Crime en Ré - Didier Jung - E-Book

Crime en Ré E-Book

Didier Jung

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Beschreibung

Le cadavre d’un mystérieux individu est retrouvé tôt le matin par son secrétaire, sur la plage du Grouin, à Loix-en-Ré, à proximité du vieux fort où les deux hommes demeurent depuis un an.
Qui est ce singulier personnage vivant en ermite, qu’aucun habitant du village n’a jamais vu ? C’est à l’adjudant-chef de gendarmerie Chamaillard, assisté de son adjointe Jeanne Demange, de la capitaine Sophie Marsaud et d’un policier parisien séjournant sur l’île, de résoudre le mystère. L’exploration du passé de la victime leur permettra d’identifier plusieurs suspects, parmi lesquels le secrétaire, une prostituée, un ancien détenu et un mystérieux homme à vélo. Il leur restera à découvrir celui qui parmi eux avait des raisons suffisantes pour abattre froidement cet homme d’une balle dans la tête. Les investigations s’avèrent difficiles, mais l’équipe d’enquêteurs rétais a déjà fait ses preuves.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1946 à Paris, Didier Jung, après avoir obtenu le diplôme de l’Institut d’Études Politiques de Paris, débute sa carrière professionnelle en 1970 à la Société Nationale de !’Électricité et du Gaz à Alger. Deux ans plus tard, il entre chez EDF: il fera toute sa carrière au siège de l’entreprise, dans des fonctions très diverses, particulièrement dans le domaine international. Depuis sa retraite en 2006, il partage son temps entre la région parisienne et l’île de Ré. De 2006 à 2013, il a présidé une entreprise adap­tée de Nanterre, chargée de réinsérer des malades psy­chiques dans le monde du travail. Il en est aujourd’hui le secrétaire. Il vit à Rueil-Malmasion (95).

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Didier JUNG

CRIME EN RÉ

DU MÊME AUTEUR

Le Généalogiste, Aléas, 2002.

Le Minaret, Le Manuscrit, 2003.

Impasse de l’Ormeau, Le Croît Vif, 2009.

Pique-nique à Trousse-Chemise, Le Croît Vif, 2010.

Sables…, Le Croît Vif, 2011.

Au-delà du pont, Le Croît Vif, 2012.

Élisée Reclus, Pardès, 2013.

Les Anarchistes de l’île de Ré, Reclus, Barbotin, Perrier et Cie, Le Croît Vif / Éditions Libertaires, 2013 (Prix du Salon du livre de l’île de Ré 2013).

William Bouguereau, le peintre roi de la Belle Époque, Le Croît Vif, 2014.

Le Chant des Baleines, Éditions Territoires Témoins, 2015.

Les Cognacq-Jaÿ, Samaritaine et philanthropie, Le Croît Vif, 2015.

Disparu, Éditions Territoires Témoins, 2016.

Philippe Besson in Écrire en Charentes* (ouvrage collectif), Éditions Douin, 2016.

Émile Arthur Thouar, de l’île de Ré à la jungle bolivienne, Le Croît Vif, 2017.

Eugène Fromentin et l’île de Ré in Écrire en Charentes ** (ouvrage collectif), Éditions Douin, 2017.

Jean-Daniel Coudein, commandant du radeau de la Méduse, Le Croît Vif/Les Indes savantes, 2018.

Les Voyages d’Eugène Fromentin en Algérie in Écrire en Charentes *** (ouvrage collectif), Éditions La Lettre active, 2018.

Le Noyé de Trousse-Chemise, La Geste, 2019.

Léonce Vieljeux, La Geste, 2019.

Les Confidences du clocher in Écrire en Charentes**** (ouvrage collectif), Éditions Douin, 2019.

Le Centenaire de Saint-Clément-des-Baleines, La Geste, 2020.

20 octobre 1944, l’accord Meyer-Schirlitz sauve La Rochelle in Écrire en Charentes***** (ouvrage collectif), Éditions Douin, 2020.

Dictionnaire des personnalités de l’île de Ré, La Geste, 2021.

Meurtres à Ré, La Geste, 2021.

Napoléon, un autre destin in Écrire en Charentes ******(ouvrage collectif), Éditions Douin, 2021.

William Barbotin, un peintre rétais hors du commun, Éditions Douin, 2021.

Sophie et Jean-Pierre Blanchard, aéronautes professionnels, Les Indes Savantes, 2022.

Prix du Salon du livre de l’île de Ré 2013 pour Les Anarchistes de l’île de Ré.

Prix de l’Académie de Saintonge 2020 pour l’ensemble de ses biographies.

1 Jeudi 17 mai 10 h, mairie de Loix-en-Ré

Un homme de taille moyenne, très brun, au teint cuivré, faisait depuis un bon quart d’heure les cent pas devant la mairie de Loix-en-Ré, attendant avec une impatience non feinte, l’ouverture des bureaux.

Rien ne distinguait la maison commune des constructions voisines, si ce n’était l’inscription sur la façade et la hampe destinée à recevoir l’emblème national. Il était difficile d’imaginer bâtiment plus modeste que cette maison de pêcheur avec sa porte sans fioritures, flanquée de deux petites fenêtres aux volets vert pâle.

À dix heures précises, un employé se présenta, déverrouilla la porte et fit entrer le visiteur.

— Que puis-je faire pour vous, Monsieur ?

Nerveux, l’homme semblait avoir des difficultés à trouver ses mots. Il maîtrisait mal le français.

— Très grave, patron à moi, mort !

— Mais qui est votre patron ? Comment est-il mort ?

— Lui habiter avec moi le fort du Grouin. Noyé ce matin sur la plage.

— Quel est le nom de ce monsieur ?

— Monsieur Lucien.

— Je voulais dire, son nom propre.

— Pas savoir !

— Attendez, je ne comprends pas, vous ignorez le nom de la personne pour laquelle vous travaillez ?

— Oui. Mais lui mort sur la plage !

— Pourquoi n’avez-vous pas prévenu les gendarmes ?

— Gendarmes à Loix ?

— Non pas à Loix, la gendarmerie est à Saint-Martin.

Constatant que ce dialogue ne mènerait à rien, l’employé y mit vite un terme.

— C’est grave ce que vous me dites mais cela n’est pas de mon ressort. Je préviens les gendarmes. Rentrez chez vous et attendez-les, ils ne vont pas tarder.

— Bien, Monsieur.

Le secrétaire de mairie était pour le moins troublé par cette intrusion matinale. Il connaissait son interlocuteur de vue, pour l’avoir croisé dans les rues du village. Il faisait chaque jour ses courses à la supérette, empilant ses provisions dans deux cageots fixés à l’avant et à l’arrière de son vélo.

Cela faisait environ un an que celui qu’il désignait comme son patron, habitait le fort du Grouin, mais personne ne l’avait jamais rencontré, ni même aperçu. Il vivait en ermite, cloîtré dans cette bâtisse apparemment sans confort.

Les rumeurs les plus folles couraient dans le village. Pour certains, ce mystérieux individu était un émir arabe qui aurait fomenté un coup d’État raté dans son pays. Il serait parvenu à s’enfuir et se cacherait dans ce bout du monde pour échapper à la vengeance du pouvoir en place dans son pays d’origine. D’aucuns prétendaient que l’occupant du fort était un enfant appartenant à une famille royale, issu d’une union adultérine, une espèce de masque de fer contemporain. D’autres hypothèses, toutes aussi farfelues, étaient avancées. L’imagination des Loidais n’avait aucune limite !

Le maire avait bien tenté de se renseigner sur l’identité de cet homme auprès du notaire qui lui avait vendu le fort, sans succès, car le bien avait été acquis via une société écran basée au Liechtenstein. Le nom du véritable propriétaire n’apparaissait pas dans l’acte de vente.

La commune n’avait rien à reprocher à ce citoyen peu ordinaire. Les impôts locaux étaient acquittés régulièrement, le terrain était parfaitement entretenu et aucun incident n’avait jamais été signalé dans le secteur.

Il n’empêche que personne ne comprenait que l’on puisse habiter ce sinistre bâtiment, situé à l’extrémité de la pointe de Loix, battu par les vents, loin du village et à deux kilomètres de la plus proche habitation. La mer, les oiseaux et le bruit des vagues, c’était bien beau, mais cela ne suffisait pas à remplir une vie, disait-on.

Improprement appelé fort, ce bâtiment était en réalité une batterie, construite sous Napoléon III sur de vieux plans de Vauban, afin de surveiller les mouvements des navires circulant dans le Pertuis breton. N’ayant jamais servi à l’usage pour lequel il avait été conçu, il avait été déclassé deux décennies après sa construction.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’administration des domaines l’avait vendu à un particulier qui en avait fait sa résidence de vacances, après y avoir effectué d’importants travaux. L’an passé, il avait été revendu pour une coquette somme, à cette société immobilière liechtensteinienne.

Le bâtiment comprenait un sous-sol et un rez-de-chaussée d’une superficie de cent mètres carrés, composé d’une entrée ouvrant sur une petite pièce, d’un séjour, de trois chambres, d’une cuisine, de deux salles de bains et d’une buanderie. La partie la plus agréable du fort était sans conteste son toit, une terrasse à créneaux de cent cinquante mètres carrés avec vue sur l’océan. Le tout était implanté sur un grand terrain de cinq mille mètres carrés.

Pour préserver son anonymat, le nouvel occupant avait fait construire autour du fort, une clôture de deux mètres cinquante de hauteur. Deux bergers allemands en liberté, à l’allure peu avenante, dissuadaient tout intrus de pénétrer dans l’enclos.

2 Jeudi 17 mai 10 h 30, fort du Grouin

La fourgonnette des gendarmes arriva sur les lieux à dix heures trente. La plage située à deux cent cinquante mètres du fort, était déserte. Le cadavre d’un homme d’une cinquantaine d’années, en maillot de bain, gisait sur le sable.

L’adjudant-chef Chamaillard était accompagné de son adjointe la maréchale des logis-chef Jeanne Demange. Avant même d’examiner le corps, il conclut à une noyade accidentelle, une solution qui l’arrangeait. L’affaire des gardiens de prison1 lui avait laissé un si mauvais souvenir qu’à quelques mois de la retraite, il n’avait aucune envie d’avoir un nouveau crime sur les bras.

— Ce n’est pas le premier qui se noie à cet endroit. Les courants ont vite fait de vous emporter vers le large. En plus, dans une eau à quatorze degrés, tous les ingrédients étaient réunis !

— Méfiez-vous de vos premières impressions, adjudant-chef. Rappelez-vous Palazzi2, vous étiez convaincu qu’il s’était suicidé !

— Aucun rapport ! Au fait, vous avez prévenu le légiste ?

— Ai-je l’habitude de ne pas obéir à vos ordres ?

— Je voulais seulement m’en assurer !

Un examen rapide du corps suffit à discréditer l’hypothèse émise par Chamaillard. L’individu avait une plaie parfaitement circulaire et nette à la tempe droite. Il ne s’agissait pas d’une mort accidentelle, ni d’un suicide, car il n’y avait pas d’arme entre les mains de la victime. La balle, tirée à bout portant l’avait tué sur le coup, sans doute au moment où il sortait de l’eau. À l’heure à laquelle il s’était baigné, il y avait peu de chances de trouver des témoins.

— Ce ne sera pas nécessaire d’attendre les résultats de l’autopsie pour connaître les causes de la mort. C’est du temps de gagné ! Il reste à identifier le cadavre, ce qui ne s’avère pas le plus facile, sauf si l’on trouve des papiers d’identité dans son antre. D’après l’employé de la mairie, personne n’a jamais vu ce monsieur. Reclus dans le fort, il n’en sortait jamais. Il faut croire que ce matin, il a fait une exception.

Physiquement, la victime n’avait rien d’un prince arabe et encore moins d’un enfant issu d’une famille royale ! Petit, poilu, grassouillet, le teint pâle et le cheveu rare, son physique était des plus communs.

— Je vais interroger son homme à tout faire. Jeanne, vous restez là. La substitute ne devrait pas tarder. Vous la ferez patienter. Comment s’appelle-t-elle ? J’ai oublié son nom.

— Karine Belfond. Vous l’avez déjà rencontrée ?

— Non, elle a été nommée il y a peu de temps. Son prédécesseur était plutôt cool, mais son passage à La Rochelle a été ultra rapide. J’ignore ce qu’il est devenu. Quant à cette Karine, on dit que c’est une jolie fille. Je n’en sais pas plus.

— Ne vous laissez pas séduire, adjudant-chef !

— Vous non plus, Jeanne !

Depuis que Jeanne Demange avait épousé Séverine Charron, qu’elle avait rencontrée lors de l’enquête sur l’assassinat des gardiens de prison3, Chamaillard s’interdisait toute allusion, mais parfois cela lui échappait…

Lorsque Jeanne avait débarqué sur l’île de Ré, elle était restée très discrète sur son passé. Elle avait élevé plus qu’une barrière autour de sa vie intime, des fortifications ! Chamaillard avait bien tenté de briser le mur du silence, mais en vain. Si un gendarme de Lagord qui l’avait connue à la brigade de Dombasle en Lorraine ne lui avait pas fait de confidences, l’adjudant-chef serait toujours aussi ignorant.

Elle avait provoqué un drame familial en tombant amoureuse de la fiancée de son frère. Celui-ci avait rompu avec sa belle et les parents avaient carrément coupé les ponts avec leur fille. Elle n’avait eu d’autre issue que de quitter la région.

Chamaillard lui avait pardonné la grave entorse à la déontologie qu’elle avait commise en entretenant une relation intime avec un témoin important de l’affaire sur laquelle elle enquêtait. C’était elle, en effet, qui était parvenue à faire avouer l’assassin des trois matons de la prison de Saint-Martin4.

Depuis ce jour, ses relations avec Chamaillard, un peu tendues au début de leur collaboration, étaient au beau fixe. Il avait appris à apprécier cette femme grande, mince, aux cheveux coupés court et au visage plutôt agréable, bien qu’il fût totalement insensible à son charme. Les années passant, elle s’était ouverte aux autres, n’hésitait plus à exprimer un avis et donnait chaque jour des preuves de son efficacité.

1 Voir Meurtres à Ré

2 Voir Meurtres à Ré

3 Voir Meurtres à Ré

4 Voir Meurtres à Ré

3 Jeudi 17 mai 11 h, fort du Grouin

Ce qui frappa Chamaillard lorsqu’il pénétra dans le fort, ce fut le luxe qui y régnait. Jamais il n’aurait imaginé y trouver une aussi belle collection de meubles anciens, garnissant des pièces fraîchement repeintes et aménagées avec goût. Un décorateur était vraisemblablement passé par là.

La lumière qui inondait la plupart des pièces fut pour le gendarme un autre objet d’étonnement. Les ouvertures d’origine avaient été considérablement agrandies. Le fort n’étant pas classé, on avait pu y apporter librement d’importantes modifications.

L’homme qui l’accueillit se présenta comme le secrétaire de la victime.

— C’est vous qui avez découvert le corps de votre patron ?

— Oui, Monsieur Lucien se baigner tous les matins à six heures trente. D’habitude, revient une demi-heure plus tard à la maison. Aujourd’hui personne ! Moi aller sur la plage et le retrouver noyé. Très triste.

— Quel est votre nom, Monsieur ?

— Gopaul, Kersley Gopaul.

— Vous n’êtes pas français, quelle est votre nationalité ?

— Île Maurice. Je suis mauricien.

— Je croyais que tous les Mauriciens parlaient le français.

— Je parle l’hindi, le créole, mais mal le français. Mes parents très pauvres et moi pas aller à l’école. Travailler très jeune dans les champs de canne à sucre.

— Quel est le nom de famille de votre patron ?

En guise de réponse, Gopaul afficha une moue interrogative.

— Vous ignorez son nom ? Comment est-ce possible ? Vous n’avez pas signé de contrat de travail avec lui ? Il ne vous déclare pas à la Sécurité Sociale ?

— Je sais pas.

— Savez-vous où il rangeait ses papiers ?

— Non.

— Eh bien, on va chercher.

Chamaillard fit le tour du fort, fouilla les meubles et les tiroirs sans trouver ni papiers, ni téléphone portable, ni correspondance d’aucune sorte. Apparemment, ce monsieur s’était donné beaucoup de mal pour dissimuler son identité. L’enquête débutait mal.

— Comment expliquez-vous cela, Monsieur Gopaul ? Tout le monde a des papiers. J’ai une carte d’identité, vous avez un passeport, je suppose. On n’a jamais vu ça, sauf chez les immigrés clandestins, ce qui n’était pas le cas de la victime.

— Sais pas.

— Mais vous l’avez bien rencontré quelque part, votre patron ? Dans quelles circonstances ?

— Petite annonce, avec juste numéro de téléphone.

Ou bien ce type était complètement idiot, ou bien il se payait la tête du gendarme, lequel avait tendance à pencher pour la seconde hypothèse.

— J’ai une mauvaise nouvelle pour vous, M. Gopaul. Votre patron ne s’est pas noyé, il a été assassiné. Quelqu’un lui a tiré une balle dans la tête et pour l’instant, je ne vois qu’un suspect possible, vous. Dans ces conditions, je vous demande de ne pas quitter le fort jusqu’à nouvel ordre. J’y veillerai. Dans l’immédiat, je dois vous quitter, la substitute du procureur m’attend, mais nous nous reverrons très bientôt.

4 Jeudi 17 mai 11 h 30, plage du Grouin

— Mes excuses, Madame la substitute. J’étais occupé à interroger l’employé de la victime. Nous n’avons pas encore eu l’occasion de nous rencontrer. Adjudant-chef Chamaillard, commandant la brigade territoriale de gendarmerie de Saint-Martin. Je ne vous présente pas la maréchale des logis-chef Jeanne Demange, je vois que vous avez déjà fait connaissance.

Karine Belfond n’avait pas usurpé sa réputation. C’était effectivement une très belle femme. La trentaine, svelte, de longs cheveux roux, un regard qui ne laissait pas indifférent et, ce qui ne gâtait rien, un sourire enjôleur, éclairant un visage finement dessiné.

— Ravie de vous rencontrer, adjudant-chef ! On m’a beaucoup parlé de vos succès passés. Félicitations ! Il semble que l’île de Ré ne soit pas le havre de paix et de tranquillité que les prospectus vantent aux touristes ! Quatre crimes en peu d’années sur un si petit territoire, ce n’est pas courant.

Une succession de malheureux hasards, chère Madame, pardon, Madame la substitute.

— Ne vous excusez pas ! Je ne suis pas formaliste, vous pouvez même m’appeler Karine si cela vous chante.

— Je ne permettrais pas.

— Comme vous voudrez ! Avec votre charmante adjointe, nous avons examiné rapidement le corps de la victime. Il n’y a pas de doute sur la cause de la mort. Mais il semblerait que vous n’en sachiez guère plus, à moins que l’homme que vous venez d’interroger vous ait renseigné.

— Hélas non ! Nous avons affaire à un étrange personnage. Déjà, convenez que pour habiter dans ce coin perdu, il faut être un peu tordu ! Qui aurait l’idée d’aller vivre dans un fort aussi isolé ? Quant aux renseignements très parcellaires que j’ai pu recueillir, ils ne m’ont pas appris grand-chose sur lui. Première surprise, son secrétaire, Monsieur Gopaul, ignore le nom de son patron ! Pour lui, c’est Monsieur Lucien. Deuxième surprise, en fouillant le fort, je n’ai pas trouvé le moindre papier, ni carte d’identité, ni passeport, ni carte de sécurité sociale, ni carte de crédit et aucune correspondance administrative, pas même une facture d’électricité. Et tout est à l’avenant. L’employé n’a pas de contrat de travail et le propriétaire des lieux est une société dont le siège est au Liechtenstein.

— Et quelle conclusion en tirez-vous ?

— Que ce monsieur devait avoir de très bonnes raisons pour dissimuler son identité. Mon hypothèse est qu’il se sentait menacé. Il se cachait pour échapper à quelqu’un, très probablement à son assassin. Reste à savoir qui pouvait lui en vouloir au point de le tuer et pourquoi.

— Je vous fais confiance pour percer ce mystère. Si vous avez besoin d’une aide quelconque de ma part, sachez que vous pouvez compter sur moi.

— Je vous remercie, Madame la substitute. De mon côté, je m’engage à vous tenir au courant de nos investigations, au jour le jour.

— Autre chose, adjudant-chef. J’avais l’intention, à moins que vous ne vous y opposiez formellement, de cosaisir la PJ de La Rochelle. Lorsque j’ai pris mes fonctions, mon prédécesseur m’a dit le plus grand bien d’une jeune policière, une certaine Sophie Marsaud. Elle vient d’être nommée commandant. Je l’ai rencontrée et je l’ai trouvée très bien ! J’aimerais la tester sur cette affaire. Peut-être avez-vous entendu parler d’elle ?

— Je la connais bien. Nous avons travaillé en binôme sur trois affaires criminelles. Et cela nous a plutôt réussi. Pas vraiment dans le moule, mais excellente professionnelle et quel flair ! Elle m’avait caché sa promotion au grade de commandant de police.

— C’est tout récent. Officiellement depuis une semaine. J’ignorais que vous vous connaissiez. C’est parfait ! Veuillez m’excuser, mais je suis obligée de vous laisser, une audience ! Bon courage, adjudant-chef ! Au revoir Jeanne !

— À bientôt Karine !

Cette fois-ci, Chamaillard s’abstint de tout commentaire. Bien que cela lui semblât parfaitement incongru, il était devenu d’un usage courant de s’appeler par son prénom, même en l’absence de tout lien affectif.

Alors que les pompiers s’apprêtaient à transférer le corps de la victime dans leur ambulance, un homme s’approcha à vélo.

— Désolé, Monsieur, accès interdit ! C’est une scène de crime.

— Je suis de la maison, capitaine Julien Fontaine, commissariat du douzième arrondissement de Paris. Il exhiba sa carte de police.

— Allez-y !

—Je me dirigeais vers le fort. J’aime bien me balader dans le secteur. Cet endroit est si sauvage ! J’ai vu les pompiers qui roulaient dans la même direction, je me suis douté qu’il se passait quelque chose.

Chamaillard lui résuma la situation.

— Je peux voir le corps ?

— Si vous voulez. L’individu a été tué d’un coup de revolver à bout portant.

Fontaine, qui semblait très excité, se pencha sur le cadavre de l’inconnu.

— Pas possible, ce n’est pas croyable ! C’est Lulu le Rémois !

— Vous connaissez cet homme ?

— Bien sûr, c’est Lucien Baron, dit Lulu le Rémois, dans le milieu. Il y a une vingtaine d’années, je travaillais à la BRB. J’enquêtais sur le braquage du Crédit Agricole de Bagneux. C’était en 2003, un butin de deux millions d’euros ! Mon équipe est arrivée très vite sur place. Elle a coincé les deux complices de Lulu lorsqu’ils sont sortis de la banque, mais lui a réussi à s’échapper avec le fric. Il y a eu un échange de coups de feu et un vigile a été blessé. Au procès, Lulu a soutenu que ce n’était pas lui qui avait tiré, mais le vigile l’avait vu pointer son arme sur lui. Baron a été interpellé quinze jours plus tard, en Allemagne, mais les deux millions d’euros s’étaient envolés ! Il a prétendu les avoir perdus durant sa cavale. À d’autres ! Il a largement eu le temps de les planquer en lieu sûr. Aux assises, il a pris le maximum, quinze ans. Lulu, ce n’était pas un perdreau de l’année, il avait déjà un casier long comme le bras. Des menus délits : vols à la tire, trafic de cannabis, vols de voitures et tout le toutim, que du classique ! Mais là, il était passé à la vitesse supérieure. Je ne m’attendais vraiment pas à recroiser un jour sa route, surtout ici et dans ces circonstances ! Il a dû sortir de taule il y a un an à peu près.

Fontaine observa le cadavre avec attention.

— Aucun doute, c’est bien lui. Il a pris un sacré coup de vieux. La prison, ça laisse des traces ! Vous l’auriez connu au fait de sa gloire, beau gosse, musclé, le regard charmeur. Au procès, toutes les femmes avaient les yeux braqués sur lui.

— J’arrive à peine à y croire ! Je ne sais comment vous exprimer ma gratitude. Si vous ne vous étiez pas baladé à vélo de bon matin sur la pointe de Loix… Vous avez certainement beaucoup de choses à nous apprendre sur le passé de la victime, un passé qui n’est peut-être pas étranger à sa mort brutale. On en reparle demain, rendez-vous à la gendarmerie à neuf heures, si cela vous convient. Cet après-midi, je m’occupe du secrétaire, notre unique suspect pour le moment.

— Aucun problème. J’aurais une proposition à vous faire. J’aimerais être intégré à votre équipe le temps de cette enquête, disons en tant que consultant. Pour tout vous dire, je m’ennuie un peu dans ce bled.

— Cela mérite réflexion. J’en parlerai à la substitute. Mais que faites-vous à Loix, vous êtes en vacances ?

— Oui, je fais un petit break.

5 Jeudi 17 mai 14 h, plage et fort du Grouin

Chamaillard et Jeanne grignotaient un sandwich dans leurs bureaux respectifs, tandis que Julien Fontaine déjeunait dans sa maison de vacances, impatient de rejoindre l’équipe d’enquêteurs.

Pendant ce temps, les hommes de l’IRCGN, la police scientifique de la gendarmerie, avaient investi la scène de crime, à la recherche d’indices. Ils trouvèrent la douille de la balle qui avait traversé le crâne de Lucien Baron. Elle provenait d’un revolver Glock17 de calibre neuf millimètres, une arme de poing très répandue en France, dont beaucoup de policiers étaient équipés.

Rapidement, la mer commença à submerger une partie de la plage, ruinant tout espoir de découvrir de nouveaux indices.

L’après-midi, quelques rares touristes s’étaient installés sur le sable, ignorant que le matin même, un cadavre gisait là où leurs enfants faisaient des pâtés.

De retour au fort, les deux gendarmes tentèrent de faire parler Kersley Gopaul. L’adjudant-chef était persuadé qu’il en savait plus qu’il n’en disait. Faute de parvenir à lui délier la langue, il joua de la menace.

— M. Gopaul, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle à vous annoncer. La bonne, c’est que grâce à un heureux concours de circonstances, nous avons pu identifier votre patron. Il se nommait Lucien Baron. C’était un repris de justice, connu dans le milieu du grand banditisme sous le pseudonyme de Lulu le Rémois. La mauvaise nouvelle, c’est que vous êtes notre seul suspect dans l’assassinat de M. Baron et que si vous ne coopérez pas davantage, je serai contraint de vous mettre en garde à vue.

— C’est quoi garde à vue ?

— Rien de très agréable ! Vous serez soumis à un interrogatoire poussé dans nos locaux, puis enfermé dans une cellule inconfortable, où vous passerez la nuit. Si vous voulez éviter cela, il suffit de répondre à nos questions. Saviez-vous que votre Monsieur Lucien avait passé quinze ans en prison pour un braquage et qu’il avait été libéré il y a dix-huit mois ? Persistez-vous à affirmer que vous ignoriez sa véritable identité ? Savez-vous pour quelle raison il ne sortait jamais et ne recevait personne chez lui ? Avait-il peur de quelqu’un ? Vous a-t-il fait des confidences à ce sujet ? Comment se comportait-il à votre égard ? Était-il gentil, désagréable, discutait-il avec vous ? Et si oui de quoi parliez-vous ? Vous voyez que nos interrogations sont nombreuses.

— Je ne sais rien de tout cela. Monsieur Lucien parler très peu à moi, juste pour donner ordres. Moi jamais poser questions à lui. Il n’aimait pas. Trouvé ce travail de secrétaire par petite annonce dans journal.

— Vous persistez donc dans votre attitude négative. Je vous répète que ce n’est pas bon pour vous. Baron a été tué vers six heures trente ce matin, dans le coin le plus perdu de l’île de Ré. Vos plus proches voisins sont à deux kilomètres d’ici. Comprenez que nous ayons toutes les raisons de vous soupçonner. Votre patron semblait vivre dans l’aisance si j’en juge par le luxe de ce salon. Il avait certainement de l’argent liquide quelque part pour assurer les dépenses du quotidien. Or, je n’ai retrouvé que deux billets de vingt euros dans un tiroir. Où est passé le reste ? Vous l’avez volé ? Il s’en est aperçu, il vous a congédié et vous vous êtes vengé ? Ou bien vous avez dérobé cet argent après sa mort ?

— Suis pas un voleur ! Monsieur, jamais argent liquide. Je payais tout avec ma carte de crédit. Monsieur Lucien versait argent sur mon compte chaque mois pour faire les courses et payer les factures.

— Baron avait donc un compte en banque. Savez-vous dans quel établissement ?