Fédor Dostoïevski : Les Nuits blanches - Fédor Dostoïevski - E-Book

Fédor Dostoïevski : Les Nuits blanches E-Book

Fédor Dostoïevski

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Beschreibung

Rêverie poétique baignée par la lumière crépusculaire des nuits d'été pétersbourgeoises, "Les Nuits blanches" déploie une histoire d'amour aussi intense qu'éphémère. Durant quatre nuits consécutives, un jeune homme solitaire et romanesque rencontre Nastenka, jeune femme attendant désespérément le retour de celui qu'elle aime, sur les quais déserts de la capitale russe. Cette brève nouvelle, sous-titrée "Roman sentimental", révèle un Dostoïevski inattendu, empreint d'une délicatesse lyrique qui contraste avec ses œuvres plus tourmentées. Les confessions nocturnes des deux protagonistes, leur complicité naissante et leurs espoirs fragiles composent une méditation mélancolique sur la solitude urbaine et les illusions du cœur.

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Seitenzahl: 81

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Fédor Dostoïevski

Les Nuits blanches

Une rencontre bouleversante sous le ciel de Saint-Pétersbourg

Copyright © 2025 Éditions Novelaris

ISBN: 978-3-68931-237-4

Table des matières

PREMIÈRE NUIT

DEUXIÈME NUIT

HISTOIRE DE NASTENKA

TROISIÈME NUIT

QUATRIÈME NUIT

LE MATIN

Notes

PREMIÈRE NUIT

La nuit était merveilleuse – une de ces nuits comme notre jeunesse seule en connut, cher lecteur. Un firmament si étoilé, si calme, qu’en le regardant on se demandait involontairement : Peut-il vraiment exister des méchants sous un si beau ciel ? – et cette pensée est encore une pensée de jeunesse, cher lecteur, de la plus naïve jeunesse. Mais puissiez-vous avoir le cœur bien longtemps jeune !

En pensant aux « méchants », je songeai, non sans plaisir, à la façon dont j’avais employé la journée qui venait de finir. Dès le matin, j’avais été pris d’un étrange chagrin : il me semblait que tout le monde me fuyait, m’abandonnait, qu’on me laissait seul. Certes, on serait en droit de me demander : Qui est-ce donc ce « tout le monde » ? Car, depuis huit ans que je vis à Pétersbourg, je n’ai pas réussi à me faire un seul ami. Mais qu’est-ce qu’un ami ? Mon ami, c’est Pétersbourg tout entier. Et s’il me semblait ce matin que « tout le monde » m’abandonnait, c’est que Pétersbourg tout entier s’en était allé à la campagne. Je m’effrayais à l’idée que j’allais être seul. Depuis déjà trois jours, cette crainte germait en moi sans que je pusse me l’expliquer, et depuis trois jours j’errais à travers la ville, profondément triste, sans rien comprendre à ce qui se passait en moi. À Nevsky, au jardin, sur les quais, plus un seul visage de connaissance. Sans doute, pas un ne me connaît parmi ces visagesdeconnaissance, mais moi je les connais tous et très particulièrement ; j’ai étudié ces physionomies, j’y sais lire leurs joies et leurs tristesses, et je les partage. Je me suis lié d’une étroite amitié (peu s’en faut du moins, car nous ne nous sommes jamais parlé) avec un petit vieillard que je rencontrais presque tous les jours, à une certaine heure, sur la Fontanka. Un vénérable petit vieillard, toujours occupé à discuter avec lui-même, la main gauche toujours agitée et, dans la droite, une longue canne à pomme d’or. Si quelque accident m’empêchait de me rendre à l’heure ordinaire à la Fontanka j’avais des remords, je me disais : Mon petit vieillard a le spleen. Aussi étions-nous vivement tentés de nous saluer, surtout quand nous nous trouvions tous deux dans de bonnes dispositions. Il n’y a pas longtemps, – nous avions passé deux jours entiers sans nous voir, – nous avons fait ensemble simultanément, le même geste pour saisir nos chapeaux. Mais nous nous sommes rappelé à temps que nous ne nous connaissions pas et nous avons échangé seulement un regard sympathique.

Je suis très bien aussi avec les maisons. Quand je passe, chacune d’elles accourt à ma rencontre, me regarde de toutes ses fenêtres et me dit : « Bonjour ! comment vas-tu ? Moi, grâce à Dieu, je me porte bien. Au mois de mai on m’ajoutera un étage. » Ou bien : « Comment va la santé ? Demain on me répare. » Ou bien : « J’ai failli brûler, Dieu ! que j’ai eu peur ! » etc. D’ailleurs, je ne les aime pas toutes également, j’ai mes préférences. Parmi mes grandes amies, j’en sais une qui a l’intention de faire, cet été, une cure chez l’architecte : je viendrai certainement tous les jours dans sa rue, exprès pour voir si on ne la soigne pas trop, car ces médecins-là !… Dieu la garde !

Mais je n’oublierai jamais mon aventure avec une très jolie maisonnette rose tendre, une toute petite maison en pierre qui me regardait avait tant d’affection et avait pour ses voisines, mesquines et mal bâties, tant d’évident mépris, que j’en étais réjoui chaque fois que je passais auprès d’elle. Un certain jour, ma pauvre amie me dit avec une inexprimable tristesse : « On me peint en jaune ! les brigands ! les barbares ! Ils n’épargnent rien, ni les colonnes, ni les balustrades… » et en effet mon amie jaunit comme un citron. On eût dit que la bile se répandait dans son corps ! Je n’eus plus le courage d’aller la voir, la pauvre jolie ainsi défigurée, ma pauvre amie peinte aux couleurs du Céleste Empire !…

Vous comprenez maintenant, lecteur, comment je connais tout Pétersbourg.

Je vous ai déjà dit les trois journées d’inquiétude que je passai à chercher les causes du singulier état d’esprit où je me trouvais. Je ne me sentais bien nulle part, ni dans la rue ni chez moi. Que me manque-t-il donc ? pensais-je, pourquoi suis-je si mal à l’aise ? Et je m’étonnais de remarquer, pour la première fois, la laideur de mes murs enfumés et du plafond où Matrena cultivait des toiles d’araignées avec grand succès. J’examinais mon mobilier, meuble par meuble, me demandant devant chacun : N’est-ce pas là qu’est le malheur ? (Car, en temps normal, il suffisait qu’une chaise fût placée autrement que la veille pour que je fusse hors de moi.) Puis je regardais par la fenêtre… Rien, nulle nouvelle cause d’ennui. J’imaginai d’appeler Matrena et de lui faire des reproches paternels au sujet de sa saleté en général et des toiles d’araignées en particulier ; mais elle me regarda avec stupéfaction et c’est tout ce que j’obtins d’elle ; elle sortit de la chambre sans me répondre un seul mot. Et les toiles d’araignées ne disparaîtront jamais.

C’est ce matin seulement que j’ai compris de quoi il s’agissait : hé ! hé ! mais… ils ont tous fichu le camp à la campagne !… (Passez-moi ce mot trivial, je ne suis pas en train de faire du grand style.) Oui, tout Pétersbourg est à la campagne… Et aussitôt chaque gentleman honorable, je veux dire d’extérieur comme il faut, qui passait en fiacre, se transformait à mes yeux en un estimable père de famille qui, après ses occupations ordinaires, s’en allait légèrement dans sa maison familiale, à la campagne. Tous les passants, depuis trois jours, avaient changé d’allure et tout en eux disait clairement : Nous ne sommes ici qu’en passant, et dans deux heures nous serons partis.

S’il s’ouvrait dans ma rue une fenêtre où d’abord avaient tambouriné de petits doigts blancs comme du sucre, puis d’où sortait une jolie tête de jeune fille qui appelait le marchand de fleurs, il ne me semblait pas du tout que la jeune fille prétendît se faire, avec ces fleurs, un printemps intime dans son appartement étouffant de Saint-Pétersbourg, cela signifiait au contraire : « Ces fleurs ! ah ! bientôt, j’irai les reporter dans les champs ! »

Plus encore, – car j’ai fait des progrès dans ma nouvelle découverte, – je sais déjà, rien qu’à l’aspect extérieur, discerner dans quelle villa telle personne demeure. Les habitants de Kamenni, des îles Aptekarsky ou de la route de Petergov, se distinguent par des manières recherchées, d’élégants costumes d’été et de jolies voitures. Les habitants de Pargolovo et au delà ont un caractère particulier de sagesse et de bonne tenue. Ceux des îles Krestovsky ont une imperturbable gaîté.

Rencontrais-je une procession de charretiers qui marchaient paresseusement, les guides dans leurs deux mains, auprès de leurs charrettes chargées de montagnes de meubles, tables, chaises, divans turcs et pas turcs, ustensiles de ménage, le tout terminé assez souvent par une cuisinière qui, assise au sommet du tas, couvait les biens de ses maîtres ; regardais-je glisser sur la Neva des bateaux eux aussi chargés de meubles : charrettes et bateaux se multipliaient à mes yeux, il me semblait que toute la ville s’en allait, que tout déménageait par caravanes, que la ville allait être déserte. J’en étais attristé, offensé. Car moi, je ne pouvais aller à la campagne ! J’étais pourtant prêt à partir avec chaque charrette, avec chaque monsieur un peu cossu qui louait une voiture. Mais pas un, pas un seul ne m’invitait. On eût dit que tous m’oubliaient, comme si j’étais pour eux un étranger !

Je marchais beaucoup, longtemps, de sorte que je finissais par ne plus savoir où j’étais, quand j’aperçus les fortifications. Immédiatement je me sentis joyeux. Je m’engageai à travers les champs et les prairies, je n’éprouvais aucune fatigue. Il me semblait même qu’un lourd fardeau tombait de mon âme. Tous les gens en carrosses me regardaient avec tant de sympathie qu’un peu plus ils m’auraient salué. Tous étaient contents, je ne sais pourquoi ; tous fumaient de beaux cigares. Moi j’étais heureux. Je me croyais tout à coup transporté en Italie, tant la nature m’étonnait, pauvre citadin à demi malade, à demi mort de l’atmosphère empoisonnée de la ville.