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"Désinstruire de A à Z" propose une réflexion saisissante sur l’effondrement du système éducatif, décortiqué sous forme de constats, de témoignages et d’analyses, classés par ordre alphabétique. Chaque entrée, à la fois concise et percutante, dévoile les dysfonctionnements du dispositif scolaire, tout en éclairant les causes profondes souvent ignorées. Par cette observation sans concession, l’auteur invite à une prise de conscience urgente : l’instruction publique, dans sa forme actuelle, est condamnée et nécessite une reconstruction totale. Un essai lucide et décapant, qui interroge la place de l’éducation dans notre société.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Agrégé de lettres modernes et témoin privilégié du quotidien scolaire, Jean-Noël Gaudy sonne l’alarme face à l’effondrement éducatif observé durant ses années d’enseignement dans le secondaire. Désormais essayiste, il met au jour les ressorts souvent dissimulés de cette « désinstruction » à travers une série de courts textes classés de A à Z, qui conjuguent analyse rigoureuse et regard sensible sur la dérive de nos institutions.
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Seitenzahl: 105
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Jean-Noël Gaudy
Désinstruire de A à Z
© Lys Bleu Éditions – Jean-Noël Gaudy
ISBN : 979-10-422-7919-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
COLLABO : Comment l’humanité a-t-elle pu se passer de ce mot jusqu’en 1944 ? Le mot une fois trouvé, on se rend compte de plus en plus que l’activité de l’homme a le caractère d’une collaboration.
ÉLITISME : le mot n’apparaît en France qu’en 1968. Pour la première fois dans l’histoire, la langue elle-même jette sur la notion d’élite un éclairage de négativité sinon de mépris.
M. Kundera, L’art du roman, 1986
Il convient de lire cet ouvrage de la manière que l’on voudra. On peut suivre l’ordre alphabétique : la progression apparaîtra alors sinueuse, avec de fortes déclivités. On passe souvent du coq à l’âne. Il ne faudra pas être non plus rebuté par les retours et les rebroussements qui ne représentent pas toujours du temps perdu cependant. En tout cas, ce chemin a son point d’aboutissement et produira peut-être un effet de perspective.
On peut ne pas tenir compte de l’ordre des articles et avancer « à sauts et à gambade » en feuilletant l’ouvrage, en laissant sa part au hasard ou en s’appuyant sur l’index. Je laisse aux esprits qui aiment plonger dans des systèmes le soin d’opérer entre les articles les rapprochements et les hiérarchies qui s’imposent.
Je serais heureux que les lecteurs (et lectrices aussi bien !) attachés à l’instruction publique trouvent dans cet ouvrage une réserve de munitions pour mener l’âpre combat. Je me réjouirais qu’à ce titre cet ouvrage portatif se diffuse comme un samizdat et contribue à un travail de sape des fondements idéologiques de la désinstruction.
Dans le contexte actuel, ce livre risque donc fort d’être considéré comme fondamentalement déplaisant, contrariant, négatif, critique. Il se peut même que la critique officielle, si elle le recensait, y relève de condamnables « dérapages » prouvés par des citations bien choisies.
Par conséquent, les libraires prendront garde à ne pas le mettre en évidence et à le promouvoir le moins possible. Ils l’écarteront bien sûr du rayon « bien-être, sagesses, sophrologie ». En effet, ce livre est politique, sera jugé partial, polémique, donc à lire pour résister et aller au combat.
Comment expliquer la prolifération dans le « système éducatif » de toutes les abréviations et l’extension du vocabulaire de la gestion ? L’instituteur a depuis des décennies disparu. On parle maintenant de PE. On voit se multiplier les élèves pour lesquels un PAI devient nécessaire. De quels « indicateurs de performance » disposent les CE ?
Avec les abréviations et les formules qui supplantent les termes de l’usage commun advient la transformation d’une institution définie en termes simples et clairs, ceux « d’instruction publique », en machine, en dispositif social : le système éducatif.
Cette méga-machine a pour fonction principale (même si elle est occultée) de gérer des flux démographiques par l’encadrement éducatif. Elle n’échappe bien sûr pas à la logique des systèmes de contrôle. En quelques décennies, elle n’a cessé d’étendre son emprise jusqu’à encadrer presque toute la jeunesse dès l’âge de deux ans.
Devenue système de gestion, l’institution en a pris les caractères distinctifs. Elle a développé un idiome, elle a multiplié les abréviations pour désigner les services, les grades, les établissements, les disciplines, les diplômes, les « personnels ». Elle s’affirme ainsi comme dispositif technique de gestion de toute une partie de la population, d’encadrement de masses humaines.
La langue de bois et les abréviations permettent aux « acteurs du système » de se reconnaître entre eux. Le système tend à devenir autonome et à être à lui-même sa propre finalité, ayant perdu peu à peu de vue celle de l’instruction. Les termes jugés anciens bien sûr, les mots complets sont des obstacles parce qu’ils gardent du sens et renvoient à des finalités jugées obsolètes. Par la prolifération des sigles, le système se réforme en permanence et avance vers l’avenir radieux de la gestion de plus en plus technique, statistique et automatisée des populations scolaires et du « personnel enseignant ». La langue ne doit plus être qu’un outil au service du système. On n’a plus le temps de désigner les personnes et les choses simplement et comme il le faudrait ni d’y mettre les formes. Les abréviations sont des rouages linguistiques pour faire tourner la méga-machine.
AESN, BTS, CPGE, CRPE, CDI, COP, DNB, DSDEN, DP, EAF, EPLP, ESPE, EP, EPLE, IA, IGAENR, IGEN, IPR, IA, LGT, PAI, PNB… autant d’outils de gestion, de la gestion des masses, des flux par ce système éducatif qui « scolarise » toujours plus, investit des secteurs toujours plus étendus. La méga-machine éducative étend toujours plus son emprise : l’école maternelle est devenue obligatoire. Il est maintenant très difficile de se mettre à l’abri de l’influence idéologique du système éducatif même en se tournant vers l’enseignement privé.
Le système éducatif recrute des professeurs de tout : plomberie, SES, biochimie, diététique, direction des magasins, techniques de laboratoire, éducation physique, géopolitique, programmation des machines, peinture en bâtiment, vente, maçonnerie, etc… On enseigne presque tout ; on joue à la marchande ; on disserte sur la vente directe, sur la vente à distance, on construit des murs en parpaings qui resteront des murs scolaires (et qu’on fracasse à la masse en fin d’année). Il n’est pas une pratique professionnelle qui ne puisse finir en abréviations et en programme scolaire, produisant des activités : exercices, fiches, devoirs, épreuves. P4, P7, processus 4, processus 7, appellations de plus en plus opaques, techniques, ronflantes. DNB, Diplôme National du Brevet, pur mensonge puisqu’il n’est reconnu comme diplôme par personne.
Le système éducatif enseigne maintenant presque tout et transmet effectivement de moins en moins. Il produit même en masse des zombies, mais diplômés, dont certains, de plus en plus nombreux, étaient pourtant repérés comme HP, « Hauts Potentiels ».
La langue pédago-gestionnaire est destinée au mensonge : elle met à l’abri du réel ceux qui « pilotent » le système, et permet de faire oublier le réel par la promotion des abréviations de certains mots et le bannissement de certains autres : « capacités », « travail », « effort », « mérite », « discipline », « récompense », et surtout « instruction ».
Mon enseignement n’a de sens et, peut-être de saveur, que pour une poignée d’élèves : sept, huit peut-être, alors qu’ils sont trente-cinq par classe. La plupart ne sont probablement pas à leur place, ni peut-être moi à la mienne. Ils sont assignés à résidence, d’où l’apathie, l’ennui, les conduites multiformes de fuite.
Enseigner pour une si faible proportion d’élèves conduit à un constat amer : je participe, à mon corps défendant, à un formidable gaspillage d’argent public parce que mon effort bute sur l’indifférence. Une image me vient : j’organise une dégustation de grand cru, je dispose les verres en cristal, on va apprendre à désigner les qualités des vins et à en apprécier les saveurs alors que la plupart des participants trouvent, au moins pour le moment, une réponse à leurs envies et à leurs capacités gustatives dans du Coca-Cola promu par le système.
Quel sens dès lors prend mon activité professionnelle ? Quelle validité lui reste-t-il ? Je tiens plus un rôle dans une représentation que je n’occupe une fonction au service de la nation. Je ne suis pas en prise sur la plupart des esprits rétifs devenus majoritaires. C’est pourquoi le groupe est intellectuellement presque amorphe, la plupart font acte de présence. Ils écrivent machinalement. Les devoirs écrits font apparaître une telle déperdition du message, de telles défaillances logiques que mon enseignement m’apparaît vain. Pas totalement certes, mais presque. Ma vie professionnelle est dans ce presque.
Mais bien souvent, ou globalement, j’ai le sentiment que mon activité est vaine, absurde même. Il m’est arrivé de prononcer ce mot devant des collègues. Il n’est pas repris, n’est pas discuté : ni approuvé ni contesté ; comme si je ne l’avais pas prononcé. Il a pourtant été entendu, le mot juste, le mot tabou qu’on ne veut pas entendre, encore moins lorsqu’il est énoncé publiquement, « officiellement », sur le lieu de travail. Ce silence vaut évidemment réprobation (mais, peut-être aussi, en même temps, dans les profondeurs, approbation). Ce silence est, bien sûr, une manière de refuser la vérité, de se défendre vis-à-vis d’elle.
Je ne supporte pas, je n’ai pas supporté cette autocensure collective de la corporation au service du mensonge. Je la comprends certes : ni le groupe ni chacun de ses membres ne veut entendre la vérité crue, on veut s’interdire autant que possible cette divulgation, cette verbalisation très gênantes. Elle remet tout en cause, elle déstabilise en tout cas.
Mais il faut quand même, autant qu’on le peut, faire reculer le mensonge collectif, partout où on le peut, à chaque fois qu’on le peut, en le dénonçant avec les mots qui conviennent pour le mettre en cause, le faire reculer.
Comment faire autrement pour s’en prendre au pouvoir de l’idéologie dominante qui travaille à la desinstruction ?
Conséquence de la réforme Blanquer du lycée, le groupe que j’ai devant moi est constitué d’élèves issus de classes différentes. Ils ne se connaissent pas et sont comme mal à l’aise les uns avec les autres. Il faut ajouter que beaucoup ont choisi cet enseignement par défaut (HLP, comprendre humanités, littérature, philosophie) et se sentent dépassés, autre origine du malaise.
Certains refusent que je croise leur regard, beaucoup craignent que je leur pose une question, que je les oblige ainsi à réfléchir, à s’interroger sur le sens ou la portée d’un passage du texte étudié. Ils craignent d’être mis en difficulté. Alors ils esquivent. Je cherche quand même à capter des regards, une attention, je guette un intérêt et, qui sait, la manifestation d’une découverte. Je perçois chez quelques-uns, une poignée, quatre ou cinq peut-être sur vingt-huit, une réception véritable.
Mais ceux-ci ne prennent pas toujours de notes ; ce que je dis ne mérite pas d’être écrit, est évident ? Les autres sont abîmés dans la copie de ce que j’ai écrit au tableau, morne routine qui s’accomplit souvent lentement, à contretemps, et qui les absorbe au moment même où il s’agirait de se pencher sur le texte d’auteur, de s’interroger sur son sens.
Le groupe est donc rarement en phase et à l’unisson. Il faut sans cesse tenter de faire l’unité, remettre tout le monde au diapason, faire la classe à tous les sens du terme. Mais elle s’effiloche. D’abord, une élève réellement malade doit pouvoir quitter le cours et revenir quand elle s’en sent capable. Une autre prend l’habitude de demander à sortir de manière intempestive pour aller aux toilettes alors que les élèves bénéficient d’une récréation entre les deux heures de cours. Au bout d’une heure-quinze, certaines veulent aller à l’infirmerie : elles « ne se sentent pas bien ». Sur beaucoup de visages, je perçois comme une forme de tristesse : c’est un ennui scolaire qui prend une dimension existentielle. Il irradie, il pèse. Il faut tenter de le vaincre par un surcroît d’énergie.
Certains pensent donc trouver leur salut dans la fuite. Presque à chaque cours, un ou deux élèves arrivent en retard ou demandent à quitter le cours au bout d’une heure. Ils « ont un rendez-vous » chez le médecin, le dentiste, un spécialiste, la conseillère d’orientation, la Conseillère Principale d’Éducation. D’autres doivent sortir un moment pour « des raisons personnelles ».
Mais est-ce que je n’attends pas trop de ces jeunes élèves qui ont subi la désinstruction à la puissance deux à cause du grand enfermement covidiste ?
En tout cas, certains sortent de l’apathie par la colère à cause d’une mauvaise note (inférieure à 8 sur 20). Ils s’inquiètent pour leur moyenne et s’insurgent. J’essaye de dire ce qui me paraît être la vérité : le texte n’a pas été compris, le devoir n’est pas bon. J’essaye de faire comprendre à ces élèves en colère que cet enseignement, qu’ils ont pourtant choisi, ne leur convient pas. Je les invite cependant à ne pas se décourager, à « s’accrocher ». À tirer profit du cours malgré tout, même s’ils vont l’abandonner en terminale.