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Disciole est un roman fantastique, une quête au travers des âmes et des histoires croisées d'une famille dont on découvre les ombres et les couleurs au rythme effréné d'une héroïne ballottée d'un sentiment à l'autre dans une tourmente magnifique de rêves-réalités , sans temp mort. Ce bijou aux avants goûts de cadavre exquis propulse le lecteur plus loin que lui même dans un tourbillon d'éveil magnifique qui répond a la question: qui aurions-nous pu être dans cette réalité si peu virtuelle?
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Seitenzahl: 547
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Merci à Marie-Simone, à Thérèse, à Marcelle, à Alain et Sophie, pour leur relecture bienveillante.
Merci à la Vie et à tous mes amis fidèlement présents au quotidien sur mon chemin.
Merci aussi à sainte Disciole d’avoir éclairé mes premiers pas en écriture.
Prologue
Introduction
La naissance
Le coffret
Les volutes irisées
Toujours dans le gris
Du gris au noir
La vision
Mémé de Pau
Noël
Le sapin
Le déménagement
Adaptation
L’enfant de la maturité
Naissance d’Etienne
Le baptême
Partage
La cassure
Début d'année
En décembre
Une marraine en or
Le Morbihan
Le retour
Un noël bousculant
Le collège
Week-end de JIC au couvent
Reprise des cours
La cinquième
En troisième
Le Lycée
En première
L’emprise du serpent
Vie d’étudiante
La décision
Ce roman commence comme un conte : « Il était une fois… » Dans cette forme de récit, une réalité donnée et la fiction sont intimement imbriquées. Les origines d’un conte peuvent être multiples et à chaque retransmission, il s’enrichit de données nouvelles. Pour le récit de Barbe bleue, plusieurs sources historiques sont supposées comme Henri VIII ou Gilles de Ray… L’important dans cet exemple n’est pas l’origine du récit mais son développement, le cheminement initiatique que doivent suivre, souvent malgré eux, les protagonistes de l’histoire.
Dans certains contes, fées, magiciens et animaux interviennent dans le déroulement de l’épopée. Bons ou mauvais, ils révèlent souvent les dimensions intérieures et complexes de tout héros. Les couleurs de la vie et de la nature aussi jouent parfois un rôle important comme en écho aux teintes des chakras, issues du Yoga. Dans ce récit, tout est hors norme. Il suffit de se laisser emporter par l’élan des mots, pour rejoindre une Disciole fragile, mais plus solide après chaque épreuve traversée, déprimée, mais permettant à la joie de prendre doucement place dans sa vie, découragée mais laissant sourdre en elle la fragile lumière de l’espérance. Tout commença par un doux printemps dans les années soixante : « Il était une fois… »
Il était une fois, il y a très longtemps une jeune femme brune aux yeux noirs qui s’appelait Dolorès. Elle était triste et très lasse, fatiguée, épuisée, bien qu'elle n'ait pas encore vingt-cinq ans. Ses longs cheveux couleur ébène très bouclés n'étaient retenus que par une simple barrette d'un beige uni, sans aucune originalité, loin de la mode ambiante. Celle-ci ne tenait que la partie supérieure de la chevelure et la laissait retomber en cascades sur le reste des cheveux qui flottaient librement sous le léger courant d'air que laissait passer la fenêtre ouverte. Assise sur une chaise en bois peint, toute blanche, elle gardait sa main gauche posée sur son ventre arrondi et proéminent, empli d'une promesse de vie qui ne tarderait pas à s'annoncer. Dolorès avait les traits fins, un visage ovale un peu pointu vers le menton, un nez droit et de grands yeux noirs qui accentuaient la tristesse de son regard.
La vie s'écoulait monotone et dure pour elle qui attendait son quatrième enfant en quatre ans à peine. Les deux plus grands étaient déjà à l'école maternelle. L’aîné, Léon, avait trois ans et demi, le second, René, tout juste deux ans et la troisième, Georgette, faisait sa sieste dans la chambre : elle avait à peine un an. Le bruit de la rue, de voitures et de pas, les mots entendus de façon furtive par la fenêtre ouverte berçaient sa lassitude, atténuaient sa solitude. Dolorès aurait voulu s’échapper du petit appartement par cet espace qui lui semblait promesse de liberté quand les pleurs du bébé la ramenèrent à la réalité. Instinctivement, elle regarda la pendule. Il était trop tôt pour lui donner le biberon, Georgette allait attendre un peu. La jeune femme étendit une étoffe en laine grossière sur la table de cuisine, posa dessus une moitié de vieux drap épais, saisit le lourd fer à repasser, dernier luxe ménager, offert par son mari pour la fête des mères, et se mit à s'occuper du linge. Petit à petit, la pile du repassage diminuait, tandis que Dolorès jetait régulièrement un regard sur la pendule pour surveiller l'heure. Le bébé ne pleurait plus, encore une demi-heure et il serait l'heure de la tétée. Si la petite se rendormait, elle la réveillerait pour la nourrir avant d'aller rechercher les deux grands à l'école.
Dolorès ouvrit la vieille armoire, qui venait de chez sa belle-mère, pour ranger le linge. C'était un grand meuble en bois plein. Des sculptures de fleurs entourant deux dragons en agrémentaient le dessus. Le chêne était si bien travaillé que les nervures et les cœurs naturels de l'arbre donnaient une impression de motif en miroir sur chacune des deux grandes portes. Avec un peu d'imagination, il était possible d'y deviner une tête d'Alien. Les bordures de celles-ci étaient sculptées de lignes régulières encadrées, aux deux coins extérieurs, d'un motif pointe de diamant. Souvent Dolorès caressait ce bois en ouvrant la porte. Cette armoire avait quelque chose de vivant. Elle était aussi belle que logeable. Très grande, elle pouvait contenir tout le linge de maison, y compris les gros draps en coton tissés main. Ceux-ci lui venaient de sa tante. Alors qu'elle posait la pile de torchons qu'elle venait de repasser, ses yeux se posèrent accidentellement sur le vieux coffret laqué noir, décoré de fins motifs en nacre. De forme rectangulaire, il mesurait une trentaine de centimètres de long pour huit de large. Sa hauteur totale, d'à peu près six centimètres lui donnait un aspect fin et léger. Le dessus du couvercle était arrondi avec en son centre un bouquet de liserons nacrés. Les bords étaient entourés d'incrustations irisées représentant des herbes folles. De celles-ci émergeaient des brindilles légères et torsadées surhaussées de peinture dorée. Ce coffret révélait toute la finesse et la légèreté d'une œuvre chinoise. Un lointain ancêtre, capitaine au long cours, l'avait rapporté de Chine, lors de l'un de ses périlleux voyages. Sa beauté toute simple et pourtant très raffinée, lui conférait un aspect précieux. C'était un cadeau de son père, officieusement adoptif (puisqu’aucun papier de reconnaissance filiale n'avait été établi avant son décès).
Dolorès tendit la main vers l'objet, le caressa sans le toucher vraiment. La jeune femme pensait encore à ce que le vieil homme lui avait dit : « Tu vois ma chérie, c'est un coffret magique, ne l'ouvre qu'en cas d'extrême nécessité ! Lorsque tu l'ouvriras, fais doucement et méfie-toi. Dans son sillage, il peut t'apporter des temps de bonheur, mais aussi de souffrance et de malheur, à l'image de la vie elle-même. Il ne donnera ses charmes que pour toi et ne seront négatifs que pour la personne qui t'accompagnera, si tu n'es pas seule lorsque tu l'ouvriras. Dans ce cas-là, seule la couleur dorée qui sortira la dernière du coffret pourra contrecarrer les malheurs qui auront jailli. Si tu refermais le coffret avant la fin de l'apparition de la lumière dorée, les malheurs seraient définitifs, sauf si la personne présente décide de poser sur le monde et les êtres qui l'entourent, un regard sans haine et sans rancœur. Alors, sois prudente quand tu l'ouvriras... Si une autre personne que toi le trouve et veut regarder ce qu'il contient à l'intérieur, aucun charme n’apparaîtra. Celle-ci ne verra que deux ou trois bijoux de verre sans valeur. Sa magie ne peut s'exercer en positif qu'en ta présence et à ton égard. N'oublie jamais cela, Dolorès, et protège par ta sagesse, ceux qui t'entourent et que tu aimes ».
La jeune maman eut un sourire furtif, était-ce vrai ? Le reflet laqué du coffret la fascinait, elle se sentait comme protégée par lui. Si elle avait besoin, cet objet précieux serait là, à ses côtés, comme son père s'il n'était pas décédé. La douleur de l'absence se fit cruellement sentir en son cœur et Dolorès eut les larmes aux yeux. Elle ne pouvait oublier cet homme si bon, si joyeux, et tellement à l'écoute, qui avait ensoleillé sa vie de petite fille. Les pleurs de Georgette la ramenèrent à la réalité. Dolorès regarda la pendule et fut surprise du temps qui s'était écoulé à regarder le coffret. Elle n'avait plus le temps de donner le biberon au bébé avant d'aller chercher les grands à l'école. La petite devrait attendre un peu son goûter. La jeune femme prit Georgette dans ses bras et l'habilla, mit son manteau, saisit au vol son sac à main et y chercha les clefs en s'énervant de ne pas les trouver. Elle se rappela soudain qu'elle les avait posées sur la table de cuisine, courut les récupérer et sortit vivement en claquant la porte.
La petite quatre-chevaux rouge métallisé, était tranquillement garée à l'angle de la rue devant l'immeuble où ils habitaient. Celui-ci avait la forme d'un gros cube de deux étages. Son allure de grosse cage à lapins n'avait rien d'attirant. En béton, grisâtre, aucune couleur n'éclairait les murs extérieurs du bâtiment qui lui conférait une allure « mastoc ». Ils habitaient dans ce logement depuis plusieurs années déjà. Leur appartement était situé au deuxième étage, à gauche. Chaque palier donnait sur deux portes d'entrée. Ils n'étaient donc que cinq locataires, lorsque tous les logements étaient occupés, ce qui n'était pas toujours le cas. Au rez-de-chaussée à gauche, à la place d'un appartement, il y avait une grande salle qui servait de garage à vélos et d’étendoir à linge. De longs fils en plastique en hauteur séparaient la pièce. Lorsque le linge était étendu, cela faisait un parcours de cache-cache idéal pour les enfants de l'immeuble, qui se retrouvaient ensemble le soir pour jouer. Une petite cour, qui pouvait servir de parking, les protégeait lorsqu'ils étaient dehors. La voiture brillait, car Ignace l'entretenait avec soin. Souvent Dolorès disait : « s'il prenait autant de soin de ses enfants et de sa femme que de ses voitures, nous serions gâtés ». La quatre-chevaux avait des formes douces et arrondies qui plaisaient énormément à la jeune maman. Elle avait des courbes très féminines et sa petite taille en faisait une automobile parfaite pour rouler en ville. Faire les courses devenait presque un plaisir avec cette petite auto facile à garer. Dolorès mit Georgette dans son couffin sur le siège arrière et démarra rapidement. Malgré les raccourcis qu'elle prit pour arriver à l'école, la jeune femme y arriva la dernière. Une maîtresse l'attendait, un garçon dans chaque main, et lui dit sans sourire : « Je commençais à m'inquiéter, heureusement, vous n'avez pas eu d'accident ». Dolorès se confondit en excuses. Elle savait très bien que dans cette école, les retards étaient très mal vus. Georgette, seule dans la voiture, s'époumonait à crier sa faim. La jeune femme remercia la maîtresse de sa patience et se précipita avec ses garçons dans l'auto. Arrivée à la maison, elle mit à chauffer le biberon du bébé, (elle n'avait jamais pu nourrir ses enfants car son lait n'était que de l'eau). Pendant ce temps, elle prépara le goûter de Léon et de René composé d’une tartine beurrée avec de la poudre de cacao dessus, pressa deux oranges et en répartit le jus dans deux verres. Ensuite Dolorès prit dans ses bras Georgette qui criait toujours de faim et lui donna son biberon. Le bébé tétait tranquillement et le débit du biberon laissait entendre un bruit régulier et agréablement doux qui l'apaisa. Les deux grands commençant à se chamailler, elle les envoya jouer dans la chambre. La jeune femme tenait sa petite contre son épaule, le temps qu'elle fasse son rot, en tapotant doucement son dos. C'est alors qu'elle ressentit la douleur des contractions qui la firent gémir. « Oh, non, pensa-t-elle, pas ce soir, c'est trop tôt, et Ignace qui a une réunion ! »
Seule dans l'appartement, Dolorès s'activait dans la cuisine. Celle-ci était la pièce la plus petite du logement. Plus longue que large, elle ressemblait à un couloir. La grosse table en aggloméré recouvert de formica gris, trônait au milieu de la pièce. Des tabourets assortis étaient sagement rangés sous la table. La chaise haute de bébé, en bois, avec sa tablette ornée de trois boules : rose, bleue et blanche pour que l'enfant s'amuse en mangeant, était rangée près de la fenêtre. Une cuisinière à gaz et un réfrigérateur à la lourde porte épaisse, d'une hauteur d'un mètre vingt, étaient placés dans les deux coins opposés de la cuisine. La peinture blanc cassé de jaune, donnait un air pisseux à la petite pièce. Celle-ci ouvrait sur le couloir tapissé d'un papier blanc rayé de gris et de bleu, qui donnait aussi sur la salle à manger.
C'était la pièce la plus grande de l'appartement, pourtant elle ne dépassait pas les douze mètres carrés. Sa tapisserie était beige, parée de menus filets dorés qui alternaient avec de gros traits marrons. Un canapé chocolat foncé, rehaussé au centre de coussins rayés de beige et d'orange, habillait agréablement le plus grand mur de la pièce. La table de la salle à manger avait une ligne aérienne. Des pieds carrés, affinés vers le bas, étaient revêtus d'une protection dorée à la base, dont les pointes anguleuses devenaient de véritables piques en fer doré. Le dessus de table aux coins arrondis était en aggloméré recouvert de formica blanc, comme le voulait la mode ambiante. Dolorès avait souvent dit que les pieds étaient dangereux pour les enfants qui risquaient de tomber dessus ou de les heurter. La réponse d'Ignace était simple : « il suffit qu'ils ne s'en approchent pas ». Les chaises en skaï rouge avaient aussi les pieds élancés et carrés, affinés comme ceux de la table. Quant aux deux chambres, qui jouxtaient la pièce principale, elles étaient petites, huit ou neuf mètres carrés chacune.
Celle des enfants était tapissée de papier à petites fleurs bleues sur fond gris, retenues en bouquets par un gros ruban marine. Un grand lit de 120 cm de large et un lit à barreaux de bébé prenaient presque toute la place. Seule tenait en plus dans la pièce, une commode en bois verni à quatre tiroirs sculptés de pointes de diamant. Le dessus de celle-ci servait de table à langer à la jeune maman. Elle était donc recouverte d'une couverture protégée par une serviette de toilette. La chambre des parents était tapissée d'un papier décoré de gros hortensias marron et d'énormes marguerites d'un beige très foncé, ornées de brun au centre de la corolle. Le fond crème, légèrement gris, redoublait la tristesse qui émanait de la pièce. Là aussi un lit de 120 cm était recouvert d'un dessus-de-lit jaune pâle qui apportait une touche de clarté. Un berceau de bébé habillé de blanc avait un air luxueux, compte tenu de l'aspect dépouillé de la chambre. Un placard dont les trois portes étaient peintes en gris éclairait doucement un des murs. C'était l'endroit le plus triste de la maison et Dolorès le fuyait dans la journée.
La salle de bains était carrelée de rose avec, par endroits, des motifs constitués de fleurs rouges et blanches. La petite baignoire permettait aux deux garçons de jouer et de se chamailler tout en se lavant. Le lavabo, émaillé de rose, était l'objet que préférait la maman qui le trouvait très beau et agréable à utiliser. Tout proche de la porte d’entrée, un cagibi était aménagé en bureau pour Ignace. La petite pièce, non peinte, était meublée d'un énorme bureau en fer gris comportant de chaque côté trois tiroirs en métal. Une grande colonne de casiers, eux aussi métalliques, complétait le bureau. Sur celui-ci une lampe rectangulaire en fer trônait, grande fierté pour le mari. Des petites voitures peintes selon le modèle original, étaient déposées ça et là : Ignace en faisait la collection. C'est dans cet appartement que le jeune couple réalisait ses premiers pas conjugaux.
Dolorès dans la cuisine préparait le repas, se tenant le ventre d'une main et agrippant le premier meuble venu de l'autre, à chaque élancement ressenti. Mais les contractions devenaient plus rapprochées et plus fortes. Pendant que les pommes de terre cuisaient dans l'eau bouillante, elle fit couler le bain des grands, prépara leurs pyjamas et les appela. Comme d'habitude, les garçons ne répondirent pas aussitôt et Dolorès dut aller dans la chambre les chercher. Ils jouaient avec de petites voitures en fer peint. La jeune femme, ressentant une douleur plus forte que les autres cria après ses fils. Léon et René filèrent alors dans la salle de bains sans piper mot. Elle les aida à se déshabiller et à monter dans la baignoire. Dolorès commençait à les laver quand elle perdit les eaux. La jeune femme fut très gênée et fit tout pour que les garçons ne se rendent compte de rien, ce qui ne fut pas difficile, car ils étaient en train de se chamailler en s'éclaboussant et ne faisaient pas du tout attention à leur mère. Après avoir asséché le sol, elle les sortit du bain, les essuya et les aida à passer leur pyjama. Ensuite, ils allèrent à la cuisine où leurs deux assiettes les attendaient. La jeune maman leur écrasa une pomme de terre et leur coupa en petits morceaux le jambon blanc.
Intérieurement, elle se réjouissait d'avoir prévu, sans se douter de rien, un repas aussi simple que rapide. Tout en veillant à ce que les deux grands mangent bien, elle prépara le repas de son mari. Ignace était rarement présent le soir. Il avait souvent des réunions ou des rencontres dans les clubs dont il faisait partie. De toute façon, il était normal qu'il fasse ce qu'il voulait, car c'était lui qui rapportait l'argent à la maison : son mari, lui, « travaillait » comme le disait sa belle-mère. Un léger sourire effleura les lèvres de Dolorès, elle pensait en elle-même : « comme si moi, je ne faisais rien ». Mais dans la famille, son époux faisait figure d'intellectuel. Même si, dans la réalité, il n'était que simple professeur. Pour les gens de son village, « c'était quelqu'un » : il avait fait des études. Dolorès, elle, avait toujours rêvé d'étudier, mais elle était une fille, qui plus est, orpheline de mère et recueillie par une tante qui avait peu de moyens. Son parcours scolaire s'était arrêté au CM2 et ensuite, la fillette avait été envoyée chez les sœurs pour apprendre la couture et la broderie. « Ce sont les seules choses utiles à connaître pour une femme », se plaisait à répéter la tante. En repensant à ces mots, un sentiment de révolte jaillit en Dolorès, vite arrêté par une pensée forte : « ma fille, elle, fera des études, et son père étant professeur, en comprendra l'utilité ». Elle pensa à Ignace, et l'image furtive d'Henri se juxtaposa. La jeune femme la chassa vivement de sa mémoire, alors qu'une nouvelle contraction, plus forte que les autres, la fit crier malgré elle. Léon et René, figés, regardaient leur mère sans comprendre. Elle se dépêcha de leur dire : « Ce n'est rien, mangez vite, j'ai juste un peu mal au ventre ». Comme ils avaient fini leur assiette, elle leur donna un yaourt. René ayant du mal à racler son pot, et faisant un bruit sonore avec sa cuillère contre le verre de celui-ci, la jeune maman l'aida. Ensuite, elle alla les coucher. Ils ne dirent rien, ne demandèrent rien. Leur silence inhabituel n'étonna même pas Dolorès. Elle souffrait trop pour s'en rendre compte et y prêter attention. Alors qu'elle débarrassait la table et dressait le couvert d'Ignace, Georgette se mit à pleurer. Sa mère prépara sa bouillie du soir, plus liquide que d'habitude car elle allait la lui donner au biberon, cela irait plus vite qu'à la cuillère. Pliée en deux par la douleur, elle alla chercher la petite dont il fallait changer la couche : cela se sentait de loin. Dolorès avait déjà pas mal de couches à laver. A cette pensée, un coup de fatigue soudain la poussa à s'asseoir. Puis, elle changea sa fille, lui donna son biberon, et tout en la tenant serrée contre son épaule, pour qu'elle puisse faire son rot, sortit de l'appartement pour aller frapper chez la voisine qui, elle, avait le téléphone.
Celle-ci la regarda avec surprise : « Mon Dieu, que vous êtes blanche ! Venez, asseyez-vous ! » « Non, merci beaucoup, répondit Dolorès, pourriez-vous me rendre un service et appeler la sage-femme, à ce numéro, je viens de perdre les eaux ». De sa main tremblante, elle tendait un papier. La voisine s’affola, lui dit d'aller s'asseoir et d'attendre sans fermer la porte de son appartement. Elle vint rejoindre Dolorès qui était en train de coucher la petite et lui dit : « C'est fait, la sage-femme vient le plus vite possible. Voulez-vous que je prévienne votre mari ? Il suffit de me donner son numéro ». La jeune maman secoua doucement la tête : « Il est à une réunion, je ne sais pas où le joindre ». La voisine se mit à fulminer contre ces égoïstes d'hommes qui ne se souciaient que de leur petit train-train et n'avaient rien à faire de leurs femmes ni de leurs enfants, prenant l'exemple de sa belle-sœur qui... Dolorès se laissait bercer par la voix de cette femme qu'elle n'écoutait pas. Cette présence amicale chez elle lui faisait du bien, à elle, qui avait l'habitude d'être seule toute la journée. Une contraction plus forte que les autres lui arracha un cri. La voisine affolée l'aida à aller dans sa chambre, ouvrit le lit. La jeune maman lui indiqua où trouver une grande serviette de toilette à poser sur le drap de dessous, puis s'allongea en gémissant doucement.
C'était son quatrième enfant, Dolorès savait gérer les contractions et la douleur. Personne ne le lui avait appris, mais « l'habitude est une seconde nature ». Lorsque le timbre de la sonnette se fit entendre, la voisine poussa un énorme soupir de soulagement, alors que la jeune femme poussait de toutes ses forces, en laissant apparaître entre ses cuisses écartées, le dessus de la tête du bébé. La sage- femme n'eut pas le temps de se laver les mains, elle se précipita vers la jeune maman. Elle lui parla avec une voix calme mais ferme : « c'est bien, continuez, poussez... là, respirez, profondément...encore, poussez... respirez... saisissez vos genoux et poussez encore plus fort que les autres fois... Là, c'est très bien, la tête est entièrement sortie...Laissez-moi tourner le bébé afin de dégager l'épaule, voilà, c'est bien... maintenant poussez pendant que je dégage le corps, voilà, c'est très bien... Bon, écoutez-moi, le bébé a le cordon ombilical enroulé autour du cou, je dois le desserrer. Je vais tirer sur le cordon, vous aurez peut-être un peu mal. Mais je dois dégager la tête du bébé de ce nœud. Là, voilà, doucement.. ». Les gestes de la sage-femme étaient sûrs et méthodiques. Elle ne manifestait pas l'inquiétude qu'elle ressentait pour défaire la boucle autour du cou de l'enfant. La maman osa demander : « ça ira ? Vous y arrivez ? » Elle fut rassurée d'un sourire et d'un : « oui, tout va bien… ». Le cordon ombilical quelle tirait passa au-dessus de la tête du bébé, aplatissant la masse de cheveux noirs collés par le liquide amniotique à moitié séché. Dolorès gémit doucement et la voix de la sage-femme s'éleva paisiblement : « voilà, c'est fini, tout va bien. Ça fait un moment que vous avez perdu les eaux... (chez la soignante, ce n'était pas une question, mais une affirmation). Le bébé a les cheveux tout collés et presque secs... Très bien, maintenant vous allez pousser très fort, lorsque je vous le dirai, pour que je dégage le buste… ». Les gestes sûrs de la sage-femme, sa voix monocorde et calme rassuraient la jeune maman. La voisine restait là, les bras ballants, fascinée par l'accouchement. Elle-même avait eu trois enfants. Mais il y avait longtemps de cela et c'était la première fois qu'elle assistait à une naissance. Le buste une fois sorti, les fesses et les jambes suivirent rapidement. La soignante sourit en disant : « c'est une petite fille ! ».
Saisissant alors le bébé par les pieds, le laissant tête en bas, elle lui donna une tape sur une fesse. Sa première fessée pour entrer dans la vie et en avoir un avant-goût : « drôle d'apéritif ! » ne put s'empêcher de penser Dolorès. La petite eut besoin de plusieurs tapes pour pousser son premier cri. « Elle est plus violacée que les autres » se dit en elle-même la jeune maman. La sage-femme ligatura le cordon ombilical à deux endroits distants d'à peu près sept centimètres. Elle prit un briquet pour chauffer la lame d'un rasoir qu'elle avait sorti de sa sacoche en cuir noir. Ensuite, elle coupa le cordon et demanda à la voisine de lui donner une serviette. Celle-ci se précipita vers l'armoire et lui en remit une en nid-d’abeilles. Le bébé enveloppé de celle-ci fut remis à Dolorès. La soignante alla dans la cuisine, chercher une bassine. Elle en trouva une en fer émaillé blanc avec un rebord bleu marine. Elle la remplit d'eau tiède pour laver la petite fille et demanda à la maman : « Comment allez-vous l’appeler ? » « Disciole » répondit la jeune femme qui sourit doucement devant l'air étonné de la soignante et ahuri de la voisine. Elle continua : « C'est un prénom très ancien, une sainte peu connue, mais très sympathique. Disciole, veut dire : « petite disciple », c'était la suivante et la confidente de la reine Radegonde. Quand celle-ci décida de devenir religieuse, sa petite disciple en fit autant. Disciole avait toujours le sourire et riait beaucoup. La légende qui l'entoure dit même qu'elle est morte dans un éclat de rire ».
La sage-femme demanda à Dolorès où se trouvaient les affaires pour habiller sa fille. Tout se trouvait dans la commode qui était dans la chambre des enfants qui, eux, dormaient. Sur les conseils de la maman, et sans allumer la pièce pour ne pas réveiller les aînés, elle fouilla dans le premier tiroir duquel elle tira un petit paquet emballé dans une couche en tissu. Revenue dans la chambre parentale, elle l'ouvrit. La sage-femme en sorti une petite chemise en coton, une brassière en laine, une couche en tissu, une petite bande Velpeau, une pointe en plastique et un lange épais dans lequel était piquée une aiguille de sécurité. La soignante prit alors la petite des mains de sa maman et l'approcha de la bassine. Au contact de l'eau, le bébé se mit à pleurer. Elle lui parlait doucement, sous le regard attentif de la voisine, pendant que la jeune maman somnolait. Après l'avoir bien lavée avec le gros bloc de savon de Marseille, elle entreprit de l'essuyer. Les pleurs de Disciole s'arrêtèrent dès sa sortie du bain. La sage-femme prit le flacon de mercurochrome avec lequel elle désinfecta le cordon ombilical qu'elle entoura d'une fine gaze. Elle le maintint avec la bande Velpeau, lui passa la petite chemise ouverte devant puis lui mit la couche en tissu et le triangle de plastique par-dessus afin d'éviter les fuites. Entourer le bébé du gros lange de coton, passer la brassière fut un jeu d'enfant pour la soignante habituée à effectuer ces gestes sans y réfléchir. Elle coucha Disciole ainsi emmitouflée dans le berceau qui se trouvait dans la chambre des jeunes parents. La voisine annonça sa volonté de retourner chez elle, en précisant bien qu'elle était disponible en cas de besoin, et que Dolorès ne devait pas hésiter à l’appeler, s'il lui manquait quoi que ce soit. La jeune femme la remercia chaleureusement de son aide et la soignante lui donna une bonne poignée de main tout en la raccompagnant vers la porte. Puis, revenant vers Dolorès, elle regarda si le placenta se décollait. La sage-femme lui dit qu'elle devait lui appuyer très fort sur le ventre pour faciliter l'expulsion de celui-ci. Lorsque le poing de celle-ci s'enfonça dans le bassin, Dolorès cria de douleur. La sage-femme tira sur le cordon et retira le placenta qu'elle examina pour voir s'il était complet. Il s'était bien détaché et tout allait pour le mieux. Elle fit une petite toilette à la jeune maman et changea les draps. Sur les indications de la jeune femme, elle trouva le matériel pour préparer le biberon de Disciole. Elle apporta la petite à sa mère qui lui donna son premier biberon en lui caressant le front du bout des doigts. Pendant ce temps, la soignante nettoyait ses affaires et mettait de l’ordre dans le matériel de la maison qu'elle avait utilisé. Elle avait fini de tout ranger et regarda l'heure. Il était vingt-deux heures cinquante quand un bruit de porte lui fit tourner la tête. La silhouette d'un homme se dessinait dans l'embrasure : le mari venait de rentrer.
Ignace était un grand et assez bel homme. Un mètre quatre-vingt-cinq, soixante-quinze kilos, des cheveux blonds légèrement crantés sur le côté gauche et une petite moustache lui donnaient un faux air de dandy. En costume-chemise-cravate, il présentait bien. Une odeur d'eau de toilette ambrée l'entourait. La sage-femme se dit qu'il avait dû casser son flacon d'après rasage, mais réfléchit que depuis le matin l'odeur aurait dû s'atténuer. Il s'était sans doute reparfumé. Le mari avait un sourire poli et un peu forcé. La soignante se présenta et lui annonça qu'il était de nouveau papa. Ignace remercia et alla voir le bébé qui somnolait dans les bras de sa femme. Dolorès sourit doucement en lui annonçant que c'était une petite fille. « Comme elle est belle lorsqu'elle sourit, pensa la sage-femme, dommage que son sourire soit si triste ». Le papa regardait la petite sans rien dire et il demanda à la jeune maman : « Tu as eu le temps de préparer mon repas ? J'ai eu une journée chargée aujourd'hui ». La jeune femme acquiesça et il se dirigea vers la cuisine. La sage-femme fulminait intérieurement sentant que la jeune épouse était sans défense, ne sachant s'imposer face à son mari. Elle rejoignit celui-ci dans la cuisine et se mit à lui expliquer : « L’accouchement a été difficile, votre femme a besoin de beaucoup de repos. Demain, il faut absolument qu'elle voit un médecin pour vérifier son état et une aide à la maison est nécessaire pour faire face à tout ce qui est indispensable matériellement avec quatre enfants encore petits ». Ignace mangeait sans répondre, et la soignante eut le sentiment qu'il se fichait éperdument de ce qu'elle pourrait lui dire. Pour le ramener à la réalité et lui faire sentir qu'elle maîtrisait la situation, elle lui demanda, tout en établissant une feuille de soins, de lui payer ses honoraires. Le mari eut un léger froncement de sourcil. Il n'aimait pas du tout être importuné pendant son repas, et encore moins pour un problème d'argent. Pourtant, il ne sourcilla pas devant la facture et lui fit un chèque qu'il lui remit avec un sourire mielleux. « Trop poli pour être honnête », pensa la sage-femme. Intérieurement, elle plaignait la jeune maman qui semblait si démunie et sans défense face à la toute-puissance de cet homme, qui ne semblait pas mauvais au fond, mais qui paraissait très égoïste. Il ne lui avait pas demandé comment s'était passé l'accouchement et, lorsque celle-ci lui avait précisé qu'il avait été difficile, le mari n'avait posé aucune question concernant la difficulté évoquée. Ignace n'avait pensé qu'à une chose : « son repas ». La soignante, malgré son habitude du machisme ambiant dans les familles, n'arrivait pas à l'accepter. Cela lui était même de plus en plus difficile, comme si avec l'expérience, sa sensibilité de femme devenait plus exacerbée. Le regard du mari la sortit de ses pensées, il avait des yeux pers, ni vraiment gris, bleu ou vert, mais très clairs qui contrastaient avec les yeux sombres de sa femme. Elle le trouva beau et se dit qu'elle pouvait comprendre la jeune maman d'avoir succombé à son charme. Ignace la congédia poliment mais fermement, et c'est en passant la porte qu'elle lui rappela d’appeler le médecin le lendemain. Il acquiesça d'un signe de tête et la soignante ne put s'empêcher de penser intérieurement, tout en fermant la porte qui donnait sur le palier : « cause toujours, tu m'intéresses » ...
Son repas fini, le mari déposa sa vaisselle sale dans le petit évier : « Dolorès la fera demain » pensa-t-il et il rejoignit son épouse dans la chambre, prit son pyjama et alla se déshabiller dans la salle de bains. La jeune femme avait couché le bébé dans son berceau et somnolait. Il se coucha, lui fit un bisou rapide sur le front, lui souhaita un « bonne nuit » machinal et se tourna du côté opposé à son épouse. Très vite, il s'endormit et son ronflement régulier fut le seul témoin de sa présence. Ne pouvant dormir car souffrant encore des suites de l'accouchement, la jeune femme rêvait, à moitié endormie. C'est ainsi que pour la deuxième fois de la soirée, l'image d'Henri se fit très présente. Depuis si longtemps, Dolorès essayait de la chasser. Henri, son véritable amour... ils avaient eu l'un pour l'autre des sentiments fous, cela avait été un coup de foudre réciproque. Henri était officier dans l'armée de terre. C'était un bel homme brun, au visage fin. Ce dont elle se rappelait le plus agréablement, c'était sa gentillesse et toutes les délicatesses dont il l'entourait. Prévenant, attentionné, il était à l'antipode d'Ignace. C'est lui qu'elle aurait choisi d'épouser si elle avait été libre de le faire. Mais voilà, Henri était protestant, chose inacceptable pour sa tante, femme forte et manquant d'ouverture d'esprit. Celle-ci éloigna Henri en lui affirmant que jamais sa nièce n'épouserait un hérétique, et qu'il devait la laisser tranquille. De plus, elle veilla à limiter les sorties de Dolorès, réduisant à néant les espoirs qu'Henri pouvait avoir de la rencontrer pour lui parler. Il lui avait fait passer un mot par une de ses amies du village pour lui proposer de fuir avec lui, mais la jeune fille n'avait pas eu le courage de prendre une telle décision, refusant la fuite qui lui aurait permis de vivre leur amour. Le jeune homme s'était alors fait muter à l'étranger pour oublier, et elle s'était retrouvée seule et désespérée. Sa tante s'était arrangée avec la bonne du curé pour favoriser des rencontres avec le fils de celle-ci qui étudiait à la faculté de Poitiers pour devenir professeur de français. C'était un beau jeune homme et un parti acceptable pour la tante. De plus, celui-ci était très pratiquant et ami avec le jeune curé de la paroisse pour qui sa mère travaillait. Alors, petit à petit, Dolorès avait abandonné l'espoir de revoir Henri, se disant qu'Ignace était la solution pour quitter la mainmise de sa tante sur sa vie. C'est ainsi qu'ils s'étaient fiancés et mariés dans le petit village qui l'avait vue grandir.
Ensuite, sa vie s'était transformée pour devenir celle d'une femme au service de son mari, un homme pour qui elle ne ressentait pas d'amour fou. Sa capacité d'aimer s'était enfuie avec Henri. Dolorès savait que, plus jamais, elle ne pourrait connaître un sentiment aussi profond. Tout en dormant, Ignace lâcha un pet dont le bruit et l'odeur ramenèrent Dolorès à la réalité. Incommodée par les effluves qui sortaient des draps, la jeune femme se leva pour boire un verre d'eau dans la cuisine. Elle ne put s'empêcher de pousser un soupir de lassitude en voyant la vaisselle posée dans l'évier mais cela ne l'empêcha pas de se mettre à laver l'assiette et le plat de son mari. Douloureuse, se tenant le ventre, elle retourna se coucher et regarda Ignace qui ne s'était pas réveillé. Aucun bruit ne le tirait de son sommeil. Il aimait à raconter que, lors de la guerre d'Algérie à laquelle il avait participé, même le bruit du canon ne le réveillait pas. Souvent la jeune épouse pensait : « je pourrais aller coucher avec le voisin, il ne s'en rendrait pas compte ». Les enfants pouvaient pleurer, crier, rien ne le tirait de son sommeil. Son regard se posa sur Disciole qui, comme tous les bébés, dormait à poings fermés, son petit derrière surélevé. Elle pensa : « petite luciole » et sourit au jeu de mot. Cette petite serait-elle un point lumineux dans sa vie de mère et d'épouse ? La douleur qui s'élança dans son ventre la poussa à quitter sa contemplation pour se recoucher. Dolorès essayait de trouver le sommeil sans y arriver et déjà le jour s'apprêtait à poindre.
Le matin, Ignace demanda à Dolorès de préparer les grands plus tôt car, pour une fois, il allait les conduire à l'école. Il comptait ensuite aller chez le médecin pour lui demander de passer la voir. La jeune femme acquiesça, étonnée de la prévenance de son mari. En habillant Léon et René, elle leur expliqua qu'ils avaient une autre petite sœur. Ils voulurent la voir. La jeune maman leur dit d'aller prendre leur petit déjeuner et que, pendant qu'ils mangeaient, elle lui donnerait le biberon. Lorsqu'elle arriva avec le bébé dans les bras, les deux garçons arrêtèrent de boire leur chocolat. Alors Dolorès leur dit : « elle s'appelle Disciole ». Devant le silence de ses fils, elle ne s'inquiéta pas. Il leur faudra un peu de temps pour s'y faire. Alors que Disciole tétait, Léon demanda : « elle va pleurer comme Georgette ? » En souriant doucement, la jeune femme lui répondit : « de temps en temps, comme tous les bébés ». Ignace arrivait dans la cuisine pour emmener les garçons. Leur maman indiqua où se trouvaient leurs manteaux et en grommelant, le père alla les chercher. Les garçons les enfilèrent et celui-ci les entraîna avec lui. Dolorès poussa un soupir de soulagement. Une journée plus calme s'annonçait. Elle allait pouvoir en profiter pour faire bouillir les couches en tissu qui étaient sales. Ses douleurs au ventre étaient toujours présentes, mais c'était normal, elle le savait. Georgette se mit à pleurer, la maman lui donna alors sa bouillie du matin à la petite cuillère. Après l'avoir changée et habillée, la jeune femme la mit dans son parc et alla se préparer. Elle fit une toilette de chat devant le lavabo et sortit les couches de la panière de linge sale. Soulevant l'énorme lessiveuse en aluminium, elle la porta jusqu’à la cuisinière et la déposa sur le gaz. Avec un pichet, elle la remplit d'eau et alluma le feu dessous. Dolorès versa dans celle-ci une tasse de lessive et avec un gros bâton de bois, la mélangea à l'eau. Une fois la lessiveuse fermée avec un couvercle, elle attendit que l'eau bouille. Georgette, debout dans son parc, allait de barreau en barreau et gazouillait gentiment. La maman entendit les pleurs de Disciole et prépara son biberon. Puis, la prenant dans ses bras, elle s'assit pour lui donner la tétée. Après l'avoir recouchée, elle alla chercher les couches, les plongea dans la lessiveuse et tourna le tout avec le bâton. Alors qu'elle s'affairait à cette tâche, la sonnette de la porte retentit. Sans lâcher le bout de bois tout mouillé qui gouttait sur le sol, sans qu'elle s'en aperçoive, elle alla ouvrir.
Le médecin se tenait dans l'embrasure de la porte. Il fronça les sourcils et lui dit : « Vous devriez être au lit, que faisiez-vous ? » Sous le regard ahuri du docteur, la jeune femme répondit qu'elle lavait les couches dans la lessiveuse. Il se fâcha, lui disant qu'elle ne devait pas faire ce genre d'efforts, qu'elle devait être aidée par une femme de ménage. Devant ses allégations justifiant son occupation, il lui coupa la parole et lui demanda d'aller se coucher pour pouvoir l'ausculter. Lorsqu'il lui prit sa tension, elle avait 18/13. Il prescrivit le passage d'une infirmière pour réaliser une prise de sang et lui expliqua : « Quatre enfants en juste quatre ans, c'est beaucoup trop pour une petite femme comme vous. Vous avez peu de réserves et là, votre vie est en jeu. Votre tension est trop haute, vous faites aussi de l'arythmie. Vous ne tiendrez pas le coup dans les conditions matérielles où vous êtes. De plus, il ne faut plus avoir d'enfants durant quelques années, sinon vous allez vous tuer. Alors pensez aux quatre enfants que vous avez mis au monde et qui ont besoin de vous ». Elle l'interrompit : « mais, mon mari, mon devoir conjugal… ». Le médecin soupira : « votre devoir de mère avant tout. Vous avez la responsabilité de quatre enfants. C'est cela la priorité. Que fera votre époux si vous mourrez ? » Devant le silence de Dolorès et son air désemparé, il lui dit qu'il parlerait lui-même à son mari pour lui expliquer la gravité de la situation. Un soupir de soulagement lui répondit. Il lui prescrivit des remontants, vitamines et oligo-éléments en attendant les résultats de l'analyse et annonça qu'il repasserait ce soir pour rencontrer son époux. La tristesse profonde qui jaillissait du regard noir de Dolorès fut la seule réponse qu'il reçut. Elle n'eut même pas l'idée de le remercier, ne pensant qu'aux angoisses qui l'habitaient face à la réaction que manifesterait sans doute Ignace lorsque le médecin lui parlerait. En souriant, le docteur lui tendit la main. C'était un bel homme brun, au menton carré et aux yeux noirs profonds. Lorsqu'il souriait, la jeunesse de ses traits s'accentuait. Dolorès prit la main tendue et répondit au regard franc de l'homme, en esquissant un petit sourire triste.
Une fois le médecin parti, la jeune femme resta avec ses peurs intérieures. La fatigue lui tomba sur les épaules comme une chape de plomb. Elle fut prise d'un vertige et dut s'asseoir. Elle se leva de la chaise pour aller s'allonger dans la chambre, mais Georgette, la voyant partir, se mit à pleurer. Elle revint prendre la petite avec laquelle elle s'allongea, sa fille serrée contre elle. Une larme coula silencieusement le long de sa joue, suivie d'une deuxième qui ouvrit la route à de légers sanglots. Dolorès s’interdisait de pleurer vraiment, refusant d'écouter sa douleur. Inconsciente de ce que vivait sa maman, Georgette dormait profondément. Un léger malaise plongea la jeune femme dans une semi-torpeur. Elle se sentit légère, comme entourée de coton, et se laissa aller à ce sentiment de bien-être.
Ce sont les pleurs de sa fille qui la réveillèrent. Elle sursauta et regarda l'heure. Elle se rendit compte qu'elle avait dormi plus de deux heures et cela provoqua un affolement en elle. Tout le travail qu'elle n'avait pas fait ! Elle prépara le repas de Georgette, il fut très simple, confectionné avec les restes de jambon et pommes de terre de la veille au soir. Elle en fit une purée et commença à en donner à la petite. « Heureusement, les grands déjeunent à la cantine, aujourd'hui », pensa-t-elle. La petite mangeait sagement et c'est ce moment que choisit Disciole pour pleurer. Elle allait attendre que sa sœur ait fini son repas. Dolorès repensa aux propos du médecin et ne put s'empêcher de penser qu'il avait raison : elle ne tiendrait pas le coup à ce rythme-là.
C'était la fin de l'après-midi. La jeune femme avait réussi avec peine à finir sa lessive. De toute façon, elle n'avait pas le choix. Elle avait besoin de couches propres pour changer ses enfants. Préparer le repas lui avait beaucoup coûté aussi. Il y avait du boudin noir au réfrigérateur et elle avait ouvert une boîte de petits pois. Ensuite, Dolorès avait préparé une compote pour le dessert. Elle ne s'était jamais sentie aussi faible. Plusieurs fois, elle s'était demandé si le fait que le médecin lui donne le droit de se sentir fatiguée, n'avait pas accentué son sentiment de faiblesse. Elle oubliait juste, qu'avec la tension qu'elle avait, elle ne pouvait être autrement que fatiguée. C'est avec joie qu'elle entendit les pas des enfants qui couraient dans l'escalier et le couloir. Lorsqu'ils ouvrirent la porte, ce fut pour se jeter dans ses bras. La jeune maman les enlaça puis leur dit d'enlever leur manteau et de mettre leurs chaussons. Pendant ce temps, elle se rendit dans la cuisine pour préparer leur goûter. Elle coupa des bananes en rondelles dans une coupelle et les saupoudra de sucre. Elle n'avait pas entendu Ignace entrer dans la cuisine. Il s'approcha d'elle au moment où les deux garçons accouraient pour prendre leur goûter. Il lui demanda comment elle allait, sa réponse fut simple : « doucement », il renchérit : « le médecin m'a téléphoné au travail pour me dire qu'il passerait nous voir ce soir. Il veut parler de ta santé qui l'inquiète ». Dolorès lui répondit : « ma tension est trop haute, il me trouve trop fatiguée » Son mari sourit doucement : « ce n'est que cela, tant mieux » dit-il en se préparant du thé. Le cœur de Dolorès se mit à battre de façon saccadée à l'idée de ce qui allait se dire le soir. Elle avait du mal à respirer. Son époux se retournant la vit pâle et tremblante. Il se précipita, la fit asseoir sur une chaise. Son regard inquiet se posa sur elle. Il lui dit d'aller se reposer dans la chambre, ce qu'elle fit sans se faire prier davantage. Les garçons qui finissaient leur goûter la regardaient, surpris. En quittant la cuisine, elle leur dit d'aller jouer dans leur chambre. Ils y coururent en se bousculant. Ignace se retira dans son bureau pour travailler. Seule, dans la pénombre, la jeune femme essayait de réguler les battements de son cœur, sans y parvenir. Comme Disciole se mit à pleurer, elle se leva pour la changer et lui donner son biberon, tout en se disant qu'elle n'aspirait qu'à dormir.
Il était vingt heures trente lorsque le médecin sonna à la porte. Les garçons étaient couchés, les bébés dormaient. Ignace et Dolorès finissaient leur repas. Lorsque la sonnette de la porte retentit, le cœur de la jeune femme sauta brusquement dans sa poitrine, puis se mit à battre la chamade. Elle était toute pâle lorsque le médecin entra. Il se précipita, la fit s'asseoir et sortit le tensiomètre de sa trousse. Le mari avait un sourire poli. Le verdict tomba, sa femme avait 19/15 de tension. Le docteur s'assit pour expliquer la situation à Ignace : « Votre épouse est très fatiguée, son cœur est malade, très malade. Elle a beaucoup trop de tension et de l'arythmie. Avoir quatre enfants en même pas quatre ans, était une folie, vu sa constitution. Le travail que cela implique d'élever les enfants dans les conditions matérielles que vous avez, est trop dur pour sa faible santé. Donc, deux choses sont obligatoires : en premier, avoir une femme de ménage pour l'aider, même si financièrement c'est lourd. En deuxième, ne plus avoir d'enfants pendant quelques années ». Le médecin se rendit compte que la jeune femme pâlissait de plus en plus lors du développement de la situation qu'il décrivait. Quant au mari, son visage s'était durci et son regard était devenu d'un bleu d'acier, coupant comme un couteau. Le docteur continua : « Il existe des moyens de contraception efficaces… » Il ne put finir sa phrase, Ignace l’avait arrêté d'un ton sec : « Nous sommes pratiquants, l’Église interdit les moyens de contraception, il n'en est pas question ». Le médecin reprit : « Je crois que vous n'avez pas compris la situation, c'est la vie de votre épouse qui est en jeu. Que voulez-vous comme avenir proche ? Élever vos quatre enfants seul parce qu’elle s'est tuée à la tâche ? Si vous ne voulez pas des moyens de contraception, abstenez-vous. Cela l’Église doit bien le permettre ! » L'énervement faisait trembler la voix de l'homme. Le mari reprit : « Nous avons essayé la méthode des températures, cela ne marche pas. La preuve, les enfants sont là » le docteur reprit : « Eh bien, abstenez-vous complètement. Faites chambre à part si vous ne pouvez pas vous retenir. Mais trouvez une solution, bon sang. La vie de votre femme vaut bien la peine de faire un effort. Donc, dès demain, vous prenez une femme de ménage. Si vous n'en connaissez pas, j'ai deux personnes à vous recommander qui sont très bien. Et plus d'enfants pendant quelques années ! A vous de voir comment vous souhaitez gérer le problème. Si vous voulez une contraception, je peux vous guider ». Ignace répondit : « Je veux bien les coordonnées des femmes de ménage que vous connaissez. Pour ce qui est de notre vie de couple, nous en parlerons ensemble, ma femme et moi. Merci de vous être dérangé ce soir ». Le médecin comprit que congé lui était donné. La jeune femme avait les larmes aux yeux et ses mains tremblaient légèrement. Il se leva, prit son manteau qu'il avait négligemment posé sur le dossier d'une chaise. Saisissant sa trousse, il les salua et sortit.
Ignace dit alors à Dolorès : « Allons-nous coucher, nous reparlerons de tout cela plus tard. Dès demain, je trouverai une femme de ménage ». Disciole se mit à pleurer. La jeune maman se leva pour aller la chercher. Lorsqu'elle la prit dans ses bras, les pleurs s'interrompirent. Le corps tout chaud de la petite la réconfortait. Ce soir, plus que tout autre soir, elle avait besoin de tendresse et cela, ce n'était pas le fort de son époux. Elle approcha le petit visage du sien et posa sa joue sur le front du bébé. La petite fille avait beaucoup de cheveux sur la tête, tout noirs et tout raides. Dolorès avait beau essayer de les coiffer, ils rebiquaient et allaient dans tous les sens. Même en les mouillant, ses efforts pour la coiffer avaient échoué : « C'est des cheveux de naissance, avait dit sa voisine d'un air connaisseur. Ils vont tomber et changer ». Au fond d'elle-même, Dolorès l'espérait. C'était le premier de ses bébés qui avait de tels cheveux. De toute façon, les autres étaient nés sans un cheveu sur la tête. Elle croisa Ignace dans la porte. Celui-ci jeta un regard froid et glacial sur la petite et passa sans dire un mot. Son épouse fila vite dans la cuisine pour faire chauffer le biberon. Disciole tétait avec régularité, le bruit de l'air qui passait dans le biberon la berçait. Puis, la tétée finie, elle revint dans la chambre pour changer son enfant. Son mari la regardait faire sans un mot. Ce silence pesait sur la jeune femme comme une chape de plomb. C'est lorsqu'elle recoucha la petite qu'il lui dit : « Tu as vu ses cheveux, il faudrait les coiffer ». Elle répondit : « C'est des cheveux de naissance, ils vont tomber » « Peut-être, répliqua le mari. Mais ça lui donne une tête de balai de chiottes ». Devant le regard aussi ahuri qu'outré de la jeune femme, il reprit : « Couche toi donc, au lieu de rester debout les bras ballants. Tu es fatiguée ou pas ? » Dolorès se déshabilla rapidement, alla se laver les dents et se coucha sans mot dire. Ignace ne l'entendit pas se coucher, il dormait déjà. La jeune femme ne trouvait pas le sommeil. Elle pensait sans arrêt au regard glacial de son mari pour l'enfant et à son expression : « balai de chiottes ». Disciole désormais continuerait de ne pas plaire à son papa car sa naissance coïncidait avec l'arrêt des rapports sexuels. La petite n'y était pour rien, mais Dolorès était sûre que son époux réagirait ainsi. Son regard glacial, ce soir, en était la preuve et n'augurait rien de bon. Elle se sentait triste et lasse. Elle s'endormit difficilement et son sommeil fut peuplé de cauchemars.
Le matin, Dolorès se réveilla à la même heure que d'habitude. Elle prépara les deux grands que son mari emmena à l'école. C'est au milieu de la matinée que l'on sonna à la porte. La jeune femme ouvrit à une personne assez forte, qui lui souriait. Avant même que Dolorès put lui demander ce qu'elle voulait, elle se présenta : « Votre mari m'a demandé si j'étais libre rapidement pour venir vous aider à faire le ménage. J'ai répondu que oui. Vous avez de la chance car une grand-mère chez qui je travaillais tous les matins, vient de se casser le col du fémur. Vous comprenez qu'elle est à l’hôpital pour un bon moment. Alors, j'ai accepté de travailler chez vous. Cela devrait vous soulager. Vous avez de la chance d'avoir un mari aussi attentionné, car ce ne sont pas tous les hommes qui se soucient ainsi de la santé de leur épouse ». La jeune femme ne chercha même pas à rétablir la vérité. C'était habituel que son mari passe pour un saint. Il savait très bien reprendre les idées des autres comme étant les siennes. De plus, son côté opportuniste lui permettait de toujours se faire découvrir sous son meilleur jour. Dolorès fit entrer la première bonne qu'elle eut. Elle lui demanda son prénom. Celle-ci s’appelait Mercédès. Elle lui fit faire le tour de l'appartement, lui expliquant où étaient les affaires. Regardant l'heure, la femme de ménage proposa : « Il est onze heures. Je vous propose de rester les trois heures prévues par votre mari. Cela mènera jusqu'à quatorze heures. Les autres jours, sauf le dimanche qui est le jour du Seigneur (en prononçant cette phrase, elle fit un grand signe de croix solennel), je viendrai de neuf heures à midi, si cela vous convient ». Dolorès acquiesça. Elle trouvait la femme sympathique malgré une diarrhée verbale qui parfois la rendait fatigante. De plus, elle ne rechignait pas à l'ouvrage et abattait un travail assez considérable. Le médecin avait raison, c'était une bonne femme de ménage. A midi, la jeune femme lui proposa de partager son repas, et celle-ci accepta simplement. Lorsqu'elle quitta la maison à quatorze heures, Dolorès n'en revenait pas d'avoir trouvé le temps aussi court. Elle ressentit alors un grand vide et, de nouveau, la peur et les angoisses l'envahirent.
La jeune femme se mit à pleurer doucement, pensant à Disciole, à Ignace, à l'avenir. Intérieurement, elle paniquait. Ne sachant plus quoi faire, elle ouvrit l'armoire et se mit à caresser le coffret laqué. Elle le saisit : « Si je l'ouvre, pensait-elle, tout s'arrangera ». Le serrant contre sa poitrine, elle se recula. Elle hésitait. Ce sont les pleurs de Disciole qui l'arrêtèrent au moment même où elle s’apprêtait à l'ouvrir. « La petite va se calmer, pensa-t-elle ». Mais le calme ne revenant pas, pour aller chercher son enfant, Dolorès posa le coffret sur la table. A peine dans ses bras, le bébé s’apaisa. Revenue dans la pièce, la maman ne pouvait détacher son regard du coffret laqué noir. Les motifs en nacre qui scintillaient semblaient l’interpeller. Le désir de l'ouvrir se faisait irrésistible. Elle s'en approcha, le caressa doucement puis le prit dans sa main. La jeune femme ne pouvait s'empêcher de penser : « Tout s'arrangera si je l'ouvre » et brusquement, elle le posa sur le bébé, puis d'un geste sûr, l’ouvrit. Des tourbillons de couleurs sortaient du coffret, montant en se dispersant dans la pièce. Subjuguée, Dolorès restait à regarder, comme paralysée. « Tout s'arrangera, pensait-elle, puis souriant intérieurement : ce sont les couleurs de la vie.. ». Les volutes colorées se disciplinèrent un peu. Les plus foncées se mirent à entourer Disciole : le noir, le violet, le gris, le marron, le rouge carmin, le bleu nuit, le vert sapin. Les pensées de la jeune femme se bousculaient en elle, une confusion énorme en résulta. « Mon père avait raison, les couleurs de la vie ». Elle essayait de se remémorer les paroles de l'homme, mais une force intérieure semblait bloquer l'accès à sa mémoire. Des couleurs un peu plus claires entourèrent l'enfant. Un souvenir essayait de revenir à sa mémoire, mais il ne pouvait arriver à sa conscience. Elle sentait en elle comme un combat intérieur. Elle devait se rappeler... C'était très important. Elle luttait pour faire toute la clarté dans ses pensées quand un rayon argenté sortit et l'entoura, elle. Fascinée, la jeune femme le regardait onduler. D'autres couleurs jaillissaient de la boîte magique et alors, la phrase de son père lui revint. « Il ne donnera ses charmes qu'à toi, et le négatif à la personne qui sera avec toi, si tu n'es pas seule lorsque tu l'ouvres » Ses yeux se posèrent alors sur Disciole et son cœur s’affola : « le bébé, était-ce une personne pour le coffret ? » Les couleurs, de plus en plus claires, s'envolaient du coffret laqué et cernaient l'enfant. Elle semblait entourée comme une chenille dans un cocon de couleurs dansant autour d'elle. Dolorès essayait de faire un geste, de fermer le coffret mais restait comme paralysée. Une couleur dorée s'échappant du coffret et commençant à envelopper l'enfant, elle eut un vif mouvement de volonté et réussit à fermer le coffret alors que le doré n'avait pas fini d'encercler le bébé. Toutes les couleurs disparurent, comme par enchantement. C'est alors que lui revint l'autre phrase du vieil homme : « seule la couleur dorée qui jaillira en dernier du coffret, pourra contrecarrer les malheurs issus de celui-ci ». La stupeur provoqua une immense douleur dans sa poitrine. Elle avait fermé le coffret laqué pour protéger Disciole et en définitive, son geste avait interrompu la sortie de la couleur qui pouvait tout arranger. Dolorès sentait toutes sortes de pensées se bousculer en elle. Il devait bien y avoir une solution. Puis soudain, elle eut un sursaut de joie. Une idée venait de surgir : si elle ouvrait de nouveau le coffret, la couleur dorée pourrait finir de sortir. Alors, Dolorès l'ouvrit précautionneusement car elle l'avait toujours à portée de main sur son enfant. Son cœur battait la chamade dans sa poitrine. Rien ne sortit de la boîte. La jeune femme pencha la tête pour vérifier à l'intérieur du coffret, elle ne vit alors rien d'autre que quelques colliers de perles de verre. Le sortilège était fini. Ne sachant plus quoi faire, elle s'assit en pleurant à gros sanglots. Disciole se mit aussi à pleurer, mais de faim. La maman prépara le biberon de la petite et le lui donna en versant doucement quelques larmes.
Le week-end approchait. Aidée de Mercédès, Dolorès avait préparé le canapé-lit de la salle à manger pour le père Robert qui venait pour le baptême de Disciole prévu le dimanche après la messe. Ignace lui avait dit qu'ils en profiteraient pour voir avec Robert (il l'appelait par son petit nom, ayant vécu avec lui au presbytère dont sa mère était la bonne) comment gérer leur vie de couple. La jeune femme vivait dans l'angoisse depuis qu'elle avait ouvert le coffret, se demandant ce qui risquerait d'arriver à sa fille. De la faire baptiser la rassurait, ainsi, elle serait protégée. Son mari était toujours très distant face au bébé, ne s'y intéressant pas du tout. Il reportait toute son affection sur Georgette, tellement différente de la petite. La grande avait les yeux noirs de sa mère et aucun cheveu sur le crâne. De plus, à un an, elle commençait à répondre par sons aux paroles des adultes. La relation se créait facilement et Ignace ne semblait pas indifférent aux babillements de cette enfant.
Dolorès surveillait la petite dernière avec angoisse, cherchant à discerner si les volutes de couleur l'entouraient encore. Ne rien voir la soulageait et l'angoissait en même temps. Qu'allait-il se passer ? Les couleurs agiraient-elles ou pas ? De plus, elle n'osait en parler à personne. Qui pourrait la croire ? Et si quelqu'un voulait vérifier, il ne verrait que des perles de verre... Le raconter serait le meilleur moyen de passer pour une folle. Les garçons se chamaillaient dans la chambre. La jeune maman y courut pour mettre la paix entre eux, car son mari travaillait dans le bureau et, dans ces cas-là, il ne supportait pas d'être dérangé par le bruit des enfants. Elle ne chercha pas à comprendre et donna une tape sur la cuisse de chacun des grands en leur disant de jouer sans bruit. Dolorès était en train de mettre la table lorsque la sonnette de la porte d'entrée retentit. Elle se précipita pour ouvrir et se trouva nez à nez avec le père Robert.