Sans bruit, impossible de s'endormir… - Claudio Leonardi - E-Book

Sans bruit, impossible de s'endormir… E-Book

Claudio Leonardi

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Beschreibung

Douze mille femmes ont été violées pendant la guerre de 39-45 en Italie du sud… Des pères, des frères, des voisins, des prêtres et des inconnus ont été sauvagement assassinés pour avoir tenté de s’interposer. Seulement, même si le Sénat italien en 1990, après une enquête aux lenteurs toutes sénatoriales et politiques, a conclu à la réalité de ces drames, jamais il n’a été reconnu le statut de victimes à toutes ces femmes et jamais aucune sanction n’a été infligée aux coupables pourtant bien identifiés. Fort de ce constat, Sans bruit, impossible de s’endormir… retrace la colère, la frustration et la lutte de ces suppliciées, face à l’injustice de la situation, dans une intrigue pleine de rebondissements que vous êtes invités à découvrir.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Claudio Leonardi réside en France depuis son enfance et a occupé plusieurs postes à responsabilités. D’enseignant à conseiller général du Val de Marne, il a également traversé le monde de l’entreprise. Après un premier livre autobiographique, il revient avec ce roman sur les atrocités vécues par de nombreuses femmes de son village natal.

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Seitenzahl: 208

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Claudio Leonardi

Sans bruit, impossible

de s’endormir…

Roman

© Lys Bleu Éditions – Claudio Leonardi

ISBN : 979-10-377-6848-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À la mémoire de mon frère Alberto et de ma sœur Maria.

Pour ma sœur Anne Marie et son indéfectible amour.

À mes enfants Julien, Lisa, Raphaël, Matteo et Dante.

À mes petits-enfants Milo et Nine

À ma mère

La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas…

Charles Baudelaire

Celui qui désespère des événements est un lâche, mais celui qui espère en la condition humaine est un fou. Aujourd’hui, ma mère est morte. Ou peut-être hier !

Albert Camus

J’ai cessé de chercher à toujours avoir raison et je me suis rendu compte de toutes les fois où je me suis trompé. Aujourd’hui, j’ai découvert l’Humilité.

Charlie Chaplin

Peut-être la suprême vertu, en notre siècle, serait-elle de regarder en face l’inhumanité sans perdre la foi dans les hommes.

Raymond Aron

Les personnages

Filomena Vitori : sœur de Carme. Mère de Livia et de Guido ;

Carme Vitori : sœur de Filomena ;

Antonia Meravia : La Comtesse ;

Narebski : Soldat polonais, soigneur de l’ours ;

Eugenia : La fermière… peut-être Eugénio ;

Gaetano et Maria : Les parents de Filomena et Carme ;

Luigi : Homme de confiance d’Antonia la Comtesse ;

Pépino : Employé au funiculaire et homme à tout faire et à tout savoir de la Comtesse ;

Giacomo Petri : Carabinier chef de Cassino et proche ami de la Comtesse ;

Padre Paolo : Curé principal de la paroisse de Cassino et ami de la Comtesse ;

Ernestina : femme de chambre de la Comtesse ;

Oreste Vecchio : Le villageois de Saint-Elia qui a découvert Carme blessé dans l’église ;

Angelina : Cuisinière de la Comtesse ;

Gabriella Gozzi : Amie d’enfance d’Antonia la Comtesse ;

Dodogne Prizzi : De Saint-Elia, qui enquête avec Giacomo ;

Angelo : Ami d’enfance de Dodogne tient avec sa mère le restaurant « La Cantina » ;

Rosetta : Mère d’Angelo, propriétaire du restaurant « La Cantina » ;

Primo : Mauvais garçon, fasciste notoire ;

Miloud : Goumier, qui aidera Giacomo et Dodogne à la résolution de l’enquête ;

Marino Fardelli : Commandant des carabiniers de Cassino ;

Meska : Officier goumier à l’origine du viol de Carme ;

Padre Giovani : Curé de la paroisse de Saint'Elia ;

Valentina : enquêtrice occasionnelle de Giacomo ;

Aurelio : Intendant de la pension Bergam, devient homme de confiance de Gabriella ;

Silvana, Paola, Guilia, Alessia, Fiona : groupe de femmes aidées par la Comtesse et Gabriella ;

Agostina et Chiara : Jeune orpheline recueillie par Gabriella ;

Carmine : Bonimenteur, apprenti brocanteur ;

« La Mamma » : Ainsi appelé, faiseuse d’anges ;

Lucia : La cuisinière de Gabriella ;

Elisa : La femme de ménage de Gabriella ;

Renato : Plus vieux pêcheur de la baie, très proche de Gabriella ;

Maurizio : Fils de Renato et pêcheur comme son père ;

Annuziata : Grand-mère d’Alessia ;

Stefania : Mère d’Alessia ;

Casabianca : Médecin de Gabriella qui soigne Carme ;

Ibrahim Alaoui : Goumier complice du viol ;

Youssef Ait : Goumier complice du viol ;

Loumis Benani : Soldat goumier ;

Alessandro Merlot : Commissaire de police du quartier Espagnol ;

Carlo Petini : Divisionnaire du poste de police du quartier Espagnol ;

Usman et Idrissi : Goumiers complices du viol ;

Fausto Damazio : Neveu du commissaire Merlot ;

Tourbino : Inspecteur sous les ordres du commissaire Merlot ;

Roubio : Collabo de la première heure ;

Franscesca et Claudia : Les mamans de Lucas et Benedetto qui ont délivré les messages aux soldats ;

Maurizio Valenzy : Homme politique et résistant ;

Virorio : Père de Livia et Guido ;

Antonio, Mario et Erminio : Les frères de Filomena.

Préface

J’aurais aimé savoir écrire, pouvoir mêler les mots comme le font les vrais écrivains, les entrelacer pour en faire jaillir des enthousiasmes.

Chahuter les souvenirs, réveiller les envies, booster les ambitions ou plus humblement offrir un moment de délassement…

Le pouvoir des mots est fascinant. Ils attirent, ils interrogent, bien assortis, ils subjuguent. Ils font naître des récits éblouissants, et nous en avons tous un souvenir enchanteur !

Naviguer sur cette mer de l’imaginaire relève de l’acrobatie et nombreux sont ceux qui finissent dans le creux de la vague.

Le géniede ces narrateursqui réussissent cette alchimie, cette fusion, envoûte les lecteurs de tous âges.

Comme une lente perfusion, ils réchauffent les ambitions, sonnent le branle-bas de combat des rêveries et l’exaltation des appétits endormis jusqu’à déranger l’inconscient.

Ils aident à vivre, à ouvrir les yeux chaque matin en pensant que tout n’est pas perdu.

Ces récits qui nous animentrevitalisent les liens impérieux avec l’existence d’un univers des possibles, à la manière de ces boules à facettes diffusant mille éclats d’une luisance qui inonde chacune de nos cellules.

Le saisissement bouleverse nos sens, l’inquiétude nous rend craintifs, les larmes nous surprennent, mais l’ivresse de lire nous donne envie d’écrire.

Est-ce les lecteurs dans leur multiplicité qui confèrent à un livre son intérêt ?

Si l’on en croit les nombreuses et contradictoires critiques d’une œuvre quelle qu’elle soit, il apparaît bien que le récit s’apprécie à l’aune des vécus et des attentes.

Pour ma part, il ne s’agit que de tenter de guérir mes maux !

Un des aspects les plus douloureux du passage à l’âge adulte est la perte de ceux que l’on aime le plus. Même avertis qu’ils ne peuvent nous accompagner jusqu’au bout du chemin, la blessure ne guérit jamais tout à fait.

Une fois disparue, j’ai mesuré combien j’avais manqué d’occasions d’échanger avec ma mère.

Une vie d’adulte trop vite engagée, l’envie de sortir rapidement d’une enfance chaotique et la rage d’exister par moi-même m’ont fait délaisser l’essentiel.

Il ne reste que l’écrit pour exhumer ce dialogue improbable et le figer dans la mémoire des instants perdus.

On écrit souvent à l’encre de la douleur !

Un

Guido n’avait pas encore quarante ans lorsque sa mère « Filo » comme il avait pris l’habitude de la baptiser, disparut… Mais quand il parlait d’elle à ses enfants, pour eux, c’était toujours et seulement Mémé, inlassablement Filomena pour toutes les demandes administratives et les fois où il lui était demandé d’énoncer sa filiation comme au lors de contrôles policiers.

Pour lui, aussi loin qu’il s’en souvienne, l’endormissement avait toujours été une vraie lutte.

Enfin, après avoir longtemps bataillé, Guido s’était laissé emporter par le sommeil sans trop de résistance, pensait-il, cette fois-ci.

C’était assurément une cache ! Un de ces abris où nos pères et grands-pères se réfugiaient pour se protéger des bombardements ou des envahisseurs.

Cependant, aucun bruit ne filtrait du dessus, du haut, de la surface.

Imaginant être sous terre, il ne percevait ni tremblement ni secousse qui viennent étayer son hypothèse.

Nous n’étions donc pas en guerre, aucun soubresaut ni même le moindre bégaiement de lumière.

Il optait néanmoins pour considérer définitivement cet endroit comme niché sous la terre…

Après un long moment de flottement, ce lieu lui renvoyait d’énigmatiques impressions qu’il lui était difficile de nommer tant elles étaient bouleversantes et nébuleuses. Des zones étaient faiblement éclairées sans que jamais il ne puisse identifier une quelconque source de luminosité ou d’énergie.

Pourtant, il fallait bien qu’il y en ait une, la clarté scintillait comme si elle était enveloppée de cristaux.

Parfois, elle apparaissait comme enrubannée de brume, brillance surnaturelle qui dessinait des ombres encore plus sombres. On n’y voyait pas vraiment comme en plein jour, non, mais plutôt comme à la lueur d’une pleine lune, de cette clarté douce et rassurante que la nuit fait naître.

Pourquoi fallait-il qu’il voie des rayons de lune là où il ne pouvait en exister... Probablement à cause de son imagination, comme quelque chose de magique.

Mais à quelle fin ?

Il croisait bon nombre de personnes sans qu’aucune ne lui adresse la parole et sans que lui-même jamais ne pense à les questionner, à leur demander où il se trouvait et quel était cet endroit.

Puis, un souffle de poussière s’abattit sur lui au point de dissimuler les individus qu’il était certain d’avoir croisés et peut-être même reconnus, pourdevenir des spectres transparents.

Ils avaient pris la forme de squelettes semblant être animés par des fils, avec des mains osseuses aux doigts longilignes et des visages cadavériques qui malgré tout souriaient. Leurs bras et leurs jambes demeuraient invisibles.

Des ombres plus grises que noires, comme si une sorte de halo filtrait tout éclat de luminance, une sorte de radiographie complète de cet abri.

Cette « presque » ville semblait avoir été organisée pour abriter une multitude de personnes dont, au fur et à mesure de sa déambulation, il prenait conscience.

Aménagées dans la roche ou dans des murs d’apparence jaune sable, des alcôves évoquaient des loges où dormir. En tout cas, cela y ressemblait très fortement.

Il entrait dans ce rêve comme on pénètre dans une grotte, ou une caverne, un boyau de vie dont les segments se dessinaient peu à peu. La perspective qu’il puisse tomber dans un gouffre le terrorisa un instant : un abysse qui entraînait la disparition à tout jamais de tous ceux qui s’y précipitaient.

Cette vision lui parut effrayante. C’est à cet instant qu’elle lui prit la main : Filo venait de lui apparaître incertaine, comme un reflet qui peu à peu prenait forme tout en le rassurant, faisant disparaître toute inquiétude de son esprit et jusque dans son corps.

Elle souriait pour de bon, son visage en fut adouci et son regard parut des plus illuminés.

Confiant, le petit garçon qui était toujours en lui pouvait s’endormir sans crainte, bercé par ses souvenirsd’enfance où sa mère, d’une voix douce, lui lisait ses histoires préférées qui étaient toujours les mêmes, ses lèvres fraîches lui touchant le front pour apprécier s’il couvait une quelconque fièvre.

Elle qui prenait soin de lui avec une tendresse toute précautionneuse, tous les matins, lui brossait les cheveux et surtout, avant chacun de ses départs pour l’école, vérifiait que rien ne puisse dévoiler les difficultés du foyer.

Son parfum était sucré ou poivré, il dira très souvent n’avoir jamais su faire la différence. Pour lui, elle avait toujours l’odeur de fleurs blanches, très pures, comme celle des narcisses, à supposer qu’on pût attribuer une couleur à un parfum.

Tous les petits garçons grandissent et deviennent des hommes, c’est vrai pour la plupart.

Chez Guido, il y avait tout un pan de sa vie qui le maintenait dans la couleur de l’enfance où les jeux et les petits camarades avaient pris une dimension des plus importantes.

Il n’était pas sûr d’être heureux, mais rien ne lui indiquait qu’il ne l’était pas… bien au contraire.

Sa femme, ses enfants, tout cela avait l’apparence d’une existence qui ressemblait à la félicité.

« Personne ne rend quelqu’un d’autre heureux, ce n’est pas la responsabilité d’autrui. C’est à chacun de nous qu’il revient d’apprécier son propre bonheur. »

Alors, quand il y a interaction entre la mise en œuvre d’une synergie et la construction d’un bonheur commun, il peut se trouver que des points de déséquilibre prospèrent. Lui voguait avec insouciance sur cette mer quelquefois houleuse d’une vie qu’il croyait en tout point maîtriser.

—Mamma, ho sognato che mi stavi leggendo favole della buonanotte, ma non sapevi leggere !

— C’estmon premier petit fils qui m’a fait ce cadeau quand je suis partie.

À de nombreuses reprises, Guido et sa sœur Livia avaient imaginé apprendre à lire à leur mère et même projeté de lui faire passer son permis de conduire. Le temps, mais plus sûrement la volonté leur avaient manqué à tous deux, et c’est en effet son petit-fils qui lui avait promis de lui apprendre à lire dès que lui-même le saurait…

Elle venait de lui poser une question :

— Que fais-tu là ?

Il la fixait perplexe et légèrement anxieux, comme si elle s’était métamorphosée. Ses yeux s’emplirent de larmes, il percevait sa douleur vite apaisée. Le visage de Guido s’était tendu comme accablé de souffrance devant cette réalité incertaine, il sentit le vent fort encore plus froid qu’à l’habitude l’envahir, il ne pleuvait pas, pourtant de l’eau perlait sur ses joues.

Il reconnut sa peau blanche et lisse, héritage de sa vie à la campagne loin des villes polluées.

Sur ses cheveux, de rares rayons lumineux couraient, elle avait de jolis traits que ne marquaient plus aucune inquiétude ni aucun tourment, comme si ses pensées se dessinaient sur son expression.

Elle rayonnait, elle contenait avec peine sa gaieté, il était trop tard pour éviter ou donner une autre interprétation au cadeau qu’elle venait de lui offrir.

Alors il la prise dans ses bras et la serra très fort, profitant de cette étreinte pour essuyer les larmes qui ruisselaient sur son épaule. Le doute n’était plus permis, c’était bien un songe et Guido rêvait de sa mère disparue quelques semaines plus tôt.

— Quel est cet endroit, que fais-tu là ?

— Je suis chez moi, c’est toi qui me rends visite !

Sa remarque dérouta le fils tant aimé et eut pour effet de faire chanceler la netteté des images qui lui parvenaient et du dialogue qui avait commencé. Ébahi, il lui revint une des nombreuses discussions qu’il avait de temps à autre avec sa petite sœur sur les signes que nous envoient les rêves.

Livia a toujours été un peu sorcière ! Avec elle, impossible de s’accrocher à descertitudes sans qu’elles ne soient remises en cause par les signes, comme elle avait l’habitude de nommer le hasard qui surgit sur nos routes tout au long de la vie. Elle avait tendance à croire à l’intervention de la providence dans les faits les plus insignifiants. Guido, lui, avait l’esprit rationnel et plus cartésien que lui était improbable, ce qui l’obligeait chaque fois à lui opposer ses contradictions qui provoquaient immanquablement des joutes verbales qui parfois pouvaient monter dans les aigus.

Empreint d’un amour fraternel des plus vifs, Guido louvoyaitavec moult précautions, avant de proposer à sa petite sœur d’autres interprétations…

Il admettait volontiers que les rêves agissent comme des indicateurs de désirs inconscients accrochés parfois aux épreuves de la vie, mais il ne leur accordait jamais l’acquiescement réclamé, signifiant qu’ils puissent être prémonitoires de la survenance d’une mort prochaine ou d’un événement gravissime.

Tout juste voulait-il bien reconnaître une aptitude à une intuition dite féminine plus forte même si, pour sa part, il n’a jamais réellement pensé qu’elle puisse être plus féminine que masculine.

Ces confrontations sur le sens ésotérique des signes avaient le plus souvent comme source des sensations particulières. Le fait est qu’ils avaient pris l’habitude de se raconter leurs rêves, Livia pour démontrer une fois de plus l’évidenced’un phénomène surnaturel, et lui pour réaffirmer le lien qui relie le besoin de trouver des réponses apaisantes à la disparition sidérante d’un être cher dans les messages rêvés.

Pourquoi, à cet instant précis, était-ce la nature de la prochaine joute verbale, qu’inévitablement il aurait avec sa sorcière de petite sœur, qui l’inquiétait ?

Alors que sa mère venait de lui demander pourquoi il lui rendait visite !

Pris de court, sa réponse comme sa question bouleversèrent ses pensées et à cet instant il se vit projeté dans le souvenir de la veille de sa mort à l’hôpital.

— Mamma, je n’ai pas compris que tu partais, j’étais même certain que le pire était derrière toi ; quand je t’ai vue passer de ton lit au fauteuil de la chambre, je me suis dit : « Elle va vivre ». Tu avais un beau visage, tu reprenais force.

Mais c’était la joie d’embrasser ton petit-fils rentré d’Angleterre pour être auprès de toi qui t’avaitpermis ce sursaut. Je n’avais pas compris ! je n’avais pas compris !

— Repose-toi mon fils, nous avons tout le temps, reprends tes esprits…

Malgré l’invitation de Filo à la tranquillité, Guido luttait pour rester au contact, il ne voulait pas rompre le fil de ce dialogue, il avait tant de questions qu’il n’avait jamais osé poser.

Rassemblées dans sa mémoire, toutes les occasionslaissées derrière lui, les pudeurs ridicules qui l’avaient empêché de se questionner sur ce qu’il ignorait, mais qu’il percevait comme ayant existé.

Il l’avait depuis très longtemps senti, il savait de façon confuse qu’il y avait chez sa mère aussi une autre femme.

Malgré son envie de fouiller l’histoire maternelle, à cet instant même, il s’en voulait d’avoir acté avec autant de complaisance un récit qu’il savait douloureux sur ce passé en Italie.

Restée fille unique après avoir très tôt perdu ses parents pendant les bombardements de Cassino, elle avait accepté la proposition des autorités italiennes de la déplacer enCalabre.

Guido ferraillait pour retrouver la chaleur et la bienveillance de sa mère, garder ce lien qui le rattachait à la vie qu’elle venait de lui redonner.

— Non, je ne veux pas, parle-moi…

— Endors-toi, nous avons tout le temps…

On n’est jamais assez attentif à ceux qu’on aime, les habitudes tuent le questionnement, le sentiment de toute-puissance brouille nos sens et nous imaginons, par confort, que tout va bien.

Quand la mort vient vous dire qu’il est trop tard, vous mesurez combien étaient puériles les raisons qui vous rendaient aveugle aux évidences qui vous entouraient.

Il replonge dans ce sommeil qui la gardait en vie pour lui dire combien il avait encore besoin d’elle et sans doute était-ce pour cela qu’il se trouvait dans cet univers improbable…

Le voyant rejoindre son premier sommeil, Filomena cherchait comment lui annoncer ce qu’il était venu entendre.

« Je suis contente que tu sois venu », se dit-elle à elle-même, elle marqua une pause, incertaine de la façon dont elle allait cheminer, elle se racla la gorge puis continua :

« Tu es resté le même, je suis heureuse de te revoir. » Guido, puisque tu es venu jusqu’à moi, il y a certaines choses que je dois te révéler et que tu rapporteras à ta sœur. Je sais que je n’ai pas été toujours une mère attentive et assez chaleureuse pour vous quand vous étiez petits, et pourtant ne doutez jamais que je vous ai aimés et protégés de toutes mes forces.

Mon travail difficile chez les tricoteurs jusque tard dans la nuit m’a souvent obligée à vous laisser ta sœur et toi seuls.

Mais à présent, je suis ici et je ne m’en vais nulle part. Je suis heureuse de pouvoir te parler et te livrer ce lourd secret de mes jeunes années.

Elle allait lui confier les ratés, les moments qu’elle pensait possible de dévoiler, ceux qu’elle avait tus tout au long de sa vie.

Elle sentit Guido revenir au contact…

— Ta présence me permet de t’avouer toutes ces choses qui font aussi ce que vous êtes, ta sœur et toi !

— De quoi veux-tu parler ?

— Ne te mets pas martel en tête, je craignais de vous le dire de mon vivant… Enfin, je n’ai voulu que vous protéger ! Tu as l’âme généreuse et joyeuse et ça fait mon bonheur, j’ai eu la chance de connaître tous mes petits-enfants et je reste vivante dans chacun d’eux.

— Je ne comprends rien à ce que tu essaies de me dire, sois plus claire. Et sur quoi affirmes-tu que cela n’aurait rien changé ? Et encore une fois, de quoi parles-tu ?

— Les secrets de famille sont un poison dont je ne connaissais pas la nocivité. Ignorante de ces thérapies qui soignent les maux de l’esprit, j’ai toujours cru que ne rien dire serait sans conséquence puisque cela devait vous protéger…

— Filo venait de lâcher ces mots de : « secret de famille »

comme on lance une grenade dégoupillée.

Guido, les yeux sortant presque de leurs orbites, n’en croyait pas ses oreilles : un secret de famille ? Mais quel secret ? Comment pouvait-elle connaître les ravages engendrés par les silences et l’enfouissement d’une vérité que l’on cache sans jamais pouvoir y parvenir vraiment ?

Un secret de famille ! s’agissait-il d’une mort qui aurait été cachée ou, plus inquiétant pour lui comme pour sa sœur, de la révélation d’une adoption ? Non  ! impossible…

Heureusement, comme pour se rassurer, certains secrets ne sont plus aussi nocifs de nos jours ; si sa mère voulait parler de filles-mères ou d’enfants adultérins, tout cela ne le faisait pas trembler.Mais en son for intérieur, il savait déjà qu’il ne s’agissait pas de cela.

Alors, il réfléchit aussi vite qu’il le put pour ne pas sortir de ce rêve qui lui promettait d’importantes révélations. Il savait que le secret de famille repose le plus souvent sur l’interdit et la peur.

De quoi sa mère aurait-elle eu peur ? Et comme pour se rassurer une fois encore :

« Quelle famille n’a pas son secret ? »

Il savait, lui qui avait eu la chance de faire des études, que les secrets peuvent être dévastateurs. Chacun a le droit de connaître ce qui touche aux racines de sa propre famille, mais il avait conscience que la mise au jour d’une histoire longtemps cachée est à manier avec précaution.

Alors dans cette crypte de la vérité qui commençait à prendre forme tout autour de lui, aux mythologies maternelles foisonnantes, il n’avait plus le choix, sa mère l’avait convoqué pour accoucher d’une vie qu’il n’aurait jamais pu imaginer.

Comment lever l’omerta sans faire trop de dégâts ?

Il était trop tard pour reculer, Filo n’en était plus là. Guido était venu jusqu’à elle pour s’entendre raconter sa mère, la mère qu’il ne connaissait pas encore, mais qu’il continuerait à aimer et de cela Filomena en était convaincue. Souvent, des attitudes bizarres, quelques absences, des frayeurs irrationnelles survenaient de façon inopinée comme pour suggérer les choses sans que jamais elles ne soient nommées.

Guido l’avait à de maintes reprises remarqué et s’en était même inquiété plusieurs fois. Il s’était construit sur cette force évidente comme une auréole qui transpirait chez sa mère. Tout petit déjà, il sentait son regard protecteur qui disait : « Va, il ne peut rien t’arriver, je veille. » Il avait grandi en puisant dans ce qu’il y avait de plus mystérieux chez elle et qu’il percevait comme inébranlable. Filomena avait tout au long de sa vie affiché une volonté de fer campée sur la raison de ce qui l’avait faite agir…

Deux

La fratrie comptait quatre filles, mais les jumelles n’avaient pas survécu. Pendant ces années de guerre, sans les vaccins nécessaires contre la malaria, elles avaient été emportées par la maladie l’une après l’autre, à trois mois d’intervalle.

Alors, tout naturellement, les liens familiaux s’étaient resserrés essentiellement entre les deux sœurs restantes qui devaient faire face aux trois garçons de la famille.

Elles étaient presque jumelles, quinze mois les séparaient, mais rien ne laissait paraître qu’elles puissent être sœurs…

Même si elles étaient d’une même stature avec des tailles bien marquées, elles affichaient des charmes et des beautés des plus opposés, qui les différenciaient tout en les unissant dans un duo détonant.

Pour Filomena, sa silhouette tout aussi mince, son teint clair et ses cheveux flamboyants la faisaient apparaître subtile : ses yeux noirs comme l’encre renvoyaient des éclairs d’une clarté étincelante, à l’image de ce soleil inondant les reliefs du sud de l’Italie qui les avaient vues naître.

Toutes ces singularités n’étaient pas habituelles chez une rousse, voire inattendues, et Filo était, à plus d’un titre, époustouflante.

Carme n’était pas en reste ; elle revendiquait une entière liberté, aux expressions insondables, assumant totalement son excentricité. Ses cheveux courts bouclaient naturellement. Elle était d’une beauté ténébreuse, grande aux épaules bien ouvertes, des yeux d’un vert troublant, un visage enjôleur et malicieux.

Quand elles partaient « braconner », comme elles aimaient à le dire, elles enfilaient des robes qui révélaient leurs silhouettes aux formes bien affirmées.

Le généreux décolleté de Carme invitait au regard, ce qui rendait furieuse sa sœur qui ne pouvait faire autrement que de l’imiter, pour franchir les portes des garnisons qui entouraientMontecassino