte du choc, la grande stupeur ressentie aurait déclenché une réaction au niveau cardiaque entraînant la mort, d’où la forme convulsive du corps… Mon autopsie vous confirmera sans doute mes premières constatations.

— Merci, Camille, mais appelez-moi Raphaël. Heure présumée de la mort ?

— Entre quatre et cinq heures du matin, la rigidité cadavérique a déjà commencé…

— Un très grand merci, j’attends votre rapport… intervint Tona tout en jetant un regard admiratif à Mélanie pour cette belle entrée en matière de la nouvelle légiste.

Tona tournant légèrement la tête vers l’endroit où se cachait son ancien collègue s’adressa à Mélanie :

— Tu penses que c’est pour le décès d’un blogueur facétieux qu’on nous a envoyé « l’œil de Moscou » ?

— Je ne sais pas, répondit-elle avec un large sourire…

— Quoi d’autre ?

— Il n’y a aucun signe d’effraction, ce qui nous indique que c’est peut-être plus qu’un simple cambriolage. L’ordinateur et le téléphone ont disparu et, en-dehors de ce désordre « plutôt ordonné, » pas d’autres dommages. Sans doute, était-il venu chercher autre chose… Vinckler devait dormir, il est en tee-shirt, chaussettes et bas de jogging. Je suppose qu’il a dû entendre du bruit, enfiler son pantalon rapidement pour descendre voir ! C’est sûrement à cet instant qu’il a été frappé.

— Je présume que Thomas et Aurélien sont sur l’enquête de voisinage ?

— Oui, chef, et ils ne devraient pas tarder, le quartier n’est pas très grand !

— Ce n’est tout de même pas la mort d’un simple citoyen attentif aux réalités, qui ne relèvent que de la constatation factuelle, qui fait trembler en haut lieu ? Qu’est-ce que ça cache ?