Derrière le miroir - Jessica Boutry - E-Book

Derrière le miroir E-Book

Jessica Boutry

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Beschreibung

Himiko vit désormais dans le monde du miroir avec Kotonaru. À présent souveraine, ses nouvelles responsabilités la pèsent. Elle demande à Kotonaru de retourner avec lui quelques jours dans le monde des humains avant de prendre pleinement son rôle de reine du royaume magique. Himiko fait alors une rencontre qui va bouleverser sa vie. Qui est cette personne qui chamboule le cœur de la jeune femme dès le premier regard ? Est-ce le hasard ou le destin qui a fait en sorte que Himiko la croise ?


À PROPOS DE L'AUTRICE

Geek invétérée, grande fan de mangas, Jessica Boutry écrit avant tout pour s'amuser. Aujourd'hui, elle souhaite partager l'univers que son cerveau farfelu a crée.

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LE MIROIR

LES ORIGINES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JESSICA BOUTRY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À Sébastien, mon chéri, si tu lis le livre, tu sauras que c’est toujours moi qui t’aime plus.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

-1-

 

 

 

 

 

— Himiko! Himiko! Aide-moi! J’ai si peur!

Je me réveillai en sursaut, en nage. Les draps en soie étaient trempés et de grosses gouttes de sueur glissaient entre mes seins et dans mon dos.

Kotonaru se tourna vers moi.

— Tout va bien, Himiko?

— Ce n’est rien, j’ai encore fait ce cauchemar.

Il m’enlaça, je l’étreignis fortement. Les larmes perlèrent sur mes joues et une douleur survint dans ma poitrine.

— Ça fait un an qu’elle nous a quittés.

— Je sais, murmurai-je d’une voix triste.

Il m’embrassa sur le front.

— Rendors-toi, ma princesse.

Je fermai les yeux. Mes larmes arrosèrent les draps.

Depuis la disparition brutale de mon amie Mélusine, toutes les nuits, je rêvais d’elle. Le même scénario se répétait en boucle. Enfermée dans une pièce sombre sans aucune issue, elle me suppliait de la sauver. C’était probablement parce que je me sentais responsable de sa mort qu’elle apparaissait constamment dans mes rêves. Elle s’était sacrifiée pour me protéger de ce maudit squelette, alors qu’elle venait enfin de se mettre en couple avec Francesco. À cause de mon manque de vigilance, elle avait perdu la vie, laissant sa famille et le Brésilien derrière elle. Je n’avais toujours pas annoncé son décès à ses parents. Étant censée faire un tour du monde, Francesco leur envoyait souvent des mails en son nom pour qu’ils ne se doutent de rien. Lorsque je retournerais dans le monde des humains, il faudrait que je me décide à leur parler et à trouver une explication crédible, sinon ils ne me croiraient pas.

À force de ressasser ces souvenirs douloureux, je retombai dans les bras de Morphée.

 

**

 

En fin d’après-midi, c’était la course. Le jour J était arrivé. Des roses rouges géantes suspendues au plafond avec de grands voiles blancs enjolivaient le château pour l’occasion. Leur odeur enivrante envahissait les lieux. Des paniers en osier, contenant de superbes lys blancs, étaient disposés autour des colonnes du couloir. Depuis mercredi, le personnel se pressait aux quatre coins du château, ne sachant plus où donner de la tête. J’avais admiré l’installation de toutes ces décorations. Mon sourire n’avait cessé de grandir en visualisant la cérémonie qui débuterait bientôt.

Le guerrier et moi étions dans notre chambre. Il squattait la salle de bains depuis un bon moment. Même moi, je ne mettais pas autant de temps pour me préparer.

Je tambourinai la porte de la salle de bains en criant :

— Kotonaru, bouge de là!

— Je n’ai pas fini de m’habiller, rétorqua-t-il.

— Je m’en fiche! Sors immédiatement!

La clé tourna dans la serrure. Le guerrier parut devant moi quelques secondes après. Il ne portait que le haut de son armure et son boxer. J’éclatai de rire en le voyant.

Il passa à côté de moi, son pantalon hakama 1sous le bras.

— Ne te moque pas de moi, grogna-t-il. Tu pouvais patienter deux minutes quand même.

Je ne lui laissai pas le temps d’enfiler son pantalon et le poussai en dehors de la chambre sans prendre en compte ses protestations.

— Tu n’arrêtes pas de gesticuler dans tous les sens et j’ai besoin de calme si tu veux que je sois la plus belle! gueulai-je pour qu’il m’entende.

Le pauvre se retrouvait à moitié à poil au milieu du couloir. Pas très royal comme tenue. J’étais hyper stressée, alors il ne valait mieux pas me contredire. Kotonaru devait angoisser lui aussi, mais il ne le montrait pas. Ce jour était particulier, unique, même.

— Et le reste de mon armure! brailla-t-il.

Je rassemblai ce qui lui manquait, ouvris la porte avec une rapidité incroyable et lui balançai le tout, ce qui provoqua un fracas épouvantable lorsque les bouts d’armures touchèrent le sol en marbre. Les marmonnements et ronchonnements du guerrier se heurtèrent à la porte que j’avais refermée.

Les bruits de pas m’indiquant qu’il s’éloignait, je m’assis devant ma coiffeuse.

Je soufflai. J’étais enfin parvenue à me débarrasser de lui.

À peine avais-je posé mon séant sur la chaise que l’on me dérangea à nouveau.

On ne peut pas être tranquille cinq minutes ici, bougonnai-je intérieurement.

— Kotonaru, si c’est toi, n’espère pas une seconde que je t’ouvre! rouspétai-je.

— C’est Serena.

Je me levai et traversai la chambre.

— Fais attention à ce que Kotonaru ne soit pas dans les parages.

— Ne t’inquiète pas, il n’est pas là, affirma la jeune femme.

Je déverrouillai la porte et fus bouche bée en la découvrant.

— Waouh, tu t’es mise sur ton trente-et-un.

— Je suis bien obligée. Aujourd’hui, c’est un jour spécial, sourit-elle.

Je l’invitai à entrer.

C’était la première fois que je la voyais aussi féminine. Un contraste total avec l’armure de guerrière qu’elle endossait habituellement. Sa robe turquoise longue jusqu’aux genoux révélait sa silhouette svelte, et ses talons écrus, ses jambes musclées. Malgré son sein amputé, on ne remarquait pas l’asymétrie de sa poitrine. Elle n’avait pas fait ses deux couettes, ce qui la rendait plus femme que d’ordinaire. Le léger maquillage argenté sur ses paupières et le rouge à lèvres rosâtre rehaussaient l’éclat de ses yeux noir fuligineux. Le parfum fruité qu’elle s’était aspergé se propagea dans la pièce.

Nous nous étions réconciliées après la bataille contre Katherina. Nous avions appris à nous connaître. Les sévices qu’elle avait subis durant ce combat et la mort de son frère, l’ayant anéantie, je l’avais donc soutenue et encouragée à reprendre goût à la vie, ce qui nous avait rapprochées. Et elle s’était enfin résignée au fait que Kotonaru n’aurait plus jamais de sentiments amoureux pour elle.

Mais Serena n’était pas Mélusine et je devais avouer que l’absence de mon amie à ce jour de fête m’attristait. Je l’imaginais au bras du Brésilien, arborant un sourire éblouissant. Elle aurait mis cette combinaison qu’elle adorait pour célébrer cette journée comme il se devait.

Je refoulai les larmes qui tentaient de jaillir pour ne pas m’effondrer devant la guerrière.

La jeune femme me demanda si je voulais un coup de main pour enfiler ma robe. J’acquiesçai de la tête.

Je me dirigeai vers mon armoire. Je n’avais jamais eu une garde-robe aussi imposante avant. Ma vie avait été bouleversée lorsque j’avais hérité du manoir. Mon destin avait changé dès l’instant où j’avais ôté le drap du miroir et exploré la terre du monde de Kotonaru et de mon père. J’avais trouvé l’amour et m’étais liée d’amitié avec des personnes de races différentes, mais j’avais également perdu Mélusine, ma meilleure amie, ma sœur, et avais failli mourir.

Je remuai la tête à gauche et à droite pour effacer ces pensées négatives et me plantai les ongles dans la peau pour empêcher mes larmes de se déverser sur mes joues.

Je soupirai, retirai la robe de son cintre et la posai sur le lit baldaquin.

Serena me rejoignit, le sourire aux lèvres.

— Tu es splendide, Himiko. Et ta robe, somptueuse.

— Merci. Elle a été taillée dans un uchikake2, un kimono en soie porté lors des mariages traditionnels au Japon. Les grues, tissées avec des fils d’or, symbolisent la longévité, la bonne fortune et la fidélité.

— Les fleurs de prunier bleues, roses et violettes s’assortissent bien aux grues dorées. Tous ces motifs brodés sur un tissu rouge pétant, ça en jette!

Je baissai la tête. Les larmes submergèrent mes yeux.

— J’aurais aimé que mes parents biologiques et adoptifs ainsi que Mélusine soient là, murmurai-je

La guerrière me prit dans ses bras, me frotta le dos, et sur un ton rieur, m’engueula :

— Ah non! Interdiction de pleurer aujourd’hui, Himiko! Heureusement que tu n’es pas encore maquillée sinon ton mascara et ton crayon auraient coulé et tu aurais des cernes noirs sous les yeux.

Je me desserrai d’elle et essuyai mes larmes.

— Tu as raison, excuse-moi, souris-je.

— Enlève-moi cette robe de chambre. Il faut quand même que l’on se grouille. Tu ne voudrais pas arriver en retard?

— Oh que non!

Je me déshabillai et abandonnai mon peignoir sur une chaise à proximité, dévoilant ainsi ma guêpière et mon string blanc nacré en dentelle aux ornements floraux. Mes bas, de couleur identique, étaient attachés aux bretelles.

— Tu n’as pas lésiné sur le côté sexy.

— Tu trouves ça vulgaire?

— Tu es magnifique. Kotonaru sera complètement sous ton charme, sourit-elle.

Elle saisit la robe et la posa sur le tapis pour ne pas la salir. Je me positionnai en son centre. La jeune femme la remonta et m’intima de me retourner et de tenir la robe au niveau de la poitrine le temps qu’elle lace les rubans dans mon dos.

J’avais toujours eu la trouille de m’habiller d’un bustier. Avec ma chance, alors que je marcherais au bras du guerrier, je me retrouverais subitement les nichons à l’air. Je me couvrirais de honte si ça venait à se produire.

J’insistai donc pour qu’elle n’hésite pas à serrer.

— Si le corsage te comprime trop, tu ne pourras plus respirer, se marra-t-elle.

— J’ai plusieurs poumons, ça ira, plaisantai-je.

Mon cœur cognait dans ma poitrine et un sourire illuminait mon visage. Mon stress s’était évaporé, faisant place à la surexcitation. Je m’amusais comme une folle. Était-ce aussi le cas pour Serena? Elle n’exprimait pas beaucoup ses émotions, mais je savais qu’au fond d’elle régnait un certain mal-être, malgré ses sourires. L’ablation d’un sein pour une femme était une atteinte même à sa fierté et le viol qui l’avait traumatisée la hanterait à jamais. Je priais pour qu’elle rencontre un homme qui la rendrait heureuse et panserait ses blessures.

Soudain, elle tira d’un coup sec sur les deux rubans, ce qui me coupa le souffle et me sortit de ma rêvasserie. Je toussai par réflexe et cherchai de l’air pour remplir mes poumons d’oxygène.

— Excuse-moi, je t’ai fait mal?

— Non, je ne m’y étais juste pas attendue.

— Où sont rangées tes chaussures?

— En bas du placard, répondis-je tout en commençant à m’avancer.

Voyant que je galérais et m’emmêlais les pieds dans ma robe qui traînait par terre, elle me dit de ne pas bouger, qu’elle s’en chargeait.

Je la remerciai.

Elle me rapporta mes escarpins grenat après les avoir débusqués parmi toutes mes paires entassées en vrac. C’était un véritable parcours du combattant pour dégoter les godasses voulues dans ce bordel sans nom.

— Soulève ta robe.

Je lui présentai mes pieds. J’avais mis le même vernis à ongles vermillon que celui qui ornait ceux de mes mains. Je n’étais pas très douée. On devinait la dose de dissolvant utilisé, la poubelle étant blindée de cotons-tiges rougis.

— Donne-moi le gauche.

Elle le chaussa et réitéra le même geste pour celui de droite. Elle voulut ensuite me maquiller et me coiffer.

Nous nous installâmes devant ma coiffeuse. Je m’assis. La guerrière resta debout.

Elle me chouchoutait. Avec ses mains de fée, elle devrait songer à se reconvertir comme esthéticienne-cosméticienne plutôt que de s’occuper des écuries du château. Elle avait choisi ce poste, car elle aimait la compagnie des shishumas. Ils l’apaisaient. Elle leur faisait la conversation, peu importait si elle n’avait pas de réponse. Son visage, qui rayonnait en leur présence, faisait chaud au cœur. Mais ces animaux ne remplaçaient pas les liens sociaux. Il fallait qu’elle s’ouvre aux autres et le métier d’esthéticienne-cosméticienne nécessitant le contact avec les gens l’y aiderait grandement, surtout qu’elle avait ce talent inné en elle.

Elle recouvrit mon visage de crème teintée et de poudre, embellit mon regard d’un dégradé de fard à paupières incarnat et mauve, mes yeux de crayon noir, et mes cils du haut et du bas de mascara. Puis, elle rosit légèrement mes joues, ma peau étant toujours aussi blanche que celle d’un zombie. Enfin, elle termina en m’appliquant du rouge à lèvres rose.

Un sourire enchanté apparut quand je me contemplai dans la glace.

— Tu es une pro, Serena!

— Ne te fous pas de ma gueule, râla-t-elle.

— Je suis sincère, tu es une reine de la mise en beauté.

— Mer… merci, bredouilla-t-elle.

Embarrassée par mes compliments, elle passa sa main dans ses cheveux. Lorsque sa gêne disparut, elle m’affirma qu’elle avait une idée pour ma coiffure qui devrait me plaire.

Elle me fit une natte qui partait sur mon épaule gauche, qu’elle parsema de paillettes d’or, et vaporisa d’une eau de toilette vanillée mon décolleté. Elle semblait contente de son travail, son large sourire en témoignait.

— Tu es parfaite. Kotonaru sera si émerveillé qu’il tombera amoureux de toi une deuxième fois.

— Tu es formidable.

— Je sais, frima-t-elle en secouant ses cheveux.

Elle me faisait penser à Mélusine parfois. La blonde se vantait fréquemment de ses exploits. Je me bidonnais quand elle me racontait ses aventures rocambolesques.

Je séchai la larme qui s’échappait de mon œil droit avec mon index, avant que la jeune femme la remarque, et m’aperçus qu’il manquait un dernier accessoire pour compléter ma tenue.

— Mes bijoux, j’ai carrément zappé de les mettre! Quelle tête en l’air je suis! m’exclamai-je en me levant.

— Si besoin, appelle-moi à la rescousse et je rappliquerai de suite, rit-elle.

— Pas de problème, rigolai-je à mon tour.

Elle s’écarta pour me libérer le passage.

Je me dirigeai vers la salle de bains en veillant à ne pas me casser la figure, n’étant pas encore habituée à mes talons.

Dès que je fus à l’intérieur, je récupérai ma boîte à bijoux dans le tiroir du meuble-colonne. Il s’agissait de celle que j’avais dénichée dans le grenier du manoir.

Je passai mon collier autour de mon cou et mis mes boucles d’oreille. Ma mère adoptive m’avait offert cette parure de perles de Tahiti pour mon anniversaire. Le guerrier m’avait acheté une bague qui allait à merveille avec.

Je m’admirai dans le miroir.

 

Les larmes dégoulinèrent sur mes joues. Dans quelques minutes, ma vie serait chamboulée. La petite Himiko Paradis n’existerait plus. Bientôt, elle deviendrait la femme qui serait liée à Kotonaru pour toujours. Oui, aujourd’hui je me mariais avec le guerrier. Si un jour on m’avait prédit qu’un homme demanderait ma main, j’aurais traité la personne de menteuse.

Je joignis mes mains contre mon cœur et souris. J’étais la femme la plus comblée du monde. L’homme, qui avait réussi à me séduire, m’englobait de son amour sans égal et me le prouvait en s’unissant avec moi.

J’essuyai mes larmes et

rejoignis ensuite Serena. Son visage ému et ses yeux brillants montraient à quel point elle était touchée.

— Tu es sublime, Himiko.

Je sentis mes joues se réchauffer.

— Arrête tes bêtises.

— Mais c’est vrai! Kotonaru n’en reviendra pas!

Un sourire s’afficha sur mon visage.

— Tu crois?

— Bien sûr. Bon, assez discuté, il faut que nous décollions sinon nous allons vraiment être à la bourre!

Je pris mon bouquet de roses rouges, blanches et fuchsias, qui reposait sur la table basse. Leurs parfums se mêlèrent au mien, ce qui en créa un d’une surprenante douceur.

Nous sortîmes de la chambre et nous rendîmes au jardin du château. Des anthémis jaunes, des arums blancs, des coquelicots et bien d’autres fleurs colorées formaient une allée pour guider nos pas. Des papillons et insectes butinaient le nectar des plantes qui les intéressaient. Les tulipiers de Virginie, sophoras du Japon et seringats virginal avaient fleuri. Leurs pétales s’envolaient avec le vent diffusant ainsi un mélange d’odeur de miel, de fraise et de malabar. Un arôme sucré provenait de colossaux rosiers de mille couleurs.

 

Nous marchions lentement avec nos talons vertigineux pour éviter de nous tordre bêtement une cheville.

Mon cœur se déchaînait dans ma poitrine. Ma panique se réveillait. Et si le guerrier changeait d’avis et annulait tout? J’avais si peur que détaler me traversa l’esprit.

Les invités qui accaparaient les bancs en bois, où étaient accrochées des roses rouges de chaque côté, bavardaient et riaient. Nous les avions placés en fonction de leur taille, vu les différences de gabarit qu’il pouvait y avoir entre un protecteur et une fée.

Au bout du chemin, Kotonaru, dos à nous, m’attendait dans un immense kiosque en pierre. Six piliers supportaient le dôme qui servait de toit.

— Je te laisse, chuchota la jeune femme dans mon oreille.

Elle s’éloigna et se fondit dans la masse. Je restai immobile plusieurs secondes. Le guerrier était là, à deux mètres tout au plus. Serait-il déçu en me voyant? Serait-il capable de dire non? Mon angoisse s’agrandissait.

Te fais pas de bile, Himiko. S’il se trouve devant toi, c’est qu’il t’aime.

J’inspirai et expirai, m’avançai et montai sur la première des trois marches du kiosque lorsque Kotonaru fit volte-face. Ses yeux pétillaient de bonheur et un sourire radieux se dessinait sur ses lèvres. Je me stoppai et esquissai un sourire timide, au bord des larmes.

Mon cœur tapait dans ma poitrine. J’étais aux anges. Il ne s’était pas enfui. J’avais envie de me blottir dans ses bras et de l’embrasser pour manifester mon amour.

Le guerrier étant le roi et son peuple ne voulant pas rater notre mariage, nous avions été obligés de nous marier dans le monde magique. Par contre, j’avais exigé qu’il se déroule selon la coutume humaine. Kotonaru avait donc dû expliquer toutes les traditions à la population.

— Tu… tu es sublime, Himiko, bégaya-t-il.

Ses joues s’empourprèrent et ses yeux se mouillèrent. J’étais parvenue à troubler son cœur. Dans quelques minutes, plus rien ne pourrait désormais nous séparer, unis par notre amour éternel.

Je retins mes larmes de joie, qui tentaient de noyer mes yeux et lui répliquai sur un ton amoureux :

— Pas autant que toi.

La splendeur irréelle de son armure blanche captivait le regard. Il avait calé son casque ornementé par deux cornes dorées kuwagata3et un maedate4qui représentait l’emblème de sa famille, un dragon crachant du feu, sous son bras droit. Son doux parfum boisé flottait dans l’air. Ses cheveux blond doré resplendissaient sous les rayons du soleil qui s’étaient infiltrés entre les colonnes du kiosque.

Il me tendit sa main gauche. Je lui confiai la mienne. Il me rapprocha de lui, glissa sa main sur ma hanche et me colla contre lui. Son corps au contact du mien me rassura. Jamais il ne me quitterait.

Nous nous retrouvâmes face à une jeune femme dont le visage était criblé de taches de rousseur. Ses cheveux ondulés cuivrés chatouillaient le sol. Elle portait un diadème de marguerites sur la tête. Sa robe était faite de feuilles au ton cramoisi et de roses blanches. Ses pieds nus étaient tatoués de motifs tribaux qui serpentaient le long de ses jambes jusqu’à atteindre son front. Que pouvait bien signifier ce tatouage démesuré qui s’étendait sur chaque parcelle de sa peau? Son corps frêle lui donnait l’apparence d’une adolescente. Par ailleurs, l’extrême pureté qu’elle dégageait m’inonda d’une sérénité absolue.

Je demandai discrètement au guerrier qui elle était.

— C’est l’actuelle gardienne de la nature, répondit-il.

— Êtes-vous prêts? questionna la jeune femme.

— Nous le sommes, affirma Kotonaru.

— Vous qui vous aimez, vous avez décidé de ne faire plus qu’un seul être en ce jour ensoleillé. La nature a écouté votre requête et l’a acceptée.

Elle leva les bras au ciel et ferma les yeux.

— Vent, apporte-moi de quoi parachever leur alliance.

Elle repositionna ses bras devant elle et ouvrit ses mains. Des feuilles et des fleurs se détachèrent des arbres aux alentours, tourbillonnèrent et volèrent, comme aspirées par une force invisible. Leurs délicieux parfums s’engouffrèrent dans mes narines quand elles les frôlèrent avant d’atterrir dans les mains de la gardienne.

— Kon’in! cria-t-elle.

Les végétaux, qui s’entremêlèrent, modelèrent deux couronnes.

— Posez ce présent de notre Terre sur la tête de votre bien-aimé pour finaliser votre union.

— Je t’en prie, Himiko, sourit le guerrier.

Je m’emparai de la première couronne et coiffai la tête de Kotonaru qui s’était baissé pour me faciliter la tâche. Il fit de même juste après.

— Vous êtes dorénavant liés l’un à l’autre jusqu’à votre mort.

La gardienne jeta de la poudre ambrée au-dessus de nous et se volatilisa en un instant. Nos invités se levèrent et applaudirent.

Les larmes humidifièrent mes yeux et mon cœur s’emballa. J’avais l’impression que le temps tournait au ralenti. Je ne voulais pas que cette inoubliable journée s’arrête. Himiko Paradis-Katiraki, ça sonnait bien. Je n’en revenais toujours pas d’être devenue la femme du guerrier, de porter son nom. Kotonaru m’avait choisie, lui qui était si beau, beaucoup trop beau pour moi. Je ne pouvais rêver mieux. Un homme gentil, affectueux et attentionné envers son épouse, ça ne courait pas les rues. Nous avions surmonté de nombreuses épreuves, et notre couple s’en trouva plus fort. Le mariage était l’aboutissement de cet amour fusionnel. Si je ne réussissais pas à me contrôler, j’aurais pleuré toutes les larmes de mon corps. Ce jour magique resterait gravé dans ma mémoire à jamais.

— Elle a rejoint la nature, dit le guerrier qui me ramena à la réalité.

— Ton monde est féérique, souris-je.

— Notre monde, corrigea-t-il.

Je savais qu’il refusait d’exposer ses sentiments, statut de souverain oblige.

Je hochai la tête et lui reprochai d’avoir oublié quelque chose d’important. Son visage se décomposa. Ça devait gamberger dans sa tête. Je ne le laissai pas mariner, entourai son cou avec mes mains et l’embrassai. Il piqua aussitôt un fard. Raide comme un manche à balai, il n’osait pas m’enlacer avec son bras libre devant tous nos invités.

Quand je retirai mes lèvres des siennes, je lui fis un clin d’œil.

— Chez les humains, on n’est pas pudique lors de ce genre d’évènement.

Ses yeux étincelaient.

— C’est plutôt appréciable.

Nous nous retournâmes. Un tonnerre d’applaudissements s’éleva dans le ciel.

— Merci à tous d’être venus. Je vous invite à poursuivre la cérémonie autour du banquet prévu à cet effet, annonça le guerrier.

— Attends, j’ai quelque chose à faire avant.

Il me dévisagea avec des yeux interrogateurs.

— Mes demoiselles, pourriez-vous vous avancer vers moi! La mariée a un cadeau pour vous!

Les femmes se regroupèrent devant moi. Je virevoltai.

Dos à elles, je hurlai :

— Vous vous souvenez de la coutume humaine? Celle qui attrapera le bouquet sera la prochaine à se marier! Que la meilleure gagne!

Je lançai mon bouquet derrière moi. Des rugissements de célibataires en furie fusaient dans mon dos. Elles n’allaient tout de même pas se battre pour le choper, ces sauvages!

 

Je leur refis face et explosai de rire.

Serena, les joues rouge pivoine, tenait le Graal tant convoité entre ses mains sous le regard assassin de ses rivales.

Kotonaru se mit aussi à rire, ce qui statufia encore plus la jeune femme.

— Tu es fière de toi.

— Assez oui, me marrai-je.

Nous descendîmes du kiosque et fîmes signe à nos invités de nous suivre.

Un brouhaha, qui confondait discussions et éclats de rire, se déplaçait au fur et à mesure de notre progression, nous enveloppant d’une bulle mélodieuse pleine de gaîté.

Arrivés à destination, je n’en croyais pas mes yeux. Des tables rectangulaires arrangées dans le parc étaient couvertes par des nappes blanches en dentelle. Des vases contenant des lys roses, freesias blancs et feuilles de pistachier et des chandeliers argentés où des bougies étaient allumées les décoraient. Une housse avec nœud parait chaque chaise de style Louis XVI. Tout était de fabrication artisanale, sculpté dans des arbres qui ressemblaient à des bouleaux verruqueux. Des paysages étaient peints à la main sur les assiettes, dont la matière s’apparentait à de la porcelaine. Les couverts de la même gamme étaient dressés semblablement aux plus prestigieux restaurants étoilés. Enfin, les verres, en cristal, aux moulures façon pointes-de-diamant s’ajoutaient à ce fantastique tableau.

À la table d’honneur, Serena était assise à ma gauche, Ali à côté du guerrier. Le jeune homme, qui vivait depuis un an au Cercle des druides, avait pris le risque de quitter ce lieu sûr, voulant absolument remplir son rôle de témoin.

Pour l’entrée, une jardinière de légumes débordait presque de nos assiettes, mais il y avait aussi ces horribles algues rouges gluantes. Je m’efforçai de les bouffer pour faire bonne figure en me retenant de grimacer à chaque bouchée.

Kotonaru, qui me connaissait par cœur, se moqua de moi. Je lui mis des coups de coude et faillis m’étouffer en riant. Il m’avait tellement enquiquinée avec ces fichues algues, que j’avais fini par abdiquer.

Nous continuâmes ensuite avec de la dorade grillée, accompagnée de patates cuites à la vapeur. C’était excellent. Le chef s’était surpassé. Nous n’avions pas à nous plaindre de lui. Âgé d’une cinquantaine d’années, contrairement à la plupart de ses confrères, il n’avait pas un ventre proéminent et était épais comme un cure-dents. Pourtant, il ne se gênait pas pour goûter chacune de ses préparations en s’en servant une plâtrée avant que les serviteurs nous apportent notre dîner. Son humeur joyeuse quotidienne brisait d’un claquement de doigts la déprime de celui qui le croisait sur sa route.

Nos invités avaient l’air d’apprécier leur repas. Avec le guerrier, nous intervenions de temps à autre à leur conversation et les remerciions de leur présence.

Lorsque nous regagnions nos places, nous nous dévorions des yeux.

Le plat principal terminé, nous finîmes par une salade de fruits. Ça pouvait paraître simple pour le commun des mortels, mais nous profitions de ce que la nature nous offrait. Il était rare de manger de la viande ou du poisson pour éviter les sacrifices inutiles, même au château.

Après le dessert, Kotonaru attira l’attention de nos invités en tapotant son verre avec sa fourchette. Il voulait nous conduire à la piste de danse qu’il avait soigneusement gardée secrète.

Nous nous enfonçâmes dans la forêt qui bordait le château. La discipline était de rigueur. Nos invités, en rang deux par deux, nous talonnaient, survoltés, intrigués et impatients de découvrir leur nouveau terrain de jeu.

Le guerrier, qui me tenait la main, mais me devançait, nous emmena jusqu’à la plage. Nous nous approchâmes au plus près de l’océan. Le soleil vert malachite se couchait, la lune bleu égyptien se levait. Le vent me fit frissonner. Je me frictionnai les bras pour me réchauffer un peu.

Kotonaru se stoppa et se positionna face à moi.

— Tu es prête?

— Oui, mon amour, souris-je.

Je ne savais pas ce qu’il comptait faire, car il avait insisté pour organiser cette partie de la cérémonie tout seul.

Il déposa son casque sur le sable, posa sa main droite dans mon dos et saisit avec la gauche ma main droite. Je sentis que tous les regards se braquèrent sur nous.

Les violonistes, installés sur une estrade à notre droite, jouèrent un morceau propice au slow.

— M’accorderiez-vous cette danse, ma reine?

— Avec plaisir, mon seigneur, souris-je en me prosternant.

Il me guida.

Alors que nous tournions sur nous-mêmes, mes yeux se fixèrent sur des ronds d’eau à la surface de l’océan.

Brusquement, une dizaine de sirènes y émergèrent et s’assirent sur les rochers qui longeaient le rivage.

Mes yeux s’écarquillèrent et mon cœur palpita à toute berzingue.

— Kotonaru?

— Elles sont là pour nous, répondit-il, en souriant de toutes ses dents.

Un sourire éclatant naquit sur mon visage. Il ne pouvait pas me faire plus belle surprise.

Les créatures marines légendaires se mirent à chanter. Leurs voix, aussi divines que leurs physiques, résonnaient dans la nuit. La lune qui dominait dans le ciel étoilé se reflétait sur leurs cheveux flashy, rouges, verts, bleus et de bien d’autres couleurs extravagantes, et sur leurs écailles lumineuses.

Nos invités se joignirent à nous. Les musiciens armés de leurs instruments en bois enflammaient le dancing improvisé avec leur musique entraînante. Les invités s’échangeaient leur partenaire, ce qui formait parfois des couples plutôt atypiques. On ne voyait pas tous les jours une fée valser avec un protecteur. La petite créature ailée agrippait l’index de son cavalier qui tournoyait sur lui-même, donnant l’illusion qu’il exécutait une valse en solitaire.

Nous changions régulièrement de rythme musical, passant d’un rock à une salsa, et d’une farandole, à un slow.

Le guerrier menait la danse d’une main de maître. Il me faisait voltiger et retomber dans ses bras. Il était un remarquable danseur, don que je ne connaissais que depuis quelques mois. Tout le contraire de moi qui étais tendue comme un arc.

 

Les heures défilèrent à une vitesse hallucinante. Chacun repartait chez soi peu à peu.

Lorsque l’ensemble des invités fut parti, nous rentrâmes au château à notre tour. Nous croisâmes Serena, qui retournait à ses quartiers, et la saluâmes.

Kotonaru ouvrit la porte de notre chambre et la reverrouilla derrière nous. Puis, il me porta comme une princesse et m’allongea avec délicatesse sur notre lit, sur le dos. Les draps en soie effleuraient doucement mes bras dénudés. Il s’étendit ensuite à côté de moi.

— Tu es heureuse?

— Évidemment. Je suis ta femme maintenant, souris-je.

Il me rendit mon sourire.

— Ce qui fait de moi le plus comblé des hommes. Il va falloir que tu assumes tes responsabilités de souverainedésormais. Jusqu’à présent, je t’avais tenu à l’écart de tout ça, mais tu n’y réchapperas plus dorénavant.

— Je m’y suis préparée, même si je t’avouerais que ça me fait peur.

— Je serai là pour t’épauler, et Serena pourra également t’aider.

— Vous êtes mes alliés.

Il me caressa la joue et me regarda avec des yeux amoureux.

— Tu es splendide.

Il se rapprocha de moi et m’embrassa. Il se retira quelques secondes après.

— Encore un, ordonnai-je.

— Si telle est la volonté de ma dame.

Il redéposa ses lèvres sur les miennes.

Je le couvai des yeux.

— En tant qu’épouse, j’ai le devoir de m’occuper de mon mari, affirmai-je avec un sourire coquin.

— Hmm, et que me réserves-tu?

— Je vais commencer par te déshabiller de ton armure et de tous tes vilains vêtements, qui m’empêchent de contempler ton magnifique corps.

— Ça me plaît bien.

Sa veste hitatare5enlevée, sa peau abîmée et mutilée par les traces de coups de fouet et de brûlures qu’il avait subies quand il avait été enfermé dans une cellule apparut. Je câlinai son torse et le couvris de baisers, comme si je voulais atténuer ses blessures.

Le combat contre Katherina l’avait marqué physiquement, mais aussi psychologiquement. La sorcière lui avait révélé qu’elle était en fait sa vraie mère. Cette femme n’avait jamais eu de geste tendre envers lui et s’était montrée d’une impitoyable cruauté depuis son plus jeune âge.

Je giclai son hakama et le reste de sa tenue. Son corps nu tremblait avec le vent qui se faufilait dans la chambre par la fenêtre ouverte.

Il se leva et m’encouragea à l’imiter. Il se mit derrière moi, desserra les rubans de ma robe tout en m’embrassant l’épaule et la fit reposer à mes pieds. Il se remit ensuite face à moi et m’observa de haut en bas.

— Jolis sous-vêtements.

— Il fallait que je sois sexy pour mon mari tout de même, souris-je.

Il pelota et déposa des baisers sur mes seins. Son parfum boisé m’envoûtait. Ses mains, chaudes et douces, me faisaient toujours autant d’effet lorsqu’elles me touchaient. Je me collai à lui et entourai son cou avec mes bras. Il m’étreignit et m’embrassa langoureusement. Ses mains se posèrent sur mes fesses, qu’il malaxa avec entrain. Son sexe en érection se frottait contre le mien, ne désirant qu’une chose : me pénétrer. Je me désenlaçai de lui et m’apprêtai à enlever mes dessous affriolants quand il me retint.

— Laisse-moi faire.

Il saisit mes cuisses, me souleva et me coucha sur le lit. Il me déchaussa, ôta mes bas et mon string, tout en baisant l’intérieur de mes cuisses, et dégrafa ma guêpière. Mes tétons pointèrent avec la fraîcheur de la nuit. Je marmonnai des grognements plaintifs lorsque le guerrier, qui s’était mis sur moi, me les mordilla avec passion. Puis il se positionna à ma droite, sur le côté, frôla ma poitrine avec sa main gauche, qu’il descendit vers mon bas-ventre. Il effleura mon sexe sans jamais s’y aventurer. Il savait que ça m’excitait énormément.

— Tu es vraiment un méchant garçon de me faire attendre ainsi.

Il m’embrassa avec fougue en guise de réponse. Nos langues s’entortillèrent et ne se séparèrent plus. Ce baiser interminable fit grimper mon désir.

— Je vais abréger ton supplice, ma reine.

Il introduisit son index et son majeur en moi, et titilla mon clitoris. La tension sexuelle qui s’embrasait fit cambrer mon corps et écarter mes cuisses naturellement.

— C’est si bon, soupirai-je.

— Tu es si belle, Himiko.

Il retira lentement sa main et s’assit en tailleur. La position du lotus, ma favorite.

Je me redressai, attrapai son sexe et le glissai dans le mien avec facilité. J’enroulai ensuite mes jambes autour de sa taille. Il plongea sa tête dans mes seins et les empoigna pendant que je faisais des va-et-vient tout en douceur. Le brasier ardent, qui s’amplifiait en nous, emplit de chaleur nos corps, qui ruisselaient de sueur.

J’étais à deux doigts de l’orgasme.

— Je sens que ça va venir, murmura Kotonaru.

— Hmm, moi aussi, susurrai-je dans son oreille.

Il positionna ses mains sous mes fesses pour accélérer mon mouvement.

— Ne t’arrête pas, chuchota-t-il en respirant fortement.

Mon sexe caressa le sien de plus en plus vite. Mon visage se crispa et mes ongles se plantèrent dans le dos du guerrier. Nous poussâmes de petits gémissements et soupirs avant de jouir en symbiose.

Nous restâmes quelques secondes sans dire un mot et à reprendre notre respiration, puis Kotonaru se laissa tomber en arrière. Je m’allongeai sur lui et embrassai son torse.

— Tu m’as envoyée au septième ciel, mon amour.

— Et toi donc, ma reine.

Le bonheur se lisait dans son regard.

Je me relevai et me dirigeai vers la salle de bains. Je m’adossai contre l’encadrement de la porte, pris une pose aguicheuse et le regardai avec des yeux malicieux.

— Je suis toute transpirante, ronchonnai-je avec ironie. Il me faudrait une bonne douche pour me rafraîchir. Tu m’accompagnes? Je ne pourrai pas me savonner le dos toute seule, clignai-je de l’œil droit.

Il se leva, me rejoignit et s’empara de ma main gauche, qu’il baisa.

— Gourmande.

— Tu n’imagines pas à quel point.

Je l’entraînai dans la salle de bains. Le guerrier referma la porte derrière nous.

Notre nuit de noces mouvementée réveilla sûrement plus d’une fois les occupants du château.

 

-2-

 

 

 

 

 

 

Depuis mon mariage avec Kotonaru, il y a deux mois, nous n’étions toujours pas retournés dans le monde des humains. Ma vie, en tant que souveraine, me pesait déjà terriblement. Je regrettais presque mon studio miteux. Qui l’eût cru? Vivre dans un château n’était pas donné à tout le monde, et niveau finance, on atteignait le nirvana, mais qui voudrait avoir la responsabilité de gérer le peuple d’un pays entier? Certes, le guerrier se chargeait de pratiquement tout, mais je devais quand même mettre la main à la pâte.

Kotonaru n’avait pas une minute à lui, entre les bobos des uns et les malheurs des autres. Et moi, alors?

Les moments où nous étions ensemble et seulement tous les deux, c’était lorsque nous nous pieutions. Super la vie de couple! Quelle intimité! J’étais tout le temps harcelée par une femme qui me radotait les règles de bienséance. Moi qui pensais qu’à mon âge je savais me tenir, ce n’était pas l’avis d’Olga, ma gouvernante. Le guerrier avait jugé utile de l’engager. Elle m’horripilait à toujours se plaindre de mon comportement. Elle répétait sans cesse «Étiquette, étiquette». Je n’étais pas née dans une famille royale et n’avais pas été éduquée ainsi. Ce qui m’agaçait le plus, c’était que l’on me lavait et m’habillait, comme si j’étais une gamine.

Mes journées se résumaient à apprendre à manger correctement, à parler convenablement, à danser pour des bals futurs, à marcher droit, et j’en passais.

Je préférais encore me rendre avec Kotonaru à l’un de ces dîners d’affaires insupportables, ennuyants à mourir. Au moins, je n’étais pas sermonnée par Olga.

Dès que je dépassais les limites de ma tolérance à toutes ces âneries, prête à péter une durite, je m’éclipsais furtivement du château. Ma phobie du vide avait totalement disparu. Quand je sillonnais le ciel, j’avais l’impression d’être un oiseau, libre comme le vent. Voler m’offrait une vue panoramique des paysages du monde du miroir. J’avais revisité le désert et la calotte glaciaire. Leurs vastes étendues me fascinaient. J’avais déniché la faille du désert, dans une grotte où un serpent géant en gardait l’entrée. La brèche de la zone de la glace, quant à elle, était ancrée dans un glacier, et surveillée par un protecteur des neiges. J’avais par ailleurs découvert une fissure dans la forêt vers le château. La fée, qui veillait sur celle-ci, détenait des pouvoirs phénoménaux pour repousser quiconque oserait s’en approcher.

Le guerrier était exaspéré que je me sauve à la moindre occasion, surtout depuis le jour où j’avais manqué de me faire embrocher par une fourche fabriquée à base de coraux par deux sirènes qui défendaient leur village aquatique. Malgré qu’elles nous aient fait l’honneur de chanter à notre mariage, elles restaient tout de même méfiantes et n’aimaient pas se mêler aux autres races.

N’ayant pas mis ma couronne et étant fagotée comme l’as de pique, je n’avais pas pu prouver que j’étais la reine. Elles avaient cru que je venais les tuer pour pomper leur sang. Quelle idée franchement? Qu’est-ce que j’en aurais fait?

Heureusement, Kotonaru, qui m’avait cherchée pendant des heures, était arrivé juste à temps. Il m’avait bien engueulée ce jour-là. Il m’avait expliqué que grâce à une potion, Katherina les avait dupées durant des centaines d’années de vie en copiant les traits et l’odeur de l’une des leurs, et les vidait de leur sang pour confectionner ses élixirs de jeunesse éternelle.

D’après lui, un seul breuvage suffisait, mais la sorcière, qui avait une peur bleue de vieillir et était obsédée par son apparence, en buvait quotidiennement et massacrait toutes les sirènes à sa portée.

Lorsqu’il avait récupéré le trône, il avait trouvé des tonnes de fioles dans la chambre de Katherina. Cette femme était une vraie psychopathe.

Mon planning du jour, loin d’être passionnant, me saoulait d’avance : rappel des bonnes manières lors des cérémonies de thés et entraînement à la danse. Le guerrier, de son côté, était invité chez les fées.

La vieille Olga, plutôt grande et maigre, me lava. La vieillesse avait amaigri ses muscles, elle n’avait plus que la peau sur les os. Elle ressemblait à un mort-vivant avec son visage ridé et creusé et son teint blafard. Ses cheveux noirs, parsemés de mèches blanches attachés en chignon, lui donnaient un air strict. Sa longue robe noire faisait sorcière avec sa dentelle démodée. Elle ne portait aucun bijou. Ses ongles étaient peints de violet, tout comme le maquillage qui ornait ses paupières. Mieux valait ne pas la croiser la nuit au risque de faire une crise cardiaque. Et le pire, c’était qu’elle puait le vioc.

Mon bain terminé, la gouvernante m’accoutra d’une robe blanche bouffante brodée de motifs floraux dorés et me chaussa des escarpins écrus. Puis, elle me coiffa les cheveux en chignon et me maquilla. J’étais son sosie en plus jeune. J’espérais ne pas finir dans le même état.

Nous descendîmes ensuite à l’étage inférieur.

Nous rencontrâmes Serena en chemin. J’ordonnai à Olga de m’attendre une minute.

Je me rapprochai de la guerrière qui esquissa un sourire moqueur.

— Salut! lança-t-elle quand je fus à sa hauteur. Quel est le programme du jour?

— Danse et cérémonie de thé, râlai-je.

— Quelle chance ! rit-elle.

— J’ai un service à te demander.

— De quoi as-tu besoin?

— Libère ton après-midi.

— Qu’est-ce que tu as derrière la tête? Ne me dis pas que tu veux te rebarrer du château? La dernière fois que tu es sortie, tu as failli te faire buter. Et Kotonaru m’avait pourrie, parce que je t’avais aidée à te carapater.

— Surprise! ris-je.

— Je sens que Kotonaru va encore me passer un savon, grommela-t-elle en roulant des yeux.

— Merci, sautillai-je. Bon, je te laisse, avant que la vieille peau s’impatiente, soufflai-je discrètement.

Je rejoignis la gouvernante, qui faisait le planton, les mains posées sur ses hanches. Elle me pria de la suivre jusqu’à la salle de bal.

Nous arpentâmes le couloir qui y menait. Olga ouvrit la porte. L’immense salle au plafond haut mouluré baignait dans la lumière des rayons du soleil qui traversaient les fenêtres. L’emblème de la famille royale qui décorait le sol de vives couleurs était fréquemment rénové pour conserver sa somptuosité éblouissante, les danseurs estompant les dessins lors des nombreuses réceptions avec leurs pieds qui effectuaient des figures propres à la danse exécutée. Au fond, deux trônes étaient disposés sur une estrade. Il s’agissait de celui du guerrier et le mien. Quand nous avions des invités, des tables et des chaises s’appropriaient l’espace, réduisant ainsi la piste, qui restait tout de même gigantesque.

Le serviteur, déjà sur place, mesurant un mètre quatre-vingt à vue de nez et à la carrure élancée, se prosterna. Je me courbai pour répondre à sa salutation.

La vieille dame m’informa qu’il me servirait de cavalier.

Le jeune homme d’une trentaine d’années, au visage angélique, cheveux bruns et yeux marron-vert, avait assorti une chemise blanche à son costume noir, qui lui allait comme un gant.

— Je vous observerai pour vous étudier et noter ce que vous devrez retravailler, signala la gouvernante.

Je me présentai devant le majordome et lui fis une révérence. Il s’inclina et me tendit sa main gauche. Je posai la mienne dans la sienne. Il enlaça mon dos avec son bras droit et me guida. Nous tournions sur nous-mêmes. La musique instrumentale envahit la salle, rythmant nos pas. J’aurais préféré danser avec Kotonaru.

Valser avec lui, coller nos corps l’un contre l’autre, son souffle caressant ma nuque, de quoi éveiller les sens et attiser mon désir. Les jours où nous filions à l’anglaise dans cette salle de bal pour fuir quelques heures ses obligations de monarque me paraissaient si lointains alors qu’à peine deux mois s’étaient écoulés. Dans notre bulle, seuls au monde, plus rien n’avait d’importance. Ces moments intimes me manquaient. J’aurais aimé partager ces instants uniques avec le guerrier encore aujourd’hui, mais sa fonction de souverain accaparait tout son temps et il m’abandonnait.

— Vous êtes en net progrès depuis votre premier cours de danse, affirma la vieille Olga qui me redescendit sur terre.

Je n’ai pas grand-chose à redire, mis à part que vous êtes toujours contractée et que vous ne souriez pas assez à votre partenaire. Vous devez lui montrer que vous êtes ravie de danser avec lui.

— Excusez-moi, mais je suis plus détendue lorsque je valse avec mon mari.

Je braquai mon regard dans celui du domestique.

— Je n’ai rien contre vous, il ne faut pas m’en vouloir, mais mon sourire ne se dessine sur mes lèvres qu’en présence de mon époux.

Le majordome hocha la tête.

Olga dit alors que nous allions déjeuner et qu’ensuite nous reverrions les convenances lors des cérémonies de thé.

Je remerciai le domestique avant de me retirer, accompagnée de la gouvernante.

Nous nous dirigeâmes vers la salle à manger.

Des chandelles ornementaient le centre de la table qui occupait presque toute la pièce, ainsi que des bouquets de roses rouges. Mes talons claquaient sur le carrelage en marbre, alternant des carrés tantôt noirs, tantôt blancs. Les deux colossaux lustres illuminaient la salle aux tons sombres. Nous nous installâmes chacune à un bout de la table. Les serviteurs nous apportèrent les différents plats successivement qui parfumèrent les lieux d’odeurs alléchantes. Comme d’habitude, Kotonaru brillait par son absence, me laissant en tête à tête avec la vieille bique.

Le repas s’acheva sur une note sucrée. La glace à la kokonane6 fondait sous ma langue, qui savourait cette vague de fraîcheur contrant la chaleur accablante de l’été.

Je trouvai un prétexte bidon pour m’enfuir. Olga m’avertit qu’elle m’attendrait dans le hall.

Il fallait que je mette le grappin sur Serena et que je me débarrasse de la gouvernante.

La guerrière flânait dans le couloir. J’en profitai et m’avançai vers elle.

— Comment s’est passée ta matinée?

— Je ne vais pas tarder à craquer, bougonnai-je.

— C’est dur la vie de reine, rit-elle.

— N’en rajoute pas, rouspétai-je. Tu es disponible?

— Oui.

Je l’emmenai alors jusqu’à ma chambre et déverrouillai la porte. Nous nous engouffrâmes dans la pièce.

— Il faut que je me dépêche, sinon Olga soupçonnera quelque chose et rappliquera ici. Et si elle me surprend encore en train de manigancer dans son dos, cette vieille peau me houspillera et ça gâchera cette journée déjà assez emmerdante à mon goût.

Je farfouillai mon armoire pour me fringuer avec des vêtements adéquats pour mon expédition spéciale. Je jetai au-dessus de ma tête ceux qui ne m’intéressaient pas, et optai finalement pour un tee-shirt, un pantalon, des chaussettes et une paire de baskets.

— Je n’ai jamais vu ce genre de chaussures, commenta la jeune femme en les examinant. Elles proviennent du monde des humains?

— Si elles te plaisent, je t’en rapporterai.

— Je ne suis pas sûre qu’elles s’accorderont à ma garde-robe.

Je bazardai ma tenue encombrante, enfilai les sapes que j’avais dégotées et me baissai pour faire mes lacets.

J’étais bien plus à l’aise désormais, même si j’étais habillée comme une plouc.

Je me redressai et arborai un sourire diabolique.

— Je suis prête, lâchai-je.

— On va où?

— Aux souterrains du château.

Elle écarquilla les yeux.

— Tu n’es pas sérieuse?

— On ne peut plus.

— Tu ne pourras pas te balader là-bas, des gardes surveillent l’entrée.

— Et alors? C’est moi la souveraine, je fais ce que je veux.

La guerrière posa sa main droite sur sa hanche.

— Désolée de te décevoir, mais non.

— Et pourquoi ça?

— Kotonaru a ordonné aux gardiens d’y interdire l’accès à toute personne, même à toi.

Un rictus de satisfaction s’afficha sur mon visage. Je devais avoir une tête flippante.

— J’ai encore plus envie de fouiner maintenant.

— Laisse tomber, c’est perdu d’avance.

— J’ai plus d’un tour dans mon sac. Je ne m’avouerai pas vaincue aussi facilement.

Je faisais les cent pas tout en cherchant une solution.

Comment pourrais-je berner les gardes?

Soudain, des picotements engourdirent mes doigts. Que m’arrivait-il? Mon cœur se mit à battre à tout rompre et mon corps se transforma en chaudière. J’avais fait une montée de stress. Je n’avais jamais ressenti de telles sensations.

Même si j’étais angoissée, je dominai mon affolement pour ne pas que la jeune femme s’en aperçoive.

Quand les fourmillements cessèrent cinq minutes après, des points lumineux apparurent devant mes yeux. Légèrement déséquilibrée, je décidai de m’asseoir sur mon lit, craignant de m’évanouir.

Qu’est-ce qui se passait? Était-ce parce que j’étais naze de mal dormir la nuit?

— Un souci, Himiko? questionna Serena.

— J’ai un coup de barre. Je vais me poser un peu si tu permets.

Je restai ainsi une bonne dizaine de minutes. Les taches scintillantes finirent par s’envoler.

La panique qui s’était emparée de moi s’atténua petit à petit. J’avais bien balisé. Il fallait que je repose mon corps. Il avait sûrement tiré un signal d’alarme pour me mettre en garde. Enfin, ce n’était pas pour tout de suite.

Je me relevai et replongeai dans ma réflexion.

«Il y a un autre passage.»

Mon rythme cardiaque s’accéléra. Une voix résonnait dans ma tête. Je devais vraiment être crevée.

«Fais travailler ton cerveau, Himiko», reprit la voix.

Je commençais à avoir les foies. Mon regard considéra la guerrière. Elle n’avait pas l’air d’entendre cette voix. Qu’est-ce que c’était que ce bordel? Une blague foireuse pour que j’aie la frousse? Si c’était le cas, c’était réussi. Je n’osai pas en parler à la jeune femme, de peur qu’elle me prenne pour une timbrée.

«Les plans du château.»

Les plans du château? Cette voix était un génie! Mais cette histoire m’inquiétait. C’était comme si on s’était incrusté dans ma tête. Mais qui ferait ça? Et pourquoi?

J’intériorisai ma nervosité, me disant que c’était certainement mes insomnies, qui rendaient dingue mon cerveau, et demandai à Serena si nous avions des plans du château.

Elle m’affirma qu’ils étaient dans la salle des archives. Je l’invitai donc à m’y conduire. Elle me dévisagea avec une tête suspicieuse, puis accepta.

Nous mîmes alors le cap sur ladite salle.

Une fois devant, nous ouvrîmes les deux portes. Une grande table trônait au milieu de l’énormissime pièce. Une multitude de livres croupissaient sur des étagères empoussiérées. Ils semblaient assez anciens pour la plupart avec leurs couvertures cornées et usées. La poussière qui stagnait me fit éternuer. L’ampoule affaiblie éclairait avec difficulté la pièce qui se faisait engloutir par les ténèbres. Un frisson parcourut mon corps, n’étant pas très rassurée de fouler ce sol éclaté à de multiples endroits. Des bouquins s’y étaient-ils écrasés, fracassant ainsi les carreaux fragiles?

La guerrière se dirigea vers le fond de la salle. Je lui emboîtai le pas.

Des bacs en bois bourrés de documents squattaient les étagères. La jeune femme en saisit un.

Nous retournâmes ensuite vers la table, renversâmes le contenu du bac dessus et étalâmes les papiers. Serena les scruta brièvement et repéra les plans. Je chopai celui qui représentait le château dans sa globalité. Je l’inspectai et l’étendis sur la table.

J’indiquai un endroit avec mon doigt.

— Si je ne me trompe pas, les souterrains sont ici.

La guerrière acquiesça.

Je décalai mon doigt sur la droite.

— Et ça, ce sont bien les cachots?

La jeune femme hocha la tête pour confirmer.

— On a encore des prisonniers?

Elle remua la tête et me certifia qu’ils étaient tous vides.

Un sourire se dessina sur mes lèvres. Serena me regarda avec des yeux interrogateurs.

— La voilà, notre porte d’entrée! m’exclamai-je.

La guerrière fronça les sourcils.

— Qu’est-ce que tu as l’intention de faire?

— Passer par là, pointai-je avec mon index.

Elle me contredit en désignant une forme sur le plan.

— Il y a un mur si tu n’avais pas remarqué.

— Et alors? Fais-moi confiance. Il faudra par contre éviter de croiser quelqu’un, et surtout pas Olga.

— Je partirai en éclaireur si tu veux.

— Dommage qu’elle et les gardiens soient de notre race, sinon nous nous serions rendues invisibles et ça aurait été réglé en moins de deux.

Je remerciai intérieurement la mystérieuse voix qui m’avait aiguillée, même si c’était vachement effrayant. Enfin, je mettais ça sur le compte de la fatigue accumulée. Je ne devais pas psychoter.

Nous sortîmes de la salle des archives. La guerrière s’assura que personne n’errait dans le couloir. Je la rejoignis dès qu’elle me fit signe d’avancer.

Nous descendîmes à l’étage inférieur. Pour l’instant, tout marchait comme sur des roulettes.

Tout à coup, la jeune femme agita la main pour me prévenir qu’il fallait que je me planque. Quelqu’un devait venir dans notre direction.

C’était Olga. Je les observai et écoutai leur discussion depuis ma cachette.

— Serena, vous n’auriez pas vu la reine? Cela fait un moment que je patiente dans le hall, mais elle ne revient toujours pas des toilettes.

— Peut-être qu’elle coule un bronze.

La vieille femme grimaça de dégoût et toisa la guerrière du regard.

— Vous êtes d’une vulgarité. Ça ne m’étonne pas que la souveraine ait une attitude aussi dévergondée. Vous avez une mauvaise influence sur elle.

— Je me fiche de ce que vous pensez de moi. Je ne sais pas où est la reine. Vous n’avez qu’à vérifier dans sa chambre.

La gouvernante maugréa et monta au niveau supérieur, nous laissant ainsi le champ libre. Nous continuâmes donc de progresser jusqu’à ce que nous atteignîmes notre objectif.

J’abaissai la poignée de la porte en bois qui couina quand je l’ouvris. Serena appuya sur l’interrupteur et nous empruntâmes doucement les escaliers qui menaient aux cellules, le moindre bruit pouvant alerter les gardes.

Les geôles, plutôt lugubres, me foutaient la chair de poule. Les grilles rouillées entrouvertes grinçaient avec le vent qui s’introduisait entre les pierres du mur du château. Les éclaboussures de sang séché qui tapissaient les cloisons et le sol des oubliettes et le relent de moisi qui régnait me donnaient la gerbe.

La seule fois où je m’étais aventurée ici, c’était pour secourir Serena et Kotonaru. Je n’avais de ce fait pas trop prêté attention à ce qui m’entourait. Mon père avait également été emprisonné plusieurs jours dans un de ces cachots. Comment était-il parvenu à endurer ça? J’en aurais été incapable si j’avais été enfermée dans une de ces cages immondes.

Me remémorer cette douloureuse partie de sa vie m’attrista. S’il était possible de changer le passé, je n’hésiterais pas à remonter le temps et à le sauver. J’aurais tué Katherina et je me moquais de l’impact que ça pourrait avoir sur le futur.

Subitement, une migraine atroce me martela la tête.

La guerrière se positionna face à la dernière cellule, le plan ouvert devant elle.

— A priori, en démolissant le mur de ce cachot, nous accéderions aux souterrains.

J’essayai de faire abstraction de ce mal de crâne horrible et me concentrai.

— Inutile de l’abattre, on va passer à travers.

— Hein?

— Donne-moi la main.

Elle ne broncha pas et obtempéra.

— Koeru!

Je tendis mon bras. Nos corps traversèrent l’épaisse cloison.

Lorsque nous atterrîmes dans les souterrains, Serena s’écria stupéfaite :

— Comment tu fais ça!

— J’ai activé mon côté sorcière. J’ai

appris quelques sorts dans un grimoire que Kotonaru m’a offert.

— Tu es devenue un être exceptionnel grâce à cette potion.

Je baissai la tête et murmurai tristement que le prix à payer n’en valait pas le coup.

Les larmes embuèrent mes yeux. Ce breuvage m’avait enlevé Mélusine, mon père, et ma mère. J’aurais préféré qu’il n’ait jamais existé. Katherina avait laissé une montagne de cadavres derrière elle pour le débusquer, celui-ci réunissant l’ensemble des pouvoirs de chacun des peuples du monde du miroir. Alors, oui, j’avais hérité d’une force indéniable, de la magie de tous les êtres de ce monde, mais sans lui, mes parents et Mélusine seraient toujours là.

La guerrière me frotta le dos et s’excusa d’avoir lancé ce sujet.

Je la remerciai, essuyai mes larmes, et m’efforçai de sourire.

— Ce n’est pas grave. Allez, suis-moi, on a une exploration qui nous attend.

Je pressai l’interrupteur situé à notre droite. La lampe qui s’alluma nous révéla une zone comportant deux petites salles.

Nous entrâmes dans la première.

J’attachai mon regard sur ce qui y était exposé.

— C’est assez glauque comme endroit.

La jeune femme approuva d’un mouvement de la tête.

Des bocaux rangés sur des étagères contenaient vraisemblablement des organes. Curieuse, je me rapprochai.

Des yeux me fixaient, des mini cerveaux flottaient dans un étrange liquide jaune et des animaux que je ne connaissais pas, paraissant vouloir s’évader de leur prison de verre, m’imploraient de leurs yeux terrifiés. C’était à vomir.

Je fis un pas en arrière et maîtrisai un haut-le-cœur puissant sur le point de saloper mes baskets d’une flaque nourrie de mon déjeuner du jour.

— Pourquoi ces trucs sordides sont-ils conservés ici?

— Bonne question, répondit Serena.

J’ouvris un des bocaux, mais le refermai immédiatement, écoeurée.

— Pourquoi Kotonaru ne balance-t-il pas toutes ces cochonneries? C’est répugnant visuellement, et l’odeur de pourriture qui s’en dégage… J’ai pas les mots…

Sur l’étagère accolée à celle où étaient stockés les ignobles bocaux, des livres espéraient trouver un nouveau maître.

J’en pris un au hasard et le feuilletai. Les pages jaunies et tachées attestaient de son ancienneté. Des symboles et dessins accompagnaient les textes manuscrits.

Un livre de magie.

Qui donc avait pu répertorier toutes ces formules magiques? Je remis le grimoire à sa place et en sélectionnai un autre. Le livre était identique au premier avec une couverture en cuir marron usée par une utilisation probablement régulière. Je consultai la page de garde et me pétrifiai. Mes mains et ma bouche se mirent à trembloter.

— Ce sont les grimoires de Katherina, balbutiai-je.

La guerrière détacha son regard des bocaux et s’avança vers moi.

Elle pencha sa tête et constata avec horreur qu’ils appartenaient bien à la sorcière. Elle en choisit ensuite un, qu’elle survola rapidement.

— Ce sont des livres de sorcellerie. Tous les objets de cette salle proviennent de la chambre de Katherina, réalisa la jeune femme.

— Quel intérêt Kotonaru a-t-il de les garder?

Elle leva les épaules et soupira.

— Aucune idée.

Je rangeai le grimoire. Serena m’imita.

J’ouvris une des armoires sur ma gauche. Des vêtements féminins y étaient pendus et pliés. Le guerrier n’avait jamais détruit les affaires de la sorcière et avait tout caché dans les souterrains. Pourquoi ne les avait-ilpas flanquées à la poubelle? Pourquoi ne m’en avait-il pas parlé? Et pourquoi aller jusqu’à poster des gardiens pour protéger son secret? Je ne pourrais malheureusement pas le questionner, sinon il saurait que j’étais venue ici.

De longs morceaux de bois empilés contre le mur attirèrent mon regard. Je supposai que c’était le lit de Katherina, vu qu’il y avait aussi un matelas et des draps.

Mes yeux se portèrent cette fois sur une malle qui traînait au fond de la salle.

Serena me proposa de fouiller la deuxième salle. Je lui dis que je voulais d’abord jeter un coup d’œil à ce que renfermait le coffre.

Nous nous dirigeâmes vers celui-ci. Je m’agenouillai et tirai à l’aide des deux poignées positionnées de part et d’autre de la malle pour l’extirper de sous l’étagère où elle moisissait à cause de l’humidité.

Dès qu’elle fut à ma portée, je soulevai le couvercle. Des centaines et des centaines de fioles y étaient entassées.

J’en saisis une et l’examinai sous toutes ses coutures.

— Qu’est-ce que c’est que ça?

Je la débouchai et la sentis.

— La vache, ça schlingue! pestai-je en me pinçant le nez.

La jeune femme, qui était restée debout, posa sa main sur mon épaule et m’intima de la reposer.

Je levai la tête. Mon incompréhension devait se lire dans mes yeux, car elle insista de ne pas y toucher, que c’était dangereux.

Je me relevai brusquement, fis face à la guerrière et ronchonnai :

— Qu’est-ce que c’est?

— Le savoir ne t’apportera rien de plus.

— Si tu ne me le dis pas, je l’avale cul sec, bluffai-je.

Elle m’arracha le flacon des mains et hurla :

— Ne fais pas ça!

Sa réaction pour le moins excessive me choqua.

— Qu’est-ce qui t’arrive, Serena?

Elle passa sa main droite dans ses cheveux.

— Excuse-moi. Je n’aurais pas dû m’emporter.

— Tu as déjà eu des ennuis avec ce type d’élixir? C’est pour ça que tu ne veux pas que j’y touche?

— Cette potion, c’est un poison, marmonna-t-elle.

Je l’interrogeai timidement avec des yeux anxieux.

— On peut en mourir?

— Non, mais elle est confectionnée à base de matériaux interdits.

Je compris de quelle sorte de breuvage il s’agissait. Je croisai les bras et poursuivis la conversation.

— C’est un de ces élixirs de jeunesse, élaboré avec le sang des sirènes, pas vrai?

— Oui. Son effluve est particulier. Il empeste le fer et le sang.

Je repris la fiole qu’elle tenait dans ses mains et la remis dans la malle.

— Ne t’inquiète pas, je ne boirai jamais ces potions. Je ne suis pas Katherina.

— Avec ce breuvage, tu cesses de vieillir et plus aucune maladie mortelle n’aura raison de toi. Par contre, tu peux toujours te faire tuer. Mais ingérer cet élixir a des effets secondaires. Il rend fou et paranoïaque.

— Kotonaru aurait dû s’en débarrasser.

— Comme tout ce qu’il y a dans cette salle.

— Inspectons la deuxième et rentrons, il se fait tard. Olga va finir par disjoncter et rameuter tous les soldats du royaume si nous nous attardons trop longtemps.

La salle, plus sinistre que la précédente, était quasiment vide. Un lit double et un simple en occupaient son centre.

— C’est le lit des parents de Kotonaru

et le sien. Je les avais vus à travers les yeux de mon père quand Kotonaru m’avait projetée dans son corps pour que je pénètre dans sa mémoire. S’il a conservé toutes ces choses de son passé, c’est sans doute parce qu’il n’est pas prêt à tourner la page.

La salle regroupait tous les souvenirs de l’enfance du guerrier, mais pas que. Son armure de samouraï7