Evangelium - Tome 1 - Gilbert Laporte - E-Book

Evangelium - Tome 1 E-Book

Gilbert Laporte

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Beschreibung

Une série d'assassinats ayant pour mobile le vol de manuscrits anciens...

Galilée, bataille de Hattin, juillet 1187. Un chevalier hospitalier mourant confie à un jeune moine l’existence d’évangiles dont le contenu remettrait en cause l’image traditionnelle du Christ. Près de neuf siècles plus tard, le lieutenant Martin Delpech enquête sur une série d’assassinats qui ont pour mobile le vol de manuscrits anciens. Il devra suivre la piste d’un psychopathe intégriste qui semble ressusciter et sera confronté à une compétition sauvage entre hommes de main du Vatican, extrémistes religieux et une très ancienne secte messianique. La lutte entre les belligérants sera sanglante. Cauchemardesque. Et le policier n’échappera pas à cette violence. Il y participera même, pour sauver ses proches.

Retrouvez le lieutenant Delpech dans le premier tome de sa nouvelle enquête haletante, qui le confrontera à la violence d'un psychopathe intégriste, d'hommes de main du Vatican, d’extrémistes religieux et d'une secte messianique. Parviendra-t-il à se sortir de cette lutte cauchemardesque ?

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Une plongée dans le monde de l'intégrisme catholique. Pour les personnes avides de théologie. - HannibaLectrice, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Gilbert Laporte est né à Paris et vit dans le sud de la France. Il a effectué ses études supérieures à Nice et a été cadre dans de grandes entreprises. Il partage ses loisirs entre la lecture d'ouvrages historiques, le cinéma, la musique, les voyages et l’écriture.

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Couverture

Prologue VERTIGO

Après avoir glissé, il reçut un coup sur la tempe.

Violent.

Puis, il ressentit une douleur.

Intense.

Enfin, ce fut la chute dans les ténèbres.

Vertigineuse…

..

.

« Il est ressuscité et il est parti. Si vous ne me croyez pas, baissez-vous et regardez l’endroit où il gisait. Il n’y est pas, puisqu’il est ressuscité et qu’il s’en est allé là d’où il a été envoyé. »

(Évangile apocryphe de Pierre – milieu du IIe siècle environ).

1 INCUBUS

Où suis-je ?

Lorsqu’il reprit progressivement ses esprits, il régnait un noir d’encre autour de lui. L’obscurité était si intense qu’il dut cligner des paupières pour s’assurer qu’elles étaient bien ouvertes. Ce n’est qu’ensuite qu’il prit conscience qu’il était allongé sur une sorte d’épais tapis à la consistance spongieuse.

Spongieuse et ondoyante.

Intrigué, il se mit en position assise et plongea la main dans ce qui constituait sa litière. Il en ressortit une poignée de matière organique qui s’agitait mollement entre ses doigts.

Des vers !!!

Apeuré, il rejeta les infects lombrics et larves blanches le plus loin possible de lui et se releva d’un bond. Il s’essuya immédiatement sur les côtés de son jean avec un air écœuré.

Quelle horreur !

Il sentit ensuite que quelque chose rampait insidieusement sous ses vêtements et dans ses cheveux. Il enleva précipitamment sa chemise et s’en servit pour faire tomber les invertébrés de toutes tailles qui grouillaient sur son corps.

C’est dégueulasse !

Le cœur battant la chamade et le souffle agité, il tâtonna fébrilement autour de lui pour tenter d’échapper le plus rapidement possible au milieu répugnant dans lequel il se trouvait. Ses doigts rencontrèrent presque aussitôt une surface métallique rouillée qui semblait incurvée du bas vers le haut.

Où suis-je, bon sang ?!

Il avança prudemment en suivant la paroi.

Où cela mène-t-il ?

À chaque pas qu’il faisait, l’homme écrasait une épaisse couche de vers de toutes longueurs dans un éprouvant bruit gluant. Il poursuivit son exploration à l’aveugle et eut vite fait le tour de l’endroit où il se trouvait. Celui-ci devait mesurer tout au plus trois mètres de large sur six de long. Le lieu était dépourvu d’ouvertures et avait apparemment la forme d’une cuve.

Je suis enfermé ? …

Il chercha désespérément une sortie par le haut et ses mains finirent par rencontrer un large conduit. Celui-ci s’ouvrit brusquement et une eau abondante et glacée se déversa sur lui. Il en fut suffoqué, puis il commença à s’affoler.

Mon Dieu, je vais mourir noyé !!!

Il sentait le long de ses jambes que le niveau s’élevait dans la cuve.

Les vers qui flottaient à la surface montaient aussi.

C’est pas vrai !!!…

En quelques minutes, le liquide avait atteint son cou. La masse grouillante frôlait désormais son visage. Il hurla et tapa du poing sur la paroi pour appeler au secours. Il dut cependant se rendre rapidement à l’évidence que ses efforts étaient inutiles. Il continua donc à chercher à tâtons une autre sortie par le haut.

Il n’y en avait pas.

Piégé !

Il était bel est bien prisonnier. L’eau (et surtout les vers !) arrivait maintenant au niveau de sa bouche. Il prit une profonde aspiration. Les immondes bestioles qui s’agitaient autour de lui chatouillaient ses paupières et ses lèvres et certaines pénétrèrent même dans le conduit de ses oreilles. Ses poumons commençaient à réclamer de l’oxygène. Les veines de son cou et de ses tempes étaient gonflées à bloc.

De l’air !!!

La panique le gagna. Il ne pouvait plus retenir sa respiration. Il serra les dents.

Non ! Non ! Retiens-toi !

Cela devenait impossible. Intenable. Il était à deux doigts de se noyer.

Retiens ton souffle !!! Encore un peu…

Il craqua mentalement. C’était au-dessus de ses forces.

NOOOOOOON !!!

Des nuées de bulles s’échappèrent de ses lèvres.

NOO…

Il aspira dans la foulée une grande quantité d’eau par le nez et la bouche, en même temps que d’innombrables vers ronds, lisses ou annelés qui continuaient à se tortiller en tous sens. Puis, il fut pris d’une brutale succession de convulsions et de vomissements, sans pouvoir un seul instant reprendre son souffle…

Il allait mourir de la manière la plus immonde qui soit, lorsque…

… son cauchemar prit subitement fin.

Thiébaud Raquin se réveilla en haletant, l’esprit halluciné. Son corps en sueur était encore agité de spasmes nerveux, tant son rêve lui avait paru réaliste.

Toujours ce maudit cauchemar…

Il lui fallut plusieurs minutes pour calmer son cœur affolé et revenir à la réalité.

Toujours le même rêve atroce…

Ces images le tourmentaient depuis son enfance. Elles hantaient régulièrement ses nuits depuis qu’il était tombé dans une ancienne citerne lorsqu’il était gamin. Mais cette fois-ci, il ne s’était pas réveillé sous une chaude couette et dans une chambre au confort douillet.

NON.

Le bâillon qui avait été enfoncé entre ses dents et fortement noué derrière sa nuque l’empêchait de reprendre correctement son souffle. Il y avait aussi ces bandes de puissant ruban adhésif collées en croix sur chacune de ses paupières et qui le plongeaient devant un écran noir où il avait revu cette vieille scène de noyade dans une cuve.

Il savait qu’il ne sortait d’un cauchemar que pour retomber dans un autre cauchemar. Malheureusement bien réel, cette fois-ci. Une situation nettement plus barbare que la plus effrayante de ses hallucinations.

Il va encore me faire mal…

2 DESERTUS

Galilée, bataille de Hattin, juillet 1187

Sur une terre brûlée par un soleil impitoyable, les milliers d’hommes de l’armée du roi de Jérusalem, Guy de Lusignan, progressaient péniblement en direction du lac de Tibériade. La troupe transportait avec elle une relique de la Sainte Croix qui galvanisait habituellement les combattants, mais le Seigneur semblait les avoir abandonnés ces derniers jours.

La pesante chaleur qui régnait en ces lieux désertiques était étouffante. Harassante. Insupportable.

Asez est melz que moerium cumbatant ! [Plutôt mourir au combat !].

Comme beaucoup de chevaliers, le templier avait ôté son lourd heaume et sa cotte de mailles et les avait accrochés à la selle de son cheval. Le métal de ces indispensables protections se transformait en four sous l’impitoyable astre du jour de Galilée. Beaucoup de gens d’armes sans monture s’écroulaient d’épuisement sur le sol. Le chemin qu’avait emprunté l’ost était ainsi jonché de combattants exténués et condamnés à mourir lentement de soif.

Boivre… [Boire…].

Le templier n’avait pas bu depuis près de deux jours et il avait tellement sué que sa tension artérielle chutait, ce qui lui donnait des vertiges épouvantables. Pour ne pas basculer, il devait se cramponner fermement à la selle de son fidèle cheval, qui était également en bien piteux état et traînait sa patte arrière droite.

Ja mes ta tere ne verras… [Tu ne reverras jamais ta terre…].

Sa Bourgogne natale était si loin…

Le chevalier du Temple maudissait intérieurement les troupes de Salâh Ad-Dîn qui avaient attaqué la forteresse de Tibériade. Guy de Lusignan était tombé dans le piège en décidant de lui porter secours. L’ordre de marche avait, en effet, été malencontreusement donné le premier juillet, sous une chaleur torride, pour traverser l’immense plaine désolée de Toran.

Très vite, la cavalerie légère des sarrasins avait harcelé l’avant et l’arrière-garde de l’armée chrétienne. Combattre était d’autant plus harassant pour celles-ci que les réserves d’eau étaient épuisées, Saladin ayant fait combler ou empoisonner tous les puits aux alentours. Guy avait donc décidé de se diriger vers le lac de Tibériade, afin que ses soldats puissent remplir leurs gourdes, mais le chemin pour y arriver s’avérait fort périlleux.

Soruiure… [Survivre…].

En attendant, il fallait tenir et oublier la soif qui tenaillait les gosiers…

Le plus pénible était de souffrir sans pouvoir ferrailler. Cela mettait la rage au ventre du templier. Il rêvait d’en découdre, mais le couard ennemi restait invisible.

– Sarrasins, cui Dieus maldie ! [Sarrasins, que Dieu puisse vous maudire !], marmonna-t-il entre ses dents.

Le vent brûlant du désert lui desséchait la langue et les lèvres. Le soleil implacable l’aveuglait en lui brûlant les yeux.

Auancier… [Avancer…].

Une unique obsession : arriver jusqu’au lac pour y plonger la tête et se gorger d’eau fraîche et claire.

Auancier…

Le chemin d’accès à Tibériade traversait un paysage aride, seulement parsemé de rares herbes sèches et poussiéreuses. Le trajet semblait interminable.

Auancier…

Harassé, le chevalier piqua progressivement du nez sur l’encolure de son cheval. Il s’était cependant à peine assoupi, qu’une alarme retentit et le tira brutalement de son engourdissement.

– L’olifant sonne !

L’écuyer qui s’était exclamé au son du cor désigna une élévation de terrain d’où émergeaient de nombreuses silhouettes à contre-jour. En quelques instants, le ciel fut obscurci. Une nuée de flèches s’abattit sur la troupe.

Le templier entendit un sifflement qui lui fit tourner le regard vers la colline. Mal lui en prit. Un trait pénétra dans son œil gauche et finit sa course en cognant sèchement dans le fond de sa boîte crânienne.

La douleur ne fut pas immédiate. Il sentit un coup sourd à l’intérieur de sa tête. Paradoxalement, il avait eu dans un premier temps l’impression d’un choc derrière le crâne. La vitesse du projectile le fit basculer en arrière. Paralysé par la violence de l’impact et la sensation de déchirement intense qui l’irradiait désormais, il chuta lourdement sur le côté de son cheval et atterrit face contre terre.

Aucun de ses compagnons d’armes ne fit un geste pour le secourir, chacun cherchait à se protéger des jets mortels. Nombre d’entre eux étaient frappés par la pluie drue de flèches qui volaient en lignes courbes.

Ils étaient ainsi abattus par dizaines, comme des animaux sans défense.

Un cavalier jura d’impuissance en voyant un trait lui frôler le torse :

– Infames coarts ! [Infâmes couards].

Un peu plus loin, un sergent touché à la cuisse droite fut moins élégant :

– Filz a putain !

Les hommes tombaient désormais par grappes entières. Les seigneurs devaient impérativement réagir pour que l’ost ne se fasse pas exterminer.

Un baron se dressa sur ses étriers et héla ceux qui l’entouraient.

– Franceis, Normans, Angevins ! Armez vos ! [Prenez vos armes !].

Chevaliers et piétaille se ressaisirent aussitôt et se regroupèrent en deux masses imposantes. Un templier désigna de son épée le haut des dunes d’où provenaient les flèches.

– Sus, chevaliers ! Ardiz et prouz ! [Hardis et preux !].

Une clameur presque sauvage s’échappa de toutes les bouches pour lancer le cri de guerre, tandis qu’ils brandissaient leurs glaives qui étincelaient sous les rayons du soleil.

– Montjoie !

Ils chargèrent avec courage, mais hélas beaucoup trop lentement. Les lourds chevaux de bataille, déjà éreintés par la température, enfonçaient profondément leurs sabots dans la terre sablonneuse. Au fur et à mesure qu’ils progressaient sur la colline, la puissance de la charge des croisés devenait, de toute évidence, moins efficace. Peu leur importait cependant, tant la soif d’en découdre était intense.

– Paiens s’enfuient !… [Les païens s’enfuient !…].

Parvenus en haut de l’élévation de terrain, ils n’avaient pu que constater que les infidèles s’étaient éloignés pour les couvrir à nouveau de flèches, quelques dizaines de mètres plus loin. Les cavaliers chargèrent maintes fois. En vain.

Malheureusement pour eux, le scénario se répétait. Les attaques de cavalerie lourde, habituellement efficaces pour enfoncer des lignes d’infanterie regroupées, s’avéraient inutiles face à un ennemi à cheval, plus légèrement armé et qui déguerpissait rapidement avant le contact, pour les décimer ensuite à distance du sommet d’une colline voisine.

Le roi Guy n’avait donc pas le choix. Il fallait continuer à progresser vaillamment vers le lac jusqu’à ce que ses troupes étanchent leur soif et trouvent un sol ferme et plat, plus propice à une charge frontale. Il donna des instructions pour que l’on cesse désormais de chercher le corps à corps, afin que les infidèles s’approchent et n’aient plus le temps de faire demi-tour. Il ordonna donc de resserrer les rangs et d’avancer à faible trot vers le plateau qui s’étendait au-delà des dunes.

– Tenez vos frains et vostre cheual a tot li mains [Retenez les brides de votre cheval à pleines mains].

Il ne fallait surtout pas s’éparpiller sur le champ de bataille et s’épuiser en attaques inutiles. Quant à fuir, c’était assurément une mort lâche. Ils seraient abattus, un à un, d’une flèche dans le dos. Il fallait donc poursuivre la route, coûte que coûte.

– El camp estez, que ne seiom vencu ! [Restez sur le champ de bataille afin que nous ne soyons pas vaincus !].

Les traits continuaient à les frapper par vagues sanglantes. Ils tinrent tant bien que mal le choc, le bouclier levé en protection et les yeux rivés sur leur objectif.

Le plateau approchait, beaucoup trop lentement, mais il approchait. Les eaux scintillantes du lac de Tibériade étaient en vue. Par ailleurs, Guy avait vu juste, les Sarrasins, grisés par cette tuerie facile, avaient perdu leur méfiance et venaient de plus en plus au près pour resserrer leur étau.

– Toz armez et prez de bataille ? [Tous armés et prêts à combattre ?].

Les infidèles étaient désormais à portée de main. Les croisés auraient très bientôt fini de courber le dos sous les traits de ces couards qui refusaient le combat au corps à corps. Guy donna l’ordre d’attaque, une fois les rangs soudés.

– Montjoie ! Saint-Denis !

Le cri de guerre fut repris par toutes les bouches avides de rendre les coups reçus. Les sabots plusieurs centaines de chevaux au galop firent un bruit assourdissant dans le silence de ces lieux désertiques. La masse des destriers lancés à pleine vitesse et serrés les uns contre les autres semblait irrésistible et allait bousculer la ligne adverse comme un fétu de paille.

Il n’en fut rien.

Certes quelques cavaliers furent surpris et renversés par la force impétueuse de l’attaque, mais beaucoup eurent le temps de tourner bride et de s’enfuir sur leurs vifs chevaux arabes habitués à la chaleur du désert. Ils reformèrent rapidement leur encerclement un peu plus loin.

Le combat était perdu d’avance. Il fallait le reconnaître.

Pis. L’ennemi commençait à mettre le feu aux broussailles pour les aveugler et les étouffer.

La panique aurait été totale si les Francs avaient su à ce moment-là que l’arrière-garde avait, quant à elle, déjà été laminée à environ deux lieues plus loin. Composée essentiellement d’hommes à pied de piètre qualité combative et de traînards, elle s’était rapidement amenuisée sous de fréquentes et brèves charges de cavalerie sarrasine, suivies d’une attaque générale de fantassins mal armés, mais largement supérieurs en nombre et nettement plus mobiles.

Une fois le combat gagné, les sarrasins victorieux s’étaient empressés de rejoindre l’avant-garde de la cavalerie des croisées pour la prendre à revers. Sur le champ de bataille qu’ils délaissaient régnaient la mort et la désolation. La plupart des cadavres et des blessés à l’agonie parsemaient les berges caillouteuses d’une rivière au lit asséché. Au milieu de cette vision apocalyptique apparut la tonsure rousse d’un jeune moine corpulent, vêtu de mauvaises sandales et de sa robe ecclésiastique d’été. Il allait consciencieusement de corps en corps pour délivrer les derniers sacrements aux rares survivants.

Un peu plus loin, en arrière, un chevalier Hospitalier touché au ventre rampait en grimaçant de douleur pour s’abriter à l’ombre d’un rocher. Le souffle court, il s’y adossa et observa sa plaie en soulevant sa cotte de mailles. Il constata que la pointe de la lance ennemie s’était glissée sous son haubert et avait perforé son intestin.

Il comprit qu’il était perdu. La mort serait, de plus, lente et douloureuse. En relevant la tête, le frère chevalier aperçut l’homme d’Église et le héla.

– Moisnel, venez deça ! [Venez ici, jeune moine !].

Il devait absolument lui confier un secret en sa possession, avant de passer à trépas.

Il le fallait impérativement, pour l’amour du Dieu Tout-puissant.

3 PHANTASMA

Paris, de nos jours. Un soir d’hiver.

Mélodie Bélanger ne se doutait pas du mauvais sort qui l’attendait ce soir-là.

Un destin pétrifiant d’horreur.

Il y avait des circonstances, comme celle qui approchait, où un quotidien d’ordinaire banal pouvait basculer d’un seul coup vers la pire des situations.

Au moment le plus imprévu.

Un bref instant pendant lequel les plus grandes hantises féminines se concrétisaient en une réalité sauvage qui surgissait des profondeurs de la nuit.

Très bientôt.

Comme d’habitude, il était tard lorsque cette mère de famille sortit ses quarante-six ans fatigués de la bouche du métro Gambetta. Elle emprunta la commerçante rue des Pyrénées qui était encore parée des traditionnelles guirlandes lumineuses des fêtes de fin d’année. Son parcours la fit ensuite obliquer vers la rue Stendhal encadrée d’immeubles d’habitation banals qui balisaient ses monotones trajets quotidiens effectués depuis de nombreuses années.

Mélodie rajusta sa toque en fausse fourrure et sa grosse écharpe en laine moelleuse pour se protéger du froid mordant et des flocons de neige qui virevoltaient capricieusement en tous sens. D’un geste gracieux, elle dompta une mèche brune rebelle qui cherchait obstinément à s’échapper de son chapeau.

Au fur et à mesure qu’elle progressait, le bruit provenant du carrefour s’estompait et la rue devenait de plus en plus déserte. Le sol était tapissé d’un manteau immaculé teinté par la couleur jaune de l’éclairage public, et même les nuages bas semblaient y gagner un peu de chaleur.

Mélodie aimait marcher sur des couches de flocons frais et soyeux. Elle éprouvait un plaisir fugace à cheminer sur ce manteau virginal qui couvrait momentanément la noirceur du bitume des voies parisiennes. Pour éviter de glisser ou de rater la bordure d’un trottoir, elle avançait cependant avec précaution dans la beauté de cette poudre traîtresse et se maudissait intérieurement d’avoir choisi des chaussures à talon pour cette période polaire.

Épuisée par sa longue journée de travail et un patron hargneux qui la considérait déjà comme trop âgée, Mélodie était pressée de retrouver la chaleur de son foyer. Enfin, celle du chauffage central… car elle savait d’avance que son mari lèverait à peine le nez de son quotidien sportif en l’entendant entrer, pour lancer son habituel : keskonboufcesoir ?

Quant à ses jumeaux, elle verrait immanquablement ses deux cyborgs de garçons collés à leurs écrans d’ordinateur et agitant leurs manettes de jeux vidéo avec des airs de trépanés épileptiques.

Clones du père en version technologique, en quelque sorte…

Heureusement pour Mélodie, ses rejetons boutonneux étaient cette semaine en vacances chez leurs grands-parents, ce qui lui promettait quelques moments tranquilles jusqu’au week-end. Des soirées de lecture d’un bon roman qui ne seraient pas régulièrement interrompues par des hurlements provoqués par des situations dangereuses devant les buts ou par des sifflements de faisceaux lasers et d’explosions de vaisseaux spatiaux.

C’est fou ce que la testostérone peut rendre primaire…

Le pire dans tout ce quotidien quelconque, c’est qu’elle avait quand même peur que son mari la quitte pour une connasse plus jeune qu’elle. L’obsession banale et partagée par toutes les femmes approchant la cinquantaine et voyant avec terreur leurs amis divorcer pour cause de blondasse moins âgée et à forte poitrine.

Mélodie respira amplement une grande goulée d’air frais pour évacuer ses pensées maussades. La sonnerie de son téléphone se mit à carillonner joyeusement dans son sac. Elle enleva à regret le gant en cuir de sa main droite pour pouvoir saisir plus facilement l’appareil et actionner ensuite les touches.

– Allo ?

– C’est moi, chérie.

– Qu’est-ce qui se passe ?

– Je vais rentrer tard, ce soir, je t’appelle de l’aéroport. Je suis désolé… Un gros contrat à signer demain à l’aube à Bordeaux… Ne m’attends donc pas pour bouffer.

– Encore !

Elle souffla son mécontentement qui se transforma en buée glacée, à peine sortie de ses lèvres ourlées.

– Je sais… Mais je ne peux pas faire autrement, ma biche. Un contrat important est en jeu. Si je le perds, je risque de me faire virer. Il y a plein de jeunes mecs aux dents longues qui ne guettent que ça pour prendre mon job. Mais, promis, je me dépêche pour rentrer le moins tard possible demain. Bisous-bisous.

Mélodie se hâta de glisser son téléphone dans son sac. Elle avait les doigts déjà gelés et elle souffla dessus pour tenter de les réchauffer un peu avant de remettre son gant.

Les déplacements de son mari devenaient de plus en plus fréquents et créaient de la tension au sein du couple. Elle avait horreur d’être délaissée. Les gamins n’étant pas là, elle se dit finalement qu’elle en profiterait pour se faire une soirée bien peinarde en lisant un livre sur un fond de musique classique.

Et puis, je vais peut-être me faire aussi une bonne tisane bien chaude…

Elle se détendit à l’idée de ce moment paisible. Au bout de quelques mètres, une désagréable impression d’être suivie la sortit cependant de ses pensées domestiques. Une sensation étrange, presque physique, l’avait envahie. Comme si le regard inquisiteur d’un observateur l’accompagnait et avait le pouvoir de lui effleurer le dos à distance.

Elle jeta un œil furtif en arrière.

Rien…