D'un commun accord suivi de Le passé raccommodé - Jean-Pierre Steck - E-Book

D'un commun accord suivi de Le passé raccommodé E-Book

Jean-Pierre Steck

0,0

Beschreibung

D'un commun accord se compose de trois parties distinctes. Dans la première, D’un commun accord, Sabine et Thomas célèbrent leur anniversaire de mariage avant d’annoncer leur séparation, déclenchant ainsi une série d’événements inattendus. La deuxième partie, Le passé raccommodé, réunit Florence et Sébastien qui se replongent dans leur passé commun. Enfin, dans la troisième, Un amant peut en cacher un autre, une étrange dédicace pousse l’auteur à mener une enquête mystérieuse. Ces trois récits explorent respectivement la séparation, les retrouvailles et la disparition, formant un ensemble captivant.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Pierre Steck, ancien professeur des écoles et officier de réserve, a embrassé l’écriture avec passion. Son parcours d’auteur est riche et varié, avec des ouvrages pédagogiques sur l’expression écrite publiés chez les Éditions Hachette Écoles, des romans, deux biographies, deux recueils de nouvelles et un essai édités par différentes maisons d’édition. Sa plume talentueuse l’a conduit à explorer divers genres littéraires, enrichissant ainsi son univers créatif.





Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 155

Veröffentlichungsjahr: 2024

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Jean-Pierre Steck

D’un commun accord

suivi de

Le passé raccommodé

© Lys Bleu Éditions – Jean-Pierre Steck

ISBN : 979-10-422-0080-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Édition complétée par

Un amant peut en cacher un autre

Le mensonge est parfois

le meilleur des marchepieds

pour accéder à la vérité.

D’un commun accord

Première partie

Dimanche 16 octobre 2022

et les jours suivants

Les 14 convives du repas

Maître Raoul Largo, notaire,

Hélène, son épouse,

Sabine, leur fille, notaire, épouse de Thomas Baron.

Alex Baron, barman,

Michèle, son épouse, cuisinière,

Thomas, leur fils, maître-nageur, époux de Sabine.

Louis Largo, avocat, frère de Raoul,

Paul Lefaux, collaborateur de Raoul,

Jean Le Bath, assureur et maire de Boucale sur Mer,

Marie Le Bath, son épouse.

Fanny, maître-nageuse, amie de Thomas,

Anne, hôtesse d’accueil à la piscine, amie de Thomas,

Hubert et Samuel, libraires, amis de Sabine et de Thomas.

1

Dimanche 16 octobre 2022. 12 h 40

Quatorze convives entourent la table carrée d’une salle privée de La sole dorée, l’établissement le mieux coté de Boucale sur Mer.

La mer ? Ils la découvrent par la baie vitrée du restaurant qui surplombe le port occupé par des bateaux de pêche côté sud et une plage de sable fin que bordent des dunes couvertes d’oyats, de tamaris et d’épineux côté nord. Des millions de soleil éclatés scintillent à la surface de l’eau. Un porte-containers dessine sa silhouette à l’horizon sur fond de ciel d’azur.

Sabine et Thomas occupent les places d’honneur.

Maître Raoul Largo, le papa de Sabine, la soixantaine triomphante, taille haute, cheveux bruns, tempes grisonnantes, barbe de trois jours savamment entretenue, est le doyen de l’assemblée. Notaire bien installé sur la place, il possède une âme de condottiere et la réputation d’un épicurien.

Hélène, son épouse, n’a rien d’une descendante de son homonyme rivale d’Aphrodite. Longiligne, au caractère trempé, elle jouit d’un charme non négligeable : elle apporta en dot abondance d’espèces sonnantes et trébuchantes et une maison bourgeoise dans laquelle s’est installé le cabinet notarial le plus cossu de la ville.

Sabine, leur fille unique, fière de ses vingt-huit printemps, offre l’image d’une beauté sûre d’elle. Elle est dotée d’une taille modérée aux formes plutôt séduisantes et d’un caractère affable et très généreux.

Alex Baron, le papa de Thomas, cinquante-huit ans, se distingue par une allure élégante sinon racée. Barman au Café des pêcheurs, à deux pas d’un quai où sont amarrés des chalutiers, ses clients le surnomment la classe, peut-être en raisonde sa prestance, peut-être parce que le premier à l’avoir appelé ainsi est né la même année que lui.

La même année aussi que Michèle, son épouse, cantinière au collège Marcel Pagnol. Son visage et son corps ronds la rendent instantanément sympathique. Sa réputation de cordon bleu est légendaire.

Leur fils unique, Thomas, officie à la piscine municipale en qualité de maître-nageur. Physique d’athlète (certaines mauvaises langues parlent de gonflette) et visage ouvert caractérisent ce gaillard heureux de vivre.

Les Largo ont invité Paul Lefaux, collaborateur chargé des visites et de l’estimation des logements proposés à la vente, garçon de trente ans imbu de son physique d’Adonis, travailleur, intelligent et efficace. Le maire de Boucale sur Mer et son épouse aussi, couple dans le vent par leur situation.

Thomas Baron a invité deux collègues. Anne assure l’accueil à la piscine : mignonette de vingt ans, affable et souriante, elle joue son rôle d’hôtesse à la perfection. Fanny, maître-nageuse, rousse ébouriffée aux formes affriolantes, aux yeux incendiaires, possède un bagout intarissable. Hubert et Samuel enfin, deux amis d’enfance, homosexuels doux et paisibles comme des agneaux.

Quand Hélène Largo, organisatrice du repas avec sa fille Sabine, s’aperçut qu’ils seraient treize à table, elle invita, pour échapper à une nouvelle cène, son beau-frère Louis Largo. Avocat sulfureux, défenseur de la veuve accorte et de l’orphelin fortuné, avide d’aventures et possesseur de la meilleure cave de la région, il n’est pas dans les petits papiers de l’épouse de son frère aîné.

Deux serveuses, sous le regard critique du sommelier, remplissent les coupes de champagne et déposent sur la table des plateaux garnis de toasts aux poissons en rillettes, d’œufs de truites ou de saumons sur blinis.

Raoul Largo se lève, le verre à la main. Il déclame :

— Chers convives, nous fêtons aujourd’hui les noces de froment de Sabine et de Thomas. Rassurez-vous, ils ne sont pas sur la paille ! Levons nos verres à leur bonheur, à l’amour ou à l’amitié que nous leur portons !

Hélène a placé les convives. L’avocat entreprend Fanny, la maître-nageuse appétissante. Paul Lefaux trouve Anne à son goût et entame des travaux d’approche. Les homosexuels se dévorent des yeux. Les Largo et les Baron sont regroupés aux meilleures places.

Champagne et toasts dégustés, les serveuses posent délicatement l’entrée devant chaque convive : Saint-Jacques à la truffe sur crème de céleri, claironne le patron sorti de sa cuisine. Chacun apprécie cette mise en bouche riche en saveurs. Des conversations s’engagent. Maître Raoul Largo décrit avec maints détails leur dernière croisière aux Caraïbes avant de s’inquiéter des vacances des Baron. Michèle explique :

— Alex travaille l’été, c’est la haute saison. Nous avons la plage à portée, cela nous suffit. Et j’ai repris mon travail à la cantine.

Fanny dit à son voisin avocat :

— Tu as vu les seins de la serveuse blonde ? Ils sont presque aussi beaux que les miens, tu ne trouves pas ?

Elle a parlé à voix basse mais tous ont entendu. Hélène Largo pince les lèvres et hausse les sourcils (essayez devant votre glace, ce n’est pas évident). Les HS (Hubert et Samuel, HomoSexuels, c’est ainsi que Thomas les surnomme) échangent un sourire navré. Raoul Largo, Paul Lefaux et le maire ont remarqué les charmes découverts de la maître-nageuse et en profitent pour les lorgner sans vergogne. Thomas reste indifférent : ces seins, il les a moultes fois câlinés, caressés, suçotés, même sous l’eau, avant de connaître Sabine.

Hubert susurre à son compagnon d’un air dégoûté : Ces deux-là se connaissent à peine et se tutoient. Ils finiront la soirée au lit.

Paul Lefaux énumère à Anne les qualités de la maison idéale, celle de ses rêves.

Les mariés de trois ans observent leur petit monde avec un œil critique et amusé. Ils tentent d’imaginer ce que leur disparité engendrerait s’ils devaient vivre ensemble sur une île déserte après un naufrage.

Les Largo s’entêtent à parler vacances, les Baron les écoutent poliment, cachant leur désintérêt. Quand le notaire évoque un problème de transmission de bagages, PDR (Problème De Riches) songe Alex Baron.

— Papillotes de bar aux petits légumes, lance le patron pour annoncer le plat principal.

Les papilles des convives s’en donnent à cœur joie. Les conversations languissent au profit d’une dégustation appréciée. Paul Lefaux demande qui a composé le menu, c’est Hélène, on la félicite. L’avocat encense le champagne, un Piper-Heidsieck 2006. Fanny, que l’immobilité ankylose, s’enquiert :

— On ne danse pas ?

Thomas a préalablement demandé l’installation d’une chaîne et une musique d’ambiance accompagne le repas. Il se lève et prie la serveuse au généreux décolleté (Ses yeux y plongent avec délices, pourquoi se priver de ce qui est beau ?) de mettre de la musique de danse, une valse pour commencer.

Sabine et Thomas donnent l’exemple, bientôt suivis par la plupart des convives. Les Largo et les Baron tournent avec l’aisance de danseurs mondains. L’avocat approche le corps sculptural de la maître-nageuse à la limite de la décence. Paul Lefaux fixe Anne d’un regard lointain. Les HS restent à table, mains jointes à l’abri des regards.

Suit la dégustation des fromages, de l’époisses crémeuse très tendre, servie en tranches dans des feuilles de sucrine croquante. Cette spécialité bourguignonne riche en saveur, accompagnée de pain normand brioché à la croûte fine et de champagne Drapper Carte d’Or, enchante le palais des convives.

Une série de slows leur permet ensuite d’assurer une paisible digestion. Sabine et Thomas se parlent à l’oreille, commentent l’attitude de leurs invités. Hélène Largo paraît rigide dans les bras d’un Alex Baron élégant, Marie Le Bath en extase dans ceux d’un Raoul Largo au regard lointain. Paul Lefaux et Anne se jettent parfois des regards… indéfinissables. Les HS se sont décidés à danser : ils se balancent sur un rythme langoureux, au bord de l’érotisme.

Le dessert apporte sa traditionnelle pièce montée : des choux à la crème sur trois étages, surmontés par trois bougies que les mariés de trois ans allument et éteignent trois fois pour le plaisir des photographes amateurs qui les mitraillent avec leur téléphone portable. Les convives honorent ce couronnement d’un succulent repas avant de se lancer dans une série de danses de salon : sambas, rumbas, tangos et j’en passe. Le couple Louis Largo-Fanny se distingue par son entente, préambule à d’autres relations. Les HS s’avèrent attendrissants de retenue. Paul et Anne offrent tous les indices d’une liaison naissante…

Les cafés et les assiettes garnies de macarons et de cannelés moelleux parfumés au rhum et à la vanille incitent les danseurs à regagner leur place.

Les conversations, d’abord divergentes, convergent quand il s’agit de la guerre en Ukraine. Tous abhorrent Poutine et sa clique, tous admirent le courage du président Zélinski, de ses soldats et de son peuple. Tous apprécient les aides financières et en matériel de guerre apportées par les Occidentaux.

Les échanges dévient en direction de la grève des ouvriers des raffineries, des queues interminables de voitures aux pompes à essence, de l’inquiétude mêlée de colère de millions de Français gênés ou même empêchés dans leur travail, leurs soins de santé, leur vie familiale. Les superprofits des actionnaires, les salaires des employés des compagnies pétrolières les dérangent. L’incurie du gouvernement, les tentatives de récupération des politiques, les désaccords des syndicats les horripilent. Louis Largo, en bon avocat, bénéficie du mot de la fin en définissant le comportement de la CGT : elle use de son droit de grève et abuse de son pouvoir de nuisance…

Le patron du restaurant rappelle discrètement à l’oreille de maître Largo qu’un autre repas d’anniversaire est prévu en soirée, que le contrat stipule leur départ pour dix-neuf heures. Une manière à demi élégante de demander l’évacuation des lieux…

Raoul transmet l’information à Thomas qui se lève et demande le silence. Il annonce d’une voix que la bonne chair et l’alcool ont altérée :

— Chères familles et chers amis, l’heure de nous quitter est hélas arrivée ! Je vous remercie infiniment pour votre présence. Je remercie particulièrement jolie maman qui nous a concocté ce menu. (La personne incriminée pince les lèvres et hausse les sourcils, essayez devant votre glace.) J’espère que vous vous êtes régalés et bien amusés. Je passe la parole à ma chère et tendre épouse, elle a quelque chose d’important à vous communiquer.

Un murmure parcourt la salle. Le mot bébé circule à voix basse, des sourires entendus naissent sur les lèvres. Sabine commence sur un ton légèrement ironique :

— Je partage les paroles de mon cher et tendre époux. J’ai par contre la triste mission de vous faire savoir que nous ne partagerons plus pareil moment. Thomas et moi, d’un commun accord, avons décidé de nous séparer.

2

Lundi 17 octobre

7 h. Hélène, dans sa salle de bain contiguë à sa chambre.

J’ai passé une très mauvaise nuit en dépit du cachet que j’ai pris au coucher.

Raoul et moi faisons chambre à part depuis des années. Depuis quand exactement ? La date et les circonstances sont devenues floues, incertaines. Je me rappelle avoir prétexté des problèmes gynécologiques pour échapper à ses besoins sexuels hors normes. Je le suppose, du moins, car j’ignore comment cela se passe chez les autres couples. Et ne désire pas le savoir.

Raoul accepta mal la chose au départ puis s’accoutuma. Je doute parfois de sa fidélité mais je ne l’ai jamais pris en défaut.

Non, ma nuit affreuse, je la dois à cette chipie de Sabine, à son annonce aussi brutale qu’inattendue. Et à la conduite des convives à la suite de cette révélation. Ils ont fui comme des rats abandonnant un navire en perdition. Même Thomas et Sabine ! Incompréhensible ! Aucune explication, aucune demande. Le silence total. Ou l’indifférence.

J’ai tenté d’en discuter avec Raoul. D’essayer de comprendre pourquoi cette déclaration en ce lieu, à ce moment et devant ces personnes. Que j’invite le collaborateur de mon mari s’imposait. Le maire et son épouse, leur statut de plus gros assureur et de premier édile de la ville les désignait d’office. Louis Largo, vous savez pourquoi. Sans compter que ce dernier m’a fait connaître Raoul alors que nous étudiions le droit dans la même université. J’aurais pu être avocate ou juge mais j’ai préféré élever ma fille et les revenus de Raoul s’avèrent suffisants pour me dispenser de travailler.

Quel gâchis ! Je me suis décarcassée pour leur offrir un repas d’anniversaire qui sorte de l’ordinaire, voilà ma récompense. Je comprends maintenant pourquoi les cartons d’invitation stipulaient Tout cadeau sera refusé.

Quant aux invités de Thomas… Anne et Fanny, probablement d’anciennes maîtresses. Ou actuelles… Dans ce milieu… Cet Apollon de bas étage en serait capable ! Ne m’a-t-il pas appelée jolie maman ? Crétin ! Et ce couple d’homosexuels ? Des amis d’enfance, prétend-il. Il les appelle HS pour HomoSexuels. Hors service serait plus exact.

J’en reviens à Raoul. Son absence d’intérêt pour l’affaire me peine. Il me paiera ça, d’une manière ou d’une autre. Et Sabine ? Nous déjeunons ensemble, elle va m’entendre !

*

9 h 03. Raoul franchit la porte du Bar des pêcheurs.

Hélène, son épouse, ignore cet écart quasi journalier. Elle surveille sa nourriture, comptabilise les verres qu’il boit mais ne peut le pister à longueur de journée. Une inquisition permanente, estime le notaire qui n’hésite pas à prendre le large quand les occasions se présentent. Et elles se multiplient toujours plus. Pour son plus grand plaisir.

Raoul et Alex se serrent chaleureusement la main.

— Un p’tit Romancier ? propose le barman.

Alex Baron, quelques années auparavant, par hasard, s’est arrêté au domaine de la Pinardière de Marc Lavigne à Blansec la Vallée. Il est tombé amoureux de ce vin blanc nature dont il est devenu un adepte. Principalement de la cuvée La Romance, de son nez de fruits mûrs sur des notes de poires ou de pommes. Depuis, ils réservent ce nectar à leur usage unique.

— Bien sûr, la classe.

Ils éclatent de rire, complices comme larrons en foire. Alex remplit deux verres et range la précieuse bouteille avec mille précautions. Ils trinquent et savourent ce breuvage divin avec des mines gourmandes de connaisseurs. Un silence succède à la dégustation. Chacun connaît le sujet de la conversation qui les attend. Et le retarde. Alex se lance le premier :

— Alors, que penses-tu de la décision de ta fille ?

— Et toi, de celle de ton fils ?

Ils rient à nouveau. Jaune clair.

— Ce ne sont pas mes oignons, avoue le barman.

— Les miens non plus, rétorque le notaire.

Nouveaux rires. Jaune foncé.

— Hélène est furieuse et me reproche de ne pas intervenir. Que faire ? demande Raoul d’un air contrit.

— Michèle a pleuré hier soir et encore ce matin en partant au travail. J’hésite entre les chutes du Niagara et les Grandes Eaux à Versailles. Pour autant, elle espère toujours une réconciliation.

Un nouveau silence sépare les deux hommes. Le barman, pour se donner une contenance, reprend la bouteille et remplit les verres. Raoul, fataliste, conclut :

— Trinquons à l’espoir, l’ami. Laissons le temps au temps…

Le notaire retrouve le sourire en songeant à la journée qui l’attend : une journée beaucoup plus riche en plaisir qu’en travail.

*

9 h 45. Paul Lefaux peste :

J’en ai marre ! Un soleil d’été indien brille à l’extérieur. Les filles se baladent jambes nues offertes aux regards des hommes. Ou paressent sur la plage pour fignoler leur bronzage. Et moi, depuis cinq ans je travaille dans cette pièce sans fenêtre. Je rédige, je corrige, j’améliore des fiches de visite insipides que je finis par connaître par cœur. Je fais visiter des appartements ou des maisons individuelles à de potentiels acheteurs exigeants qui recherchent des malfaçons pour négocier les prix à la baisse… quand ils n’envoient pas des copains dans le seul but de les casser. Ou alors je subis des familles avec enfants qui considèrent ces visites comme des sorties, une manière agréable de meubler le temps et d’occuper leurs petits diables, de susciter leur admiration ou même de se faire peur en jouant les acheteurs pleins du fric qu’ils ne possèdent pas.

J’ai espéré, peu après mon arrivée au cabinet notarial, rédiger les compromis et les actes de vente mais c’est toujours Sabine qui s’en charge. J’ai aussi espéré conquérir la fille de mon patron mais c’est ce gigolo de Thomas qui l’a épousée. Ce Monsieur Muscle a tout raflé, la fille et les avantages matériels afférents…

Hier, j’ai rencontré une jeune fille à l’occasion du repas d’anniversaire. Plutôt mignonne, de bonne tenue. Nous avons sympathisé, dansé, discuté de sujets variés. Des points communs nous ont réunis : amour de la nature et des animaux, cinéma, théâtre… Elle possède une culture assez poussée pour une hôtesse de la piscine municipale. Nous ne nous sommes pas donné rendez-vous mais je reste persuadé que nos chemins se croiseront bientôt.

Puis il y a eu cette déclaration. Sabine et Thomas se séparent ! Les cartes se redistribuent. J’ai bien observé Sabine, elle ne m’a pas paru plus affectée que cela, ce qui m’étonne. Pourquoi m’interroger ? Une porte ne s’ouvre-t-elle pas ? À moi de m’y engouffrer…

*

10 h 12. Fanny s’occupe des élèves d’une classe de CM2. Elle aime les enfants mais ce matin… L’après-midi d’hier la hante en raison de sa rencontre avec Louis Largo, cet avocat connu sur la place. L’homme porte bien, jouit d’une fortune non négligeable, est célibataire. Sa manière de la draguer, de se coller à elle en dansant dénotent un comportement bien ancré. Fanny, fille moderne, choisit ses partenaires, ne cède jamais à qui ne lui plaît pas. Louis Largo – l’envie de l’appeler Loulou l’a chatouillée – l’interpelle : il ne répond pas à ses critères habituels.