E viva la chiavatura - Le Vidame De Loches - E-Book

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Le Vidame De Loches

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Beschreibung

De la vénération du sexe de la femme à l’éloge du plaisir brut, ces seize nouvelles font un hymne à l’érotisme mettant en avant une conception cérébrale de la sexualité. Citons, entre autres, ce dîner silencieux où seuls les regards alimentent le désir ; cette assiette mal lavée qui, curieusement, exacerbe le désir de la femme amoureuse ; les aventures de Myriam et de ses deux sex friends ; ces retrouvailles à New York au sommet d’un gratte-ciel transparent ; les délires voyeuristes d’un jeune ingénieur en mission ; ou encore cette fermeture Éclair transformée en accessoire masochiste. Et, pour finir, cet épisode de body writing où le souvenir d’une autre Laure évoque la fameuse muse du peintre Eugène Delacroix qui, avec sa chère chiavatura, aura été le véritable inspirateur de cet ouvrage.
Ici, chaque fantasme est perçu comme une bête sauvage surprise à l'orée d'un bois qu'en photographe animalier il s'agit d'approcher à pas feutrés – par des mots, des agencements soigneusement choisis – de manière à capter la magie de son apparition et son potentiel d’excitation.


Ce recueil érotique est formé de seize nouvelles de haute tenue littéraire, à l’intérieur desquelles les enjeux sexuels agissent comme un réactif chimique capable de révéler certains mystères de l’âme humaine.

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LE VIDAME DE LOCHES

E VIVA LA CHIAVATURA

(études érotico-littéraires pour piano et violon)

NOUVELLES ÉROTIQUES

ISBN : 979-10-388-03350-3

Collection ALCÔVE

ISSN : 2678-2553

Dépôt légal : Mai 2022

© couverture Ex Æquo

© 2022 Tous droits de reproduction, d’adaptation et detraduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.

Toute modification interdite

Éditions Ex Æquo

6 rue des Sybilles

Eugène Delacroix ne peignait jamais mieux ses modèles qu’après avoir couché avec elles. Ces préludes « artistiques », il les consigne à sa façon dans son journal en utilisant systématiquement le mot italien Chiavatura qui désigne l’action de clouer, de donner des tours de clé après l’avoir soigneusement fixée, emboîtée dans la serrure... « 

Préface

Selon le peintre Eugène Delacroix qui l’écrivit dans son journal, la chiavatura est sa propre métaphore du rapport charnel. Il ne s’en est pas privé avec Laure, l’un de ses modèles.

Partant de cette traduction bien personnelle, le Vidame de Loches a pris la plume et s’est mis à coucher sur le papier des nouvelles, toutes différentes, mais au thème central : le désir.

Il me l’a présenté ainsi : « (...)... passer le sexe — l’idée du sexe — à la meuleuse cérébrale. Qui fait jaillir de la lame du sexe — à mesure qu’elle l’acère, qu’elle l’aiguise — des gerbes d’étincelles. »

Et des étincelles, vous allez en avoir au fil des pages qui suivent.

Elles sont tour à tour concupiscentes comme L’Éloge du porno, délirantes telle La Fermeture Éclair (quand un simple objet de mercerie est considéré comme un fabuleux outil S.M.) ; ou bien une magnifique déclaration d’amour avec Soumission véritable, ou encore une louange à la toison qui peut conduire à l’enfer du Hameau de Réollon ou enfin la nostalgie du sperme disparu qui clôt ce recueil avec Master Piece, e viva la chiavatura.

Le Vidame de Loches nous offre ici un beau mélange de sensualité, de luxure, de mots enrobés de stupre, lascifs, libidineux et jouissifs. Il souffle le chaud et le très chaud dans un savant assemblage de culture et d’érotisme qui titillera votre corps et votre esprit. Ainsi soit-il.

Bonne lecture à vous !

Jeanne Malysa

Je me souviens, à la manière (un peu dévoyée) de Georges Perec

Je me souviens au hasard ou presque — grosso modo entre 1980 et 1991.

Je me souviens, j’avais entre neuf et dix-neuf ans.

Je me souviens que, dans Le battant — il passait le dimanche soir sur TF1 — Anne Parillaud prend la peine d’éteindre la lumière de la salle de bains avant de venir, à poil, rejoindre Alain Delon au lit. Je me souviens des films qu’il a lui-même réalisés au début des années 80. Pour la peau d’un flic, Le battant... Pas très originaux, pas très intéressants, mais à l’époque on regardait même L’As des As. Manufacturés à l’ancienne comme de parfaites recettes de cuisine dans laquelle il n’oubliait jamais l’ingrédient de la jolie fille à poil, et c’était toujours Anne Parillaud... Je me souviens parfaitement de la chatte d’Anne Parillaud qui traverse l’appartement, je pourrais vous en faire un dessin... À l’époque, on voyait pas beaucoup de touffes à l’écran...

Je me souviens du car de ramassage scolaire innervé par deux faisceaux de regards bien distincts. Les filles visent les garçons et les garçons visent les filles. Regards qui jaugent, surveillent et guettent : il s’agit d’essayer d’en déduire des choses. Entremetteurs et commères de tous bords. Dans le fond du bus, la belle Cécile G., le walkman sur les oreilles, toujours assise du côté de la vitre écoute une cassette de Tanita Tikaram.

Je me souviens avoir subrepticement découvert, dans les vestiaires de la piscine — la natation figurait à l’épreuve d’EPS du bac — que Dominique et Alexandre Blain avaient une bite beaucoup plus longue que la mienne. Ce fut un jour maussade : il faudrait bien faire avec la mienne.

Je me souviens qu’en revenant du cinéma où la prof de français — c’était en Première — nous avait emmenés voir Le dernier empereur, Céline S. m’a dit qu’elle portait un parfum au chèvrefeuille : elle avait passé la main dans mes cheveux. Un jour — c’était l’année d’après, en cours de philo —, elle m’avait aussi demandé de soulever la manche de son sweat Poivre Blanc pour lui prendre le pouls : elle voulait, paraît-il, que je vérifie qu’elle était bien vivante. Je me souviens de nos innocents effleurements terriblement érotiques vus d’aujourd’hui.

Je me souviens que c’est la Joconde qui plane au-dessus de la grande scène de baise qui ouvre 37° 2 le matin. La reproduction est accrochée au mur, derrière le lit sur lequel Béatrice Dalle jouit en missionnaire. Je craignais que la bande de la cassette VHS, en cassant, ne m’abandonne en rase campagne. Et c’est vrai qu’au fil des visionnages, elle s’effilochait, pourtant je gardais confiance car la cassette était de marque Sony et qu’à l’époque Sony avait une réputation de qualité. C’était la première fois que je voyais une femme jouir. Jean-Hugues Anglade se raidissait, elle lui mordait l’épaule tandis qu’elle se dressait pour mieux accueillir sa queue et aller vers lui. Il y avait donc une deuxième énergie, je devinais que c’était cela la magie ; jusqu’à 37° 2 le matin, je pensais que la femme, dans la baise, demeurait un pur réceptacle.

Je me souviens qu’à l’époque, à force de me l’imaginer, je la voyais, cette fameuse Maureen qui a plongé nue dans un lac du Connemara. La chanson a dû sortir en 1982. Une rousse aux yeux verts comme l’eau du lac. Une rousse avec des grosses mamelles, debout sur un rocher. Les poils de sa chatte sont encore mouillés car elle s’est déjà baignée. Au milieu de la chanson de Sardou, brusque poussée d’adrénaline érotique, d’autant plus frappante qu’elle reste sans lendemain. Sean Kelly le catholique se tient au bord du lac, à poil lui aussi probablement et ils vont se marier dans l’église de Limerick, ce qui signifie implicitement qu’ils vont baiser... Quel chanceux, ce Sean ! Il porte le prénom du personnage interprété par John Wayne dans L’Homme Tranquille. À l’époque, j’ignorais que la chanson de Sardou raconte la même histoire que le film de John Ford. Cependant, par une étrange prescience, j’avais attribué à ma Maureen la bonne couleur pour les yeux et les cheveux. Sauf que Maureen O’Hara n’avait pas de si gros seins.

Je me souviens qu’au village on disait que la cousine Alice n’était pas une femme respectable. Une paria à laquelle tous s’adressaient avec la plus extrême politesse, mais rien au-delà : Alice n’était jamais conviée nulle part et on ne la saluait que si on ne parvenait pas à changer de trottoir à temps. Moi, je ne comprenais pas bien ce qui se tramait, cependant un jour de marché, sur la place, j’avais entendu préciser que c’était beaucoup plus grave que si elle avait simplement couché avec son fiancé avant le mariage. À son égard, l’expression consacrée était : « Elle va avec des hommes ». Une expression bizarre : je la voyais marcher pour aller quelque part, avec des hommes, pas très loin... ce qui finalement ne me semblait pas démentiel comme aventure transgressive. En tout cas, si nous qui étions petits ne comprenions pas bien pourquoi son mari était méprisable, une chose est sûre, c’est que nous savions qu’il fallait le mépriser !

Je me souviens de notre stupéfaction lorsque Grégoire M. est sorti au petit matin de la chambre de Sandrine G. Nous étions en Première et la prof d’anglais nous avait emmenés une semaine à Londres. Et Grégoire n’avait même pas éprouvé le besoin de se vanter d’avoir glissé une boîte de capotes dans sa valise pour l’Angleterre.

Je me souviens que c’est Marc Toesca qui animait le Top 50. Et que la révélation du tout nouveau classement de la semaine était diffusée en clair sur Canal Plus le samedi en début de soirée. L’heure à laquelle la chanteuse Sabrina attendait son cocktail en se trémoussant au bord de la piscine. Je me souviens que son haut de maillot de bain était blanc, sans bretelles et beaucoup trop petit pour contenir ses énormes nichons. Dont on devinait les tétons, à la lisière du tissu. Toutes les deux secondes, il fallait qu’elle relève son fameux maillot de bain. Je me souviens que lorsque les lois de la gravitation universelle lui accordaient un bref répit, elle nous adressait un clin d’œil à peine discret tout en buvant à la paille. Ce qui provoquait inévitablement une sensationnelle ondulation de ses merveilleux obus. Et ce n’est pas tout, je me souviens que, levant les bras au ciel, elle passait souvent ses deux mains dans sa chevelure noire. Ce qui me permettait de constater qu’à ma grande surprise, elle n’avait pas de poils sous les bras. Et je sais qu’à l’époque, il ne me serait pas venu à l’idée de me dire qu’elle était peut-être intégralement épilée. De toute façon, je trouvais Sabrina beaucoup trop vulgaire, trop bien en chair. Dans le même genre, je lui préférais définitivement la fille de la pub Telefunken qui sortait de l’eau en musique : Eden is a magic world de Pop Concerto Orchestra... J’avais enregistré cette chanson sur mon radiocassette (mon cadeau de communion), en prise directe avec la télé, si bien que sur la bande on entend aussi nos bruits de fourchette d’alors, devenus avec le temps un milliard de fois plus précieux que toutes les chansons du monde. Dans cette pub, la fille sortait de l’eau toute mouillée et ses seins, en imprégnant son tee-shirt, dessinaient leur galbe parfait ; Sabrina n’avait plus qu’à aller se rhabiller.

Je me souviens que la carrosserie de la BX grise de mon oncle Jeannot L. était en plastique. Né en 1925, il n’avait jamais fait la guerre mais, profitant de ma naïveté, il essayait quand même de me faire croire qu’il avait tué des Allemands. En les canardant à la mitraillette. Tous les mercredis soir, il regardait Sexy Folies et il le disait sans honte.

Je me souviens de mes affreux slips d’enfant. Des Petit Bateau à l’élastique pendouillant. Avec une poche à l’avant pour pouvoir pisser sans rien enlever. Ces slips kangourous étaient tous blancs. J’éjaculais dedans après m’être longtemps retenu — la honte m’interdisait de me masturber trop souvent. Des flots de sperme qui en séchant durcissaient le tissu, par plaques. Je portais encore ce genre de sous-vêtements la première fois que j’ai baisé avec Agnès. C’était sur la moquette de son appartement de la rue des Moines, on avait très envie, un voyage merveilleux... Au bout duquel elle a quand même tenu à préciser : « Heureusement que tu t’es vite déshabillé, parce que tes slips à la Papy Mougeot, c’est quand même des sacrés “ tue l’amour ” ».

Je me souviens que c’est Sergio Tacchini qui sponsorisait la championne de tennis Gabriela Sabatini. Et qu’on n’a jamais trop su si elle était lesbienne ou pas. Mais ce que je sais c’est que pendant le mois de juin j’aimais bien regarder son coup droit parce qu’elle le liftait tellement que ce mouvement, faisant soulever sa jupe, laissait apercevoir sa petite culotte blanche. J’étais triste qu’en demi-finale de Roland-Garros 1991, elle se fasse écrabouiller par Monica Seles l’anti-sexy : j’aurais bien voulu continuer à regarder un peu par transparence.

Je me souviens que mon copain Arnaud avait passé le mois d’août 1984 en Arles. Il disait en Arles, non pas à Arles — et c’est lui qui avait raison. Cet été-là, il avait caché un numéro de Newlook dans l’épaisseur de la charmille qui jouxtait la maison de son grand-père. C’était longtemps avant Xhamster et Pornhub : j’avais tendance à tourner la tête parce que je pensais encore que c’était mal de feuilleter des bouquins de cul. Je me souviens d’une fille — une blonde à petits seins — dont le minuscule string reproduisait le drapeau des États-Unis.

Je me souviens qu’à la récréation, en cinquième — il faisait beau, ce devait être un jour de printemps — Laeticia P. pleurait toutes les larmes de son corps parce qu’elle venait d’égarer une boucle d’oreille en or ; cadeau récent de ses parents. La cour était si vaste, si poussiéreuse, couverte plus ou moins de gravillons, autant chercher une aiguille dans une botte de  foin ! Je tourne nonchalamment la tête en direction d’un platane et je la vois — une chance sur un million — la fameuse boucle d’oreille ! Laeticia n’a pas osé venir me remercier, je me souviens qu’elle a envoyé sa meilleure copine : elle s’appelait Caroline G.  Et habitait au Pinet.

Je me souviens d’Inès P. Dans ma tête, je me répétais — même si cela n’avait aucun sens — que je vénérais son chignon de velours. Elle était en A2. Je la retrouvais trois heures par semaine, pour les cours de latin. J’avais l’impression que les regards qu’elle me destinait tombaient du haut de l’Everest. Elle n’avait pourtant que deux mois de plus que moi. Pour la plupart d’entre nous, le latin n’était qu’une option comptant presque rien au bac, aussi y avait-il beaucoup de bavardages dans la classe. Pour les faire cesser, la prof avait réorganisé les tables et séparé les élèves concernés. C’est comme ça que je m’étais retrouvé à côté d’Inés. Nous n’avions rien en commun. Elle aimait la provoc et balançait, sur la vie, beaucoup d’inepties philosophico-artistiques essentiellement à base de considérations fumeuses sur la vanité de toute chose. Mais elle présentait l’avantage de se maquiller et de sortir avec un type qui venait la chercher en voiture à la sortie du lycée. Un jour elle a dit : « En fait, je t’aime bien, j’aime bien ton côté complètement coincé... J’ai envie de te faire plaisir : est-ce que tu veux voir mon cul ? » Sa question m’a pétrifié bien plus efficacement que la lave de Pompéi. On s’est retrouvés dans les WC du premier étage, au bout du couloir rouge. « Tu peux même toucher un petit peu si tu veux ! » Aujourd’hui encore, je bénis son nom.

Je me souviens des discussions d’adultes. Qui, j’avais l’impression, veillaient tellement soigneusement à ne jamais aborder les vrais sujets. Sauf que parfois, allez savoir pourquoi, ça dérapait. Un soir où il avait peut-être trop bu, Gilles B. (un collègue de mon père) venu dîner avec sa femme, a eu, au moment de partir, cette phrase que je n’ai jamais oubliée : « C’est bien gentil tout ça, il se fait tard et nous on n’est pas d’ici ! C’est samedi soir, faut qu’on aille tirer notre petit coup ! » Voilà, la chose était dite, tout le monde s’en doutait mais maintenant il était impossible de se voiler la face : ces deux-là étaient mariés et ils baisaient régulièrement.

Je me souviens de mon double décimètre Staedtler — il venait du Prisunic de l’avenue Charles de Gaulle. On me l’avait acheté en sixième, aussi les chiffres étaient presque complètement effacés au moment où je m’en servais pour mesurer la longueur de ma queue au repos et en érection. Ou pour évaluer en première approximation la probable profondeur de la chatte de Céline S. Au fond de laquelle je comptais bien un jour ou l’autre m’introduire. Prisunic, c’était « Style. Qualité. Prix. » À cette époque, mes scènes de sexe avaient deux particularités : elles étaient toutes mimées et ne faisaient intervenir qu’un seul protagoniste. Je n’ai jamais couché avec Céline S et mes rêves le regrettent encore aujourd’hui.

Je me souviens qu’à l’époque je bandais des heures. D’interminables érections. Que j’essayais tant bien que mal de cacher. Trois ou quatre fois dans la journée. Pour un rien. Une idée, une image. Je me souviens que je vivais avec une terrible envie de baiser au fond du ventre, comme quelqu’un qui n’a pas mangé depuis des jours.

Je me souviens de Marie-Lise L. Son élégance impeccablement bourgeoise. Et ses longs cheveux blonds qui descendaient jusqu’à ses fesses. Dans la cour, dès qu’elle bougeait, ils les lui caressaient délicieusement. Un cul à se damner. C’était en math spé : les 5/2{1} l’appelaient « l’autoroute » et chaque fois qu’elle passait au tableau, ils rivalisaient de vrombissements dignes d’un Grand Prix de Formule 1. Je ne comprenais pas bien la raison de ces manifestations jusqu’à ce que Jean-Luc G. m’explique : « On l’appelle l’autoroute parce que tout le monde lui est passé dessus ». Je n’ai jamais rien vu ni remarqué, simplement je me souviens qu’au deuxième grand oral de maths, Jean-Luc G. a hérité d’un exercice super dur qu’on avait déjà fait en classe : il a intégré Polytechnique dans les premiers et moi, aujourd’hui, je rêve encore parfois de cette Marie-Lise L. Elle s’avance vers moi dans un long chandail de laine blanche qui lui recouvre la moitié des fesses, j’ai passé le péage, c’est mon tour et je sais que je vais l’enculer dans les grandes largeurs.

Je me souviens exactement du jour où j’ai entendu pour la première fois le Enjoy the silence de Depeche Mode. En juillet 1990, je campais avec des copains sur la Côte d’Azur, près de Saint-Aygulf. Elsa venait de finir sa première année de médecine, c’était la copine d’une copine. Je ne la connaissais pas, pourtant au bout de deux jours c’est à moi qu’elle tendait le tube de crème pour lui en mettre dans le dos : il s’était formé comme une étrange évidence. Ce soir-là, on devait être dix ou quinze, on rentrait de je ne sais où sous un ciel étoilé, il y avait des tentes et des caravanes partout autour, et moi — premier geste décisif — je venais de lui prendre la main juste au moment où c’est précisément cette musique qui est sortie de nulle part.

« Oh my little girl

All I ever wanted

All I ever needed

Is here in my arms

Words are very unnecessary »

Un miracle qui nous semblait spécialement destiné. Elle avait déjà combiné un échange de tentes : ce soir-là, avant de remonter le cours de ses cuisses, je lui ai délicieusement sucé les doigts de pied, un à un. Mon premier grand cunnilingus. Je la sentais s’élargir, dégoulinant sous ma langue. Un océan pour ma queue à venir.

Je me souviens des messes basses des filles. Et de Laurence s’approchant de moi pour me conseiller de surveiller « ma Céline ». À l’en croire, tout le monde, sauf moi, avait remarqué qu’elle tournait de plus en plus près autour du beau Stéphane C., élève dans l’autre Première S. « Ça s’est fait dans le car, un soir après les cours ». Moi qui regrettais tout à coup d’habiter si près du lycée, je me suis mis à froncer gravement les sourcils aussi préoccupé qu’un mari découvrant qu’après vingt ans d’exclusivité sa femme lui avait peut-être fait une infidélité. À l’époque, étions-nous seulement allés plus loin qu’un bisou sur la joue ?

Je me souviens que le miroir de la salle de bains était toujours bancal. On avait beau le remettre droit, inévitablement, comme mu par une fatale attraction, il reprenait sa position de travers. Cela m’exaspérait d’autant plus que je restais longtemps devant lui à regarder pousser les poils de mon torse. Je pouvais malheureusement les compter. Et aujourd’hui encore je me souviens avec tristesse des nombres affreusement petits auxquels me conduisaient mes dénombrements de l’époque.

Je me souviens de ma marraine qui, un beau matin — c’était l’été 1987 ou 1988, à vue de nez — me déclare à brûle-pourpoint que j’ai une belle et grosse pomme d’Adam. Et que, chez un homme, elle trouve ce détail éminemment viril. Ô ma marraine, de ces mots, jamais je ne te remercierai assez ! Ils m’ont si souvent servi dans les commencements ! Quand il fallait se jeter à l’eau, se sortir les doigts du cul et foncer au galop. En faisant mine évidemment d’être parfaitement sûr de soi. Conquérant, ferme, raide et pénétrant.

Je me souviens des mots gravés sur les tables du collège. Au compas. Zob, queue, cul, chatte, moule, enculé... Les mots de tous les murs du monde entier, mais des mots à la signification encore mal maîtrisée... Et toujours et partout des bites dessinées comme un signe de ralliement : deux ronds partagés par une ligne droite.

Je me souviens que pour contester sa note — elle contestait systématiquement, je commençais à la connaître : elle a été en Seconde 3 et en Première S2 avec moi — Sandrine H s’accoudait au bureau des profs — elle aimait défier l’autorité — ce qui mettait sous nos yeux son joli petit cul. Elle ne portait que des jeans et souvent on voyait son soutien-gorge sous ses tee-shirts suffisamment transparents ; elle voulait toujours grappiller un ou deux points, ou même seulement un demi, et, même si la sonnerie avait déjà retenti, je n’étais pas le seul à rester en classe espérant que la négociation se prolonge au-delà de toute proportion afin que, sur ce promontoire, elle continue le plus longtemps possible à nous exhiber son cul. Et dire qu’il m’aurait suffi de lever le bras pour lui mettre la main aux fesses quand, sentant venir le retour des copies corrigées, j’avais par chance réussi à m’installer au premier rang du bon côté de l’estrade ! Comment pourrais-je jamais oublier la jeune insolence de ce superbe cul, triomphant sur son présentoir ?

Je me souviens que nous aussi on parlait fidélité et serments éternels. Romantisme, poèmes, littérature (quand on avait un peu lu) et peut-être même amour courtois puisque je crois que la littérature du Moyen-Âge et les trucs de chevalerie figuraient au programme de la classe de troisième... Mais Philippe D. — il avait une tête de plus que nous, il avait redoublé deux fois, il fumait et se vantait d’être déjà monté avec une pute — nous expliquait que c’était des conneries tout ça, que lui ce qu’il voulait, c’était simplement défoncer la chatte de Sandrine Guglielmi, la fille la mieux roulée du bahut, la faire hurler : « Et je te jure qu’en plus à la fin, elle saura plus où elle habite, cette bonne petite salope ! » ». Mais comme Philippe D., qui collectionnait avec application les pires notes de la classe, était loin d’être con, il tenait à ajouter : « Maintenant, vos trucs à l’eau de rose, je vous cache pas que ça peut être parfois utile : c’est comme la vaseline pour la sodomie... Les filles, elles en ont besoin ». Je me souviens que je l’écoutais bouche bée : combien de mouches j’ai dû avaler en levant les yeux vers lui ?

Je me souviens de Madonna, jeune italienne pulpeuse du Michigan qui, forcément, intervient quelque part, à la source des premiers émois sexuels de ceux qui, comme moi sont nés au début des années 70. Un shooting à Brooklyn. Ses sublimes seins de vingt ans : elle est nue, allongée sur le côté ; pour cacher sa chatte, elle rapproche les jambes autour de sa belle touffe luxuriante.

Je me souviens du cousin Antoine. Un petit bonhomme né en 1914. Il vivait dans la ferme de son frère aîné. Tout le monde l’appelait le « cousin Antoine », mais en fait c’était plutôt un petit neveu de mon grand-père. On le voyait pas souvent, une fois tous les deux-trois ans, quand on passait par Saint-Héand dans les années 80. Il n’était pas marié, il n’avait pas de famille. Toutes les tâches ingrates, c’était pour sa pomme. Personne ne le disait, mais tout le monde, dans cette branche de la famille, le pensait si fort : son frère était déjà bien bon de le garder avec lui comme larbin, vu que c’était notoirement un bon à rien, infoutu de se trouver une femme. Trop frêle, trop délicat, trop souffreteux... Jamais le mot n’était prononcé, mais moi qui, à huit ou neuf ans, ignorais son sens, je l’entendais et comprenais d’instinct toutes ses implications : Antoine avait une petite bite, c’était une petite bite. Dans la ferme, ils élevaient des cochons. Pendant que les adultes parlaient, nous les enfants, on jouait dans la cour. C’était la fin de l’après-midi, deux vagues cousins sont sortis de la grange, deux qui devaient lui rendre vingt-cinq ou trente ans, à l’Antoine :

— Les porcs tu sais pourquoi ça engraisse bien ?... Réfléchis cinq secondes !... C’est parce qu’ils sont châtrés, pardi ! Qu’ils font que bouffer dans l’abstinence...

—Ben alors, pourquoi que le Toine il est pas plus gros, lui qui a jamais vu le loup ?!

—T’es vraiment un crétin, toi tu sais... Faut croire qu’il a dû sacrément s’astiquer ?!

Ils avaient beaucoup ri. Personne ne respectait le cousin Antoine. J’étais petit, mais je sentais bien que sa vie se déroulait au sein d’un immense océan de mépris à connotation hautement sexuelle. Un océan qui l’entourait comme l’air ambiant et dans lequel nageaient toutes ces affirmations qui leur brûlaient les lèvres et devant lesquelles, au dernier moment, ils reculaient comme devant un précipice de haine pornographique.

En 2017, le cousin Antoine a fêté ses 103 ans : il leur a tous survécu.

Je me souviens de la craquante timidité de Florence T. au moment de se désaper. Notre première à tous les deux. Dans la gêne des lits à une place. Alors, on l’avait joué classique, sans fioriture, en missionnaire : il s’agissait d’y arriver. Je me souviens qu’après l’avoir retirée, elle était restée un moment avec sa culotte dans les mains sans savoir comment la laisser tomber sur le sol de ma chambre du CROUS — c’était la numéro 442, bâtiment G. Elle n’avait pourtant qu’un simple geste à faire mais elle restait bloquée, comme pétrifiée, de peur que ça fasse porno. C’était sa hantise. Je me souviens de son visage le lendemain matin : elle parlait de New York et de la Californie, il existait visiblement de nouvelles possibilités, le monde devant elle était devenu beaucoup plus petit. Elle avait grandi, ça m’avait frappé, j’avais l’impression qu’elle regardait beaucoup plus loin que la veille, elle n’était pourtant pas vierge.

Je me souviens qu’en 1986-1987, le sida s’est mis à planer au-dessus de nos têtes. L’hécatombe universelle... Je me souviens que j’étais très prudent et que c’est en novembre 90 qu’ils ont installé le premier distributeur de préservatifs dans le quartier, à l’angle de la rue des Teinturiers, un peu à l’écart, derrière les halles du marché. Ça nous évitait la honte d’entrer chez le pharmacien. Je me souviens des boîtes de capotes oubliées : c’était idiot, on en avait tellement envie mais fallait pas rigoler avec ça… « Tu veux pas quand même jeter un dernier coup d’œil au fond de ton sac si jamais y en avait une qui traînait ? » Je me souviens de ma maladresse pour les enfiler — quel est le bon sens ? — avec la peur de débander... Je me souviens des mots de Béatrice : « ça fait trois mois qu’on est ensemble, on a confiance l’un dans l’autre, en tout cas moi j’ai confiance... ». Je me souviens de mon bonheur : la première fois à sentir, sans l’entremise du latex, ses chairs intimes enserrer ma queue, la première fois à me répandre au fond de sa chatte, la première fois à conserver longtemps sur moi, au lieu du plastique, l’odeur de son sexe, la première fois à savoir mon sperme à sa place dans l’univers.

Je me souviens de Jean-Pierre, le riche cousin de mon père. Il me semble que c’était pas très longtemps après le 10 mai 1981. À l’époque, il devait avoir 35 ans. Il s’était arrêté au café de la gare pour prendre une Jeanlain, ce cousin ne buvait que des Jeanlain qu’il achetait en quantité industrielle au supermarché Auchan. Moi, au ras du sol, je n’étais pas concerné par cette discussion, je ne faisais qu’écouter. Il s’adressait à son beau-frère François, le mari de sa sœur Anne-Marie. Jean-Pierre avait pris sa bière au comptoir à côté d’Etienne Fourrageot et de Jean-Marc Dégoulange — les noms me sont restés — qui lui avaient fait remarquer que le matin même ils avaient vu passer sa sœur sur l’avenue Irénée Laurent et que presqu’au même moment ils s’étaient tous les deux fait la réflexion qu’elle était encore sacrément bien roulée. Alors du tac au tac, Jean-Pierre leur avait répondu et je ne l’ai jamais oublié : « Mais c’est qu’elle est bien entretenue ! ». Aussitôt, devant mes yeux, j’ai vu François grandir instantanément de dix centimètres, en largeur comme en hauteur. Je suis certain qu’à l’époque je soupçonnais déjà, même confusément, ce que cela signifiait d’entretenir sa femme. De continuer à la bien baiser au fil des années, à la faire jouir, à lui donner cette libération des orgasmes partagés qui est censée détendre ses traits aussi bien que n’importe quelle crème antirides.

Je me souviens qu’en décembre 1990 j’avais couché avec quatre filles et que je me demandais à quel total — rivage lointain — je parviendrai à la fin de ma vie. Sur un tout petit calepin bleu Super Conquérant, j’avais écrit leurs prénoms avec, à côté, le nombre exact de nos baises. À partir de ces éléments, je m’étais lancé dans la prospective et les projections. Je n’ai pas besoin de me souvenir, j’ai juste besoin de lire :

« Moins de dix : E

Entre dix et vingt : D

Entre vingt et cinquante : C

Entre cinquante et cent : B

Plus de cent : A »

À l’époque, A B C D E, c’était l’échelle de notation en vigueur dans l’éducation nationale. Les années ont passé et je ne sais toujours pas quelle sera ma note. Même si j’ai une vague idée.

Je me souviens que j’adorais Manic Monday. La chanson a dû sortir en 1987 en France mais c’est bien plus tard seulement que j’ai découvert qu’elle avait été composée par Prince et que, s’il l’avait offerte aux Bangles, c’était dans le secret espoir de coucher avec la sublime Susannah Hoffs, brune beauté juive maigre et pulpeuse qui m’a toujours inspiré des gaules du feu de Dieu. Surtout quand elle chantait Eternal Flame l’été du bac. Mon archétype féminin. Je me souviens qu’on a écouté la chanson dans la Ford Fiesta de mon copain Pascal : il était du début de l’année alors en juin 1989 il avait déjà son permis, on passait près du parc des Sports, à côté de la patinoire. Je revois l’endroit, maintenant les courts de tennis y ont été démolis, remplacés par un skate park.

Je me souviens d’une liste de prénoms. Et que le temps a passé. La liste de toutes les filles que je n’ai pas baisées. Et souvent il n’y avait même pas de prénoms. Des odeurs, des saisons, des lumières pour une galerie de silhouettes. Des petits culs en mouvement dans les rues qui menaient au lycée. Je me souviens de tellement de paires de seins sous tellement de pulls avec même pas l’espoir de passer mes mains dessous. Classe, élégance, séduction. Tellement de chattes qui sont restées cachées. Cinq ans obsédé — vive les cours d’EPS — par le justaucorps de Fanny G qui avait la propriété de réaliser en 3D le moulage parfait de sa chatte en abricot. Petites et grandes lèvres, sillon... Maintenant je sais qu’on dit camel toe… Il me manquait cinq ans.

Exactement le temps de se souvenir.

Le cristal d’un murmure, parfois

Pierre occupait les fonctions de CEO chez Waldissimax, société spécialisée dans le stockage de données, dont l’activité s’était, durant les trois dernières années, développée de manière exponentielle.

En l’espace de dix-huit mois — progression fulgurante — l’action Waldissimax, cotée au Nasdaq, avait vu son cours multiplié par près de soixante-quinze. Pierre venait d’exercer les cinquante mille stock-options qui lui avaient été octroyées lors de sa nomination, empochant au passage une plus-value, nette d’impôts, de près de douze millions de dollars... et il conservait encore, en tant que fondateur, près de douze pour cent du capital de la société.

À quarante ans passés, Pierre restait fin, longiligne, sportif — il courait en moyenne quatre ou cinq marathons dans l’année. Et, pour ne rien gâcher, comme au temps de ses études, il restait épris des plus belles choses de l’esprit au-dessus desquelles il ne mettait rien. Sur son bureau situé au milieu de l’open space des managers — un plexiglas parfaitement dégagé, jamais encombré, au dénuement quasi monastique — vous trouviez systématiquement un dialogue de Platon : parfois le Criton, parfois le Cratyle ou le Phédon au gré des saisons. Et de cet exemplaire à couverture jaune édité en bilingue dans la collection Budé, dépassait toujours une myriade de petits papiers blancs indiquant les pages sur lesquelles, au fil de sa lecture, il avait souligné les phrases les plus remarquables. Il évoquait d’ailleurs de plus en plus souvent son désir de poursuivre, pour le plaisir, ses études de philosophie. Il avait déjà passé sa licence à la Sorbonne l’année où, chez Waldissimax, fut mis en place le premier tour de table d’investisseurs.

Un sage qui, à la lumière de la pensée des anciens grecs, avait acquis une capacité de relativisation grâce à laquelle il faisait montre, lorsqu’il évoquait ses succès d’affaires, d’une sincère modestie qui confinait à l’humilité.

L’homme parfait. Calme, fin, distingué, séduisant, toujours élégant.

Aucune ombre au tableau. Jamais lourd. Sur chaque question, des avis nuancés. La sagesse de l’intelligence.

Du tact, de la délicatesse. Il multipliait les prévenances.

Le raffinement personnifié.

Dans sa société où, sous sa stricte impulsion, l’on se faisait un devoir de respecter scrupuleusement la parité hommes-femmes, la moyenne d’âge était peu élevée, et Pierre se trouvait entouré par un essaim de jolies filles de moins de trente ans. Celles-ci, observant nécessairement leur boss sous toutes les coutures, avaient forcément remarqué que ses yeux pétillaient de vivacité, que les contours de son visage à peine émacié s’arrondissaient en suivant des trajectoires juste assez anguleuses pour rehausser sa virilité : le visage de Pierre n’avait de poupon que son sourire d’enfant qui les faisait toutes craquer. Il était trop mignon, voilà ce qui se murmurait dans son sillage. Et c’était presque naturellement que, sans qu’il ait besoin d’en faire des tonnes, elles se retrouvaient toutes à ses pieds. D’autant que bon nombre de ces executive women se trouvant à un âge où elles pouvaient encore s’autoriser de ne point songer un seul instant à leur horloge biologique, rêvaient de mettre dans leur lit un homme de dix ou quinze ans leur aîné : Pierre revêtait, à leurs yeux, tous les charmes, y compris celui de l’homme expérimenté.

Madeleine faisait partie de cet inconditionnel essaim. Quand elle trouva l’enveloppe sur son bureau, elle travaillait depuis à peine trois mois chez Waldissimax en tant que project manager. Après un parcours sans faute : ESSEC, des stages en Californie, à Dusselförf, en veux-tu en voilà... Dans des banques, des sociétés de conseil, d’autres start-up... Tout le spectre de la high-tech... Une tueuse de vingt-huit ans... Vivacité d’esprit, talons hauts, rouge à lèvres et chemisier hyper sexy... Partout on lui faisait des ponts d’or... Un parcours triomphal depuis l’école jusqu’au pied du building Waldissimax... Au sein d’un univers de winner ultra masculin, de clocher en clocher, le vol d’un aigle qui faisait du 90 C.

Dans un contexte où la loi de l’offre et de la demande lui était universellement favorable, Madeleine avait pris l’habitude d’évoluer parmi une meute de mâles CSP+, suffisamment bien élevés pour ne rien laisser voir de leurs langues pendantes qui, pour autant, pendaient effectivement au passage de cette fille super canon que la nature avait si richement dotée. Madeleine n’avait donc absolument pas l’habitude que les hommes lui résistent. Quand elle avait décidé de se taper un mec, vous pouviez être bien certain qu’elle parviendrait à ses fins. C’était un théorème mathématique pour lequel elle disposait de tous les arguments nécessaires, aussi bien à sa démonstration qu’à ses illustrations. Et comme elle avait instantanément flashé sur son patron, et bien qu’elle soit loin d’être seule sur les rangs, c’est bien elle, cela ne faisait pas le moindre doute à ses yeux, qui allait décrocher le pompon. Tout simplement parce qu’elle était plus brillante, plus sexy et moins sainte-nitouche que les autres. Bien sûr qu’il y en avait des aussi bien gaulées, mais la plupart du temps elles étaient aussi beaucoup plus coincées.

Parmi les bombes ultra-diplômées qui n’avaient pas froid aux yeux, il y en avait combien qui pouvaient suivre sur Platon ?... Bref, les statistiques jouaient en sa faveur... De toute façon, même si, par un heureux concours de circonstances, une de ses rivales se trouvait à remplir tous les critères, il aurait toujours manqué à cette gentille Blanche-Neige — Madeleine en était persuadée — un petit quelque chose, un indéfinissable supplément d’âme, comme dans la chanson de France Gall, un truc en plus dont Madeleine se plaisait à imaginer qu’il résidait tout entier au fond de son petit sourire mutin.

D’ailleurs, comme à son habitude, c’est avec ce petit sourire mutin que Madeleine avait commencé les premiers mouvements de sa grande guerre de conquête. À la moindre occasion, d’un tendre clignement, elle quittait le registre strictement professionnel pour regarder Pierre, les yeux emplis d’un amour inconditionnel qu’elle veillait à mélanger avec la juste proportion d’admiration nécessaire à bien flatter son orgueil : Madeleine ne croyait pas une seule seconde à la sincérité de la prétendue modestie de son boss dont tout le monde faisait des gorges chaudes. Et chaque jour à présent, elle le désirait un peu plus, et pas seulement parce qu’elle avait noté ses gestes fins, ses muscles saillants, la prévenance qu’il parvenait à insinuer dans sa voix comme un bouquet de roses invisible et permanent. Pas seulement parce qu’elle aurait mis sa main à couper qu’il devait faire l’amour délicieusement — le vrai super coup, juste comme elle aimait — dans le sucre et la violence.

Madeleine, comme tous les grands conquérants, aimait les challenges : la difficulté augmentait son désir. Or si je vous ai dit que Pierre avait toutes les qualités, il me faut encore, à cette longue litanie de cases toutes parfaitement cochées, lui en ajouter une autre qui aura son importance pour la suite de notre histoire : il était marié depuis quinze ans et on ne lui connaissait absolument nulle incartade. Rien ne filtrait : aucune histoire de séminaire sous les cocotiers, pas même celle d’une secrétaire troussée à la va-vite entre deux portes d’un Hilton. Comble de la perfection et summum du panache, il s’autorisait même le luxe de la fidélité. Et comme on ne pouvait l’aimer, on ne le désirait que davantage : un érotomane avec les mêmes qualités qui se serait tapé tout ce qui bouge aurait fini par lasser, quitte même à lui inventer quelques défauts aussi rédhibitoires que factices. Alors on admirait, on aimait mais sans toucher, puisque c’était peine perdue. Sauf pour Madeleine évidemment qui n’avait pas pour habitude de s’arrêter en si bon chemin. Bien au contraire. Madeleine qui, de toutes les forteresses, préférait les plus imprenables. Elle en faisait désormais son affaire : on n’allait pas longtemps continuer à parler de la sacro-sainte fidélité de Pierre... Il n’avait jamais trompé sa femme parce qu’il était exigeant, parce qu’il lui fallait du high level, parce qu’en somme il l’attendait elle.

Dans un premier temps, notre général en chef fit donner sa cavalerie : le jean un peu tombant qui révèle la ficelle d’un string noir, la panoplie de tous ses cols échancrés et, pour le jour de la réunion, le soutif rouge sous un tee-shirt blanc... Ce n’était que la première phase d’un mouvement d’encerclement que n’aurait pas renié Hannibal à la bataille de Cannes... À midi au restaurant, elle parlait poésie, et Dostoïevski : se prévaloir d’une commune inclination pour Platon, c’eut été bien trop lourdingue, Aristote faisait un peu cousu de fil blanc, alors elle avait opté pour Dostoïevski. Bon bien sûr, le roman c’est pas de la philosophie ; en même temps, Dostoïevski c’est un romancier à idées... Elle avait donc lu à vitesse grand V ses quatre chefs-d’œuvre estampillés « chef-d’œuvre » : Crime et Châtiment, Les Démons,L’Idiot et les Frères Karamazov. Que d’ailleurs, elle avait adorés. Ce qui lui permettait de professer à la moindre occasion son admiration inconditionnelle pour le grand Russe.

Son stratagème ne tarda pas à porter ses fruits : il était intéressé, il se mit à la questionner, à la jauger. Heureusement elle avait vraiment lu : son affaire était béton. Et tandis qu’elle lui en mettait plein la vue en évoquant le mythe de la Caverne à travers le personnage du Grand Inquisiteur — un coup de maître — elle se félicitait d’avoir récemment appris qu’il n’avait pas d’enfant : c’était un truc qui comptait pour elle. Si elle n’éprouvait aucune gêne à mettre un homme marié dans son lit, elle redoutait plus que tout les confidences sur l’oreiller à propos du merveilleux troisième : rien qu’à l’idée, elle en éprouvait une répulsion physique.