Dis, c'est quoi les théories du complot ? - Sébastien Chonavey - E-Book

Dis, c'est quoi les théories du complot ? E-Book

Sébastien Chonavey

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Beschreibung

« L'attaque du 11 septembre a été organisée par les services secrets israéliens », « l'homme n'a pas été sur la Lune, tout a été filmé dans un hangar par Stanley Kubrick », « des hommes lézards extraterrestres dirigent le monde »... On ne compte plus le nombre de nouvelles versions alternatives qui revisitent l'histoire sur Internet. Ce phénomène en expansion est qualifié de « théorie du complot ». Que recouvre exactement cette notion à la mode ? Est-ce un véritable concept ou un fouillis idéologique servant à disqualifier certains protagonistes du débat public ? Les théories du complot ne constitueraient-elles pas, au fond, les signes avant-coureurs d'une crise sociétale beaucoup plus profonde ? C'est à ces questions (et bien d'autres) que cet ouvrage tente de répondre à l'aide d'un dialogue équilibré, une large documentation et un outil commun plus précieux que jamais : l'esprit critique.




À PROPOS DE L'AUTEUR


Sébastien Chonavey est professeur dans plusieurs écoles de Bruxelles. Diplômé d'un régendat en français - morale à la Haute École de Bruxelles puis d'une maîtrise en Langue et Lettres françaises et romaines à l'Université Libre de Bruxelles, il s'intéresse au sujet de la « théorie du complot » depuis ses premiers contacts avec des élèves.


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Couverture

Page de titre

Préface

« Rien de plus fragile que la faculté humaine d’admettre la réalité […]. Le réel n’est admis que sous certaines conditions et seulement jusqu’à un certain point : s’il abuse et se montre déplaisant, la tolérance est suspendue. Un arrêt de perception met alors la conscience à l’abri de tout spectacle indésirable. Quant au réel, s’il insiste et tient absolument à être perçu, il pourra toujours aller se faire voir ailleurs. »

Clément Rosset, Le réel et son double

Une pédagogie intelligente et efficace face aux théories du complot est aujourd’hui d’une urgente nécessité. Sébastien Chonavey, enseignant, en sait quelque chose. Il a pu faire l’expérience de la difficulté à débattre avec les élèves d’une version commune et acceptable des attentats qui ont frappé d’abord la rédaction de Charlie Hebdo en 2015, ensuite l’aéroport et une station de métro de Bruxelles en 2016.

Pourquoi avons-nous tant de mal aujourd’hui à nous accorder sur ce qu’il faut bien appeler le réel ? Sébastien Chonavey se propose d’affronter la question sans tabou en se plaçant dans un dialogue avec sa filleule, une jeune fille curieuse et pleine d’envie de comprendre le monde qui l’entoure. L’auteur cherche tout d’abord à revenir sur le risque que contient l’expression « théorie du complot », là où il n’y aurait de « théorie » que le mot. Pourquoi ne parle-t-on pas d’une « explication par le complot » comme certains le préconisent, ou d’une « théorie naïve » comme disent les psychologues ? Cela aurait au moins le mérite de pointer le fait que ces « théories » n’ont rien de scientifique. C’est un écueil qu’évite soigneusement l’auteur, conscient du fait que ce sont les usages qui décident du succès d’une expression. Voilà pour la question de l’étiquette de « théorie du complot » qui s’est aujourd’hui imposée.

Il reste que ces théories du complot témoignent d’une mécanique de raisonnement et d’un positionnement psychologique que Sébastien Chonavey expose clairement et patiemment à sa filleule. De nombreuses mises au point précieuses nous sont offertes sur le profil argumentatif du conspirationnisme, sur le rôle logique et psychologique de l’abduction qui nous fait si facilement percevoir des preuves là où il n’y a que des indices. Sur le fait étonnant que nous pouvons être friands d’un sens construit en dépit du bon sens. Mais aussi sur le rôle cognitif et politique de la réalité d’Internet qui va jusqu’à transformer le message. Contrairement au caractère linéaire du livre, l’information sur Internet prend un caractère tentaculaire qui se fait l’écho efficace de la culture conspirationniste. Ainsi, voit-on comment un mode de pensée hérité de la modernité (ce que l’auteur ne manque pas de nous rappeler) peut se faire une nouvelle jeunesse grâce aux avancées technologiques. Il faut rappeler à ce sujet qu’un genre de discours est toujours intimement lié à la technologie qui le diffuse et que la propagande hitlérienne n’aurait pas été ce qu’elle a été sans le support de la radio.

Mais je voudrais m’arrêter sur un aspect des choses pointé par l’auteur qui me paraît d’une grande originalité : le rôle que joue le narcissisme de notre époque dans le succès des théories du complot. Le narcissisme de nos contemporains qui s’incarne aujourd’hui dans la perche à selfie ou dans le profil Facebook, s’il témoigne d’un besoin légitime de placer l’ego au centre de l’attention, participe selon Sébastien Chonavey de l’attitude conspirationniste : « Je suis celui à qui on ne la fait pas ; je perçois dans le grain fin du réel ce que les autres n’ont pas vu. » Chacun peut alors se construire un ethos de détective privé ou de prophète. Les liens entre ce nouveau narcissisme et l’attitude complotiste mériteraient à mon sens d’être étudiés avec la plus grande attention.

Une autre réflexion témoigne de la finesse de l’auteur. Il s’agit de la beauté qu’il reconnaît au principe de falsifiabilité dû à Karl Popper. Face à cette méthode de l’épistémologie des sciences, on pourrait se poser la question à bon droit : pourquoi chercher à trouver les situations dans lesquelles mon hypothèse serait falsifiée plutôt que de chercher à l’immuniser contre la critique, si ce n’est par faiblesse d’esprit ou par masochisme ? Parce que le détour par la falsification, qui demande patience et humilité, ne fera au final que renforcer la puissance de notre hypothèse. Tel un organisme vacciné, l’hypothèse qui aura passé l’épreuve de nombreuses tentatives de réfutations se trouvera renforcée par autant de victoires argumentatives. Celui qui aura appris à argumenter à charge de sa propre hypothèse aura gagné en élégance épistémologique. Et il y a dans ce geste une indéniable beauté avec laquelle nous pourrions nous réconcilier. Une beauté qui passe par l’apprentissage de l’exercice de suspension de son propre jugement. Un exercice qui, comme le remarque l’auteur, ne nous est pas naturel. Nous sommes tous spontanément dogmatiques et les nombreux biais qui menacent la pensée critique ne viennent que flatter ce dogmatisme inné que l’éducation a tant de mal à combattre.

Pourtant. L’esprit critique, parangon de la modernité, est devenu aujourd’hui un slogan et a tôt fait de se muter en hypercriticisme, en scepticisme, des attitudes qui, une fois de plus, viennent nourrir le narcissisme de celui qui existe surtout par son refus de penser en rond. Et c’est là qu’on repère ce trait étonnant et paradoxal des théories du complot : leur usage immodéré de la critique ne sert finalement qu’à confirmer leurs certitudes et flatter leurs préjugés où la pensée se soumet uniquement à ce qu’elle désire croire. Comme le dit si joliment Clément Rosset, le réel va alors « se faire voir ailleurs ». La pensée conspirationniste produit un double du réel. Un double qui nous plonge dans un imaginaire terrifiant de violence et de déterminisme.

Que faire de ce sombre constat ? Sébastien Chonavey est lucide sur le fait qu’il n’y a pas de solution miracle pour répondre aux théories du complot. Il y a des solutions locales, des outils qu’il faut pouvoir manipuler avec dextérité. Ne pas confondre l’indice et la preuve. Examiner l’ethos de celui qui parle. Mais aussi balayer devant sa porte et ne pas devenir le conspirationniste de l’autre. Parce qu’à ce jeu-là, c’est toujours le plus armé qui gagne. Le conspirationniste a appris à esquiver la charge de la preuve et demande toujours à la « théorie officielle » de prouver sa position. C’est un combat perdu d’avance, comme la NASA en a fait l’expérience depuis qu’elle a cessé de répondre aux innombrables mises en demeure de citoyens lui enjoignant de prouver que ce n’était pas Stanley Kubrick qui avait filmé l’alunissage de juillet 1969 depuis un studio d’Hollywood. Il vaut parfois mieux utiliser des chemins de traverse, mais cela nous demande de l’humilité. Cela nous demande d’abandonner la croyance, que je pense naïve et dangereuse, que le logos est tout puissant parce qu’il conduit nécessairement à la vérité. Jusqu’à une certaine époque, je pensais qu’un bon canular (l’invention d’un énorme complot qu’on démonterait ensuite) était une bonne pédagogie. Une pédagogie indirecte qui a le mérite de montrer (plutôt que de démontrer) l’absurdité ou l’irrationalité de la mécanique conspirationniste. Certains s’y sont d’ailleurs essayé avec un certain succès. Mais la nouvelle ère de la post-vérité nous interdit désormais cet optimisme. Car, pour reprendre une expression de l’auteur, nous sommes nombreux aujourd’hui à assumer ouvertement que le sens peut se construire « en dépit du bon sens ». Et cela, jusqu’à la Maison-Blanche… L’on voit bien en ces matières que ce n’est pas le logos seul qui est en cause. Il y a l’ethos du détective privé, du génie incompris, du prophète de l’apocalypse. Ou d’un Président qui se moque ouvertement de la vérité. Autant de figures que notre monde complexe à l’horizon bouché met à l’honneur.

Corollaire de ces figures, le pathos qu’elles suscitent. Les émotions qu’on y fréquente sont la peur et le ressentiment. La peur de l’apocalypse et le ressentiment envers la toute-puissance des forces occultes, paradoxalement, nous consolent de la complexité du monde et de cette difficile liberté selon l’expression de Levinas. Ces émotions nous enferment dans une prison rassurante où finalement tout est à sa place. La pensée conspirationniste réenchante le monde à sa façon. Ne pas reconnaître la force de ces « preuves » que sont l’ethos et le pathos, c’est se condamner à ne pas comprendre le phénomène conspirationniste et partir, la fleur au fusil, combattre des moulins à vent. C’est là sans doute un pas que peu d’enseignants sont prêts à faire, attachés qu’ils sont à un idéal de rationalité corseté dans l’unique logos.

Il y a pourtant une discipline à laquelle l’auteur rend hommage et qui consiste à outiller le citoyen avec des méthodes techniques de développement de l’esprit critique tout en apprivoisant rationnellement la raison des émotions. Cette discipline est la rhétorique. Contrairement à une idée reçue, la rhétorique, elle, ne triche pas avec le réel. Elle nous apprend, par l’exercice, à argumenter à charge aussi bien qu’à décharge. Lors de cet exercice, nous développons notre capacité à changer de point de vue, à nous décentrer de l’ego. En somme, elle nous pousse à renoncer à notre perche à selfie. Et nous gagnons en hauteur de vue, en toute lucidité. Le conspirationnisme, qui est un radicalisme qui ne dit pas son nom, peut se résumer à une incapacité psychologique, politique et cognitive à changer de point de vue. Sous cet angle, la rhétorique est un remède au narcissisme morbide de notre époque sur lequel fleurissent les théories du complot.

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, Chaïm Perelman a recommandé un retour à l’ancienne rhétorique en faisant le constat que deux siècles de rationalisme cartésien nous avaient laissés démunis face à la propagande hitlérienne. Il est temps que quelques esprits libres entendent une nouvelle fois ce message. J’ai l’intime conviction que Sébastien Chonavey est l’un d’entre eux.

Emmanuelle DANBLON

À ma mère.

Assis dans un coin de ma bibliothèque, je lisais un essai pendant que ma filleule consultait fiévreusement son téléphone portable. Quelque chose semblait tant la tracasser qu’elle s’était levée et tournait à présent en rond, tentant visiblement d’expurger l’énervement que son corps avait retenu jusque-là.

Impatienté et légèrement agacé par ses allées et venues, je finis par la questionner :

« Que se passe-t-il, Lucie ? »

C’est ce foutu téléphone. Je l’ai acheté il y a quatre ans et, malgré mes soins, j’ai l’impression qu’il ne fonctionne plus. C’est incroyable, il n’est jamais tombé par terre et j’en ai toujours bien pris soin. Pourtant, je crois que je vais devoir m’en acheter un nouveau.

Es-tu sûre qu’il ne s’agit pas d’un simple problème de batterie ?

Mais non, justement : j’en ai racheté une nouvelle chez le fabricant il y a six mois exactement.

Tu ne crois pas que tu as pu faire tomber de l’eau ou n’importe quel autre liquide dessus sans y faire attention ? Tu sais, ça arrive très régulièrement…

Non Parrain, je te dis que non ! Tu sais très bien que je fais toujours attention à mes affaires.

Dans ce cas, tu vas devoir mettre un peu d’argent de côté afin de pouvoir t’en payer un nouveau, car la garantie légale est dépassée à présent, et tu n’as pas pris d’assurance supplémentaire.

Mais c’est injuste ! J’ai tout fait pour le garder le plus longtemps possible. Je l’avais acheté avec l’argent que Papa, Maman et toi m’aviez donné.

Il faut dire que ces petits objets technologiques sont très fragiles. Tu comprends pourquoi je suis toujours un peu réticent au sujet de leur utilisation.

C’est dingue ! Plusieurs de mes amis ont déjà eu le même problème, et toujours après que la garantie a été dépassée.

C’est marrant que tu dises ça… As-tu déjà entendu parler de l’obsolescence programmée ?

Non, c’est quoi ?