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A Daemrys, humains et sorciers cohabitent en harmonie. Cependant, lorsque des créatures aux pouvoirs anormaux apparaissent à l'est du royaume et qu'une première mission pour les anéantir échoue, la communauté magique refuse d'intervenir. Le roi ne peut plus compter que sur les siens, et quelques sorciers tombés en disgrâce. Quatre ans après avoir fui son rôle d'élue, Alice Morìn, une talentueuse sorcière, saisira-t-elle cette chance de prouver sa valeur ?
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Seitenzahl: 449
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Née en France en 2004, et plongée dès l'enfance dans le monde merveilleux de la lecture, Elisabeth Mainet a très vite voulu y mettre son grain de sel. En écrivant, elle espère offrir à ses lecteurs un univers où s'évader.
A Evane, Fiona, Suzanne et Myriam, A mes parents et grands-parents.
« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. »Lamartine, L’Isolement
Prologue : 972, 19 Huluuk
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Cette carte est une représentation de Daemrys en 977, année durant laquelle débute ce roman. Ce royaume englobe 14 régions autrefois indépendantes et aux propriétés climatiques et sociales changeantes. Dans chaque région se trouve une ville principale et des lieux clés :
Fehnrin (la région dite
centrale
) :
Nyreawe (capitale)
et Eawern (ville de naissance d’Alice Morìn)
Shirin (la région dite
sauvage
) : Nadaahma et Shirin (petit village où vit actuellement Alice Morìn)
Meirin (la région dite
des héros
ou
des élus
) : Aghem (académie)
Daahrin (la région dite
des petits
) : Bojlin
Tulrin (la région dite
des nobles
) : Naaty
Kirin (la région dite
morte
)
Zirin (la région dite
chaude
) : Zehg
Thodrin (la région dite
divine
) : Saahnan (sanctuaire)
Mihrin (la région dite
d’or
) : Baldan
Robrin (la région dite
des voleurs
) : Pozren
Jiehrin (la région dite
des bons
) : Emren
Takrin (la région dite
des guerriers
) : Tehgen
Luvrin (la région dite
des loups
) : Alun
Nagrin (la région dite
désolée
) : Ehkì
Tout n’était que chaos.
Ce n’était pourtant pas ainsi que l’on décrivait habituellement la place d’Eawern : les chahuts des enfants, et les cris des marchands emplissaient presque continuellement les lieux.
Des rires et des chicaneries. Des rencontres et des retrouvailles. Cet endroit n’intimait pas la peur, cet endroit n’ordonnait pas le silence.
Aux beaux jours, les commerçants itinérants s’établissaient dans des bicoques en bois pour exercer. Le soleil illuminait les extravagants vitraux qui ornaient les bâtiments de pierre sur le pourtour de la place. La beauté des reflets sur le pavé lisse et dans l’eau de la fontaine était incontestable. Il n’était pas étonnant de croiser des voyageurs venus de loin, attirés par l’idéal de cette ville qu’on leur avait conté.
Lorsque la saison des pluies revenait, les marchands des régions les plus éloignées s’en retournaient. Il ne restait alors plus que les habitants pour la faire vivre, et les activités devenaient plus simples, plus modestes.
Voilà comment j’aurais décrit la place d’Eawern si j’avais eu à le faire. Un havre de paix. Mon havre de paix.
Pourtant, ce jour-là, sur cette même place, l’air s’alourdissait petit à petit, minute après minute, sans que rien ne puisse y remédier.
Tout autour, une foule immense laissait transparaître la même pensée.
L’incompréhension. L’impuissance. La frustration.
Elle trahissait également un sentiment qui ne m’atteignait guère.
La résignation.
Il m’était impossible de réprimer mes tremblements, de calmer ma respiration, et surtout de comprendre qu’aucune de mes prières n’atteindrait le grand sanctuaire de Saahnan.
Je me tenais droite tout en m’effondrant.
Je me tenais droite, face au billot et à tout ce qu’il avait le pouvoir de me prendre.
Tout ce qu’il me prendrait, sans nul doute.
Une main se posa alors sur mon épaule avec douceur, dans le tumulte d’émotions qui me bouleversait. L’affection pressentie dans ce geste signifiait qu’il pouvait s’agir de n’importe qui, excepté ma mère.
Un voile d’amertume se posa sur mon visage lorsque je me retournai et la reconnus.
“Jeanne…, sifflai-je.
Elle me regarda d’un air préoccupé avant de déclarer :
— J’ai demandé une faveur à mon père. Il t’autorise à aller voir le tien, une dernière fois avant que… Tu sais.
Sa phrase resta en suspens, ce qui n’en fut que plus douloureux.
Elle reprit d’un ton plus distant :
— Tu n’as que peu de temps accordé avec lui. Tu devrais te dépêcher.
Il fallait que je m’éloigne d’elle : la colère qui grondait en moi menaçait d’exploser. Je fis donc un pas de côté, la mine sombre.
— Alice, écoute-moi… Je m’arrêtai net, lui adressant un bref coup d'œil.
La veille encore, elle était ma meilleure amie, et dans une telle épreuve, je me serais tournée vers elle.
Mais ce jour-là, chercher son réconfort me paraissait insupportable ; aussi, les seuls mots qui franchirent mes lèvres furent les suivants :
— Je ne veux plus jamais te parler, te voir, ni même entendre ton nom. J’espère que tu n’as pas imaginé que me permettre de lui dire adieu rachèterait ta trahison.
Sa main chercha la mienne, mais elle se résigna lorsque j’ajoutai :
— Ce n’est pas parce que tu n’avais pas réellement de père que tu devais me prendre le mien.
Son expression s’assombrit aussitôt. Elle était blessée, elle ne comprenait pas cette injustice. Elle me percevait comme une étrangère.
Au moins maintenant, nous étions deux.
— Adieu, Jeanne”, lançai-je en partant.
Elle ne tenta pas de me retenir, ce qui fut certainement pour le mieux. Cependant, le fossé qui se creusait entre nous n’en était que plus profond.
Elle se fondit dans la masse aussi vite qu’elle était apparue, me laissant là, seule face à l’insupportable impression que tout ceci n’était qu’un cauchemar : du jour au lendemain, j’avais perdu tout ce qui comptait à mes yeux.
Malheureusement, le passé, le présent, et le futur qui se dessinait, étaient bien réels.
Soudain, une bousculade maladroite me tira de mes réflexions et me rappela ce que mon ancienne amie avait obtenu pour moi : une poignée de secondes auprès de l’homme que j’aimais le plus au monde.
Je fendis donc la foule avec appréhension, effrayée à l’idée de devoir lui dire au revoir si tôt, et pour aussi longtemps que pouvait durer une vie.
Une fois hors de l’attroupement, je pus enfin apercevoir mon père, pieds et poings liés. Mon cœur fit un tel bond dans ma poitrine que je crus m’effondrer sous ses yeux fatigués.
Les miens se remplirent de larmes amères, devant cet homme que j’avais connu autrefois si fort et qui était désormais soumis à la même loi que tous les autres.
Je ne pouvais pas y croire.
C’était d’ailleurs une grande surprise pour tout le monde qu’il se retrouve devant le billot : il avait été arrêté la veille, et le jour était à peine levé. La justice avait été rapide.
Trop rapide.
Un garde me poussa alors vers le chariot avec brutalité, et je me rendis compte de mon inertie. Sans perdre une minute, je me remis en marche, le corps tremblant.
Incapable de tenir debout, je me laissai tomber sur la banquette en bois à côté de lui, la tête basse, accablée par la peine plus que par la honte. Toutefois, je n’avais pas le droit de me montrer faible devant lui, encore moins durant ses derniers instants, aussi je relevai les yeux une ultime fois pour croiser son regard d’ambre. Les sanglots que je m’efforçais de retenir depuis la veille remontèrent à nouveau dans ma gorge, peut-être dans l’espoir qu’ils puissent suffire à noyer mon désespoir.
La responsabilité qui m’incombait était de l’accompagner vers son envol, pourtant j’ignorais quels étaient les derniers mots qu’il désirait entendre.
Le sentiment d’impuissance qui grandissait en moi n’en était que décuplé, mais après un long moment de silence, il prit ma main dans la sienne, comme par peur que je ne lui échappe. C’était pourtant lui qui s’en allait. Il déclara finalement d’une voix claire :
“Alice, mon enfant, te souviens-tu que j’ai toujours été là lorsque tu avais peur ?
Je hochai la tête. Tous les moments où il m’avait aimée d’un amour inconditionnel étaient gravés dans mon esprit.
Une larme dévala ma joue, mais je la chassai aussitôt et il reprit avec assurance :
— J’essaie de ne pas me trahir, mais je t’avoue qu’aujourd’hui, j’ai peur… Tu n’imagines pas à quel point cela est terrifiant. S’il te plaît, Alice, reste à mes côtés jusqu’au bout, comme je l’ai toujours fait. Crois-tu pouvoir t’y résoudre ?
J’acquiesçai, la gorge nouée, et il ajouta encore :
— Et lorsque je serai parti, relève la tête. Oublie-moi s’il le faut, mais ne laisse pas mon souvenir te hanter. Je t’aime trop pour cela, ma fille, et je suis terriblement désolé de t’abandonner… Mais je sais que je t’ai élevée pour être forte. Tu l’es.
J’étais bien des choses, mais sur ce point-là, il faisait fausse route. Seulement, le lui avouer était inenvisageable. Quelques mots franchirent enfin mes lèvres :
— C’est moi qui suis désolée papa. Je te jure que je lui faisais confiance… Ma voix s’affaiblissait à chaque mot, jusqu’à ne plus être qu’un murmure, et il posa sa main sur mon épaule avec affection en disant :
— Accorder sa confiance à quelqu’un, c’est accepter d’en payer le prix. Ne t’en veux pas, tu auras au moins appris cela.
Et je ne risque pas de l’oublier, pensai-je. La confiance était une chose bien trop précieuse pour être accordée à n’importe qui.
Pourtant, elle n’était pas n’importe qui, c’était là tout le problème.
— Tu vas me manquer, papa.
J’enfouis mon visage dans sa chemise blanche, et ne tardai pas à sentir ses bras forts enlacer mon corps. Des larmes brûlantes mouillaient maintenant les vêtements de mon père, et je ne voulais plus le laisser partir. Je ne comprenais même pas comment j’avais pu céder à l’idée qu’il s’en irait.
Il me prit par les épaules avec fermeté et s’écarta brusquement de moi, me regardant droit dans les yeux.
— Garde ce que je t’ai dit en tête, continue d’avancer.
Il disait cela comme s’il allait être facile de vivre avec le poids que laisserait sa mort, mais je le soupçonnais de ne pas y croire lui-même. Sans lui, ma vie serait totalement différente : je serais seule. Infiniment seule. Cette perspective anéantissait tout en moi.
Pour sa part, il ne montrait rien du chaos qui l’agitait et me scrutait avec bienveillance, comme toujours, ce qui me poussa à me demander s’il était fier de moi, et si ce jour-là, il s’en allait en sachant que sa vie n’avait pas été vaine. Si je faisais partie de ses réussites.
Après un moment de silence, je lui posai la question qui me brûlait les lèvres :
— Mais papa, ce que tu faisais… Était-ce si grave ?
Il baissa les yeux, l’air coupable. J’avais donc ma réponse, même si celle-ci ne changeait rien : il ne méritait pas de mourir ainsi.
— Je m’excuse encore, Alice. Tout est ma faute, murmura-t-il pour confirmer mes conclusions hâtives.
— Dis-moi ce que tu faisais, exactement, s’il te plaît, le pressai-je.
Il ne parut pas enclin à m’apprendre la vérité et se contenta d’éviter mon regard, ce qui était contraire à sa nature.
— Papa, j’ai besoin de savoir.”
Il me dévisagea d’une expression attendrie, mais réticente.
Allait-il accéder à ma requête ?
“Tout ce que tu dois savoir, c’est qu’il est entièrement responsable de ce qui lui arrive, tonna derrière moi la voix grave de Monsieur Dignac.
Je fis volte-face et lui jetai une œillade assassine.
— Il faut laisser ton père maintenant. A moins que tu ne souhaites le suivre sur le billot…” Ma souffrance s’était muée en haine depuis que l’homme qui avait fait condamner mon père était entré dans mon champ de vision. Je n’avais plus rien d’autre en tête que l’envie dévorante de lui hurler tout ce que je savais sur sa femme et sa fille, de lui révéler que sa vie entière n’était qu’un infâme mensonge. Après tout, que me restait-il à perdre ?
Mes lèvres s’entrouvrirent lentement, prêtes à laisser s’échapper la vérité, mais je croisai alors le regard de Jeanne. La pitié.
C’était ce qu’elle attendait de moi.
Je me rétractai donc, considérant le silence comme ma meilleure option.
J’enlaçai mon père, cette fois-ci pour la toute dernière fois, et sentis une horrible douleur me tordre le ventre. Une fois que notre étreinte chaleureuse se dissipa, il posa sa main au-dessus de ma poitrine et me réconforta :
“Je serai là, et je veillerai sur toi. Jusqu’à la fin des temps. Je t’aime.” Il déposa un baiser sur mon front, et une larme, qui n’était pas mienne, coula sur mon visage, aussitôt déformé par la douleur.
Parce que nous savions.
Nous savions que ceci marquait notre toute dernière étreinte.
Nous savions que tout s’arrêtait là. Qu’il n’y avait aucune autre issue.
Nous quittâmes le petit banc ensemble, main dans la main. Bien trop tôt, le moment arriva de nous séparer. Nos doigts encore entrelacés se délièrent lentement, contre notre volonté : je refusais de le lâcher, et j’étais persuadée qu’il voulait lui aussi s’accrocher à moi. S’accrocher à la vie qu’il était sur le point de perdre. Une fois ce contact rompu, nous serions divisés pour l’éternité. Dans la mort comme dans la vie. J’étais certaine que nous craignions tous les deux notre avenir, si différents soient-ils.
Ma main retomba le long de mon corps malgré toutes mes réticences, sans que je sache si ce fut sous le coup de la raison ou sous ceux des gardes.
L’air semblait s’être alourdi autour de moi, et je me sentais étouffée par un amas d’émotions. Tout se confondait dans mon esprit, et pourtant, tout était si vide. Comme un champ de bataille après la guerre.
Son corps, décapité, gisait sur le sol au milieu d’une foule qui commençait à s’éclipser. Pour eux, cette mauvaise aventure serait vite de l’histoire ancienne. Une banalité bien triste, certes, mais toujours un simple fait divers. La douleur qui pesait sur moi, elle, était loin de s’atténuer. Au contraire, elle semblait prendre de plus en plus d’ampleur, comblant le vide qui se creusait au plus profond de moi.
Après un regard vers le ciel, je promis :
“Tu seras fier de moi, Papa.
Mes yeux revinrent sur son cadavre, cette réalité-là étant bien pire, et je murmurai encore :
— Pourquoi ?”
Le soleil était encore haut dans le ciel, et la chaleur irradiait mon corps, si bien que le sang qui coulait dans mes veines menaçait de s’évaporer. Le marché de Daahshi regorgeait de monde par cette écrasante après-midi.
Au milieu de cette foule immense, l'odeur de sueur devenait, minute après minute, omniprésente. Toutefois l’heure n’était pas aux plaintes, qu’il s’agisse de cette senteur désagréable ou des cris des commerçants, vantant fièrement leurs produits, tous meilleurs et plus efficaces que ceux de leurs voisins.
Alors que la plupart des gens autour de moi se pressaient de passer d'un étal à un autre à la recherche d’une offre alléchante, ma démarche était plus lente et mes sens à l'affût d'un objet spécial dont je ne savais encore rien.
Les marchés itinérants comme celui-ci en dissimulaient toujours. J'étais assurément déjà passée à côté d'un bon nombre d'entre eux sans même m'en rendre compte. Tandis que les biens d'un homme trapu captivaient mon attention, un enfant me bouscula.
J’agrippai machinalement son avant-bras, avant de tirer sans ménagement son corps frêle vers moi, ne connaissant que trop bien de tels garnements. Ses cheveux pleins de terre et emmêlés, ses vêtements troués et son regard perdu confirmaient tristement ce que je pensais déjà.
“Sois gentil… Rends-moi ce que tu m'as volé, déclarai-je avec fermeté.
Le concerné baissa les yeux au sol, désemparé et honteux de s'être fait surprendre, tout en bafouillant :
— J'ai… j’ai rien fait M’dame ! J'vous l'jure ! Me faites pas d’ennuis, j’vous en supplie.
Son niveau de langage était aussi déplorable que son apparence.
Une pointe d’attendrissement et de compassion naquit en moi :
ma fortune était à peine plus importante que la sienne, cependant j’avais reçu une éducation plus que correcte. De même, mes parents avaient pu subvenir à mes besoins pendant mon enfance.
Cependant, m’occuper de moi-même devenait de plus en plus difficile. Qu’aurais-je pu faire pour lui ?
Ma main droite força son menton à se redresser pour qu'il me regarde enfin dans les yeux.
— Ne jure pas quelque chose de faux.
Il hocha vivement la tête. Je continuai :
— Je te laisserai partir si tu me rends ce que tu m'as pris.
Il me tendit timidement sa main presque squelettique, dans laquelle se trouvait une maigre bourse. Toutes mes économies étaient là, juste sous mes yeux fatigués.
La silhouette famélique du jeune garçon ne me laissait pourtant pas indifférente. J'étais sur le point de récupérer mon argent, mais il s’écria :
— Pensez pas que j'suis mauvais, hein, M'dame. C'est pour mon père… Il est très malade, et on n'a pas assez pour payer l’médecin.
Un soupir franchit mes lèvres, n'ayant aucune idée de la véracité des propos qui sortaient de la bouche d’un détrousseur. Ma confiance ne s’obtenait et ne s’obtiendrait jamais avec une telle facilité.
Toutefois, à en juger par sa tenue dépenaillée et par la crasse sur son visage, une chose était certaine : il avait plus besoin que moi de cet argent. Sans réfléchir une minute de plus, je refermai sa petite main sur tout ce qu’il restait de ma fortune et dis :
— Utilise cela pour soigner ton père.
Le bref “merci” qu’il me lança se mua en un cri de joie, et il vint bientôt se blottir dans mes bras.
Il était, à vue d'œil, âgé d’une dizaine d’années à peine. Ceci expliquait son manque de pudeur.
Peu habituée à de telles démonstrations d'affection, je le repoussai et le mis en garde :
— Si je te surprends encore à voler, je te dénoncerai sans hésitation. C'est bien clair ?
Il acquiesça avec vivacité et je repris :
— Essaie de trouver du travail le temps que ton père guérisse… j'ai entendu dire que la veuve Anabelle de Naatran cherchait quelqu'un pour s'occuper de son jardin. Elle est riche et le salaire sera sûrement intéressant. Va-t’en maintenant.”
Il ne se le fit pas dire deux fois et détala à travers la foule.
Je m'apprêtais à repartir pour continuer mes recherches, quand j'aperçus un objet brillant à mes pieds, juste à l'endroit où le petit s’était tenu. Je me baissai pour le ramasser, et sa nature me surprit beaucoup : une bague en or, un simple anneau, sans aucun ornement. Malgré sa simplicité et son aspect banal, elle portait en elle quelque chose d'extrêmement particulier. Une force invisible semblait en émaner. Passer l’anneau à mon doigt ne fit que confirmer cette impression.
Je le retirai aussitôt, de peur qu’il ne soit l’un de ces bijoux capables d’aspirer l'énergie magique de son porteur. Après quelques instants à le détailler du regard, il parut plus sage de le glisser dans l’une des poches de ma robe.
Il était étrange qu'un tel objet se retrouve en la possession d’un enfant, surtout lorsque ce dernier vivait dans la pauvreté. Peut-être l'avait-il volé à une personne plus riche ou à un puissant sorcier. Cette possibilité était sans doute la plus plausible.
Cependant, même s’il n’en était pas le véritable propriétaire, il était de mon devoir de lui rendre la bague.
Je regardai autour de moi, espérant vainement le trouver parmi les gens qui m'entouraient. C’était peine perdue : il avait disparu et devait être loin désormais. Quand il se rendrait compte qu'il l'avait égarée, il essaierait peut-être de me retrouver. J’aurais alors une chance de le croiser.
En attendant ce moment, l’objet resterait près de moi.
Après avoir fait un tour inutile du marché, je n'avais rien d'autre que la bague du petit voleur. Les marchands maîtrisaient de mieux en mieux l'art de la discrétion et de la dissimulation. Cela me rendait la tâche plus difficile, et gagner ma vie devenait presque impossible.
Le creux dans mon estomac se manifesta soudainement, et même si je m’y étais habituée depuis longtemps, la sensation de faim n’en était pas moins désagréable.
Ce fut à ce moment précis que je commençai à regretter la générosité dont j'avais fait preuve : mes réserves de nourriture seraient bientôt aussi vides que mon ventre, et je n’avais plus de quoi m'acheter quoi que ce soit.
J'ouvris la porte grinçante d'une vieille boutique et l’habituel tintement retentit dans le magasin miteux. La poussière qui se glissait dans mes narines à chaque inspiration menaçait de me faire éternuer. Comment peut-il passer ses journées là ? me demandai-je en silence.
Le vieillard apparut alors par la porte de l'arrière-boutique et s'écria de sa voix cassée :
“Alice ! Quel plaisir de te revoir !
— Moi de même, répondis-je davantage par courtoisie que par honnêteté.
Autrefois, je me rendais ici quotidiennement. Maintenant que les affaires étaient moins bonnes, mes visites se faisaient de plus en plus rares.
Il me fit signe de le suivre dans la partie des lieux qui lui était réservée. Celle-ci se réduisait à une petite pièce, et se trouvait dans un état plus désastreux encore que le reste du magasin.
L'éclairage me permettait à peine de distinguer mes propres pieds, et pour cause, il n'y avait qu'une minuscule fenêtre par laquelle un halo de lumière entrait timidement. Le vieil homme me pressa en disant :
— Montre-moi ce que tu as déniché aujourd'hui !
Je sortis la bague de ma poche et la posai sur la table en bois qui se dressait entre nous. Sans plus attendre, il s'empara de l'objet et le regarda avec attention. Je le questionnai, intriguée :
— Connais-tu les propriétés de cet anneau ?
Il se mit immédiatement en quête d’une réponse dans ses livres anciens.
Je m'étais toujours interrogée sur lui et sur ce qu'il avait bien pu faire avant de s'installer ici. Le vieux Sam — c’était ainsi qu’il aimait se faire appeler — ressemblait de loin à un banal trafiquant d’objets magiques. Pourtant, il possédait de nombreux ouvrages mythiques et ses connaissances en la matière étaient intarissables.
Il ne mit pas longtemps à revenir vers moi, un épais grimoire sous le bras. Il le posa sur la table, qui émit un faible craquement.
Il ne sembla pas s'en soucier et feuilleta le livre, jusqu'à s'arrêter à une certaine page. La page.
— Cette bague est très puissante, tu sais, déclara-t-il d’un air solennel. Elle peut rendre à son porteur ce qu'il a perdu.
Je relevai les yeux vers lui, et demandai :
— Alors elle peut ramener… n'importe quoi ?
— N'importe quoi, Alice. Pas n'importe qui.
Il m’adressa un regard éloquent. Il avait vu clair en moi, et c'était assez déplaisant… Tout comme le fait qu'il sache pour mon père.
Je n'avais jamais réussi à savoir par quel moyen il l'avait appris, mais cela faisait longtemps qu’il était au courant.
— Combien me la vends-tu ?
— Je ne la vends pas, rétorquai-je.
Son visage fut déformé de stupéfaction, trahissant l’un de ses points faibles : il était incapable de masquer ses émotions. Il balbutia :
— Mais… Enfin… Pourquoi cela ?
— Il faut que je la rende à son propriétaire.
Je tendis ma paume ouverte, attendant patiemment qu'il l'y pose.
— Maintenant”, ajoutai-je.
Cependant, Sam ne paraissait pas enclin à me redonner l'anneau, et il pouvait être quelqu'un de très têtu quand il avait décidé d'une chose.
Je m’apprêtais à insister, lorsque quelqu'un entra dans la boutique. Je reconnus ce nouvel arrivant avant même d'avoir entendu le son de sa voix grave. Sans prendre la peine de me retourner vers lui pour l'accueillir, je lançai d’un ton faussement enthousiaste :
“Martin ! Quel bon vent t'amène ?
Il se posta derrière moi et posa sur mon épaule une main dont je me débarrassai aussitôt. Lui et moi n'avions jamais été de réels amis, sans nul doute parce que j’avais rapidement deviné ses intentions à mon égard. Il répondit :
— Les affaires, ma belle, comme toujours.
Nous ne nous étions jamais vus en dehors du "travail", ce qui rendait toutes nos rencontres occasionnelles. Je n’avais pas le moindre mal à apprécier cet aspect de notre relation. Il jeta un coup d'œil au livre ouvert et me questionna d'un ton mauvais :
— Tu espères qu'il te ramènera quoi ?
Je le gratifiai d’un regard noir avant de répliquer froidement :
— Absolument rien.
Si cet objet ne pouvait pas me ramener mon père, il ne m'était d'aucune utilité.
Il eut un petit rire cynique et dit :
— Qui sait… il te rendra peut-être ton cœur.
Ce n’était pas le premier à penser que j’en étais dépourvue. En réalité, j'en avais certainement davantage que ces deux hommes réunis.
Il ajouta alors :
— Oh, c'est vrai, excuse-moi : il ne peut pas te rendre quelque chose que tu n'as jamais eu.
Je ravalai silencieusement des injures, mécontente de ne pas pouvoir lui donner la leçon qu’il méritait depuis de nombreuses années.
Afin d’oublier cette remarque désagréable, je revins vers Sam.
— Puis-je récupérer ma bague ?
Ma requête fit sourire les deux hommes, ce qui appesantit ma colère. Le comportement de Martin n'avait rien de surprenant. Je l’avais toujours considéré comme un imbécile.
Il était impossible d’en dire autant du vieux Sam, qui inspirait parfois un profond respect.
Je voulus lever les yeux au ciel, mais ce fut sur le haut des étagères du marchand que mon regard se figea. Une coupe en argent que j'avais déjà vue quelque part y était posée. Je la revoyais parfaitement dans mon esprit, elle était tout à fait similaire, en dehors du fait qu'elle était désormais recouverte de poussière. Je fronçai les sourcils et demandai, oubliant la bague pendant un moment :
— D'où vient cette coupe, là-haut ?
Le teint du vieillard qui était naturellement pâle devint livide et il bégaya quelques mots dénués de sens.
— Puis-je la voir de plus près ?” insistai-je.
Il refusa, prétextant qu'elle était très ancienne et bien trop précieuse pour être touchée par n'importe qui. Je voulus réitérer ma demande, mais la cloche de la boutique sonna. Je fronçai les sourcils.
Cette fois-ci, je n'avais aucune idée de qui cela pouvait bien être.
Je n'avais jamais croisé personne d'autre chez le vieux Sam, pour la simple et bonne raison que ses articles étaient aussi coûteux que dangereux. La plupart des clients étaient des adeptes de la plus sombre magie qui existait, ou bien tout simplement, des personnes totalement désespérées. Ces gens ne venaient jamais aux mêmes heures que moi, préférant sans doute éviter de se montrer dans la journée. Sam fut le premier à se diriger vers les nouveaux arrivants, et après un regard, Martin et moi nous lançâmes à sa suite, animés d’une même curiosité.
Un homme et une femme se tenaient dans le magasin, bouche-bée face à la quantité d'objets en tout genre qui se trouvaient partout autour d'eux. Rien qu'en les observant quelques instants, je compris deux choses : ils ne connaissaient absolument rien à la magie. Ensuite, ils étaient issus de la noblesse. Leurs visages purs et bienveillants sortaient du décor, et je m'interrogeais donc sur la raison de leur venue dans un tel endroit. Le vieux Sam demanda avec gentillesse :
“Bonjour Monsieur ! Que souhaitez-vous ?
Je ne pus m'empêcher de remarquer qu'il ne s'était pas adressé à la jeune femme qui accompagnait l'homme.
— Nous cherchons Alice Morìn, déclara le noble. On nous a dit qu'elle serait sans doute ici.
— Qui vous a dit cela ? m’empressai-je de le questionner avec plus de froideur que je ne l'aurais voulu.
Peu de gens étaient au courant que je travaillais pour Sam. Il était dans mon intérêt de garder cette activité secrète.
— Sa mère nous en a informé.
Je lâchai un léger soupir. Évidemment. Cela faisait plus d'un an qu’elle ne m’avait pas donné le moindre signe de vie, mais maintenant que j'étais demandée par deux riches voyageurs, elle revenait comme une fleur. Je la reconnaissais bien là. Le jeune homme demanda une seconde fois :
— Savez-vous où est Alice ?
J’esquissai une révérence ironique et répondis :
— C'est moi.
Comme je m'y attendais, il parut surpris, comme toutes les rares personnes qui avaient découvert mon identité. Alice Morìn, la fille de la fameuse Victoria Morìn.
La Alice qu'il s'était imaginée en venant ici ne devait pas me correspondre : je n'avais de ma mère ni le physique, ni le caractère. C'était ma sœur aînée, Constance, qui avait hérité de tout cela. Elle était un sosie parfait de celle qui nous avait toutes les deux mises au monde. Aux yeux de notre mère, elle était la fille idéale.
Elle avait rencontré beaucoup de succès dans tout ce qu'elle avait entrepris, et elle avait désormais sa place à la cour du roi. Partout où elle allait, les compliments sur son intelligence et son physique absolument remarquables fusaient.
Ma beauté était moindre que la leur, et je n'avais jamais rien accompli de bien aux yeux de ma mère. Du moins, rien de suffisant pour mériter d’être considérée comme son enfant, ce qu’elle n’avait pas manqué de me faire comprendre.
— Je suis Gabriel, et voici Alienor. Nous avons besoin de ton aide, déclama le jeune homme, me tirant de mes réflexions.
— À quel sujet ?
Il jeta un œil à Sam et Martin et déclara d’un air gêné :
— Nous devrions parler de tout cela chez toi. À l'abri des oreilles indiscrètes.
Sam fronça les sourcils, mais ne releva pas. Le dénommé Gabriel avait eu raison de ne rien dévoiler de plus, ou bien le village entier aurait été au courant. Je dis à l'intention du jeune homme :
— Laissez-moi régler un léger malentendu avant de partir.
Il hocha la tête et je me tournai vers Sam.
— Ma bague.”
Il la serrait toujours dans sa main certainement moite, pourtant cette fois-ci, il me la donna sans rechigner. Je le remerciai en feignant un sourire, puis fis signe aux deux étrangers de me suivre, laissant Martin et le vieillard derrière nous.
Ce ne fut qu'au moment où nous arrivâmes chez moi que je me rendis compte à quel point il s’était écoulé une éternité sans que je ne reçoive personne.
Il y avait bien Morgane qui était venue quelques mois plus tôt, mais elle n’aurait pu être qualifiée d’invitée. Sans oublier que je n'avais pas le droit de parler de ses visites à autrui : c'était notre secret. Si quiconque venait à le découvrir, elle risquait d'être punie par l'académie, dont elle faisait partie.
Cette institution ne plaisantait pas avec les règles qu'elle imposait sans distinction à ses élèves et à ses professeurs. Avec eux, il fallait donc choisir entre la connaissance et la liberté, mais grâce à Morgane, j'avais pu me défaire de cette loi stupide.
Cette femme aurait dû être ma professeure là-bas. Cependant, comme je n’y avais mis les pieds qu’une seule et unique fois, c’était elle qui était venue à moi.
Cela faisait quelque temps qu’elle ne m’avait pas donné de nouvelles. La dernière fois que nous nous étions vues, elle m'avait simplement avoué qu'elle allait être occupée un long moment, sans préciser pour quelles raisons, ni la date à laquelle je pourrais espérer la revoir. Entre elle et moi, il y avait de nombreux mystères. Pourtant, elle était sans nul doute la seule personne que j'appréciais encore.
Le lien qui nous unissait ne se résumait pas à de l’amitié, il était différent de tout ce que je connaissais.
La réalité s’imposa à moi : il fallait accueillir ces deux étrangers. Comme ils auraient été déçus par l’intérieur de la cabane, je les fis s’asseoir sur le banc qui trônait devant.
Voulaient-ils boire ou manger ?
Pour Gabriel, ce fut un simple verre d’eau. La jeune femme, quant à elle, me demanda un thé à la menthe, sucré évidemment.
Je n'étais pas certaine d'avoir encore beaucoup de sucre, mais en ce qui concernait les feuilles, j'en avais à profusion. Une fois à l’intérieur, je fis bouillir l'eau à l'aide de mes pouvoirs. Il ne restait qu’un maigre fond du précieux contenu de la sucrière, que je versai à contrecœur dans la tasse avant de les rejoindre dehors.
Elle déclara d'un ton qui me parut hautain :
“Nous ne sommes pas ici pour le plaisir, alors venons-en au fait.
Je plaçai sèchement sa boisson entre ses mains délicates, sans me soucier du risque de brûlure auquel cela l’exposait.
Un certain malaise se propagea alors dans mon ventre, peut-être causé par cette compagnie qui m’était étrangère. Ou bien seulement par la faim, revenue me tirailler l'estomac. Pour essayer de penser à autre chose, je demandai :
— Pourrais-je en apprendre un peu plus sur vous ?
Ils échangèrent un coup d'œil complice, et ce fut finalement le jeune homme qui prit la parole.
— Gabriel de Daemrys, pour vous servir… Je l’interrompis aussitôt.
— Si tu es… Si vous êtes un Daemrys, alors tu… Vous… — Je suis le neveu du roi, acheva-t-il à ma place.
— Et je suis Alienor Durand, sa plus fidèle amie.
Ce fut comme si ces derniers mots n’avaient jamais existé, tant j'étais abasourdie par la déclaration que Gabriel de Daemrys venait de faire. Le neveu du roi. Chez moi. C’était tout bonnement impossible.
Comment devais-je me comporter maintenant que je connaissais sa situation ?
Il aurait été incorrect de laisser paraître ma surprise, aussi, je fus forcée de me reprendre.
— Pourquoi avez-vous besoin de mon aide ? Vous êtes un homme puissant, je ne suis qu'une sorcière.
Pauvre, qui plus est, pensai-je avec sarcasme.
— Et tu as donc des pouvoirs que je n'ai pas, Alice Morìn.
— Exact, admis-je. Mais cela ne répond pas à ma question : que me voulez-vous ?
Il échangea un autre regard avec Alienor puis déclara d'un air solennel :
— Non loin d'ici, des créatures sont nées. Nous ne savons pas tout à fait ce qu'elles sont, si ce n'est une très grande menace pour nous tous. Humains comme sorciers.
Je haussai les sourcils, surprise de ne pas en avoir entendu parler alors que cela était arrivé dans la région. Moi qui traînais dans les marchés, cette information aurait dû venir d'elle-même jusqu'à mes oreilles.
— Qu'est-ce qui vous fait dire qu'elles sont si dangereuses ?
Il prit un air plus grave et répondit :
— Nous avons envoyé cinq de nos meilleurs soldats et l'apprenti sorcier de votre sœur, Constance. Aucun n'est revenu.
Le fait que ma sœur ait eu un élève avait échappé à ma connaissance, mais si elle avait été sa professeure, il avait dû être incontestablement puissant et fort bien instruit. Même si notre relation s’était fortement détériorée, je me devais de le reconnaître : elle avait beaucoup de talent. Je tachai de ne plus y songer et répliquai avec sarcasme :
— Peut-être vos hommes n'étaient-ils pas si bons que vous le pensiez.
— Mon cousin en faisait partie…, s'offusqua Alienor, l’air blessée.
Justement. Je gardai mes mauvaises réflexions pour moi et me contentai de ne rien dire.
Gabriel passa un bras autour de la petite bourgeoise pour la réconforter et elle lui lança un sourire timide. Que pouvaient-ils bien être l’un pour l’autre ? Afin d’éviter que ce moment si attendrissant ne s’éternise, je les confrontai :
— Si vos hommes n'ont pas réussi à les tuer, pourquoi y parviendrions-nous ?
— Tu es une sorcière talentueuse Alice. C'est ce que ta sœur a dit.
Il était étonnant qu'elle ait dit une telle chose sur moi. Qu'avait-elle à y gagner ?
— Alienor est une archère inégalable, et je suis un assez bon combattant. Nous pouvons le faire.
Il s’avérait être bien trop confiant quant à nos chances de réussir, si bien que cela sonnait presque comme de l’arrogance à mes oreilles.
— Nous voulons anéantir cette nouvelle espèce avant qu'elle ne soit complètement hors de contrôle. Et nous avons besoin de ta magie.
Je ris nerveusement.
— Pourquoi moi ? Il y a de nombreux sorciers.
— L'académie a refusé d'intervenir après la mort de l'élève de ta sœur, et la plupart des grands sorciers lui appartiennent. Mais toi, tu es la seule sorcière vraiment douée qui ne soit pas des leurs et qui a pourtant bien tourné.
Il n’avait pas tort. La majeure partie des sorciers qui, comme moi, n'avaient pas bénéficié des cours de l'académie devenaient insignifiants. Je l'étais peut-être un peu devenue moi aussi en choisissant de vivre ainsi, mais même si j'étais invisible, je restais bien plus puissante qu'un bon nombre de mes semblables.
Sans oublier que les leçons de Morgane m'avaient beaucoup aidée à m'améliorer et à demeurer sur le droit chemin.
— Alors qu'en dis-tu ?
Partir à la chasse aux monstres n’était pas mon passe-temps favori, sans compter que pour certains, j’en étais moi-même un.
Je répondis à sa question par une autre interrogation :
— Que gagnerai-je en vous aidant ?
Le jeune homme haussa les épaules et rétorqua :
— Tu deviendras quelqu'un d'important. C'est une occasion que tu n'auras pas deux fois.
Cette phrase ne m'était pas étrangère, je l'avais déjà entendu quelques années auparavant, et il fallait reconnaître une chose :
j'avais énormément regretté d'avoir laissé une telle opportunité filer entre mes mains. Étais-je vraiment prête à refaire la même erreur ? Il reprit :
— Si tu acceptes de venir, tu sauveras bien des vies. C'est une bonne manière de montrer que les sorciers ont parfois bon cœur.
— Je n'ai rien à prouver, répliquai-je sèchement.
Son regard prononça des excuses muettes. Je ne savais pas d'où venait l'idée que les détenteurs de pouvoirs étaient tous de mauvaises personnes alors que la plupart aidaient au contraire les humains. Il y en avait évidemment quelques-uns qui empruntaient un chemin plus sombre, mais ce n'était pas lié à la magie qu'il y avait en eux. Je connaissais de simples humains bien plus malveillants que nous, les sorciers. Je laissai s'échapper un léger soupir et dis :
— Dois-je vous donner ma réponse de suite ?
Il hocha la tête.
— C'est une mission des plus importantes, et le temps presse.
Nous repartirons demain matin, avec ou sans toi. Tu as jusqu'à notre départ pour te décider.
Il marqua une courte pause, puis déclara avec sérieux :
— Il faut que tu saches qu’il y a de grands risques que tu ne survives pas.
Je souris légèrement, le goût du risque n'étant pas ce qui me manquait.
— Survivre est une chose que je fais très bien. Et quand bien même je périrais, ne t’en fais pas, je ne manquerais pas à grand monde.
Le pire était bien évidemment que ceci était vrai, et la réciproque également. Mon cœur était aride, vide, et atrocement seul. Je n’avais donc tristement pas d’inquiétude pour ma propre vie.
Cependant, accepter de les aider était synonyme de changement.
Cette perspective me faisait peur.
Heureusement, il me restait quelques heures avant de leur annoncer ma décision.
— Où comptez-vous passer la nuit ?
— Il y a bien des auberges au village, non ?
Je lançai un coup d'œil à Alienor, remarquant son ton suffisant.
C'était mal connaître la région que de croire qu'il était possible de dormir sur ses deux oreilles dans une des nombreuses tavernes de Daahshi, toutes aussi mal famées les unes que les autres.
— Il y a énormément de brigands et de voleurs par ici. Pour des personnes nobles comme vous, il serait dangereux d'aller là-bas.
Passez plutôt la nuit ici.
La jeune femme croisa malencontreusement mon regard et je pus y lire toute la méfiance qu’elle éprouvait à mon égard. Il était plutôt facile de deviner que la magie ne lui était guère familière et qu'elle la craignait. Elle avait probablement peur que je les ensorcelle pendant leur sommeil. Or, je n'étais ni lâche, ni mauvaise.
— Vous pouvez me faire confiance, dis-je, particulièrement à son intention.
Son attitude demeura inchangée, et elle ne semblait pas décidée à voir autre chose en moi qu'une méchante sorcière. J'ajoutai :
— Peut-être travaillerons-nous ensemble. Pourquoi venir quérir mon aide si vous faites preuve d'autant de réticence à mon égard ?
La tension était palpable, mais par chance, Gabriel prit la parole pour calmer le jeu.
— Nous acceptons ton invitation avec plaisir. N'est-ce pas, Alienor ?” Celle-ci grommela un "oui" contraint qui n’avait rien de convaincant, mais j'allais m'en contenter. Gabriel quant à lui m'inspirait plus de sympathie que son amie, aussi belle que désagréable.
Au moins, j'étais certaine qu'elle ne risquait pas de faire partie du peu de personnes que j'appréciais.
Après leur longue route, mes deux hôtes avaient besoin de repos, mais essentiellement d’un bain. Toutefois, lorsque je les conduisis à la vieille cuve en bois qui me servait occasionnellement de baignoire, ils semblèrent étonnés. Le confort qui me suffisait ne devait pas être à leur hauteur, et à vrai dire, cela ne pouvait être retenu contre eux.
“A la belle saison, je préfère le lac… Mais pour vous qui avez parcouru un grand chemin et avez amplement profité de baignades dans des petits cours d’eau, je suppose que cela vous conviendra mieux.
Le neveu du roi hocha la tête tandis que le regard blême de la petite bourgeoise resta figé sur le baquet.
— Je vais aller vous chercher de l’eau.
Sans attendre, je m’emparai des deux seaux qui se trouvaient là.
Alors que j’allais franchir la porte, le bras de Gabriel m’entrava le passage.
— Je vais t’accompagner.
En guise de réponse, je lui tendis l’un des récipients.
— Alienor, tu devrais en profiter pour te détendre un peu.”
Je marchais devant, montrant ainsi au jeune homme l’itinéraire à suivre jusqu’au lac. Il faudrait l’arpenter à plusieurs reprises pour entièrement remplir la cuve. D’abord, nous n’échangeâmes aucun mot, et j'interprétai son silence comme un signe de notre rencontre récente. Cependant, au regard de son air las, ce pouvait tout aussi bien être la fatigue.
“Avez-vous fait bonne route jusqu’ici ?
Il hocha la tête.
— Il n’y a pas eu de rencontre désagréable… jusqu’à aujourd’hui.
Notre marche s’arrêta net.
— Insinueriez-vous que je sois cette mauvaise rencontre ?
— Ne sois pas si imbue de toi-même, Alice, répliqua-t-il avec une mine amusée. Je songeais plutôt à ces deux hommes pour lesquels tu travailles… Mais maintenant que tu mets le doigt dessus, il est vrai que tu m’as l’air d’être une horrible rencontre.
Un léger sourire illumina mon visage. Cela faisait longtemps que je n’avais pas plaisanté ainsi avec quelqu’un.
— Vous me vexeriez presque, votre altesse. D’ailleurs, je dois vous corriger : je travaille pour le compte du vieux Sam, mais je n’ai aucun ordre à recevoir du plus jeune.
Il acquiesça.
— Alors c’est un ami ? Un amant ?
Je soufflai nerveusement.
— Ni l’un, ni l’autre. Une connaissance.
Nous continuâmes à échanger quelques banalités. Son château ne lui manquait pas encore et ce voyage, aux motivations pourtant sombres, lui était des plus agréables. Les choses se compliqueraient certainement par la suite, mais pour l’instant il redoutait le moment où il faudrait rentrer : ses parents étaient de plus en plus enclins à lui trouver une épouse.
Arrivés au point d’eau, il défit ses chaussures pour y tremper ses pieds abîmés.
— Votre amie va se languir de votre absence.
Il s’étira et marmonna quelques mots que son bâillement rendit incompréhensibles.
Je m’assis donc à ses côtés, à une distance raisonnable. Jouant avec les cailloux qui bordaient le lac, une question s’imposa encore à moi.
— Pourquoi croyez-vous que nous pourrions mettre ces créatures en déroute à nous trois ?
— Parce que je ne doute pas de notre talent, ni de notre courage.
De plus, cette mission, contrairement à la précédente, n’est connue de personne : nous bénéficierons d’un relatif effet de surprise. Enfin, nous n’avons pas le choix : l’académie refuse d’intervenir car elle ne juge pas cette menace assez grande pour justifier la mort d’aucun de ses membres, quant à la couronne, elle ne donnera l’ordre d’intervenir que si nous parvenons à prouver qu’il y a un réel danger. Sans compter qu’une armée déplacée à la frontière pourrait alerter le royaume voisin et engendrer une déclaration de guerre.
— Vous voulez dire que personne ne prend ces créatures au sérieux ?
Seul son dernier argument pacifiste sonnait juste.
— Disons qu’ils croient tous que d’autres s’en chargeront ou qu’ils pourront régler cela plus tard. Ils n’ignorent pas que la menace est réelle, mais ils sont… si inactifs. Moi, je crois que si nous attendons, nous serons dépassés.
Il paraissait sage et intelligent, tandis que les dirigeants me semblaient inconscients. Toutefois, comme je ne savais rien des créatures, peut-être se trompait-il.
— Mieux vaut prévenir que guérir, c’est pourquoi j’ai demandé à mon oncle de me laisser m’assurer de tout ceci par moi-même.
Si cela ne nécessitait pas l’attention que j’y ai porté, j’aurais fait un beau voyage. Autrement, on nous remerciera de nous en être occupé.
Son opinion de la situation, empreinte d’optimisme, me fit sourire, tout comme un autre détail.
— Votre choix de compagnie est surprenant. Deux femmes, aucun homme. Ne sont-ils pas supposés mieux se battre ?
Il me dévisagea en plissant les yeux.
— Les qualités des femmes ne se réduisent pas à la maternité ou aux tâches domestiques. Alienor est ma meilleure amie, et elle est la seule à avoir répondu assez vite à mon appel. Quant à toi, eh bien, j’espère ne pas faire erreur.
Ce Gabriel était de toute évidence une personne intéressante. Je tournai mon regard vers le soleil couchant et répondis :
— Nous verrons…”.
L’heure du dîner était arrivée à une vitesse folle. Je servis une bonne quantité de soupe dans l'assiette de chacun, garnissant un peu plus celles de mes deux invités, puis je m'installai avec eux.
“Bon appétit, nous souhaita Gabriel, un sourire aux lèvres.
La fumée vint doucement jusqu'à mes narines, et je ne pus m'empêcher d'esquisser une moue heureuse. Cette odeur alléchante me ramenait dans le passé, à l’époque où mon père nous préparait de délicieux repas. Quand il n'était pas mort.
Je me sentis criblée de coups. La douleur qui m'avait déjà tellement blessée des années plus tôt n'avait pas disparu même si le temps, lui, avait filé. Ma gorge se noua, et je me retrouvai face à la guillotine. Je vis encore une fois le regard de mon père avant qu'il ne meure.
Me rappelant la présence des deux inconnus, je fis en sorte de me ressaisir, rapidement, comme à mon habitude. Cohabiter avec cette souffrance était peu à peu devenu une seconde nature.
Je remarquai alors que la jeune femme avait déjà terminé son repas alors que le mien demeurait intact. Elle me demanda d'un air supérieur :
— Que mangeons-nous ensuite ?
Je me forçai à sourire avant de la décevoir :
— C'est tout.
Comme j’aurais pu m’y attendre, elle prit un air indigné et répéta :
— C’est tout ?
La politesse des nobles frôlait parfois l'hypocrisie, ce qui me déplaisait fortement. Alienor appartenait de toute évidence à l'autre extrême. Je lui répondis en essayant de garder mon sang froid :
— Je sais que c'est très peu. J'aurais prévu plus si j'avais su que j'aurais de la compagnie.
Et si je n'avais pas donné mon argent à un voleur.
Elle demanda alors, l'air intriguée :
— Si tes pouvoirs sont si grands, pourquoi te contenter de si peu ?
Je poussai un bref soupir, comme pour souligner l’idiotie de sa question. Elle était pourtant légitime.
— Le peu que j’ai me convient parfaitement… Mais cela échappe sûrement à quelqu’un qui a toujours baigné dans le luxe.
Elle ne répliqua pas et sortit de la maison en déclarant qu'elle avait besoin d'air pour digérer. Je renonçai sans aucun scrupule à la mettre en garde contre les bandits ou les animaux sauvages qui rôdaient dans les parages.
Le jeune homme, quant à lui, garda le silence jusqu'à la fin du repas. Je me levai sans même avoir touché à mon assiette et commençai à ramasser les couverts pour alléger cette atmosphère devenue pesante, mais il me les prit des mains en disant :
— Je m'en occupe. Tu as déjà préparé le repas.
Je ne pus me retenir de répliquer d’un ton sarcastique :
— Votre altesse saurait-elle laver la vaisselle ?
Il me dévisagea avec un semblant de colère qui n’allait pas à son visage doux.
— Je ne te juge pas sur ta condition de sorcière… Je n’en attends pas moins de toi.
Je me sentis stupide d'avoir parlé sans réfléchir, comme souvent d'ailleurs. Tandis que mon regard prit la fuite, il s'occupa de laver les plats dans ma vieille bassine. Il n'avait pas l'air dépaysé, et je ne savais pas vraiment ce qui me surprenait le plus :
l'impolitesse de la jeune femme, ou la débrouillardise du neveu du roi. La tâche qu’il accomplissait était habituellement réservée aux gens du peuple, et pour beaucoup, c'était s'abaisser à notre niveau que de faire cela. Comme si être de ma classe sociale était une honte. Visiblement, cette vision de la plèbe n’était pas partagée par Gabriel.
Je pris mon vieux torchon blanc pour essuyer la vaisselle, ce morceau de tissu étant l’une des seules choses que j'avais pu garder en partant d'Eawern, ma ville natale, quelques années plus tôt. On aurait pu rêver mieux comme souvenir, mais c'était à peu près tout ce qu'il me restait de ma vie d'avant.
Une fois la dernière cuillère propre et sèche, il se leva et déclara tout en me regardant droit dans les yeux :
— J'espère de tout cœur que tu vas te joindre à nous. Passe une bonne nuit, Alice.
Je restai plantée là, la gorge nouée, complètement déboussolée.
Passe une bonne nuit, Alice. Cette phrase résonnait dans mon esprit et devenait peu à peu l'un de mes souvenirs. Je ne connaissais qu'une seule autre personne qui m’ait dit cela, et elle me manquait plus que tout désormais. Je balbutiai :
— Je… Je vais réfléchir à votre proposition.
Je ne savais pas comment lui souhaiter de bien dormir. Devais-je utiliser son prénom ou l'appeler "votre altesse", comme il en avait sans doute l'habitude ? Dans la confusion, je lui souris simplement et dis :
— Reposez-vous bien.”
Il me remercia, puis sortit chercher Alienor qui n'était toujours pas revenue de sa petite promenade au clair de lune. J'espère qu'elle s'est fait attraper par un loup et qu'elle ne va pas revenir de sitôt. Je me surpris d'éprouver tant d'animosité envers quelqu'un que je ne connaissais à peine. Je détestais beaucoup de gens, mais j'avais une bonne raison pour tous. Dans le cas de la jeune femme, il n'y en avait aucune qui le justifiait.
Je jetai un œil à la salle à manger qui s'était transformée en chambre d'un soir. Ils avaient installé leurs paillasses sur le sol, à plus d’un mètre l'un de l'autre.
Je me retirai et fermai la porte de ma chambre derrière moi, poussant un long soupir en m’appuyant contre elle. Jamais je n'aurais pensé que cette journée sortirait tant de l'ordinaire.
Je pris ma brosse à cheveux afin de les démêler en douceur.
Après avoir enfilé une chemise de nuit, étouffée par la chaleur, j'entrouvris la fenêtre pour laisser entrer un peu d'air frais. Pour la première fois de toute la journée, respirer semblait enfin possible.
Pourtant, lorsque mon regard croisa son reflet dans le miroir, j’en eus le souffle coupé. Le poids de la solitude que je portais depuis longtemps maintenant s’imposait à moi. Je n'avais plus personne à qui me confier ou à qui demander conseil. Personne sur qui compter. Et cela me pesait encore plus cette nuit-là, où j'aurais apprécié pouvoir discuter de tout ce qui venait d'arriver avec quelqu'un et écouter un autre point de vue que le mien.
Accompagner deux étrangers dans une mission aussi mystérieuse que périlleuse n'était pas une décision à prendre à la légère, et je n'étais pas sûre qu’une poignée d’heures suffise.
Pourtant il allait bien falloir faire avec ce court laps de temps.
J'éteignis la chandelle qui éclairait faiblement ma chambre et me glissai sous les draps blancs.
Si je choisissais de rester chez moi, je m'assurerais une certaine sécurité, mais je risquais de me noyer dans la routine et la solitude si ma vie ne changeait pas.
En allant avec eux, je pourrais débuter un nouveau chapitre de ma vie et c'était l'occasion parfaite d’honorer la promesse faite à mon père avant sa mort. Si le royaume était sauvé grâce à moi, il aurait de quoi être fier. Je ne serais plus juste sa fille. Je serais une héroïne. Je serais celle que j'aurais dû être quatre ans auparavant, si je n'y avais pas renoncé.
J'entendis alors des voix provenant du dehors : sans doute Alienor et Gabriel, revenus pour dormir. Je me demandais pourquoi cela leur avait pris tant de temps, et commençai à imaginer les différentes possibilités. Peut-être qu'ils avaient passé ce long moment à échanger sur moi. Ou bien avaient-ils malencontreusement croisé une bête sauvage. Ils s'arrêtèrent juste devant ma fenêtre ouverte, et j’avais maintenant tout loisir d’écouter leur conversation. Je faillis me boucher les oreilles, craignant qu'ils n'aient choisi cet instant précis pour se déclarer leur amour.
Cependant, lorsque la jeune fille prononça mon prénom, je pris grand soin d'écouter attentivement ce qu'ils se disaient.
“Elle ne m'inspire pas confiance, Gab. J'ai un mauvais pressentiment.
Je haussai les sourcils, même si je n'étais ni surprise ni déçue de ses propos. Je n'avais aucune confiance en elle non plus, alors nous étions quittes.
— Elle n'a pas l'air d'être mauvaise, alors laisse-lui une chance.
Le ton de Gabriel était posé et calme, et transportait quelque chose de rassurant. Sa voix apaisante dissipait la tension qui m’habitait presque constamment.
Cela ne dura malheureusement pas, car Alienor s’exclama :
— On ne la connaît pas, Gab !
Après un instant, le jeune homme répliqua :
— C'est mon instinct, voilà tout.
Elle éclata d'un rire cynique et rétorqua :
— Et donc je devrais faire confiance à une inconnue simplement à cause d'une de tes intuitions ?” Il soupira et ils reprirent leur marche sans attendre. Peu après, je les entendis rentrer dans la cabane, et la colère m’envahit. Il m’était inconcevable de profiter de l’hospitalité de quelqu’un tout en le critiquant de la sorte.