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Tout petits, Émilie et Philippe, petit garçon chétif et malade, avaient l’habitude de jouer ensemble. Seulement, un jour, ce dernier fut assassiné par ses parents. La fillette se fit alors la promesse de devenir avocate afin de défendre les droits des enfants. Apprenant plus tard qu’elle-même est le fruit d’un viol, ce combat deviendra sa raison de vivre. Empreint de douceur, de moments de joie et d’autres plus douloureux, ce récit témoigne de ce que, libérés du joug de l’intolérance, les Hommes pourraient tous être un peu plus humains, un peu plus heureux.
À PROPOS DE L'AUTEURE
À l’occasion d’un stage,
Anaïs-Henriette Gaby écrit
Un hommage à l’enfant ; un article qui reçoit un écho favorable auprès de ses collègues de service. C’est donc tout naturellement qu’elle en fait le sujet de ce premier roman dans lequel elle livre un bouleversant message porteur d’espérance.
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Seitenzahl: 393
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Anaïs-Henriette Gaby
Et doucement coule sa vie
Roman
© Lys Bleu Éditions – Anaïs-Henriette Gaby
ISBN : 979-10-377-6643-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Humaine, sensible, bouleversante, l’auteur attire l’attention dans son récit sur l’enfance maltraitée, sujet qu’elle évoque régulièrement. Afin de livrer un message, Anne-Marie va donner naissance à des personnages attachants. Vous rencontrerez Rose et Richard, dont le dévouement pour Émilie leur fille force le respect. John et Sarah, traumatisés dans leur enfance, qui chemineront entre souvenirs douloureux du passé et l’espoir de connaître ensemble le bonheur. Les thèmes abordés évolueront entre des parents qui infligeront de la maltraitance physique, psychologique, ceux qui rejettent les leurs pour leur orientation sexuelle et enfin ceux dont l’amour est sans limites. Pour faire naître l’espoir, l’auteur apporte de la chaleur ainsi que des moments de joie et de douceur, ses mots sont poignants, percutants, laissant la place pour le rêve d’un avenir meilleur, en espérant qu’il ne soit pas utopique.
Boitelle Stéphane
Rose vient d’arriver chez tante Amélie, la journée d’hier a été très dure, elle a dû quitter ses amis. Le plus pénible a été de ne rien pouvoir dire à Évelyne.
Certes, elle a beaucoup d’amis d’enfance, c’est comme cela dans un petit village, on se connaît depuis la maternelle. Mais Évelyne est plus que cela. C’est chez elle qu’elle va faire ses devoirs, prendre son goûter, du temps de l’école primaire. Du temps avant l’arrivée d’Édouard.
Le temps où papa est encore là, où la vie est douce, où le jeudi après-midi, entre copains copines, on part faire de longues promenades à vélo, le temps où l’on respire le grand air à pleins poumons. Les enfants ne sont pas encore enfermés devant des écrans d’ordinateur à partager sur des réseaux sociaux. Ces réseaux qui nous font croire que l’on a plein d’amis à qui l’on peut se confier. Parfois les confidences, même aux personnes que l’on croit le mieux connaître, ne s’avèrent pas judicieuses mais plutôt dangereuses.
De plus, en dehors des personnes que l’on connaît, qui se cachent derrière ces écrans ? On ne sait pas. Rose a bien de la chance de vivre à cette époque où les joies les plus simples sont partagées en direct, où le contact humain est omniprésent. Pourtant, des êtres mal intentionnés, il y en a toujours eu, mais les choses mettaient plus de temps à se savoir, ou même mieux, on évitait d’en parler.
Avec Évelyne, comme tous les enfants, elles ont des rêves plein la tête et pensent à leur vie d’adulte. Que feront-elles, quand elles seront grandes ? Alors que sa camarade, un peu fleur bleu, s’imagine devenir actrice de cinéma, Rose veut être assistante sociale. Elle veut aider son prochain, elle a déjà un grand cœur. Papa pense lui aussi que c’est un beau métier. Maman dit : « Grandis un peu, tu as le temps de changer cinquante fois d’avis. »
Elle peut bien penser ce qu’elle veut, maman, Rose est sûre d’elle. Dans sa chambre, elle discute avec ses poupées, elle leur trouve des solutions si elles ont des problèmes, les réconforte si elles sont malheureuses.
La mère de son amie est un peu sa nounou, car ses parents, tous deux médecins, sont fort occupés. Ils se sont installés ici dès le début de leur carrière, on connaît l’importance des médecins de campagne.
Ces derniers connaissent toutes les familles, voient naître beaucoup d’enfants. Ils sont essentiels à la communauté, on leur confie beaucoup de choses, on les respecte. Alors, comment s’imaginer que l’un d’entre eux peut être un violeur ?
Édouard est le beau-père de Rose, il est arrivé au cabinet quand son père est mort d’une crise cardiaque. Sa mère ne pouvant assurer seule tous les patients, ce collègue lui avait été chaudement recommandé. Deux ans après, ils se mariaient.
Rose, comme tous les enfants à qui cela arrive, s’est trouvée très affectée à la mort de son père.
Quand Édouard épouse sa mère, la petite fille est heureuse. Elle passera quatre années auprès de lui, s’épanouissant en toute quiétude, comme tous les enfants de son âge. C’est l’année de ses onze ans que les choses ont changé.
La première fois qu’il l’a violé, il s’est bien assuré qu’elle n’en parlerait à personne. D’ailleurs qui voudrait bien la croire ? Rose ne sait plus les mots qu’il a prononcés, ce qu’elle sait, c’est qu’une peur sournoise s’est infiltrée en elle. Entre la peur et la culpabilité, le prédateur avait réussi à condamner Rose au silence.
Le choc le plus violent, si peu que l’on puisse croire que quelque chose soit encore plus terrible, c’est le jour où elle a compris que sa mère savait. Sa mère qui aurait dû la protéger savait, et n’a pas levé le plus petit doigt pour mettre un terme à ce calvaire.
Par ces longues années de viols à répétition, elle est fatiguée de devoir faire comme si tout était normal, que l’on vivait comme dans toutes les familles. Que dis-je, même mieux, pensez donc la fille de médecins, quelle chance ! Sous le poids de ce terrible secret, traumatisée, l’adolescente ne se rappelle pas comment elle a découvert que sa mère savait. Non, elle ne sait plus.
De toute façon, il valait mieux faire comme si elle n’avait pas compris que sa maman était au courant. Peut-être qu’il la menaçait, elle aussi ? Oui, ce devait être cela, toutes les deux couraient un véritable danger. Sinon, elle en était sûre, elle aurait secouru sa petite fille.
Voilà, aujourd’hui, elle part. Évelyne et ses camarades sauront bientôt pourquoi elle est montée dans la voiture de son ancienne maîtresse d’école, pourquoi elles sont parties pour la ville, là où tante Amélie, la sœur de son pauvre papa, l’attend.
Rose découvre comment l’on peut être heureux, quand on est choyé, aimé. Elle réalise que finalement, elle n’avait jamais connu ces moments de tendresse avec sa mère. Il n’y avait pas de chaleur maternelle, elle avait cette enfant, elle l’élevait c’est tout. Oui, voilà, elle faisait son devoir.
Amélie a dix ans de plus que son frère. Alors que ce dernier est devenu médecin et s’est installé en campagne, elle a intégré un lycée en tant que chef cuisinier et acheté une maison de ville. Son mari mécanicien automobile, avec qui elle a eu quatre garçons, est malheureusement décédé. Un accident de circulation stupide.
Pas si stupide que cela, je dirais plutôt prévisible. Le conducteur de l’autre véhicule, arrêté plusieurs fois pour conduite en état d’ivresse, utilisait sa voiture alors que son permis lui avait été retiré. On peut en penser ce que l’on veut, résultat : un mort, une veuve, quatre enfants orphelins de père, des vies brisées.
À l’heure où ils auraient pu profiter d’une retraite heureuse, Amélie s’est donc retrouvée seule. Malgré son malheur, elle remercie le ciel, ses enfants sont mariés, ils ont fondé leur propre famille. Même s’ils se trouvent dispersés aux quatre coins du pays, ils viennent régulièrement la voir.
Quand il a fallu accueillir sa nièce, elle n’a pas hésité une seconde. Après avoir perdu son mari, son frère aussi les avait quittés. Jamais elle n’aurait cru sa belle-sœur capable de laisser sa fille vivre un tel drame. Comment peut-on être aussi inhumain quand on exerce un métier comme le leur ?
Amélie a surmonté le choc de cette terrifiante mésaventure, en s’occupant de tout mettre en œuvre pour que l’arrivée de Rose se passe dans les meilleures conditions. Elle a refait la décoration de la chambre où elle va l’installer, il faut qu’elle soit bien.
La jeune fille a dix-sept ans et est enceinte d’Édouard. Elle a mis un peu de temps à le comprendre. Dégoûtée par les sévices vécus pendant la nuit, souvent au petit matin elle vomissait, avant même d’avoir bu ou mangé quoi que ce soit. Alors oui, elle n’a pas réalisé tout de suite.
Édouard, lui, dès qu’il a su a fait pression, il fallait qu’elle avorte. Si Rose en parlait à qui que ce soit, si elle s’entêtait à vouloir cet enfant, il le tuerait. Pire si c’était une fille, il lui ferait vivre les mêmes choses. Ce jour-là, pour la première fois, son bourreau l’avait battue à mort.
Angèle, sa mère, a coupé court à la conversation, elle avorterait, point final. La famille ne subirait pas le déshonneur, à cause d’une traînée qui avait abusé de ses charmes, pour séduire son beau-père. Personne ne devrait savoir, le sujet était clos.
C’est là qu’elle s’est enfuie, Rose, poussée par une force incroyable. Surmontant sa peur, elle est allée trouver sa maîtresse du primaire pour qui elle a toujours eu beaucoup d’affection. Une personne qui éduque les enfants devait pouvoir la comprendre.
Cette dernière, d’abord très choquée, est passée de suite à l’action. Elle a rassuré la jeune fille, lui a parlé pendant des heures en expliquant qu’elle comprenait pourquoi elle n’avait rien dit, lui affirmant que ces situations étaient toujours très compliquées.
— Tu es dans ton droit, Rose, tu n’as rien à te reprocher, tu es une victime. Il doit payer, pour ce qu’il t’a fait subir.
— Mais imaginez que l’on ne me croit pas, qui pensera que ma mère au courant n’a rien fait ? Plutôt mourir que supposer que l’on puisse mettre ma parole en doute.
L’enseignante pèse ses mots, avant de lui répondre :
— Tu sais, Rose, en venant me trouver, tu m’as donné la preuve que tu me faisais confiance. Alors continue, je t’en fais la promesse, ils vont payer. Ta tante et moi-même allons tout faire pour cela.
Pour être heureux, il faut donner un sens à sa vie, avoir un but. Pour certains, ce sera juste fonder une famille, couler des jours heureux. Pour d’autres, dévorés par l’ambition, ce sera faire carrière.
D’autres vont entrer dans les ordres, servir un dieu qu’ils ne verront jamais ; mais portés par une foi inébranlable, ils connaîtront une plénitude sans nom. Voilà, il faut donner un sens à sa vie, peu importe de quelle manière.
Alors, Rose va décider de donner un sens à son existence. Elle va vivre, oui vivre, portée par l’amour qu’elle connaît déjà pour ce petit être qui grandit en elle. Pour devenir heureux, il faut être au moins deux. Seule, elle n’aurait pas eu la force de continuer. Seule, elle en est sûre, tôt ou tard, elle aurait mis fin à ses jours.
À deux, ils vont continuer le chemin, à deux ils seront plus forts, à deux… Mais alors cela veut dire qu’elle ne sera plus jamais seule. Ils seront deux, une famille de deux, deux pour être heureux.
Cela sonne juste, cela rime, cela fait du bien. Deux, pour être heureux.
Elle l’a aperçu un jour où, avec sa tante, elle quittait le cabinet d’avocat. Il doit être un peu plus âgé qu’elle, enfin c’est ce qu’elle s’est dit. Curieuse, elle interroge sa tante :
— Dis-moi, tatie, tu sais qui est le garçon que l’on vient de croiser, un stagiaire sans doute ? Tu crois qu’il a accès à mon dossier ?
Point surprise par la question, Amélie n’a aucune difficulté à répondre :
— Il s’appelle Richard, c’est le fils de ton avocat. Je le connais depuis sa plus tendre enfance, il allait à l’école avec tes cousins. S’il a le souhait de faire le même métier que son père, je ne crois pas qu’ils discutent ensemble des affaires en cours.
La future maman est rassurée.
— Tant mieux ! il a l’air jeune, je n’aimerais pas qu’il sache ce qui m’est arrivé. Même si ce qu’il pourrait en penser, après tout, je m’en fous.
Quelques jours plus tard, dans le quartier, ils se croiseront de nouveau. Richard apercevra son petit ventre rond, elle est tellement mince que l’on ne voit que cela. Avec amusement, il se dira que cela ressemble à une coquille de noix qu’elle aurait avalée. Elle a l’air si jeune et elle est si jolie, pourquoi vouloir un enfant si tôt. Qui peut bien être le futur père ? Cette question va l’obséder. Naturellement, il pensera à cette jeune fille. Sa nature curieuse étant trop forte, il fera tout pour la croiser le plus souvent possible. Elle s’en apercevra évidemment, et l’interpellera :
— Bon, vous me suivez ou quoi ? Deux trois fois, c’est peut-être le hasard, mais au-delà il ne s’agit plus de cela.
Surpris qu’elle lui fasse front, Richard est pris de court :
— Je vous ai aperçu, sortant de chez mon père. Dis, tu ne veux pas que l’on se tutoie, ce serait plus facile.
Quel culot ! ça alors, elle n’en croit pas ses oreilles.
— Plus facile ? Pourquoi ? Pour savoir ce qui m’est arrivé ? Savoir pourquoi je vais consulter un avocat ? Fichez-moi la paix !
Décidément, elle est coriace.
— Attends, je ne voulais pas être indiscret ou mal poli. C’est juste que je te vois toujours seule, on pourrait être amis, discuter ensemble, cela fait du bien de parler, tu sais.
Quelque peu amadouée, elle répond d’une façon plus douce :
— Moi non plus, je ne veux pas être mal polie. Mais je ne crois pas que lier connaissance avec une fille dans mon état, puisse t’intéresser bien longtemps.
Il soupire, comme s’il cherchait quoi rétorquer.
— Et si tu me laissais en juger par moi-même, demain on peut se retrouver à quinze heures au parc. Si tu le veux, on ira boire un chocolat chaud. Je t’attendrai une demi-heure, si tu ne viens pas je ne t’importunerai plus.
Il est parti, avant qu’elle ne réponde quoi que ce soit. Elle se demande bien pourquoi il voudrait faire, plus ample connaissance avec elle. Aucune importance, de toute façon elle n’ira pas. Le soir elle en parle à sa tante, cette dernière trouve l’idée intéressante. Il faut qu’elle arrive à convaincre sa nièce.
— Tu sais, à mon avis tu ne risques rien, il faut que tu parles à des gens de ton âge. Il ne peut pas être nourri de mauvaises intentions, de plus je le connais très bien. Moi, à ta place j’irai, cela te changerait les idées.
Le parc est magnifique, c’est sûrement là que la future mère viendra promener son bébé. Elle y pense en attendant le jeune homme à l’entrée. Rose, arrivée en avance, est nerveuse. Que vont-ils bien pouvoir se raconter, après tout ? S’ils n’ont rien à se dire, ce serait embarrassant. Elle a tort, ils sont jeunes, insouciants comme l’on peut l’être à cette période de l’existence. Des sujets de conversation, ils n’en manqueront pas.
Comment après ce qu’elle a subi, non seulement de la part de son beau-père mais surtout de sa mère ; comment croire qu’il y a encore des personnes qui fassent preuve d’altruisme ? Pourtant, au fil des rencontres, elle aura confiance en lui. Avant même qu’il ne le lui demande, elle lui confiera son histoire.
Le jeune homme est stupéfait, il a rarement entendu quelque chose, d’aussi terrible. Hésitant sur ce qu’il va dire, il se lance.
— J’aurais dû me douter que si tu consultes mon père, c’est qu’il y a une bonne raison. Mais comment imaginer cela, vraiment je suis désolé pour toi.
Émilie touchée par sa compassion le regarde droit dans les yeux. Ce qu’elle va dire doit être convaincant.
— Il ne faut pas, car je suis très heureuse. Ce qui m’est arrivé, je veux l’oublier, tu comprends. La meilleure des raisons de le faire, c’est mon futur enfant.
En disant cela, elle caresse son ventre rond. Tout naturellement, sans même avoir prévu son geste, il s’approche. La jeune femme le laisse faire, à son tour il pose sa main. Richard la regarde droit dans les yeux. À cette minute-là, dans ce parc où ils se sont promenés tant de fois, depuis plusieurs semaines, le jeune homme est bouleversé. Conscient que sa jeune vie vient de basculer.
Quel nom va-t-on lui donner ? Ils se sont pris au jeu et cherchent ensemble. Jamais elle ne pensera à lui demander s’il n’a pas d’autre fréquentation qu’elle. Leur connivence naturelle les a rapprochés, ils sont devenus amis. Aucun des deux ne se pose de questions.
Richard fait une première proposition.
— Que dirais-tu d’Émilie si c’est une fille ? En rapport à la chanson, tu sais bien, Émilie jolie. Car moi, je suis sûr qu’elle sera aussi jolie que sa mère.
C’est la première fois, qu’il lui dit qu’il la trouve jolie. Elle est troublée et propose vite un prénom masculin, pour masquer son embarras.
— Si c’est un garçon, je l’appellerai comme toi Richard. En pensant à mon meilleur ami, qui m’aura tenu compagnie, pendant que j’attendais sa naissance. Richard comme Richard cœur de lion, car pour moi mon fils sera un roi.
Il tourne et retourne dans son lit, n’arrivant pas à trouver le sommeil. Richard s’imagine Rose donnant naissance à son bébé, qui va s’occuper d’eux, les protéger, en prendre soin avec amour. Il sait bien qu’il y a sa tante, mais elle ne passera pas toute sa vie avec. À l’idée de quelqu’un qui s’approcherait d’elle, il est malheureux, alors il doit bien se rendre à l’évidence, il l’aime.
C’est l’estomac retourné, la gorge nouée, que le lendemain il attend son père dans son bureau. Par où va-t-il commencer ? Il s’attend à de la stupéfaction, de l’incompréhension, voire de la colère. Il est lui-même si jeune et a tout l’avenir devant lui pourquoi irait-il donc tout gâcher ?
Les mots sont venus tous seuls, quand on parle avec son cœur, c’est finalement plus facile que l’on ne croit. Il n’y a pas besoin d’aiguiser une plaidoirie mûrement réfléchie. Parler de Rose, dire combien il l’aime, combien il est sûr de lui, a coulé de source.
Son père, comme il l’avait redouté, est fort surpris. Ce dernier ne sait comment répondre à son fils, sans lui faire de peine.
— Je n’étais pas au courant que tu connaissais Rose. Moi aussi, son histoire m’a bouleversé, après tout qui ne serait pas touché par une telle tragédie. Mais tu sais en tant que futur avocat, tu ne dois pas être autant affecté par ce qui arrive. Sinon tu n’auras jamais le recul nécessaire pour assurer la défense de qui que ce soit.
C’est sûr qu’habitué à plaider les pires causes, l’avocat a touché un point sensible. Son fils tente de le convaincre.
— Papa, écoute-moi. Rose, elle aurait pu tomber enceinte par l’opération du Saint-Esprit, par les faits d’un salaud qui l’aurait laissé tomber. Ou pire que le futur père de son enfant soit décédé, pour je ne sais qu’elle raison. Ce n’est pas de son histoire que je suis tombé amoureux, je l’aurai aimée dans n’importe quelle situation où je l’aurai rencontrée. Crois-moi, je suis jeune, mais je sais que je ne pourrai pas vivre sans elle.
L’argumentation fait mouche.
— Et bien mon garçon, si tu plaides avec autant de véhémence en faveur de votre histoire, je ne peux que m’incliner. Tu as ma bénédiction et mon soutien car, crois-moi, vous allez en avoir besoin.
— Merci, papa, je savais que tu comprendrais. Mais maman que va-t-elle en dire, crois-tu qu’elle acceptera Rose et le bébé ?
— Je crois que tu vas devoir la convaincre. Je suis confiant, ta mère verra cette jeune femme comme la fille qu’elle n’a pas eue. L’enfant sera le bienvenu, je n’ai aucun doute.
Rose ne veut pas savoir le sexe du bébé qu’elle attend, elle l’a bien fait comprendre. Elle veut juste savoir s’il se développe dans de bonnes conditions, si tout est normal.
— Ce sera un bébé surprise alors, petit bonhomme ou petite fée, à vous voir on voit bien qu’il va vous combler de bonheur.
Le praticien glisse l’échographie dans une enveloppe, il rassure sa patiente, le bébé va très bien. Elle est jeune mais, pour en avoir vu défiler des futures mamans, il ne doute pas une minute. Malgré sa jeunesse, Rose sera une très bonne mère.
Il faut préparer la chambre, pour ce petit bout de chou. Amélie qui n’a pas une retraite extensible aurait bien aimé savoir s’il fallait une majorité de bleu ou de rose, afin de dépenser chaque centime à bon escient. Elle a bien prévenu sa nièce, pas question de demander de l’aide à sa mère, elles se débrouilleront toutes seules.
— Voyons, tante Amélie, on n’est pas obligé de tomber dans les clichés : rose pour une fille, bleu pour un garçon. Pour ma part, je trouve cela un peu ringard.
— C’est vrai, ma chérie, tu as raison. La semaine prochaine nous irons faire les boutiques, cela nous donnera des idées.
Elle est si jeune, sa nièce. Au moment où elle devrait comme toutes les filles de son âge s’amuser, sortir, danser, étudier pour préparer son avenir, cette dernière doit assumer l’arrivée d’un enfant, prévoir tout ce que cela implique, comme responsabilités. On avait volé son innocence.
On est samedi matin, Rose qui a eu du mal à dormir, a mis du temps pour se lever. Le café coule, une bonne tasse de ce breuvage, va l’aider à faire surface. Amélie guette à la fenêtre, son attitude interpelle la jeune femme. Le facteur ne passe pas si tôt, que peut bien surveiller sa tante ? Sa façon de faire est curieuse, elle essaie de s’occuper, mais revient toujours soulever le rideau et scrute la rue. Tout d’un coup, la voilà qui s’exclame :
— Ah ! Les voilà ! Ce que je suis contente ! Ma chérie, ton cousin Pierre vient d’arriver.
La future maman qui n’était pas au courant fait part de sa surprise.
— Oh ! Je ne savais même pas qu’il venait, pourquoi ne m’avoir rien dit, tatie ?
Amélie s’esclaffe, tout heureuse d’avoir étonné la jeune femme.
— Mais parce que cela n’aurait plus été une surprise, voyons ! Oh, je suis tellement heureuse.
Chantal, la femme de Pierre, est là aussi, Rose ne la connaît pas beaucoup. Elle est intimidée, que doit penser cette jeune femme, qui bien sûr doit être au courant de son histoire ? La future maman n’est pas très à l’aise. Mais alors que tout le monde est installé devant une tasse de café, Amélie sort un gâteau qu’elle a confectionné la veille. Viennent ensuite des croissants, achetés avant que sa nièce ne se réveille, elle a tout prévu.
Croyant être au bout de ses surprises, Rose qui a entendu la sonnette de la porte d’entrée va ouvrir. Elle se retrouve face à Richard, une caisse à outils à la main, tout sourire. Que diable peut-il bien venir faire ici, de si bon matin ? Ce dernier embrasse Rose et déclare :
— Je crois qu’il ne manquait plus que moi, me voilà et en plus bien armé, prêt à faire feu.
Avant même que Rose interloquée ne réponde quoi que ce soit, les amis d’enfance, heureux de se retrouver, s’embrassent comme du pain béni. C’est quoi tout ce remue-ménage ? Est-ce que l’on fêterait quelque chose ? Si c’est le cas de quoi peut-il bien s’agir, et les outils c’est pour démonter la maison ! Rose fait part de son impatience.
— Est-ce que quelqu’un va bien vouloir me dire ce qu’il se passe ? Richard, que fais-tu ici ?
Tout ce petit monde se regroupe autour d’Amélie, avec une certaine connivence. Si la jeune femme ne comprend rien, eux semblent parfaitement savoir pourquoi ils sont là, et tous en chœur.
— On est là, pour le bébé.
La jeune femme est sidérée, ils ont perdu la tête.
— Comment ça, pour le bébé ? Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, il n’y a pas de bébé. Je n’ai pas accouché, il est encore dans mon ventre bien au chaud. J’espère qu’il va y rester encore un peu.
Amélie regarde sa nièce avec tendresse, et l’informe.
— Je leur ai demandé de venir nous aider à préparer la future chambre, je voulais te faire la surprise. Pierre a pris une semaine de congé.
Justement, l’intéressé s’approche et lui tend une enveloppe, sur cette dernière sont notés les quatre prénoms de ses cousins. Rose la décachette et, à cette minute découvre qu’elle peut avoir confiance, qu’il existe encore des personnes capables d’affection et de gestes généreux. Elle, qui a dû faire le deuil de l’amour d’une mère, se trouve bouleversée. Son cousin précise le sujet, de ce merveilleux signe d’amour.
— On s’est cotisé avec mes frères, ils n’ont pas pu venir mais ils ont voulu participer à leur manière. Rose, cet argent c’est pour te dire, on est tous avec toi. Tu peux compter sur nous et sur maman.
Les larmes coulent sur ses joues, après tant de souffrances endurées, cachées aux yeux de tous. Toutes ces années perdues, coincées entre la peur, le dégoût d’elle-même. Après avoir tant de fois souhaité mourir et rejoindre son père, elle découvre l’héritage que ce dernier lui a laissé, une famille aimante et généreuse.
— Je ne sais pas quoi dire, merci bien sûr. Vraiment, c’est trop, il ne fallait pas. Et toi, Richard, que fais-tu là ?
— Tu ne crois pas que j’allais laisser Pierre faire tout, sans moi. Je ne suis pas bon bricoleur, mais ça devrait le faire, je suis motivé.
Ce à quoi son ami d’enfance répondra :
— Ah ça, je confirme il n’est pas bricoleur pour deux sous. Je me souviens encore, quand on allait au garage voir papa, il avait peur de la graisse.
En manquant s’étouffer de rire, Richard réplique.
— On ne peut pas être bon partout, moi j’étais l’intello de la bande. Super plan, pour draguer j’aidais les filles à faire leurs devoirs, elles tombaient comme des mouches.
— Oh le vantard, dis plutôt qu’il te fallait bien cela pour les attirer. Alors que moi un seul regard et hop, dans la poche.
Réponse de Pierre à laquelle sa femme ne manquera pas de rétorquer tout sourire :
— Oui, mais c’est moi que tu as épousé. Quand vous aurez fini de blaguer, on pourra se mettre au travail, il y a du taf, je vous signale.
S’adressant à elle, Richard reprend son sérieux.
— Je te reconnais bien, Chantal, toujours efficace, c’est moi que tu aurais dû épouser. Si je me rappelle bien, c’était nous les petits fiancés, avant que tu ne craques pour ce farfelu qui te sert de mari.
— Tu parles, c’était du temps de la maternelle, tu m’achetais en m’offrant des bonbons.
Tous se mettent à rire, Amélie les regarde avec tendresse. Ces souvenirs lui rappellent le temps où ils n’étaient, tous, que des bambins turbulents. Son mari était encore là et ils étaient tous si heureux.
Elle doit se secouer, au lieu de se laisser gagner par la nostalgie. Chantal a raison, il y a du boulot en perspective.
— Bon, je ne voudrais pas casser l’ambiance de ces joyeuses retrouvailles, mais Chantal a raison. On devrait peut-être s’activer, je veux que ma nièce se repose en début d’après-midi.
Rose leur explique qu’elle veut que la pièce ne soit pas trop chargée. Elle verrait bien des murs couleur lavande, et un, en gris très léger. Elle pourrait y accrocher des cadres, au sujet animalier. Les meubles blancs, un tour de lit ainsi que le linge avec des motifs de lutin. On pourra apporter les dernières touches quand bébé sera là, et que l’on connaîtra enfin son sexe. Elle est tout excitée et rougit, envahie par l’émotion. Elle ne se rend pas compte, à quel point elle est touchante. Chantal remarque le regard plein de douceur, que Richard porte sur elle.
En voilà un qui est amoureux, pensera la jeune cousine. En catimini, elle regarde le ventre arrondi de Rose, elle l’admire. À sa place, elle n’aurait pas eu le courage de garder l’enfant. Elle n’aurait pas été capable d’aimer un être conçu dans des conditions aussi atroces. Est-ce une bonne chose ? Un jour ou l’autre, il saura sûrement qu’il est issu d’un viol. L’amour de sa mère sera-t-il suffisant ?
On s’organise, ce samedi il faut acheter la peinture et les meubles. Le lendemain on videra la pièce, Richard sera présent. Hélas, à partir de lundi, il ne pourra passer que le soir. Pierre le rassure, il n’a besoin de personne pour peindre une pièce. Mais il est le bienvenu pour descendre une canette de bière avec lui.
Les achats prendront plus de temps que prévu. Ce n’est qu’à treize heures trente, qu’ils passeront à table. Amélie a fait une quiche lorraine, un rôti de bœuf des pommes de terre sautées et, pour finir, une glace. Rose mange avec appétit mais la fatigue se fait sentir. Pierre lui conseille d’aller faire la sieste préconisée par sa mère. Pour retourner chercher ce qui a été choisi, ils n’ont pas besoin d’elle.
Ce n’est pas pour autant qu’elle arrivera vraiment à se reposer. Les garçons débarrassent la chambre à grands coups de boutades et d’éclats de rire. Chantal essaie de les calmer, en vain.
— Je le savais que tu serais un boulet, Richard, une simple vis est un problème pour toi. J’espère que tu seras meilleur, pour tes futures plaidoiries, ironise Pierre.
— Je plaide coupable, avec circonstance atténuante, mon père non plus n’est pas bricoleur. Pour toi, c’est facile de te moquer, avec un rien, le tien réparait n’importe quoi.
— Ça, je sais, c’est pour cela que quand tu venais au garage, mon père voulait que tu ne touches à rien. Il t’appelait le petit briseur.
— Ah mais, le petit briseur s’en sortira dans la vie. Je vais écouter son conseil, il m’avait dit d’épouser une bricoleuse en chef, il faut juste que je la trouve.
Chantal trouve une réponse à la dernière réflexion de Richard, qui fera bien rire Amélie. Cette dernière a entendu depuis la cuisine où elle met une tarte aux pommes au four.
— Méfie-toi, on n’est plus à la maternelle. Si tu comptes la trouver en offrant des bonbons, tu risques de passer pour un pervers.
— J’essaie avec des chocolats, cela fait moins suspect. C’est bon les chocolats, c’est doux, c’est fondant, je suis sûr il y en a bien une qui va craquer, répond amusé le futur avocat.
La semaine passe à toute vitesse. Richard est venu tous les soirs, mais finalement plus pour papoter que travailler. Il faut laisser le temps à la peinture de sécher. Un soir, en arrivant, il trouve Amélie son fils et sa belle-fille, assis à table dans la cuisine. Ils font une drôle de tête, Rose n’est pas en forme.
— Le bébé veut arriver, ce n’est pas trop tôt. Vous avez vu un médecin, il a dit quoi ? S’inquiète le jeune homme.
Devant l’inquiétude de Richard qui est devenu blanc comme un linge, Chantal n’a plus aucun doute. Le jeune homme n’est pas là que par pure amitié, c’est évident il aime sa cousine. Amélie essaiera de le rassurer, alors qu’elle-même est un peu dépassée par les évènements.
— Ça va aller Richard, il faut juste qu’elle se repose. S’il veut montrer le bout de son nez, ce bébé, ce serait bien qu’il attende encore un peu.
Ils passeront le week-end à finir de monter les meubles. La future maman reste allongée le plus possible, sur ordre du médecin. Une fois de plus, Pierre passera son temps à chambrer son ami qui se gratte la tête devant la notice de montage de la commode, un tournevis à la main.
— C’est sympa d’avoir amené ta caisse à outils, je suis même surpris que tu en aies une. C’est quand, la dernière fois que tu t’en es servie ?
Plaisanterie à laquelle Richard répondra sur le même ton :
— Tu sais que tu es drôle toi, quand tu veux, tu as avalé un clown aujourd’hui. Faute de charme, tu manies l’humour, c’est comme cela que tu as séduit Chantal finalement.
Point vexé du tout, Pierre rétorque :
— Faute de charme ? Tu es bien prétentieux. Quand nous présentes-tu une fille qui aura succombé au tien ? Rappelle-moi comment s’appelait la dernière que l’on a vue en ta compagnie ?
Richard fait semblant de réfléchir et, tout sourire, se souvient.
— Michèle ! C’était pour rendre jaloux Hervé, tu sais le binoclard un peu rondouillet. En parlant de charme, je ne sais pas ce qu’elle lui a trouvé, mais elle en était raide dingue. Lui c’était pour ta femme, qu’il en pinçait.
Chantal sourit à l’évocation de ce grand timide, il n’avait d’yeux que pour elle et bafouillait dès qu’elle lui parlait. Ce qu’on peut être idiot à l’adolescence, il était souvent sujet à moquerie. Tout le monde a été très surpris quand il a conclu avec Michèle, une des plus jolies et la plus populaire des filles du lycée.
— En attendant, il nous a tous bluffés. Je sais même ce qu’ils sont devenus, ils sont mariés et parents de deux adorables petites filles. On s’appelle souvent avec Michèle ; nous, les femmes, on a toujours plein de sujets de discussion. Mais elle ne me parle jamais de toi, Richard.
— Oh, je m’en remettrai ! en attendant, je mange mes boîtes de chocolats avant péremption. Un jour, je la trouverai ma bricoleuse en chef. Les chocolats, on les mangera ensemble, je grossirai je mettrai des lunettes, et Michèle si je la revois un jour, elle en crèvera de jalousie.
Les trois compères rient de bon cœur, en s’imaginant la scène. Rose, qui les entend, se dira qu’elle n’a pas autant de souvenirs joyeux. Déjà, ils ont huit ans de plus qu’elle à peu près, donc les histoires qu’ils racontent datent un peu. Elle, c’est tout récent ce qu’elle a vécu au lycée. Évelyne passait son temps à lui dire qu’elle était coincée et qu’il fallait qu’elle se détende un peu.
Elle aurait bien voulu être aussi insouciante, mais comment faire, quand on vit dans la peur et une angoisse perpétuelle ? Sa camarade s’était même demandé si elle préférait les filles. Des garçons à qui elle plaisait, il y en avait, elle n’y prêtait aucune attention, trouvant toujours un bon prétexte.
Aucun ne semblait trouver grâce à ses yeux, à part peut-être Daniel. Il était très timide et Rose le trouvait gentil. Mais quand il avait essayé de la draguer, la jeune femme s’était refermée sur elle-même. Par la suite, elle a passé son temps à l’éviter. Comment tous ces jeunes gens qui l’entouraient auraient-ils pu comprendre ? C’était impossible ! Finalement, ils l’ont prise pour une pimbêche qui se la racontait. Fille de médecin, personne n’était sûrement assez bien pour elle.
Évelyne avait fini par comprendre que sa camarade avait un secret, elle devait aimer les filles. Elle en avait même parlé à sa mère, mais cette dernière travaillait pour les parents de Rose. Alors motus et bouche cousue, à chacun ses problèmes.
La chambre est magnifique, la future maman n’en croit pas ses yeux. Les garçons ont monté les meubles, Chantal et sa tante ont placé les décorations, rangé le linge. Le dimanche après-midi, quand il a fallu leur dire au revoir, Rose a eu un pincement au cœur. Vraiment ils ont été formidables, jamais elle n’aurait pensé tout cela possible. Même s’il a encore un peu de temps devant lui, il peut arriver, le bébé !
— N’oublie pas, on veut les premières photos, surtout ne t’inquiète pas, tout va bien se passer.
Chantal est très émue.
Voilà, ils sont partis, Richard aussi est rentré chez lui. Seule avec Amélie, elle repense aux quelques jours incroyables qu’ils viennent de vivre ensemble. Elle a le cœur rempli d’amour pour eux.
Les dernières semaines avant l’accouchement, repos. Plus de promenade au parc, elle se sent trop fatiguée. Rose doit écouter le médecin et ne prendre aucun risque. De toute façon, se reposer, elle n’a que cela à faire, Amélie y veille.
Amélie, c’est la première personne à qui elle a pensé, quand sa maîtresse d’école et les gendarmes se sont demandé où elle pouvait aller. Le père de Richard en un tour de main, sûrement avec de bonnes connaissances, lui a évité le placement dans un foyer ou une famille d’accueil. Rose repense à son père, elle le revoit, réconfortant sa sœur quand son mari est décédé. Ils avaient l’air très proche, unis dans le malheur.
La jeune femme a connu très peu de moments où la famille se réunissait. Il y avait bien eu quelque fête de fin d’année joyeuse et festive, on dansait au son de l’accordéon. Elle revoit Amélie qui la fait sauter sur ses genoux Amélie qui l’embrasse dans le cou, lui offre de jolies robes, des poupées.
Maman disait : tu la gâtes trop, qu’est-ce que tu attends pour en faire une de fille ? Chaque nouveau-né était un garçon, alors elle s’était fait une raison et chouchoutait sa nièce à chaque occasion. Ils étaient tous si heureux à cette époque, ils se racontaient leurs souvenirs d’enfance, devant des verres de pétillant. Rose se rappelle qu’elle regardait avec fascination ces fines bulles qui remontaient comme si elles voulaient s’échapper. Papa semblait savoir, depuis tout petit, qu’il voudrait être médecin. Sa tante, elle, était toujours derrière leur mère, suppliant pour qu’elle l’aide à faire des crêpes, un gâteau ; mettre le poulet ou le rôti du dimanche au four. Sa passion pour la cuisine, elle en a fait son métier. Un qui guérissait, une qui nourrissait, disait papa.
Du côté de maman, ils étaient plus nombreux. Elle avait trois frères et une sœur, issue d’un milieu modeste. Apparemment, les aînés ont travaillé de bonne heure, pour ramener un salaire au reste de la famille. La petite dernière voulait être médecin, ils ont tout sacrifié pour qu’elle y parvienne. Des années plus tard, leur souvenir à eux, c’étaient plutôt des reproches, des rancœurs, de la jalousie. Finalement la vocation de sa mère, avait fait naître un conflit familial qui ressortait à chaque retrouvaille. Au fil du temps, ils se sont éloignés les uns des autres.
Émue par ces pensées, Rose caresse son ventre. Bientôt, sa vie va prendre un virage à 180 degrés, plus de retour en arrière possible. Elle va devenir mère à son tour, c’est un peu tôt, ce n’était pas voulu, mais elle y a vu un signe. Cet enfant, c’est ce qu’il pouvait lui arriver de mieux. Il allait naître pour qu’elle ait la force de vivre, une raison de donner de l’amour, une raison de croire en demain, jour après jour, ils allaient avancer main dans la main, construire l’avenir.
Elle revoit Richard, la première fois où avec sa tante elle l’a croisé, sortant du cabinet de son père. Ce n’est pas tant qu’il aurait pu apprendre son histoire, avant même de la connaître, qui l’avait préoccupée. Mais plutôt, qu’il l’avait immédiatement troublée. Maintenant, elle se dit si seulement tout avait été différent, peut-être qu’elle lui aurait plu. On ne pourra jamais savoir, le destin en avait décidé autrement. Il ne la verrait toujours que comme une gentille fille, dont il était l’ami.
Un jour, il la rencontrerait sa bricoleuse en chef, avec qui il mangerait des chocolats. Dommage, elle aussi les aime les chocolats. Il a dit, c’est bon doux fondant les chocolats, et elle aime Richard. Au moment où elle le réalise, elle se demande : est-ce que je sais ce que c’est d’aimer un garçon, enfin aimer d’amour quoi ? Je ne sais pas, peut être que je confonds tout, enfin il me plaît. Mais je ne suis pas bricoleuse en chef, alors n’en parlons plus.
Richard se remémore sa brève discussion avec Chantal. Il savait qu’elle n’était pas une fille à tourner en rond, mais plutôt franche et spontanée. Elle avait deviné les sentiments qu’il nourrissait envers la future maman, l’intuition féminine sans doute.
— Richard, tu attends le dégel ou quoi ? Rose est jeune et naïve. Si tu ne lui parles pas, elle ne va pas deviner toute seule.
— Que je lui parle de quoi ? Où veux-tu en venir avec ton petit air malin ? Tu crois que je ne t’ai pas vu arriver, avec tes grands sabots. On ne peut jamais rien te cacher à toi.
— Il ne s’agit pas de ne rien me cacher à moi, mais plutôt de ne rien lui cacher à elle. Ma cousine mérite de connaître ce que tu ressens pour elle. Dans ma poitrine, j’ai un détecteur en forme de cœur, je suis sûre qu’elle nourrit les mêmes sentiments envers toi.
Comme elle y va, elle est marrante. On n’est plus au lycée, où tous les jeunes en plaisantant, disaient que plus tard, elle devrait ouvrir une agence matrimoniale. Elle devinait avant tout le monde, les couples qui allaient se former. Michelle et Hervé, Nadine avec Jean-Luc, etc., etc., etc.
C’est bien joli tout ça, mais maintenant ils sont adultes. Si son détecteur marche encore, il n’en rend pas moins le sujet difficile à aborder.
Elles ne l’ont pas vu depuis plus de quinze jours, et là Richard veut les voir toutes les deux. Que peut-il bien avoir à leur dire ? Il lui a manqué, sans doute était-il avec ses amis. Ils ont dû sortir au cinéma ou en boîte de nuit, il a peut-être rencontré une fille. Dorénavant ils ne se verront plus autant c’est normal, mais n’empêche que ça lui fait mal.
— Ce n’est pas grave, mon bébé, bientôt tu seras là. Je n’aurai besoin de personne d’autre que toi, c’est toi mon grand mon bel amour. Tu seras ma petite reine, ou mon petit roi. On ne vivra pas dans un palais entouré de valets, mais dans un tout petit endroit, ou plus tard on sera juste toi et moi.
Elle parle toute seule et s’endort.
Amélie aussi se demande bien pourquoi il a absolument tenu à les voir toutes les deux. Elle sait qu’ils sont devenus très amis. Elle le connaît depuis toujours, il est très gentil. Mais elle n’est pas naïve, ce jeune homme qui voit aussi régulièrement sa nièce, cela doit bien vouloir dire quelque chose. Vu l’histoire, elle regrette un peu de l’avoir encouragée. Si c’est en vue d’avoir une théorie à analyser pour ses études, il va entendre parler d’elle, et cela même si son père est son avocat.
Tout d’abord Amélie a conseillé sa nièce ; après tout, elle ne pouvait rester cloîtrée tout le long de sa grossesse. Mais quand elle avait appris qu’ils n’étaient toujours que tous les deux, elle avait eu une certaine appréhension. Il devait bien avoir des amis, avait-il honte de la leur présenter. Se servait-il de son histoire pour sa future carrière, apprendre comment plaider un fait divers pareil. Si tel était le cas, elle s’en offusquerait, Rose avait déjà suffisamment souffert.
Alors que les deux femmes, sans se concerter, imaginent les théories les plus farfelues sur sa venue ; il en est un qui, à la porte d’entrée, se gratte la tête. Il se demande s’il va bien finir par appuyer sur la sonnette ou partir en courant. Depuis la veille, Richard s’imagine, comment il va présenter la chose. Ne trouvant pas la solution, le jeune homme s’est dit qu’il improviserait, le moment venu.
Il a fini par y appuyer sur la sonnette ; maintenant, ils sont au salon. Amélie sert des boissons chaudes, accompagnées de petits gâteaux secs. On parle un moment de tout de rien, des banalités de l’existence. Le temps passe, il faut qu’il se jette à l’eau.
— Je suis venu pour vous parler à toutes les deux, voilà ce n’est pas facile. Rose, je t’aime, je voudrais que l’on se marie et être le père de ton enfant.
Voilà, il peut reprendre son souffle, il l’a fait, il vient de se libérer de ce poids qu’il a sur le cœur. Il lui a avoué son amour, il peut se détendre, attendre sa réponse. Mais, surprise, silence, personne ne trouve de mot à prononcer. On pourrait entendre une mouche voler, une gêne terrible s’installe dans la pièce.
— Je ne peux pas, je ne veux pas, ce ne serait pas juste. Mon enfant aura une mère, cela lui suffira. Il sera heureux, ne manquera de rien et surtout pas d’amour, va-t’en, laisse-nous tranquilles.
Profondément bouleversée, Rose se lève sans un regard pour lui elle quitte la pièce. Amélie est stupéfaite. Jamais elle n’aurait imaginé que ce garçon puisse avoir de pareils sentiments envers sa nièce, mais surtout que ces sentiments sont assez forts, pour qu’il veuille, à son âge, endosser la paternité d’un enfant qui n’est même pas de lui, qui l’aurait cru ? Elle doit dire quelque chose, oui mais quoi.
— Richard, vraiment ta démarche t’honore. Mais, vois-tu, je la connais. Je suis sûre qu’elle nourrit les mêmes sentiments à ton égard. Elle n’est pas prête et ne le sera sans doute jamais, je suis désolé mais il vaut mieux que tu la laisses. Elle ne pourrait pas te rendre heureux.
Richard est complètement déstabilisé, malheureux comme il ne l’a jamais été.
— Alors je vais faire ce qu’elle désire, je ne peux pas l’obliger. Mais si vous pouviez lui dire, que je l’aime sincèrement. L’enfant qu’elle porte, dans mon cœur c’était déjà le mien.
Ne voyant pas ce qu’il aurait pu ajouter de plus, il est rentré chez lui abasourdi. N’arrivant pas à réaliser qu’il vient de faire un joli rêve. Épouser la femme qu’il aime, et devenir père. En quelques minutes, tous ses espoirs se sont envolés, faisant place à un vide immense.
Richard s’était exprimé avec la plus grande sincérité, sûrement maladroitement sans détour, animé par la peur. Il n’avait pas su s’y prendre c’était tellement difficile, il aimait profondément la jeune femme. Tout naturellement ce petit enfant qui grandissait en elle, il aurait voulu en être le père. Garçon ou fille il lui aurait donné son nom, l’aurait entouré du même amour qu’il ressentait pour sa mère.
Elles ont parlé, parlé, parlé des heures et des heures, elle a avoué à sa tante qu’elle l’aimait elle aussi. Justement parce qu’elle l’aime, elle ne peut que s’éloigner de lui. Amélie comprend. Combien de nuits a-t-elle été réveillée en sursaut par les pleurs et les gémissements de sa nièce, en plein cauchemar ? Combien de fois a-t-elle dû lui faire des tisanes, espérant que cela l’aiderait à se rendormir ? Elle n’a qu’un seul espoir, qu’à la naissance de l’enfant tout s’apaise. Mais rien n’est moins sûr, son beau-père va la hanter encore longtemps.
La séance vient de se terminer, elle en sort épuisée. Comme chaque fois qu’il est question d’avenir, après la naissance de son enfant, le sujet est très délicat. Rose sûre d’elle, affirme qu’elle vivra pour son bébé, qu’elle n’aura besoin de personne d’autre. Élise est une bonne thérapeute, mais le blocage de Rose face à un avenir sexuel normal, l’inquiète au plus haut point. Cette jeune femme, se remettra-t-elle un jour du traumatisme ?
— Je n’aurais jamais dû passer autant de temps avec lui. Qu’est-ce que je me suis imaginé, que l’on pourrait seulement être amis toute notre vie. Je crois m’être menti à moi-même, parce que finalement j’étais bien en sa présence. Argumente Rose.
Élise se glisse dans la brèche ouverte, par les propos de sa jeune patiente.
— Alors, laissez-vous une chance, avec de la patience de l’amour tout peut être possible. Avouez-lui vos craintes, faites-lui confiance il vous aime. Ce jeune homme est prêt à accueillir votre enfant comme le sien, le temps peut effacer bien des blessures, croyez-moi, rien n’y fait. Rose reste sourde aux propos de son médecin.
— Mais jamais je ne pourrai aborder le sujet de la sexualité avec lui. Le seul fait de l’évoquer me donne la nausée. Je dois tourner la page, me consacrer à l’arrivée de mon enfant.
Ce jour-là, subitement, il s’est mis à pleuvoir. Ils se sont abrités sous un porche, elle tremble. C’est la première fois que Richard la prend contre lui, la première fois qu’il a compris qu’il veut passer le reste de sa vie à la protéger. Il la sent tellement fragile, tellement vulnérable. À la dérobée, le jeune homme regarde son ventre, la coquille de noix est passée au stade de pastèque. Elle a de plus en plus de mal à marcher normalement, et se plaint de mal de dos. Il voudrait souffrir à sa place.
Richard se remémore en boucle ses souvenirs avec Rose. Oui voilà tout cela se résume à des souvenirs, heureux, certes, mais tellement douloureux à évoquer. Il entend son rire, il la revoit quand elle rougit de façon si charmante. Pff quel gâchis ! Elle ne lui a laissé aucune chance. Dommage, ils auraient pu être si heureux, il en est sûr, aussi sûr que deux et deux font quatre.