Evangelium - Tome 2 - Gilbert Laporte - E-Book

Evangelium - Tome 2 E-Book

Gilbert Laporte

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Beschreibung

Une série d'assassinats ayant pour mobile le vol de manuscrits anciens...

La découverte d’un nouveau cadavre pousse le lieutenant Martin Delpech à rechercher des pistes dans le repère abandonné de l’ancien psychopathe que la police avait fini par tuer.
Faute de preuve concrète, l’enquêteur de la brigade criminelle va jouer un jeu dangereux en enfreignant la loi.
Pendant ce temps, les évangiles apocryphes n’en finissent pas d’attiser les convoitises...

Retrouvez le lieutenant Delpech dans le deuxième tome de sa nouvelle enquête haletante, qui le confrontera à la violence d'un psychopathe intégriste, d'hommes de main du Vatican, d’extrémistes religieux et d'une secte messianique. Parviendra-t-il à se sortir de cette lutte cauchemardesque ?

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Une plongée dans le monde de l'intégrisme catholique. Pour les personnes avides de théologie. - HannibaLectrice, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Gilbert Laporte est né à Paris et vit dans le sud de la France. Il a effectué ses études supérieures à Nice et a été cadre dans de grandes entreprises. Il partage ses loisirs entre la lecture d'ouvrages historiques, le cinéma, la musique, les voyages et l’écriture.

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Couverture

1 ANTRUM

Claire se sentait abandonnée par son mari qui passait de plus en plus de temps en conférences. Elle devint soudainement songeuse et contempla d’un air désolé ses longs doigts fins dont elle rongeait les ongles jusqu’au sang.

Ça ne peut plus durer comme ça…

Serait-elle cependant capable de reprendre son travail un jour ? D’avoir encore une vie sociale ? Elle en doutait.

Mmmmmmh…

Un gémissement à l’étage la fit sursauter. Elle guetta l’apparition d’un nouveau bruit avec inquiétude. Elle était terrifiée à l’idée d’entendre à nouveau des voix.

DE PROFUNDIS CLAMAVI.

DE PROFUNDIS CLAMAVI.

DE PROFUNDIS CLAMAVI…

Le son qu’elle avait perçu n’était sans doute que l’effet du vent sur la toiture. Le grincement repris cependant plusieurs fois selon un rythme régulier. Elle s’imagina un instant que la poupée avait marché de long en large sur le plancher vermoulu du grenier.

C’était absurde.

Mmmmmmh… Mmmmmmh…

Folle. Tu vas finir par devenir folle. Folle…

Le sifflement dans la cheminée du salon lui confirma que le vent s’était mis à souffler en rafales. Elle se leva pour observer les arbres au fond du jardin. La nuit commençait à tomber. Les branches nues se tordaient violemment, comme affolées par la tempête qui s’annonçait. Même les troncs oscillaient dangereusement. On aurait dit que les arbres cherchaient vainement à fuir une lourde menace.

Claire plissa les paupières pour mieux examiner la pénombre, avec l’appréhension d’apercevoir le regard brillant qui l’avait tant effrayée.

Rien…

La jeune femme comprit qu’elle ne pourrait vivre éternellement dans l’angoisse et la peur. Elle sentit qu’il fallait absolument qu’elle se batte pour éviter de sombrer progressivement dans la démence.

Ça ne peut plus durer… Tu vas gâcher ta vie de couple et ta carrière professionnelle. Tu veux que le plus gentil et tendre des maris se barre ? Pour quoi faire ? Pour tourner en rond chez toi comme une dingue ? C’est ça ton existence ? Tu veux te bousiller, alors que tu es jeune et que les mecs te trouvent jolie femme ? Te ronger les ongles jusqu’au sang ? Te retourner constamment dans ton lit avec l’angoisse d’être happé dans un cauchemar ? Sursauter au moindre bruit ? Ressasser sans cesse les mêmes idées noires ? Entendre des voix ?

C’est débile !

Claire soupira de lassitude, s’assit sur le canapé du salon et entreprit de relire les lettres qu’elle avait reçues de sa mère, lorsque celle-ci était malade. Le papier avait déjà commencé à jaunir, comme pour marquer le temps de la séparation. Le cœur de Claire se serra en voyant que l’écriture, au début si maîtrisée, devenait de plus en plus tremblante avec la progression de la maladie. Sa maman lui avouait dans ces lignes l’intensité de son amour pour elle et son regret de n’avoir pu lui donner un frère dans la période qui lui restait de vie qu’elle savait désormais très écourtée. Elle lui faisait également part de sa peur de mourir. Elle n’ignorait pas que son dernier souffle se ferait dans la souffrance d’un corps qui se révolte contre les attaques d’un mal incurable.

Claire avait admiré la manière dont sa mère s’était battue jusqu’au bout. Quand la fin avait approché, la malade avait raconté avec de tendres mots à sa fille tous les souvenirs qu’elle avait de son enfance. Des choses que la jeune femme d’aujourd’hui connaissait, mais aussi de très anciennes anecdotes qui renaissaient dans le cerveau d’une mère atteinte d’une maladie incurable.

Maman, je t’aime…

L’informaticienne sentit son cœur se réchauffer en même temps qu’il saignait encore de la blessure de ces événements disparus. Elle jeta le paquet de lettres à l’autre bout du canapé où elle était assise et pencha la tête en arrière pour regarder le plafond, le vert de ses yeux perdus dans le vague.

Pas vraiment une bonne idée de remuer ce passé dans l’état où je suis…

Elle se releva péniblement pour se diriger vers le bureau qui faisait face au salon. La tête lui tourna. Elle s’appuya un instant à la cloison, le temps de reprendre ses esprits. Le manque d’appétit l’avait affaiblie. D’une constitution habituellement mince, elle était devenue franchement maigre. À ce rythme, l’anorexie la guettait. Elle n’osait même plus se regarder nue dans une glace, tant ses cuisses creuses et ses côtes saillantes l’angoissaient.

Déjà que je ne suis pas très épaisse…

Elle ne pouvait pas continuer à vivre comme cela. Son corps la dégoûtait. De plus, elle réalisait que la relation sexuelle avec son époux en pâtissait. Elle ne parvenait plus à jouir et n’attendait plus de son mari que de la tendresse et une présence rassurante. Pierre en était conscient et ne la sollicitait plus charnellement pour ne pas la gêner, mais elle savait que cette situation ne pouvait durer. Il fallait qu’elle se rétablisse. Qu’elle ne se laisse plus aller et retrouve le goût du combat.

Mais quel était son quotidien désormais ? Que faisait-elle de ses jours ?

Lundi ? J’ai pleuré.

Mardi ? J’ai encore pleuré.

Mercredi ? J’ai broyé du noir…

Jeudi ? J’ai à nouveau pleuré comme une Marie-Madeleine (comme disait son érudit de mari)…

Vendredi ? Déprime totale.

Etc.

C’est sûr. Ça peut pas durer comme ça…

Claire eut un passage à vide, puis une idée surgit dans ses pensées meurtries.

Une idée saugrenue.

Une idée folle !

Elle ne voyait à ce moment que la solution de combattre le mal par le mal. Chasser une fois pour toutes ses vieux démons afin de repartir d’un bon pied.

Elle venait de prendre une décision.

INSENSÉE !

Pour réussir à affronter ses peurs profondes, pour les extirper d’elle et les vaincre définitivement, il fallait qu’elle retourne à l’endroit où elle avait été séquestrée. Elle avait la certitude qu’ainsi confrontée à la réalité du présent elle ne revivrait plus sans cesse le cauchemar qui lui était arrivé en ces lieux.

Elle décida donc de se rendre dans le sous-sol de l’usine désaffectée.

Dans l’ancien antre du psychopathe.

En enfer ! …

2 FUMUS

Il était très tôt en ce lundi matin lorsque Martin Delpech déboula sur le trottoir, en bas de son domicile parisien. Il avait tout juste eu le temps de s’habiller, d’avaler un reste de café froid de la veille et avait précipitamment descendu les escaliers de son immeuble.

Une dizaine de minutes auparavant, Gilles Contassot lui avait ordonné de s’éjecter d’urgence de son lit. Un nouveau cadavre venait d’être découvert avec la tristement fameuse marque 666 sur le front. La série de meurtres recommençait effectivement. Le lieutenant s’y attendait, mais en demeurait perplexe.

Un cerveau aussi malade que Michel Valade, c’était déjà exceptionnel, mais deux assassins de cette trempe…

Un psychopathe qui copie exactement les méthodes criminelles d’un autre serait une première. Martin savait que ce genre d’individu avait généralement un ego tellement surdimensionné qu’il n’acceptait pas de jouer les simples imitateurs. Alors, qui pouvait avoir intérêt à commettre ces meurtres en réalisant une mise en scène empreinte d’un symbolisme religieux similaire ? Le policier avait eu l’intuition qu’il s’agissait peut-être un autre membre d’une même secte, mais il avait quand même du mal à imaginer que des hommes puissent partager des pratiques aussi violentes et cruelles.

Le véhicule de Shrek apparut brusquement au coin de la rue et l’interrompit dans ses pensées. Contassot était venu avec sa voiture personnelle. Martin fut étonné de découvrir un modèle sport tape-à-l’œil de couleur rouge, avec becquet arrière en forme d’aileron et enjoliveurs chromés.

Le commandant le klaxonna et descendit la vitre pour le héler.

– Monte derrière, grouille…

Le lieutenant s’exécuta en marmonnant de manière grincheuse :

– Bonjour. Je vais bien aussi, merci…

– Qu’est-ce que tu dis ?

– Non, rien. Je suis de mauvais poil. J’ai mal dormi, presque rien bouffé et j’ai froid. À part ça, tout va bien…

En s’asseyant sur la banquette, il remarqua sa coéquipière sur le siège avant droit.

– Bonjour Farida.

– Bonjour Marcel, moi c’est Djamila…

– Oh !… Excuse-moi…

– Pas grave, mais ça va être dur d’apprendre le boulot avec quelqu’un qui n’a pas de mémoire…

Il ne releva même pas la pique ironique de sa partenaire, tant il était occupé à boucler soigneusement sa ceinture. Martin détestait en effet ce qu’il ne maîtrisait pas : aller dans des manèges de foire ou être passager d’un véhicule serrait son fragile estomac d’appréhension.

Et avec Contassot, il savait qu’il allait être servi…

Celui-ci avait pour habitude de conduire brutalement et de coller agressivement à l’arrière de la voiture qui le précédait. Pour ajouter un peu de piquant à l’exercice, il tenait le volant de sa seule main gauche, la droite étant généralement occupée avec un sandwich ou une pâtisserie, quand ce n’était pas carrément une bière…

Le commandant démarra en trombe en faisant rugir son moteur. Martin en fut scotché au siège.

– Vous avez vu ? C’est de la bombe, ma caisse ! lança Shrek avec l’air ravi d’un gamin.

Ça commence mal. Il va vouloir frimer devant la brigadière…

Le jeune policier sentait qu’il n’était effectivement pas au bout de ses peines. Contassot venait d’allumer son autoradio dont il monta le volume. Il lissa sa moustache avec satisfaction.

– Écoutez ça, claironna-t-il. C’est trop Tope of the pope ! ajouta-t-il dans un anglais approximatif.

Une puissante musique hard rock rugit brutalement dans les quatre haut-parleurs et emplit l’habitacle sons électriques distordus. Delpech rentra la tête dans les épaules en grimaçant sous le coup de cette agression matinale.

– C’est Smoke onne the watere du groupe Deep Purple, hurla Contassot pour se faire entendre. Version live made ine Japane la meilleure de toutes ! Le concert de Tokyo en 1972. Fabuleux ! Le son est d’enfer pour l’époque… Sont forts ces Japs ! Y’a pas à dire.

Il leva les deux poings comme un fan grisé par la musique et enfonça d’un coup sec la pédale de frein pour éviter d’emboutir le véhicule qui le précédait. Il agita ensuite ses doigts dans le vide pour jouer des accords sur un manche de guitare imaginaire et imita le son rageur et suramplifié de la Stratocaster de Ritchie Blackmore avec force postillons qui s’écrasaient en pluie fine sur le pare-brise.

– Tcheu, tcheu, tcheu. Tcheu, cheu, cheu-cheu…

Contassot dressa soudainement un index impérieux en l’air.

– Écoutez la basse qui rentre en jeu !

Dans le même temps, sa voiture frôla un piéton qui l’insulta copieusement. Il l’ignora, trop occupé à émettre les sonorités graves de la basse électrique en gonflant ses joues couperosées.

Il imita ensuite les cymbales qui entraient en scène sur un rythme mécanique.

– Tchin, tchin, tchin…

Puis, il enchaîna sur la batterie qui venait appuyer les deux instruments à cordes par son rythme puissant.

– Boum-tchac, boum-tchac…

Martin s’enfonçait de plus en plus dans son siège.

Insupportable !

WE ALL CAME OUT TO MONTREUX…

Shrek tapait maintenant en mesure du plat des mains sur le volant. Le véhicule avançait par à-coups brusques au rythme des riffs saturés.

– Quand je pense que Ritchie Blackmore se consacre désormais à la musique médiévale et joue sur scène en collant et chapeau à plumes… Lui, l’inventeur du hard rock néo-classique. Quel gâchis ! …

ON THE LAKE GENEVA SHORELINE…

Il haussa les épaules, l’air dégoûté.

– Musique médiévale… Pfff… Musique de tapette, oui…

Martin, qui préférait le jazz et n’était pas du matin, ferma ses paupières pour chercher un minimum d’isolement.

Putain, c’est pas vrai !… Il pète le feu ce matin, le boss…

Djamila, quant à elle, était mi – inquiète devant la course rapide et chaloupée du véhicule, et mi – amusée par le comportement du chef de brigade. Elle le regardait constamment du coin de l’œil et essayait de l’imaginer avec trente-cinq ans de moins, les cheveux longs et vêtu comme une rock star.

Difficile, quand même…

BUT SOME STUPID WITH A FLARE GUN…

Elle sursauta et émit un petit cri apeuré en même temps que sa ceinture de sécurité la bloquait sèchement dans son mouvement de basculement vers l’avant. Contassot venait d’enfoncer une fois de plus la pédale de frein. Les pneus gémirent dans une volute de fumée et une odeur de caoutchouc brûlé.

BURNED THE PLACE TO THE GROUND…

Un motard s’arrêta à hauteur du véhicule pour traiter le commandant de « connard » et lui reprocher sa dangereuse conduite erratique. Le policier fit un bras d’honneur appuyé qui vexa l’individu. Celui-ci descendit immédiatement de sa moto, prêt à en découdre.

Shrek baissa la fenêtre de sa portière et lui exhiba sa carte de police sous le nez.

– Dégage, pignouf de mes deux, ou je t’embarque au poste !

L’autre, sans doute pas très en règle, fit demi-tour en maugréant et remonta sur son deux-roues. Martin leva les yeux au ciel d’exaspération, alors que Djamila se retenait de pouffer devant la conduite grotesque de son chef. Celui-ci s’en aperçut presque aussitôt.

– Qu’est-ce qu’il y a ? grogna-t-il. J’ai le nez qui coule ?

Il redémarra en trombe, ce qui fit immédiatement disparaître le demi-sourire sur le visage de la beurette.

SMOOOOKE ON THE WAAAATER,

A FIRE IN THE SKY…

La musique hard n’a pas la réputation d’adoucir les mœurs. Elle excitait effectivement la nature explosive de Contassot. Il fit tout le trajet en conduisant sèchement. Delpech commençait à avoir le cœur au bord des lèvres et il ouvrit la vitre arrière pour rafraîchir la face. Après deux feux rouges grillés, un cycliste qui avait frôlé la mort et un roulage sinueux sur un trottoir en plein Nanterre, les policiers arrivèrent enfin sur une tranquille ruelle qui longeait la Seine en amont de Conflans-Sainte-Honorine.

Djamila remarqua le panneau réservant la circulation aux vélos.

– C’est interdit aux automobiles, indiqua-t-elle.

– M’en fou, on est des keufs, répondit gracieusement son chef, sous un nouveau fond sonore des riffs rageurs…

HIGHWAY TO HELL !

Il stoppa le véhicule sur le bas-côté sablonneux et éteignit le lecteur de musique.

DON’T NEED REASON, DON’T …

Bien entendu, le capitaine Salvat était déjà sur place pour justifier sa réputation de bon élève. Dans l’attente de l’arrivée de la police scientifique, il examinait la victime à deux mètres de distance afin de ne pas souiller la scène de crime.

Le corps nu et ensanglanté était couché sur la berge pentue, les pieds trempant dans le fleuve.

– Alors, Spock, premières déductions ? questionna Contassot en observant le cadavre entièrement martyrisé.

– C’est un type qui se ronge les ongles jusqu’au bout et doit faire un eczéma très prononcé ou bien quelqu’un lui a arraché les ongles et des morceaux de chair à la tenaille sur tout le corps, y compris sur le visage. Il schlingue, en plus ! C’est dégueu, on dirait qu’il a pris un bain de merde… On a de la chance que ce soit pas la saison des mouches…

Le front du mort portait l’habituel signe 666 brûlé au fer rouge.

– Ze noumbere of the beaste, annonça Contassot.

– Pardon ?

– Ze noumber of the beaste. C’est une chanson d’Ironne Maidene.

–  ???

– Ironne Maidene, insista le commandant avec sa pointe d’accent du Sud-Ouest. C’est un groupe de hard. M’étonne pas que tu ne connaisses pas. T’as une tête à écouter du rap.

– Du rap ? Certainement pas ! C’est de la musique de nè…

– OK, on a compris le raciste, coupa Djamila en le fusillant du regard.

Shrek se tourna vers Martin Delpech, qui était vacillant et pâle comme un linge.

– Qu’est-ce que t’en penses ?

– La gorge a été tranchée au bistouri, mais la blessure n’est pas sanglante et a donc été faite post-mortem.

– Si c’est un imitateur du chirurgien, il l’a tué pour quelle raison, d’après toi ? interrogea Djamila.

– Je crois que c’est évident. Péché de chair… répondit Martin avant de courir vomir au pied d’un arbre.

Contassot regarda la scène avec un œil étonné.

– Qu’est-ce qui lui arrive ? Il devient bien sensible…

– Peut-être qu’il ne supporte pas de rester à l’arrière de la voiture, proposa ironiquement Djamila en apportant un mouchoir en papier à son binôme.

– Pourtant, la route pour venir ici n’était pas sinueuse… remarqua Contassot avec un air dubitatif.

3 DAEMON

Claire se voyait installée dans le canapé de son salon, calmement occupée à lire un roman historique, lorsqu’elle crut entendre sa mère la héler. Son appel semblait provenir de l’étage.

– Maman ? questionna Claire avec le même timbre aigu que lorsqu’elle était enfant.

Elle s’approcha de l’entrée de l’escalier et leva une tête inquiète vers le niveau supérieur. Sa mère apparut debout sur le palier, immobile et livide dans sa chemise bleue d’hôpital.

Elle l’implora de monter.

– Viens, dit-elle dans une supplique et sans que ses lèvres ne bougent.

Claire cligna des yeux pour vérifier qu’il ne s’agissait pas d’une apparition.

– Maman ? répéta-t-elle de sa voix enfantine.

Elle sursauta. Sa maman avait brusquement disparu, mais la trappe du grenier était désormais ouverte et l’échelle d’accès appuyée contre le mur en signe d’invitation à grimper.

– Viens, n’aie pas peur, rassura la voix.

Claire escalada les barreaux avec appréhension et actionna l’interrupteur du grenier. Elle plissa les paupières pour tenter de mieux en observer l’intérieur. La pièce était à peine éclairée par la faible lueur de l’ampoule qui faisait scintiller les poussières qui dansaient à sa proximité.

Elle avança prudemment.

– Viens, souffla la voix qui semblait désormais provenir du fond obscur de la pièce.

Claire fit quelques pas en avant, les bras tendus pour ne pas se heurter à une poutre de soutien. En passant devant sa poupée, elle ne remarqua pas que la tête écrasée de cette dernière tournait lentement sur elle-même pour suivre ses pas de son seul œil valide.

Claire poussa un petit cri de surprise.

Un chuintement avait retenti derrière elle. Elle se retourna. Le bruit provenait du poste de télévision qui s’était mis en marche tout seul. Du fait de l’absence d’antenne, des parasites neigeux s’agitaient en tous sens sur l’écran noir.

Comment peut-elle s’allumer alors qu’il n’y a pas de prise de courant ?…

Claire posa son regard sur le mannequin manchot et décapité. Il n’était pas dans la même position lorsqu’elle était entrée. Elle en était sûre. L’ustensile avait bougé. Il avait effectué une rotation d’un demi-tour et l’avait suivi silencieusement pendant qu’elle avait le dos tourné…

Elle hurla.

Un bruit métallique frénétique avait retenti derrière elle. La machine à coudre s’était mise à piquer furieusement dans le vide…

Claire cria une nouvelle fois et virevolta pour s’échapper de ce lieu de folie.

Fuis !

Elle stoppa net son mouvement.

Le mannequin était juste en face d’elle et son tronc nu lui bloquait la sortie. Elle eut une réaction de stupeur et chuta lourdement en arrière dans des cartons qu’elle renversa. Pendant ce temps, la trappe se rabattait dans un claquement sourd et un grincement métallique lui fit comprendre que le verrou s’était refermé, la condamnant ainsi dans le grenier. Des ricanements de sa mère s’échappèrent de la bouche de la poupée.

Je deviens folle à lier…

L’ampoule au plafond commença à osciller au bout de son fil, puis prit un mouvement rapide de balancier. L’éclairage provoquait un ballet d’ombres furtives qui se mirent à glisser sournoisement derrière les cartons et les vieux meubles poussiéreux. L’ampoule finit par heurter une poutre où elle se brisa dans un jet d’étincelles. Le grenier se retrouva alors dans une obscurité à peine combattue par de minces rayons du soleil qui filtraient entre les tuiles.

Le pire était à venir.

Près de la trappe, dans la pénombre, se tenait Michel Valade dans sa blouse bleue de chirurgien, avec son masque facial et ses lunettes anti éclaboussures. Il avait un scalpel dans sa main gauche et, dans la droite, son fer à marquer le bétail au bout duquel les trois chiffres du démon rougeoyaient.

666.

Claire s’affola.

Elle était acculée au fond du grenier. Piégée. Elle jeta des regards hallucinés autour d’elle. Il lui fallait trouver une solution. D’urgence. Valade avançait vers elle de façon mécanique en fouettant l’air avec sa lame effilée. Claire saisit quelque 33 tours dans une pile de vinyles et les lança au visage du tueur. Geste autant désespéré qu’inefficace. Le chirurgien esquiva de la tête et fit un nouveau pas vers elle. La jeune femme attrapa à côté d’elle un vieux grille-pain qu’elle projeta avec toute l’énergie que lui conférait son instinct de survie. Le psychopathe prit l’ustensile en plein visage et parut sonné. Elle en profita pour le pousser. Il bascula en arrière. Claire saisit l’occasion pour passer entre lui et un gros carton de déménagement. Elle se croyait sauvée. Il n’en était rien. Valade avait réussi à lui agripper le bras au passage. Il l’entraîna dans sa chute. Claire tenta de se raccrocher inutilement à une pile de livres. Ceux-ci se renversèrent sur elle. Elle prit un vieux dictionnaire en pleine poitrine, ce qui lui coupa le souffle. L’arrière de sa tête cogna ensuite contre le sol. Elle était désormais à moitié assommée, à la merci de Valade. Elle vit vaguement le chirurgien se relever et faire un mouvement circulaire du poignet pour lui lacérer le visage. Elle le protégea du plat de sa main gauche. Le scalpel laboura sa paume. Une plaie béante s’ouvrit dans sa chair. Le sang gicla sur son polo blanc. Déjà l’agresseur revenait à la charge. Il visait désormais la gorge.

Un claquement sec se fit soudainement entendre.

La silhouette du tueur s’évapora.

Le lugubre décor de grenier fut immédiatement remplacé par celui plus rassurant de la chambre des époux Demange.

Claire se réveilla en frissonnant. Elle s’était assoupie dans son lit et le bruit de son livre chutant sur le sol avait heureusement mis fin à ses hallucinations.

Quel cauchemar horrible !

Elle avait vaguement conscience d’avoir rêvé, mais tout cela avait paru tellement concret qu’elle ne savait plus qu’elles étaient les parts de réalité et de fantasmes qui se brouillaient dans son cerveau tourmenté. Elle restait cependant persuadée que Valade surgissait d’outre-tombe pour la hanter. Cet homme était un archange de la mort et il ne pouvait s’arrêter de torturer et de tuer ceux qui ne croyaient pas en Dieu. Il fallait qu’il revienne persécuter les vivants…

Le cœur encore battant et le dos trempé de sueur, elle chercha de la main le corps de son mari sur l’emplacement gauche du matelas.

Il a disparu !

Le lit était vide.

Elle posa la main à plat sur le drap.

Le côté droit du lit où dormait son époux était froid.

Après un bref moment d’égarement de son esprit, elle se souvint que Pierre était en déplacement à Marseille pour animer une conférence. Elle se rappela également qu’elle avait décidé de profiter de l’absence de celui-ci pour se rendre dans l’usine désaffectée.

Claire s’assit sur le lit et entreprit de se coiffer sommairement avec les doigts. Sa nuit avait vraiment été terrible.

Je vais encore avoir une tête affreuse…

Elle bailla à s’en décrocher les mâchoires et se leva d’un coup pour se donner du courage. Pierre étant parti à la gare de Lyon avec la voiture, elle avait par conséquent un long trajet à faire en vélo pour aller dans l’ancienne usine. En ouvrant les volets, elle aperçut un ciel paré d’un beau bleu vif. Elle se dit qu’il devait sans doute faire froid, mais au moins qu’il ne pleuvrait pas en route.

C’est déjà ça…

Elle prit rapidement une douche bien chaude, enfila un survêtement, des chaussures de sport et saisit un petit sac à dos vert qu’elle avait préparé la veille, en cachette de son époux.

Claire descendit précipitamment l’escalier en bois qui menait au rez-de-chaussée du pavillon et se rendit dans la cuisine afin de boire un thé bouillant et grignoter quelques biscottes à la confiture. Elle enfourna ensuite quelques barres de céréales chocolatées dans sa poche, au cas où la faim la tenaillerait en route.

Courage, ma fille !

C’était l’heure pour elle d’affronter ses démons et d’en finir une bonne fois pour toutes avec ses angoisses.

En tout cas, je l’espère…

4 PATER NOSTER

Galilée, bataille de Hattin, juillet 1187

– Moisnel, venez deça ! [Venez ici, jeune moine !].