Commissaire de Villette - Eric Lumalé - E-Book

Commissaire de Villette E-Book

Eric Lumalé

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Beschreibung

À l’université, plusieurs membres du personnel sont soudain frappés de symptômes étranges : céphalées violentes, hallucinations… tous en même temps, avec un début et une fin aussi brusques qu’inexpliqués. Un véhicule, maquillé aux couleurs de l’université, est repéré à chaque épisode. Simple coïncidence ou pièce maîtresse d’une machination ? L’enquête est confiée au commissaire de Villette, déjà rencontré dans "Les aventures de Jean-René", premier roman d’Eric Lumalé. Dans cette suite, le lecteur retrouve les lieux, les personnages et l’atmosphère du précédent volume, au cœur d’un futur incertain où, en 2226, restaurer une société juste après deux siècles de dictature reste un défi quotidien.



À PROPOS DE L'AUTEUR

Eric Lumalé a longtemps exercé la médecine, d’abord en tant que généraliste, puis auprès des personnes âgées. Depuis l’enfance, l’écriture l’accompagne comme une nécessité intime. Son premier roman, "Les aventures de Jean-René", mêle anticipation et humanisme, porteur d’un message engagé. À travers la fiction, il explore les fragilités de nos sociétés contemporaines, animé par le désir de contribuer, à sa manière, à la préservation de l’esprit démocratique.

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Seitenzahl: 272

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Eric Lumalé

Commissaire de Villette

Roman

© Lys Bleu Éditions – Eric Lumalé

ISBN : 979-10-422-8011-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À tous les amis qui ont inspiré des traits de caractère

aux héros de ce livre,

À mon épouse,

À mes enfants,

À mes petits-enfants, nés et à naître,

Qu’ils vivent en paix !

Chapitre zéro

La gestation

Parce que tout le monde n’a pas eu le bonheur de rencontrer les héros des « Aventures de Jean-René » à travers la lecture du roman éponyme.

Les coulisses, donc.

Où attendent des personnages ; des professionnels auxquels sont arrivées pas mal d’aventures.

Pour l’instant, certains tapent le carton pour tromper l’ennui, d’autres vident leurs bagages et les rangent à nouveau, et enfin, certains restent étendus au sol, les yeux perdus dans la contemplation du plafond de parpaings, duquel pend une modeste ampoule. Depuis deux ans, il en est ainsi.

Nous sommes en 2226, soit deux années après la chute de la dictature et la fin de la rédaction du livre Les aventures de Jean-René, donc deux années après le début de la transition démocratique de ce vaste espace planétaire défiguré par les guerres, sur lequel on compte encore une population humaine de 1 milliard d’individus recensés.

Les valeurs humanistes constituent le socle constitutionnel du nouvel État, succédant à la dictature.

La presse est libre à nouveau et légalement très protégée des grands et riches prédateurs qui désirent penser à la place des autres et leur imposer des récits en décalage avec les faits.

Un ministère entier est dédié à protéger les différents secteurs d’activité de la société du risque de monopole, en particulier en ce qui concerne l’édition et les médias. Mais c’est vrai aussi pour toutes les autres activités. La tâche est ardue pour juger de la taille critique des entreprises, afin qu’elles puissent prospérer sans obérer toute possibilité de développement de la concurrence.

L’objectif de cette nouvelle société est principalement de combattre l’émergence de groupes humains dominants ayant intérêt à maintenir dans l’ignorance et la précarité une majorité de la population afin de l’asservir.

Parmi les groupes les plus cyniques, certains plaident contre les accès à la contraception et à l’interruption de grossesse pour les jeunes femmes.

En effet, une jeune fille en situation de précarité sociale, enceinte puis mère, est contrainte d’abandonner ses études et ses chances d’émancipation.

C’est toute sa communauté qui se trouve fragilisée, amputée de l’épanouissement avorté de ses femmes. Autant cueillir les fleurs en boutons !

Voilà pour le contexte de fin 2224 dans lequel évoluaient nos personnages.

Depuis, plus rien.

Et revoici ces personnages, réunis dans le sous-sol de ce théâtre, et qui attendent l’inspiration de l’auteur. Tous se trouvent là : tous les personnages rencontrés dans Les aventures de Jean-René.

On se souvient de ce jeune homme, qui, comme tant d’autres de sa génération, fut élevé dans la clandestinité et acquit les valeurs humanistes.

On se souvient de son amoureuse Virginie, disons son amoureuse, car au début de leur relation, ils étaient comme deux enfants qui n’avaient pu être choyés, comme cela est nécessaire pour des petits d’homme.

On se souvient aussi de Felipe, l’enfant de Virginie né d’un viol sous sédation chimique, et de son chien Cendrillon, un petit cocker.

Et puis, il y a tous les résistants de la génération précédente, qui ont veillé sur ces enfants et ont formé leurs esprits : on pense à Michel Scaligeri, le professeur, qui, comme un père, a guidé les pas et les apprentissages de Jean-René. Et à Gabriel, brillant ingénieur, directeur général de l’enseigne de grande distribution Superdinosaure, et qui, dans l’ombre, et avec l’aide de l’ensemble de la communauté, a protégé tant bien que mal Virginie, née du clonage clandestin d’une personnalité du début du 21e siècle.

Virginie et Jean-René ont voulu et pu s’épouser à la suite du changement de régime politique.

Dans ce sous-sol, un jeune homme effectue ses exercices physiques : pompes et corde à sauter : il s’appelle Pedro de las Fuentes Secas. On lui confie des missions dangereuses dans lesquelles il excelle. Par ailleurs, il est docteur en physique nucléaire.

Il a la coquetterie d’utiliser parfois son accent d’origine espagnole, et parfois non.

Pedro est un ami cher de Jean-René.

Un peu à l’écart, un homme est assis en tailleur, plongé dans le Code pénal, dont il alterne la lecture avec celle d’un magnifique livre, recueil de peintures de nus érotiques. Il s’appelle de Villette et il est commissaire.

Et puis, assis à une table bistrot l’un en face de l’autre, semblant se satisfaire dans la contemplation du visage de l’autre, se trouve un couple d’universitaires : les docteurs Tartiflette, monsieur et madame.

Tous sont là comme les marionnettes d’un théâtre pour enfants attendant que la vie les anime à nouveau. Car, pour l’instant, ils ne sont rien.

Leur existence flotte dans une conscience nébuleuse comme lorsqu’on sort du sommeil et qu’on ne sait plus où l’on a passé la nuit.

Un bruit de pas dans un escalier fait tendre l’oreille à tous, et les sort du néant.

Tous prennent une attitude d’écoute, et se tournent vers l’origine du bruit. La lumière s’intensifie et la modeste ampoule cède la place à un lustre de cristal, le plafond devient blanc et orné de moulures, une large fenêtre encadrée d’épais rideaux de lin bleu pastel s’ouvre sur un jardin, tandis qu’un sol de marbre blanc réfléchit la lumière dans la vaste pièce.

Dans le même temps, apparaît un personnage au bas d’une volée de marches.

Il porte un masque carnavalesque de chat, dans les tons de gris foncé, et une cape de soie noire.

— Je suis l’auteur, dit le personnage. Tous restèrent silencieux.

Vous m’avez manqué, continua-t-il, fixant tour à tour chacun des personnages en souriant. Je suis heureux de vous retrouver.

Personne ne s’exprimait, mais tous les regards se portaient vers cet étrange personnage qu’ils avaient l’impression de connaître intimement et dont ils savaient que leur vie dépendait.

— Que diriez-vous de reprendre du service tous ensemble ?

Tous opinèrent du chef et manifestèrent leur enthousiasme, certains frappant dans leurs mains, d’autres esquissant des pas dansés. On entendit des onomatopées de joie intense.

L’auteur jeta sa cape par terre, puis son masque, et il apparut en tenue de tennis : short blanc, tee-shirt « crocodile » blanc, chaussettes blanches dans des tongs. Il était plutôt mince, longiligne, le cheveu ébouriffé et rouge, imberbe, les dents de travers. Il se frotta les mains et dit :

— On prend une douche, on se parfume, on s’habille, et l’on se rejoint à droite au sommet de l’escalier. Vous reconnaîtrez l’entrée de la taverne de notre ami Antoine le Corse, même si le lieu a changé pour l’occasion. Il a un sommelier incroyable ! Capable de marier vin et mets à la perfection !

C’est par les sens que viendra notre résurrection, et par le partage aussi ! dit l’auteur avec emphase, en se drapant à nouveau de sa cape qu’il avait ramassée à l’aide d’une raquette de tennis, apparue comme par magie.

— N’est-ce pas, Cendrillon ? ajouta-t-il à l’attention du cocker qui remuait la queue et tirait la langue.

Soyez habillés smart ! poursuivit l’apparition qui se prend pour l’auteur.

Le commissaire de Villette pensait que tout auteur que ce gugusse prétend être, il ne fait pas ce qu’il veut.

Il doit suivre des règles quand il écrit, et faire preuve de rigueur et de cohérence. Comment ose-t-il porter des tongs en tenue de tennis ?

Sans cohérence, ce n’est même pas la peine de sortir de cette cave. Oui, la vie des personnages de roman doit avoir un sens.

Mais aussi, où trouver le courage de refuser de vivre à nouveau ! Nous tous devons lui faire confiance. Et dire que nous n’aurons pas même un droit de regard sur ce qu’il va faire de nous.

— Quelque chose qui ne va pas, commissaire de Villette ? dit le gugusse à qui rien n’échappe.

— Non non, dit le commissaire… Enfin, si, vous avez un pitch cette fois-ci ? demanda-t-il en faisant référence aux Aventures de Jean-René.

— Pas de pitch ! Non, l’auteur n’en avait pas. Il partait au hasard, sans plan. C’est comme cela qu’il travaillait. Et petit à petit, les fils du récit devenaient interdépendants et reliaient les événements aux acteurs et à l’environnement, et dictaient des suites, logiques ou non, mais qui toutes relevaient d’une certaine cohérence. Sinon, le récit se bloque. Et c’est fini ! Ou alors, on passe dans le fantastique, mais on y est déjà dans ce chapitre zéro. Mais là encore, de la cohérence, on en trouvera. L’humain en trouve toujours ! Il ne peut pas s’en empêcher ! Il est prisonnier de la cohérence ! L’incohérence, c’est chez les autres qu’il la trouve, l’humain ! Et l’incohérence des autres, ça le renforce dans ses certitudes de cohérences !

De Villette pensa :

— Je sens qu’il déconne… et s’il commence à déconner dès maintenant, ça risque d’être chaud, l’affaire !

— Commissaire, les personnages de roman sont comme les humains. Ils ne savent jamais de quoi le moment suivant sera fait. Il y a des probabilités : par exemple, il est sûr que si vous n’allez pas à la pêche, vous ne prendrez pas de poisson !

J’ai l’impression que cette période d’inactivité vous a déprimé, commissaire.

De Villette sourit : Oui, il se sentait grognon, pensa-t-il. Il se dit aussi qu’il aurait plutôt dû faire du cinéma, car au moins, on part avec un scénario ! Et puis, avec son physique ! Alors que là, c’est n’importe quoi !

Mais tel était son destin d’être un objet de création. Il devrait sans doute s’aimer davantage.

Il se promit d’être attentif au script et de ne pas hésiter à interpeller l’auteur si celui-ci part en vrille et recommence à porter des claquettes en tenue de tennis !

La petite troupe avait trouvé des vêtements dans les vestiaires et chacun avait pu se laver, se parfumer et s’habiller. Tous se regardaient les uns les autres, s’interrogeant mutuellement sur leur apparence physique, se prodiguant des conseils et s’aidant à trouver l’image dont ils pensaient qu’elle reflétait le plus leur personnalité.

Tout ce petit monde bavardait avec entrain et se souriait, et souriait à la vie qui se répandait à nouveau, comme une onde de chaleur et de lumière, de reflets et de sons, doux comme la musique de l’eau, lorsqu’elle dévale la montagne, dans le lit de son cours, et dont les berges irrégulières abritées d’arbustes invitent le promeneur à s’asseoir sur un coussin de mousse, et à la regarder couler.

Chacun se souvenait de la taverne du Corse comme d’un lieu modeste, à flanc de montagne, surplombant la mer. L’endroit a bien changé. À croire que le comte de Monte-Cristo est passé par là.

Mais l’esprit de la Bergerie demeure : le sol, revêtu de tomettes en pierre cuite ocres, les poutres de soutènement visibles, brunes, et le plafond lambrissé, blanc, au-dessus des poutres. De magnifiques tapis faisaient écho aux tentures des portes et fenêtres. Des tableaux du Caravage ornaient les murs, et l’un d’entre eux figurant des femmes nues attira particulièrement l’attention du commissaire de Villette, et l’auteur s’en aperçut.

Deux grandes cheminées en pierre encadraient la pièce, et les flambées crépitaient. Les flammes dansaient entre et à travers les bûches, majestueuses.

Chacun prit place à table, accompagné par un serveur en livrée noir et blanc. Des chandeliers à quatre bougies éclairaient la table et les agapes commencèrent.

Pas moins de sept plats furent servis en grande pompe. Tout le monde suivit les conseils du sommelier, conseils que celui-ci réussit à individualiser par sa connaissance de chacun des convives, acquise par la lecture assidue des Aventures de Jean-René.

Ce qui fit dire par l’ensemble des convives à l’auteur :

— Ce n’est pas toi l’auteur, c’est le sommelier !

Il connaît nos goûts mieux que tu ne les décris ! Et tout le monde rit avec l’aide du foie gras poêlé au raisin, accompagné d’un vin de Monbazillac, puis du caviar accompagné d’un shot de vodka… et… hips ! …

Et les convives oubliaient à mesure le détail des plats qui leur étaient présentés, commentés, expliqués et servis. Mais le bonheur inondait les corps et les esprits. On a commencé à se prendre par la main et à poser la main sur l’épaule du voisin. Puis apparurent des musiciens jouant de la guitare, de la contrebasse, du violon et du piano, et ils interprétèrent des airs de fandango.

Le docteur Tartiflette époustoufla l’assistance par un numéro de claquettes, bientôt rejoint par son épouse qui lui donnait la réplique. Ils furent rejoints par les autres convives, et même de Villette semblait enfin contaminé par la joie et l’enthousiasme.

Les cravates se dénouèrent. Certaines ceintures de pantalons durent être un peu déboutonnées pour permettre au ventre de s’épanouir sans entrave.

Tous les convives se levèrent à leur tour et dansèrent longtemps.

On but quelques digestifs, et l’on trinqua aux nouvelles aventures à venir, et tous se tournèrent vers l’auteur, qui regarda derrière lui, cherchant celui auquel tous ces regards étaient destinés. Mais il n’y avait personne. C’était lui que tous ces personnages regardaient. Il ne comprenait pas comment des personnages que lui créait pouvaient aussi, à leur tour, le regarder, lui ! Comme lui demandant des comptes.

Ils prirent tous un dernier whisky, et l’auteur paya l’addition et commanda les taxis pour ramener chacun à bon port.

Rien n’avait changé au domicile de chacun d’entre eux depuis la fin de leurs dernières aventures. Ils s’endormirent en se réjouissant à l’idée de vivre à nouveau.

Chapitre 1

Le commissaire de Villette entre en scène

— Lucie ! Non ! Ne vous installez pas sur mes genoux ! dit le commissaire de Villette à sa stagiaire, étudiante en droit, devenue sa maîtresse le lendemain de son affectation dans son service.

— Mais qu’est-ce qui t’arrive, mon biquet, tu as la pétoche de voir ta vieille secrétaire faire irruption ?

— Eh bien, oui ! dit de Villette. Je pourrais perdre mon travail !

— Qu’est-ce que vous êtes pétochards, vous les vieux, lui dit Lucie en le regardant dans les yeux.

Tu devrais te réjouir d’avoir une stagiaire gérontophile !

— Heu… Merci, dit de Villette, mais je n’ai que 42 ans !

— Eh bien, c’est ce que je dis, reprit Lucie, deux fois mon âge ! À quel âge on est vieux pour toi ?

Lucie était assise sur les genoux du commissaire et jouait avec ses cheveux tout en parlant.

De Villette réfléchit et dit :

— Je crois que les services de gériatrie accueillent à partir de 75 ans.

— Wouah ! fit Lucie, alors là je ne suis pas sûre d’être gérontophile à ce point-là…

Non, moi j’aime bien les vieux comme toi. Ils sont délicats… et puis j’aime bien les provoquer !

— J’ai remarqué ! dit de Villette en regardant par la fenêtre.

Est-ce que le fait que je sois commissaire… ? demanda de Villette à Lucie.

— Il m’est arrivé de séduire des mecs dont je ne savais rien dans des soirées.

Je crois simplement que je suis hétérosexuelle, bourrée d’hormones et que je prends un grand plaisir à provoquer sexuellement les hommes, ce que les hommes ne peuvent plus se permettre sans risquer très gros… Alors les filles comme moi prennent le relais.

— Tu te définis comme une agresseuse sexuelle ? interrogea de Villette.

— Oui ! Et les couillons comme toi sont incapables de se plaindre, car que resterait-il de votre virilité ? Un gaillard d’un mètre quatre-vingts, commissaire de police, qui va se plaindre, et Lucie se mit à rire :

— Je t’imagine dans ton commissariat prendre un ticket, t’asseoir dans la salle d’attente et, à ton tour, te lever et aller raconter à ta ou ton subordonné que, par surprise, j’ai dégrafé ton pantalon et t’ai opéré un petit massage des testicules qui t’a fait perdre les pédales…

Alors que moi, reprit Lucie, la petite stagiaire abusée par le commissaire !

— Méfie-toi quand même de certains hommes, dit de Villette.

— Voilà que tu parles comme mon père ! dit Lucie.

— Tu vas me faire chanter ? demanda de Villette.

— Mais non, mon gros loup !

— Si tu peux éviter les noms d’animaux, s’il te plaît !

— OK, dit Lucie en sortant son chewing-gum de sa bouche et en le collant sous le bureau du commissaire.

Je vais te laisser travailler, dit Lucie, j’ai cours à la fac cet après-midi.

— Ah ! dit de Villette. Et il y a beaucoup de vieux beaux parmi les professeurs, j’imagine.

— Te voilà jaloux maintenant !

Aucun ne me plaît ! ajouta-t-elle.

C’est toi que je veux, je ne sais pas pourquoi.

Lucie se releva, embrassa de Villette tendrement et lui dit :

— À ce soir ! Mon vieux pélican !

« Où va-t-elle chercher ses métaphores animalières ? » pensa de Villette !

Et Lucie sortit et croisa dans l’escalier la secrétaire, qui soufflait en montant les marches.

Lucie la gratifia d’un sourire espiègle et l’autre pensa : « petite salope, va ! »

De Villette reprit son travail.

Il devait préparer une réunion chez le recteur de l’université, en lien avec plusieurs cas signalés de professionnels présentant des maux de tête et des hallucinations auditives. Tous les professionnels qui se sont plaints ont entendu les mêmes choses au même moment.

L’enquête des services de De Villette a permis de mettre en évidence la présence d’un véhicule maquillé en véhicule de l’université à moins de cent mètres des zones de présence des professionnels.

Ce véhicule a pu être repéré, car la marque des pneus est différente de celle qui équipe les véhicules de l’université.

L’hypothèse de De Villette consiste à penser que ce véhicule contient un appareil susceptible d’émettre des ondes courtes capables de déclencher les céphalées et de communiquer directement des messages oraux via le lobe pariétal des sujets-cibles.

Il est possible qu’il s’agisse de tests, vu l’absence d’intérêt des messages reçus, ou de la première phase d’un conditionnement, ou encore simplement d’effrayer certaines cibles.

À terme, le dispositif pourrait aussi servir à éloigner les professionnels pour laisser libre l’accès à des laboratoires dans lesquels sont réalisées des expériences top secrètes.

Madame Cunégonde, sa secrétaire, frappa à la porte.

— Entrez ! dit de Villette.

— Voici les documents des archives que vous m’avez demandé d’aller chercher.

En effet, les pneus du véhicule de l’université sont répertoriés. Ils ont longtemps équipé les véhicules des agents de sécurité du dictateur. Il s’agit de pneus pleins capables de résister à des tirs d’armes automatiques.

— Oui, dit de Villette, mais a-t-on idée des endroits de stockage et de fabrication ?

— Il y a plusieurs possibilités, dit madame Cunégonde. Mais nous pouvons éliminer les lieux trop irradiés pour permettre la poursuite de toute activité humaine. Ce qui nous laisse trois possibilités, dont l’une se situe dans le bunker sous la résidence du dictateur. Les deux autres possibilités sont éloignées de quelques centaines de kilomètres, et les caméras de surveillance auraient dû permettre de repérer le véhicule en amont de son arrivée sur le campus.

— Félicitations, madame Cunégonde ! Beau travail !

Nous allons devoir organiser une réunion de travail avec monsieur Pedro de las Fuentes Secas et madame Paquita de las Fuentes Secas, sa sœur.

Ils sont en mission. Préparez, je vous prie, leur convocation. Nous nous rencontrerons chez Antoine, à l’auberge, le soir de leur retour. Il faudrait aussi retrouver l’identité des sous-officiers responsables des entrepôts de pneus et ceux affectés à la gestion du matériel des agents de sécurité du dictateur. On compte parmi eux beaucoup de nostalgiques.

— Oui, commissaire, acquiesça madame Cunégonde.

De Villette l’observait, car il savait que l’époux décédé de madame Cunégonde faisait partie des personnels de sécurité des oligarques avant « la transition démocratique ».

La secrétaire s’aperçut du regard interrogateur un peu trop long du commissaire.

Elle le regarda à son tour et dit :

— Souvent, vous me rappelez de ne pas généraliser.

— C’est vrai, concéda de Villette.

— Eh bien, dit-elle, beaucoup de gens souffraient sous l’ancien régime, et vivre obligé de prêter allégeance en permanence à son leader ne satisfait pas tout le monde.

Ce sont aussi ces gens proches du pouvoir et privés de liberté qui se sont rebellés et ont permis la chute du pouvoir.

— Vous avez raison, madame Cunégonde.

Oubliez l’insistance et l’interrogation de mon regard. Je ne voulais pas vous offenser.

Mais vous savez comme moi qu’aucune hypothèse ne doit être écartée d’emblée dans une enquête.

— Bien sûr, commissaire.

Il y eut un temps de flottement pendant lequel les pensées de De Villette se promenaient entre Lucie, l’ancienne résidence du dictateur, et sa carrière dans l’ancien monde, dont l’évocation était douloureuse, voire honteuse parfois.

Il pensa aux drogues que l’État fournissait à la population pour conserver la paix sociale et permettre aux personnels de supporter des situations violentes, iniques.

La réalité était modifiée par les médicaments et permettait aux humains de commettre des actes inhumains.

Depuis l’avènement de la transition démocratique, toute médication est prescrite individuellement après expertise médicale. Et aucun poste à responsabilité ne peut plus être tenu par un consommateur régulier de stupéfiants de catégorie F (comme le fentanyl). Seuls sont autorisés, malgré des risques identifiés pour la santé publique, des produits alcoolisés issus de la fermentation de fruits ou de malt, dans le cadre festif, pendant les temps de repos des professionnels.

En revanche, chaque professionnel bénéficie d’une supervision psychologique trimestrielle.

— Puis-je me retirer ? demanda madame Cunégonde, qui avait l’impression que le commissaire avait oublié sa présence dans son bureau.

— Hum… oui, oui ! Bien sûr ! J’avais la tête ailleurs !

Madame Cunégonde sourit ironiquement en pensant que le commissaire avait probablement la tête entre les seins de la petite stagiaire dévergondée et sortit, et la porte claqua, un peu plus que d’habitude. La porte refermée derrière elle, madame Cunégonde soupira très fort et se remit en marche.

De son côté, de Villette réunit ses documents et son ordinateur, et se mit en route vers le centre de recherches universitaires dirigé par la docteure Tartiflette.

Chapitre 2

Tartiflette cogite avec des étudiants

Le professeur Tartiflette était arrivé tôt ce matin, au bureau. Des étudiants avaient sollicité un rendez-vous. L’idée leur était venue de travailler en prenant comme point de départ la phrase de la Bible : « Au commencement était le Verbe ».

Ils voulaient soumettre leur réflexion au professeur dans le but d’obtenir l’autorisation et les budgets de recherche sur le thème.

Ils étaient installés autour d’une table ronde. Deux jeunes femmes et un garçon constituaient leur équipe. Le professeur avait lu le projet de thèse qu’ils avaient rédigé avant de les recevoir et trouvait leur questionnement intéressant même si loin d’être abouti.

— Bonjour, les amis ! dit le professeur.

— Bonjour, professeur, répondirent les étudiants.

— Vous devez être Mario, et vous Mathilde, et enfin Élisabeth.

Les étudiants opinèrent du chef en signe d’assentiment.

— Humm, fit le professeur en s’éclaircissant la gorge. Si j’ai bien compris, vous vous demandez quels sont les liens, s’ils existent, entre la grammaire, la syntaxe d’une langue et les valeurs éthiques des peuples qui la parlent ?

— Oui, dit Élisabeth, et elle ajouta :

Nous avons trouvé beaucoup d’études concernant les mots et la sémantique, mais moins la grammaire. Il faut dire que tant de travaux ont été détruits sous l’ancien régime, et d’autres, dissimulés dans des endroits dont plus personne ne se souvient…

Nous nous demandons si, par exemple, mettre le verbe – donc l’action – à la fin d’une phrase renforce l’action ou l’énoncé du contexte ?

— Oui, dit Mario, et mettre le verbe juste après le sujet amène-t-il à considérer le contexte comme secondaire ? On connaît l’action, on connaît le sujet, a-t-on besoin de s’appesantir sur le contexte et tous ses détails ? Tous réfléchissaient, et le professeur se dit qu’il faisait un métier merveilleux : quel bonheur d’entendre ces esprits jeunes, curieux, pleins d’énergie et qui s’interrogent.

— Finalement, continua Mathilde – et le professeur apprécia que chacun eût à cœur de laisser l’autre s’exprimer –, finalement, un peuple qui s’exprime en mettant en exergue l’action dans son discours, en insistant sur le verbe et son sujet, sera-t-il plus enclin à agir de façon impulsive, sans prendre le temps de bien considérer les détails ?

Et nous, francophones, ne devrions-nous pas nous poser la question, tant nos débats se déroulent dans l’émotion ? Nos cerveaux fonctionneraient-ils différemment si nous nous astreignions à placer l’action en toute fin de phrase, à la manière des Latins et des germanophones, et si la fonction de chaque terme trouvait dans la déclinaison son exact positionnement ?

— La conjugaison aussi renferme bien des mystères, reprit Élisabeth : quand les hispanophones utilisent le subjonctif à la pelle, alors que les Anglo-Saxons l’ignorent, les francophones se situant entre les deux.

Quelles différences cela induit-il dans nos pensées et nos recherches de solutions ? Pourquoi l’anglais s’impose-t-il au travail ? Le subjonctif est-il utilisé dans le monde du travail ?

— Il faudra probablement différencier les activités de création et d’innovation des activités de fabrication standardisée, se permit de suggérer le professeur. Les étudiants échangèrent un regard de satisfaction : si leur professeur se projetait, c’était bon signe !

Beaucoup d’attention, continua-t-il, a été portée au vocabulaire et à la sémantique, mais assez peu à la grammaire… Pourtant, on trouve quelques auteurs au Moyen Âge qui s’interrogent sur le langage et la philologie, et comparent notamment Homère et Virgile en choisissant des vers de sens comparable exprimés différemment.

Entre autres, connaissez-vous le De causis linguae latinae de Jules César Scaliger ? Les étudiants firent signe que non.

— Né en 1484 en Vénétie, ce ressortissant italien, médecin, est arrivé en France faisant partie de la cour de l’évêque nommé par le pape pour exercer dans la ville d’Agen. Ce médecin s’est marié à Agen, est devenu français et a écrit de nombreux ouvrages traitant du langage et de la poétique, s’intéressant aux subtilités des langues latines et grecques, et finalement aux différences d’impact esthétique des pensées sur les cerveaux des lecteurs en fonction des choix grammaticaux. Imaginez cet homme dont les pensées devaient paraître bien saugrenues à nombre de ses congénères.

Certains durent y voir de l’érudition, dit Tartiflette en relevant la tête et portant son regard sur la copie d’un ancien atlas de la Renaissance suspendu au mur et lui faisant face.

— Pardon, je vous ai coupés dans votre présentation.

Les étudiants échangèrent un regard et Mario reprit :

— Le non-verbal dans la communication a fait l’objet de davantage d’études, notamment car il s’agit du vecteur principal de diffusion des messages économiques et politiques dans les sociétés modernes et postmodernes.

Tous ces questionnements faisaient l’objet d’une surveillance très vigilante pendant la longue période de dictature, comme toutes les recherches susceptibles de mettre en danger l’autorité du régime.

Tartiflette acquiesça.

— Nombre de chercheurs jouissent de la liberté retrouvée de laisser leurs cerveaux engendrer des interrogations à la fois nouvelles et millénaires, sans crainte de déplaire au pouvoir et de finir en barbecue version Galilée. Le désir de la connaissance n’a plus à craindre la censure.

La période s’illustre par une sorte de foisonnement d’idées et de jubilation à laisser s’exprimer les représentations mentales jusque-là refoulées.

— Oui, mais pourtant, reprit Mathilde, une partie de la population continue à s’indigner de cette liberté retrouvée, et de ces remises en question des récits simplistes de la dictature, qui, quelque part, les rassurent. Ils ont appris à vivre avec ces vérités alternatives et ne sont pas intéressés par la connaissance, qui peut déranger leurs représentations sociales, familiales, sexuelles.

Finalement, n’est-ce pas parfois plus confortable de vivre en vénérant des absurdités scientifiques ? Plutôt que d’échouer à trouver du sens à la présence de l’humain sur Terre.

— C’était la même chose au Moyen Âge, reprit Mario. Les humanistes qui dérangeaient les discours à dormir debout des ecclésiastiques étaient persécutés, accusés d’hérésie.

— Hum, dit Tartiflette. Tout est affaire de désir, et le désir de connaître coexiste avec celui de ne pas connaître. La connaissance et les vérités alternatives s’entrechoquent, se volcanisent. Les idées se battent, et les corps qui les abritent souffrent d’être contredits. Comme si des geysers de soufre déchiraient la Terre et la pensée !

Accepter de douter dans le but de rester ouverts, accessibles à ce qui se présente à l’esprit, requiert énergie et courage. Tous les êtres humains ne sont pas capables de supporter l’infinie cruauté de la condition humaine.

Votre projet est ambitieux. Vous avez encore beaucoup de travail pour vous poser des questions plus simples et préliminaires à cette question finale, qui traite de l’influence de la grammaire sur les idéologies.

N’y voyez pas de dénigrement de ma part : le sujet est passionnant, mais vous n’avez pas encore de question de recherche ni de méthode.

Les trois étudiants baissèrent la tête et se sentirent déçus. Ils s’attendaient à davantage d’enthousiasme de la part de Tartiflette.

— Hum, appliquez à votre projet les fondamentaux. Rappelez-vous Jules César Scaliger, encore lui, qui, au XVIe siècle, s’interrogeant sur le théâtre du Moyen Âge, très désordonné, conçut le triptyque : unité de lieu, de temps et d’action, dans le but de rendre le spectacle cohérent. Il parlait d’insulte à l’intelligence lorsque ces règles n’étaient pas respectées. Pensons aussi au Discours de la méthode de Descartes… Voilà l’ambition…

L’heure avançant, la concentration de Tartiflette diminuait et son esprit se mit à vagabonder et à se remémorer son agenda de la semaine.

Il regarda chacun des étudiants tour à tour et cherchait des mots d’encouragement.

Un coup d’œil sur l’écran de son ordinateur lui permit de constater que, pendant l’entretien, dix nouveaux messages aggravaient la submersion de sa boîte mail.

Il pensa à tous les messages inutiles que reçoit chaque individu et qui, souvent, compromettent des analyses approfondies… Aux interruptions de tâches.

Il regarda les trois étudiants et leur dit à nouveau que leur projet avait son soutien, mais que, pour l’instant, la question de recherche était trop vague.

— Oui, reprit Mathilde, nous en sommes conscients. Nous voulions savoir si le sujet vous intéressait avant de poursuivre.

— C’est oui, dit Tartiflette. On se revoit dans un mois ? Je vous alloue trois mois de crédits de recherche pour débuter.

— Merci, dirent-ils.

Et ils prirent congé.

Bruyamment, le ventre de Tartiflette lui rappela que l’heure tournait et que le travail du cerveau consommait beaucoup d’énergie. Un bon repas était nécessaire.

Il regarda les notes qu’il avait prises dans un cahier à l’ancienne, et se sentait insatisfait du travail de la matinée.

Cela part dans tous les sens, se dit-il, un peu comme un jeu de cartes qu’on vient de battre.

Il était partagé entre le désir de poursuivre avec une sorte d’acharnement ou de laisser tomber cette idée, qui risquait fort de ne mener à rien… Il voulait donner une chance à ces étudiants et était séduit par le sujet, mais il ne voyait pas encore comment conduire la réflexion.

Tartiflette consulta sa bague connectée. La glycémie était encore correcte.

Le téléphone sonna, et il se sentit dérangé, voire un peu irrité.

— Professeur Tartiflette ? demanda la voix au téléphone.

— Oui, dit Tartiflette.

— Ici, la conciergerie, reprit la voix.

Votre cours de cet après-midi est annulé : nous avons une panne informatique qui touche plusieurs amphithéâtres, dont le vôtre, et aucune possibilité de vous affecter une autre salle.

Nous vous informerons dès que le problème sera résolu.

— Merci, dit Tartiflette.

Et il écrivit à la suite de ses notes :

« J’ai bien envie de partir seul marcher dans la montagne. »

Puis il dessina au milieu des réflexions de la matinée notées avec un stylo à encre. Il dessina un oiseau, puis observa les lettres qui, juxtaposées, formaient des mots, puis des phrases, et il restait sans voix face aux mystères du langage et s’émerveillait et s’épouvantait à la fois, comme s’il découvrait l’écriture pour la première fois, comme ressentant une chute vertigineuse dans le monde de l’ignorance, seule certitude.

Il secoua ses épaules dans un effort de retrouver de la rationalité dans ses réflexions et son travail.