Du fauteuil au Banc de Pierre - Alain Pinet - E-Book

Du fauteuil au Banc de Pierre E-Book

Alain Pinet

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Beschreibung

Paul Railler a toujours travaillé dans l'industrie métallurgique. Au cours de ces dix dernières années, il a vécu des périodes de chômage, et entamer une reconversion professionnelle qui le conduit à diriger une entreprise d'insertion par l'activité économique. Après une interruption et un bref retour à l'industrie, il est nommé à la Direction Générale d'une association et a pour mission de restructurer cette association restée sans direction depuis plus d'un an. Paul va tout mettre en oeuvre pour réorganiser cette société, malgré le laxisme et l'insubordination du personnel qu'il rencontre au fil du temps. Il obtient très vite des résultats tangibles, mais un événement tragique va contrecarrer son oeuvre et avoir des conséquences implacables. L'incendie qui ravage les locaux sera le déclencheur d'une intrigue au centre de laquelle il va se retrouver en première ligne. L'enquête s'ouvre dans un climat délétère. Accident Imprudence Volonté criminelle Rancune Vengeance Quelles sont les origines de cet aléa de parcours, et les conséquences qui en découleront ?

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Veröffentlichungsjahr: 2018

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Note de l’auteur :

Cette histoire est une fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existées serait fortuite.

Sommaire

Chapitre I : « PETITE CAUSE GRANDS EFFETS »

Chapitre II : EN ROUTE VERS LE CAUCHEMAR

Chapitre III : EN DEPIT DES REGLES

Chapitre IV : DE LA DERIVE A L’EQUILIBRE

Chapitre V : ORGANISER

Chapitre VI : LA MEDISANCE POUR CREDO

Chapitre VII : APPRENDRE POUR AGIR

Chapitre VIII : LE RETOUR D’EXPERIENCE

Chapitre IX : L’ENTRETIEN

Chapitre X : ALICE

Chapitre XI : « HOTEL » DITES-VOUS ?

Chapitre XII : QUAND LE DOUTE S’INSTALLE

Chapitre XIII : DELIVRANCE

Chapitre XIV : CHERCHER LA VERITE ET COMPRENDRE

Chapitre XV : INNOCENT OU COUPABLE ?

Chapitre XVI : RETOUR A LA MAISON

Chapitre XVII : CINQ ANS PLUS TARD

EPILOGUE

I

« PETITE CAUSE GRANDS EFFETS »

Installé à une table sur la gauche, non loin de l’énorme cheminée qui crépite, l’homme déguste son steak frites en silence, jetant simplement un regard alentour de temps à autre, satisfait de sa longue journée de travail.

Il pensait que le repas des employés qu’il avait organisé s’était plutôt bien passé, que le conseil d’administration avait pu constater combien en quelques deux mois et demi, les choses avaient évoluées au sein de l’entreprise, et que somme toute, il ne s’était pas trop mal tiré dans le traitement des affaires de cette entreprise.

Ils avaient ainsi pu voir la nouvelle presse à balles installée et fonctionnelle, on allait pouvoir enfin développer des activités nouvelles.

Il terminait son plat quand le téléphone vibra.

Il ne prêta pas immédiatement attention à cela, il était déjà 22 heures passées, et il rappellerait le correspondant plus tard.

Il sentait la fatigue monter, alors, il se leva et se dirigea vers le comptoir pour honorer l’addition. Le garçon était occupé à servir, il devrait attendre un peu. Instinctivement, il regarda son téléphone :

« Alarme Intrusion » !

Merde, encore une fausse alerte. Je vais appeler Serge pour savoir s’il a eu aussi l’alarme.

Il s’exécuta.

- Allo ! Serge, as-tu eu aussi l’alarme ?

- Oui, mais tu sais, elle se déclenche même pour le passage d’un chat alors pas d’inquiétude.

- Ouais, enfin il ne faudrait pas qu’il arrive quelque chose, et que personne ne soit allé voir. Tu peux y aller toi ?

- Oh non, il est tard, et je n’ai pas envie de ressortir.

- Oui je sais, mais tu es plus proche que moi, il faut que je me tape encore toute la traversée d’Orléans pour aller là bas.

- C’est bien toi le DG non ?

- Ah oui, évidemment, vu sous cet angle !!! d’accord, j’y vais, merci de ta collaboration…. Mais je suis au grill, j’attends pour payer ma note… Tu penses que ça peut attendre encore cinq minutes ?

- Mais oui, pas d’inquiétude, tu sais bien que ça t’est déjà arrivé, tu vas te déplacer pour rien, mais bon, fais le tour quand même, et fais attention à toi, le soir là bas, je ne suis jamais bien rassuré moi.

- Ok je vais y aller, mais si quelqu’un a réussi à rentrer, il sera déjà reparti quand j’arriverai.

- Oui c’est sûr, mais on ne va pas coucher sur place non plus.

- Ça c’est certain, bon je vais y aller. Je te tiens au courant… à plus…

Il paya sa note, et se dirigea à Saint Pryvé, retraversant toute la ville d’Orléans, en faisant attention à ne pas dépasser la vitesse autorisée, les radars étaient partout dans cette ville, et il ne les connaissait pas tous. Alors inutile de prendre un PV…

A quelques kilomètres à peine, il voyait une lueur illuminant la nuit, s’élevant bien au dessus des habitations.

Il doit y avoir un accident ou un incendie quelque part pensait-il…

En traversant Saint Pryvé, une angoisse montait en lui, comme un pressentiment dont la violence lui serrait la poitrine. Merde, faudrait quand même pas que …..

Dans la rue principale, il n’y avait aucune circulation, et il filait bon train, suppliant que ses craintes ne fussent pas avérées. Ce serait là un mauvais coup dont l’entreprise ne se relèverait pas, ou alors, une aubaine pour certains.

Plus il approchait de la zone d’activités, plus la lueur s’amplifiait, et plus la réalité estompait ses doutes. Il approchait du rond point ovale, quant un camion de pompiers venant de la droite, là où se situait le casernement des soldats du feu, empruntait alors la route principale menant en direction de la zone industrielle, toutes sirènes hurlantes, sans même amorcer le moindre ralentissement.

Ça sentait le grave et le drame, et plus il se rapprochait de la zone industrielle, plus il sentait l’angoisse l’envahir. Il devenait de plus en plus fébrile, la gorge sèche, le dos refroidit par une sueur glacée, comme si tout son corps semblait vouloir se dessécher de l’intérieur aussi rapidement qu’il le put.

Il suivit le camion rouge jusqu’à l’entrée de la zone d’activité.

Là, traversant la route, des tuyaux souples de gros diamètres gisaient au sol, gonflés par la bouche d’incendie à l’entrée de la zone.

Le scénic sursautait à chaque franchissement de ces ralentisseurs improvisés qui s’entrelaçaient, en coupant plusieurs fois la route, enjambant les trottoirs autant que faire se puissent, dérivant au travers les parkings des entreprises qui occupaient la zone, pour couper au plus court jusqu’au lieu du drame qui se déroulait, là bas, un peu plus loin, tout au fond.

Cette fois, c’était certain, les locaux de l’entreprise qu’il dirigeait étaient en flamme, il n’y avait rien d’autre de ce côté ci, que cette activité qui pouvait générer un tel déploiement de force.

Il fila à toute allure jusqu’au parking face à l’entreprise. Un agent de police le stoppa, lui demandant qui il était.

La neige s’était mise à tomber, comme si c’était indispensable à ce moment là, un vent glacial entrait par la vitre ouverte de son véhicule, et des flammes s’élevaient à plus de dix mètres au dessus de la toiture qui commençait peu à peu à s’affaisser, sous l’effet de la température extrême de l’incendie qui rageait.

- Je suis le directeur général de l’entreprise, l’alarme de mon téléphone m’a averti, et je suis venu presqu’immédiatement.

- Stationnez votre véhicule ici, et allez jusqu’au véhicule de commandement, les pompiers ont besoin de vos informations immédiatement, lui répondit l’agent.

- Ok, et où est ce véhicule de commandement ?

- A l’extrémité de la rue là-bas sur la droite, faites vite s’il vous plait.

Le conducteur sortit de son véhicule après l’avoir garé en ligne sur le trottoir de droite, à une vingtaine de mètres des locaux en flammes, puis il courut jusqu’à un véhicule où une poignée de sapeurs en uniformes et casqués faisaient une navette continue, avec les hommes à pied d’œuvre autour du bâtiment craquant sous la chaleur intense qui s’élevait sous les assauts du vent qui ne cessait de l’activer.

- Vous êtes le patron de l’entreprise, l’interrogea un sapeur.

- Oui tout à fait, je ne comprends pas ce qui a pu se passer.

- Ça on verra plus tard. Quelles sont les activités de votre entreprise Monsieur ?

- Démantèlement informatique, tri de papier, collecte des huiles usagées, réparation de palettes. C’est une entreprise d’insertion.

- Le chauffage, il est de quel type ?

- C’est un chauffage au gaz

- Où est située la cuve ?

- A l’arrière du bâtiment sur la droite quand on est face au bâtiment

- Vous arrivez trop tard bon sang de bon sang. On ne pouvait pas rentrer, le portail d’accès est resté bloqué et le code alarme ne nous a pas été communiqué. Vous a-t-on appelé ?

- Mais non, j’étais en train de dîner quand mon téléphone a sonné. Mais je n’ai pas les yeux rivés en permanence sur mon téléphone quand je mange.

- Alors vous n’avez pas regardé tout de suite ?

- Non, j’ai regardé peut-être cinq minutes après. Et j’ai appelé mon collègue pour lui demander s’il avait eut lui aussi l’alarme.

- Bon passons, vous êtes venu juste après ?

- Oui, le temps de retraverser Orléans. J’étais à Saint Jean de Braye au Grill.

- Vous avez mis combien de temps pour arriver ?

- Une quinzaine de minutes, peut être vingt toutes au plus. A cette heure ci, il n’y a personne dans les rues, mis à part les radars…

- Mettons vingt minutes, et nous nous sommes arrivés il y a exactement vingt minutes, mais la brigade de Saint Pryvé était déjà sur place. Elle est à cinq minutes, donc l’incendie s’est déclaré avant.

- Ça je ne sais pas, mais l’heure de l’alarme de mon téléphone est indiquée, et notre alarme est anti intrusion et incendie en même temps. Je l’ai fait vérifier et réparer il y a un mois. Et nous avions une alerte incendie prévue demain. Nous n’étions que deux dans la confidence.

- Vous direz tout ça à l’officier de police quand vous le verrez.

- Oui, mais c’est l’alarme anti intrusion qui s’est déclenchée, par l’alarme incendie. Alors je ne comprends pas.

- Oui ce sont nos hommes qui l’ont déclenchée en tentant d’ouvrir le grand portail.

- Qui a prévenu la brigade de Saint Pryvé ? Il a bien fallu que quelqu’un prévienne pour déclencher une intervention ?

- Nous on va sécuriser la zone et essayer d’arrêter ce foutu merdier, on risque l’explosion à tout moment.

Se retournant vers ses hommes, le commandant de la brigade ordonna :

- Faites arroser la citerne, débrouillez-vous pour faire le tour du bâtiment et sécurisez-moi ça avant qu’on fasse exploser toute la zone. Trouvez-moi des tuyaux supplémentaires et un point de ravitaillement. Ici on est en limite de circuit, il n’y a pas assez d’eau. Où se situe le point le plus proche ?

- A cinq kms mon commandant, répondit un sapeur.

- Cinq kilomètres ? Pffff ! Déployez-moi tous les tuyaux disponibles, et ramenez-moi de la flotte bon sang, trouvez-moi des pompes supplémentaires et raccordez les ensemble, on arrivera jamais à avoir assez de pression sur une telle distance. Comment ça se passe sur le théâtre ?

- Les hommes ont du mal à atteindre la toiture, on n’arrive pas à refroidir la structure métallique, Il faut absolument qu’on rentre dans le bâtiment, mais il n’y a aucune issue, tout est sécurisé.

Il se retourna vers Paul :

- Vous Monsieur, allez avec les hommes, et tentez de débloquer cette fichue alarme. Si vous n’y arrivez pas, on défonce la porte la plus fragile. Laquelle est-ce selon vous ?

- La porte d’entrée principale, c’est une porte en verre, répondit Paul

- Ok, les gars vous avez entendu, si l’alarme ne déverrouille pas, enfoncez-moi cette fichue porte, mais faites gaffe au souffle, on ne sait pas ce qu’on va trouver derrière !

- L’entrée c’est un sas, répondit Paul, il y a une autre porte intermédiaire qui mène aux ateliers.

- Oui, mais on ne sait pas où est l’origine du feu, alors prudence.

Le groupe de sapeurs entraina le directeur général derrière lui. Ils franchirent l’entrebâillement du portail défoncé, et arrivèrent devant la porte d’entrée.

La chaleur dégagée était insoutenable. Le directeur avait l’impression que son costume Pierre CARDIN était entrain de fondre sur lui, et les sapeurs le protégeaient autant que faire se puisse, en arrosant abondamment devant lui, et en l’entourant de part et d’autre, devant comme derrière, tout en progressant pas à pas dans la demie pénombre, jusqu’à la porte d’entrée du bâtiment.

Des craquements, des crépitements, des grincements, le vacarme était assourdissant, et l’on avait l’impression que tout le bâtiment allait exploser.

Les parois extérieures en tôle étaient gonflées, et certaines se détachaient peu à peu, formant des fissures béantes d’où s’échappait une fumée acide épaisse qui rendait l’approche de plus en plus difficile.

La porte se dessina enfin devant eux.

Le premier sapeur prit sa hache, sans même laisser le temps d’essayer le déverrouillage de l’alarme, et frappa d’un coup sec.

La hache rebondit et faillit lui arracher le bras. Il n’y était pas allé de main morte, mais elle ne céda pas.

Il lui fallut frapper à plusieurs reprises sur la vitre de la porte qui résistait, et faisait rebondir la hache, rejetant le sapeur en arrière.

Les autres sapeurs continuaient d’arroser abondamment la porte, et les jets d’eau renvoyaient des projections de fines gouttelettes qui plongeaient les hommes dans un épais nuage de brouillard.

La porte céda enfin.

D’un coup, le souffle brûlant de l’incendie qui faisait rage, s’engouffra dans cette brèche de fraicheur pour retrouver une seconde naissance, et l’on entendit un grondement sourd venant du fond du bâtiment, puis une lumière intense qui s’approchait à grande vitesse.

Un groupe de trois sapeurs, tenant les lances en main, projeta une tornade d’eau en avant, faisant s’élever une colonne de vapeur qui dévasta les plaques de plafond qui se liquéfièrent en une pâte visqueuse et collante, dégageant une odeur acide qui piquait jusqu’au plus profond la gorge du directeur resté en retrait pendant l’opération.

Le retour de flammes fut stoppé à quelques mètres des hommes agglutinés les uns contre les autre dans l’entrée du bâtiment.

Il ne fallut que quelques minutes aux sapeurs pour arriver aux ateliers.

Mais il était impossible de noyer l’incendie. Il fallait de l’eau, toujours plus d’eau, et la seule lance qu’ils tenaient en main ne servait qu’à se frayer un chemin étroit au milieu des flammes.

Le directeur ne savait que penser. Il suivait pas à pas la progression des soldats du feu, au fur et à mesure qu’on le poussait tout en le protégeant de tous côtés.

Il leva les yeux, et vit les trous béants de la toiture, les poutrelles d’acier tordues, et des flammes qui s’épuisaient au sol, alors qu’il n’y avait rien pour les attiser.

Il était impossible que le feu puisse prendre en plein milieu de cet atelier.

Aucun produit inflammable n’était entreposé ici. Tous les ateliers avaient été réorganisés et les produits étaient tous sécurisés.

Qu’est ce que ça pouvait bien vouloir dire ?

Maintenant, il allait devoir affronter la presse, le conseil d’administration, le personnel, la police.

On allait dire tout et n’importe quoi, et il avait du mal à concevoir que le feu puisse avoir pris de l’intérieur.

On le pria de ressortir le temps que les sapeurs aient sécurisé la zone.

Il resta sur le parking, devant le gigantesque incendie qui redoublait de violence.

Puis il prit son téléphone, et appela le Président, le trésorier, la collaboratrice, son directeur financier.

Il attendait, sur le parking, que les uns et les autres arrivent. Il avait froid, les journalistes arrivaient sur place, la police vint également lui rendre une visite rapide, et l’un des officiers lui lança à la cantonade, « on se voit demain matin ».

Quelle histoire !

« - Monsieur, Monsieur, à votre avis qu’elle est l’origine de l’incendie ?

« Ce n’est pas la première fois, pensez vous que l’incendie puisse être d’origine criminelle ? »

« Vous êtes tout nouveau semble t’il ? Vous a-t-on déjà menacé ? »

« Pensez-vous que votre personnel soit en cause ? »

« Comment se fait il que vous n’ayez pas répondu à l’alarme qui vous a été adressée sur votre portable ? »

« Vous avez mis plus de vingt minutes à arriver, trouvez vous normal que vous mettiez autant de temps à réagir alors qu’un drame se déroule dans votre établissement ?»

La presse locale voulait déjà des réponses.

Elle assaillait le directeur de questions auxquelles il ne pouvait absolument pas répondre.

Le président s’approcha de son directeur général et se mit de suite en avant, masquant ainsi la frêle silhouette du directeur, pendant que les flashs des photographes de presse crépitaient pour immortaliser l’évènement.

Un agent de police vint dans l’attroupement, pris le directeur par le bras, et l’extirpa de cette foule curieuse en lui disant :

« Monsieur, allez vous coucher. Demain matin, tenez vous à la disposition de l’officier de police judiciaire. »

Il était plus de trois heures du matin, après avoir décidé avec son président, d’une réunion de crise à 9 heures, il retourna à sa voiture et rentra à Saint Jean de Braye pour essayer de dormir.

II

EN ROUTE VERS LE CAUCHEMAR

Il est à peine 10 heures ce matin du 25 mars 2013.

Le monospace roule à la vitesse régulée de 130 kms/heure, en direction d’Orléans, entre Montauban et Brive, sur cette portion d’autoroute empruntée maintes et maintes fois.

Autant dire que la moindre courbe est connue, le moindre tunnel franchi n’est que formalité sans étonnement pour le conducteur.

C’est un homme de petite taille aux cheveux mi longs châtains gris, avec un visage qui présente les marques d’une vie trépidante, et probablement pas toujours facile et douce.

Il est vêtu d’une chemise blanche agrémentée d’une cravate, recouverte d’une veste de costume gris anthracite ornée d’une épinglette or sur le revers gauche du col, qui représente la coupe du monde gagnée par l’équipe de France en 1998.

Il porte un pantalon en jean dernier cri, et des mocassins noirs fort bien cirés, bien entretenus, sont lacés à ses pieds. Ils ont bien vécus, cela se voit, mais il est à l’aise dedans, et les porte encore souvent.

Il faudra bien finir par s’arrêter, ne pas prendre de risque, et observer un temps de pause pour ne pas subir l’engourdissement et la somnolence.

Le conducteur le sait, il a tellement l’habitude de rouler.

La France, il l’a parcouru de long en large pendant des années.

Cela fait maintenant neuf mois qu’il est installé à MURET, au sud ouest de Toulouse, il est loin de ses racines, de sa famille, et de ses amis. Plus de cinq cents kilomètres les séparent.

L’âge avançant, la fatigue de la conduite l’oblige à s’arrêter beaucoup plus souvent que lorsqu’il était trentenaire. Mais il est encore parfaitement apte à enfiler plus de 800 kms dans la même journée pour se rendre à un rendez vous.

C’est certain, il fera une pause sur une aire d’autoroute, prendra un café dans un distributeur, puis reprendra son chemin comme si rien ne pouvait l’arrêter.

Il n’est pas stressé

Le devrait-il d’ailleurs ?

Il jette un regard alentour, de gauche à droite, sur les divers paysages qu’il traverse et qui l’émerveillent toujours autant.

« Elle est belle notre France pensait-il ! »

Il l’a traversée du Nord au Sud et d’Ouest en Est si souvent, qu’il connait ces plaines, ces vallées, ces vallons, et les sillons des rivières et des fleuves, les forêts, et les particularités de chacune des régions.

Que ce soit sous le soleil, sous la pluie, dans la douceur ou dans le froid, le gel, la neige ou le verglas, oui, il a l’habitude de ces routes où il faut maintenir toute son attention en permanence.

Il a conscience que la moindre erreur peut conduire à un désastre. L’accident grave, il y pense parfois, se disant au fond de lui qu’il avait 80% de chance d’y laisser sa peau, parce que contrairement à la plupart des automobilistes « du dimanche », lui, c’était l’obligation de son métier qui le faisait rouler, comme toute une frange bien spécifique d’utilisateurs de la route, cela faisait partie intégrante de ses obligations professionnelles.

Il payait sa liberté de mouvement par des risques permanents énormes qui ne dépendaient pas uniquement de lui même, conscient de l’importance de sa bonne conduite. Et comme tous ceux qui comme lui, roulaient chaque jour de l’année sur de longues distances, il payait chèrement chacun de ses rares excès pour quelques kilomètres heure de plus que la norme n’autorisait pas.

Il savait que sa vie ne tenait qu’à un fil.

S’il tenait une extrémité de ce fil, il ne savait jamais qui détenait l’autre extrémité.

Un type comme lui peut être ? Ou alors un novice muni d’un petit véhicule tout neuf, construit pour de petites distances régulières et ne nécessitant pas de système de contrôle de freinage très sophistiqué ? Ou même encore un régulier des petites distances au volant d’une grosse cylindrée dont la puissance se faisait sentir à la moindre petite accélération, qui ne saurait pas maitriser son engin devant le moindre obstacle ? Ou même encore un ignorant du danger qui ne respecte rien ni personne, un danger public en liberté ?

Ce risque, il le côtoyait chaque jour, à chaque instant, dès qu’il prenait en main les clés de son véhicule et qu’il enclenchait la première. C’était son lot, c’était sa vie, et il savait mieux que quiconque qu’il n’était après tout qu’un homme, et que l’erreur fatale, il était encore plus susceptible de la commettre que n’importe qui d’autre, parce qu’elle est humaine, mais hélas avec parfois de dramatiques conséquences.

Plus de deux millions de kilomètres parcourus depuis qu’il a obtenu son permis de conduire en 1979. C’est dire combien il pouvait prétendre être un « pro » de la route…

Oh bien sûr, s’il s’était agi du jugement dernier, le tracé de sa vie n’a pas été qu’une ligne droite, sans faux pas et sans erreurs, et l’on pourrait lui demander des comptes.

Il a appris à assumer et connait par cœur ses travers, ses erreurs, ses errances, et ne craignait guère qu’on les lui reproche…

Elles n’étaient après tout que des erreurs de choix, des erreurs de vie, des décisions prises à la hâte qui ont parfois précipitées une chute dont, à chaque fois, il s’était relevé.

La plupart aurait nommé cela de l’incompétence et n’aurait retenu que l’erreur commise.

Lui appelait cela l’expérience…

Qu’en dirions-nous à sa place ?

N’était ce pas l’échec qui devenait formateur, pour autant que l’on analyse ses causes ?

Cette fois ci, il a le cœur léger, pas la moindre ombre au tableau de sa vie, qui puisse embrumer son existence.

Il est serein, et ce n’est pas cette convocation qui va changer le cours des choses.

Elle lui semble normale, justifiée et obligatoire. Il avait d’ailleurs proposé lui-même cette rencontre le jour de son départ. Alors pourquoi s’y soustraire ?

La seule petite ombre était peut être dans la nature de ce courrier qu’il avait reçu. C’était une injonction qui lui avait été adressée par voie postale, et pas une invitation. Il n’en était aucunement choqué, juste un peu surpris par la forme.

Cela l’a plutôt rassuré que l’on donne suite à sa demande, même s’il s’était écoulé presque trois mois depuis son départ, et prendre cette route en ce lundi matin par un temps bien moyen, ne lui apparaît pas du tout désagréable.

Il a envisagé qu’après l’obligation qu’il va remplir, il poursuivra trois cents kilomètres plus hauts, jusqu’au Havre, où il passera quelques jours chez son meilleur ami. Enfin en vérité, son seul ami.

Ils iront ensemble, prendre l’air le long de la plage, en partageant de vieux souvenirs, et des anecdotes à se tordre de rire, quelques radio crochets improvisés avec les passants en balade, une bière et un babyfoot peut être au « weekend end », au bas de la « broche à rôtir » en bout de plage, annonçant la limite avec Sainte Adresse, cette fameuse côte à la pente si raide qu’elle est devenue un mythe à gravir tel le Mont Ventoux. Un repas sandwich sans nul doute, avalé à la hâte rue de Paris, un petit tour sur la place de l’Hôtel de ville, bref, un rituel mainte fois répété, en toute simplicité et dans la jovialité et la bonne humeur, comme à chaque fois.

Puis un petit détour par Paris, où il ira voir l’un de ses frères, et, sur le chemin du retour, il s’arrêtera alors dans l’Allier pour une visite chez ses enfants.

Beau programme somme toute, et ça va lui changer les idées…

Bref, pas une ombre au tableau de son voyage, il a tout programmé, et rien ne saurait contrecarrer son projet.

Le ton est d’ailleurs plutôt à la plaisanterie, et lorsqu’il s’arrête enfin pour appeler Manu au téléphone, alors que Manu lui demande à quelle heure il sera là, il répond simplement :

« Tu sais, dans ces cas très particuliers, on rentre comme innocent, et on finit coupable, d’autant que je n’ai pas grand-chose à dire de plus, car je ne sais rien de plus. Mais je pense arriver guère avant 20 heures, et sauf aléa, on dîne ensemble. Tu peux réserver une table si tu veux, mais si c’est le cas, envoies moi le nom du resto et l’adresse, je ne veux pas avoir à chercher dans tout le Havre ».

Manu lui rétorque le plus simplement du monde :

« Tu ne peux pas inventer, ça c’est certain. Je dois aller voir mon frère Jésus à 18 heures, c’est pourquoi je te demandais à quelle heure tu comptais arriver. Mais de toute façon, il n’y a pas de problème, on t’attend. Et pour le resto, ce sera chez moi, tu connais toujours l’adresse n’est ce pas ? Appelle simplement quand tu reprends la route, bonne route à toi et à ce soir. »

Ils étaient très loin l’un et l’autre, d’imaginer combien de simples remarques innocentes, pouvaient en un instant, se transformer en la réalité d’un cauchemar…

III

EN DEPIT DES REGLES

Il avait été nommé à la Direction Générale de cette association le premier Octobre 2012.

Le conseil d’administration qui l’avait recruté ne lui avait pas caché la difficulté de la tâche qu’il devrait accomplir, dès son premier entretien de recrutement.

Et effectivement, après une courte analyse se basant sur l’antériorité temporelle, et sur les derniers évènements qui la concernait, il allait prendre la Direction Générale d’une structure qui n’avait plus de direction depuis plusieurs mois.

Ajouter à cela que des mouvements sociaux dont l’objet lui échappait encore, avaient fini par créer des clans et fait naître chez certains salariés, des ambitions de pouvoir, basées sur des certitudes de leur propre capacité à s’autogérer, il fallait forcément s’attendre à des réactions négatives et des rapports de force qu’il faudrait non seulement gérer, mais également très vite inhiber et étouffer dans l’œuf.

Il ne doutait pas un seul instant de sa capacité à répondre aux exigences de la tâche. Pourvu qu’on lui en laisse le temps !

Dans ce milieu, il n’était pas rare de voir interrompre une méthode, avant qu’on ne puisse en mesurer les résultats.

Les conseils d’administration de ces structures oublient souvent qu’on ne redresse pas une situation difficile en six mois…

Ce ne sont pas les meilleurs patrons du monde, non, ils sont capables de se séparer d’un employé, d’un cadre, ou d’un dirigeant en quelques minutes, sans que le motif ne soit véritablement identifié. Le plus souvent, ils agissent en actionnaires indélicats, négligeant la moindre convenance ou le moindre règlement et bafouant les règles du savoir vivre, du savoir être, et du savoir paraître…

A se demander parfois, s’ils ne sont tout simplement pas hors du temps tellement leurs actions sont inopportunes.

Imbus de leurs fonctions bénévoles, ils s’octroient tous les pouvoirs, sans pour autant avoir forcément les compétences requises, et sans mesurer tous les effets de leurs décisions. Ils sont dans l’instant, rarement dans l’approche d’un futur possible, rarement efficaces dans l’ébauche d’un vrai projet, et plus rarement volontaristes dans leurs propres choix.

Ils restent sur les acquis, s’accrochent à cela, sans jamais envisager autre chose de plus élaboré, collant de plus près à la réalité du terrain.

Mais ce sont eux qui mènent la danse, et il faut faire avec eux et composer avec eux.

Peut être qu’ils s’abreuvent de cela, parce que leur propre vie professionnelle les a frustrés, et qu’ils gardent cela inconsciemment au fond de leur cœur ?

Ou peut être encore qu’ils n’étaient que des exécutants, soumis à des ordres supérieurs, et que se trouver dans une situation de « pouvoir » les aveugles ?

Il avait accepté le poste en toute connaissance de cause, alors il verrait bien si ce CA là, était différent de ceux pour lesquels il avait œuvré par le passé…

Il y aurait quelques sourires peut être, mais plus probablement des grincements de dents et des larmes, il l’avait annoncé, et personne ne pouvait prétendre ignorer ses propos.

Il faudrait s’accrocher, s’atteler à la tâche, et ne pas faillir, car le temps ne jouait pas en la faveur de cette association.

Oui, des sourires aux larmes, il faudrait travailler dans la douleur.

Il était prêt à relever ce défi, et prêt à reconstruire cette entité de A à Z s’il le fallait, pierre après pierre, sur des fondations plus solides en apportant son savoir, ses expériences, ses convictions, et en l’orientant vers un futur plus prometteur.

Il lui faudrait probablement proposer, définir, orienter, convaincre, et, à défaut de convaincre, imposer, s’imposer… Non seulement par les mots, mais également par les actes, en composant avec les réticences qui ne manqueraient pas de ce faire jour.

C’est toujours comme ça, il le savait, il était prêt.

Le personnel s’oppose toujours avant même de comprendre.

Le pré-bilan financier de juin qu’on lui avait présenté semblait sain, mais pas vraiment en rapport avec ce que l’on est en droit d’attendre lorsque l’on est chef d’entreprise dans l’âme comme lui. L’équilibre lui apparaissait très fragile, et il n’avait que trois mois pour le consolider.

Gagner ou perdre ? Telle était la question…

Il aimait les défis, il aimait les challenges, et à défaut d’avoir pour mission un challenge d’évolution, il le créerait.

Il se l’imposerait comme objet de réussite pour tous les acteurs intra de l’association, mais également pour tout ce secteur de l’insertion par l’activité économique.

Il ne s’en cachait pas et ne l’avait pas caché devant ses recruteurs.

Pour y arriver, il devrait tout bousculer, tout remettre à plat.

Il aurait à s’attacher les services des meilleurs collaborateurs, redéfinir les postes de chacun, imposer des implications directes et réelles, et espérer en une véritable collaboration de tous et de chacun pour la construction et la réussite des objectifs.

Il espérait vivement que le langage de la vérité et les règles qu’imposent le système économique dans lequel nous vivons tous, apporte à chacun une prise de conscience de sa responsabilité dans la structure, et qu’à partir de là, chacun sache se mettre en ordre de marche pour remettre sur les rails, ce train qui déraillait au même endroit chaque jour, loin de son objectif primaire :

« Celui de l’insertion des publics en difficultés, celui de l’entraide, de la solidarité, mais également celui de la motivation par le résultat financier, qu’il faudrait inéluctablement obtenir au risque de se voir disparaître. »

Ils étaient si nombreux à s’acharner à ne pas comprendre, qu’il faudrait forcément du temps, mais il en était parfaitement conscient.

La méthode fonctionnelle, il la connaissait par cœur, il savait qu’il saurait l’appliquer, et la faire respecter.

Il ne s’agissait plus de réparer des rails endommagés et usés, il s’agissait de transformer ce train en TGV, en modèle social et sociétal, en modèle d’entreprise solidaire, et de lui permettre une autonomie fonctionnelle et financière, loin des clichés et des à priori actuels.

Le président ne lui avait, lui semblait-il, rien caché. Il avait ciblé les meneurs de désordre, les faiseurs d’ennuis, les fauteurs de troubles. Ce n’était probablement qu’une infime partie de cette affaire, mais c’était déjà un début de constat, et donc mieux que rien.

Les ambitions démesurées de la plupart des acteurs n’étaient vraiment pas en rapport avec leur propre capacité d’action et de raisonnement.

Tout le monde a droit à l’erreur, et chacun ne peut être leader que de sa propre vie. Mais ici, il s’agit d’amener chacun vers la réussite, d’où qu’il vienne et quelque soit son parcours précédent.

Lorsque l’on doit mener un groupe d’individus, il faut d’abord le construire en une seule et même équipe, et se poser en leader incontesté, devenir surtout incontestable.

Alors « l’erreur », il vaut mieux l’éviter, la combattre, l’inhiber…

Etre toujours devant demande un engagement total, une volonté déterminée à affronter les obstacles qui ne manquent jamais dans un travail d’envergure, et par voie de conséquence, une condition physique et un moral à toute épreuve.

Le leader est prolifique, son cerveau est en éveil à tout moment, sa capacité à répondre aux situations est telle, qu’il sait emmagasiner autant d’informations que nécessaire, sa mémoire est sélective.

Tout ce qui gravite autour d’un sujet, mais qui n’apporte rien, le leader l’exclu de sa mémoire. Il ne conserve que l’essentiel et ne s’encombre pas de détails. Il va au plus court de l’essentiel, réduit les distances par des phrases et des mots chocs pour traduire sa pensée.

Il fait abstraction de lui, pour être en mesure de porter son attention pleine et entière aux autres, tous les autres, pour libérer leurs propres énergies et la mise en mouvement commune de toutes et tous.

Personne ne doit rester en arrière et ralentir le processus.

Ceux qui le côtoient journellement doivent apprendre à lire au travers lui, composer eux-mêmes leur propre musique sur le rythme affolant qu’il imprime, et accrocher l’étincelle qui luit dans ces yeux, lorsque l’idée directrice lui apparaît.

Il produit plus d’idées que le commun des mortels, et toutes ne sont pas un idéal. Aussi, il les travaille avant de les exprimer pour ne garder que les meilleures.

Il est rare de voir un leader prendre des notes. Il s’appuie sur des mots clés qui résonnent dans son esprit comme le bourdon du clocher d’une cathédrale

Il ne garde pas le négatif, mais l’exprime librement pour l’évacuer immédiatement, car il n’a ni place ni temps à consacrer à la rancune ou à la vengeance.

Son plus profond désir, c’est d’atteindre l’objectif qu’il s’est fixé pour en engendrer un autre, avancer pas à pas, mettre toujours un pied devant l’autre, quelques soient les difficultés rencontrées, passer un à un tous les obstacles, déplacer s’il le faut, les montagnes qui le ralentissent dans sa marche continue, donner du rythme à ses actions, et voir ses collaborateurs grandir autour de lui et avec lui, d’un même pas.

Il est aussi protecteur, et là où on l’installe, il vit.

Il n’a pas besoin d’un environnement pompeux pour produire. Son esprit travaille instantanément, quelque soit l’endroit, dès qu’il est appelé à agir quelque part.

Ses réflexions démarrent dès qu’il a connaissance que l’on va lui confier une mission.

La mise en ébullition de son cerveau est immédiate, et dès lors, il est dans sa bulle, préparant soigneusement sa politique d’intervention qu’il adaptera à la situation réelle rencontrée.

Diriger une entité, c’est gérer un microcosme, un environnement qui a ses propres codes, sa propre vie interne, et une vitesse commune entres tous, bien différemment de la vie propre à chacun, où le rythme est seulement celui que l’on s’impose.

C’est prendre part à un collectif qui doit s’unir et s’entendre pour générer un résultat.

C’est aussi prendre un risque immense pour soi même, au profit de ceux que l’on supervise, c’est orienter l’ensemble des tâches et des acteurs vers un objectif commun.

C’est fixer pour tous et chacun, un objectif atteignable dans une seule mission, en permettant l’évolution de chaque acteur, quelque soit leur différence.

C’est prévoir, imaginer, échafauder un avenir toujours incertain, car gérer c’est prévoir le lendemain, l’œil fixé sur les indicateurs, avec le stress continu de les voir bouger chaque jour, et le devoir d’agir dès qu’apparaît la moindre dérive, la moindre anomalie pour redresser la barre.

Ce sont également les éternels impondérables, les aléas qui viennent contrecarrer les résultats, les pierres et les boulets qu’il faut malgré tout traîner avec soi, tout en continuant de cheminer sur la route que l’on a tracée.

Sans eux, il ne peut y avoir de réussite complète, ils sont le mal nécessaire qui fait évoluer le monde.

Le leader, Il est la fleur accrochée au plus haut de la tige du roseau. Lorsqu’un léger souffle de vent créé une vibration à son pied, le haut de la tige vacille, courbe jusqu’à s’affaisser, tête en bas, et ressent comme une tempête qui voudrait le déraciner. Elle tient bon, se redresse encore plus droit, laisse défiler les orages, se relève pour s’élever encore plus haut vers le ciel.

L’entreprise est un théâtre, une arène, où chacun va jouer un rôle qui conditionne l’ensemble de la pièce de vie qui s’y déroule.

Chacun soit savoir endosser son costume de scène chaque matin et devenir le maillon d’importance connaissant parfaitement le rôle qui le relie à l’autre, et à défaut de le connaître, il doit l’apprendre…

Chacun peut apprendre de l’autre. Il ne s’agit là que de volonté et de temps. Et lorsque le temps est compté, il faut redoubler d’énergie et sans cesse démontrer par l’acte plus que par le discours.

Tout cela, il le savait par avance, et il ne serait sans doute pas facile de tout remettre dans la bonne direction, sur la bonne voie, après avoir changé les rails usés et tordus qui faisaient dériver sans cesse la machine.

« Quand la motrice déraille, les wagons suivent toujours »

Il faudrait affronter la médisance, la réticence, le refus, l’ignorance, l’incompréhension, la démotivation, l’échec, le jugement, l’incapacité, les absences…

Ses outils :

le droit du travail, la sécurité, l’infrastructure et ses avatars, les prix, les délais, l’organisation du travail, le bien être des salariés, la mise en place d’un organigramme fonctionnel, et prendre à chaque fois des dispositions, des décisions, trancher dans le vif, sans faillir, sans le moindre remord, sans paternalisme, et sans complaisance, sans rancune, tout en restant soi même : celui que l’on est, celui qui respire le même oxygène pollué, celui qui vit au même rythme que tous.

En acceptant ce poste, il n’ignorait rien, si ce n’est ce rapport de force dont il lui faudrait sortir vainqueur reconnu par tous…

A aucun moment il n’aurait souhaité qu’un autre puisse lui ravir cette fonction faite en tous points pour lui.

Il avait redressé des situations plus dramatiques encore, sans gloriole, sans état d’âme, et traverser des déserts bien plus secs, dans des conditions bien plus difficiles.

Sa force était là, et uniquement construite sur son vécu.

Pas de hautes études pour dire ou évaluer avec des mots académiques que personne ne comprendrait, ce que la réalité du terrain lui avait appris.

Non, rien que le langage commun, utilisé par tous, compris par tous. Inutile d’enrober les choses, pour faire avaler des pilules amères et des bonbons acides.

Prononcer juste les bons mots, au bon moment et suggérer la réflexion commune.

Tout du moins, il le croyait…

Oui, il en avait fait déjà pas mal des audits organisationnels…

Il n’a jamais été facile de dire à un chef d’entreprise qu’il est le seul responsable de la situation délicate de son entreprise, de lui remettre un rapport lui précisant la route à suivre et les moyens à mettre en œuvre pour en sortir, et de le voir parfois refuser la méthode qui lui était proposée, qui lui éviterait de s’enfoncer dans les méandres du dépôt de bilan.

Devant le refus obstiné, l’on ne peut rien faire. Celui qui s’obstine dans l’erreur n’est pas digne de diriger s’il ne sait pas corriger son œuvre.

Il ne s’était jamais embarrassé de mots choisis pour dire la vérité de son constat, et rarement il s’était trompé sur le devenir quand les consignes et conseils prescrits n’étaient pas appliqués.

Il savait gagner bien sûr, mais il savait aussi perdre sans rancune et sans rancœur, car l’échec fait parti de la réussite, on apprend avec lui, on évolue, on grandit avec lui.

Il n’y avait aucune raison pour que rien ne puisse avancer dans cette association, et sous son autorité. Il faudrait simplement lui laisser du temps, juste du temps…

Pragmatique, collaboratif, et à défaut directif, il savait ordonner et expliquer ce qu’il attendait, et jusqu’alors, tous les collaborateurs qu’il avait dirigés par le passé, avaient fini tôt ou tard par comprendre son langage, et fait selon sa méthode organisationnelle et structurelle.

Oh bien sûr, il y a toujours eu des réticences et des récalcitrants en début d’action, mais en quelques mois, le personnel avait toujours compris sa méthode fonctionnelle, et su s’adapter au personnage qui fonçait à cent à l’heure du matin jusqu’au soir, sans jamais sembler avoir besoin de reprendre son souffle.

Il ne leur demandait pas de cautionner la forme, mais plus simplement de ne garder que le fond, et tant pis pour la manière dont il annonçait les choses…

Il leur disait :

- Il y a l’esprit et la lettre. L’esprit vous donne la direction à suivre, la lettre vous donne les moyens de la suivre. Vous devez composer, car le véritable chemin se situe entre les deux. Il n’est pas toujours bon de suivre la lettre, car elle ne tient pas compte de la situation réelle, elle n’est qu’un garde fou qu’il faut adapter à l’esprit, ce qui signifie plus simplement que votre réflexion doit intervenir et vous guider.

Certains salariés par le passé disaient de lui qu’il était comme la lumière, « son esprit se lève à l’aube et ne se couche qu’à la tombée de la nuit ».

C’est ce qu’ils voyaient eux. Mais à la vérité, la machine à réfléchir ne s’arrête jamais, et les nuits les plus douces sont en vérité les plus agitées pour celui qui dirige…

Sans doute ne ressentaient-ils pas cela, parce qu’ils ne vivaient pas dans le même espace temps que lui.

Eux se limitent à leur temps de travail dans l’entreprise. Après, ça devient du temps personnel et du domaine privé, réservé, intouchable…

Lui, son temps se prolongeait bien au-delà, et ce, pendant toute la durée de sa mission. Son esprit rivé sur elle, cette durée non-quantifiable n’avait ni interruption, ni jour de repos, ni jour férié pas plus que de vacance.

L’éveil permanent était son lot, mais il était le seul à le savoir et surtout à le subir.

Parfois, on le surprenait à dire simplement et quelque soit le moment :

- Stop, ça ne rentre plus, j’arrête, nous reprendrons cela demain

Il se parlait à lui-même, quelque soit l’endroit, qu’il soit seul ou non.

Certains s’interrogeaient alors et l’interpelaient. Il répliquait juste à bas mots en s’éloignant pour retrouver sa solitude :

- Laissez tomber, ce n’est rien, je vous laisse.

Il partait, quittait la place, sortait du champ de vision, et revenait alors quelques heures plus tard, sans que personne ne sache où il était allé.

Il est probable que certains furent tentés de le suivre, mais il était impossible de prévoir à quel instant se produirait cela.

Il avait alors atteint sa limite, et ses neurones arrêtaient immédiatement de produire énergie et pensées.

Il ressentait un blocage immédiat, une alerte, qui lui disait de stopper nette sa production.

Sans doute ainsi pendant quelques heures, gérait-il une remise en ordre de tout ce qu’il avait mémorisé, afin de le prioriser dans un ordre précis qu’il pouvait seul déterminer.

Son retour aussi impromptu était vécu comme un soulagement pour certains, mais aussi une certaine crainte pour d’autres.

Car il savait ce qui fonctionnait et ce qui était voué à l’échec, et reprenait directement le cours de ses pensées, à l’endroit même où il les avait laissées en apportant la solution à adopter sans délai.

Ce qui pouvait parfois être déplaisant pour ceux qui croyaient avoir eu raison de lui, car il n’y avait plus de discussion à attendre, il avait tranché, et sa décision directive devenait applicable sans aucun amendement.

Il n’hésitait pas à jeter à la cantonade :

- Merci à tous ceux qui ne partagent pas mon avis, je viens de me rendre compte que plus vous opposez vos arguments aux miens, plus vous me permettez de réfléchir vite et mieux. Alors continuez, s’il vous plait, car là réside la solution…

Il savait également qu’il aurait à utiliser la vieille méthode de « la carotte et du bâton ».

Cela le rebutait, il n’aimait absolument pas arriver aux extrêmes, mais les événements conduisent inéluctablement parfois jusqu’à eux.