Meurtres à Ré - Didier Jung - E-Book

Meurtres à Ré E-Book

Didier Jung

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Beschreibung

C'est l' hécatombe  au sein de la prison. Les surveillants tombent comme des mouches les uns après les autres...
Un matin de décembre, un promeneur découvre le cadavre d’un surveillant de la prison qui flotte au pied des remparts de Saint-Martin. L’adjudant-chef Chamaillard et son adjointe Jeanne Demange, une gendarme secrète et rigide qui a remplacé son fidèle Bernot, commencent leur enquête.
Les premières questions qu’ils se posent : suicide ou meurtre ? La mort de la victime est-elle liée à sa vie professionnelle ou à des motifs personnels ? Aux premiers jours de l’enquête, ils découvrent avec étonnement l’existence d’un certain nombre de trafics au sein de la prison qui pourraient être liés à la mort du surveillant. L’autopsie révèle qu’il s’agit bien d’un meurtre. Un mois plus tard, un second surveillant est assassiné, puis un troisième. On découvre finalement un lien entre les trois victimes qui n’a rien à voir avec leur métier de surveillant. L’événement auquel ils ont tous trois participé quelques mois plus tôt, permettra de confondre l’auteur des faits.
Didier Jung nous offre une enquête haletante en milieu carcéral !




À PROPOS DE L'AUTEUR


Né en 1946 à Paris, Didier Jung, après avoir obtenu le diplôme de l'Institut d'Études Politiques de Paris, débute sa carrière professionnelle en 1970 à la Société Nationale de !'Électricité et du Gaz à Alger. Deux ans plus tard, il entre chez EDF: il fera toute sa carrière au siège de l'entreprise, dans des fonctions très diverses, particulièrement dans le domaine international. Depuis sa retraite en 2006, il partage son temps entre la région parisienne et l'île de Ré. De 2006 à 2013, il a présidé une entreprise adap­tée de Nanterre, chargée de réinsérer des malades psy­chiques dans le monde du travail. Il en est aujourd'hui le secrétaire.

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Ce roman est une œuvre de fiction.

Les personnages, les lieux, les événements

sont le fruit de l’imagination de l’auteur.

Toute ressemblance avec des personnes

réelles serait pure coïncidence.

© 2021 — — 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

www.gesteditions.com

Didier Jung

Meurtres à Ré

1

Samedi 14 décembre 7 h 45,Remparts, Saint-Martin

Le brouillard tombait en fines gouttelettes sur le port de Saint-Martin-de-Ré. Le jour commençait à peine à poindre.

Un vieil homme marchait lentement le long des remparts de Vauban, se dirigeant vers la Citadelle. Dans le village, tout le monde le connaissait. Il avait longtemps enseigné la philosophie au lycée Léonce-Vieljeux de La Rochelle.

À quoi pouvait-il bien songer tandis que, dans l’obscurité, il foulait avec précaution les pavés inégaux et glissants du quai ? À Marcel Proust, butant sur un pavé posé de guingois dans la cour de l’hôtel de Guermantes, sensation qui raviva chez lui d’agréables souvenirs, à l’image de sa mythique madeleine ?

Non, ce n’était pas Proust qui occupait les pensées de Pierre Magnien. L’écrivain dilettante n’avait jamais été sa tasse de thé. Par nécessité, il avait lu les trois mille pages de À la Recherche du temps perdu, mais sans y prendre un réel plaisir.

Ce matin-là, c’était à Kant qu’il pensait, un philosophe auquel il aimait s’identifier, non pas pour son œuvre, il n’avait pas cette prétention, mais pour la vie parfaitement réglée qu’il avait menée, une existence sans aspérités, d’une désespérante monotonie. Heinrich Heine disait que la grande horloge de la cathédrale de Königsberg accomplissait chaque jour sa tâche avec moins de régularité qu’Emmanuel Kant !

La vie du professeur retraité était assez similaire à celle du grand penseur prussien : solitaire, sans événements marquants, sans amours.

Si Pierre Magnien pensait à l’ennuyeuse existence de Kant, c’était à cause de la promenade que celui-ci faisait, montant et descendant huit fois par jour, à heure fixe, la même allée de tilleuls. La légende prétend qu’il ne s’éloigna de ce parcours qu’à deux reprises, en 1762 pour se procurer le Contrat social de Jean-JacquesRousseau et en 1789 pour acheter la gazette annonçant l’éclatement de la Révolution française !

Depuis quinze ans, quelle que soit la saison et quel que soit le temps, Pierre Magnien effectuait, lui aussi, chaque matin et à heure fixe, le même trajet, de son domicile de la rue du Général-Lapasset jusqu’à la plage de la Cible, en longeant les remparts.

Il avait même fait mieux que Kant. À plus de 80 ans, il ne se souvenait pas avoir changé une seule fois d’itinéraire !

Ayant dépassé la Citadelle, il parvint à un promontoire qui dominait la mer, à l’extrémité de la plage de la Cible. Comme d’habitude, il s’assit sur un banc pour y prendre un peu de repos. Il était humide.

Une brume épaisse masquait les lumières des côtes vendéennes. On devinait à peine le pont et les installations du port de La Pallice, pourtant bien éclairés.

À quelques centaines de mètres, il aperçut ce qu’il prit pour un tronc d’arbre ballotté par la houle, jusqu’à ce que les vagues aient rapproché l’objet du rivage.

Le retraité fut subitement ramené à la réalité. Oublié Kant et ses promenades ! C’était le corps d’un homme qui flottait à la surface de l’eau.

Il saisit aussitôt son téléphone et composa le 17.

À cette heure très matinale, les gendarmes n’avaient pas encore pris leur service. Seule la maréchale des logis-chef Jeanne Demange, qui était de garde, était à son poste. Elle demanda au témoin de rester sur place en attendant son arrivée. Dix minutes plus tard, elle était sur les lieux, après avoir prévenu son supérieur, l’adjudant-chef Chamaillard, à son domicile.

Tandis que Jeanne Demange posait au vieil homme les questions d’usage, Chamaillard arriva, bientôt suivi d’une Land Rover aux couleurs de la gendarmerie, tractant un bateau pneumatique.

2

Samedi 14 décembre 8 h,Plage de la Cible, Saint-Martin

Deux gendarmes mirent le bateau à la mer. Le puissant moteur de l’embarcation vrombit. Peu de temps après, le cadavre fut hissé à bord, puis débarqué sur le sable.

Chamaillard et la maréchale des logis-chef avaient tout juste eu le temps de déployer les bandes jaunes interdisant l’accès de la zone au public.

Le corps semblait avoir séjourné peu de temps dans l’eau. À vue de nez, la mort remontait au plus à quelques heures. Les gendarmes n’eurent aucun mal à identifier la victime. Sa carte d’identité se trouvait dans la poche intérieure de son blouson. Il s’appelait Bruno Palazzi,il était âgé de 51 ans et demeurait à Saint-Martin. Sa carte professionnelle indiquait qu’il était surveillant-major à la maison centrale. Il avait une plaie assez profonde au sommet du crâne.

— Suicide ! déclara l’adjudant-chef sur un ton péremptoire, en se penchant sur le corps.

Si, d’emblée, privilégiait cette hypothèse, c’était sans doute parce qu’il ne se sentait pas d’enquêter sur un nouveau meurtre. Depuis son arrivée sur l’île de Ré, il avait déjà eu à traiter deux affaires criminelles, l’assassinat d’un écrivain célèbre à Ars1 et celle d’un centenaire à Saint-Clément-des-Baleines2, deux enquêtes qui lui avaient donné du fil à retordre. La probabilité d’un troisième crime sur un si petit territoire lui paraissait infime.

Sa nouvelle adjointe, Jeanne Demange, était moins affirmative.

— Certes, il a pu se jeter à l’eau, mais on a aussi pu l’y précipiter.

Chamaillard fit la moue. La maréchale des logis-chef n’exprimait jamais une position nette et cela l’agaçait. L’adjudant Bernot, qu’elle avait remplacé, l’avait habitué à des avis plus tranchés.

Cela faisait à peine trois mois que Thomas Bernot avait été promu adjudant-chef à la gendarmerie de Lagord. Chamaillard le regrettait. Il n’avait guère d’atomes crochus avec cette célibataire de 40 ans, d’origine lorraine, qui manquait totalement de fantaisie.

Physiquement, elle était de ces femmes dont on ne dit rien. Grande et mince, cheveux bruns coupés courts commençant vaguement à grisonner, un visage plutôt agréable, elle n’avait pourtant aucun charme, tout au moins aux yeux de son chef. Sa taille, sa voix grave et sa coupe de cheveux lui donnaient un côté masculin. En bref, elle était l’opposée de Sophie Marsaud,la policière de La Rochelle en compagnie de laquelle l’adjudant-chef avait mené ses deux précédentes enquêtes criminelles.

Avec elle aussi, les débuts avaient été difficiles, mais, avec le temps, il avait fini par l’apprécier, jusqu’à en faire une amie. Il gardait l’espoir qu’il en serait de même avec Jeanne Demange, d’autant qu’elle n’était pas dépourvue de qualités, il le reconnaissait volontiers : sérieuse, à cheval sur le règlement et respectueuse de la hiérarchie, sans doute trop ! Mais n’était-ce pas ce que l’on attendait d’abord d’un gendarme ?

— L’enquête n’a pas commencé. Il est encore trop tôt pour se prononcer. Attendons les résultats de l’autopsie. Pour l’heure, allez donc interroger le directeur de la prison. Il a certainement des choses à nous dire sur la personnalité de son surveillant.

— Surveillant-major, adjudant-chef !

— Surveillant-major ou surveillant, cela ne change rien pour ce pauvre homme ! Mais vous avez raison, il ne faut pas jouer avec les grades, maréchale des logis-chef ! J’appelle le substitut. Avant qu’il ne débarque, je vais prévenir madame Palazzi du décès de son mari, une corvée dont je me passerais bien.

1 Voir Le Noyé de Trousse-Chemise, La Geste, 2019.

2 Voir Le Centenaire de Saint-Clément-des-Baleines, La Geste, 2020.

3

Samedi 14 décembre 9 h,

Rue de l’Hôpital, Saint-Martin

Le domicile de la victime se trouvait dans la rue de l’Hôpital, une longue artère reliant la place de la République au cours Vauban. Le quartier était calme, surtout en période hivernale. Le nombre important de maisons aux volets clos laissait supposer que les résidences secondaires y étaient nombreuses.

La maison de la famille Palazzi, mitoyenne des deux bâtisses voisines, était modeste mais coquette. C’était une classique maison de pêcheur, comme il y en avait tant sur l’île. Les volets avaient été fraîchement repeints et le crépi de la façade récemment refait.

L’adjudant-chef frappa à la porte qui s’ouvrit sur-le-champ, comme s’il était attendu.

L’effet produit par l’uniforme sur l’épouse de la victime fut aussi immédiat que prévisible. Elle pâlit et prit appui sur le chambranle de la porte.

— C’est pour mon mari ? Il devrait être là depuis plus d’une heure. Son portable ne répond pas. Je suis très inquiète. Il lui est arrivé quelque chose ?

C’était la seconde fois que Chamaillard se trouvait dans cette situation inconfortable. Il avait conservé un très mauvais souvenir de sa précédente expérience.

Ce jour-là, il était venu annoncer la mort de son mari à Madame Dautrillac, la femme de l’écrivain retrouvé mort sur le banc du Bûcheron3.Devant sa détresse, la policière qui l’accompagnait avait dû prendre la relève.

Mais aujourd’hui, personne n’était là pour le soutenir dans sa démarche. Il garda le silence quelques longues secondes, tandis que Karine Palazzi le suppliait du regard de s’exprimer. Incapable de lui dire brutalement la vérité, il procéda par étapes.

— Madame, votre mari a été victime d’un accident. Je suis désolé !

— Il est blessé ? C’est grave ? Que lui est-il arrivé ?

— Il est tombé à l’eau.

— Et ?

— Je crains que…

— Quoi, vous craignez quoi ?

Le courage lui faisait défaut, mais il n’avait guère d’échappatoire.

— Toutes mes condoléances, madame, monsieur Palazzi est décédé.

Karine, qui, au moment où elle avait ouvert sa porte, semblait au bord de l’évanouissement, ne s’effondra pas comme le redoutait l’adjudant-chef. Il eut au contraire le sentiment qu’elle se ressaisissait. C’était comme si la douleur indicible qu’elle ressentait à cet instant l’avait libérée d’une insupportable angoisse. Chamaillard était bluffé par son courage.

— Mais comment a-t-il pu se noyer ? Où cela s’est-il passé ?

— Sans doute vers 7 heures ce matin, alors qu’il venait de quitter son service. On a retrouvé son corps près de la plage de la Cible. Il a dû tomber des remparts.

— Ce n’est pas possible ! Qu’aurait-il fait, debout sur les remparts ? Vous pensez qu’il s’est suicidé ?

— Pour le savoir, il faudra attendre les résultats de l’autopsie.

Chamaillard était toujours sur le pas de la porte et l’épouse de la victime dans le corridor.

— Puis-je entrer ? demanda-t-il poliment. J’aurais quelques questions à vous poser.

— Oui bien sûr, excusez-moi, entrez !

L’intérieur de la maison était aussi soigné que l’extérieur et la décoration plutôt de bon goût.

— Essayons de ne pas parler trop fort. Mes enfants dorment à l’étage, je ne voudrais pas qu’ils nous entendent. Je veux leur annoncer la nouvelle moi-même.

— Combien d’enfants avez-vous ?

— Deux garçons, de 14 et 16 ans.

— Si l’on exclut la thèse de l’accident qui me paraît peu vraisemblable, il ne reste que deux possibilités, suicide ou crime. Votre époux avait-il des raisons personnelles ou professionnelles de vouloir attenter à ses jours ?

— Personnelles, certainement pas, nous étions parfaitement heureux et formions un couple très uni, tout le monde pourra vous le confirmer. Il adorait ses enfants. Professionnelles, je ne crois pas non plus. Bruno aimait son travail. Il était apprécié de ses chefs et de ses subordonnés. Il me disait que les détenus l’aimaient bien et le respectaient, ce qui n’était pas le cas de tous ses collègues.

— Peut-être vous cachait-il des choses, pour vous épargner. Vous savez, la maison centrale de Saint-Martin n’est pas un établissement facile. Cinq cents détenus, condamnés à de longues peines, la plupart pour des crimes de sang, enfermés dans de minuscules cellules dépourvues de confort. Plusieurs rapports ont mis en lumière le climat de tension qui règne au sein de cette prison. Ce n’est pas un hasard si des détenus demandent régulièrement leur transfert vers un autre établissement. En 2013, une surveillante a tenté de se suicider dans un mirador, en se tirant une balle dans l’abdomen avec son arme de service. L’année suivante, un gardien, pourtant près de la retraite, s’est suicidé, un autre en 2018. Je vous passe les altercations avec des surveillants et les bagarres entre détenus. Ce contexte anxiogène peut pousser n’importe qui au suicide, eût-il, par ailleurs, comme votre mari, une vie personnelle épanouie.

— Je ne peux pas y croire. J’aurais soupçonné quelque chose. On ne suicide pas sur un coup de folie. C’est une décision qui est mûrie. Il y a forcément des signes avant-coureurs qui précèdent le passage à l’acte.

— Détrompez-vous, madame. Si c’était le cas, beaucoup de suicides auraient pu être évités.

— Et votre seconde hypothèse ?

— Celle de l’assassinat ? Je suis obligé de vous poser la question classique. Votre mari avait-il des ennemis, capables d’aller jusqu’à cette extrémité ?

— Non, pas que je sache. Bruno, c’est…c’était un gentil. Il aimait tout le monde et tout le monde l’aimait. C’était un bon mari et un bon père. Vous pouvez interroger tous les membres de son entourage. Ils vous le confirmeront.

— Je ne vous embêterai pas plus aujourd’hui. Merci de votre collaboration. Dans ces circonstances, c’était très courageux de votre part de répondre à mes questions. Je vous tiendrai au courant de nos investigations.

— Puis-je voir mon mari ?

— Non, pas pour le moment. Nous vous rendrons le corps après l’autopsie.

Chamaillard quitta le fauteuil où il avait pris place. Il avait une dernière question à poser. Cela le gênait, mais il le fallait.

— Un dernier renseignement, madame ! Où étiez-vous ce matin entre ٦ h ٣٠ et 7h30 ?

— Dans mon lit. J’ai dû me lever vers 8 heures.

Soulagé de la manière dont s’était déroulée cette démarche qu’il appréhendait, Chamaillard reprit le chemin de la Citadelle, plein d’admiration pour le courage et la dignité dont cette femme avait preuve en sa présence.

3 Voir Le Noyé de Trousse-Chemise, La Geste, 2019.

4

Samedi 14 décembre 10 h,

Plage de la Cible, Saint-Martin

Lorsque l’adjudant-chef regagna la scène de crime, le substitut était déjà sur les lieux. C’était le premier contact du gendarme avec ce magistrat qui avait remplacé Pierre de la Haye, promu procureur de la République à Saintes.

D’allure, Sébastien Lesparre n’avait rien de commun avec son prédécesseur. De taille moyenne, il était vêtu d’une parka à capuche, d’un pull à col roulé noir et d’un pantalon de toile de couleur brique, une tenue plutôt sportive qui tranchait avec le sempiternel costume-cravate-pochette de son prédécesseur. Il faisait davantage penser à un étudiant qu’à un magistrat.

À ٢٧ ans, il était frais émoulu de l’École nationale de la magistrature. Son bon classement à la sortie de l’École lui avait permis de choisir sa filière, le parquet, et son point de chute, La Rochelle.

Originaire de Bordeaux, il n’avait encore jamais quitté sa ville natale, pas même pour ses études, l’École de la magistrature étant implantéeà Bordeaux. De ce fait, il avait conservé un accent du Sud-Ouest prononcé.

Dès le premier contact, Chamaillard pressentit qu’il s’entendrait bien avec ce garçon avenant, bien que réservé.

Lesparre était accompagné de la légiste. Celle-ci écarta d’emblée la piste du suicide. Après avoir longuement examiné la plaie que la victime portait à la tête, elle estima qu’il avait été violemment frappé, le coup assené étant susceptible d’avoir entraîné la mort.

Au vu de ces conclusions, le substitut décida l’ouverture d’une enquête préliminaire.

— Adjudant-chef Chamaillard, je vous confie le soin de rechercher les causes de la mort suspecte de cet homme. C’est vous qui prendrez la direction de l’enquête.

— Envisagez-vous de cosaisir la PJ de La Rochelle ?

— Non, pourquoi me posez vous cette question ? Je n’ai aucune raison de douter des compétences de la gendarmerie. Je sais aussi que vous avez une expérience personnelle et récente des affaires criminelles. Et puis, vous connaissez bien le territoire.

— Si je vous ai interrogé sur ce point, c’est parce c’était l’habitude de votre prédécesseur. Je vous remercie de votre confiance, monsieur le substitut. Nous ferons tout notre possible pour élucider cette affaire dans les meilleurs délais.

— Très bien. Je ne vous harcellerai pas au téléphone. Tenez-moi régulièrement au courant par mail, cela suffira. Je ne suis pas de ces magistrats qui font en permanence pression sur les enquêteurs. Mieux vaut une enquête un peu plus longue et bien menée qu’une enquête bâclée risquant de compliquer le travail de la Justice, à condition, bien sûr, de rester dans des délais raisonnables.

— Je partage tout à fait votre point de vue, monsieur le substitut.

— Maintenant, je dois vous quitter. Un bon paquet de dossiers m’attend sur mon bureau ! Bon courage à vous.

Dès que Lesparre eut quitté la scène de crime, suivi de la légiste, Chamaillard demanda aux deux gendarmes qui avaient repêché le corps de le faire transporter d’urgence à l’Institut médico-légal de Poitiers.

— Il a l’air plutôt conciliant, notre nouveau substitut. Il me plaît bien ! Qu’en pensez-vous, maréchale des logis-chef ?

— C’est l’impression qu’il donne, mais il faudra voir à l’usage, répondit-elle, toujours prudente dans ses jugements.

— Excusez-moi, adjudant-chef, mais j’ai rendez-vous dans cinq minutes avec le directeur de la prison. Il faut que j’y aille.

— Faites, faites ! Nous reparlerons de tout cela cet après-midi.

5

Samedi 14 décembre 11 h,

Maison centrale de Saint-Martin

La maison centrale de Saint-Martin présente cette caractéristique d’être la seule prison d’Europeimplantée au cœur d’une zone touristique. Soucieux de ne pas choquer le touriste, les Rétais s’appliquent, depuis des décennies, à rendre le bâtiment invisible. De l’extérieur, on ne distingue que deux miradors. Quelques pancartes discrètes indiquent que les terrains alentour, propriété du ministère de la Justice, sont interdits d’accès. Dans le village, les panneaux indicateurs mentionnent « La Citadelle », jamais la « Maison centrale ». Aucun bruit ne franchit les hauts murs d’enceinte datant de la fin du dix-septième siècle. Au pied de la muraille, des ânes du Poitou paissent dans un paysage champêtre. Les Martinais sont parvenus à effacer la prison du décor.

Jeanne Demange n’avait jamais eu l’occasion de sonner à la Porte Royale, ornée de l’effigie du Roi-Soleil, de la couronne et des fleurs de lys, symboles de la monarchie. Elle ouvre sur un passage voûté qui débouche sur une vaste cour où sont situés les locaux administratifs. Au-delà de cette cour, on pénètre dans l’espace carcéral dont les bâtiments sont disposés autour d’une place d’armes. Il comprend deux quartiers de détention bien distincts. Côté mer, « La Citadelle », datant du siècle de Vauban, jadis réservée aux bagnards en instance de départ pour la Guyane, abrite les détenus les plus dangereux. « La CaserneThoiras », plus vaste et plus moderne, où logeaient les troupes chargées de l’encadrement des bagnards, accueille les détenus les plus fragiles et ceux « au potentiel actif ». La grande chapelle, datant du xviie siècle a été transformée en buanderie et en salle de sport et l’ancien arsenal en ateliers.

La gendarme ne dépassa pas la première cour, où se trouvait le bureau du directeur. Celui-ci l’accueillit avec beaucoup d’égards.

— Bienvenue à la maison centrale, madame…

— Maréchale des logis-chef Demange. Merci de me recevoir si rapidement.

— Que puis-je faire pour vous ? Si je peux vous aider en quoi que ce soit, je le ferai avec plaisir.

— Je suis hélas porteuse d’une mauvaise nouvelle, monsieur le directeur. L’un de vos employés, le surveillant-major Bruno Palazzi a été retrouvé mort ce matin par un promeneur, près la plage de la Cible.

— Ne me dites pas qu’il s’est suicidé !

— Nous ne le savons pas encore, mais nous penchons plutôt pour un assassinat.

— Assassiné, Palazzi, mais c’était la crème des hommes ! Qui aurait pu faire cela ? En tout cas, je suis certain que, s’il s’agit d’un meurtre comme vous semblez le penser, cet acte odieux n’a rien à voir avec son métier. Inutile de chercher de ce côté-là !

— Pourtant, si j’en crois plusieurs rapports officiels, ni les conditions de détention, ni les conditions de travail du personnel pénitentiaire ne sont idéales dans cette prison. Ils évoquent à la fois la vétusté des installations et l’existence de tensions parfois extrêmes entre prisonniers et gardiens. Entre membres du personnel, ce n’est pas non plus l’entente cordiale, semble-t-il.

— Comment voulez-vous qu’il en soit autrement dans un établissement qui regroupe plus de quatre cents détenus, dont la durée moyenne des peines frise les vingt ans et qui n’ont aucune perspective d’être libérés par anticipation ? Nous n’avons pas affaire à des enfants de chœur ! Ce ne sont pas de petits braqueurs de banlieue. Ils ont tous tué ou violé, à l’exception, je vous le concède, d’un seul de nos détenus. Un vrai cas d’école, celui-là ! Condamné à trois ans de prison pour un braquage raté, ce monsieur est toujours incarcéré vingt-trois ans après, pour avoir multiplié les actes d’indiscipline ! Connu dans toutes les prisons comme le détenu le plus ingérable de France, il en est à son centième transfert ! Et qui a fini par en hériter ? Nous, bien sûr ! Mais vous avez raison, la vie en centrale n’est facile ni pour les détenus, ni pour le personnel. Pas plus tard que l’été dernier, ma cheffe de détention et moi avons reçu une chaise en pleine figure, lors d’une discussion avec un prisonnier qui se plaignait de son sort. Je dois reconnaître qu’ils ont quelquefois des raisons de protester. Les locaux sont vétustes, les cellules très petites et tellement mal isolées que, les nuits d’hiver, la température n’y dépasse pas ١٥°C. Mon prédécesseur avait essayé d’assouplir les règles, en laissant les portes des cellules ouvertes, mais, à la suite d’une plainte déposée par un surveillant victime d’agressions, le tribunal administratif a annulé sa décision. Retour à la case départ, ce qui a eu pour effet de dégrader l’ambiance ! Sans compter que les trois quarts des détenus ne reçoivent jamais de visite. Nous nous efforçons de ne pas les laisser oisifs. Soixante pour cent d’entre eux travaillent au sein de nos ateliers, mais année après année, nous constatons qu’ils sont de moins en moins nombreux. Nous avons aussi multiplié les activités de loisir : peinture, jeux collectifs, projection de films. C’est le sport qui offre aux prisonniers le plus de possibilités de communication avec l’extérieur. Ils participent à la plupart des compétitions locales. En été, certains prennent part aux vingt kilomètres de Saint-Martin. D’autres poursuivent des études, parfois jusqu’au niveau maîtrise. Toutes ces mesures sont censées faciliter une hypothétique réinsertion et les empêcher de se désocialiser. Cela reste insuffisant, j’en suis bien conscient, mais avec les crédits dont je dispose, je ne peux pas faire mieux !

— La situation que vous venez de décrire rend crédible l’hypothèse selon laquelle la mort de monsieur Palazzi pourrait être en lien avec son activité au sein de l’établissement. Que pouvez-vous me dire de la personnalité de ce surveillant ?

— Que du bien, je vous le répète. Il a fait la plus grande partie de sa carrière ici, n’a jamais fait aucune demande de mutation depuis son arrivée, en 1998. Ni moi, ni mes prédécesseurs n’avons jamais eu le moindre reproche à lui faire. Il n’a pas, à ma connaissance, de problèmes relationnels avec ses collègues. Avec les détenus, il a su trouver un équilibre entre fermeté et empathie. D’où ma conviction que sa mort tragique n’a rien à voir avec sa profession.

— Bien, je vous remercie, monsieur le directeur, nous aurons certainement l’occasion de nous revoir.

— J’aimerais que vous me teniez au courant de votre enquête.

— Bien entendu !

Jeanne Demange sortit frustrée de l’entretien. Un coup pour rien ! C’était la conclusion qu’elle tirait des trois quarts d’heure qu’elle venait de passer avec le directeur de la centrale.

Il s’était défendu face aux critiques visant son établissement. Il avait surtout tenté de dissuader son interlocutrice de rechercher les causes de la mort de Palazzi au sein de sa prison ! Sans doute aurait-il tenu le même discours pour n’importe lequel des membres de son personnel. Pas de vagues, telle était la consigne, il avait suffisamment de problèmes à régler au quotidien.

La gendarme rejoignit le break de la gendarmerie, garé sur le parking, devant la prison, où de nombreuses autres voitures étaient stationnées. Le samedi matin était jour de parloir.

Au moment d’ouvrir la porte du véhicule, elle se ravisa et se dirigea vers les remparts qu’elle longea sur une dizaine de mètres.

Elle essaya d’imaginer comment un homme, inconscient, voire mort, aurait pu être hissé sur un mur aussi haut, puis précipité de l’autre côté. Il aurait fallu que son agresseur soit sacrément costaud.

En observant des fortifications léchées par les vagues, elle constata qu’il était impossible de les escalader côté mer : ni escalier, ni échelle. À supposer que la victime soit encore consciente, elle aurait dû nager jusqu’à la plage et dans une eau à 9°C, c’était mission impossible.

6

Samedi 14 décembre 14 h,

Gendarmerie de Saint-Martin

— Alors, cette visite au patron de la prison ?

— Pas vraiment intéressante ! J’ai eu droit à des paroles lénifiantes. Il a essayé de me persuader que le décès de son surveillant ne pouvait en aucun cas trouver son origine dans l’établissement