Dan le sosie - Edgar Wallace - E-Book

Dan le sosie E-Book

Edgar Wallace

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Beschreibung

En Australie Mr Dempsi, étudiant en théologie, amoureux éconduit de Diane Ford, décide d'aller se perdre dans un territoire désertique où il est déclaré mort. Diane est une belle jeune fille de 16 ans au caractère bien trempé. Ayant hérité de sa tante Mrs Tetherby une fortune de 100 000 livres elle décide de partir pour l'Angleterre et de s'installer chez un cousin vieux garçon. Il fait partie de la bonne société, est très collé monté et très respectueux de la bonne morale. Il va se trouver emporté par le tourbillon du dynamisme de Diane. Mais dans l'ombre rôde un escroc international nommé Double Dan dont la spécialité consiste à se faire passer pour qui il veut, tant son habileté à prendre l'apparence des autres est grande. Et voilà que Dempsi réapparaît et entre en scène....

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Dan le sosie

Dan le sosieI. Une faible orpheline2. Mr Gordon Selsbury3. L’orpheline s’impose4. Diane s’installe5. Mr Julius Superbus, détective6. Le procédé de Double Dan7. Les hésitations de Gordon8. Trenter est dans le secret9. La future victime de Double Dan10. Le fiancé d’outre-tombe11. Le vide dans le coffre-fort12. Les huit mille livres de Dempsi13. Gordon Double Dan14. Oncle Isaac et Tante Lizzie15. Gordon en mauvaise posture16. Voici Mr Superbus17. La nuit portera conseil18. Un homme dans la nuit19. La disparition de l’oncle Isaac20. Et Bobbie ?21. Les étonnements de Bobbie22. En attendant Double Dan23. Réflexions sur un trépas héroïque24. La conversion d’Héloïse25. À l’assaut du coffre-fort26. Souvenirs d’une mauvaise nuit27. Double Dan !Page de copyright

Dan le sosie

 Edgar Wallace

I. Une faible orpheline

– C’est une orpheline, articula Mr Collings d’un ton ému.

Les orphelines étaient le point faible de Mr Collings. Dans les rapports qu’il entretenait, comme avoué, avec ses clients, c’était un homme d’apparence sévère et réservée. Il était partisan du compromis et croyait avec sincérité qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès.

Des plaignants rayonnants de joie parce qu’ils se figuraient tenir entre leurs mains la défaite de leur adversaire, entraient dans son bureau d’un pas décidé. Le verbe haut, ils citaient des chiffres vertigineux représentant les sommes qui, d’après eux, allaient leur être payées à titre de dommages-intérêts.

Lorsqu’ils sortaient de l’étude de Mr Collings, ils n’étaient plus que l’ombre d’eux-mêmes et ils s’en allaient, découragés, ayant perdu foi en l’avenir parce que l’avoué leur avait démontré péremptoirement qu’il valait mieux que les choses s’arrangeassent à l’amiable.

Ainsi, par exemple, s’il eut été possible qu’un homme entrât dans le bureau de Mr Collings et lui dît ceci :

– Ha, ha ! je tiens ce damné Binks ! Il m’a tué d’un coup de revolver… Comment m’y prendre pour lui faire payer des dommages ?

– Un moment, aurait répondu Mr Collings, je doute fort que vous parveniez à tirer quelque chose de Mr Binks. Rendez-vous donc compte, cher monsieur, que votre situation n’est guère claire… Comment ! vous vous promenez, avec dans le corps une balle qui, sans aucun doute, est la propriété de Binks, et vous prétendez faire payer ce Binks ! Je ne sais vraiment pas quelle serait l’attitude d’un jury qui aurait à se prononcer sur votre cas… Écoutez, laissez-moi arranger cette histoire…

Seule une catégorie de citoyens avait le don de rendre l’âme de Mr Collings plus perplexe, c’étaient les orphelins.

Dès son jeune âge, l’avoué, élevé strictement par des parents peu enclins à la légèreté, avait été obligé de lire le dimanche de doctes ouvrages où il était question de pauvres orphelines, d’orphelins martyrisés et sauvés enfin par des sociétés philanthropiques.

Dans cette littérature si morale, on parlait également de méchants hommes battant les chiens, jetant des mouches en pâture aux araignées et spoliant sans vergogne d’infortunés bambins qui n’ont plus de parents.

– C’est une orpheline, répéta Mr Collings.

Et il renifla bruyamment.

– Voilà tantôt dix ans qu’elle est orpheline ! répondit Mr William Cathcart d’un ton plutôt cynique.

Mr Collings était imposant, chauve, et avait l’habitude de se livrer chaque après-midi aux ineffables douceurs d’une petite sieste.

Mr Cathcart était mince comme une lame de couteau. Son visage avait l’épaisseur d’une feuille de papier. Il était moins chauve que Mr Collings et, au dire de beaucoup de personnes, il ne dormait jamais. De plus, il haïssait les orphelines.

– C’est une orpheline peu ordinaire, reprit Mr Cathcart, c’est même la plus extraordinaire orpheline que j’aie jamais rencontrée… Comment ! une gosse avec un compte en banque se montant à plus de 100 000 livres sterling ! Je refuse carrément de m’apitoyer sur son sort !

Mr Collings se frotta les yeux.

– Une pauvre orpheline, insista-t-il, vous savez très bien que c’est Mrs Tetherby qui lui a donné de l’argent du temps où cette dernière était encore en vie ; et cette situation n’avait rien d’irrégulier. Mais si moi, un avoué, je donnais un penny, une livre, 1 000 livres à une orpheline, à valoir sur la fortune qui ne sera à elle qu’au jour de sa majorité, serait-ce une infraction à la loi ?

Mr Cathcart réfléchit posément :

– Hum ! en certaines circonstances, vous pourriez agir en qualité de tuteur…

– Hum ! fit l’avoué, comme un écho. (Puis abandonnant ce point de la conversation :) Cette Mrs Tetherby était affligée d’une certaine inertie – défaut de beaucoup de grosses femmes…

– Inertie… dites paresse plutôt, interrompit Mr Cathcart.

– Mais elle adorait Diane. Peu de tantes aiment leur nièce comme elle aima la sienne. Son testament le prouve, du reste. Elle laissa tout…

– Elle ne laissa rien du tout ! fit Mr Cathcart avec une aigre satisfaction.

Comme cet homme détestait les orphelines !

– Elle ne lui laissa rien pour la bonne raison que déjà, de son vivant, elle avait confié à Diane l’entière gestion de sa fortune.

– Elle aimait cette petite orpheline, murmura Mr Collings.

– Si jamais une femme au monde aurait eu le droit…

– Avait eu le droit, rectifia patiemment l’avoué débonnaire.

– … de ne pas avoir le droit de s’occuper d’une jeune fille du tempérament de Diane Ford, c’est bien… ou plutôt, ce fut bien Mrs Tetherby. Comment ! une jeune fille de seize ans à qui l’on permet de filer le parfait amour avec un étudiant…

– Un étudiant en théologie, précisa complaisamment Mr Collings. N’oubliez pas ce détail. Sachez, cher monsieur, qu’une femme peut très bien donner son cœur à un étudiant en théologie, alors qu’un étudiant en médecine ne lui inspirerait que du dégoût. Ce dernier révolterait peut-être tout ce qu’il y a de sensitif en elle…

– Un théologien est pire encore en ce qui concerne la sensitivité…

– D’ailleurs, Mrs Tetherby nous a consultés dans le cas que nous évoquons. Inerte ou paresseuse, elle eut recours à nous, le fait est là.

– Si elle eut besoin de nos lumières, ce fut pour savoir si elle était passible de la cour d’assises au cas où, dans un guet-apens, elle tuerait Mr Dempsi, dont la trop grande assiduité auprès de sa nièce l’énervait au plus haut point. Souvenez-vous. Elle a lancé le chien à ses trousses, sans résultat. Ce sont ses propres paroles que je cite.

– Dempsi est mort, dit Mr Collings d’une voix étouffée. Il y a huit mois, à l’époque où sa tante mourut, j’en parlais encore à Diane. Je lui demandai si son cœur se cicatrisait. Elle me répondit avec humour qu’elle avait ressenti à peine une égratignure et que le soir, lorsqu’elle s’ennuyait, elle passait le temps à essayer de dessiner ses traits, de mémoire.

– Petit démon sans cœur !

– Une enfant, corrigea l’avoué avec bonhomie, que voulez-vous !… La jeunesse ne se souvient de rien, pas même des coliques de pommes vertes.

D’un air inspiré, Mr Collings leva les yeux au ciel.

– Une orpheline, recommença-t-il.

Un employé entra :

– Miss Diane Ford, messieurs !

Les directeurs de la maison Collings & Cathcart, échangèrent un bref regard.

– Faites entrer, dit Collings.

La porte se referma.

– William, reprit l’avoué, tâchez d’être aimable envers elle.

Mr Cathcart grimaça.

– Et elle, sera-t-elle aimable envers moi ? demanda-t-il amèrement. Êtes-vous sûr qu’elle se conduira avec un minimum de politesse ? Êtes-vous prêt à risquer une grosse somme sur son urbanité ?

À ce moment, la porte se rouvrit et la plus délicieuse créature du monde fit son apparition. Avec elle tout un printemps enivrant envahit la pièce. Douceur rosée des fleurs de pêcher. Rire des sources sur les cailloux brillants. Éclat des aubépines au mois de mai : miss Diane Ford.

Mr Cathcart, qui avait servi pendant la guerre en qualité de capitaine d’intendance et qui, de ce chef, avait acquis l’habitude des inventaires, dressa mentalement l’état suivant :

Jeune fille :

Mince, taille moyenne

Une

Yeux :

Bleu-gris, grands, plus ou moins innocents

Deux

Bouche :

Rouge, arquée, ferme

Une

Nez :

Droit, forme parfaite

Un

Cheveux :

Légèrement dorés, ondés.

Une tête

Faut-il le dire ? Diane répondait autant à cette description que l’homme dans la rue au signalement de son passeport ! Elle répandait autour d’elle l’atmosphère du printemps et de l’aube. Son teint éblouissait et elle se déplaçait avec une grâce si souple, si féline, que Mr Cathcart – qui était un homme marié – la soupçonnait de ne s’être jamais livrée au joug dominateur du corset.

Impulsive, elle se jeta contre Mr Collings qu’elle embrassa impétueusement.

Comme Mr Cathcart avait fermé les yeux, il n’aperçut pas le large sourire satisfait que son associé avait exhibé à son intention.

– Bonjour, mon oncle ! Bonjour, oncle Cathcart…

– ’Jour ! marmonna Cathcart d’un ton hostile.

– ’Jour ! répéta-t-elle gamine. Dire que j’étais venue ici animée des meilleures intentions et que je vous avais même appelé « oncle »…

– J’avais entendu, répondit l’« oncle » nouvellement promu, mais mon opinion, miss Ford, est que nous ferions mieux de parler affaires.

– Affaires ! s’exclama-t-elle d’un ton las, vous n’avez donc pas d’autres sujets de conversation ?

Elle enleva son chapeau, le lança adroitement sur le classeur le plus rapproché et soupira :

– Oh ! oncle Collings, que je suis malade !

Mr Cathcart se dressa à demi.

– Oui, j’en ai assez de l’Australie, des gens qui sont autour de moi, j’en ai assez de tout. Je retourne chez moi !

– Chez vous ! s’exclama Mr Collings stupéfait… mais, ma chère petite Diane si par « chez vous » vous entendez l’Angleterre et non pas, hum…

– Le ciel… suggéra Cathcart, sarcastique.

– Oui, oui, oui, c’est en Angleterre que je veux aller ! J’ai l’intention d’aller habiter chez mon cousin, Gordon Selsbury.

Songeur, Mr Collings se gratta l’extrémité du nez :

– Un homme d’âge avancé, je présume ?…

– Je l’ignore.

Indifférente, elle haussa les épaules.

– Marié ?

– Oui, si c’est un chic type. Tous les chics types se marient, excepté évidemment celui que j’ai devant moi…

Mr Collings, qui était célibataire, rit de bon cœur, mais Mr Cathcart, qui avait contracté des liens conjugaux, ne parut même pas amusé par la gentille boutade de la jeune fille.

– Je suppose que vous avez écrit ou télégraphié là-bas et que Mr Selsbury ne voit aucun empêchement à ce que vous alliez le rejoindre ?

– Pas du tout. Aucun, fit-elle brusquement, il sera enchanté de m’avoir auprès de lui.

– Vingt ans, soupira Mr Cathcart en contemplant Diane, enfant que la loi doit encore protéger. Dites donc, Collings, vous ne croyez pas que nous ferions bien de prendre quelques renseignements au sujet de ce Selsbury avant de…

Mr Collings regarda la jeune fille d’un air interrogateur. Diane n’avait jamais paru moins orpheline et faible qu’à ce moment-là.

– Il serait sage peut-être… suggéra Collings.

Il n’en dit pas plus, car il s’aperçut à l’attitude de sa pupille qu’en effet il serait sage de ne pas insister.

Diane sourit, découvrant une double rangée de dents petites et éblouissantes :

– J’ai retenu ma cabine, une délicieuse cabine, avec salle de bains et salon. Les murs sont recouverts de brocart et de soie, et le lit est tout petit, tout mignon. Il est placé au milieu de la pièce de façon que lorsque le navire roule assez fort, on peut tomber dehors de n’importe quel côté !

À ce moment-là, Mr Cathcart jugea qu’il était nécessaire d’intervenir.

– Je regrette de ne pouvoir accorder mon consentement à votre départ, articula-t-il posément.

– Pourquoi ? fit-elle mordante, le menton en bataille.

– Oui, pourquoi ? répéta Collings, désireux de connaître la pensée de son associé.

– Parce que, ma jeune et chère demoiselle, la loi de ce pays vous considère encore comme une enfant ; parce que Mr Collings et moi, nous avons sur vous l’autorité paternelle « in loco parentis ». De plus, je suis assez vieux pour être votre père.

– Ou mon grand-père, répondit-elle calmement. Au fond, quelle importance cela a-t-il ? Vous savez, l’âge, ça ne veut rien dire. En venant de Bendigo, dans le train, il y avait en face de moi un vieux fou de soixante ans qui essayait sans cesse de prendre ma main dans la sienne. Lorsque le cœur est jeune, l’âge ne signifie rien du tout.

– Parfait ! souligna Collings dont le cœur était très jeune.

– En résumé, continua Mr Cathcart, vous ne partirez pas. Je ne désire pas faire appel à la justice, mais…

– Un instant, monsieur l’avoué avocassier, dit Diane, jetant à terre quelques livres qui se trouvaient sur une chaise et s’asseyant à leur place. Un instant. Tantôt vous m’avez jeté à la tête l’argument « loco parentis », autorité paternelle du tuteur, et cætera. Permettez-moi de vous en servir un autre : J’ai le droit d’être émancipée !

– Eh ? s’écria William subitement dégonflé.

– Je ne connais du droit que ce qui peut m’être utile, expliqua-t-elle modestement. Ma vie jusqu’à présent s’est passée calmement parmi les herbes hautes du pays de Kara-Kara, mais quoiqu’orpheline ignorante, je sais certaines choses…

Mr Collings soupira.

– D’autant plus, poursuivit la jeune fille sans pitié, que l’avoué qui fait appel à la justice doit agir sur les instances d’un client. Sans client – à moins que ce soit un cas tout à fait personnel, comme par exemple si sa femme commet le péché d’adultère –, il ne peut appeler la justice à son secours. Qui dénicherez-vous pour porter plainte contre moi, Mr Cathcart ?

L’interpellé haussa les épaules avec lassitude.

– Faites votre lit comme vous l’entendez, répliqua-t-il sourdement.

– Le juge lui-même ne pourrait m’y obliger ! rétorqua-t-elle ironiquement.

Mr Cathcart, voyant Diane s’avancer vers lui, prit un porte-plume pour se donner une contenance.

– Oncle Cathcart, dit-elle à voix basse, j’avais tant espéré que nous nous serions quittés bons amis. Chaque soir, agenouillée, au pied de mon lit, j’ai fait cette fervente prière : « Dieu, faites que mon oncle Cathcart soit un jour pénétré du sens de l’humour et faites de lui un chic type ». J’espérais bien ce miracle que je souhaitais de tout mon cœur.

L’oncle Cathcart s’agita, mal à l’aise.

– Agissez comme il vous plaira. Je ne puis greffer une vieille tête sur de jeunes épaules. Ce sont ceux qui vivent le plus longtemps qui contemplent le plus de spectacles.

– Et c’est en goûtant le pudding qu’on se rend compte de sa qualité ! ajouta-t-elle du même ton sentencieux.

Une heure plus tard, pendant le déjeuner, Mr Collings, qui tapotait son cigare pour en faire tomber la cendre, demanda :

– Ce Selsbury, quel genre de type est-ce ?

– Épatant ! répondit rêveusement Diane. Il a ramé au numéro 6 dans la course Oxford-Cambridge. Je suis folle de lui.

Les yeux emplis d’horreur, Mr Collings la fixa, révolté.

– Et lui ? est-il fou de toi ? s’enquit-il.

Diane sourit. Dans son sac à main, elle prit une houpette et se repoudra le bout du nez.

– Il le deviendra ! minauda-t-elle suavement.

2. Mr Gordon Selsbury

Mr Gordon Selsbury se demandait parfois, avec beaucoup de sincérité, s’il n’était pas d’une essence supérieure aux autres hommes.

Il travaillait dans le cadre banal de la City de Londres, rendez-vous des gros hommes d’affaires anglais.

La profession qu’il exerçait avec beaucoup de profit était pourtant assez terre à terre pour un esprit cultivé et éclairé comme le sien. Mr Gordon Selsbury était intéressé dans une maison d’assurances.

À certains moments, assis dans son salon devant le beau foyer à plaques d’argent, dont il était fier, il s’étonnait des contradictions de son génie.

Placé au-dessus du monde et de ses intérêts mesquins, il avait cependant l’art et la manière de faire face aux matérialistes de tout acabit et d’arracher à leurs mains avides de grosses sommes d’argent…

– Non, Trenter, je serai absent demain après-midi. Voulez-vous dire à Mr Robert que je le verrai à mon bureau ? Merci, Trenter.

Trenter fit un signe de tête respectueux et retourna à l’appareil téléphonique.

– Non, monsieur, expliqua-t-il au frère de son maître, Mr Selsbury ne sera pas ici demain.

La voix, à l’autre bout du fil, trahit un certain embarras.

– Voulez-vous avoir l’obligeance de lui rappeler qu’il m’a promis de jouer au golf avec moi ? Demandez-lui de venir à l’appareil.

Gordon, le visage inexpressif, se leva du fauteuil de tapisserie dans lequel il se prélassait. Jamais, devant les domestiques, il ne révélait le moindre de ses sentiments.

– Oui, en effet, je sais, dit-il d’un ton las, mais j’avais un rendez-vous antérieur. Cherche quelqu’un d’autre, Bobbie. Le vieux Mendelssohn… Quoi ? Une vieille ganache ?… Je n’y puis rien. De toute façon, vous devrez dénicher un autre partenaire, moi je n’aurai pas le temps, je serai terriblement pris demain… D’ailleurs, je déteste parler affaires au téléphone. Au revoir.

Lentement, avec dignité, Gordon s’en retourna dans son salon.

Il avait ramé autrefois dans une équipe universitaire et malgré qu’il les considérât comme d’assez mauvais goût, deux rames entrecroisées, souvenirs de ses exploits de jadis, « ornaient » le manteau de la cheminée. Dire qu’un jour il avait été un étudiant frais émoulu, qu’il avait éprouvé un plaisir extrême à subtiliser les casques des policemen, à rouler à bécane le long des sentiers privés et à faire des pieds de nez aux surveillants ! Difficile à croire…

Gordon était grand et athlétique comme l’Apollon du Belvédère. Son front était large et vaste, sa chevelure étincelait de blondeur, mais chose étrange pour un jeune homme de son apparence, il portait des favoris longs de cinq centimètres qui lui donnaient un air de maturité précoce.

– Il doit écrire des sonates ou jouer du violoncelle, pensaient les hommes qui le voyaient pour la première fois.

– C’est un danseur acrobatique ou un artiste de cinéma, devinaient au contraire les femmes.

– Trenter !

Trenter, les traits tendus, attendit. Gordon fronça les sourcils.

– Trenter !

– Oui, monsieur.

Lentement, Mr Selsbury tourna la tête. Ses yeux noirs fouillèrent ceux de son valet de pied.

– Ce matin, je vous ai aperçu embrassant la femme de chambre. Vous êtes marié, je crois ?

Trenter, le cœur plein d’appréhension, fit un vague signe d’affirmation.

– Je désire que ceci ne se reproduise plus, articula Gordon froidement. En votre qualité d’homme marié, vous avez des responsabilités que vous ne pouvez ni ignorer, ni oublier. Eleanor, pour l’appeler par son prénom, est une jeune fille impressionnable. Il est injuste d’assombrir ses jours en éveillant dans son cœur une passion qu’il vous est impossible de payer de retour. De plus, j’ai été personnellement victime de votre aveuglement. L’eau pour ma barbe est arrivée en retard, ce matin. Je ne veux plus que cela se produise.

– Non, monsieur, fit humblement Trenter.

À l’office, la nouvelle se répandit comme une traînée de poudre.

Eleanor, grande et svelte, teint pâle, sourcils noirs, yeux de flammes, cessa de se rougir les lèvres pour exhaler son indignation.

– Comment ? Parce que le patron est une sainte-nitouche, il s’imagine que nous n’avons pas de sentiments ? Pauvre poisson à sang froid ! Mais je ne me laisserai pas insulter par un misérable espion aux semelles de caoutchouc !

– Qui est-ce, ce « Sainte-Nitouche » ? demanda Trenter qui, en sa qualité de pratiquant baptiste était peu au courant de l’aristocratie du paradis.

– Lui ! s’exclama Eleanor, c’est l’homme que les femmes ont tenté et qui n’a pas succombé !

– Qui l’a tenté ? s’enquit Trenter, brusquement jaloux.

– Personne. D’abord, si tu crois que c’est moi, je te déclarerai tout net que je voudrais le voir essayer de me passer un bras autour de la taille… Ha, ha ! il n’oublierait jamais ce moment-là !

– Je ne crois pas qu’il s’oublierait à te passer le bras autour de la taille, fit Trenter dont les soupçons s’apaisèrent.

Sceptique, il rejeta la tête en arrière.

– Il n’est pourtant pas si ininflammable, fit-elle mystérieusement, et, montrant du menton une grosse femme, le ventre orné d’un tablier de couleur, elle ajouta :

– Demande plutôt à la cuisinière !

– Quoi ! c’est toi, Marie, qui l’a tenté ? murmura-t-il dans un souffle.

Heureusement, l’esprit de Mrs Magglesark ne travaillait pas avec la rapidité de l’éclair :

– Je l’ai vu qui…

À ce moment-là, Eleanor, craignant qu’elle ne dise des imprudences lui marcha violemment sur les orteils et dit :

– Moi et la cuisinière – c’est-à-dire, la cuisinière et moi, nous étions sur l’impériale d’un autobus dimanche passé…

– À Knightsbridge, précisa Marie, heureuse de collaborer au récit de la servante.

– Nous bavardions en riant. Tout à coup Marie me prend le bras : Regarde, me dit-elle, le patron !

– Non, j’ai dit « On dirait sa tête », corrigea Marie…

– Le fait est que c’était bien lui… continua Eleanor. Il était avec une jeune fille, très grande, habillée de noir et il lui tenait la main !

– Dans la rue ? demanda Trenter, incrédule.

– Non, dans une auto. Du haut du bus on voit aisément ce qui se passe dans les limousines… Que de spectacles ai-je déjà contemplés de cette façon !

– Était-elle jolie ? demanda Trenter, assez fat.

Les lèvres d’Eleanor se retroussèrent.

– Certains la trouveraient assez bien faite. Et toi, Marie, qu’en penses-tu ?

– Elle n’était pas mal.

– Il lui tenait la main ! répéta Trenter pensivement. N’était-ce pas Mrs Van Oynne ?

– Qui ?

– Une dame qui est déjà venue ici deux fois prendre le thé. C’est une Américaine très bien habillée… Héloïse est son prénom. Beaucoup de goût. Elle adore le noir et les plumes de paradis.

– Elle a des plumes de paradis ! s’exclamèrent en chœur Eleanor et Marie.

Trenter, de la tête, fit un signe affirmatif.

– C’est elle que vous avez vue, continua Trenter, mais pas pour le motif que vous croyez. C’est une intellectuelle. Elle passe son temps à lire. La dernière fois qu’elle est venue ici, ils ont discuté au sujet de l’« âme et de l’ego ». Aux bribes et morceaux que j’ai pu saisir, je n’ai pas compris un traître mot.

Eleanor était très impressionnée.

– Assez bizarre, ces débats au sujet d’ânes égaux, dit-elle.

Gordon Selsbury adorait les discussions. Avec Héloïse Van Oynne, il n’y avait pas de sujet qu’il ne pût développer avec fruit. À vrai dire, c’était presque toujours lui qui parlait, mais le regard attentif de son interlocutrice suppléait au manque de phrases. Cet après-midi-là, Gordon était assis avec elle au tearoom du Cobourg Hotel. Peu de clients. Ils étaient relativement seuls.

– Depuis que je vous connais, il y a une chose que je brûle de vous dire, fit-il d’une voix tout à coup très douce… Un mois que nous nous connaissons ! Un mois déjà ! C’est presque incroyable. Nous avons dû certainement nous rencontrer autrefois, en des temps révolus, dans un temple de l’Atlantide perdue où des prêtres barbus chantaient la gloire des divinités disparues. Vous étiez une grande dame. J’étais un humble gladiateur. Car les jeux de cirque remontent, j’en suis sûr, aux jours du continent englouti. Qui sait ? les derniers Atlantes furent peut-être les fondateurs de cette mystérieuse civilisation étrusque qui intrigue tant de savants…

Les yeux brillants de la femme paraissaient approuver la nouvelle et audacieuse théorie présentée par Selsbury.

Ils disaient, ces yeux, en leur langage muet, mais éloquent : « Comme c’est merveilleux d’associer l’Étrurie à la civilisation mythique de l’Atlantide ! »

Ces yeux, comme ils étaient pleins de vie ! Et que de choses ne devaient-ils pas penser, en dehors des mythes étrusques !

– La beauté de notre amitié, continua Gordon, résulte du fait que nous avons réussi à dégager nos intérêts communs de l’emprise du flirt banal et misérable.

– Que voulez-vous dire ? demanda-t-elle en penchant la tête.

– Je veux dire, expliqua Gordon en ramassant délicatement une miette de gâteau tombée sur ses genoux, que pas une seule fois l’éclat de notre amitié n’a été terni par cette faiblesse que tant d’humains se plaisent à appeler « amour ».

– Oh, je comprends ! fit Héloïse Van Oynne en se renversant dans son fauteuil de rotin, tandis qu’un sentiment de satisfaction détendait ses traits intrigués.

– Notre amitié, c’est la sympathie totale, la compréhension parfaite de la pensée par la pensée, l’unité de deux âmes…

Elle sourit avec une douceur infinie. C’est toujours ainsi qu’Héloïse souriait lorsqu’elle ne saisissait pas ce qu’avec tant de confiance lui expliquait Gordon…

À son tour, elle se lança sur le chemin éthéré de la philosophie :

– L’âme est certainement la chose la plus belle que nous possédions, énonça-t-elle pensivement. Et c’est par là que nous sommes si différents des autres, Gordon. Qu’il est doux de pouvoir se confier, l’un à l’autre, et de ne pas devoir se replier en soi-même.

Elle soupira après ce difficile exercice d’élocution. Et, pour revenir à une conversation plus terre à terre, elle reprit :

– Vous me parliez, Gordon, d’une de vos cousines d’Australie. Elle doit, certainement, être très intéressante et je brûle d’envie de faire sa connaissance. Je vous aime Gordon, je vous aime beaucoup. Tout ce qui vous touche, de loin ou de près, parents, occupations, loisirs, me captive prodigieusement…

Elle posa sa main gantée sur son genou.

Aucune autre femme n’eût pu, sous peine de voir accourir toute la police de Londres, mettre sa main sur le genou de Gordon. Mais ici c’était Héloïse ! Et Gordon, souriant, posa sa main nue sur celle de la jeune femme.

– Diane ? Ah, oui ! Je ne sais rien d’elle, sauf qu’elle a eu une aventure assez tapageuse avec un type nommé Dempsi. Je crois qu’elle doit être très riche. Je me suis occupé un peu d’elle, je lui ai envoyé des livres, des conseils. Ah, mes conseils ! Tenez, je suis persuadé que, pour une jeune fille, les avis d’un homme ont plus de fruit que ceux d’une femme. De quoi parlions-nous ? Ah, oui… Croyez-vous que dans le subconscient hétérogène de la nébulosité primordiale, l’ego…

– Est-elle brune ou blonde ? demanda Héloïse, ennemie aujourd’hui de la métaphysique.

– Je ne sais réellement pas. Sa tante m’a écrit quelque temps avant sa mort – pauvre créature ! – elle me disait que Diane avait complètement oublié comment était Dempsi et qu’elle aurait désiré trouver une photo de lui quelque part. Comme c’est drôle, n’est-ce pas, Héloïse, la vie et la mo…

– Diane ! murmura songeusement Héloïse, pauvre petite fille d’Australie ! Je voudrais la connaître, Gordon.

Gordon leva vers elle un sourire aimable et amusé :

– Et moi, dit-il, je ne puis imaginer rien de plus improbable, rien de plus impossible que votre rencontre, à toutes deux.

3. L’orpheline s’impose

Cheynel Gardens est un de ces endroits si retirés de la circulation que rares sont les chauffeurs de taxi capables d’y arriver sans demander leur chemin.

Certains cochers « en ont entendu parler », d’autres se souviennent d’y avoir conduit parfois un client. Seuls le facteur local et le policeman, qui doit y accomplir sa ronde quotidienne, peuvent le situer exactement… Les personnes qui habitent Cheynel Gardens ont l’impression d’être aux confins du monde. Font-ils partie du district de Mayfair ou de celui de Marylebone ? Elles l’ignorent ou à peu près !

Gordon occupait une maison de coin avec jardin, l’unique jardin du voisinage et probablement celui qui avait donné son nom au quartier, si d’ailleurs on pouvait appeler jardin une cour pavée de 3,60 m sur 3 m et occupée presque entièrement par deux arbustes plantés dans des tonneaux. En venant de Brook Street, c’était la dernière habitation à gauche. Belle apparence du reste : brique rouge et pierre jaune. Grand studio dans lequel la lumière entrait, tamisée par de beaux vitraux qui lui donnaient l’aspect d’un oratoire.

Le studio de Mr Selsbury était en vérité un lieu sacré où l’on n’entrait pas sans y être expressément invité. Deux portes de chêne massif mettaient le propriétaire à l’abri des importuns et du bruit lorsqu’il se plongeait dans l’étude de ses deux revues favorites, l’Économiste et la Revue des assureurs. Il lisait aussi The Times, et, la nuit, il parcourait avec avidité des fascicules de sociologie. Lorsqu’il était fatigué il se contentait du compendieux Zur Genealogie der Moral, de Nietzsche, son auteur préféré.

Il descendit de la voiture qui l’avait ramené chez lui, donna au chauffeur un pourboire de dix pour cent calculé minutieusement jusqu’au moindre penny et monta lentement les marches du perron. La porte s’ouvrit sans bruit au moment même où son pied quittait la dernière marche. Comme chaque jour, Trenter se trouvait dans le corridor prêt à prendre des mains de son maître son chapeau, ses gants et sa canne.

Gordon demanda, pour ne point faillir au rite quotidien :

– Y a-t-il du courrier ?

Si Trenter avait répondu « Non, monsieur », il aurait contrevenu au rituel établi depuis longtemps.

– Oui, Monsieur, et…

Inutile d’en dire plus. Déjà Gordon regardait avec étonnement quatre immenses malles qui couvraient entièrement la surface du vestibule. Sur trois d’entre elles se trouvaient des étiquettes portant en gros caractères « NE PAS UTILISER PENDANT LE VOYAGE ». Sur la quatrième était collé un placard rouge avec, en grandes lettres noires, le mot « CABINE ».

– Que-quoi-que signifie ceci ? demanda Gordon, à moitié suffoqué.

– La jeune dame est arrivée cet après-midi, monsieur, expliqua le valet, mal à l’aise.

– La jeune dame est arrivée. De quelle jeune dame voulez-vous parler ?

– De miss Ford, monsieur.

Gordon fronça les sourcils. Il avait déjà entendu ce nom… Ford… Ford… Cette syllabe ne lui était pas tout à fait inconnue…

– Ford… ? Des autos Ford ?

– Non, monsieur, miss Diane Ford, d’Australie.

Sa cousine ! Mr Selsbury sourit aimablement. L’instinct de l’hospitalité n’était pas entièrement atrophié en lui. D’ailleurs, les Selsbury appartenaient tous à une race courtoise.

– Voulez-vous dire à miss Ford que je suis rentré et que je serais heureux de la voir dans mon bureau ?

La face de Trenter se rembrunit.

– Elle est dans le bureau, expliqua-t-il d’un ton presque suppliant… Je lui avais dit que, lorsque vous n’êtes pas là, personne ne pénètre dans votre studio et que j’en tiens soigneusement les portes fermées, mais…

Gordon était pris au dépourvu. Il est assez déconcertant, à vrai dire, de constater que votre hôte s’est déjà approprié comme un droit l’hospitalité que vous vous proposiez de lui offrir !…

– Tiens, tiens ! s’exclama-t-il, souriant… Je vais voir Miss Ford, Trenter.

Il frappa à la porte du studio et une voix l’invita à entrer.

– Je suis heureux de faire votre connaissance, cousine Diane, dit-il en regardant autour de lui.

Son confortable fauteuil favori lui tournait le dos, et Gordon vit s’agiter au-dessus du dossier une jolie main blanche.

– Entrez Gordon… Je suis sûre que c’est vous !

Elle se retourna d’un bond et le regarda en plein dans les yeux. Pour être plus à l’aise, elle avait enlevé ses souliers. Debout sur ses bas de soie, elle paraissait toute petite, toute menue.

Gordon eut l’impression de voir devant lui une chatte mignonne.

« Amusante aventure », pensa-t-il.

– Eh bien, jeune fille, l’apostropha-t-il paternellement, vous êtes arrivée ! Je ne me doutais pas que je ferais un jour votre connaissance. Avez-vous fait un bon voyage ?

– Êtes-vous marié ? lui demanda-t-elle à brûle-pourpoint.

– Non, je ne suis pas marié. Je suis un célibataire endurci.

– Ah !

Elle lâcha un soupir de soulagement.

– Je craignais beaucoup cette « complication »… À propos, vous ne m’avez pas embrassée…

Gordon ne se rendait pas du tout compte qu’il avait négligé d’embrasser sa cousine, pas plus qu’il ne lui semblait avoir oublié de lui jeter à la tête le livre qu’il avait sous le bras. Mais les Selsbury sont des gens polis. Il se pencha sur elle et de ses lèvres toucha sa joue.