Espion, es-tu là ? - Didier Stein - E-Book

Espion, es-tu là ? E-Book

Didier Stein

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Beschreibung

Faites confiance à Alain Goldman, Maître Espion calamiteux… et réfugiez-vous dans l’abri le plus proche !

De Paris à Bamako, un espion improbable, une Ukrainienne naïve, un gendarme dépassé et une Malienne sculpturale, sans compter un cadavre baladeur, nous entraînent dans une sarabande déjantée.
Nous y découvrons au passage ces Nouveaux Agents qui sont aux « Double Zéro » d’hier ce que la Kalachnikov est aux tromblons siciliens…

Et que le Ciel nous en protège !

Un roman d'action qui met en scène un espion maladroit, pour notre plus grand plaisir !

EXTRAIT

Comment repérer un présumé malfaisant ? Ils courent si vite que même si le Che surgissait de la cuisine, coiffé de son légendaire béret noir et tenant une grenade dans chaque main, il aurait parcouru la moitié de la salle avant que j’aie fini de le reconnaître, sans parler de l’arrêter…
Je repère tout de même un Noir qui est passé plusieurs fois devant moi, mais il n’a pas vraiment l’air suspect ; sans doute son père est-il postier en Guadeloupe. Je décide en tout cas de lui accorder le bénéfice du doute.
Je transpire grave. Chaque fois que les portes du va-et-vient s’ouvrent, une bouffée de chaleur torride s’échappe de l’enfer culinaire tout proche et menace de me calciner les sourcils, aussitôt dissipée il est vrai par le souffle d’air froid que dispense le climatiseur au-dessus de ma tête.
Les verres de mes lunettes commencent à s’embuer, je n’y vois plus grand-chose. Je décide donc de les retirer et de les exposer quelques secondes à ce flux d’air froid, un mètre au-dessus de ma tête.
C’est la plus mauvaise idée de l’année, voire même du siècle !
À peine ai-je enlevé mes lunettes et ai-je levé le bras pour réaliser mon projet que le monde explose autour de moi.
C’est Apocalypse Now, place de l’Alma !
Se produit en effet simultanément une multitude d’événements que j’entreprends de vous énumérer, dans le désordre.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Un roman d'espionnage léger et avec des touches d'humour appréciables. - Blog Les Perles de Kerry

À PROPOS DE L'AUTEUR

Ancien journaliste, puis cadre dirigeant de la FNAC, Didier Stein a appartenu aux Services de Renseignement, dont il suit de près l’évolution.

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Didier STEIN

ESPION,

ES-TU LÀ ?

Faites confiance à Alain Goldman, Maître Espion calamiteux… 

et réfugiez-vous dans l’abri le plus proche !

Cet ouvrage a été composé par les Éditions Encre Rouge

7, rue du 11 novembre – 66680 Canohes

Mail : [email protected]

ISBN papier : 979-10-96004-36-2

ISBN numérique :979-10-96004-37-9

PREMIÈRE PARTIE

Prologue

Par cette belle soirée d’automne, je parcours d’un œil dubitatif la carte affichée à l’extérieur de Brasserie Francis, place de l’Alma, dont le rapport qualité-prix est discutable, mais où, depuis la terrasse, on jouit d’une vue sublime sur la Tour Eiffel.

Il est 19 h et je suis habillé comme il me semble convenable de l’être pour une soirée musicale de qualité au Théâtre des Champs Élysées voisin : complet sombre, cravate. Un i-pod dans ma poche me dispense, via une oreillette, le premier mouvement du Quintet en ut majeur de Schubert. C’est la dernière œuvre du compositeur, mort prématurément à trente-deux ans, et le deuxième violoncelle ajoute encore plus de profondeur au superbe discours harmonique.

Distrait par la musique, je ne prête pas spécialement attention à l’homme qui, près de moi, consulte aussi la carte, bien que par courtoisie j’aie fait un pas de côté pour lui laisser de la place.

Mais lorsqu’un deuxième individu s’approche à son tour, je ne peux pas manquer d’observer que tous deux sont vêtus comme moi d’un complet et d’une cravate, portent aussi des lunettes légèrement teintées (mais moi, c’est pour corriger ma myopie, pas pour frimer), et qu’ils sont également munis d’oreillettes. Le deuxième tient en outre à la main un petit émetteur-radio.

Il a l’air stressé. Ses yeux pivotent sans cesse d’un côté à l’autre.

Au moment où je m’apprête à me diriger vers une table libre en terrasse, il me regarde et me demande de but en blanc, d’un ton sec :

- Et toi, tu es qui ?

Surpris, je me tourne vers lui, et tandis que je cherche une façon polie mais froide de lui demander à mon tour qui donc il est lui-même, il me devance et répond à sa propre question.

- C’est l’Agence qui t’envoie, je suppose. Voilà à quoi on en est réduit, ajoute-t-il avec amertume. Les Voyages Officiels obligés d’embaucher des agents privés pour remplir les missions les plus simples. Quelle honte !

Il lève les yeux au ciel, me regarde à nouveau, comme si j’étais quelque chose que le chat aurait laissé sur le tapis du salon et dont le chien n’aurait pas voulu, exhale un profond soupir, puis reprend :

- Bon. Tu t’appelles comment ?

Je m’apprête à lui répondre quelque chose comme : « Excusez-moi si je vous demande pardon, mais il y a erreur sur la personne, je ne suis pas qui vous croyez », seulement voilà : sa tête ne me revient pas, ni le ton sur lequel il s’adresse à moi, et soudain, le démon cornu qui m’habite et qui parfois, sans crier gare, prend les commandes de la bête, me fait Dieu sait pourquoi répondre du tac-au-tac :

- Robocop.

Son regard noircit encore, si c’est possible.

- Ah, dit-il, très drôle ! Un petit malin. Manquait plus que ça !

Il s’interrompt pour écouter un message que je n’entends pas, sursaute, et passe aussitôt de l’état de stress endémique à celui d’extrême agitation.

- D’ailleurs, on s’en fout de ton nom, crache-t-il. Le Président et ses invités ont décidé de venir à pied, ils arrivent dans quatre minutes, et on a tout juste le temps de se mettre en place. Pour cette opé, tu seras Charlie 2. Moi, je suis Alpha 1…

(Ça, je m’en serais douté…)

- Tiens-toi à carreau, et fais ce qu’on te dit, ajoute-t-il. OK ?

- OK, Chef, je réponds, mais je fais quoi, au juste ?

Il lève une fois encore les yeux au ciel :

- Et les briefings, ça sert à quoi ? Tu te postes à la sortie des cuisines, et tu interceptes tous les mecs bronzés ou barbus déguisés en serveurs que tu vois passer. OK ?

- OK, Chef ! Heu… Et j’en fais quoi ?

Il devient cramoisi et je redoute un instant qu’il n’explose, ou qu’il n’implose, au choix, mais il se contrôle finalement, et se contente de m’exprimer son mépris avant de s’éloigner.

- Un nul comme toi ? Tu te contentes de les repousser en cuisine, où Delta 2 et Delta 3 s’en occuperont. Bien reçu ?

- Oui, Chef. Reçu cinq sur cinq !

J’ai pas mal bourlingué, à gauche et à droite, et je n’ignore pas que Voyages Officiels est le surnom du service spécial qui assure la sécurité du Président lorsqu’il sort de son cocon élyséen. Sans doute lassé des dorures de l’Élysée, celui-ci a dû décider ce soir de venir dîner ici avant de se rendre au même concert que moi (mais sûrement mieux placé, et à l’œil).

Comment vais-je me sortir à présent du pétrin dans lequel je me suis fourré ?

J’envisage d’abord de chercher mon salut dans la fuite. Objection, Votre Honneur ! Ça grouille de complets-oreillettes. Il y en a un derrière chaque réverbère, et sans doute aussi perchés sur les arbres, munis ceux-là de fusils à lunettes ; l’entrée du métro, située à deux pas, est férocement gardée, et quant à Alpha 1, il rôde en tous sens, l’œil suspicieux.

Je décide donc, faute d’une meilleure option, de rejoindre le poste qui m’a été assigné, et d’attendre le bon moment pour prendre mes jambes à mon cou.

Me voici donc planté auprès de la console de service, au débouché des portes battantes qui relient la cuisine à la salle du restaurant, plaqué au mur pour ne pas me faire remarquer et pour ne pas gêner le service.

Le Président fait son entrée, souriant au passage aux clients surpris et flattés de l’honneur qui leur est fait. Il prend place à une table intérieure (sécurité oblige), mais dotée d’une belle vue quand même. L’accompagne une brochette de convives, dont j’ai déjà vu la plupart des visages au Journal de 20 heures. Tous rivalisent de verve, dans une bonne humeur générale, et le service commence aussitôt.

Devant moi défilent à pas de course un nombre incalculable de serveurs et de serveuses. J’ai à peine le temps de distinguer leur sexe, ne parlons même pas de leur visage. Je me demande d’ailleurs s’il faut aussi surveiller les femmes, Alpha 1 ne m’a rien dit à ce sujet.

Comment repérer un présumé malfaisant ? Ils courent si vite que même si le Che surgissait de la cuisine, coiffé de son légendaire béret noir et tenant une grenade dans chaque main, il aurait parcouru la moitié de la salle avant que j’aie fini de le reconnaître, sans parler de l’arrêter…

Je repère tout de même un Noir qui est passé plusieurs fois devant moi, mais il n’a pas vraiment l’air suspect ; sans doute son père est-il postier en Guadeloupe. Je décide en tout cas de lui accorder le bénéfice du doute.

Je transpire grave. Chaque fois que les portes du va-et-vient s’ouvrent, une bouffée de chaleur torride s’échappe de l’enfer culinaire tout proche et menace de me calciner les sourcils, aussitôt dissipée il est vrai par le souffle d’air froid que dispense le climatiseur au-dessus de ma tête.

Les verres de mes lunettes commencent à s’embuer, je n’y vois plus grand-chose. Je décide donc de les retirer et de les exposer quelques secondes à ce flux d’air froid, un mètre au-dessus de ma tête.

C’est la plus mauvaise idée de l’année, voire même du siècle !

À peine ai-je enlevé mes lunettes et ai-je levé le bras pour réaliser mon projet que le monde explose autour de moi.

C’est Apocalypse Now, place de l’Alma !

Se produit en effet simultanément une multitude d’événements que j’entreprends de vous énumérer, dans le désordre.

Des coups de sifflet retentissent (notons au passage qu’il est rassurant de constater qu’à l’heure des drones, le bon vieux sifflet de l’agent de police est toujours opérationnel).

Dans le restaurant, une demi-douzaine de complets-oreillettes se précipite vers la table présidentielle, ainsi que plusieurs soi-disant dîneurs. L’un de ces derniers, grimpe même sur sa table, armé d’un fusil d’assaut géant (où diable le cachait-il ?). By Jove ! Je n’en crois pas mes yeux : un fusil mitrailleur dans un restaurant bondé… J’en frémis rien que d’y penser.

Les agents ont atteint la table, qu’ils entourent d’une muraille humaine.

J’ai juste le temps de voir le Président lever brusquement la tête, ce qui a pour effet de déplacer ses lunettes le long de son nez et de lui donner un air encore un peu plus égaré que de coutume..

- Abritez-vous ! Abritez-vous ! crient les agents.

Il disparaît de ma vue, de même que ses invités, sans doute pour se réfugier dans le seul abri disponible en l’occurrence, c’est-à-dire sous la table.

Dehors, on n’est pas en reste. Fourgons et voitures de police vomissent des troupeaux d’uniformes armés jusqu’aux dents qui convergent en courant vers le restaurant.

Malgré le tohu-bohu général, ALPHA 1 reprend tant bien que mal le contrôle de la situation et crie d’une voix de stentor :

- Halte au feu ! Halte au feu !

Pas un coup de feu n’a été tiré, certes, mais je ne le blâme pas, car mieux vaut prévenir que guérir, non ?

Peu à peu, le calme revient.

Les agents entassés autour de la table présidentielle se redressent, l’air quelque peu hébété. Il en va de même du Président, qui rampe hors de son abri (c’était bien la table), ainsi que de ses compagnons. J’observe que certains d’entre eux semblent carrément penauds. Se pourrait-il qu’en raison de l’espace exigu offert par l’abri en question, il s’y soit produit quelques peu glorieuses bousculades pour s’emparer des meilleures places ?

Ça sent le remaniement ministériel…

L’homme-tourelle de char, toujours debout sur sa table, son fusil-mitrailleur à la main, semble traverser un grand moment de solitude, là-haut, et appréhender la suite des événements.

Il n’a pas tort, car c’est vers lui qu’Alpha 1 dirige d’emblée ses foudres.

- Que s’est-il passé, nom de Dieu ? lui demande-t-il.

- Le signal, Chef, le signal ! balbutie l’homme-canon avant de pointer un index accusateur, ce misérable, vers votre serviteur.

Et moi, pendant ce temps ?

Toujours à mon poste, je suis pétrifié de stupeur et, disons-le, de terreur, le bras en l’air, mes lunettes à la main, tandis qu’Alpha 1 me fixe avec un regard de gorgone.

Il règne à présent dans la salle un silence sépulcral tandis que, sous les regards accusateurs de cent personnes, et non des moindres, il me demande d’un ton glacial :

- Et pourquoi as-tu fait le signal, crétin ?

Je bredouille sans conviction :

- Euh… Le signal ?... Quel signal ?... Je voulais juste désembuer mes lunettes…

Le visage d’Alpha 1 passe du cramoisi au rubis intense, tel un lingot de fer sortant des hauts fourneaux de Florange, jadis.

- Tu es viré, et on en reparlera, me siffle-t-il (ce qui soit dit en passant est une proposition contradictoire dans ses termes), avant de se retourner vers mes futurs ex-collègues pour leur enjoindre de regagner leur poste.

Mais déjà, le Président et sa Cour se sont levés et se dirigent vers la sortie.

Alpha 1, occupé à mettre en place le nouveau dispositif d’accompagnement du cortège et de sécurisation du théâtre, détourne de moi son attention.

Je saisis l’occasion au vol.

Vite, j’enlève ma veste que je mets sur mon bras, ainsi que ma cravate, j’arrache mon oreillette, et je file comme un dard vers les cuisines.

Là, un panneau SORTIE DE SECOURS m’entraîne dans un couloir sombre et passablement nauséabond, aux parois tapissées de poubelles. Une seconde porte me fait déboucher avenue George V, à l’opposé du cortège officiel qui remonte l’avenue Montaigne ; je me dirige aussi vite que mes jambes veulent bien me porter (mais sans courir, par un reste de bon sens) vers le Pont de l’Alma, que je traverse.

Joie ! Extase ! Épectase ! Je suis sauvé.

Je remets mon veston, je jette à regret mon billet de concert dans la première corbeille venue, et j’entreprends tristement de rentrer chez moi, rue de la Convention.

En chemin, je veux reprendre l’écoute de mon Quintet de Schubert.

Damned !  Plus d’i-pod, j’ai dû le jeter avec l’oreillette…

La Tour Eiffel se met alors à scintiller de ses trois mille ampoules, comme pour me narguer.

C’est vraiment une très mauvaise soirée.

Le lendemain matin, cependant, en guise de consolation peut-être, je lis dans Le Parisien le récit de mes exploits :

TENTATIVE D’AGRESSION CONTRE LE PRÉSIDENT.

Lors d’une soirée privée dans une brasserie connue de la capitale, un inconnu manifestement animé d’intentions hostiles a tenté d’agresser le Président Hollande.

Par bonheur, tant l’intervention immédiate et efficace du Service de Sécurité que le sang-froid dont a fait preuve le Président n’ont pas permis au terroriste présumé de s’en approcher suffisamment pour perpétrer son forfait.

Profitant de la brève confusion générée par l’incident, l’individu, un homme de type caucasien, cheveux châtain courts, âgé d’une trentaine d’années, de taille et corpulence moyennes, a malheureusement réussi à prendre la fuite.

Il est activement recherché.

Je ricane. Avec un signalement aussi vague, ils ne risquent pas de me retrouver, à moins que je ne tombe nez à nez avec Alpha 1 dans la rue ou dans le métro !

Chapitre 1

Trois jours plus tard, vers 19 heures, on sonne à ma porte.

J’ouvre, sans pressentiment particulier, et je me trouve face à face avec Alpha 1, accompagné de deux gendarmes.

Avec un bel ensemble, tous mes organes vitaux supérieurs dégringolent dans mon bas-ventre.

Il exhibe une carte barrée de bleu blanc rouge.

- Commandant Rousseau, Gendarmerie Nationale. Monsieur Alain Goldman, alias Robocop, je présume ?

Si les gendarmes commencent à faire de l’humour, où va le monde, je vous le demande ? Je pressens, de toute façon, que mon monde à moi est en train de prendre un tournant désastreux.

Dans une telle situation, le héros d’une Série Noire américaine trouverait sûrement quelque chose de cool et de spirituel à répondre, mais moi, je ne parviens qu’à mobiliser mon ultime goutte de salive pour bredouiller piteusement :

- Heu… Oui…

- Veuillez nous suivre !

Il ajoute, voyant ma perplexité :

- Venez comme vous êtes, il ne s’agit pour l’instant que d’une simple déposition.

Je devrais être rassuré : pas de menottes, donc pas d’arrestation. Je ne le suis pas pour autant, car il y a dans la formulation un « pour l’instant » lourd de menace.

Rousseau attend dans le vestibule tandis que, accompagné par l’un des deux gendarmes, je ferme la fenêtre du séjour, j’éteins la télé, je prends mes cigarettes et mon briquet, et j’enfile mon veston.

Quelques minutes plus tard, nous roulons dans une Peugeot banalisée en direction des Invalides, puis nous traversons le pont Alexandre III. Rousseau occupe le siège du passager avant, je suis coincé (au propre et au figuré) entre les deux uniformes. Il ne ressemble pas à votre gendarme habituel, à moustache et godillots : c’est un homme grand et mince, d’aspect plutôt distingué, avec de fines lunettes cerclées d’or, et seule sa coupe de cheveux en brosse ultra courte reflète sa profession.

À gauche, le Grand Palais, à droite, le Petit Palais, et droit devant… le Palais de l’Élysée.

Je reprends espoir. Peut-être le Président, dont le sens de l’humour est bien connu, veut-il simplement rencontrer l’hurluberlu qui a semé la panique dans le restaurant où il dînait ce soir-là ?

- Où va-t-on ? je demande.

Rousseau ricane.

- Là où vous croyez, mais pas pour rencontrer qui vous croyez…

Ah bon. Autant pour mon espoir d’une entrevue conviviale avec le Président, un verre de Scotch à la main.

Avenue de Marigny, Place Beauveau, rue Saint-Honoré, et première à droite dans la rue de l’Élysée la bien nommée.

Un planton nous ouvre la grille d’une poterne donnant sur la cour arrière de l’auguste Palais.

Nous descendons de voiture et nous pénétrons dans la grande demeure par une porte latérale. Un couloir banal, un escalier vers les sous-sols (ou les culs-de-basse-fosse), puis un autre couloir particulièrement glauque.

J’ai le temps de penser que j’aurais dû profiter d’une Journée du Patrimoine pour visiter l’Élysée en passant par la Cour d’Honneur, plutôt que de m’y voir introduit ainsi, tel un vulgaire malfaiteur « fait aux pattes » par la police…

Notre caravane s’arrête devant une porte anonyme, et nous pénétrons dans une pièce passablement sinistre. Pas de fenêtre, bien sûr, mais un plafonnier grillagé éclairant des murs couleur pisse d’âne, un bureau hideux avec fauteuil assorti, tous deux vieux comme la République (pas celle d’aujourd’hui, ni celle d’avant, la troisième !), et deux chaises banales.

Derrière le bureau, un homme entre deux âges, au visage en lame de couteau et au nez pointu évoquant irrésistiblement une belette, vêtu d’un complet gris qui, neuf, devait déjà avoir l’air froissé. À sa boutonnière, le ruban rouge du Mérite Civil que l’État accorde à ses fonctionnaires hors cadre et méritants (ou pas), en fin de carrière.

Rousseau et moi prenons place, les gendarmes ferment la porte derrière nous et demeurent à l’extérieur. L’homme belette reste impassible, Rousseau fait les introductions.

- Voici donc l’individu dont je t’ai parlé. Il ne nous a fallu que quelques heures, naturellement, pour l’identifier, mais on a préféré enquêter un peu pour voir de qui il s’agissait et s’il y avait une organisation derrière lui avant de l’arrêter. Ce n’est pas le cas, et il semble bien que cette andouille ait agi seul, sur une impulsion, ou pour s’amuser peut-être, va savoir !

Il se tourne vers moi.

- Eh oui, monsieur Robocop, vous n’imaginez pas tout ce que l’on peut découvrir à partir d’un i-pod jeté dans une poubelle, sans compter l’exploitation des images d’une caméra du restaurant surveillant l’accès aux cuisines.

Mon i-pod… Il me vient à l’esprit que peut-être ils vont me le rendre, mais il ne me paraît pas opportun de le demander, et je reste coi.

- Enfin bref… Nous savons tout sur vous (il montre du doigt un dossier pas très épais posé devant l’homme sans nom), et il n’apparaît pas que vous soyez affilié à une quelconque mouvance terroriste, ce qui motive votre présence ici plutôt que menotté dans un commissariat.

Il s’interrompt un instant, comme pour ménager ses effets. Je devrais me sentir soulagé, mais une petite voix me dit que je ne suis pas tiré d’affaire, loin de là.

Et en effet, Rousseau m’énumère alors avec délectation la liste des délits pour lesquels il pourrait m’arrêter sur le champ :

- Du trouble dans un lieu public à l’atteinte à la sécurité de l’État, en passant par l’usurpation de fonction, on a le choix sur une longue liste, et ça commencerait par une garde à vue de trente-six heures, voire plus si affinités…

Un silence pour que je mesure bien le poids du châtiment suspendu au-dessus de ma tête. Je le soupèse en effet, et je sens quelques gouttes de sueur perler à la naissance de mon cuir chevelu. J’essuie mes lunettes pour me donner une contenance. Je vois bien qu’il me fait à lui seul le coup du gentil flic et du méchant flic, mais ça ne me rassure toujours pas, et j’attends la suite avec la plus grande appréhension.

Elle ne tarde pas à venir.

- Heureusement pour vous, monsieur Goldman, mon bon ami ici présent, qui appartient aux Renseignements Généraux, s’est intéressé à votre cas et peut vous proposer une solution honorable, susceptible de vous éviter une mise en examen. Je lui cède donc la parole. À vous, monsieur… euh…

- Choisy, dit la Belette.

- Choisis-le donc toi-même, enfin quoi ! rétorque le gendarme sans réfléchir.

- Monsieur Choisy, précise l’interpellé.

Tiens donc ! Voilà un « bon ami » dont il ne semble pas connaître le nom. Bizarre… Mais il en faut plus pour déconcerter un Commandant de Gendarmerie dans l’exercice de ses fonctions, et Rousseau conclut avec autorité :

- Je disais donc que monsieur Choisy, ici présent, va vous proposer de lui rendre un petit service…

- Un « travail », interrompt Choisy.

-… un petit travail, en effet, ni illégal, ni dangereux, je précise, moyennant l’exécution duquel nous voulons bien passer l’éponge sur l’incident de l’Alma. Vous avez donc le choix : monsieur Choisy ou les agents qui attendent dans le couloir. Qu’en dites-vous ?

Entre un mal probable et une galère certaine, il n’y a pas photo. Je fais mon choix.

- Renvoyez les agents.

- Très bien, je vous laisse donc avec monsieur Choisy, mais n’oubliez pas qu’un simple mot de lui vous envoie illico au placard. Au plaisir de ne pas vous revoir, monsieur Goldman, ou peut-être de vous arrêter pour de bon, sait-on jamais.

Je n’ai pas le temps de m’interroger sur celle des deux perspectives qui lui ferait davantage plaisir, car sur ces mots, il se lève, serre la main de son « bon ami » Choisy, et sort sans me jeter un regard.

Nous voici donc face à face.

L’homme belette, et soi-disant monsieur Choisy, ouvre le dossier qu’il a devant lui, écarte plusieurs documents à l’en-tête du Ministère de l’Intérieur, quelques factures, un programme de télévision, un horaire SNCF de la banlieue Ouest, et se saisit enfin d’une enveloppe kraft dont il tire deux feuillets dactylographiés.

- Voyons cela… dit-il. Vous avez quarante ans, diplômé d’H.E.C., vous êtes divorcé… d’une Russe, ajoute-t-il en fronçant un sourcil réprobateur (je ne sais si pour l’avoir épousée, ou pour m’en être séparé), et vous êtes analyste financier, n’est-ce pas ?

Je rectifie un détail.

- Ukrainienne, monsieur, ma femme était ukrainienne, pas russe.

- Vous parlez donc l’ukrainien ?

- Non, monsieur. La plupart des Ukrainiens parlent russe, ce sont ceux du sud qui parlent ukrainien, mais je ne parle pas le russe non plus, car j’ai rencontré ma femme alors qu’elle faisait des études en France, et elle parlait déjà bien le français.

Il corrige la feuille avec minutie.

- Peu importe, reprend-il, ce qui nous intéresse en l’occurrence n’est pas votre talent linguistique mais votre compétence professionnelle.

Il consulte à nouveau ses feuillets et m’interroge.

- Monsieur Goldman, avant d’être analyste financier, vous vous occupiez de transactions boursières, n’est-ce pas ?

- Oui, en effet.

- La profession de trader est très lucrative, non ?

- Elle peut l’être, en effet.

- Et vous avez gagné beaucoup d’argent, me semble-t-il. Pourquoi avoir changé de situation ?

La réponse à sa question est complexe. Comment expliquer à un profane l’extrême tension nerveuse que génèrent les opérations en salle de marché, et le poids des responsabilités d’un trader qui, face à trois écrans d’ordinateur grouillant d’informations fugaces, manie du bout des doigts des centaines de milliers d’euros, de dollars, ou de yens, en sachant que chaque transaction peut avoir pour conséquence la ruine d’une personne ou d’une entreprise, et en cas d’erreur, votre propre réputation ?

Dans ce métier, il est d’ailleurs quelque chose de pire encore que de se tromper, et qui est de se transformer en trader fou, comme le malheureux Jérôme Kerviel, de faire perdre cinq milliards d’euros à son employeur, et de se retrouver en Correctionnelle, nu comme un ver...

J’aimerais bien pouvoir dire que j’ai été l’un des rares à voir arriver la crise des sub-primes et à en prévoir les conséquences. J’en avais la compétence et je disposais des informations nécessaires. Ce ne fut malheureusement pas le cas car, comme tous mes collègues, je pédalais la tête dans le guidon, et je ne prêtais attention qu’au bruit des pièces me tombant dans la poche au rythme de transactions toujours plus créatives, plus osées, plus lucratives… et plus néfastes.

Le ciel me tomba sur la tête quand je vis à la télé les employés londoniens de la banque Lehman Brothers sortir la tête basse de l’édifice du même nom, un carton d’affaires personnelles entre les bras...

Dans l’année qui suivit, je constatai que sournoisement, les mauvaises façons d’hier se manifestaient à nouveau dans les transactions d’aujourd’hui et je compris qu’inévitablement, les mêmes causes allaient provoquer un jour ou l’autre les mêmes effets. Je décidai alors de quitter le bateau avant qu’il ne sombre pour de bon, afin ne pas participer activement à l’organisation du naufrage, et d’éviter si possible d’en être une victime collatérale.

Je lui réponds donc en simplifiant à l’extrême :

- Je ne supportais plus le stress de la salle des marchés.

- Je vois. Je note aussi que la date de votre séparation conjugale coïncide peu ou prou avec celle de votre nouvelle orientation professionnelle. Y a-t-il un lien ?

L’homme est intelligent. Je prends note de ne jamais le sous-estimer.

- Écoutez, dis-je en pesant mes mots. On peut dire qu’à cette occasion, nous avons réalisé que malgré nos trois ans de vie commune, ma femme et moi n’avions pas vraiment la même vision du monde et la même conception de la vie. D’où la séparation.

Je ne mens pas, du reste. À l’époque, Olga n’a pas compris, ni accepté, que j’ampute délibérément mon salaire des trois quarts, avec les répercutions correspondantes sur notre train de vie, et cela sans lui demander vraiment son avis…

- Bien, revenons à nos moutons, dit Choisy. Votre vie privée n’est pas de mon ressort, je cherchais seulement à vous connaître mieux pour faciliter notre collaboration.

Il entre alors dans le vif du sujet.

- Votre travail consiste bien à analyser les paramètres financiers des entreprises et à émettre un avis sur l’évolution future de leur valeur boursière ?

Là, je suis en terrain familier, et je reprends un peu d’assurance.

- Pas seulement les paramètres financiers, monsieur. Avant d’émettre un avis, j’étudie aussi le marché sur lequel l’entreprise se situe, la valeur ajoutée des produits qu’elle fabrique ou des services qu’elle commercialise, la qualité de son management, la solidité de son actionnariat, et d’autres facteurs encore.

- Oui, bien sûr. Et vous arrive-t-il parfois de vous tromper ?

- Bien sûr. Il arrive que les chiffres dont je dispose soient inexacts, ou que des circonstances extérieures telles que catastrophes naturelles, guerres, récession, etc.… changent la donne.

- Mais en règle générale, vos analyses sont exactes et vos prédictions se réalisent, n’est-ce pas ?

- « Prédictions » n’est pas le bon mot. Je ne suis pas l’Oracle de Delphes. Cela dit, si je me trompais lourdement à partir d’informations exactes, je ne ferais pas long feu dans la profession ! Mais qu’attendez-vous de moi au juste ?

- Nous y venons.

Il fait une pause comme pour souligner l’importance de ce qu’il va dire.

- Monsieur Goldman, reprend-t-il, le commandant Rousseau vous a fait comprendre la précarité de votre situation et je suis sûr qu’elle ne vous a pas échappé. Pour ma part je tiens à souligner en outre le caractère confidentiel de notre entretien, qui relève du Secret Défense. Vous comprenez ?

- Je comprends, oui.

- Ça veut dire que vous ne devez parler à personne de la mission que je vais vous confier. Ni à votre famille, ni à vos amis, ni à votre femme de ménage, ni à votre chat, pas même à votre reflet dans la glace, est-ce clair ?