Cristal des Dieux - Alexis Alkékenge - E-Book

Cristal des Dieux E-Book

Alexis Alkékenge

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Beschreibung

Non loin de la vallée du grand rift où se dresse fièrement le Kilimandjaro, le mystérieux clan des Arushas vit paisiblement au pied de la montagne ; jusqu’au jour où un gouvernement autoritaire, bien décidé à exploiter l’or noir dont regorge la région, convoite d’exproprier les Maasaï de leurs terres sacrées. C’est pour lutter contre cette exaction qu’Aurora Di Giacomo et Jack MacGarrow se jurent de leur prêter main-forte. Afin de gagner leur confiance et après maints efforts, il leur faudra suivre une voie initiatique...

Réussiront-ils à gravir le plus haut sommet du continent ? Quel objet à la teinte d’une extrême rareté y découvriront-ils ?


À PROPOS DE L'AUTEUR

Alexis Alkékenge, diplômé en psychologie, s’intéresse particulièrement aux destins singuliers et croisés des femmes et des hommes où le roman se révèle être le théâtre de l’intime, de l’imagination et du fait social.

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Thriller

Image : Adobe Stock

Illustration graphique : Graph’L

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I

Au cœur de l’Afrique sub-saharienne, dans le Tanganyika, contrée légendaire pour ses terres vierges et sauvages, des Maasaï, peuple Nilotique, éleveurs et guerriers semi-nomades, vivaient à proximité de grands lacs. Ils gardaient un vaste territoire perdu maintenant leurs traditions millénaires et leurs coutumes ancestrales. Une des tribus, les Arushas combattants de haute stature à la remarquable couleur ébène, était pourvue d’une endurance et d’une agilité hors du commun. Armés de lances et de boucliers, ils étaient de redoutables guerriers. Ces hommes, habitués aux combats rapprochés, pouvaient jusqu’à défier un lion lors de rituels initiatiques. Ils se déplaçaient au sein de réserves à distance des chemins de fer et des terres environnantes. Contraints d’expropriation par le gouvernement, ils luttaient avec force pour conserver leur mode de vie et éviter l’exil, mais leur ethnocide était quasi inévitable. Une milice d’état fut envoyée pour les inciter à entreprendre une marche brutale destinée à les sédentariser au sein de bidonvilles et de villages surpeuplés. Certains devant subvenir à leurs besoins étaient soumis à des travaux avilissants qui les assimilaient à l’état d’esclaves. Privés de liberté, c’est pour lutter contre ce droit fondamental qu’une force de libération s’était formée, bien décidée à chasser leurs oppresseurs.

Par une nuit sans lune, les cieux constellés d’étoiles, deux ombres fantomatiques apparurent à Xeïcha. Saisi par la peur, le fils du chef tribal recula. Il s’approcha prudemment, distingua deux formes humaines et découvrit d’abord les traits émaciés et les yeux acérés de Jack MacGarrow, explorateur et baroudeur émérite. Dans un recoin, l’autre présence se dissimulait, on découvrait à peine une chevelure fauve se détacher de la tête d’une jeune femme ; un visage fin et des lèvres charnues se dessinaient dans la pénombre. C’était Aurora Di Giacomo, Docteur en Anthropologie. Déconcerté, le Maasaï les dévisagea et sans dire un mot, les pria de le suivre jusqu’à son village. Les deux étrangers lui emboîtèrent le pas. Ils traversèrent une haie d’épineux et des torches vacillantes éclairaient leur arrivée à l’entrée d’habitations. Ils franchirent le seuil d’une manyatta où régnait une forte odeur de lait caillé et de viande séchée, quand deux gardes à l’affût en interdirent l’accès à la jeune femme. Le regard frénétique, elle déstabilisa les cerbères qui lui barraient le passage. Sa réaction était si brutale qu’ils la laissèrent entrer, persuadés que l’âme d’un ancêtre la possédait. Alors, elle poussa les deux guerriers et pénétra à l’intérieur. Une fumée exhalait une senteur de bois de cèdre et un crépitement envoûtant semblait louer cette rencontre. Les invités s’agenouillèrent sur un sol en terre battue. Là, les yeux mi-clos, un homme sage, les attendait ; il laissa entrevoir un regard transpercé par des visions chamaniques. Les deux voyageurs furent médusés. Cette pratique subconsciente d’un âge ancestral, permettait de communiquer avec l’essence naturelle et originelle du macrocosme. Les cheveux cendrés du sorcier, ses traits usés et ridés, dégageaient une impression de bienveillance. Sa tunique rouge enveloppait un corps osseux et une peau décharnée. Il portait un collier de perles de verre et des bracelets aux poignets ; dans l’une de ses mains, le sage tenait fermement un bâton rituel taillé dans l’ivoire. Brusquement, un homme aux lunettes d’écaille, escorté de plusieurs guerriers, entra dans la pièce. Makambé, l’interprète, attendait déjà depuis plusieurs heures à la lisière du village, avant d’avoir le courage de rejoindre ses deux acolytes. Embarrassé, il s’inclina devant le chef des Arushas. L’homme interpréta avec hésitation les mots du sage qui les invita à prendre un bol de lait mélangé à du sang prélevé dans la veine jugulaire d’un bœuf. Le vieil homme, impatient, attendit avant que ses hôtes ne se décident à ingérer le breuvage. Ils l’avalèrent d’un trait et gardèrent en bouche un goût brassé de fer et de crème :

« Quelle raison vous amène ici ? demanda l’homme suspicieux.

MacGarrow se leva et prit la parole.

— Merci de votre accueil, c’est un honneur de vous rencontrer. Melle Di Giacomo et moi-même sommes venus vous aider. Nous savons ce que vous traversez et connaissons vos souffrances.

Durant un instant, Tanga le chef de tribu hésita et le regard perçant, s’exprima.

— Notre communauté subit des pressions. Des forages pétroliers sont effectués sur notre territoire et nous sommes impuissants face à ces machines, expliqua-t-il avec inquiétude.

— Nous comprenons ce que votre peuple endure et nous souhaitons vous prêter main-forte pour récupérer vos terres.

Tanga adopta une expression dubitative.

— Je suppose qu’il ne s’agit pas d’un acte désintéressé et que vous souhaitez une contrepartie !

Aurora s’avança.

— Selon la légende, votre plus haute montagne recèle un secret bien gardé… »

Les propos de la jeune femme sidérèrent les Maasaï. Le sage ne répondit pas et son visage se ferma. Xeïcha irrité fixa les intrus et les provoqua dans une gestuelle belliqueuse. Sans attendre, il s’approcha, changea d’attitude et fit un geste inattendu. L’homme commença à caresser les mains, le visage, puis les lèvres de Di Giacomo. La jeune femme, déconcertée, écarquilla les yeux et n’osa pas repousser le guerrier. Il commença à poser les paumes de ses mains sur sa poitrine. Aurora, surprise, rougit et recula. Jack, contrarié, le pria d’arrêter. Fou de rage, le fils du chef montra ses dents blanches et ses gencives saillantes, puis s’avança au plus près de la jeune femme :

« Ma fiancée n’est pas à vendre ! s’interposa MacGarrow, furieux.

— Eh bien si tu échoues, elle devra être offerte en mariage à mon fils, exigea le sage.

— Hors de question ! » reprit la jeune femme offensée.

Xeïcha, sans crier gare, se saisit d’une lance. Jack, une main sur son étui dégaina son revolver coupant l’élan du guerrier : « Arrêtez ! » hurla le chef tribal.

Contraints, les deux hommes interrompirent la lutte. Se sentant acculé, Jack répondit :

« Gardez votre calme, nous sommes prêts à accepter votre marché !

— Nous n’aimons pas les étrangers, alors il va vous falloir gagner notre confiance. Pour cela, vos actes doivent être approuvés par mon peuple et vous serez contraints d’accomplir nos rites… mais, je te rassure, homme, tu ne seras pas circoncis ! » s’esclaffa Xeïcha d’un ton ironique.

MacGarrow se sentit mal à l’aise et tous les hommes présents se moquèrent de lui :

« Vous passerez la nuit au fin fond de la jungle du Ngorongo etsi vous en sortez vivants, nous déciderons de votre sort ! »

Aurora fixa Jack avec un sentiment d’effroi ; elle réalisait l’importance du prix qu’il leur faudra payer...

II

À l’orée du jour, accompagné d’un groupe de guerriers Maasaï, le couple partit sous bonne garde. Ils marchèrent un moment et au bout de quelques kilomètres les aventuriers furent abandonnés en plein milieu de la forêt vierge. Dans cette zone équatoriale, il arriva que l’on vît trembler sous l’activité débordante de la jungle, deslichens moussus qui s’étiraient entre les branches d’immenses troncs d’arbres millénaires. La brume de la forêt, couverte de lianes grimpantes, tapissait les parois de la caldeira et descendait en se clairsemant jusqu’à la savane où paissaient plusieurs espèces d’herbivores. Avant de s’éloigner,Xeïcha confia un couteau engainé de cuir à la jeune femme. Aurora, troublée, vit ses yeux d’un noir intense la fixer avec insistance. Une forte émotion l’envahit, sans qu’elle ne put détacher son regard ; l’homme lui sourit et partit. Elle le regarda s’éclipser et bientôt, elle ne distingua qu’une petite tache rouge et noire se changer peu à peu en un point minuscule pour devenir invisible. Laissés seuls, sans savoir ce qu’il pourrait leur arriver, les explorateurs se trouveraient sans doute face à leur destin. Ils étaient aux premières loges pour admirer le ciel et écouter les bruits sauvages. Les pépiements du Calao aux joues argentées et le tumulte frénétique des cercopithèques ensorcelaient la canopée aux éclats d’émeraude.

Di Giacomo et MacGarrow se rassuraient en se persuadant que les animaux étaient craintifs, aussi, il y avait peu de risque qu’ils ne se fassent attaquer par une hyène brune ou mordre par un mamba noir : « Mac, j’aimerais que l’on trouve une clairière, je crains de me sentir étouffée par la hauteur de la végétation. » En quête d’un lieu paisible, ils finirent par dénicher un endroit accueillant où dormir, ramassèrent quelques feuilles de genévriers et d’eucalyptus endémiques afin de confectionner une confortable litière. Sentant venir la fatigue, ils s’allongèrent dans l’attente de la nuit tombée. Le ventre de Jack se mit à trépigner ; il dut se convaincre que ce n’était ni l’endroit ni le moment pour subvenir à ses besoins primaires. Dans l’obscurité, tous deux entendaient des sons étranges, presque indéfinissables. Par une nuit opaque, comment auraient-ils pu savoir de quels animaux il s’agissait ? Fermant les yeux un instant, ils parvinrent à lâcher prise et finirent par s’endormir. Aurora fut brusquement réveillée par la main de Jack qui cheminait sur son corps :

« Tu as fini ? Ce n’est pas le moment ! lança-t-elle agacée.

— Pourquoi me réveilles-tu ? »

Elle sentait son cœur battre, sa respiration s’accélérait et son souffle haletait. Elle saisit le membre recouvert d’un poil dru qui crapahutait sur son abdomen et comprit vite ce que c’était ; une tarentule velue aux mandibules démesurées. Aurora, prise de panique, hurla à pleine poitrine. Son vacarme était tel, qu’elle réveilla une partie de la faune qui s’animait et bruissait dans les branches. Di Giacomo voulut s’enfuir et dans sa précipitation s’assomma en percutant une masse éminemment dure. Jack, pris de stupeur, se dirigea en direction des cris. Il la chercha longtemps Au cœur de la jungle sans pouvoir la retrouver… Fouillant à travers les fourrés, MacGarrow fut brutalement assailli par une chauve-souris. D’une envergure impressionnante, la bête le griffa et Jack se débattant, fut mordue profondément à l’avant-bras. Rouée de coups, elle finit par s’enfuir, lui écorchant au passage sa crinière de cheveux bruns. Las et meurtri, il s’adossa épuisé contre un arbre et finit par s’endormir.

Le soleil se leva et des rayons ardents réchauffaient le visage d’Aurora. Encore grelottante, plongée dans un état second, elle ressentait cette sensation bienfaitrice et profita un instant de la chaleur revigorante. La nuit dans cette région inhospitalière fut pour elle une expérience difficile. Une légère brise accompagnait des chants d’oiseaux. Rien n’était plus beau que d’assister au lever du soleil, en particulier dans cet endroit du monde. MacGarrow n’était allongé qu’à quelques mètres de là, elle s’approcha de lui et vint doucement le réveiller en l’embrassant.

Ils marchèrent pendant plusieurs heures et parvinrent à retourner au campement Maasaï. Exténués à leur arrivée, le chef du village les congratula. En sage, il prononça son jugement et fut fêté par la tribu : « À présent, vous êtes des membres de ma famille et vous appartenez entièrement à ma tribu. »

C’est alors que tous les hommes et toutes les femmes dansèrent pour témoigner de leur courage. Les mouvements des corps semblables à des vagues faisaient onduler tour à tour leurs articulations. On entendait les bijoux s’entrechoquer sous l’emprise d’une intense ferveur rythmée par des claquements de mains et de pieds. À l’intérieur d’un cercle humain, sautant de plus en plus haut, les guerriers démontraient leur fougue. Pendant que les hommes produisaient une basse syncopée inspirée d’un lion rugissant, les voix polyphoniques des femmes les plongeaient dans un état hypnotique. Parvenus à l’état de transe, leurs yeux roulaient, tressaillaient, découvrant le blanc éclatant de leur cornée.

Makambé, amer, avait été chargé de s’occuper de la communauté et de restaurer les habitations avec les femmes. Des maisons circulaires constituées de branchages et de bouses de vache séchaient au soleil. Ce type de matériau permettait une isolation thermique parfaite et une protection contre les moustiques les plus agressifs : « Mes amis, votre venue est bénie ! Demain est un grand jour… »

Au petit matin, Jack et Aurora assistèrent à un rituel particulièrement illégal et condamné par l’Organisation Mondiale de la Santé :

« Ce sont les hommes du village qui pratiquent ce rituel ? demanda Di Giacomo à Makambé.

— Seules les femmes y sont autorisées.

— Elles font subir ce qu’elles ont dû elles-mêmes endurer ! reprit-elle atterrée.

— C’est votre interprétation…

— Pourquoi faire payer l’autre au nom d’un rituel qui libère ou soumet ?

— Que voulez-vous dire ?

— C’est bien pour une promesse d’amour éternel ! Dieu a ainsi fait le corps féminin, alors pourquoi le changer ?

— La fin de leurs rites signifierait la fin d’un monde, leur monde, vous comprenez ?

— Il n’est que l’idéal d’une réalité amputée !

— Ce sont des pratiques qui se transmettent de mère en fille. Elles gagnent ainsi leur existence, justifia Makambé en invoquant une reconnaissance sociale.

— Mais faire souffrir, c’est condamner à vivre. N’y a-t-il pas d’autres moyens ?

— Votre occident représente pour eux une religion intolérante qui nie leurs traditions ! » rétorqua le guide sur un ton blessant.

Ulcérée par ses propos, Aurora se plongea dans le silence. Soudain, la jeune femme décida d’intervenir. Elle se leva sous l’effet de la colère, mais MacGarrow saisissant son poignet l’empêcha d’agir.

L’interprète lui signifia de garder son sang-froid : « Calmez-vous mademoiselle et acceptez les différences, cela vous permettra de comprendre votre monde et ses contradictions… »

Une petite fille âgée de treize ans fut enfermée dans une maison particulière. La fête dura trois jours et le sacrifice d’une vache consolida la communauté. La demoiselle fut rasée, signe d’une deuxième naissance. Sa grand-mère cacha ses cheveux afin que personne n’en usent à des fins de sorcellerie. La fillette sortit de la maison vêtue d’un habit traditionnel. Son aïeule lui glissa des crottes de chèvre entre les orteils, puis fit plusieurs fois le tour d’un arbre sacré et s’écria : « Il faut s’accrocher à ce que l’on possède, car dans la vie rien n’est acquis ! »

Ce jour tant attendu est celui où l’on devient femme. Pour la bénir, la grand-mère écarta ses jambes, lui cracha au visage et sur les parties génitales. À l’aide d’une lame, elle fit deux profondes entailles dans sa chair. La jeune fille gémit, mais ne hurla pas. Quelques gouttes de sang perlèrent sur le sol. Elle restait immobile. Dans le village les youyous retentirent. Les blessures de la fillette suintaient, mais son anatomie fut préservée. Ainsi, une incision rituelle sur ses cuisses remplaça la terrible mutilation.

Les festivités terminées, Tanga le chef réunit ses hôtes :

« Il existe un lieu où vous allez pouvoir prouver votre endurance et votre courage. Il se trouve à plusieurs jours de marche, mon fils vous y conduira.

— Pourquoi une autre épreuve ? demanda MacGarrow défait.

— Respecte nos coutumes, tu pourrais offenser nos esprits vengeurs, rétorqua Xeïcha fulminant.

— Qu’attendez-vous de nous ?

— Tu le comprendras bien assez tôt… » reprit le sage d’une manière impénétrable.

III

Le groupe quitta le campement et marcha de nombreuses heures, sous un soleil brûlant, ils avaient bu la moitié de leur réserve d’eau, quand la fatigue se fit ressentir. Traversant un village où des éléphants servaient de montures aux touristes, Makambé entra dans l’enclos, là se trouvait un homme qui s’occupait de mammifères colossaux : « Voici comment nous allons traverser ces contrées hostiles et nous rendre à destination… » suggéra le guide fier de son idée.

Le cornac les invita à monter sur les pachydermes. Makambé ne se fit pas prier. Xeïcha, superstitieux et respectueux de ces animaux, préféra rester à terre. Voyager sur le dos d’un éléphant de sept tonnes paraissait pour Di Giacomo insurmontable. La vue des défenses mesurant chacune d’elles près de trois mètres l’en dissuadait. D’une taille de près de seize pieds de haut, l’animal commença progressivement à se baisser et plaça sa lourde patte de façon à ce qu’Aurora puisse se hisser. Jack prévenant, assura l’équilibre de la jeune femme. Atteignant le cou du mastodonte, elle s’assied, prête à commencer son périple. Son corps tanguait au rythme chaloupé des pas pesants du mastodonte. La structure massive d’os et de muscles faisait trembler le sol. Muni d’un bâton en Wengé, le meneur dirigeait l’animal à la voix. Chaque injonction était récompensée par une poignée de foin ou d’herbe fraîche. Rescapés de l’attaque d’une panthère tachetée, Kiwanga et Elijah, encore éléphanteaux, furent recueillis par les habitants du village de l’ethnie des Nwamwezi. Ils les nourrirent de lait de brebis et de rameaux et les mammifères devinrent membres à part entière de cette tribu. Animaux sans pareils, ils partageaient désormais leur vie et leurs émotions avec les hommes, à jamais leurs frères de sang :

« Ce sont des bêtes magnifiques, vous ne trouvez pas ?

— Ils méritent notre respect, reprit MacGarrow admiratif.

— Même si on peut les dresser, ils ne seront jamais des animaux domestiqués.

— Ils sont restés sauvages ?

— Quand ils ont faim ou lorsqu’ils sont en colère, ce sont eux qui donnent des ordres ! »

Durant leur périple interminable, Jack, sur le dos d’un des colosses, se sentait comme suspendu entre ciel et terre. Aurora ne pouvait s’empêcher d’admirer la démarche gracieuse et énergique de Xeïcha qui semblait voguer sur un sol aride. Ses tresses oscillaient sous ses longues enjambées et les traits fins de son visage paraissaient être ceux d’une jeune femme : « Mon Dieu qu’il est beau ! » se disait-elle, confuse d’avoir de telles pensées. Les heures et les kilomètres passèrent, les troupeaux de zèbres et les paysages de la savane africaine paraissaient de plus en plus grandioses. Des plantes et des arbustes se desséchaient sous le feu d’un soleil rougissant et ces herbes vivaces clairsemées en touffes serrées, jaunissaient et se flétrissaient. Ici, le ciel était plus lumineux, la terre plus chaude, les montagnes presque vivantes. Tout près d’un arbuste tordu, une horde d’antilopes s’avança, insensiblement, en direction des voyageurs. Les bêtes aux cornes arquées s’arrêtèrent et fixèrent longuement ces Hommes chevauchant des animaux géants. Brusquement effrayées, elles prirent la fuite : « Regardez ! » s’écria Aurora affolée.