Elfrida Norsten - Delly - E-Book

Elfrida Norsten E-Book

Delly

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Beschreibung

De Melbourne, Elfrida avait écrit à M. Charlier pour lui demander l’hospitalité, en lui racontant succinctement ses aventures. Sa lettre arriva un matin où tout l’hôtel se trouvait en grand remue-ménage, la jeune Mme Charlier donnant ce jour même une soirée... On la remit aussitôt à M. Charlier père qui, en la lisant, laissa échapper de sourdes exclamations: « Pauvre ami !... Pauvre petite !... Quelle aventure ! »
Après un long moment de réflexion, il sonna et donna l’ordre qu’on avertît son fils de venir lui parler. Depuis trois ans, le banquier, atteint d’une paralysie du côté gauche, avait cédé à un neveu son importante maison, dont Marcel, tout occupé de recherches scientifiques, ne se souciait pas d’assumer la direction... Chez ce brave garçon blond, de mine bonasse, on ne retrouvait rien de l’esprit d’initiative, de la décision, qui caractérisaient la nature paternelle. M. Charlier avait pour son fils unique une affection quelque peu despotique, et c’était lui qui avait décidé ce mariage avec Jeanne d’Esclampes, dont le caractère autoritaire, les goûts mondains, lui semblaient devoir contrebalancer l’indolence et la sauvagerie de Marcel.
Elfrida Norsten

Delly est le nom de plume conjoint d'un frère et d'une sœur, Jeanne-Marie Petitjean de La Rosière, née en Avignon le 13 septembre 1875, et Frédéric Petitjean de La Rosière, né à Vannes le 6 septembre 1876, auteurs de romans d'amour populaires. Les romans de Delly, peu connus des lecteurs au xxie siècle, sont extrêmement populaires entre 1910 et 1980, et comptent alors parmi les plus grands succès de l'édition en France mais aussi à l'étranger.

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Delly

Elfrida Norsten

The sky is the limit

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table des matières

Première partie

1

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9

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Deuxième partie

1

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3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

Première partie

1

De Melbourne, Elfrida avait écrit à M. Charlier pour lui demander l’hospitalité, en lui racontant succinctement ses aventures. Sa lettre arriva un matin où tout l’hôtel se trouvait en grand remue-ménage, la jeune M me Charlier donnant ce jour même une soirée... On la remit aussitôt à M. Charlier père qui, en la lisant, laissa échapper de sourdes exclamations :

« Pauvre ami !... Pauvre petite !... Quelle aventure ! » Après un long moment de réflexion, il sonna et donna l’ordre qu’on avertît son fils de venir lui parler.

Depuis trois ans, le banquier, atteint d’une paralysie du côté gauche, avait cédé à un neveu son importante maison, dont Marcel, tout occupé de recherches scientifiques, ne se souciait pas d’assumer la direction... Chez ce brave garçon blond, de mine bonasse, on ne retrouvait rien de l’esprit d’initiative, de la décision, qui caractérisaient la nature paternelle. M. Charlier avait pour son fils unique une affection quelque peu despotique, et c’était lui qui avait décidé ce mariage avec Jeanne d’Esclampes, dont le caractère autoritaire, les goûts mondains, lui semblaient devoir contrebalancer l’indolence et la sauvagerie de Marcel.

– Je t’ai fait appeler, mon enfant, pour te faire part d’une nouvelle stupéfiante, expliqua le banquier. Tu te souviens, n’est-ce pas, de mon ami Valdemar Norsten ?

– Celui qui fut condamné pour l’assassinat de M me Serdal, la sœur de Raymond de Faligny ?... Je le crois bien ! J’avais seize ans alors, et j’ai suivi dans les journaux les péripéties du procès avec d’autant plus d’intérêt que vous étiez appelé à témoigner en faveur de l’accusé... Celui-ci s’évada, et l’on n’en entendit plus parler, non plus que de sa fille... Je me souviens même fort bien de lui et de la petite Elfrida, qui furent nos hôtes pendant quelques mois, avant de s’installer en Provence.

– Eh bien ! je viens de recevoir une lettre d’Elfrida Norsten !

– Par exemple !... Depuis dix ans qu’ils n’ont pas donné signe de vie !

– Elle me raconte l’étonnante aventure qui leur est survenue... Norsten, avec sa fille et ses serviteurs, s’était embarqué pour la Nouvelle-Guinée. Arrivés là-bas, tous sont faits prisonniers par une peuplade de l’intérieur. Mais au bout de peu de temps, Norsten subjugue si bien ces Ogeroks, qu’ils le nomment leur roi... Tout va bien pendant dix ans. Mais voilà qu’au bout de ce temps, mon pauvre ami vient à mourir, et sa fille, ses compagnons – Elfrida mentionne d’autres Européens prisonniers comme eux – ne se sentent plus en sûreté. Ils réussissent à s’enfuir, non sans passer par de grands périls... Et Elfrida m’annonce qu’obéissant au désir de son père, elle vient se mettre sous ma protection.

– Ah ! mais oui, quelle aventure, en effet !... Et qu’allez-vous faire, mon père ?

– Mais lui donner la plus large, la plus affectueuse hospitalité, pauvre chère enfant !... Prie ta femme de lui faire préparer un appartement. Elle amène avec elle sa servante Katarina et un ancien pêcheur provençal, un brave garçon qui leur a rendu de grands services.

– Quand doit-elle arriver ?

– D’un jour à l’autre, probablement. Il est possible que sa lettre la précède de très peu.

– Eh bien ! je vais prévenir Jeanne à l’instant... Oui, évidemment, nous ne pouvons faire autrement que de l’accueillir aussi bien que possible... d’autant plus que vous étiez persuadé de l’innocence de son père !

– J’aurais cru à la culpabilité de n’importe qui au monde plutôt qu’à celle de Norsten !... Tout, en effet, en cette nature, était noblesse, probité, parfaite élévation d’âme. Et du reste, nul, au cours du procès, n’a pu démontrer quel intérêt il aurait eu à commettre ce crime... Ah ! oui, oui, aujourd’hui comme autrefois, je crois à l’innocence de ce bien cher ami !

Quelques instants plus tard, Marcel Charlier entrait dans le boudoir où sa femme achevait de donner quelques instructions au fleuriste-décorateur.

– Eh bien ! qu’y a-t-il ? demanda Jeanne.

À l’ordinaire, les jours de réception, Marcel se confinait dans les pièces du second étage, où il avait établi un laboratoire et une salle de travail. Il n’en sortait qu’au moment de passer son habit pour aider sa femme à faire les honneurs de la demeure... Aussi Jeanne se montrait-elle fort surprise de le voir apparaître.

– J’ai une communication à vous faire de la part de mon père, ma chère amie.

– Une minute, je vous prie... Monsieur Butin, la chose est bien entendue ? Des azalées roses sur la scène, et quelques palmiers, ou des dracænas. Vous verrez ce qui donne le meilleur coup d’œil... D’ailleurs, j’irai en juger moi-même tout à l’heure.

Le fleuriste s’inclina et sortit du boudoir... Jeanne, en se renversant contre le dossier du fauteuil sur lequel elle se trouvait assise, dit avec un soupir :

– Je n’en puis plus !

Marcel ne parut pas s’émouvoir de cet excès de fatigue. Marié depuis quelques mois seulement, il savait déjà à quoi s’en tenir sur la capacité de résistance qu’offrait l’organisme de sa femme dès qu’il s’agissait de mondanités.

– Faites-vous aider davantage, mon amie, répliqua-t-il placidement.

Jeanne leva au plafond ses bras maigres qui sortaient d’une large manche de dentelle.

– Ah ! que voilà bien une réponse masculine !... Comme si quelqu’un pouvait, efficacement, remplacer une maîtresse de maison !... Voyons, qu’aviez-vous à me dire ?

Et prenant une glace à main posée sur une petite table, près d’elle, la jeune femme s’examina, rectifia une frisure des cheveux noirs, secs et ternes, qui couvraient presque complètement le front bas... Elle avait des traits assez réguliers, mais le teint jaune, des dents petites mais mal rangées, des yeux gris sans douceur. Sa physionomie manquait totalement de charme, décelait une nature froide, obstinée, orgueilleuse. Il existait chez elle une certaine distinction de race, mais aucune grâce dans l’allure, dans les mouvements de son long corps maigre, qu’elle ornait de fort élégantes toilettes et parait de bijoux, d’ailleurs avec goût et discrétion.

– Eh bien ! ma chère Jeanne, mon père vient de m’annoncer que nous allions avoir un hôte.

Jeanne, en passant le doigt sur les sourcils clairsemés qu’une « sève sourcilière » renommée ne parvenait pas à faire épaissir, demanda avec indifférence :

– Qui donc ?

– La fille d’un de ses amis, maintenant orpheline... M lle Elfrida Norsten.

– Ah !... Je ne lui en avais jamais entendu parler !

– Vous étiez trop jeune, il y a dix ans, pour avoir gardé le souvenir du procès Norsten, au cours duquel mon père fut appelé à témoigner... Le docteur Norsten, qui habitait alors en Provence, près de la propriété des Faligny, fut accusé d’avoir assassiné M me Serdal, née Aurore de Faligny.

Cette fois, Jeanne abandonna l’examen de sa figure et redressa la tête.

– Ah ! mais... attendez donc !... oui, je me souviens d’avoir entendu parler de cela ! Nous sommes un peu cousins des Faligny, comme vous le savez, et la nouvelle de ce meurtre causa chez nous quelque saisissement... Est-ce que cet homme ne fut pas condamné aux travaux forcés ?

– Oui, et il réussit à s’évader. Il est mort dernièrement en Nouvelle-Guinée, après d’incroyables aventures, et sa fille, ayant pu s’enfuir, vient demander la protection de mon père.

Jeanne posa la glace près d’elle et se souleva à demi sur son siège, en attachant sur son mari un regard durci.

– Alors, c’est la fille de ce forçat que M. Charlier songe à accueillir ?

– Mais, ma bonne amie, le docteur Norsten était innocent... Mon père, qui le connaissait bien, en est absolument persuadé.

– Comme Raymond de Faligny, lui, était persuadé de sa culpabilité... Au reste, innocent ou non, il n’en a pas moins été condamné, et tant que ce jugement subsiste, on ne peut voir en cet homme qu’un forçat en rupture de bagne. Voilà ce qu’il importe de bien établir... Or, il me paraît difficile d’admettre que M. Charlier songe à nous donner comme commensale une jeune personne dont le nom est aussi taré... une personne dont il ne connaît à peu près rien, car elle devait être fort jeune au moment de l’affaire. Ainsi donc, elle peut être la pire des créatures... avoir hérité des mauvais instincts paternels...

Marcel leva les épaules avec impatience.

– Ah ! bien, je n’avais pensé à tout ça !... Vous autres femmes, vous allez toujours chercher midi à quatorze heures ! On verra bien ce qu’elle est, cette jeune fille ! Mon père n’est pas obligé de la garder, si elle lui déplaît... Et il n’aura pas, en tout cas, à lui donner de subsides, car elle doit avoir de la fortune. Le docteur Norsten était riche, et ses revenus se sont accumulés depuis dix ans.

Jeanne riposta sèchement :

– Je ne puis empêcher votre père de commettre cette sottise... Mais je vous le déclare franchement, il me sera impossible de témoigner à cette jeune fille autre chose qu’une stricte politesse. Ainsi donc, que M. Charlier ne compte pas sur moi pour m’occuper d’elle en quoi que ce soit. Elle sera l’hôte de mon beau-père, mais pas la mienne... C’est compris, Marcel ?

– Eh ! oui, parbleu ! On ne vous demande pas davantage, ma chère amie... Vous vous chargerez cependant de lui faire préparer un appartement ?... Car elle peut arriver d’un moment à l’autre, paraît-il.

– J’irai m’entendre avec votre père à ce sujet. Mais, vraiment, je n’avais pas encore besoin aujourd’hui de ce surcroît de besogne !

À cet instant, un domestique apparut au seuil du boudoir, annonçant :

– M me Barnett vient d’arriver, madame.

– Bien. Faites-la entrer ici.

– Qui ça, M me Barnett ? demanda Marcel.

– Une charmante artiste américaine qui m’a aidée à monter ma comédie de salon et doit y jouer le principal rôle.

– Où donc avez-vous connu cette cabotine ?

M me Charlier fronça les sourcils.

– Elle est très comme il faut, très femme du monde... M me de la Bargerie la reçoit et me l’a vivement recommandée.

– Oh ! cette vieille toquée de la Bargerie recommanderait le diable en personne, pourvu qu’il ait l’habileté de la flatter et surtout de lui faire compliment de son éternelle jeunesse ! Si vous n’avez que cette référence-là...

Un geste impérieux de Jeanne l’interrompit... On entendait un bruissement de soie, et presque aussitôt apparut une jeune femme vêtue avec une élégance de fort bon goût. Elle ne paraissait pas avoir plus de trente ans, grâce à quelques artifices qui conservaient à son joli visage l’apparence d’une grande fraîcheur. Des cheveux d’un blond vif moussaient autour du front, en s’échappant d’une coquette petite capote de paille bise garnie de velours noir et de groseilles. Les yeux, d’un bleu doux, étaient pleins de charme câlin, comme la voix qui prononçait :

– Je viens peut-être un peu tôt, madame ?

– Mais pas du tout ! Les acteurs m’ont promis d’être ici à dix heures pour cette dernière répétition... Marcel, M me Barnett, dont je vous parlais tout à l’heure... Je disais précisément à mon mari, madame, que j’avais la grande satisfaction de vous avoir comme principale interprète de mon œuvre.

M me Barnett s’inclina, en souriant gracieusement.

– C’est un plaisir pour moi, et d’autant plus grand que les qualités littéraires de cette petite pièce sont remarquables... N’est-ce pas votre avis, monsieur ?

– Moi ?... Hum... je ne sais... Je vous avoue que je ne l’ai pas lue.

Jeanne lui jeta un coup d’œil passablement dédaigneux.

– Mon mari ne s’intéresse qu’aux questions scientifiques ; aussi n’ai-je pas voulu lui donner l’ennui de lire cette comédie, ce qu’il aurait fait par pure politesse.

Et interrompant Marcel, qui protestait mollement :

– Si, si, je le sais, mon ami... et je ne vous en tiens pas rancune, soyez-en assuré... Allons, à tout à l’heure. Dès que j’aurai un moment de liberté, je donnerai les ordres au sujet de cette jeune fille qu’attend votre père.

– Oui, je vous prie, Jeanne... Ah ! j’oubliais de vous dire qu’elle amène avec elle deux personnes : sa servante et un homme, un ancien marin qui a rendu de grands services à son père et à elle, dans les mauvais moments qu’ils ont passés autrefois.

– Bon, il ne manquait plus que cela !... Sait-on qui sont ces gens ? S’entendront-ils avec nos domestiques ?

– Eh ! nous le verrons bien ! La servante Katarina, et le mari de celle-ci, ont vécu autrefois quelques mois ici, pendant le séjour qu’ils firent avec leur maître et leur jeune maîtresse, alors enfant. C’étaient, je m’en souviens, des gens très corrects, avec lesquels personne n’a eu de désagréments.

– Mais l’autre ?... ce marin dont vous parlez ?

– Ah ! celui-là, j’ignore ce qu’il est !... Ce sera à voir, comme je vous le disais tout à l’heure.

Sur ces mots, Marcel salua M me Barnett et quitta la pièce, heureux d’échapper à de nouvelles objections et mâchonnant entre ses dents :

« Elle n’aura peut-être pas toutes ses aises avec ma femme, la jeune fille !... Mais, après tout, rien ne la forcera à rester ici. »

Restée seule avec l’actrice, M me Charlier, d’un geste aimable, indiqua à celle-ci un siège près d’elle.

– Voyons, madame, en attendant nos acteurs, donnez-moi des nouvelles de votre jolie belle-fille !... Est-elle toujours aussi souffrante ?

M me Barnett prit un air de douloureuse componction.

– Hélas !... oui, à peu près. Elle semble minée par l’anémie... ou peut-être par quelque souffrance morale.

Une lueur de curiosité brilla dans le regard de Jeanne.

– Une souffrance morale... C’est-à-dire une peine de cœur, probablement ?... Le coupable ne serait-il pas, comme je l’ai entendu chuchoter, mon beau cousin de Faligny, qui avait entrepris de la prendre pour modèle d’une statue de Diane et puis la laissa tout en plan, un jour, pour s’en aller en Papouasie avec l’un de ses amis ?

M me Barnett soupira :

– Je ne puis le nier ! M. de Faligny, par distraction d’artiste et de grand seigneur, s’est plu à compromettre ma fille, à se faire aimer d’elle... et quand j’ai voulu lui faire reconnaître ses torts, il s’est montré d’une arrogance, d’une hauteur sans égales... Depuis lors, ma pauvre Dinah souffre et dépérit...

À ces mots, M me Barnett porta à ses yeux un mouchoir parfumé.

– Oui, c’est vraiment désolant, dit Jeanne du bout des lèvres.

Elle ne semblait aucunement émue, et ce fut d’un ton sarcastique, nuancé d’âpreté, presque, qu’elle ajouta :

– Raymond de Faligny n’en est pas à sa première victime. C’est un être orgueilleux, dur et incapable, je le crois, d’aimer réellement personne d’autre que lui-même.

– Je pense, en effet, que vous le jugez bien... Est-il toujours en Nouvelle-Guinée ?

– Je l’ignore, nous n’en avons aucune nouvelle... Tiens, mais, à propos de Nouvelle-Guinée... mon mari vient précisément de m’annoncer que son père attendait une personne venant de cette île océanienne. Qui sait ! Peut-être aura-t-elle rencontré là-bas M. de Faligny... qu’elle a connu autrefois, d’ailleurs.

– Ah ! vraiment ?... Oui, c’est chose possible !... On fait de si étonnantes rencontres, en voyage !... Cette personne est une de vos connaissances, madame ?

Jeanne riposta dédaigneusement :

– Oh ! non, pas des miennes !... Son père était l’ami de mon beau-père, qui se croit obligé d’accueillir cette jeune fille orpheline, en dépit de circonstances fort ennuyeuses... fort désagréables...

M me Charlier ne s’expliqua point davantage. Mais M me Barnett ne se souciait probablement guère d’en savoir plus long à ce sujet, car elle ne chercha pas à maintenir la conversation là-dessus... D’ailleurs, presque aussitôt, commencèrent d’arriver les jeunes femmes et jeunes gens qui devaient jouer un rôle dans la comédie, œuvre de M me Charlier. Parmi eux se trouvait Roger de Nardel, toujours vêtu avec la dernière élégance, et qui, dès le seuil du boudoir, s’écria :

– Une nouvelle, mesdames !... Vous allez voir réapparaître à l’horizon un astre depuis quelque temps disparu !

– Qui cela ? demanda négligemment M me Charlier.

– Eh ! mais Faligny !... mon ami Faligny, votre idole, votre héros, mesdames !

Plusieurs voix féminines s’exclamèrent :

– Quoi, il est revenu ?

– Pas encore à Paris, mais en Provence. Tout à l’heure, j’ai rencontré Martellier, de passage ici avant de gagner la Normandie. Nous n’avons pu causer qu’un moment, car il allait prendre son train à Saint-Lazare. Mais il paraît qu’ils ont eu des aventures extraordinaires !... Faits prisonniers par cette peuplade dont ils allaient explorer le pays, ils n’ont pu s’enfuir qu’avec de grandes difficultés, ainsi que d’autres Européens qui se trouvaient – mais depuis plus longtemps – dans la même situation.

– J’espère que M. de Faligny nous racontera ses aventures ! s’écria une grande jeune femme blonde, veuve depuis deux ans, qui avait fait naguère à Raymond les plus significatives avances et ne niait point qu’elle fût fort éprise de lui.

– N’était-il pas question d’un Blanc qui gouvernait cette peuplade ? dit un des jeunes gens.

– Oui... et il serait mort, d’après ce que j’ai compris. Alors les autres ne se sont plus trouvés en sécurité... et, bien vite, ils ont pris la poudre d’escampette !

– Ce sera fort intéressant d’entendre ce récit ! fit observer M me Barnett. Y avait-il des femmes, parmi ces Européens ?

– Oui, deux, m’a dit Martellier... Il nous expliquera cela plus tard, quand nous le reverrons.

– Peut-être... bien que, d’après Martellier, il ait manifesté l’intention de demeurer assez longtemps dans sa demeure provençale.

– Ce ne doit pourtant pas être bien gai, tout seul, dans ce logis qui lui rappelle un si lugubre souvenir !

Cette réflexion était faite par M me de Clairvaux, la jeune veuve blonde.

Nardel hocha la tête.

– Oui, sa pauvre sœur... Quelle dramatique histoire !... et dont, en réalité, on n’a jamais su le fin mot.

M me Barnett regarda le jeune homme en levant légèrement ses sourcils blonds en signe de surprise.

– Comment ?... J’ai lu autrefois les comptes rendus de cette affaire, et il me semblait qu’il n’existait aucun doute sur la culpabilité de ce docteur... comment donc ?... Norsten, je crois !

– Oui, Norsten, c’est cela... Évidemment, puisque Raymond l’avait reconnu... puisque d’autres charges s’ajoutaient à cela... Mais je me souviens qu’à cette époque j’ai entendu un ami de mon père, vieux magistrat d’esprit chercheur et réfléchi, déclarer qu’à son avis le docteur Norsten était victime d’une machination très habilement montée.

– Oh ! mais, c’est du roman, cela ! s’écria M me de Clairvaux. Et comment expliquez-vous que M. de Faligny ait reconnu... ?

– Hallucination... ou bien l’existence d’un sosie...

Un rire léger, ironique, s’échappa des lèvres de M me Barnett.

– De plus en plus romanesque, monsieur de Nardel !... Un sosie !... Et les ennemis supposés de ce docteur Norsten, après l’avoir découvert juste à point, l’auraient décidé à jouer ce rôle terrible... et périlleux, puisqu’il y risquait sa tête !... Tout cela dans quel but ?

– Mais pour exercer sur lui une vengeance effroyable !... Car nous imaginons tout ce que dut souffrir cet homme, s’il a été accusé injustement... et ce qu’il aurait souffert par la suite, au bagne où l’envoyait sa condamnation. Oui, vraiment, c’était là une vengeance raffinée... telle que l’idée peut en exister dans certaines âmes terriblement haineuses et perverses.

– Ce sont là des suppositions... et le fait réel, c’est que la justice a trouvé les preuves assez fortes pour condamner cet homme.

– Certes, elles le sont, en effet, je le reconnais volontiers... Mais ceux qui connaissaient bien le docteur Norsten ont été unanimes à le déclarer incapable d’un acte de cette sorte. M. Charlier, tout particulièrement, a porté sur ce point un témoignage fort énergique...

Jeanne, qui écoutait cette conversation en battant le tapis d’un pied nerveux, interrompit avec quelque impatience :

– Oui, mon beau-père n’a cessé de le tenir pour innocent... Mais nous perdons notre temps en conversations oiseuses, et il nous reste tant à faire ! Vite, à la répétition !

2

Un peu avant midi, M me Barnett quitta l’hôtel Chalier et monta dans le fiacre qui l’attendait. Pendant le trajet de l’avenue de Messine à sa demeure, elle parut absorbée en des pensées probablement fort graves, car un pli profond se formait sur son front blanc et uni... En entrant dans le vestibule de son appartement, elle demanda à la femme de chambre qui lui ouvrait la porte :

– Monsieur est-il rentré ?

– Oui, madame, mais il est reparti en disant qu’on ne l’attende pas pour commencer à déjeuner, car il sera peut-être en retard.

En réprimant un mouvement de contrariété, M me Barnett ordonna :

– Et bien ! servez dans un quart d’heure.

Quand elle eut quitté ses vêtements de sortie, elle gagna le petit salon, pièce élégante, garnie d’assez beaux meubles, de draperies soyeuses, de bibelots nombreux, dont quelques-uns d’assez grand prix... Assise dans un fauteuil bas, Dinah tenait à la main un livre qu’elle ne lisait pas. À l’entrée de sa belle-mère, elle leva languissamment la tête, montrant un visage amaigri, d’une blancheur top diaphane, des yeux tristes sous lesquels se dessinait un cerne bleuâtre. M me Barnett s’approcha d’elle et mit un baiser sur son front.

– Ton père n’est pas encore rentré, paraît-il, chérie ?

– Non, pas encore, maman... Il a été obligé de sortir à nouveau pour une affaire, m’a-t-il dit... Votre répétition s’est bien passée ?

– Pas trop mal, quoique, parmi ces amateurs, certains soient à peine passables... M me Charlier en particulier, ne vaut rien dans son rôle. La pièce est d’ailleurs mal faite et n’a aucune valeur littéraire.

– Alors, ce sera un four ?

M me Barnett laissa échapper un petit rire d’ironie.

– Bah ! Les hôtes de M me Charlier l’applaudiront comme si elle était un chef-d’œuvre ! C’est tout ce qu’il faut pour satisfaire les prétentions de cette jeune femme, vaine et peu intelligente au fond... Allons, ma petite Dinah, viens déjeuner, car nous ne savons à quelle heure ton père rentrera.

Dinah se leva, du même air languissant, et suivi sa belle-mère à la salle à manger. Elle mangeait à peine, en dépit des tendres objurgations de M me Barnett, et n’accordait à la conversation de celle-ci qu’une attention polie, mais quelque peu distraite. On la sentait indifférente à tout, lassée de corps et d’âme. Et un vague sourire apparut à peine au coin de ses lèvres pâles quand son père, arrivant au milieu du repas, posa près d’elle un énorme bouquet de violettes de Parme, sa fleur préférée.

Tout en déjeunant à son tour, Nathaniel Barnett parla de choses et d’autres, interrogea sa femme sur la répétition à l’hôtel Charlier... Parfois, il jetait un coup d’œil soucieux vers Dinah, qui restait silencieuse et distraite. Quand il se leva de table, il caressa la joue pâle en demandant :

– Et bien ! vas-tu sortir aujourd’hui, petite ?

Elle secoua négativement la tête.

– Cela ne me dit rien du tout, papa.

– Au moins, iras-tu ce soir chez M me Charlier ?

Dinah étouffa un soupir d’ennui.

– Oui, puisque ma mère le désire beaucoup.

– Parce que je veux te distraire, mignonne, dit Louisa Barnett en se penchant pour embrasser la jeune fille. Il n’est pas bon de t’absorber ainsi en tes pensées, de faire la petite sauvage... Bien au contraire, fais ton possible pour oublier celui que tu ne dois plus maintenant que détester... celui dont tu dois chercher à tirer vengeance.

Un peu de rougeur monta au teint diaphane ; les yeux bleus s’assombrirent, puis se cachèrent sous les longs cils pâles, tandis qu’une voix frémissante répliquait :

– Je ne l’oublierai jamais... Et je ne songe pas du tout à me venger, car il n’a eu aucun tort... Il a toujours été correct. C’est moi qui cherchais à... me faire aimer...

M me Barnett leva légèrement les épaules, en glissant vers sa belle-fille un regard de pitié un peu méprisante.

– Pauvre petite, qui défend celui par qui elle souffre !... J’ai trop d’expérience de la vie, ma chère enfant, pour croire que M. de Faligny n’ait pas cherché à profiter de la situation. Naïvement, tu lui laissais voir ton amour... et lui, habile, roué comme tous ses pareils, a su agir de telle sorte que, seule, tu semblais faire les avances. Puis, quand il a jugé que ton cœur s’était donné complètement à lui, il l’a brisé, tout simplement – pour son plaisir.

La jeune fille se redressa, très pâle maintenant, les lèvres crispées, le regard brillant de souffrance et de colère.

– Non, non, je ne crois pas cela !... Je ne veux pas le croire !

– Non, tu ne le « veux » pas, pauvre petite !... mais, au fond, tu sens bien que je dis la vérité... Ah ! combien je regrette d’avoir permis ces séances de pose !... C’est que je croyais ce M. de Faligny homme d’honneur, incapable de s’amuser avec l’amour d’une honnête jeune fille. Hélas ! je déplore de m’être si amèrement trompée !

Barnett dit d’un ton bref :

– Peut-être y aura-t-il moyen d’arranger cela, un peu plus tard. Je n’entends pas, moi, que ce beau monsieur fasse pleurer ma fille... Allons, ne te désole pas, enfant ; tout n’est pas perdu, va.

Sa voix s’était subitement adoucie, comme son regard. Il se pencha pour embrasser Dinah, puis quitta la salle à manger.

Deux minutes plus tard, Louisa le rejoignait dans son cabinet, où il s’occupait d’allumer un cigare.

– J’ai de très importantes choses à te communiquer, Nat, annonça-t-elle, après avoir soigneusement fermé la porte capitonnée.

– Ah !... Des choses que tu as apprises chez les Charlier ?

– Oui... Je te disais bien qu’il fallait avoir une sérieuse entrée dans cette maison, pour savoir quelque chose en cas de réapparition... Mais « lui », en tout cas, ne reviendra plus, si j’en crois quelques mots dits par M me Charlier. Sa fille serait orpheline et arriverait de la Nouvelle-Guinée pour demander la protection de M. Charlier.

Barnett avait tressailli et ses yeux froids s’animaient tout à coup.

– Mort ?... Il serait mort ?

Sa voix avait un accent de triomphe, de joie cruelle.

– ... Ah ! je t’ai véritablement vaincu, Valdemar ! Tu es mort en exil, forçat évadé !... tandis que, moi, je suis libre et je reste le maître de la situation... une situation qui peut devenir fort belle, si nous savons manœuvrer habilement.

– Comment l’entends-tu ? demanda Louisa, en s’asseyant près du bureau de son mari.

Nathaniel lui jeta un coup d’œil aigu... Après une légère hésitation, il répondit, en baissant la voix jusqu’au murmure :

– Au cas où ta fille viendrait à mourir, tu hériterais de sa fortune...

M me Barnett eut un léger sursaut et son visage frémit un peu, tandis qu’elle répliquait d’une voix plus basse encore :

– Tu ne songerais pas à... à...

Barnett s’assit devant le bureau, sur lequel il appuya ses coudes, et plongea son regard froid, résolu, dans celui de Louisa, un peu troublé.

– Je n’ai encore, naturellement, aucune idée précise, aucun plan à ce sujet... Mais j’imagine que tu ne ferais pas de sentimentalité au sujet de cette jeune personne, à laquelle Valdemar a dû inculquer la haine, le mépris de sa mère, et qui se détournerait d’elle avec horreur, si elle se rencontrait avec elle.

Louisa serra nerveusement les lèvres, tandis qu’un peu de sang montait à son visage.

– Oui, je sais bien qu’elle doit me détester, dit-elle d’une voix un peu rauque. Et moi, je ne la connais pas... Je ne puis avoir aucune affection pour elle... Je ne puis que la détester aussi, elle qui, tout enfant, était déjà une image de son père, et qu’il a dû former à sa ressemblance morale.

Une lueur de haine passait dans les yeux bleus... Pendant un instant, M me Barnett demeura silencieuse, le front plissé, le visage frémissant. Barnett, d’une main lente, caressait la barbe blonde qui tombait sur son gilet... Enfin, Louisa reprit :

– Elle doit arriver, accompagnée de Katarina et d’un ancien marin provençal... Mais il n’a pas été question d’Ole.

– Ah ! ah !... Peut-être est-il mort ?... Ce serait excellent pour nous, car cet homme-là était intelligent, habile, dévoué... Mais ce marin, qu’est-ce que cela ?

– J’ai comme un vague souvenir d’un jeune pêcheur qui, au cours du procès, fut interrogé comme ayant de fréquents rapports avec les habitants de la Sarrasine et passant pour être dévoué à Norsten, qui l’avait guéri d’une maladie noire... D’autre part, Elfrida, Ole et Katarina disparurent mystérieusement. Peut-être furent-ils aidés par cet homme, qui les aura ensuite rejoints ?

– Oui, c’est chose plausible... Il faudra surveiller cet individu, qui peut être fort gênant... puis tâcher de nous assurer si Ole est vivant ou non... Que sais-tu encore ?

– Eh bien ! j’ai appris que Raymond de Faligny était de retour.

Les yeux clairs de Barnett s’animèrent légèrement.

– Il est à Paris ?

– Non, en Provence... Il est arrivé de la Nouvelle-Guinée avec son ami Martellier, après avoir, paraît-il, échappé à de grands dangers. Faits prisonniers par la peuplade dont ils allaient explorer le pays, – peuplade qui avait pour roi un homme blanc, – ils se sont enfuis après la mort de celui-ci, car ils ne se jugeaient plus en sûreté... Ils se sont enfuis – écoute bien ceci, Nat – avec d’autres Européens depuis plus longtemps qu’eux dans le pays. Et parmi les Européens se trouvaient deux femmes... Or, Elfrida, en compagnie de Katarina et de ce marin, arrive de la Nouvelle-Guinée, où vraisemblablement est mort son père – qui fut peut-être le souverain blanc en question.

– Ah ! mais !... ah ! mais !

Barnett se redressait en attachant sur sa femme un regard où l’intérêt se faisait plus vif encore.

– ... C’est que tu pourrais avoir raison !... Ils arrivent tous au même moment... Eh ! il faudra absolument nous enseigner à ce sujet, ma chère !... Par Martellier, tu le pourrais. Il a été reçu chez nous. Invite-le encore sous un prétexte quelconque.

– Il vient de partir pour la Normandie. Mais je m’arrangerai pour savoir quand il sera de retour.

– Oui... et Faligny également... Plus que jamais, maintenant, il faut avoir à l’œil celui-ci. Non seulement je « veux » qu’il épouse ma fille, mais encore je mettrai tout en œuvre pour que, si tu as deviné juste, il n’ait plus aucun rapport avec Elfrida... Car cela pourrait devenir dangereux, comprends-tu ? Valdemar, au cours de son procès, a toujours soutenu qu’il était victime d’une machination que sa femme avait imaginée par vengeance. Il n’a jamais parlé de son cousin Frund... mais très probablement, dès ce moment-là, il a dû soupçonner que celui-ci avait échappé à la mort. Aussi nous est-il permis de supposer que, s’il en avait eu la possibilité, il aurait fait faire des recherches dans ce sens, pour arriver à se réhabiliter. Or, avant de mourir, n’a-t-il pu instruire de ses soupçons soit sa fille, soit quelqu’un de ses compagnons ?... N’a-t-il pu – si réellement il s’est rencontré avec Raymond de Faligny – lui révéler ce qui s’est passé entre lui, sa femme et Frund, pour s’innocenter à ses yeux ?... Et s’il a réussi à convaincre le frère de sa victime, vois-tu que ce Faligny, énergique, entreprenant, fort intelligent, dit-on, – il en a d’ailleurs bien l’air, – vois-tu qu’il imagine, pour réparer le tort involontaire fait par lui à Norsten, de rechercher le véritable coupable ?

Louisa tressaillit d’inquiétude.

– Ah ! mais... ce sont, en effet, des choses à envisager !... de dangereuses choses !

– D’autant plus dangereuses que M. de Faligny me connaît et qu’il a pu remarquer certaine ressemblance avec Valdemar.

– Oui. Mais enfin, tu as un état civil bien en règle au nom de Nathaniel Barnett. Les ressemblances, après tout, signifient peu de chose... D’ailleurs, des gens qui t’ont connu dans ta jeunesse ne t’ont pas reconnu, avec cette barbe que tu n’avais pas autrefois et ce léger grimage qui change ta physionomie.

Barnett secoua la tête.

– Je me méfie du coup d’œil de ce jeune homme... Puis, il y a Dinah... Tu m’as dit qu’elle avait les traits d’Elfrida enfant...

– C’est vrai. Mais M. de Faligny n’a peut-être pas gardé le souvenir de cette petite fille.

– Et s’il l’a revue, d’après notre présente hypothèse ?... s’il a découvert une ressemblance entre elle et Dinah ?... Puis, encore, s’il arrive à savoir – ce qui ne lui sera pas difficile – que tu es Loïsa d’Argelles, la femme de Norsten ?

– Eh bien ! qu’importe ?... Je suis légalement mariée aux États-Unis avec un citoyen de ce pays, et non avec Frund Erlich, dont personne n’a plus entendu parler depuis près de douze ans.

– Légalement mariée ?... Non, puisque cette union a été contractée alors que Valdemar vivait encore. Ainsi donc, tu peux être condamnée pour bigamie, ma chère amie... Certaines autres petites choses paraîtraient suspectes à un œil clairvoyant... C’est pourquoi...

Ici, Barnett fit une courte pause. Sa mâchoire eut une contraction qui, pendant quelques secondes, donna à l’impassible physionomie une expression d’étrange férocité.

– ... C’est pourquoi, ou bien Faligny deviendra mon gendre et, en ce cas, personne plus que lui n’aura souci de mon honorabilité, du bon renom de la famille... ou bien, si je soupçonne en lui le moindre danger pour nous, tout prix je l’écarterai de notre route.

M me Barnett approuva de la tête.

Nathaniel se leva, fit quelques pas et revint à sa femme.

– Il faudra que tu saches quand Elfrida sera là.

– Je le saurai. M me Charlier s’est entichée de moi ; aussi aurai-je désormais près d’elle mes grandes et petites entrées... J’ai cru, en outre, comprendre qu’elle était peu charmée d’avoir pour hôte Elfrida Norsten, la fille du forçat.

Barnett eut une grimace sarcastique.

– Ah ! bon !... Peut-être pourra-t-on utiliser ce sentiment-là... Nous verrons sur quelle voie il faut nous engager, le moment venu. En attendant, renseignons-nous le mieux possible. Tâche de te tenir au courant des faits et gestes, non seulement d’Elfrida et de ses serviteurs, mais plus encore de ceux de Faligny. M me Charlier pourra sans doute t’être encore utile de ce côté, car je crois qu’elle est un peu sa cousine ?

– Oui... et l’on m’a dit qu’elle en avait été fort amoureuse. Mais, en dépit de toutes ses avances, le jeune homme est demeuré insensible. Alors, elle s’est décidée à épouser Marcel Charlier qui, si je ne me trompe, ne sera pas des plus heureux avec cette femme vaniteuse, autoritaire, et certainement toujours éprise du beau Faligny.

– En ce cas, elle cherchera certainement à attirer celui-ci... et c’est alors que tu devras mettre en œuvre toute ton habileté pour connaître ce qui est nécessaire à notre défense... et à une offensive éventuelle.

– Compte sur moi. En flattant l’amour-propre de M me Charlier et ses prétentions littéraires, j’aurai sur elle l’influence nécessaire.

– Bien. Nous voici prévenus d’un danger possible, occupons-nous d’y faire face, mais ne nous en tourmentons pas à l’avance... car, après tout, nous discutons encore sur des hypothèses. Les Européens qui se sont enfuis avec Faligny et Martellier peuvent fort bien ne pas être Elfrida et ses compagnons... ou bien, s’il en est ainsi, nous pouvons encore supposer que Faligny n’a pas été mis au courant par Norsten, ou qu’il n’a pas cru au récit de celui-ci, car nous savons qu’il le détestait... Bref, pas d’inquiétudes anticipées, Louisa, mais de la méfiance, des investigations discrètes, une grande prudence... Et, si nous découvrons un péril sérieux, la résolution de ne reculer devant rien... devant rien.

Il accentua la répétition avec ce même mouvement de mâchoires si caractéristique chez lui.

Louisa se leva d’un mouvement souple. À peine sa physionomie avait-elle eu un léger frémissement... Elle dit, avec un accent de passion concentrée :

– Oui, ce ne serait pas la peine d’avoir tant fait... tant risqué, pour échouer maintenant... pour ne pas réaliser notre rêve ! D’ailleurs, Dinah mourra si elle n’épouse pas M. de Faligny.

Barnett serra brusquement les poings et une lueur sinistre s’alluma dans son regard.

– Je le tuerai, alors !... je le tuerai !... mais non, je le forcerai bien à l’épouser !... Car je veux qu’elle vive, ma petite Dinah !

Pendant quelques secondes, le regard où brillait la flamme du meurtre s’adoucit, devint presque tendre.

– ... Je veux qu’elle soit heureuse près de celui qu’elle aime. Pour cela, je marcherai sur tous les obstacles... je foulerai aux pieds ceux ou celles qui menaceraient son bonheur... Et je la ferai riche... la plus riche possible, par tous les moyens.

De nouveau, la lueur sinistre reparaissait dans les yeux froids... Louisa n’en parut pas troublée. Elle dit avec calme :

– Nous y travaillerons tous deux. Puisque Valdemar m’a pris ma fille, corps et âme, je ne reconnais plus pour mienne Elfrida Norsten. Ma seule enfant est Dinah... et, moi aussi, je veux qu’elle devienne comtesse de Faligny.