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Noëlla Nakoe est originaire de Centrafrique. Elle est arrivée à quatre ans en France, où elle fut élevée par sa grand-mère, la lumineuse Lossia. Son récit s'ouvre sur l'histoire de sa famille, notamment de sa branche maternelle issue de l'ethnie yakoma. Relatant ensuite son parcours, l'auteure aborde avec une grande sincérité les blessures et écueils, qu'elle a surmontés, armée d'un indéfectible courage, et dresse le portrait des personnes généreuses qui ont éclairé son chemin. Son ouvrage est une ode au vivre ensemble et au respect de chacun, avec ses différences.
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Seitenzahl: 86
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Je vois les expériences et épreuves de la vie comme des roses, parcourues d’épines et parées de doux pétales au parfum enivrant. Je m’efforce de me concentrer sur les pétales, et dans la mesure du possible, de transformer mes faiblesses en forces, et les obstacles qui se dressent sur ma route en tremplins vers la réussite.
Sangaris : le Cimothoe sangaris est une espèce de papillon rouge que l’on rencontre dans les forêts tropicales en Afrique centrale.
Sangaris est aussi le nom donné à l’opération militaire conduite par l’armée française en République centrafricaine entre le 5 décembre 2013 et le 31 octobre 2016.
Mamie Lossia et l’ethnie yakoma
Souffrances de ma mère
Ma jeunesse en Essonne
Hommage à Yann
Lossia, une rose dans mon cœur
Vivre ensemble, avec nos différences
Annexes : photographies et documents
JE SUIS NÉE en République centrafricaine, en 1986. Ma branche maternelle vient de l’ethnie yakoma, dont le pays d’origine est le Congo, berceau de mes ancêtres maternels. Ce sont mes arrière-grands-parents qui ont quitté le Congo pour rejoindre la Centrafrique, au nord. Ces deux pays sont très proches culturellement ; il existe notamment de nombreuses similitudes dans les langues et les mets traditionnels.
L’ethnie yakoma se distingue par son organisation matriarcale. Les femmes yakoma sont réputées fortes, indépendantes et cultivées. La plupart sont propriétaires de leurs terres. Ma grand-mère Lossia, qui m’a élevée, était une Yakoma typique, tout comme ma mère, qui s’est toujours battue malgré ses fragilités. Réfléchis, les Yakoma cherchent à s’élever socialement et à réussir. Ils étaient respectés par les colons français, avec qui ils entretenaient des relations privilégiées. Mon arrière-grand-mère était à la tête d’un petit commerce et habitait avec son époux sur une plantation de bananes tenue par des Blancs ; les deux familles ont toujours vécu en bonne intelligence. À cause de leurs privilèges et de leur statut social, les Yakoma étaient jalousés et ont été la cible d’exactions et de persécutions. Quand ma sœur et moi étions enfants, notre grand-mère a voulu nous emmener en Centrafrique pour nous faire connaître notre pays, mais à cause d’une mutinerie contre l’ethnie yakoma, nous n’avons pas pu partir. La rébellion avait été fomentée par le président en exercice, qui était d’une autre origine et voyait d’un très mauvais œil le prétendu pouvoir de notre peuple. Je ne suis plus jamais retournée dans mon pays, trop instable, en proie à de régulières guerres ethniques et génocidaires visant les Yakoma.
J’avais un oncle qui habitait dans un quartier assez huppé de Bangui. Un jour, une mutinerie a éclaté. Des hommes armés ont débarqué chez lui. Ils l’ont forcé, ainsi que sa femme et ses enfants, à se mettre à genoux, en ligne, et ils ont pointé l’arme sur la tête de mon oncle. À un moment, le téléphone a sonné et l’un des assaillants a dit :
« Non, ne les exécutez pas ! »
Mon oncle est parti quelque temps avec ma tante et leurs enfants, puis il est rentré chez lui, en Centrafrique, où il a été élu député. Il est resté en fonction jusqu’en 2021, avant de prendre un nouveau virage. Il ne s’est pas découragé. C’est un autre trait de caractère du peuple yakoma : il n’a pas froid aux yeux, il affronte les difficultés et ne renonce pas face aux épreuves. Au contraire, il tire de celles-ci une véritable force. Je vois les Yakoma comme des phœnix, capables de renaître de leurs cendres : plus on veut les combattre, dans un domaine ou un autre, plus ils s’aguerrissent et sortent grandis du conflit. Ceux qui me connaissent me voient comme une personne courageuse, énergique, qui sait rebondir. J’observe cette combativité chez mes enfants. Quand ma fille aînée tombait dans le parc, elle pleurait un peu et si je m’approchais pour l’aider, elle disait « non ! » et se relevait d’elle-même, avant d’essuyer ses larmes.
La Centrafrique est l’un des pays les plus pauvres au monde alors qu’il est assis sur un trésor. La nature est luxuriante, et les ressources minières sont considérables. Malheureusement, l’État est incapable de gérer les richesses du pays, et la guerre permanente ne facilite pas la mise en œuvre de projets constructifs. Nous avons subi des dictatures, dont celle, entre 1993 et 2003, d’Ange-Félix Patassé, qui porte bien mal son prénom. Ce tyran, d’origine gbaya, a mené un combat incessant contre l’ethnie yakoma. Les Peuhls aussi ont régulièrement été persécutés ; à chaque changement de régime, ils ont été victimes d’exactions. Les Peuhls pratiquent l’agriculture. On les reconnaît physiquement, à leurs traits fins, leurs longs cheveux. C’est un très beau peuple. Aux conflits ethniques viennent se greffer depuis peu les conflits de religion, causés par des islamistes qui mènent des actions terroristes sur le territoire et forcent les habitants à se convertir.
Tara Louise et Papi Louis
Tara Louise, mon arrière-grand-mère maternelle, a été mariée toute jeune, à l’adolescence, comme la plupart des filles de son époque. Elle a eu beaucoup de difficultés à accoucher de ma grand-mère. Selon la coutume, la famille a fait venir un sorcier, qui a lu dans ses cartes que l’enfant allait venir, mais qu’il fallait patienter car pour le moment, elle était en train de jouer avec son mari, le fleuve Gonda. Ma grand-mère a reçu le prénom Ya Gonda : ya signifie « femme de », et gonda veut dire « fleuve ».
Comme je l’ai dit, les Yakoma aiment se cultiver et veulent s’élever socialement. Quand ma grand-mère était enfant, elle fréquentait une école française, tenue par des missionnaires. Ses parents tenaient à ce que leur fille s’instruise et le fait est que Mamie travaillait très bien. J’ai été très surprise d’apprendre que Tara Louise, que j’avais vu sur une photo devant une petite cabane, savait lire et écrire. Je conserve quelques lettres écrites de sa main, destinées à sa fille alors partie dans un autre village. Elle racontait son quotidien, ses difficultés… « Voilà, écrit-elle, j’ai des clientes qui ne m’ont pas encore payée. » Ses lettres sont très belles. Je suppose que ce sont les missionnaires qui lui ont appris à écrire.
Ma grand-mère s’est mariée à un denda, un homme à la peau claire, inspecteur de l’Éducation nationale et politicien. De son côté, elle est entrée dans l’enseignement. Le jeune couple était très amoureux mais la bellemère n’aimait pas du tout sa bru, d’une autre ethnie. Ne supportant plus la pression de sa mère, mon grandpère a fini par rompre. Il adorait pourtant sa femme, ils étaient démonstratifs tous les deux, fusionnels, comme les jeunes Blancs. Mon grand-père a annoncé à ma grand-mère qu’il la répudiait par écrit, dans une lettre. Quel choc, quelle violence pour elle ! Elle avait déjà un enfant de lui et était enceinte de ma mère quand elle s’est fait chasser. La situation était dramatique. Elle est tombée en dépression et a fait un déni de grossesse. Elle n’arrivait même plus à s’occuper de son fils, à changer les couches… En Centrafrique, les maladies psychiques n’étant pas traitées, elle n’a pas été accompagnée. Je suppose que les problèmes psychiques qu’a eus ma mère viennent en partie de là. L’enfant ressent tout… Sa mère était en grande détresse quand elle était dans son ventre. Moi-même, sans le vouloir, j’ai transmis mon mal-être à ma fille aînée. Connaissant mon histoire familiale, j’essayais d’être joyeuse et positive pendant ma grossesse, mais Mamie était malade et elle est décédée. J’ai beaucoup pleuré enceinte. La perte de ma grand-mère a été d’une grande violence pour moi et je pense que le retard de ma fille a son origine dans ce contexte.
Page suivante : Lucienne, dite Lossia, ma grand-mère
Après avoir été répudiée, Mamie a dû retourner chez ses parents. Elle a accouché de ma mère, puis elle a subi un autre choc. Un homme est allé rapporter à mon grand-père qu’elle l’avait regardé, et qu’ils s’étaient souri, mais sans penser à mal bien sûr. Mon grand-père a interprété ses paroles à sa manière et a battu son épouse répudiée au point où ma grand-mère a cru qu’il allait la tuer. Elle s’est enfuie, en laissant sa fille, tout bébé, chez son ex-conjoint. Alors qu’elle s’enfuyait en courant, elle entendait les hurlements de son bébé derrière elle…
Les parents de ma grand-mère, un peu embarrassés et honteux que leur fille ait été répudiée, sont partis en quête d’un deuxième mari pour elle. Une cousine a présenté un homme à ma grand-mère, qu’elle a accepté. Il était déjà père, ce qui lui a semblé sécurisant. Elle se disait qu’elle apprendrait à aimer son enfant et que lui aimerait les siens. Elle avait tort. Cet homme a rejeté ses enfants. Elle l’a compris avant même de l’épouser, mais elle s’est forcée à monter à l’autel pour sauver l’honneur de ses parents… Ma grand-mère a fait le choix de laisser ses enfants à sa maman, Tara Louise, et elle a refait sa vie loin d’eux.
De son côté, mon grand-père s’est mis en couple avec une autre femme, un peu plus denda, plus claire de peau, que ma grand-mère. Il était très beau et il en jouait. Il séduisait même les femmes de ses amis, et leur faisait des enfants. Et comme il marque beaucoup, les enfants issus de ses liaisons adultères lui ressemblaient… ! Mon oncle, le frère de ma mère, était très élégant lui aussi. Et ma mère, quelle superbe femme, avec des cheveux qui lui tombaient jusqu’en bas du dos ! Aussi belle que Naomi Campbell ! Ces histoires de couleur de peau sont curieuses. Avec certaines de ses conquêtes, mon grand-père a eu des enfants albinos. Sa blancheur continue de se transmettre. Ma fille Lossia est très claire de peau, au point où les gens croient, à tort, que son papa est un Blanc !