Et elles danseront les petites marionnettes... - Niamor Itrebla - E-Book

Et elles danseront les petites marionnettes... E-Book

Niamor Itrebla

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Beschreibung

Pénétrez dans les profondeurs troubles et sombres de l'âme humaine dans ce thriller perturbant. Entrez dans l'univers malsain, violent et pervers d'un tueur en série et de son apprenti aux USA, d'un kidnappeur et de sa victime en France, et de leurs pourchasseurs névrosés par leur passé. Découvrez une société où la justice se décide désormais sur les écrans dans des émissions de divertissement. Ecoutez ces corps exulter leurs désirs coupables dans d'inavouables plaisirs charnels Embrassez le mal qui nous habite !

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Seitenzahl: 342

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Ähnliche


Sommaire

Prologue

Première partie

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

Chapitre 45

Deuxième partie

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

EPILOGUE

Prologue

Le métro parisien, aux heures de pointes, rassemble en son cœur un vivier de marasmes humains. Les portes du convoi s’ouvrent sur un amoncellement de chairs dégoulinantes de sueurs. Un concentré d’effluves nauséabonds se délite dans l’air, des vapeurs musquées aux extraits d’urines, de transpirations et d’alcools. Une prolifération indigente d’inconnus sans visage, masques sans âme, s’emparent des cabines. La cohue ! Ils jouent des épaules, se bousculent, se tamponnent, s’écrasent les pieds dans l’optique d’une pathétique victoire : s’agglutiner dans un wagon bondé, cintrés et compressés. Les malfrats faufilent au passage leurs doigts à l’intérieur des sacs et des poches, fouillent leur existence, violent leur intimité pour quelques billets. Engoncés comme sardines en conserve, tassés les uns sur les autres, les passagers concèdent en silence leur espace vital. Derniers remparts de leurs rêves et de leurs espoirs, les yeux impassibles s’évanouissent dans le vague lointain ou les mocassins. Un croisement de regards consentirait à laisser pénétrer leur esprit. Mais savent-ils seulement qu’ils agissent ainsi par instinct de préservation, courber l’échine, ne pas défier, s’incliner volontairement… Et cela Elise ne le supportait plus, sans parler des mains baladeuses et de ces membres qui se durcissaient au contact de sa jupe.

C’est pourquoi du haut de ses vingt-cinq ans elle n’a pas chigné sur les horaires qui lui ont été assignés il y a un mois, de 22h00 à 5h00. Originaire de Metz, elle a abandonné sa ville natale, famille et amis pour les atouts de la capitale au profit de ses ambitions professionnelles. D’abord aux abois dans les catacombes, sa vigilance s’est estompée aux rythmes de ses voyages nocturnes. Elle se balade aujourd’hui sans la moindre appréhension dans les souterrains ferroviaires. La plupart des sièges inoccupés, un sourire entendu avec les quelques usagers qu’elle retrouve à ces heures bien matinales, elle relâche la pression de sa nuit de labeur. Juste avant le départ du train, un homme s’assoit à ses côtés.

Elle ne saurait dire pourquoi mais quelque chose la dérange chez cet étranger. Ce n’est pas son physique, un beau brun ténébreux vêtu d’un jean surmonté d’un sweet. Est-ce son expression dure, la mâchoire crispée entre ses dents serrées, ou sa façon de la contempler en silence ? En tout cas quelque-chose la dérange…

Et ses craintes sont justifiées. La main dans la poche, il lui fait entrevoir l’éclat d’une lame aiguisée et lui susurre à l’oreille :

« Laisse-toi faire. Tu cries ou tu gigotes, j’te plante. T’as bien compris ? »

Pour les personnes particulièrement sensibles aux scènes de viols, je vous invite à reprendre votre lecture à la mention indiquée plus bas

Elise acquiesce de la tête, et commence alors l’enfer. Il lui fourre sa main dans le pantalon, et force le passage de sa féminité, d’abord d’un doigt puis de deux. Impuissante, des larmes de douleur et de honte coulent le long de ses joues, et exacerbent le plaisir de puissance du bourreau qui, enivré, accélère la cadence de ses va et viens. Elise apeurée fixe un à un les autres voyageurs, en vain. Son violeur n’en est pas à son coup d’essai. Personne ne lèvera le petit doigt.

« Oh ! S’exhiber ainsi, quelle honte ! », « Elle n’a pas l’air bien, pourtant elle ne bouge pas », « Dois-je intervenir ? Ils ont l’air de se connaitre », « Si elle était si mal que ça, elle se débattrait », « un violeur ne commet pas ses crimes en pleine lumière devant tout le monde », « je ne suis pas tout seul, si elle était vraiment en danger quelqu’un d’autre serait déjà intervenu »… Autant d’interrogations inconscientes, de doutes implicites dont se servent tous les types de son genre pour perpétrer leurs méfaits en toute quiétude. Le doute, excuse récurrente pour se soustraire à ses devoirs, légitimité satisfaisante pour ignorer ses faiblesses couardise en tête. Avec quelle facilité dédouanons-nous ainsi notre lâche démission ou notre incapacité d’agir, choqués par l’immédiateté de l’agression ! Combien de récits de viols en public nous ont déjà été relatés dans les journaux et faits divers !

En professant son crime au grand jour, il les soumet tous à sa volonté. Il les tient à sa merci. Il les possède, il nous possède. Elise suffoque, déchirée, meurtrie sous les assauts répétés. Il lui empoigne les cheveux. Tandis qu’il enfonce sa langue dans sa bouche, elle manque de s’évanouir. Ce goût rance et amer, elle ne s’en débarrassera jamais.

Vous pouvez reprendre votre lecture ici

Son salut (celui d’Elise) se pointe enfin sous les traits d’un quadragénaire crâne rasé, les sourcils froncés à l’abri d’une paire de petites lunettes rondes. De sa place il avait pu à loisirs se délecter du spectacle. Il se tient devant eux, l’air grave et assuré, la poche de son blouson déformée par un objet qu’il serre fermement :

- Il me semble nécessaire de vous préciser que le canon de mon arme vous tient pour cible. Je vous saurai donc gré de retirer vos sales pattes de la jeune demoiselle.

Il a prononcé cette invective sans une once d’émotion dans la voix. Que ne fut le soulagement d’Elise de ne plus sentir la pression de la paume entre ses cuisses. Les doigts du pervers tremblent. Elise tente de se relever mais ses jambes refusent de la porter. L’œil malicieux, son sauveur lui intime par un geste de la main de rester avant de reprendre de son ton monocorde :

- Je ne peux décemment tolérer votre conduite !

Elise souhaite voir sa cervelle gicler, qu’il l’anéantisse. Elle veut l’entendre supplier, souffrir avant d’expier son dernier souffle. Son chevalier blanc a d’autres projets en tête :

- Vous avez osé la salir devant moi, à votre tour donc. Ejaculez !

Intimidé, le pervers obéit. Il attrape son membre et le coulisse frénétiquement. Ce branle infernal explose dans une brève convulsion. Recroquevillé, les genoux relevés, le pervers se plie en deux. La mine basse, il cache misérablement l’auteur de ses pulsions. Comme un enfant prit sur le fait, il espère la compassion paternelle. En un instant il est passé de rôle dominant à celui d’esclave, d’objet. Lorsque deux bêtes féroces se rencontrent, le plus dangereux marque son territoire et chasse définitivement son rival. Ce dernier, humilié dans sa nature profonde, court se terrer à l’abri des regards de la face du monde.

L’esprit d’Elise se perd dans le brouillard, tourmenté par le déshonneur, la torsion de ses entrailles, le sentiment de vulnérabilité, l’assassinat de son innocence, le piétinement de ses sentiments, la fin de sa vie. Il la réveille :

- Vous pourriez me remercier.

- Ah… Oui, merci.

- Je peux vous assurer qu’il ne posera plus jamais un seul de ses orteils ici.

Bafoué dans sa dignité de mâle, le pervers préfèrera à son retour sur les lieux de sa déchéance sociale l’immolation. Le risque de se mesurer à nouveau avec le type qu’il considère à présent comme chef de meute, un chef qui l’a dénigré au point de l’éjecter de sa tribu, le pétrifie. Et cette interruption engendre chez lui une plus grande frustration encore et lui fera franchir un seuil supplémentaire sur l’échelle de la perversion. Un seuil qui le mènera à des comportements et des exactions plus horribles encore… Le sauveur se garde de dévoiler ce détail à Elise. Il empoigne toujours l’objet métallique camouflé dans son blouson. Il le débusque lentement devant les yeux écarquillés de la jeune femme : un téléphone portable. Il a fait déguerpir son agresseur avec un Smartphone. Avant de la quitter en proie à ses nouveaux démons, rictus aux lèvres, il mime un texto et enregistre la photo d’Elise. Elle balbutie :

- Votre nom… Votre nom s’il vous plait ?

- John, John Harper.

Il tourne les talons. Sans le savoir encore il l’a choisie, pas pour lui, pour un autre. Mais pas pour tout de suite. Non, pour plus tard, bien plus tard. Peut-être est-ce à ce moment précis qu’ont germé ses plans machiavéliques, maintenir sous son contrôle la situation et les protagonistes : le pouvoir ultime !...

Première partie

Aux USA

1

Un courrier présidentiel frappé du tampon « confidentiel » a traversé les Etats-Unis depuis Washington. Expédié par voie express, il arrive à destination en moins de deux heures. La climatisation du bureau fédéral de la Louisiane est en panne. La chaleur et l’humidité ambiantes alourdissent le fonctionnement du service. La température atteint les trente huit degrés. Des gouttes perlent sur le front des bureaucrates assis derrière leurs écrans et, happées par la pesanteur, s’écrasent inlassablement sur les claviers. Les doigts enfoncent péniblement les touches. La nonchalance cadence, ou plutôt ‟décadence” cette journée. Les mouvements sont minimisés à leur stricte nécessité, singes paresseux accrochés aux accoudoirs de leurs sièges. Tous se sont acoquinés de vêtements plus adaptés, légers et confortables que le costume de rigueur. Al, lui, n’a jamais porté la tenue réglementaire. Ce n’est pas à quarante-cinq piges qu’il va déroger à ses habitudes, la chemise noire semi-cintrée enfilée pardessus un vieux ‟Levi’s″ usé souligne son ossature.

Il décachette l’enveloppe et découvre le laissez-passer signé par le plus haut chef de l’Etat. Il lui ouvre l’accès à toutes les informations et les ressources humaines nécessaires à l’aboutissement de son enquête. Il est temps de réunir son équipe. Il rompt le silence ambiant et incite ses collègues, occupés à détailler les nouveaux éléments qu’il leur a transmis par mail, à le suivre. Dans la salle de conférence, ses sbires s’installent autour de la table. Al encore debout passe sa main dans ses cheveux courts grisonnants avant d’attaquer :

- Comme vous avez pu le constater, il semblerait que notre homme ait réitéré. Que pouvez-vous me dire que je ne sache déjà ?

Bill surnommé « Le Rouquin », un visage de poupon sur une carrure de rugbyman en short et chemise hawaïenne, se lance. Le dragon tatoué sur la longueur de son bras droit danse au gré de son discours :

- Patron, le mode opératoire de l’enlèvement correspond effectivement à notre tueur. Il a étudié les lieux, les trajets des victimes, déterminé l’endroit le moins exposé. Nous ne possédons encore aucun signe distinctif. Grâce aux rares témoins, nous savons seulement qu’il utilise artifices et déguisements. Tout correspond mais Washington ? C’est tellement loin de son territoire habituel. J’ai mis des gars sur le coup pour éplucher les listes des aéroports au cas où… Tu ne nous as dévoilé aucun renseignement sur les dernières supposées victimes, ni leur nom, ni leur adresse. (Il pointe son doigt inquisiteur vers son patron). Comment veux-tu que nous établissions un lien quelconque ?

Une voix douce, fragile s’élève du fond de la salle :

- Il augmente depuis plusieurs mois le champ de ses crimes. Il ne frappait que dans le sud-ouest de la Louisiane lorsque nous l’avons repéré. Puis il s’est excentré sur toute la région pour finalement s’exporter vers le Texas, l’Arkansas et le Mississipi. Alors pourquoi pas Washington, bien qu’il fasse là une surprenante extension ? A moins qu’il ait une autre idée derrière la tête.

Tous se tournent vers une jolie brunette, les yeux amandes sous la frange de sa coupe au carré. Le contraste sur sa nuque blanche ombrage la naissance de son épaule. Sa robe blanche à fleurs couvre avec soin la finesse de ses courbes. Al glisse la bretelle le long de son bras, la dénude en pensée et devine ses deux poires dardées sous la soie.

- Bonne analyse, Amy. - Répondent en chœur deux gringalets assis l’un en face de l’autre.

Ces trois mots sortent Al de ses impures pensées :

- Les jumeaux, quelles données avez-vous pu extraire du message prélevé sur les lieux ?

Ils ne sont jumeaux que de surnom tant ils se ressemblent. L’un blond, l’autre châtain foncé mais ces deux petites gueules de fouine derrière les montures colorées peuvent en tromper plus d’un. L’épaisseur de leurs verres défie les rayons du soleil. Ce look est savamment calculé. Leurs morphologies ne leur permettent pas de s’afficher dans un débardeur sans déclencher un flot de moqueries. Alors autant vêtir sans complexe la peau de geek, et de l’assumer jusqu’au bout des ongles. A leur décharge, ils ne sortent guère de leur tanière, plus à l’aise derrière un ordinateur. Lewis, le blond, enchaîne le premier :

- Rien de neuf côté procédé. Le même type de papier standard 80g vendu un peu partout dans le monde. Il découpe les lettres dans plusieurs « canards » avant de les coller.

- Ce qui ressort du texte, renchérit Arnold, l’exubérance de sa mégalomanie. Il fait référence à John Wilkes Booth et Abraham Lincoln. Il désire prendre possession des Etats-Unis et écrire son nom dans l’Histoire. Je le cite : Booth espérait créer le chaos. Je réussirai là où il a échoué. Je ferai trembler le monde. Mon nom résonnera dans chaque livre de classe !

- Bon Dieu, Al ! Qui sont les victimes ?

- J’avais besoin de vous entendre sur cette affaire, sans pression, tout du moins sur les premiers résultats. Il s’agit de la famille du Président des Etats-Unis !

2

Retour à la case départ, direction la Louisiane. L’équipe atterrit en hélicoptère, encore atterrée par le culot du ravisseur. Depuis Washington, il a traversé les frontières de chaque état avec ses trois otages recherchés non seulement par tous les patriotes par amour pour leur drapeau mais aussi par tous les autres, si peu nombreux dans ce pays, aussitôt convaincus de l’intérêt national par la rançon promise pour chaque renseignement avéré. Rien ne rend un capitaliste plus patriotique que l’odeur d’un billet vert saupoudré d’une justification acceptable. Le silence dans le cockpit en dit long sur la probabilité de récupérer les séquestrés vivants… Secondé par Amy et Bill, Al la tête baissée sous les pales, court vers deux officiers. Ils l’accompagnent jusqu’au responsable du SQUAT, groupe d’intervention de la police américaine, avec qui il va organiser l’assaut. A l’arrière de la fourgonnette d’où sont dirigées les manœuvres, Al partage ses informations sur la psychologie du forcené avec l’homme d’action, oreillette et micro pendus à son cou. Ce dernier déplie le plan des lieux sur une table fixée au sol. La cage thoracique épaissie par son gilet pare-balles, il détaille à Al toutes les étapes de l’opération. Des moniteurs récoltent les données audio, l’antenne orientée sur le bâtiment, et d’autres enregistrent les images infrarouges transmises par satellites.

Le hangar crâne avec sa gravure du drapeau confédéré tatouée au dessus de la grande porte. Deux bons gros ‟rednecks″ (paysans du sud des Etats-Unis) y retapaient de monstrueux trucks, isolés au milieu des champs boueux de la région. Mais leur petite affaire n’a pas survécu au nouveau capitalisme. L’esclavage moderne a détrôné celui des sudistes soucieux du déclin de la suprématie blanche. Les riches propriétaires des champs de coton garants d’une économie de libre échange, et donc par là même déjà mondialistes, se sont vus dépouillés de leurs statuts par les intérêts des patrons industrialistes. Les nouvelles machines ont considérablement augmenté la production et leur profit, le bien-être des ouvriers relayé au dernier rang de leur préoccupation. Aujourd’hui le monde appartient aux financiers aussi peu scrupuleux et aussi enclins à sauvegarder le modèle ultracapitaliste. Et demain, de la cyber-technologie émergera de nouveaux puissants partisans eux aussi du libre-échange par l’asservissement consenti des peuples.

Un petit nombre d’occidentaux s’enrichit sur la maltraitance d’une grande majorité d’innocentes victimes. Combien de morts pour extraire l’huile de palme ? Combien de guerre pour l’appropriation du gaz et du pétrole ? Combien de maladies, de cancer, de drogues et de saloperies avalons-nous ? Combien de délocalisation pour une fabrication à moindre coûts ?

Nous courbons l’échine, dociles. Résignés ? Pas complètement, mais tenus en laisse par la potentialité d’une ascension sociale. Nos maîtres, par l’exemple de quelques-uns, nous donne l’espoir de parvenir à leurs rangs au moyen d’études, d’un billet de loterie, d’une idée originale… Un système approuvé au fil de l’Histoire. En de rares occasions un esclave, érigé en exemple par les riches propriétaires pour sa loyauté et son obéissance, se voyait récompensé de sa liberté. Dans la même verve, quelques-uns gravissent les échelons jusqu’au sommet. Une chimère, ils ne sont pas plus leurs égaux que les affranchis l’étaient des ‟missiés” blancs. Nos nouveaux seigneurs les traiteront avec la même condescendance qu’un ‟missié” à l’égard de l’esclave à qui il remettait le manche du fouet pour battre en son nom frères et sœurs de couleur, avec la même condescendance que M Mittal à l’égard des dirigeants syndicalistes…

Finalement ce modèle, fils du taylorisme, petit-fils du colonialisme, et arrière-petit-fils de l’esclavagisme, constitue-t-il le meilleur choix qui s’offre à nous? Ne serait-il pas nécessaire de fonder de nouvelles règles ? Puisqu’ils se remplissent les poches avec l’abolition des frontières dans le monde des affaires, pourquoi ne pas jouir nous aussi de la mondialisation en leur imposant un salaire décent commun à tous les pays, les mêmes taxes… ? Pourquoi la mondialisation ne serviraitelle pas la majorité des citoyens ? Serait-il si difficile de faire respecter les valeurs des droits humains ? Tous cantonnent en chœur l’infaisabilité avant même d’essayer, au lieu d’efforcer petit à petit la levée des barrières.

Aucun danger de dommages collatéraux dans cette friche. Le tueur est cloîtré à l’intérieur. Peu d’espoir de survie des victimes, aucune connaissance sur la force de frappe du meurtrier. La meilleure offensive consiste en une intrusion simultanée par toutes les issues. La première équipe escalade déjà, à l’aide d’échelles, le bâtiment jusqu’aux étroites fenêtres. La seconde, sur les dents, protections et armes aux poings, se tient en alerte devant la porte d’entrée. Le coup d’envoi est lancé. Les fumigènes brisent les vitres, suivies des lanceurs. Aussi agiles que les araignées, ils descendent bien agrippées sur leur filin de sécurité. La porte éclate sous les coups répétés du bélier. Ils se déploient et prennent possession des lieux. En une fraction de secondes, le périmètre est sécurisé.

Il patiente, assis sur un touret, un verre de champagne à la main. Il verse avec distinction les bulles sur sa langue, la flûte entre le pouce et l’index, le petit doigt en l’air. Il déglutit une dernière gorgée. Il pose le contenant vide sur le sol devant lui et lève les mains, ouvertes bien en évidence au dessus de sa tête. Il s’amuse des précautions employées par les envahisseurs. Ils s’approchent lentement de lui, fléchis derrière boucliers et gilets par balles, à l’affut du moindre mouvement. Et lui qui attend de se faire cueillir. Décidément, ils ne sont pas si pressés de le menotter. Appréhenderaient-ils la dissimulation d’une arme, ou pire encore, d’un détonateur ? Réalisentils que les boucliers ne les protégeraient d’une explosion ? Boom ! Cette pensée retrousse les babines du criminel. Ses dents blanches éclatent au grand jour. Les képis n’en reviennent pas, il rit ! Un cassecou raccourci la relative distance qui les sépare. Les autres maintiennent John en joue, sur le qui vive, prêt à le cribler de trous. Une invective :

- Ne fais pas le con, Ne bouge pas !

L’évocation d’une réponse lui brûle les lèvres, le schtroumpf téméraire le plaque au sol. Il le cajole de toute sa masse, les autres lui passent les fers aux poignets. Le câlin se transforme en palpations. Les mains se baladent jusqu’à l’entrejambe. Le suspect se laisse tripoter non sans quelques pensées inappropriées :

- Il faut être vicieux pour s’engager dans les forces de l’ordre. Quand il aura fini de s’exciter sur mes parties, il pourrait peut-être me sucer ce con.

La fin de l’intervention est annoncée par radio. Al, suivi d’Amy et Bill gagnent le terrain. Leurs chaussures pataugent dans un liquide poisseux. Cela n’augure rien de bon. Le goût ferreux et âpre du sang leur saisit les papilles, les écœure. Puis l’effroyable, ce qu’ils découvrent dépasse l’entendement !

La mère face contre terre, présente son dos meurtri d’innombrables blessures. Des piques la traversent de part en part, les tendons et ligaments sectionnés à coups de scalpels, l’anus exploré, les ongles et les cheveux arrachés, une corde solidement attachée à la taille.

- Ne la retournez pas, attendons le médecin légiste.

Une première remontée acide saisit la gorge de Bill. Une de ses remontées qui vous brûlent la gorge au passage et redescendent aussi sec avant d’avoir put atteindre votre luette. S’ensuit une deuxième, puis une troisième. Bill court à l’extérieur soulager ses haut-le-cœur. Même les plus rompus aux visions de l’horreur succombent devant la preuve de la monstruosité humaine lorsqu’elle évoque l’innommable. Un éclat métallique enroulé autour des doigts de la victime, Amy suit les fils de pêche. A leurs extrémités des hameçons au moins aussi gros que son pouce, des morceaux de chair humaine, de globes oculaires, de doigts, de muscles en guise d’asticots. Bizarrement les défenseurs des droits animaliers se taisent sur les effroyables conditions des vers, se tortillant de douleurs, transpercés de part en part. Amy accompagne le rouquin dans le deuil de son dernier repas.

Al, les tripes bien accrochées, suit la corde jusqu’aux deux petits êtres en suspension. Elle entoure leurs trachées, une mort lente et suffocante. Il est si proche maintenant qu’il peut les toucher. Il se fige. Les joues et les oreilles arrachées, énucléés, les membres et les troncs exposent de nombreuses cavités, leurs intimités sectionnés, la verge et les testicules du petit garçon, le clitoris et les parois vaginales de l’adolescente.

Al assemble les pièces du puzzle. La délicate harmonie familiale, tous sur la pointe des pieds. La mère soutient ses enfants, la corde autour de leur cou. La moindre faiblesse de sa part soulève ses petits de la terre ferme. Les bras en l’air, chaque mouvement leur arrache un bout de lambeau. Après plusieurs heures, sous les agressions incessantes du bourreau, la première dame des Etats-Unis tombe épuisée…

En proie à de multiples ascensions gastriques, Al se contient, pour son image. Le tueur plonge son regard dans le sien avec un sourire narquois :

- Que de monde pour moi, heureusement que je vous ai téléphoné. Un concentré de fieffés benêts. Vous ne me méritez pas !

Il n’en faut pas plus à Al. Il le cogne à la mâchoire, l’attrape par le colbac :

- Ton nom, salaud !

- John Harper, pour vous servir. Répond-il avec cet insupportable rictus.

Al se mortifie sur place. Ce nom, se peut-il que ce soit lui ? Non ce n’est pas possible. Ce tueur après qui son équipe court depuis plusieurs années ne serait autre que… ? Reprendre ses esprits. Plusieurs flashes, les images des crimes lui électrifient l’échine.

Al secoue John :

- Pourquoi, pourquoi ?

- Trois raisons : en premier lieu la jouissance, inutile de vous expliquer n’est ce pas ? Ensuite le prestige et l’immortalité, mon nom à jamais associé à notre cher Président. Et enfin la science : sincèrement la gent masculine fut bien décevante. Les mères regorgent de ressources insoupçonnables pour protéger leurs rejetons. L’instinct maternel, la nature leur a conféré une capacité accrue pour endurer les accouchements…

Al décoche chaque syllabe dans l’oreille droite de son interlocuteur :

- Tu me dégoûtes. Va pourrir en tôle !

Le souffle du monstre glace le sang du policier :

- La prison ne me sied guère. Je sortirai plus rapidement que vous ne m’y ferez mettre les pieds.

- Vas crever en enfer !

- Je vous laisse m’emboiter le pas, Al.

- Embarquez-le !

Il est scié, John vient de le nommer. Plus de doute, ce ne peut-être que lui. Il aurait préféré ne jamais se retrouver face à ce pervers. S’il s’agit du fruit du hasard, dame fortune se joue de lui, une fois de plus…

3

Dans une spacieuse maison de la capitale des Etats-Unis, Georges soigne son apparence dans la salle de bain de sa chambre. Dernier coup de rasoir sous le menton, il parle à travers la cloison. Sa femme ne s’est pas encore levée du lit:

- C’est aujourd’hui que nous votons cette stupide loi.

- Laquelle ? Il y en a tellement…

- Franck Manson souhaite faire comparaitre les tueurs en série par les citoyens de notre pays via une émission télévisée.

- Ce n’est peut-être pas une si mauvaise idée. Ce sont quand même eux les premières victimes.

- Cela va à l’encontre des principes de la justice et de la démocratie. Ce serait trop dangereux !

Elle hausse les épaules. Il tamponne la serviette humide sur le visage et s’asperge d’après-rasage.

- Si tu le dis.

- Tu ne crois tout de même pas…

Helen se lève. Elle ajuste sa cravate, embrasse sa nuque, respire le parfum de son eau de Cologne :

- J’aime te voir t’enflammer pour tes convictions. Ne rentre pas trop tard ce soir… »

Le son de sa voix emprunt de mystère dévoile quelques intentions charnelles. Ce qui n’est pas pour lui déplaire, déjà excité par cette implicite promesse. Il descend les escaliers qui le conduisent à la cuisine. Il embrasse le front de ses enfants attablés autour du petit-déjeuner, il englouti au passage une tranche de pancake nappée de beurre de cacao et jette un œil par la fenêtre. Le chauffeur patiente devant la limousine, parapluie ouvert. Les nuages pleurent sur la ville. Une journée sombre s’annonce pour l’humanité.

Georges se sent comme chez lui dans les coursives du Congrès. Ses confrères s’éparpillent en petits groupes. Ces petits écoliers bien propres sur eux cartables en mains se congratulent, s’esclaffent de quelques blagues souvent graveleuses, s’échangent les devoirs ou les derniers potins. Les pipelettes s’attardent avant la sonnerie de rentrée des classes. Lorsque la cloche retentira, elles se sépareront en deux camps opposés. Derrière leurs pupitres, elles se siffleront, s’enverront des noms d’oiseau, se conduiront comme des pestes. Plus rien ne comptera, ni l’intelligence des propos tenus ni l’intérêt même de la nouvelle proposition pour le bien commun, à part le groupe d’appartenance du plaidoyer. Mais aujourd’hui tout est différent. Aujourd’hui le monde qu’elles connaissent va s’écrouler. L’arrivée inopinée de centaines de coursiers brise l’ambiance. Les papotages s’interrompent. Une enveloppe papier kraft est tendue à Georges. Il vérifie, elle lui est bien adressée. Il l’ouvre. Blême, la terreur se lit sur les traits de son visage. Hagard, il balaye l’horizon. La torpeur qu’il peut déchiffrer dans les yeux de ses collègues, les incessantes allées et venues des messagers, oiseaux de malheur, c’est sérieux.

*****

Après avoir contourné le billard et le babyfoot dans ‟la salle de décompression”, une pièce mise à la disposition des brigades pour se détendre et se défouler, bifurqué devant le sac de frappe suspendue au fond de la pièce et s’être enfilés dans un renfoncement, Toute l’équipe suit avec Al les informations vautrés dans le canapé face télévision. Vampirisés par le petit écran, aucun d’eux ne jouera ce soir le record sous les clacs caractéristiques du flipper. Ils boivent les paroles du président Carrington, accaparé par les journalistes et leurs questions :

- Je suis confiant. Je prie seulement pour que chaque député prenne conscience de leur responsabilité au-delà de leur courant politique. Il est important pour notre constitution que cette proposition soit réfutée.

- Qu’adviendrait-il si ce n’était pas le cas ?

- Nous serions face à un précédent dangereux pour notre société. La justice est confiée à des professionnels en pleine connaissance des lois, loin de toutes considérations sentimentales. Il serait néfaste de la laisser se corrompre par la vengeance, la rage et la colère aussi compréhensibles soient-elles.

- Monsieur le Président, votre famille a été décimée par un tueur. Ne criez-vous pas vengeance ?

- Je vous remercie de souligner sans délicatesse l’accablement qui plombe chaque jour que Dieu m’accorde. Pour répondre à votre question, si ce monstre se trouvait à ma merci, je ne donnerais pas cher de sa peau. Mais pour notre pays, je ne peux sombrer dans la haine. La justice existe et, comme chacun d’entre vous, je me dois de lui accorder toute ma confiance.

- N’oublions pas également qu’un article de cette loi permettrait une libération conditionnelle. Le coupable bénéficierait alors d’une immunité totale pour ses crimes passés. La seule condition résiderait dans le port obligatoire d’une puce électronique, et d’être accompagné dans tous ses déplacements par un agent.

- Cet article ne m’avait pas été rapporté, cela conforte mon opposition.

- D’après nos informations, il s’agirait d’un article ajouté au dernier moment.

- Sans commentaire.

Le présentateur reprend la main, et s’ensuit de débats de spécialistes sur le discours du président, les risques et les dérives des shows omnipotents jusqu’aux portes des tribunaux. Le résultat tombe sous le choc des nombreux spectateurs, en particulier Al et son équipe : la loi nommée ‟Justice démocratique” est votée à la grande majorité. Comme si « populaire » et « démocratique » étaient équivalence. L’un propose la justice par les individus tandis que l’autre la propose par l’ensemble que composent les individus. L’identité, les valeurs d’une société ne sont pas la somme des valeurs individuelles mais leur résultante, ce que l’on a tendance à oublier.

4

Le président du tribunal joue de son marteau pour obtenir le silence de sa salle. Sans avocat, John assure lui-même sa défense et quémande à la cour l’accès à la ‟justice démocratique”. En vertu de son dernier crime, Il considère la punition ou l’amnistie de ses pairs en deuil plus juste. ‟L’Histoire avec un grand H est en marche”, la cour n’a d’autre choix que d’y adhérer.

L’audimat de l’émission dépasse l’entendement. Le voyeurisme des spectateurs, abruti d’images de téléréalités ou de journaux télévisés, atteint son paroxysme. John, à son aise, use de ses charmes, amuse la galerie, tape dans le dos du présentateur. Il nage dans ce bocal comme un poisson dans l’eau. Il bombe le torse devant les millions de gens. Il jubile, son quart d’heure de gloire. Le petit écran vomit l’abject, et nous spectateurs l’avalons sans modération. En bon boulimiques, nous avalons sans dissociation des saveurs. Nous avalons sans combler notre faim. Et plus les chaînes nous gavent de leur merde pâteuse, et plus nous avalons. Les annonceurs introduisent alors à l’intérieur de ces défécations quotidiennes les promotions de leurs produits de consommation, de la malbouffe addictive aux additifs sucrés. Ils nous engraissent le cerveau pour nous engraisser le corps. Sans discernement, ‟zombifiés” la bave aux lèvres, nous digérons le tout confiant. Qui n’a jamais répété une information tronquée en jurant sa véracité d’un ‟c’est passé à la télé ou sur les réseaux”, les mains grasses de chips arrosés au soda?

Après les rêves vendus par les magazines et les régimes des diététiciens de tous poils, notre métabolisme sur le point de craquer, les industries pharmaceutiques à bout de leurs miraculeux médicaments, les chirurgiens prélèvent nos organes malades. Ils bichonnent leurs poules aux œufs d’or, leurs oies aux foies gras.

Arrive enfin le moment des ‟témoignages poignants”. John sera-t-il accablé ou acclamé par le public américain ? Il continue à fanfaronner. Le présentateur revient sur son passé, celui d’un enfant meurtri. Pure fiction ou non, l’importance est dans l’émotion. En bon comédien John attendri le cœur des spectateurs. Le moment fatidique, sera-t-il sauvé du purgatoire ? Le compte à rebours est lancé. Tout est magnifiquement organisé pour le grand spectacle. Les jauges ‟libre” et ‟mort” se remplissent lentement. Une musique angoissante accompagne le suspense. Le couperet tombe. Il est gracié à 68% des voix. John lève les bras au ciel, en vainqueur. Il remercie son public qui a cru en lui, en sa rédemption.

Il s’installe sur une table d’opération, sur le plateau. Un chirurgien lui insère la puce de géo-localisation dans la nuque. Les caméras tournent en gros plan pour capturer l’instant. On s’assure du fonctionnement. Une mise en scène, de belles images ! Le présentateur réquisitionne le héros sur ses premières impressions d’homme libre, vibre la corde sensible de la fameuse ménagère avant le générique de fin. John descend du plateau, Al lui bloque le coude :

- Tu ne vas pas t’échapper aussi facilement.

- Au contraire mon ami.

- A moins que tu ne récidives, et là c’est la potence !

- Aucune chance.

- Tes pulsions ressurgiront un jour ou l’autre, et je te coincerai.

- Au revoir.

- Eclaire ma lanterne, comment as-tu réussi ton tour?

- Première règle : tous les hommes, quoiqu’ils en pensent, sont susceptibles de trahir jusqu’à leurs propres principes. Il suffit d’activer les bons leviers.

Deuxième règle : tous les hommes recueillent dans leurs âmes des vices, souvenirs de leurs bas instincts sauvages agrémentés d’une pointe de névroses émergées de leur enfance. Des boites de pandore que l’on ouvre en catimini, sous sa cape, à l’abri de l’ordre social.

D’un mouvement sec, John libère son bras et se dirige vers les deux gabarits qui lui servent de baby-sitters. Sa jeune fille d’à peine vingtcinq ans s’empresse vers lui et l’enlace. Lorsque l’on évoque l’amour inconditionnel, nous le faisons souvent sans en peser chaque terme. Ce simple mot ‟inconditionnel” prend ici tout son sens. Ce petit bout de femme lui est entièrement dévoué même s’il devait se révéler le diable en personne. Après sa longue odyssée il repère enfin dans les yeux de celle qui l’avait rejeté à travers la paroi vitrée de la prison la tendresse qu’elle lui déployait autrefois. La Pénélope reconnait son Ulysse sous son déguisement de tolard. Le couple s’embrasse dans le cou comme deux amants s’enlacent après une longue séparation, comme si le destin lui-même réprouvait leur union, comme si un être comme lui ne méritait pas le bonheur. Les deux sbires intiment John à les suivre, il s’incline une bille salée retenue sous la paupière. Al n’a pas perdu une miette de la tragédie grecque. La jeune rousse, Katia, se dirige vers lui :

- Vous ne comprenez pas, n’est-ce pas ? Vous ne comprenez pas ce qui anime la femme que je suis à adorer cet abominable être. Mais je ne peux le dépeindre ainsi. Il est mon papa, c’est tout.

Al est persuadé qu’il la contrôle depuis sa plus petite enfance, mais pour elle il n’en est rien. Sur la partition de ses souvenirs se dessinent les notes d’un conte de fée. Elle y joue la princesse que son père gâte de milliers d’attentions. Il n’a jamais manqué une seule représentation, s’émerveille de fierté à chaque fois qu’elle voltige ses doigts sur les noires et les blanches du piano. Elle avait quoi ? Quatre ou cinq ans? Lorsqu’il l’a emmenée la première fois dans les manèges du parc. Et depuis, chaque année, ils finissent leur escapade par le stand de tir. Il canarde de plombs trois petits ballons virevoltant dans une petite cage. La peluche gagnée complète la collection sur son couvre-lit, et s’ajoute aux autres merveilleux souvenirs : il retenait la selle de sa bicyclette pour l’aider à dompter ce tas de ferrailles sur roues, lui faisait réviser ses devoirs scolaires, l’emmenait dans les restaurants chics, les pièces de théâtre… Mais la mémoire a cette douce capacité de dérouler le film de son passé avec un filtre de nostalgie. Elle a oublié l’exigence de son paternel. Il lui avait imposé le piano, contre sa volonté. Tous ces pleurs à répéter sens cesse le même morceau, pour gagner son amour. Il l’embarquait dans les pires manèges, sous ses cris de peurs et de vertiges, et l’encourageait à se maitriser. Lorsqu’elle y parvenait il la récompensait d’un nounours. Campée sur son vélo, il ne l’assurait pas, il la poussait fort. Elle chutait, inlassablement. Il l’obligeait à remonter jusqu’à ce que le sang de ses genoux écorchés coule sur ses chevilles. Il la façonnait lentement, à chaque jour sa leçon de vie. Il l’aime à sa manière. Il la protégeait de tous ces prétendants qui espéraient la lui voler. Il l’a construite jusque dans sa sexualité, une sexualité sans attachement, une solitude assumée.

Comment deviner, sous le masque sans faille de ce tortionnaire, le visage d’un homme sentimental ? Il a un cœur, il ne vibre que pour ceux qui se sont donnés les efforts de le mériter, comme elle. Et tant qu’ils ne le trahissent pas, il est prêt à tout pour eux, pour elle. D’ailleurs, alors que les fondements de sa personnalité reposent sur les principes de ne rien devoir et de ne transpirer d’aucune faiblesse, n’a-t-il pas demandé à Al son ennemi juré de tenir sa langue ? La seule fois qu’il sollicite un service, c’est pour sa fille. En tout cas se le persuade-t-il, l’erreur ne fait pas partie de sa vie. Chaque action qu’il mène n’est jamais éloigné de son narcissisme, chaque action qu’il mène n’est jamais par bonté d’âme, chaque action qu’il mène n’est jamais dénué de son propre intérêt. Ce silence promis par peur de la perdre pour toujours, cette jeune femme qu’il a mit tant de temps à protéger, à modeler, à aimer. Il souffrirait tant de devoir s’en séparer.

5

Trois mois se sont écoulés depuis la libération de ‟John, le meurtrier présidentiel”, titre autoproclamé sur la couverture de son autobiographie. Chris attend dans la file qui semble interminable, avec l’impatience de sa jeunesse. L’adolescent boutonneux, le livre à la main, tente désespérément d’apercevoir son idole en se dandinant de gauche à droite, en sautillant au dessus de la foule. L’amas sombre et dense se déplace par vagues dans un inaudible murmure. Les ombres se suivent lentement, dans une marche funèbre vers l’élu providentiel. La mère de Chris l’attrape par le poignet : « Arrête donc de gesticuler. »

Il est tout excité. Lui, d’un tempérament calme et froid, se surprend d’éprouver cette incontrôlable vivacité. John, son idole, a le don de faire naître en lui d’étranges sensations. La lecture de son bouquin l’a profondément chamboulé. La description morbide du massacre de la famille du président, des tortures et des sévices, des moyens utilisés pour faire durer leur plaisir, ont sa préférence.

Bien que John ne soit plus en mesure d’user son art diabolique, son passage au tribunal télévisuel l’a rendu publique. Doté de son exceptionnel intellect, il a rapidement exploité sa nouvelle condition. Invité dans de nombreuses émissions comptant sur le caractère voyeur du public, ses atouts charmeurs et provocateurs ont largement contribué à son succès. Il a enfoncé le clou avec l’édition de ses mémoires. Son égo ainsi flatté, ses bas instincts comblés par la répétition et la mise en scène de ses méfaits, ses fans ont contribué quelque temps à son épanouissement. Mais le manque est bien là, tapi au fond de son être. Il a fallu trouver un autre substitut, et la rencontre de futurs meurtriers en puissance en était un. Savoir qu’il suscite chez des jeunes et des moins jeunes de nouvelles convictions revête une douce consolation, mais pour combien de temps ?

Un universitaire, une vingtaine d’années, se présente devant la star. « Bonjour monsieur», adresse t’il timidement, la tête plongée dans ses chaussures, camouflée sous la capuche de son polo. Il tend une photo. John le sonde rapidement. « C’est une marmite en ébullition », pense t’il. « Un jour il défrayera la chronique en explosant tous ses camarades d’école ». Mal dans sa peau, si transparent aux yeux des autres que son seul moyen d’exister réside dans sa propension à annihiler la substance des autres, avec mépris. Ce même mépris, à moindre mesure, qu’adoptent certains de notre entourage pour rabaisser et dénigrer améliorant au passage l’estime d’eux-mêmes. Processus similaire, à chaque corps tombé il se sentira plus fort, plus présent. Une forme de vase communiquant. Il se nourrit de ses concitoyens. Une façon aussi de leur montrer à tous sa puissance, sa détermination, ses ‟corones”. Son suicide en apothéose, moins par conscience de ses actes ou par volonté d’échapper à ses responsabilités que comme l’aboutissement de ce qu’il a commencé. On ne peut supprimer ce qui n’est en vie. Se cramer la cervelle, l’ultime solution donc pour résoudre son absence identitaire. Le genre de type qu’exècre John, juste une folie pure sans envergure, sans préparation, sans vision artistique. John se figure plus proche de l’esprit créateur et innovateur de Dali ou de Léonard De Vinci que d’un gamin attardé pataugeant innocemment dans les pots de peinture.

Au suivant :

- Bonjour, à quel nom dois-je vous dédicacer cet ouvrage ?

- Chris. Je suis votre plus grand admirateur.

Ses pupilles brillent. Emerveillé, il ose toutefois engager la conversation :

- Je vous remercie. Grâce à vous j’assume aujourd’hui mes pulsions. A votre image, j’aspire à les apprivoiser pour en exulter selon mes désirs.

- En voilà un bien joli vocabulaire pour des lèvres si juvéniles. Combien de fois avez-vous répété votre phrase dans votre petite caboche ?