Contes et légendes de Tunisie - Boubaker Ayadi - E-Book

Contes et légendes de Tunisie E-Book

Boubaker Ayadi

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Beschreibung

Un florilège de mythes, de contes et de légendes permet de pénétrer dans l'imaginaire de Tunisie

On raconte que deux amis, rentrant chez eux le soir à la nuit tombée, aperçurent des animaux au bord d'une lagune. Le premier prétendit que c'étaient des chèvres. Le second, étonné que des chèvres pussent se trouver à cet endroit, lui affirma que c'étaient plutôt des flamants roses.
- Ce sont bien des chèvres, insista le premier.
- Des chèvres au bord d'une lagune ! Cela m'étonnerait, dit le second.
Ils s'approchèrent si près que les oiseaux, paniques, s'envolèrent.
- Tu vois ! fit ce dernier.
- Je maintiens ce que j'ai dit. Ce sont bien des chèvres.
- Mais tu vois bien qu'ils volent !
Le premier, ne voulant pas donner raison à l'autre, lui dit :
- Ce sont des chèvres, même si elles volent.


À PROPOS DE LA COLLECTION

« Aux origines du monde » (à partir de 12 ans) permet de découvrir des contes et légendes variés qui permettent de comprendre comment chaque culture explique la création du monde et les phénomènes les plus quotidiens. L’objectif de cette collection est de faire découvrir au plus grand nombre des contes traditionnels du monde entier, inédits ou peu connus en France. Et par le biais du conte, s’amuser, frissonner, s’évader… mais aussi apprendre, approcher de nouvelles cultures, s’émerveiller de la sagesse (ou de la malice !) populaire.

DANS LA MÊME COLLECTION

•  Contes et légendes de France
•  Contes et légendes de la Chine
•  Contes et légendes du Burkina-Faso
•  Contes et légendes d'Allemagne, de Suisse et d'Autriche
•  Contes et récits des Mayas

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À la mémoire de ma grand-mère Fatma

Remerciements

Nous disons notre gratitude à Galina Kabakova

et Anna Stroeva qui ont

assuré la préparation éditoriale de l’ouvrage.

Nous voulons également remercier

chaleureusement tous ceux qui nous ont

aidé à élaborer ce recueil.

Boubaker Ayadi

Avant-propos

Ce recueil est tiré d’un répertoire d’une extrême richesse de contes populaires, transmis et enrichis à travers les siècles par des conteurs ou des conteuses anonymes, véritables gardiens de la tradition orale.

On distingue trois grandes catégories pour l’ensemble de ce répertoire :

– les contes et les légendes d’origine berbère, phénicienne et romaine,

– les contes, les légendes et les gestes d’origine arabe,

– les contes proprement tunisiens.

On peut y ajouter les contes empruntés aux différentes cultures du bassin méditerranéen, qui, à l’instar des contes des deux premières catégories, se sont imprégnés des valeurs et des coutumes locales au point de se confondre avec les contes du terroir. L’ensemble reflète en effet les divers aspects de la vie collective tunisienne et témoigne de la vivacité créatrice de ce peuple, même s’il présente parfois des traits communs à l’ensemble du monde arabo-musulman.

Ces contes apparaissent comme un exemple de la richesse de l’imaginaire tunisien. Ils traduisent, dans une abondance d’intrigues, d’aventures et de quêtes, une sagesse millénaire. Car conter est divertir et enseigner en même temps ; rares sont les contes qui ne prêchent une morale, ne prônent une conduite, ou ne prodiguent un enseignement.

Depuis longtemps, en Tunisie, comme partout dans le monde arabe, le conte avait un rôle très important à tenir dans la vie quotidienne. Il se devait de traduire le poids de la religion, des croyances et des valeurs grâce à un langage simple (le parler tunisien) pouvant être compris par tous.

Selon Othman Kaâk1, hormis l’époque antéislamique où l’on a peu d’indices sur la manière dont se déroulaient les séances de contes et qui laisse supposer que cela se passait en milieu familial ou tribal restreint pendant les veillées, l’art de conter est devenu, avec l’arrivée des Arabes à la fin du VIIe siècle, une véritable institution. Les conteurs tenaient le haut du pavé, dans les enceintes des mosquées, relatant les mythes et les légendes de la péninsule arabique des temps préislamiques (l’épopée de Saïf Ibn Dhî Yazan2, les aventures de Antar Ibn Chaddâd3), les faits marquants des compagnons du Prophète, l’épopée de la conquête islamique (les conquêtes du Yémen et d’Ifriqya4), et plus tard, la geste des Béni Hilâl5. Ils ont été délogés des mosquées par les jurisconsultes le jour où ils ont repris des contes d’origine israélite, pour s’installer sous les remparts des grandes villes ou sur les places publiques.

L’art du conte connaît son essor sous les Fâtimides6 qui ont importé avec eux les contes déjà célèbres au Moyen-Orient, tels Les mille et une nuits, Kalila et Demna, les contes de Jeha ainsi que les contes des Alaouites7. Face à l’engouement de la population, les Fâtimides se servent des conteurs ainsi que du haschisch8 comme moyens de détourner les gens des affaires politiques. On assista alors à la prolifération d’officines spéciales (mikhâna) aménagées dans ce but, où les fumeurs de haschisch et les amateurs de contes s’en donnaient à cœur joie. À cette époque, les conteurs étaient rassemblés en des corps de métier et les services de ceux qui parvenaient à la notoriété étaient rémunérés et retenus à l’avance.

Lorsque Aboulhassan al-Chadli9 introduit le café en Tunisie au milieu du XIIIe siècle, le conteur devient un personnage incontournable. À cette époque, les cafetiers s’attachaient les services d’un conteur pour égayer la soirée et attirer une clientèle férue de contes. Les cafés rassemblaient chaque soir pour des veillées tardives un public adulte venu se divertir, s’instruire et rêver.

Se tenant généralement assis sur une estrade surplombant l’assistance, une canne à la main, le conteur, fdawi en parler tunisien, déclamait les contes de mémoire, épisode après épisode, et parvenait ainsi à tenir en haleine des spectateurs émerveillés. Il faisait des coupures chaque fois qu’il percevait des signes de lassitude, et entamait alors des séances de nawâdir et de m’hall châhed10. À la fin, le serveur faisait le tour parmi l’assistance, un plateau à la main, pour recueillir le prix de l’audition, sorte d’obole qui servait à payer le conteur.

Avec les places publiques où les conteurs tenaient des séances diurnes, offrant aux badauds des contes ponctués par des chants populaires ou liturgiques, le café demeura longtemps leur lieu de prédilection, même sous l’occupation française, jusqu’à l’avènement de la radio qui va les évincer définitivement. Ils ont dû alors se contenter des places publiques. Ainsi, dans le vieux Tunis, les places de Halfaouine, Hafsia et Souk-el-Âsr vont connaître leur heure de gloire. Au milieu d’une foule curieuse toujours avide de sensations, les conteurs côtoyaient des saltimbanques de tous bords : charmeurs de serpents, montreurs de singes, voyants, jongleurs, joueurs de cartes, briseurs de chaînes, vendeurs d’herbes médicinales et des sellek-el-wâhline11…

Cela dura jusqu’à l’aube de l’indépendance, où les nouvelles autorités dirigeantes, sous l’impulsion de Bourguiba12 qui voulait moderniser le pays, s’emploient à éradiquer les racines du sous-développement et sortir la nation de sa torpeur. On s’acharne alors sur les symboles de la société traditionnelle. Tout ce qui avait un trait à la tradition était voué aux gémonies : tatouage, tenue vestimentaire (voile, turban, fez stambouliote), rassemblement de quelque nature que ce soit sur la voie publique, jeûne du ramadan, même la langue classique, jugée trop pédante et trop conformiste a cédé la place, du moins en partie, au parler de tous les jours. Certains choix ont été judicieux : abolition de la polygamie, maîtrise de la démographie, émancipation de la femme, nouveau code de la famille, scolarisation des jeunes filles… D’autres ont eu un effet ravageur. Ainsi en est-il des conteurs qui, depuis la fin des années cinquante, n’ont plus droit de cité. Chassés des places publiques, remplacés dans les cafés par la radio puis par la télévision, ils se sont éteints dans l’insouciance totale.

Au début des années soixante, seul Abdelaziz El Aroui13 a été autorisé à diffuser, à travers les ondes de la Radio nationale, des contes moralisateurs inspirés de la sagesse des nations, manière de soutenir la politique d’émancipation de la population entreprise par le pouvoir. Conteur émérite, à la voix posée et agréable, il tenait en haleine, chaque dimanche, des dizaines de milliers d’auditeurs, heureux de revivre, même en l’espace d’un court moment de l’après-midi, de bons souvenirs ou de retrouver le paradis perdu de leur enfance. Ayant été moi-même un de ses auditeurs les plus fidèles, je tiens à lui rendre hommage et à saluer sa mémoire. Quelques contes figurant dans ce recueil émanent de son répertoire qui a été rassemblé et publié à titre posthume.

Un point mérite d’être noté : parallèlement à ces conteurs qui pouvaient, jusqu’à une date récente, se produire dans les espaces publics ou privés, il existe une autre catégorie, dont la contribution à la sauvegarde, la transmission et l’enrichissement du répertoire oral n’en est pas moins importante, celle des conteuses qui n’avaient dans la société traditionnelle que le cercle familial pour donner libre cours à leur don. Leur répertoire et leur public diffèrent de ceux des conteurs. Soulignant ce clivage dualiste masculin-féminin, le sociologue Abdelwahab Bouhdiba affirme qu’il y a une nette distinction à faire entre les contes d’hommes et les contes de femmes. « Les contes d’hommes virils et respectables, écrit-il, comportent toujours une morale et plutôt une bonne morale. Quant aux femmes, disons que leurs contes se moquent éperdument de la morale, du conformisme et peuvent à l’occasion être fort grivois. »14

Farfelus pour les uns, obsolètes pour les autres, ces contes de femmes, s’adressant généralement aux enfants, n’en constituent pas moins une base d’enseignement et un facteur de socialisation. Ils jouent un rôle fondamental dans la formation de la personnalité de l’enfant tunisien et l’éveil de son imagination. Par-delà leur côté divertissant, ils instaurent une certaine complicité entre la conteuse et l’enfant, et établissent, de fait, la connivence fondamentale de la mère et de son enfant. Truffés de symboles, se prêtant à des interprétations multiples, ils ont la particularité d’être authentiquement tunisiens, collés de près aux réalités de la vie quotidienne, reflétant à souhait l’imaginaire collectif.

Ces contes prodigués naguère par les grand-mères, les grand-tantes lors des soirées familiales se sont, eux aussi, estompés peu à peu, au gré des mutations de la société tunisienne. La modernité a fini par les jeter aux oubliettes, au point que certains contes font figure de survivance. Même les vieilles, vivant dans des régions retirées, sont supplantées par les feuilletons et les séries télévisées. Les antennes paraboliques dont la prolifération a atteint tout le pays ont fait le reste.

De nos jours, seuls quelques passionnés s’attellent de temps à autre, à recueillir à travers le pays, le précieux héritage des conteurs et des conteuses, dernier souffle d’une espèce en voie de disparition.

Dans ce recueil, émanant d’un choix personnel, figurent des contes d’hommes et des contes de femmes ; le but étant de refléter autant que possible la richesse de cette littérature orale tunisienne et la variété de ses composantes.

Boubaker Ayadi

Montreuil, 7 mai 2007

DIEU ET SES CRÉATURES : L’UNIVERS

1. L’eau (1)

On raconte que lorsque Dieu voulut créer l’eau, Il créa tout d’abord, à partir de la lumière, une énorme hyacinthe verte. Il la fixa du regard et elle suinta des gouttes d’eau, qui frémirent quelque temps sans prendre forme. Puis Il créa le vent et y déposa l’eau, avant de procéder à la création du trône sur lequel Il étendit son immense pouvoir.

Ensuite, Il fixa du regard l’eau, qui se mit aussitôt à bouillir. De cette eau bouillante s’éleva une écume, ainsi que de la vapeur et de la fumée. De l’écume Dieu créa la terre. Et de la fumée, Il créa le ciel.

2. L’eau (2)

On raconte que l’eau, le feu, le vent et la terre se disputèrent pour savoir qui était le meilleur élément que Dieu eût créé.

Un des anges les entendit. Il leur répondit que Dieu aurait dit que l’eau est au commencement et à la fin. Là où elle sera présente, germera la vie, et là où elle sera absente, planera la mort. De l’eau fut créé le monde, et par l’eau il périra.

3. La genèse

On raconte aussi que la première chose que Dieu a créée fut al-Qalam (la plume). Il lui dit :

– Écris.

– Qu’est-ce que j’écris ? demanda al-Qalam.

– Écris le destin.

Al-Qalam écrivit alors le destin de toutes les créatures de Dieu depuis cet instant jusqu’au Jour du Jugement.

Dieu souleva ensuite la vapeur d’eau et la décousit pour en faire les cieux.

Puis Il créa al-Noun15, modela la terre et la déposa sur son dos. Ce dernier trembla et fit chanceler la terre. Alors Dieu y planta les monts pour maintenir son équilibre.

4. Le jour et la nuit (1)

On rapporte que les premières choses abstraites que Dieu a créées sont la lumière et l’obscurité.

Lorsque Dieu eut créé le ciel et la terre, celle-ci était vacante, plongée dans l’obscurité.

Dieu dit à la lumière : « Soit ! » et la lumière fut.

La voyant rayonner sur la terre, Dieu la trouva belle et la nomma « jour », et nomma l’obscurité « nuit ».

5. Le jour et la nuit (2)

Dieu créa un voile d’obscurité au Machreq (Levant) et le déposa sur la septième mer.

Lorsque le jour décline, un ange se saisit de ce voile et commence à accueillir le crépuscule, en laissant l’obscurité filer peu à peu entre ses doigts, jusqu’au coucher du soleil, avant de la répandre entièrement. Puis il étale ses ailes jusqu’à ce qu’elles atteignent les extrémités de la terre et du ciel, et il mène l’obscurité en psalmodiant des louanges jusqu’à ce qu’il parvienne au Maghreb (Ouest).

Arrivé à cet endroit, l’aube aura apparu à l’Est, l’ange replie alors ses ailes et retire toute l’obscurité, en la pliant comme on plie un voile, avant de la déposer sur la septième mer du côté du Maghreb.

De là, il relâche petit à petit l’obscurité lorsque le soir approche.

Et ainsi de suite jusqu’à la fin des temps.

6. Le soleil et la lune

On raconte que Dieu créa deux astres à partir de la lumière de son trône. Puis, voyant qu’ils brillaient de mille feux, Il ordonna à l’ange Jibrîl d’atténuer la lumière du premier astre, qui était trois fois plus grand mais plus éloigné de la Terre que le deuxième. L’ange passa son aile sur la face de l’astre qui perdit de son éclat. Ce fut la lune.

Le deuxième garda son éclat et ce fut le soleil, pour lequel Dieu créa une grande roue, contenant trois cent soixante anses. Il les confia à autant d’anges qu’Il chargea de tenir chacun une anse et de tourner la roue du Machreq jusqu’au Maghreb, traversant une mer suspendue à trois lieues du ciel, sans laquelle le soleil brûlera la terre. Quant à la lune, elle fascinera les êtres humains au point de les détourner de Dieu.

7. Les étapes de la création de l’univers

On raconte que le jour où le Prophète Mohammad fut interrogé sur la chronologie de la création des cieux et de la terre, il répondit :

– Dieu créa la terre dimanche et lundi. Mardi, Il créa les montagnes. Mercredi, Il créa l’eau et les arbres. Jeudi, Il créa le ciel. Vendredi, Il créa les étoiles, la lune, le soleil et les anges. Et comme il restait encore trois heures, Il créa pendant la première heure la destinée des hommes : qui vit et qui meurt. Pendant la deuxième, Il jeta l’adversité sur tout ce qui sera utile aux êtres humains. Pendant la troisième, Il créa Adam, l’installa au paradis, ordonna au diable de se prosterner devant lui, puis le chassa, avant de siéger sur le trône. »

Une autre version attribue au Prophète de l’islam cette réponse :

– Samedi, Dieu créa la terre. Dimanche, Il y planta les montagnes. Lundi, Il créa les arbres. Mardi, Il créa l’adversité. Mercredi, Il créa la lumière. Jeudi, Il créa les animaux, puis Il créa Adam vendredi après-midi.

8. Le mont Qâf (1)

Lorsque Dieu eut créé la terre, elle s’écria :

– Mon Dieu ! Tu vas m’envoyer les fils d’Adam qui commettront les péchés sur mon sol et jetteront les infamies sur moi.

Elle s’ébranla et commença à vaciller sur les eaux des mers. Dieu décida alors de la maintenir par le mont Qâf16, un mont imposant créé à partir d’une énorme et resplendissante émeraude.

9. Le mont Qâf (2)

On raconte qu’un jour, Dhoul Qarnayn17 s’arrêta au pied du mont Qâf, qui se dressait au milieu de petites montagnes.

– Qui es-tu ? demanda-il.

– Je suis le mont Qâf.

– Quelles sont ces petites montagnes qui t’entourent ?

– Ce sont mes racines. Lorsque Dieu veut provoquer un tremblement de terre, Il me l’ordonne. Il suffit alors que je remue une de mes racines pour secouer l’endroit qui lui est attaché.

– Ô Qâf ! dit Dhoul Qarnayn. Raconte-moi ce que tu sais à propos de la grandeur de Dieu.

– Sache que derrière moi, il y a un territoire immense plein de montagnes de neige dont le parcours nécessite cinq cents ans de marche. Derrière ces montagnes, se trouvent des montagnes de froid et de glace. Sans elles, le monde aurait brûlé de la chaleur torride que dégage l’enfer.

10. Le mont de Sarandîb

On raconte que lorsque Adam eut quitté le paradis, il descendit sur le mont de Sarandîb où la trace de ses pieds est toujours gravée sur la roche, lavée chaque soir par une pluie abondante. Ce mont, visible à des dizaines de lieues, se trouve sur une île au milieu de la mer de l’Inde18. Au-dessus de ses cimes, des éclairs fréquents zèbrent le ciel sans qu’il y ait de nuages.

On raconte qu’Adam ne resta pas longtemps sur cette île. Il partit à la recherche de Hawa, sa femme, et la rejoignit à La Mecque, où il construisit la Kaâba et y déposa la Pierre noire.

Lorsqu’il eut terminé son édifice, l’ange Jibrîl le mena au mont Arafat et lui montra les rites que les pèlerins musulmans accomplissent de nos jours. Puis il le ramena à La Mecque où ils firent le tour ensemble selon le même rituel pendant une semaine.

On raconte qu’Adam revint sur ses pas jusqu’au mont Sarandîb où il mourut.

11. L’éclipse

Depuis la nuit des temps, le nord-ouest du pays était connu pour ses vastes plaines où les champs de blé et d’orge s’étendaient à perte de vue. Le sol était fertile, mais les gens de la région savaient à quel point ils étaient dépendants du ciel, où la pluie donnait vie à leurs semences et le soleil se chargeait d’en mûrir les épis. Deux éléments vitaux pour une bonne récolte, que les gens, au fil du temps, se mirent à adorer.

Puis, peu à peu, ils penchèrent vers la pluie et négligèrent le soleil. Ils avaient pris pour habitude d’implorer le ciel lorsque la pluie tardait à tomber, ou se faisait rare. En revanche, ils ne montraient aucun signe de satisfaction lorsque le soleil les illuminait, comme si c’était une simple formalité.

Le soleil se fâcha.

Et un jour, il refusa de poindre. Il s’éclipsa et resta à l’ombre d’un énorme voile noir qui empêchait sa lumière d’éclairer le monde.

Restés dans le noir, les gens avaient du mal à effectuer leurs tâches quotidiennes ou même à trouver leur chemin. Et bientôt un vent de panique s’empara d’eux, lorsqu’ils constatèrent que l’éclipse perdurait. Comment accomplir leur devoir religieux, travailler leurs terres, enterrer leurs morts alors qu’ils ne distinguaient plus le jour de la nuit ?

Ils se mirent à invoquer Dieu, à promettre des dons, à regretter leur indifférence à l’égard du soleil. Rien n’y fit. Ce dernier persistait dans son refus. Puis, las d’errer dans l’obscurité, ils se mirent à crier leur désespoir, à taper fort sur tout ce qui pouvait donner une résonance, créant ainsi un bruit assourdissant qui se propagea aux alentours et s’éleva au ciel.

Sentant qu’il les avait assez châtiés, le soleil finit par retirer le voile et sa lumière réapparut.

Depuis, les gens ont appris à lui témoigner leur reconnaissance, et chaque fois qu’il s’éclipse suite à un égarement, ils se précipitent vers les tambours, les mortiers et même les ustensiles de cuisine, tapant et criant fort pour l’en dissuader.

12. Les étoiles filantes

Aux temps anciens, les hommes avaient honte de leurs propres filles. Certains même les enterraient vivantes dès leur naissance. Celles qui survivaient menaient une vie de réclusion, de privation et d’abstinence. Tout se faisait au gré de l’humeur des pères ; même le mariage se faisait par la contrainte.

Lasses de subir ces humiliations, quelques jeunes filles décidèrent de défier l’ordre établi. Chaque soir, elles quittaient discrètement les maisons de leurs parents et se rassemblaient au bord d’une rivière, pour conjurer leur mauvais sort. Là, elles firent la connaissance d’un groupe de jeunes gens, et chacune se retrouva éprise d’un jeune soupirant. Les rencontres nocturnes se succédèrent à l’abri des regards, jusqu’au jour où leur secret fut dévoilé.

Le châtiment se voulut exemplaire. Les jeunes filles furent enterrées vives, et leurs âmes se transformèrent en étoiles. Quant aux jeunes gens, ils furent bannis jusqu’à la fin de leurs jours. Lorsque quelqu’un mourait, son âme aussi prenait la forme d’une étoile.

On raconte que les étoiles filantes qui fendent le ciel, sont ces jeunes filles qui rejoignent leurs amoureux.

13. L’origine de Vénus

Lorsque les anges constatèrent que les fils d’Adam avaient souillé la terre par leurs péchés, même après l’avènement de prophètes porteurs de message divin, pour les remettre sur le droit chemin, ils demandèrent à Dieu pourquoi Il ne les éliminerait pas pour éradiquer le mal. Il leur répondit :

– Si j’insufflais la tentation et le désir dans vos cœurs, vous feriez de même, une fois sur terre.

Après concertation, ils conclurent qu’ils étaient assez pieux pour ne pas se laisser corrompre. Dieu leur enjoignit de choisir deux anges parmi eux pour tenter l’expérience. Ils élurent Hârout (Horot) et Mârout (Morot) qui descendirent aussitôt sur terre.

Bientôt, ils firent la connaissance d’une jeune femme persane. Fascinés par sa beauté, ils lui firent des avances qu’elle repoussa au début, puis, face à leur insistance, elle leur fit comprendre qu’elle ne céderait que lorsqu’ils lui auraient communiquée la parole qui lui permettrait l’ascension au ciel. Et dans un moment de faiblesse et d’insouciance, ils commirent l’impardonnable et lui enseignèrent la fameuse parole. Elle s’éleva au ciel, mais Dieu la transforma en astre. Ce fut Vénus.

Une fois informés, les autres anges rendirent grâce à Dieu et implorèrent son pardon. Quant à Hârout et Mârout, Dieu leur laissa le choix entre la pénitence du ciel ou celle de la terre. Ils choisirent la dernière.

14. La Pierre noire

On raconte que la Pierre noire était un ange que Dieu chargea de suivre Adam pour le tenir à l’écart de l’arbre défendu. Cet ange suivait Adam partout où il allait, et chaque fois qu’il s’approchait du fameux arbre, il l’en dissuadait en lui rappelant le serment fait à Dieu.

Un jour, l’ange se trouva éloigné d’Adam. Le diable en profita pour s’approcher de ce dernier et le corrompre. Ce jour-là, Adam commit le péché et mangea le fruit défendu. Dieu transforma immédiatement l’ange en pierre, pour avoir failli à sa mission.

On dit qu’Adam amena cette pierre avec lui le jour où il descendit sur terre. On dit aussi qu’elle était aussi blanche que l’argent en ce temps-là, mais les péchés des pèlerins qui se relayèrent pour la toucher à travers les siècles finirent par la souiller et la rendre noire.

15. L’origine de l’éclair et du tonnerre

On raconte que lorsque Dieu décide d’envoyer la pluie irriguer un territoire, Il lui suffit de jeter un regard vers le ciel, juste au-dessus du territoire désigné. son regard est tellement foudroyant que le ciel se déchire par des éclairs, puis s’ébranle, dans un grondement terrible qui est le tonnerre, avant que la pluie se déverse sur le sol.

D’ailleurs Sayyidna Moussa (notre saint vénéré Moïse) en fit l’expérience le jour où, s’adressant à Dieu, il Lui dit :

– « Mon Dieu ! Montre-toi à moi pour que je Te voie. »19

Dieu lui répondit : « Regarde bien ce mont. Je vais le fixer du regard. S’il tient en place, alors tu pourras Me voir. » Et à peine l’a-t-Il regardé qu’il s’écroula pulvérisé. Aussitôt Sayyidna Moussa s’effondra et perdit connaissance.

LES ANGES, LES HOMMES ET LE DIABLE

16. Comment Dieu créa Adam

Lorsque Dieu décida de créer Bouna (Notre Père) Adam, il fit savoir à la terre qu’Il allait créer, à partir de son sol, une créature dont certains de ses descendants lui obéiront et iront au paradis, et d’autres lui désobéiront et iront en enfer.

Il lui envoya Jibrîl pour chercher une poignée de son sol. Elle le renvoya en disant :

– Dieu m’en garde si je consens à céder une partie de moi-même, qui sera un jour destinée à l’enfer.

Voyant Jibrîl rentrer bredouille, Dieu envoya Mikhaïl qui essuya à son tour le même refus.

Dieu dépêcha alors l’ange de la mort. La terre le repoussa également.

– C’est Dieu qui me l’ordonne, rétorqua l’ange de la mort, et je ne puis en aucun cas lui désobéir.

Aussitôt, il ramassa une poignée des quatre coins de la terre, une poignée de toutes les couleurs provenant de son écorce, de ses marécages, de ses plaines, de sa boue et de sa glaise. Puis il remonta et s’en fut la remettre à Dieu qui lui ordonna de la pétrir pour en faire une motte d’argile.

L’ange de la mort s’exécuta. Se servant d’eau amère, d’eau douce et d’eau salée, il la pétrit jusqu’à ce qu’elle fût devenue une motte d’argile. Dieu la laissa ainsi pendant quarante ans jusqu’à l’assèchement total, puis en fit un corps qu’Il disposa à la porte du paradis, sur le chemin emprunté par les anges, pendant quarante ans.

Lorsqu’Il décida de lui insuffler la vie, Dieu ordonna à l’âme d’entrer par la bouche d’Adam.

– C’est un accès trop profond et trop obscur, dit l’âme.

Il lui réitéra l’ordre trois fois de suite et reçut la même réticence.

– Que ton entrée et ta sortie se fassent par la contrainte, ordonna Dieu. Ainsi soit-il.

L’âme se conforma à l’ordre divin et pénétra par la bouche d’Adam. Elle se propagea dans son cerveau et y resta environ deux cents ans, avant de descendre vers ses yeux. Cela lui éviterait de se montrer hautain et présomptueux, le jour où Dieu le comblerait de ses bienfaits. Puis elle descendit vers ses narines, et il éternua. Elle glissa alors sur sa langue et aussitôt Dieu lui apprit à dire :

– Louange à Dieu, le Seigneur de tout l’univers !

Ce furent les premiers mots prononcés par Adam. Dieu lui répondit :

– Ton Dieu t’accorde sa miséricorde !

Ensuite, l’âme descendit le long du corps d’Adam et de ses membres. Il voulut se redresser, mais se sentit incapable. L’âme s’introduisit dans son ventre et, aussitôt, il eut envie de manger. Puis elle se répandit dans tout son corps, et Adam devint homme tout en chair, en os, en veines et en nerfs. Une fois debout, Dieu le couvrit d’ongles, et lorsque, plus tard, il commit le péché, cet habit sera remplacé par l’épiderme. Seuls ses doigts garderont des bouts d’ongles. Cela lui rappellera son état premier.

17. Comment Dieu créa Hawa

On raconte que lorsque Dieu voulut créer Ommnâ Hawa (Notre Mère Ève), Il voila les yeux d’Adam d’un léger sommeil et retira de son flanc gauche une côte, puis referma la plaie de chair. De cette côte, Il créa Ommnâ Hawa.

Lorsque Adam se réveilla, il découvrit à ses côtés cette nouvelle créature. Il s’écria alors :

– C’est ma chair, mon sang et ma femme.

Il l’épousa et elle lui tint compagnie pour le meilleur et le pire.

On prête au Prophète Mohammad un jugement sévère à l’égard des femmes, selon lequel il aurait dit que « la femme est créée d’une côte tordue, si jamais tu la redresses, tu risques de la casser, et si tu la laisses telle quelle, tu profiteras de ses douceurs, en dépit de son caractère torve. »

18. La jalousie du diable

Lorsque Dieu eut créé Bouna Adam, Il lui apprit les noms de toutes les choses. Puis Il les présenta aux anges et leur demanda de les nommer. Aucun parmi eux ne sut répondre aux questions. Tous s’excusèrent en disant :

– Nous ne savons que ce que Tu nous as appris.

Dieu fit venir Adam et demanda aux anges de lui poser les mêmes questions. Ceux-ci assistèrent à une scène fascinante. Adam avait réponse à tout.

Dieu leur enjoignit de se prosterner devant Adam. Tous obéirent, sauf le diable, qui refusa ouvertement de se prosterner devant la nouvelle créature de Dieu.