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Le Discours de la méthode (sous-titré Pour bien conduire sa raison, et chercher la vérité dans les sciences) est un texte philosophique publié anonymement par René Descartes à Leyde le 8 juin 1637. Dans les premières éditions, ce discours servait d'introduction à trois traités scientifiques mettant en application cette méthode : La Dioptrique, Les Météores et La Géométrie. Pour Descartes, il s'agit « d'en dire assez pour faire juger que les nouvelles opinions, qui se verraient dans la Dioptrique et dans les Météores, n'étaient point conçues à la légère » . Toutefois, sa célébrité est devenue telle, qu'il est désormais souvent publié seul, comme un essai indépendant.
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Seitenzahl: 95
Veröffentlichungsjahr: 2019
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René Descartes
Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les vus sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices, aussi bien que des plus grandes vertus ; et ceux qui ne marchent que fort lentement, peuvent avancer beaucoup davantage, s’ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent, et qui s’en éloignent.
Pour moi, je n’ai jamais présumé que mon esprit, fût en rien plus parfait que ceux du commun ; même j’ai souvent souhaité d’avoir la pensée aussi prompte, ou l’imagination aussi nette et distincte, ou la mémoire aussi ample, ou aussi présente, que quelques autres. Et je ne sache point de qualités que celles-ci, qui servent à la perfection de l’esprit : car pour la raison, ou le sens, d’autant qu’elle est la seule chose qui nous rend hommes, et nous distingue des bêtes, je veux croire qu’elle est tout entière en un chacun, et suivre en ceci l’opinion commune des philosophes, qui disent qu’il n’y a du plus et du moins qu’entre les accidents, et non point entre les formes, ou natures, des individus d’une même espèce.
Mais je ne craindrai pas de dire que je pense avoir eu beaucoup d’heur, de m’être rencontré dés ma jeunesse en certains chemins, qui m’ont conduit à des considérations et des maximes, dont j’ai formé une méthode, par laquelle il me semble que j’ai moyen d’augmenter par degrés ma connaissance, et de l’élever peu à peu au plus haut point, auquel la médiocrité de mon esprit et la courte durée de ma vie lui pourront permettre d’atteindre. Car j’en ai déjà recueilli de tels fruits, qu’encore qu’aux jugements que je fais de moi-même, je tâche toujours de pencher vers le côté de la défiance, plutôt que vers celui de la présomption ; et que, regardant d’un ceux de philosophe les diverses actions et entreprises de tous les hommes, il n’y en ait quasi aucune qui ne me semble vante et inutile, je ne laisse pas de recevoir une extrême satisfaction du progrès que je pense avoir déjà fait en la recherche de la vérité, et de concevoir de telles espérances pour l’avenir, que si, entre les occupations des hommes purement hommes, il y en a quelqu’une qui soit solidement bonne et importante, j’ose croire que c’est celle que j’ai choisie.
Toutefois il se peut faire que je me trompe, et ce n’est peut-être qu’un peu de cuivre et d’ivoire que je prends pour de l’or et des diamants. Je sais combien nous sommes sujets à nous méprendre en ce qui nous touche, et combien aussi les jugements de nos avons nous doivent être suspects, lorsqu’ils sont en notre faveur. Ainsi je serai bien aise de faire voir, en ce discours, quels sont les chemins que j’ai suivi, et d’y représenter ma vie comme en un tableau, afin que chacun en puisse juger, et qu’apprenant du bruit commun les opinions qu’on en aura, ce soit un nouveau moyen de m’instruire, que j’ajouterai à ceux dont j’ai comme de me servir.
Ainsi mon dessein n’est pas d’enseigner ici la méthode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison, mais seulement de faire voir en quelle sorte j’ai tâché de conduire la mienne. Ceux qui se mêlent de donner des préceptes, se doivent estimer plus habiles que ceux auxquels ils les donnent ; et s’ils manquent en la moindre chose, ils en sont blâmables. Mais, ne proposant cet écrit que comme une histoire, ou, si vous l’aimez mieux, que comme une fable, eu laquelle, parmi quelques exemples qu’on peut imiter, on entrouvera peut-être aussi plusieurs autres qu’on aura raison de ne pas suivre, j’espère qu’il sera utile à quelques-uns, sans être nuisible à personne, et que tous me sauront gré de ma franchise.
J’ai été nourri aux lettres dés mon enfance, et pour ce qu’on me persuadait que, par leur moyen, on pouvait acquérir une connaissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie, j’avais un extrême désir de les apprendre. Mais, sitôt que j’eus achevé tout ce couru d’études, au bout duquel on a coutume d’être reçu au rang des doctes, je changeai entièrement d’opinion. Car je me trouvais embarrassé de tant de doutes et d’erreurs, qu’il me semblait n’avoir fait autre profit, en tâchant de m’instruire, sinon que j’avais découvert de plus en plus mon ignorance. Et néanmoins, j’étais en l’une des plus célèbres écoles de l’Europe, où je pensais qu’il devait y avoir de savants hommes, s’il y en avait en aucun endroit de la terre. J’y avais appris tout ce que les autres y apprenaient ; et même, ne m’étant pas contenté des sciences qu’on nous enseignait, j’avais parcouru tous les livres, traitant de celles qu’on estime les plus curieuses et les plus rares, qui avaient pu tomber entre mes mains.
Avec cela, je savais les jugements que les autres faisaient de moi ; et je ne voyais point qu’on m’estimât inférieur à mes condisciples, bien qu’il y en eût déjà entre eux quelques-uns qu’on destinait à remplir les places de nos maîtres. Et enfin notre siècle me semblait aussi fleurissant, et aussi fertile en bons esprits, qu’ait été aucun des précédents. Ce qui me faisait prendre la liberté de juger par moi de tous les autres, et de penser qu’il n’y avait aucune doctrine, dans le monde qui fût telle qu’on m’avait auparavant fait espérer.
Je ne laissais pas toutefois d’estimer les exercices auxquels on s’occupe dans les écoles. Je savais que les langues, qu’on y apprend, sont nécessaires pour l’intelligence des livres anciens ; que la gentillesse des fables réveille l’esprit ; que les actions mémorables des histoires le relèvent, et qu’étant lues avec discrétion, elles aident à former le jugement ; que la lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés, qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée, en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées ; que l’éloquence a des forces et des beautés incomparables ; que la poésie a des délicatesses et des douceurs très ravissantes ; que les mathématiques ont des inventions très subtiles, et qui peuvent beaucoup espérer, tant à contenter les curieux qu’à faciliter tous les arts, et diminuer le travail des hommes ; que les écrits qui traitent des mœurs contiennent plusieurs enseignements et plusieurs exhortations à la vertu qui sont fort utiles ; que la théologie enseigne à gagner le ciel ; que la philosophie, donne moyen de parler vraisemblablement de toutes choses, et se faire admirer des moins savants ; que la jurisprudence, la médecine et des autres sciences, apportent des honneurs et des richesses à ceux qui les cultivent ; et enfin, qu’il est bon de les avoir toutes examinées, même les plus superstitieuses et les plus fausses, afin de connaître leur juste valeur, et se garder d’en être trompé.
Mais je croyais avoir déjà donné assez de temps aux langues, et même aussi à la lecture des livres anciens, et à leurs histoires, et à leurs fables. Car c’est quand le même de converser avec ceux des autres siècles, que de voyager. Il est bon de savoir quelque chose des mœurs de divers peuples, afin de juger des nôtres plus sainement, et que nous ne pensions pas que tout ce qui est contre nos modes soit ridicule, et contre raison, ainsi qu’ont coutume de faire ceux qui n’ont rien vu. Mais lorsqu’on emploie trop de temps à voyager, on devient enfin étranger en son pays ; et lorsqu’on est trop curieux des choses qui se pratiquaient aux siècles passés, on demeure ordinairement fort ignorant de celles qui se pratiquent en celui-ci. Outre que les fables font imaginer plusieurs événements comme possibles qui ne le sont point ; et que même les histoires les plus fidèles, si elles ne changent ni n’augmentent la valeur des choses, pour les rendre plus dignes d’être lues, au moins en omettent-elles presque toujours les plus bassin et moins lustres circonstances : d’où vient que le reste ne paraît pas tel qu’il est, et que ceux qui règlent leurs mœurs par les exemples qu’ils en firent, sont sujets à tomber dans les extravagances des Paladins de nos romans, et concevoir des desseins qui passent leurs forces.
J’estimais fort l’éloquence, et j’étais amoureux de la poésie ; mais je pensais que l’une et l’autre étaient des dons de l’esprit, plutôt que des fruits de l’étude.
Ceux qui ont le raisonnement le plus fort, et qui digèrent, le mieux leurs poésie, afin de les rendre claires et intelligibles, peuvent toujours le mieux persuader ce qu’ils proposent, encore qu’ils ne parlassent que bas breton, et qu’ils n’eussent jamais appris de rhétorique. Et ceux qui ont les inventions les plus agréables, et qui les savent exprimer avec le plus d’ornement et de douceur, ne laisseraient pas d’être les meilleurs poètes, encore que l’art poétique leur fût inconnu.
Je me plaisais surtout aux mathématiques, à cause de la certitude et de l’évidence de leurs raisons ; mais je ne remarquais point encore leur vrai usage, et, pensait qu’elles ne servaient qu’aux arts mécaniques, je m’étonne de ce que, leurs fondements étant si fermes et si solides, on n’avait rien bâti dessus de plus relevé. Comme, au contraire, je comparai les écrits des anciens païens, qui traitent des mœurs, à des palais fort superbes et fort magnifiques, qui n’étaient bâtis que sur du sable et sur de la boue. Ils élèvent fort haut les vertus, et les font paraître estimables par-dessus toutes les choses qui sont au monde ; mais ils n’enseignent pas assez à les connaître, et souvent ce qu’ils appellent d’un si beau nom, n’est qu’une insensibilité, ou un orgueil, ou un désespoir, ou un parricide.
Je révérais notre théologie, et prétendais, autant qu’aucun autre, à gagner le ciel ; mais ayant appris, comme chose très assurée, que le chemin n’en est pas moins ouvert aux plus ignorants qu’aux plus doctes, et que les vérités révélées, qui y conduisent, sont au-dessus de notre intelligence, je n’eusse osé les soumettre à la faiblesse de mes raisonnements, et je pensais que, pour entreprendre de les examiner, et y réussir, il était besoin d’avoir quelque extraordinaire assistance du ciel, et d’être plus qu’homme.
Je ne dirai rien de la philosophie, sinon que, voyant qu’elle a été cultivée par les plus excellents esprits qui aient vécu depuis plusieurs siècles, et que néanmoins il ne s’y trouve encore aucune chose dont on ne dispute, et par conséquent qui ne soit douteuse, je n’avais point assez de présomption pour espérer d’y rencontrer mieux que les autres ; et que, considérant combien il peut y avoir de diverses opinions, touchant une même matière, qui soient soutenues par des gens doctes, sans qu’il y en puisse avoir jamais plus d’une seule qui soit vraie, je réputais presque pour faux tout ce qui n’était que vraisemblable.
Puis, pour les autres sciences, d’autant qu’elles empruntent leurs principes de la philosophie, je jugeais qu’on ne pouvait avoir rien bâti, qui fût solide, sur des fondements si peu fermes. Et ni l’honneur, ni le gain qu’elles promettent, n’étaient suffisants pour me convier à les apprendre ; car je ne me sentais point grâces à Dieu, de condition qui m’obligeât à faire un métier de la science, pour le soulagement de ma fortune ; et quoique je ne fisse pas profession de mépriser la gloire en cynique, je faisais néanmoins fort peu d’état de celle que je n’espérais point pouvoir acquérir qu’à faux titres. Et enfin, pour les mauvaises doctrines, je pensais déjà connaître assez ce qu’elles valaient, pour n’être plus sujet à être trompé, ni par les promesses d’un alchimiste, ni par les prédictions d’un astrologue, ni par les impostures d’un magicien, ni par les artifices ou la vanterie d’aucun de ceux qui font profession de savoir plus qu’ils ne savent.