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61 textes, récits, nouvelles, micro-nouvelles plongeant dans l'imaginaire, mais aussi un peu de science revue et corrigée pour les besoins de l'imagination. Le réel est un bien précieux, et la créativité à le pouvoir d'en accroître l'étendue. Ces textes nous font rencontrer des êtres remarquables donc insolites, dans des cadres parfois improbables si parfaitement singuliers. On y fréquente un géant siffleur, des dieux mortels, une fillette prophète, Jung philosophe, la vie sur Mars, des peuples stellaires, un homme aux mille langues malgré lui, le nombre PI structure de l'univers, les vertiges du Big-Bang, les murmures flous de l'ange, un Pierrot qui ne reconnaît pas sa Colombine, des peuples perdus et d'autres en devenir, des soleils doubles et des montagnes de sable, une femme dessin chez Cro-Magnon, mais encore la survie d'un proton, les errances de la pataphysique.
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Seitenzahl: 182
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Librinova, 2021
Éditions Publibook, 2020
Éditions Publibook, 2011
Éditions du Petit Véhicule, 2003
Éditions du Petit Véhicule, 2002
Éditions du Petit Véhicule, 1997 (rééd. 2001)
Cid éditions, 1982
La prophète
Le petit bout de papier
Le grand remplacement
Sous la fraîcheur des étoiles
Aimer
Concept mathématique
L’échelle de Jacob
Le silence des sages
Femme dessin
Rien qu’avec les yeux
Dix-sept minutes de survie
Le sac de billes
Pierrot et Colombine
Discret murmure
Ecrire
Pataphysique et expressions diverses
Trou de ver
Obscure encodage
J’ai demandé à l’ange
Ligne de temps
Onde verte
Soleil bleu
Immersion
Maladresse judiciaire
Le voile d’Isis
Découverte
Pixel albinos
ADN du monde
Quadrature du cercle
Jeu de vertige
-Mythe cosmogonique
D’une rive à l’autre
Voyage stellaire
Eveil ludique
Lumière
Feu follet
Âge mental
Présence
Extravagante longévité
Marche brève
Balle perdue
Île
Sable mouvant
Agaçante différence
La voix
Demain l’homme
Jung le philosophe
La liseuse
L’échange des regards
Ivresse des sens
Vie révélée
Montagne de sable
Soleil
Clameur et luminescence
Danse vagabonde
Le géant
La tribu
Femme dessin
Un autre peuple
Xénoglossie
La prophète 2
Notre univers pourrait n’être que des ondes de probabilité, des tendances à exister, et le réel en serait l’interprétation la plus vraisemblable du moment. Mais vient parfois s’ajouter d’autres contours qui chassent toute possibilité de hiérarchiser les états de la nature. Malgré toutes les prouesses et les intelligences, nous ne vivons jamais que dans le reflet du monde.
Sâr Merout
« Si on ne se surpasse pas, à quoi sert le ciel ? ».
Droite devant elle, les bras croisés comme le ferait une mère contrariée, la fillette d’une dizaine d’années soutenait le regard effaré de la femme assise sur un des bancs du parc où ses parents l’amenaient presque chaque jour. Elle n’y jouait jamais, mais approchait les adultes, sous la surveillance d’une mère inquiète et d’un père débordé, ressentir les pensées d’un homme, d’une femme, parfois d’un enfant, avant de leur lancer au visage une de ces phrases si simples, mais redoutables de vérité.
- Si on ne se surpasse pas, à quoi sert le ciel ? répéta-t-elle avec une douce impatience.
Vraiment prise de court, la femme se leva, allait partir. Elle part. Enfin, presque. Intriguée, elle se tourna vers la fillette, observa un instant les parents, revint vers elle, et lui dit :
- Ce sont tes parents qui t’ont demandé de me dire ça ?
Elle haussa les épaules. Elle était habituée à l’incrédulité que provoquait chacune de ses interventions.
- Dis-moi madame, tu ne m’as toujours pas répondue !
- Et que vas-tu comprendre de ma réponse ? Le mieux est que tu ailles jouer avec les autres enfants.
- Donc tu fais une discrimination entre le monde des adultes et celui des enfants, c’est pourtant le même univers. L’enfant que tu as été est toujours là, en toi, mais tu l’as bien caché pour qu’il ne te dérange plus avec son apparente immaturité qui est surtout de l’ignorance.
La femme s’est assise. Son regard se porta de nouveau vers les parents comme pour leur demander de l’aide, mais l’enfant ne lui en laissa pas le temps.
- Alors ma réponse !
- Je ne vais tout de même pas me mettre à discuter avec une gamine sur le sens des choses ou je ne sais quoi d’autre.
- Tu as peur d’être dépassée ?
Elle l’était, mais elle se ressaisit.
- Tu veux discuter ? Et bien, discutons, affirma-t-elle en recherchant l’approbation des parents qui s’étaient rapprochés.
- J’attends toujours ta réponse !
C’était à la femme de s’impatienter.
- Tu insistes toujours de cette manière ?
- Ce n’est pas une réponse puisque c’est une question.
Elle leva les yeux au ciel comme pour le prendre à témoin. Puis les ferma un instant, se demandant comment elle était parvenue à être ainsi piégée, dans une improbable discussion.
- En fait, je ne comprends pas ta question, elle n’a aucun sens.
- Bien sûr qu’elle a un sens, mais tu ne prends pas le temps d’y réfléchir un tout petit peu.
La femme interpella les parents.
- Elle est toujours comme ça ?
Ils ne répondirent pas. Ils avaient renoncé à intervenir. En fait, ils avaient enfin accepté que leur fille fût ainsi, trop différente.
- Et si tu me disais comment tu t’appelles.
La fillette baissa la tête, souffla discrètement sa déception, haussa un peu, si peu les épaules, puis plongea son regard dans celui de la femme.
- Je vois que tu veux revenir à une situation plus conforme à mon âge. Et tu supposes t’épargner ainsi d’une réponse que te demande un peu d’effort.
La femme se tourna de nouveau vers les parents.
- Mais qu’est-ce qu’elle a votre fille ?
- C’est important pour elle que vous répondiez à sa question, déclara la mère. Quant au père, très en retrait, il se contenta de sourire.
La femme revint à la fillette et lui dit :
- Je ne sais pas quoi te répondre.
- C’est déjà un bon début, parce que ta réponse est honnête.
Amasis se retourna, se saisit de la main de sa mère comme n’importe quel enfant, et quitta le petit square, laissant la femme encombrée de questions.
Je ferme les yeux. Que vois-je ? Une rue large, peut-être à Nantes sous un jour clair, une femme assise sur un banc. Elle est là, simple présence, spectatrice attentive des scènes de rue. Elle observe la vie s’agiter comme le ferait un animal proche d’un danger. Plus loin, à quelques pas, un homme peut-être jeune, vu de dos, marche d’une élégante lenteur. Une autre présence presque scintillante tant son rythme diffère des autres. Alors que la cité offre de belles perspectives, lui ralentit sa marche, car un détail là, sur le sol, capte son attention. La femme, peut-être jeune elle aussi, le voit s’arrêter. Il vient de distinguer un bout de papier tout chiffonné, anodin, abandonné sur le trottoir, perdu au milieu des feuilles d’automne. Ce n’est pas grand-chose un bout de papier, mais ce petit rien qui ne saurait menacer l’équilibre du monde, va devenir la source d’une situation toute en nuance et délicatesse. Donc l’homme se baisse, le ramasse et le jette dans une poubelle à quelques mètres de lui. La jeune femme approuve ce geste tout simple qui témoigne du caractère bienveillant de l’homme.
Elle a souri. En pensée, elle le remercie. Un merci, c’est une reconnaissance, une onde puissante qui va de soi à l’autre. L’homme va reprendre sa marche, mais il ressent un frémissement, délicat, à peine perceptible, une de ces sensations rares de bien-être, discret, si discret, mais sensuel, comme si une main venait se saisir de la sienne. Il sourit, retient son pas. Il cherche quelque chose, une présence peut-être. Puis il se retourne, car il pressent la source de son frisson. Il découvre la jeune femme dont le sourire ne s’est pas éteint. Elle baisse les yeux, mais elle sourit encore, à la vie, au jour blanc, à cet homme délicat.
En pensée, il la supplie de relever son regard. Il veut lire ses yeux. Elle ressent peut-être cette pensée, et baisse la tête non par refus, mais dans la crainte d’être happée par sa présence. Un pas vers elle, serait-ce possible ? Il ne le fait pas, mais il dépose sur le sol, juste là où avait échoué le petit bout de papier, sa carte de visite, puis reprend sa marche loin d’elle.
Elle ramassera ce message qu’elle gardera dans la poche de son manteau. Mais l’histoire ne dit pas si elle le contactera, car l’intime de l’autre reste secret à nos sens.
Presque un dieu pour les hommes, mais un ersatz d’humain pour les dieux. Du haut de leur grande hauteur, ils ont considéré cette chose vivante, fruit des travaux des humains, comme une injure à leur propre création.
L’homme est leur œuvre, une œuvre collective, car chaque dieu a apporté ses dispositions particulières à chaque partie de l’homme. Et l’homme s’est révélé si fragile. Une erreur des dieux ? Non ! Un acte volontaire, une obsolescence programmée. L’espèce devait se renouveler rapidement avant que l’un d’eux ne puisse comprendre à force de vie et d’interrogation, que les dieux sont des enfants, certes puissants, mais affreusement capricieux.
Mais les hommes ont produit leur propre œuvre, un humain modifié qui pourrait abattre le royaume divin. Cet homme-là a subi une transformation, une mutation. Une liqueur de vie et de connaissance a remplacé le sang, qui lui offre intelligence et longévité. Un nouveau peuple plus fort, plus alerte deviendrait un peuple divin.
Les dieux n’eurent pas le temps d’intervenir. Ils furent remplacés par ces nouveaux Adam capables également de créer l’homme nouveau, évidemment un homme fragile et sans intelligence pour qu’il ne puisse comprendre l’origine des nouveaux dieux.
Ainsi va l’histoire sans fin.
Bien entendu, je ne m’étais pas attendu à un tel déversement de lumière. Pourtant l’hiver polaire avait avalé le jour goulûment, le faisant disparaître en chassant haut et loin du ciel un soleil vagabond aux embrasements crus, de ceux qui brisent les subtilités de la nuit et ses rumeurs sourdes, de celles qui roulent de vallée en vallée.
J’aime les lumières nocturnes, ses drapés verts et rouges qui sillonnent le chemin des étoiles et des constellations, comme une griffure céleste lacérant le ventre frais de la nuit. Étoffe fragile vacillante aux vents solaires.
J’ai proposé à mon amie de s’allonger sur la neige et goûter, mieux happer la magie de l’instant. - Non ! me dit-elle. Puissant claquement propre à éteindre les étoiles.
Ma pensée me quitte alors et vole jusqu’à les étreindre et les soigner de ce refus. J’y ai découvert et parcouru un Olympe sans dieux, un Valala que Thor et Odin avait délaissé, cause de cette nuit comme ouverte sur le vide.
Un jour, peut-être, viendra un nouveau dieu, un dieu inconnu et discret pour ramener au monde cette lumière si crue qui illumine l’homme, cette lumière comme un aimant puissant capable de plier l’espace et le temps, et voir naître enfin un soleil d’or.
Aimer, c’est la rencontre de deux âmes qui se sont reconnues. Elles expriment l’Amour vaste comme un univers. Leur rencontre réactive ce feu flamboyant.
Aimer, c’est donner à la vie le pouvoir de rayonner la présence divine. Elle, toute vibrante dans chacune de nos pensées, de nos élans, de nos cellules.
Aimer, c’est missionner l’âme de chérir l’être reconnue, de l’accueillir et recevoir cette part que masque encore le voile d’Isis, celui qu’on doit lever, un peu, si peu à mesure que le chemin se fait.
Aimer, c’est comprendre les différences sans juger. Une approche délicate de l’autre, reconnue dans l’âme, mais mystérieuse au quotidien.
Aimer, c’est approcher la Source. Souvent avec maladresse, parfois avec ces aspirations fulgurantes qui font vibrer l’âme.
Aimer, c’est être responsable de ses sentiments et respecter l’être que l’on devient pour mieux aller au-devant de l’âme reconnue.
Aimer, c’est approcher le feu sacré de l’autre, s’en réchauffer, s’enivrer de son rayonnement.
Aimer, c’est ressentir, entendre le cœur, écouter la psyché, s’émouvoir de sa présence, se troubler de ses attentions.
Aimer, ici, dans le monde physique, c’est recevoir la confiance qu’on vous fait, mais c’est aussi être accueilli dans cette confiance. C’est une route partagée avec ses sursauts de lumière, et parfois les nuages enveloppants, le temps d’une saison, un jour si brillant.
Aimer, c’est être présent.
- Qu'est-ce qu'un concept mathématique ? demanda William Shakes à ses doctorants. Après un court silence, il reçut une cascade de réponses aussi convenues qu'un discours politique. Dépité, il se ferma à ce bruit de fond aussi bruyant que l'effondrement d'une pensée.
- Stop ! cria-t-il. Stop ! Je n'en peux plus de vous entendre débiter ces évidences. Allez plus loin, allez plus profond ! Je répète ma question: qu'est-ce qu'un concept mathématique ?
Aucun étudiant n'osa reprendre la parole. Le professeur perdit patience.
- Auriez-vous peur d'émettre une idée neuve ou êtes-vous effrayés de n'en découvrir aucune ?
Il attendait. Sans aucun espoir, certes, mais il attendait. Peutêtre que l'un d'eux dans un moment de vertige, d'inspiration accidentelle, bredouillera-t-il une amorce de proposition. Mais le silence devint gênant.
Il désigna un jeune homme, puis une jeune femme, puis un autre et une autre, puis toute la salle. Puis il murmura, les lèvres à embrasser le micro :
- Vous avez appris à résonner, mais pas à réfléchir. Je vais vous donner non pas la réponse, mais une réponse à ma question. Il lui manquera une valeur inconnue, plus tard je vous apprendrai à l'exhumer du brouhaha qui encombre votre réflexion.
- Un concept mathématique est... une conviction et une promesse. Débrouillez-vous avec ça ! Si l'un de vous trouve la suite, la troisième proposition, il aura mon soutien absolu pour son doctorat.
Il prit ses affaires et quitta l'amphi sans un regard pour ses étudiants, certain de devoir les extirper de leur torpeur.
Londres le matin sans la brume, Londres au sud, un peu plus au sud encore, le quartier verdoyant de Brixton. Une rue, Concanon Road. Une maison de brique claire au n°19, un bowwindow à chaque étage. William Skakes habite ce décor de théâtre. Le charme si particulier de Londres que déteste Meredith Gates. L'élève est particulière, fougueuse, incontrôlable, sans aucune maîtrise sur ses émotions. Son étrange intelligence la distingue des autres, un puissant brassage d'intuition et de raison. Elle télescope avec brio ses perceptions tempétueuses et sa logique bleue nuit, avec ses angles pointus et ses longues perspectives. Elle s'impatiente. Elle attend depuis plus d'une heure que sorte son professeur William Shakes. Il sort, mais il fait un pas en arrière en l'apercevant marcher sur le trottoir d'en face. Puis il l'aborde.
- Une explication ? lui demanda-t-il.
- Ce sera à vous de m'en donner une, répondit-elle la parole en colère. Vous nous avez jugés, presque injuriés. C'est inadmissible !
- Et vous venez jusqu'ici pour me le dire ? En fait, venant de vous, je ne suis pas surpris. Vous ne parvenez pas à vous maîtriser. La moindre contrariété vous brûle le sang. Oui, j'ai été dur. Et ce n'est même pas pour vous réveiller, mais je ne supporte plus l'inertie intellectuelle.
Cette réponse ne l'intéressait pas, elle n'était pas là pour entendre une évidence, mais pour apporter une réponse qu'elle ne parvenait plus à contenir, comme une force venue du fond des âges.
- Je sais ! affirma-t-elle et se tut.
William Shakes se contenta de sourire, mais ne proposa aucune question, un acte simple pour garder la main.
- Vous ne me demandez pas ce que je sais ?
- C'est inutile puisque vous brûlez d'envie de me le dire.
Enfant capricieuse, elle frappa le sol du pied, fit mine de partir puis revint vibrante de rage.
- La troisième proposition, c'est la pensée créatrice !
La conscience engendre les émotions, les sensations, les sentiments. Elle les produit, les exprime, comme les soleils expriment leur chaleur, mais, quand ils l’ont fait, ils n’ont pas tout dit de ce qu’ils sont, car ils portent un contenu précis. Ainsi, la conscience n’est pas seulement l’émotion, le sentiment qui en désigne l’existence, elle est aussi autre chose dont nous voulons comprendre la nature. La conscience est issue d’un principe, elle est la manifestation d’un état plus vaste. Je suis l’émotion, la sensation et le sentiment d’une présence. La goutte de conscience dans laquelle je suis modelé est extraite de l’âme universelle, comme on extrait le vin du raisin après un patient travail. La vie me vinifie, et il en est ainsi de chacun des miens.
La pensée imprègne les sens liés à la conscience, les corps et les organismes simples et complexes qui vivent, s’animent, s’organisent et s’éveillent. Même la matière, dans le feu de ses molécules, témoigne d’une organisation stupéfiante, celle d’une pensée plus vaste. Et au-delà encore, plus loin que l’atome - là où la raison ne parvient plus à énoncer une équation, où les maîtres de la science tentent de proposer de nouvelles logiques - la pensée profonde annonce de nouvelles perspectives. Et au-delà toujours, où nous ne sommes pas encore allés, la pensée agit. Et celle de l’humain, cette conscience éclatée qui cherche à se rassembler, à former sa propre unité, pour s’unir au monde, est une facette de cette pensée. Et, dans sa quête, ses constructions divisent souvent, comme si l’acte de diviser soulignait encore mieux le besoin de réunir, et d’assembler et d’unifier.
Les barreaux d’une échelle sont séparés, et c’est leur séparation même qui permet de grimper et de s’élever !
Cet homme et cette femme étaient d’une autre nature. Lorsqu’un humain leur parlait, ils cessaient aussitôt leur activité et se plantaient devant lui, absolument silencieux, mais extraordinairement vivants. Leur regard fixé sur le sien ne cillait pas. Ils écoutaient, totalement, dans une belle immobilité. Toutes leurs énergies étaient consacrées à cette écoute. À cet instant, ils auraient absorbé le monde. Lorsque leur interlocuteur leur eut tout donné, ils souriaient, le remerciaient d’un simple mot, ne reprenant leur activité qu’après son départ. Ils donnaient l’impression peu confortable de vivre une autre vie et paraissaient exister sur deux mondes à la fois. Ils semblaient si peu incarnés.
Ils l’étaient autrement.
L’homme chef admira la précision du geste de la jeune femme, comme une chorégraphie flirtant avec sol, traçant à l’aide d’une fine baguette un souvenir, un instant de solitude loin des siens. Assise sur une roche, elle dessinait avec art les ruades d’un cheval. La terre accueillait les sursauts de l’animal et sa crinière flamboyante, un vent fou sur ses museaux. Elle ne se contenta pas de contours appliqués, mais mis en valeur les ombres et lumières qui font le vivant. L’homme chef s’inquiéta d’une représentation si proche du réel comme si le dessin pouvait prendre vie, l’arracher de sa pause muette et piétiner le campement. Avant qu’elle n’ait terminé son dessin, il lui arracha des mains son pinceau de bois, le jeta loin du camp comme il chasserait un mauvais sort, et la réprimanda. Elle se leva sans un regard et s’enfonça dans la grotte à la recherche du soutien de sa famille. Une famille qui la craignait.
La femme dessin parlait peu, mais lorsque ses propres murmures intérieurs la débordaient, elle rassemblait sa famille et racontait ce qu’elle ressentait. Elle décrivait les mondes loin de leur terre, et plus loin encore par delà une mer dont ils ignoraient l’existence. Elle évoquait, mieux elle invoquait les temps futurs, les grands lendemains en des termes nouveaux et inquiétants. Mais tous écoutaient, un peu effrayés, la voix claire de cette femme, le feu dans le geste. Un volcan de mots. Puis elle se taisait des jours entiers dans l’attente de nouveaux murmures.
Un jour, l’homme chef lui demanda de la suivre. Elle redoutait une décision, l’exil. Mais l’exil ne vint pas, pas tout de suite. L’homme chef si jeune d’ailleurs, lui demanda de ne plus troubler le clan. Elle le fixa de ses yeux clairs. Il ne soutint pas ce regard redoutant de se noyer dans ces éclats émeraude. Mais il sourit. Son propre éveil lui fit ressentir l’univers intérieur de cette femme d’une si grande laideur. Il découvrit être sensible à sa présence. Connivence psychique. Et il craignait de devoir un jour lui interdire le clan. Alors il insista, elle accepta. Il lui fit, alors, une étrange proposition. Si le besoin de dessiner ou de parler la débordait, elle pouvait venir près de lui. Ainsi s’échapperaient, à l’écart du clan, les mots et les histoires étranges, et les dessins fous. Libérée de ses encombrants murmures, elle pourrait vivre auprès de son peuple sans en troubler l’équilibre. Lui s’enrichirait de son savoir. Il en avait perçu la nature.
Ainsi, sous son contrôle, elle parla, siffla, chorégraphia sa pensée et surtout, surtout la dessina. L’imaginaire de la femme dessin le débordait au point d’intervenir parfois pour la tempérer. Il souhaitait la délivrer du contenu incongru de son imagination, mais le flot d’idées était continu.
Ils se parlèrent également, affinant leur relation au fil des lunes sans jamais dépasser le stade de l’amitié. Trop de laideur dans le visage boursouflé de l’homme chef, trop de laideur dans la finesse des traits de la femme dessin.
Un soir plus calme auprès de sa famille, elle fit un test. Elle se saisit d’une baguette, lissa le sol de la main puis attendit l’approbation de l’un ou de l’autre. Intrigué, l’homme chef qui l’observait, approuva timidement. Elle dessina un grand cercle et désigna le ciel en nommant le soleil, puis un plus petit cercle en désignant le sol, leur terre, puis un autre plus petit encore évoquant la lune. Enfin, plaçant son pinceau de bois à effleurer son dessin elle désigna la terre, puis le fit tournoyer autour du plus grand cercle. Personne ne comprit son intention.