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En 2490, une terrible guerre ravage la planète. Alors, sous la violence des bombes et des armes bactériologiques, l’humanité entière est anéantie. Seul a survécu l’héritage de l’homme, ceux créés pour le servir : les androïdes. Forts et intelligents, ils organisent leur survie, prolongeant indéfiniment leur existence au moyen de rares et précieux techno-cœurs. Deux mille ans après la Dernière Guerre, les ressources de cœurs s’épuisent et afin de sauver les siens, GaIA va devoir affronter un monde nouveau et dangereux.
Plongez dans l’univers de GaIA, celui où des machines intelligentes sont la seule humanité possible après l’apocalypse.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Guide touristique, Vincent Brienne a toujours été passionné de lecture, l’ésotérisme et la science-fiction étant ses domaines de prédilection. GaIA, son premier roman, est né d’une volonté de décrire un monde post-apocalyptique afin de confronter le lecteur à un questionnement sur la nature de la vie et de l’existence.
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Seitenzahl: 335
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Vincent Brienne
GaIA
Roman
© Lys Bleu Éditions – Vincent Brienne
ISBN : 979-10-377-7384-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mon père.
Nous sommes allés trop loin. Il semble ne plus y avoir de limite à la folie humaine. Le monde ne sera plus jamais le même.
Anonyme, année 2499
Année 4500
Le paysage était désertique : une vaste étendue parfaitement plane, aux tons noir et grisâtre, mélange de cendres et de poussière accumulées au fil du temps. À l’horizon se profilaient les contours de plusieurs pics rocheux, comme découpés grossièrement dans la toile du ciel d’un bleu terne. Le silence y était souverain.
La plénitude de ce spectacle n’était troublée que par un nuage de poussière se déplaçant à grande vitesse vers le nord. Un vrombissement mécanique accompagnait la traînée grise, laissant derrière elle une empreinte pareille à une cicatrice. Bien que l’immensité de la plaine lui donne une impression de lenteur, l’engin, petit et fin, filait à plus de deux cents kilomètres-heure. L’aspect général évoquait plus une épave qu’un moyen de transport : la carlingue beige était rouillée pour la majeure partie, le moteur à la proue était découvert et de nombreux câbles à nu parcouraient la machine. Adossé à un siège de cuir élimé, les jambes écartées sur deux pédaliers longeant le fuselage, le pilote, d’une pression du pied, accéléra un peu plus. Son visage était protégé par un casque métallique aux reflets cuivrés, dont seule dépassait une longue tresse de cheveux d’un bleu électrique, virevoltant dans la colonne d’air.
L’engin avait la forme d’une moto rudimentaire, pourvu de répulseurs à la place des roues, ce qui lui permettait de flotter au-dessus du sol. Il mesurait trois mètres de long, l’assise occupant le train arrière et l’avant se terminant en deux pointes effilées munies d’une sorte d’aileron en forme de triangle pointant vers le sol. La direction se faisait au moyen d’un guidon offrant plus ou moins de maniabilité. Néanmoins, son pilote l’adorait, même si le moteur émettait d’étranges bruits qui en inquiéteraient plus d’un. Les montagnes, comme d’obscurs géants, se rapprochaient, menaçantes et pourtant d’apparence aussi mortes que le paysage les entourant. Le pilote avait du mal à se souvenir de leur manteau vert émeraude disputant les sommets à la neige éternelle. Cela faisait longtemps. Trop longtemps.
Le glisseur traça un large arc de cercle, ajustant sa trajectoire vers un ensemble hétéroclite de constructions posées sur le flanc d’un pic massif de roche volcanique. L’architecture était de métal et de roche, formant de grands cabanons, des baraquements et des hangars, certains hauts d’une dizaine de mètres et arborant des tons d’argent, de chrome et de gris mat. Les toits de métal brillaient sous la lumière crue du soleil. Le village était cerclé par une enceinte d’acier, percée à certains endroits de portes juste assez grandes pour que le bolide s’y engouffre. Le glisseur remonta la rue principale et stoppa net devant une imposante bâtisse faite de plaques d’acier et de fer rouillé, rivetées les unes aux autres. Elle surplombait une petite place en effervescence à cette heure de la journée. Les devantures étaient protégées par de larges auvents où se pratiquait essentiellement le troc et où les discussions allaient bon train.
Une fois la béquille stabilisatrice du glisseur positionnée, le pilote ôta son casque et laissa apparaître les traits d’une jeune femme trentenaire, dont l’épaisse tresse bleutée remontait jusqu’au sommet de son crâne et tombait jusqu’au bas de son dos. Elle était vêtue d’une veste de cuir brun usée, sur un bandeau de microfibre noir couvrant sa poitrine, et portait un pantalon serré en toile noire ainsi que des bottes à boucles en cuir brun, griffées par de trop nombreuses marches.
Elle saisit un sac de toile fixé au glisseur et s’engouffra dans le hangar. Plusieurs escaliers l’amenèrent dans un petit atelier donnant sur la façade où planait une odeur d’huile et de graisse de moteur. Un homme, d’une quarantaine d’années, était assis à un bureau fait d’une plaque d’acier posée sur deux tréteaux, et était absorbé par un travail apparemment minutieux, au vu de la grande loupe sur laquelle il était penché. La pièce était remplie de ferrailles et de composants électroniques en tout genre, la plupart dans un piteux état. La jeune femme laissa tomber le sac juste à côté du technicien, le faisant sursauter.
— GaIA, pour l’amour du… !
— Désolée… tu t’en sors ?
— Sans ce foutu fer à souder qui me plante toutes les cinq minutes, j’aurais fini depuis des heures…
L’homme baissa les yeux sur le sac de toile, vraisemblablement vide.
— Bredouille ?
— Oui, et pour la troisième fois cette semaine.
Son interlocuteur s’adossa à sa chaise et se frotta les yeux. Cela faisait deux jours que GaIA était partie. Et pendant quarante-huit heures, il avait entretenu un espoir. Un fol espoir. Il rejeta la tête en arrière.
— Ça va devenir compliqué, là…
GaIA se laissa tomber au sol, en tailleur, et saisit le bout de sa tresse qu’elle plaça entre ses jambes.
— Silver, il faut absolument qu’on trouve un autre moyen.
— Si tu as une idée miracle, je suis preneur ! Ça fait des années qu’on rame, il fallait s’en douter.
— Des siècles, tu veux dire.
Silver eut un rictus d’approbation. Il passa une main dans la toison bleue qui recouvrait son propre crâne.
— Peut-être plus loin… ailleurs… je ne sais pas…
Après quelques minutes, GaIA quitta le bâtiment et enfourcha son véhicule pour se déplacer, à vitesse réduite cette fois-ci, vers son logement, en contrebas du village de métal. La structure urbaine s’organisait autour du massif rocheux, s’enroulant sur la paroi en une sorte d’hélice titanesque. La plupart des cabanons étaient construits sur le même schéma : un rez-de-chaussée et un étage, avec ou sans fenêtres sans que cela ne semble correspondre à une quelconque norme. Au sommet du pic, là où le vent était le plus fort, les pales de trois grandes éoliennes permettaient de fournir le peu d’électricité dont le village avait besoin.
GaIA croisa pas mal de monde, occupé à discuter sur la chaussée ou à jouer au qwantic, à même le sol. Tous et toutes arboraient les mêmes cheveux bleu brillant, courts ou longs, attachés ou non, donnant l’impression que la route était sillonnée d’une vague fantastique.
Un observateur averti aurait tout de suite noté l’absence de magasins ou d’échoppes, confirmée par une même absence d’odeurs d’ordinaire familière à ce genre de lieu. Le glisseur se gara devant une façade rutilante exposée au soleil, GaIA passa une jambe par-dessus la proue et poussa la plaque brûlante faisant office de porte d’entrée. L’intérieur était sobre, juste le strict nécessaire pour un confort relatif. Il y avait surtout çà et là des tas de pièces détachées et de bric-à-brac électrique. Un thermomètre électronique accroché au mur affichait une température de cinquante degrés. La jeune femme s’assit sur une sorte de banc recouvert d’une nappe de cuir, et s’étira dans un curieux bruit métallique. Elle remarqua alors l’importante brûlure qui lui barrait la paume, sûrement due à une négligence de sa part pendant son expédition. L’entaille partait de la base de son pouce pour s’élargir jusqu’à l’auriculaire. Elle avait beau ne ressentir aucune douleur, cela imposait une réparation rapide. Le genre de réparation qui était bénigne à une époque et qui devenait de plus en plus ardue avec le temps. Elle se leva et s’approcha d’un établi fixé à la paroi sur lequel elle saisit un outil au laser en forme de stylo. Elle découpa sa peau, retirant la portion noircie et boursouflée. Une pellicule rosée vint se placer sur la découpe et un autre outil curieux la souda au reste en laissant échapper une fine fumée blanche. Le tout avait pris moins d’une heure, et au bout d’une journée, toute trace aurait disparu.
GaIA serra le poing, se concentrant pour scanner la totalité de ses circuits, remonter le long de toutes les ferro-fibres qui la composaient, sonder le moindre centimètre carré de la dermo-silicone qui recouvrait son corps. Elle ferma les yeux et se sentit « vivante », bien que ce concept lui fût encore inconnu il y a quelques siècles… mais elle et ses semblables, aujourd’hui, étaient la preuve irréfutable que le fait de « vivre » n’était pas réservé aux êtres de chair et de sang.
Même les androïdes pouvaient, après des milliers d’années, se sentir en vie.
GaIA regardait la nuit tomber au-dessus du pic volcanique. De petites lumières dansaient déjà au sein des cabanons. Tout le monde s’affairait à diverses tâches, profitant de la fraîcheur nocturne pour se concentrer sur les travaux les plus pénibles. L’avantage des machines est qu’elles n’avaient besoin ni de dormir, ni de manger, ni de boire. C’est ce qui avait permis aux cent cinquante androïdes du village de survivre dans un territoire stérile. Ce semblant de ville, ils l’avaient baptisé « Refuge ». Et c’était bien cela. Un refuge pour des robots humanoïdes, seuls survivants dans l’enfer qu’on appelait autrefois la Terre. GaIA quitta sa propriété pour descendre plus bas dans le village, près de l’enceinte. Elle frappa à une porte qui s’ouvrit sur une femme, plutôt alerte pour l’âge qu’elle semblait avoir.
— Tiens, ma petite exploratrice… quel bon vent t’amène ?
La question était prononcée de façon purement rhétorique. La visiteuse fut invitée à entrer dans une vaste pièce remplie de papiers et de cartes entassées, certaines accrochées aux parois ou simplement pendantes depuis le plafond.
— Je m’attendais à ta venue. Silver m’a raconté que tu avais fait chou blanc dans la zone 326.
GaIA hocha la tête et porta les mains à ses hanches.
— On en a fait le tour, répliqua-t-elle avec une touche d’agacement. Bientôt ce sera pareil avec les autres secteurs. Je suis venue voir si on pouvait pousser encore plus loin…
— Et sortir des cartes, ma douce. Nous avons élu domicile sur la seule portion de territoire où persistent encore des ruines en surface… Du moins, sur cette partie du globe.
— Je sais, Halet, mais le moment est peut-être venu de sortir de notre coquille ?
Halet eut un petit rire qui se voulait à la fois moqueur et complice.
— Et pour aller où ? Tu sais ce qui se trouve de l’autre côté de la Grande Faille. Et à l’ouest, après des années d’exploration, il n’y a définitivement plus rien, que de la cendre et de la poussière.
— Mais la Terre est encore vaste ! On ne peut pas rester dans l’attente que nos cœurs s’éteignent purement et simplement.
La vieille femme se pencha sur une carte étendue devant elle.
— Il vaut peut-être mieux se dire que nous aurons persisté jusqu’ici. Rappelle-toi que nous n’étions même pas censés survivre autant de temps. C’est déjà un miracle que nos batteries aient tenu à ce point. Depuis des siècles nous survivons grâce aux stocks de techno-cœurs que nous récupérons par-ci par-là. Nous savions tous que cela aurait une fin un jour ou l’autre.
Sans mot dire, GaIA prit congé de son amie. Son désespoir, elle le lisait de plus en plus dans les yeux de ses congénères. Elle était toujours surprise de l’évolution de leur « intelligence » à travers le temps. Bien que des dizaines de notions humaines leur soient encore complètement abstraites, d’autres s’étaient développées grâce à l’adversité, au déroulé des évènements ou par l’apprentissage. L’incertitude face à l’avenir avait ouvert une brèche dans leur cerveau moteur qui avait fait naître le concept du doute et de la désespérance. Il avait toujours été acquis qu’une intelligence artificielle, parfaitement conçue, pouvait à terme dépasser ses protocoles de base et s’ouvrir à d’autres niveaux de conscience et de raison, à condition de lui laisser suffisamment de temps pour évoluer. Force était d’admettre que ce raisonnement était plus qu’avéré.
Quelques heures plus tard, il faisait nuit noire autour du village. Un vent d’ouest, léger, s’amusait à faire vibrer les parois métalliques et l’alignement des lampes, éclairant les cabanons donnait au pic l’aspect d’un colossal navire échoué sur la plaine. GaIA était assise sur le mur d’enceinte, son cerveau quantique balayant les souvenirs d’une époque lointaine.
Sa génération avait été la plus avancée de toutes, en des temps reculés où les androïdes faisaient partie du quotidien des humains. Elle se souvenait même de la famille qu’elle servait, dans leur maison de la ville de Londres, sur cette île aujourd’hui à moitié sous les eaux qu’était l’Angleterre. Elle avait été « commandée » pour servir de gouvernante à deux enfants pourris gâtés. Parfaitement programmée à cet usage, elle effectuait ses tâches selon des protocoles défendus comme inaltérables et incorruptibles. Aujourd’hui, cette programmation n’avait plus cours, ses cortex cérébraux s’étant d’eux même recalibrés sur des paramètres que son analyseur synaptique avait définis comme prioritaires. La magie de l’apprentissage au service de l’intelligence artificielle.
Ces derniers siècles, GaIA et ses semblables avaient exploré des centaines de kilomètres carrés à la recherche de pièces détachées et de techno-cœurs de rechange afin de préserver leur existence. Ils avaient quadrillé leur territoire en « zones » de recherche, et ratissé méticuleusement chacune d’elles. De nombreux stocks intacts furent découverts au fin fond des usines de villes en ruines. En remplaçant les cœurs sur le point de s’éteindre, ils avaient pu traverser deux mille ans sans encombre, car ils ne percevaient pas la durée comme une épreuve. Ils se réparaient mutuellement, s’entraidaient, se soutenaient. Pendant que les stocks, lentement, s’épuisaient.
Deux mille ans d’une existence sans perspective ni avenir.
Deux mille ans après la Dernière Guerre.
2499, Paris, France, Grande Union des Nations occidentales
La Présidente suprême se tenait devant un immense écran affichant diverses vidéos des quatre coins de la planète. Autour d’elle, dix projections holographiques d’hommes et de femmes étaient assises sur de larges sièges chromés aux accoudoirs couverts de boutons clignotants. L’écran montrait des images, en très haute définition, du déroulement de différents conflits, alternant des scènes de tueries cauchemardesques et des vues aériennes de villes en flammes.
La Présidente de la Fédération des États germaniques prit la parole :
— Mesdames, messieurs, l’heure est venue de porter un coup fatal à cette guerre. Dans l’intérêt de tous, il nous faut avoir recours à l’arme bactériologique. Anéantir l’assaillant tout en préservant nos ressources.
Plusieurs têtes opinèrent, les autres restèrent immobiles, sans que cela dénote une réfutation.
— Cela changera la face de notre monde à tout jamais, madame la Présidente, répliqua son homologue de l’Italispanique.
— C’est un risque que nous devons prendre, les évènements nous ont complètement échappé, et vous savez très bien que notre exploitation du Polyèdre en est pleinement responsable. En quatre siècles, nous avons précipité notre propre destruction.
La Présidente suprême se retourna vers l’assemblée :
— C’est en partie de notre faute, nous ne pouvons le nier. Il nous appartient aujourd’hui de réparer cette erreur, même si cela doit coûter la vie à de milliards d’individus. Si nous ne faisons rien, de toute manière, nous serons tous morts d’ici peu.
New York, République fédérale des Amériques
Le Gouverneur s’appuya sur la rambarde chrome et or, surplombant un vide de trois cents mètres. Ses yeux se perdirent dans le lointain, se frayant un chemin entre les gratte-ciel se dressant comme des flèches flamboyantes de couleur argent, chrome, or et cuivre.
Il n’arrivait pas imaginer ce qu’il venait d’entendre. Il ne parvenait pas à croire que le Chancelier ait pu prendre une telle décision. Comment un homme de son envergure, de sa sagesse, de sa droiture, le Grand Chancelier des Amériques, a pu tomber aussi bas dans la bêtise et dans la folie. Pourtant c’était fait, et dans quelques heures, des millions de personnes allaient périr. Son androïde d’assistance s’avança derrière lui.
— Un rafraîchissement, monsieur ?
Le vieil homme balaya la proposition d’un revers de la main :
— La situation ne s’y prête guère, et de toute façon, bientôt, ce sera la fin de tout.
Nouvelle Moscou, monarchie présidentielle de Russie
— Vous ne pouvez cautionner une chose pareille !
Le Premier ministre ne savait plus comment gérer la situation. Devant lui, le Tsar-président restait de marbre. Sa décision était prise.
— Vous allez tous nous envoyer à la mort ! Ne donnez pas cet ordre !
Malheureusement, il était seul contre tout le gouvernement qui s’était rallié à son souverain. Devant l’escalade des menaces, la prérogative était d’agir, et d’agir vite.
— Nous devons nous prémunir de nouvelles attaques destructrices. Seule la dissuasion par une riposte violente le permettra, signifia le Tsar-président, sur un ton qui n’admettait pas de contestation.
Le Premier ministre baissa la tête, puis se redressa de toute sa stature, gonflant le torse dans son uniforme rouge sang.
— Je ne peux humainement me rendre complice d’un tel acte de barbarie. Considérez-moi comme démissionnaire avec effet immédiat, Votre Altesse.
Le tir de laser fut pour lui aussi fulgurant qu’inattendu. Le corps du politicien s’écroula devant le canon fumant de l’arme d’un garde placé dans un coin de la pièce. Le Tsar-président joignit ses mains et s’appuya sur la table.
— Voilà qui est réglé.
Liberté-ville, Grand Nigéria, républiques unifiées d’Afrique
Un chaos sans nom régnait dans la salle des Présidents. Devant les murs couverts de tapisseries électroniques arborant des motifs tribaux divers, plusieurs hommes et une femme bataillaient sans retenir leurs mots ni leurs injures.
— Vous n’êtes qu’un sombre crétin ! Nous avons la puissance nécessaire, l’équivalent de centaines de mégatonnes de ces désuètes bombes nucléaires ! c’est à nous de porter l’offensive, et maintenant ! hurlait la Présidente.
— Vous êtes folle, comme tous ceux ici qui vous suivent dans cette idée abominable ! rétorqua un des hommes devant elle. Attendons que ces imbéciles s’entretuent, nous n’aurons qu’à piller les décombres ! L’Afrique deviendra le seul continent civilisé de cette planète !
Les applaudissements tombèrent avec les acclamations. La plupart des « Présidents » n’étaient que d’anciens chefs de guerre qui rongeaient leur frein depuis trop longtemps et la perspective de régner sur le monde sans avoir à se salir les mains était tentante. Bientôt, grâce à une technologie hors du commun, ce que l’on appelait jadis le Tiers-monde allait se hisser tout en haut de la pyramide.
Pékin, province de Chine, grand empire d’Austrasie
Les jeux étaient faits. L’empereur, bien que jeune et inexpérimenté, le savait. Influencé par ses conseillers, il n’avait d’autre choix que d’appliquer la sentence absolue, en punition des fautes commises et de l’aveuglement de son peuple. Après que les provinces de Nouvelle Corée et du Japon aient été complètement rasées, cette sanglante rébellion s’apprêtait maintenant à remonter vers lui. Il fallait un geste fort que tous entendront, partout. Dans un costume de cérémonie brodé d’or et d’argent, il se tenait devant une immense console sur laquelle s’éparpillaient des commandes de toutes sortes. Son doigt se leva. Dans quelques secondes, la mort allait s’abattre sur ses ennemis. Autour de lui, ses conseillers, bras croisés dans le dos, avaient la tête haute, fiers et résolus. Le temps du pardon serait pour plus tard.
Il appuya.
À cinquante mètres de profondeur, quelque part dans les Alpes
Toutes les portes avaient été condamnées, et les systèmes d’accès détruits. Si personne ne pouvait plus entrer, personne ne pouvait plus sortir. L’équipe s’était regroupée dans le laboratoire principal.
— Combien de temps pensez-vous que nous allons pouvoir tenir ?
Le plus vieux des sept avait le regard dans le vide.
— Aucune idée. La structure est solide, mais si ce qu’on nous a dit se confirme, nous ne pourrons pas mettre le nez dehors avant des années.
Le plus jeune cette fois prit son visage dans ses mains.
— Nous ne tiendrons jamais… je n’avais pas signé pour ça… on devait… on devait changer le monde, l’histoire… les premiers, il y a si longtemps… j’étais fier d’être l’héritier de leurs travaux… je…
— Hey gamin, calme-toi… on savait très bien que ça finirait comme ça, et même avant qu’on nous envoie ici, lui lança un des scientifiques dans un accent allemand prononcé.
Soudain, ils ressentirent tous une nette vibration qui sembla parcourir toute l’architecture du complexe. Puis une sorte de détonation. Ils étaient profonds sous terre, mais l’amplitude du son les laissa présumer de la violence du phénomène en surface.
— On y est, dit calmement une femme en levant les yeux vers le plafond.
Le vieux professeur balaya alors ses collègues du regard.
— La fin de notre monde, mes amis.
Quelque deux mille ans plus tard…
Le qwantic. Un jeu inventé par les androïdes, datant d’avant la destruction de la Terre et ne pouvant être joué que par eux-mêmes. Chaque joueur, dans la limite de quatre participants, détenait dix jetons de couleurs, alignés devant lui. Le but du jeu était de s’emparer de tous les jetons du ou des adversaires. C’est à ce moment que le jeu devenait plus complexe : les joueurs utilisaient une projection mentale basée sur la mécanique quantique pour faire apparaître devant eux des millions d’arcs lumineux s’entremêlant les uns aux autres et livrant une sorte de bataille sur un terrain hors de la réalité physique. Pour un observateur humain, la scène n’était guère palpitante, n’affichant que des humanoïdes plantés devant leurs jetons, les yeux dans le vide, fixant des éléments invisibles pour un œil biologique. Seuls les jetons, de temps à autre, bondissaient pour rejoindre un camp adverse. Les joueurs utilisaient des formules mathématiques d’une infinie complexité afin d’élaborer des stratégies, jusqu’à plusieurs milliards de combinaisons par nanosecondes, chaque formule définissant une combinaison d’arcs selon trois facteurs, le point de départ, la portée et la puissance.
GaIA n’était pas la plus douée au qwantic. Après douze parties, elle n’avait eu droit qu’à une victoire.
Au sein d’un des plus grands bâtiments de Refuge, la salle de jeu pouvait accueillir une cinquantaine de personnes. Et c’en était le seul espace de distraction. GaIA était assise avec deux autres à une large table chromée. Devant elle, il ne lui restait que trois jetons de couleur rouge et elle se doutait que ce n’était qu’une question de temps avant qu’un de ses adversaires ne s’en empare. Quelques minutes de plus suffirent à le lui confirmer.
— Et hop ! Te voilà hors-jeu, ma belle !
La femme qui avait prononcé ces mots afficha une expression hautaine, teintée d’humour.
— Tu sais très bien que je suis toujours battue facilement, Miria.
— FA-CI-LE-MENT, oui c’est le mot juste, répliqua l’androïde en s’adossant à sa chaise, appuyant sa tête sur ses mains. GaIA la toisa.
— Donc ne t’en vante pas trop, ce n’était pas un combat bien difficile.
Leurs rires résonnèrent le long des hautes parois d’acier.
Le troisième comparse, un homme dans la quarantaine, était toujours muet, apparemment concentré sur l’élaboration d’une nouvelle stratégie, se retrouvant en lice avec la dénommée Miria. Il lui restait cinq jetons verts et avait d’ores et déjà réussi à dérober deux jetons rouges à GaIA et quatre blancs à Miria.
— Alors, Manse, prêt pour une défaite cuisante ?
L’intéressé a eu un petit sourire en coin. Pendant les minutes consacrées à l’autosatisfaction de son adversaire, il avait mis au point une combinaison quantique qui se voulait parfaite.
— Ne t’emballe pas, ma petite…
Le jeu reprit et en l’espace d’un quart d’heure, la rivale se fit déposséder de la totalité de ses gains. Manse contempla les trente jetons qui s’étaient entassés devant lui. Le poing de Miria s’abattit sur la table, la déformant au passage dans un bruit sourd. Manse lui décocha un regard satisfait.
— Alors, je peux t’expliquer cela FA-CI-LE-MENT…
Miria croisa les bras de dépit, Manse et GaIA rirent de plus belle.
Cette dernière se leva, salua ses camarades et se dirigea vers la sortie. Elle se fraya un chemin entre les tables de jeu, jetant au passage un regard sur certaines. Les conversations se mélangeaient, entrecoupées de cris, d’exclamations et d’applaudissements. Chaque androïde comprenait et parlait une dizaine de langues de l’Ancien Monde et la plupart étaient attachés à communiquer dans leur langue de conception. Les discussions ressemblaient alors à un véritable fouillis linguistique, mêlant parfois trois ou quatre dialectes différents, chacun traduisant les mots des autres et répliquant dans sa propre langue. Il s’agissait peut-être du dernier lien direct avec leurs origines.
GaIA quitta le bâtiment et marcha en direction de la portion est de l’enceinte. Elle emprunta un mince escalier qui la mena sur le chemin de ronde, pourvu d’une petite corniche la séparant du vide, bien qu’une chute ne lui serait pas fatale malgré les quinze mètres de haut. Bien que la dermo-silicone qui leur servait de peau n’était pas plus résistante que celle des humains, leur structure interne était en ultracier, un matériau hybride, à la fois léger et résistant. Pas indestructible cependant. La jeune femme porta son regard à l’horizon, qui n’était qu’une morne ligne grise et noire. Loin vers l’est, un gouffre gigantesque s’étirait sur près de mille kilomètres. C’était La Grande Faille, vestige d’un ancien cataclysme. Sa largeur dépassait les dix kilomètres et sa profondeur réelle était inconnue. Il s’agissait là d’une barrière quasi infranchissable, flanquée de falaises à pic.
En tout et pour tout, trois missions d’explorations avaient tenté la traversée par le passé, l’une au moyen d’un petit ballon dirigeable, l’autre en la contournant par le nord, et la troisième par le sud. Seule la dernière revint, et sur trente individus seulement quatre avaient survécu, ne déplorant qu’un membre sectionné ou quelques composants en panne. Ce sont eux qui parlèrent des immondes créatures qui peuplaient l’autre côté de la faille, et que même les capacités physiques accrues des androïdes n’étaient pas parvenues à maîtriser. On parlait de monstres de trois mètres de haut, difformes et livides comme des cadavres. Un danger qui avait été décrété sage d’éviter à l’avenir.
Mais GaIA ne pouvait s’empêcher d’imaginer ce qui pouvait se cacher derrière cette sinistre frontière. Il y avait toujours des villes dévastées, des cités oubliées, contenant à coup sûr les ressources dont ils avaient besoin pour survivre. À l’opposé, à l’ouest de Refuge, il n’y avait plus rien jusqu’aux rives d’un océan qui s’appelait autrefois Indien, et qui avait largement quitté son lit d’origine pour mordre plusieurs centaines de kilomètres dans les terres. Elle en était certaine, leur salut résidait dans l’exploration des terres au-delà de la Grande Faille.
Pendant une semaine entière, de jour comme de nuit, elle consulta les cartes. Les plus anciennes, celles qui dataient de l’ère humaine n’avaient aucun intérêt, la géographie ayant totalement changée. Seuls les tracés de certains continents permettaient encore de s’y repérer. Et pour les cartes récentes, quelques kilomètres seulement étaient représentés derrière la Grande Faille.
Après la Dernière Guerre, ceux de son espèce qui n’avaient pas été détruits se regroupèrent à certains points du globe. Ils n’étaient pas le seul refuge sur Terre, cependant ils n’avaient plus de nouvelles des autres villages éparpillés depuis très longtemps. Soit, ils s’étaient éteints faute de cœur de rechange, soit ils avaient été exterminés par quelques menaces encore inconnues. Certains avaient même rapporté qu’une sorte de « maladie » avait touché les androïdes, affectant leur cerveau moteur et les rendant complètement fous au point de s’entre-détruire.
Refuge était établi sur un territoire que l’histoire humaine avait nommé Italie, bien qu’il ne ressemble plus vraiment à cette forme de botte qu’on lui attribuait jadis. La moitié sud du pays avait sombré dans les eaux, et un violent tremblement de terre avait surélevé la moitié nord, créant au passage plusieurs chaînes de montagnes et faisant jaillir d’anciennes cheminées volcaniques dont l’une servait de socle au village de GaIA.
Elle passa ses mains sur son visage, l’esprit rempli de questionnements. Sa logique lui imposait d’aller vers l’est. Il n’y avait pas d’autre moyen. Il y a un ou deux siècles de cela, elle était persuadée qu’ils se seraient laissés mourir, tous se seraient éteints petit à petit, car l’instinct de survie qui pousse à l’action n’avait jamais été un protocole précis dans leur programmation. Certes une certaine forme de volonté les avait poussés à prolonger leur existence, mais face à une situation demandant plus qu’une simple volonté de survie, la machine pouvait préférer la résignation à l’effort. Mais à présent GaIA sentait bien que ses semblables avaient dépassé ce stade fatidique. Tous voulaient s’en sortir. On ne pouvait pas parler de peur de mourir, il s’agissait là d’une idée trop humaine, mais plutôt d’une tenace envie de persistance dans le temps, comme si la traversée des deux millénaires précédents les avait formés au goût de vivre.
GaIA savait très bien ce qui lui restait à faire.
Le débat ne dura pas longtemps. Il n’y avait pas de chef à proprement parler dans Refuge, tous et toutes avaient la parole et c’est le vote qui permettait de prendre diverses décisions.
Un après-midi, tout le village s’était réuni sur la plus grande place. Des dizaines de visages et d’âges différents, se confondant dans une masse de cheveux bleus éclatant sous le soleil. Certains étaient habillés, d’autres torses nus, les femmes comme les hommes. Le concept de pudeur n’existait pas, ou tout du moins il se perdit au fil du temps. La foule décida pour la majorité de poursuivre les recherches au-delà de la faille, et les sceptiques ne s’attardèrent pas à argumenter. Un groupe fut bientôt désigné pour entreprendre le voyage de la dernière chance, celui qui allait décider du destin de tous. La sélection se fit sur la base du volontariat, et sans surprise les survivants de la dernière mission ne souhaitèrent pas y participer, faisant partie de ceux qui considéraient l’effort comme suicidaire.
Ce fut Silver, le meilleur des techniciens, qui se proposa le premier, suivi de GaIA. Deux autres se portèrent volontaires, une femme, du nom d’Isis, qui avait travaillé par le passé sur de nombreux navires de guerre en qualité de navigateur et Alma, homme d’une cinquantaine d’années, qui fut assistant médical. C’était aussi un des rares androïdes à la peau noire qui vivaient dans Refuge. Un autre homme se présenta, appelé Vest. Miria se joignit également à l’expédition. GaIA ne connaissait pas bien le dénommé Vest, un jeune homme dont le volontariat se voulait très impliqué, mais dont l’attitude révélait plus un besoin d’aventure. Elle savait juste qu’il avait été employé dans un service administratif, comme c’était le cas pour Miria.
Ils seraient donc six.
On ne pouvait aisément estimer la durée du voyage, puisqu’on avait aucune idée du temps qui serait imparti à l’exploration des terres de l’est. L’avantage était qu’il n’y avait pas à emporter de nourriture. Le matériel se résumerait à des tentes de protections, des cartes, des vêtements de rechange et des armes, le tout embarqué sur six glisseurs révisés et remis en état pour l’occasion. Chaque véhicule était équipé de grandes sacoches sur leurs flans contenant le matériel. Les glisseurs ne consommaient pas de carburant, ils étaient électriques et ne nécessitaient qu’un rechargement régulier. Chacun d’eux transportait donc un petit générateur à énergie solaire dissimulé sous l’assise.
Il avait donc été retenu de contourner la faille par le sud, vraisemblablement le chemin le plus sûr d’après les missions précédentes. L’idée de la construction d’un nouveau ballon dirigeable pour survoler le gouffre ne s’était même pas posée au vu du manque accablant de matière première.
Il fallut quelques jours pour tout préparer et le groupe quitta Refuge très tôt dans la matinée, s’éloignant dans un nuage de poussière de l’enceinte, couverte de la population dont il avait à présent l’avenir entre les mains. Étant donné que chaque androïde n’avait pas été fabriqué à la même période, et que par conséquent tous avaient reçu leur nouveau techno-cœur de façon décalé, les premiers ne devaient pas s’éteindre avant plusieurs années. Cela laissait une bonne marge de manœuvre pour les six compagnons. Et c’était une pensée qui donnait de l’espoir à GaIA, les mains fermement agrippées au guidon et les yeux rivés sur la plaine grisâtre. À deux cents kilomètres-heure, les six glisseurs filaient en ligne, les uns à côté des autres, personne ne cherchant à s’approprier la tête du convoi. Ils formaient une équipe désormais, et cela avait un sens bien plus précis pour eux que cela ne l’aurait été pour des humains. Avec un seul but : ramener le plus possible de cœurs de rechange et peut-être tenter de trouver un moyen de s’en passer.
Le principal inconvénient des techno-cœurs est qu’ils ne peuvent être simplement rechargés, comme on le ferait avec des batteries classiques. Silver était catégorique sur ce point, ramener des cœurs est une chose, mais cela ne fera que reporter le problème à plus tard. La solution la plus viable était de trouver une manière de les recharger indéfiniment ou même de parvenir à en fabriquer… GaIA le savait, ils devaient revenir avec un moyen, au mieux un miracle.
Le groupe stoppa au bout d’un jour entier de trajet, le temps de recharger leur moyen de transport. La Grande Faille se trouvait encore à une bonne journée de distance. En attendant que les glisseurs soient rassasiés en énergie, GaIA s’était allongée sur le sol devenu rocailleux. Ils avaient quitté la plaine de poussière pour entrer dans une zone plus escarpée et inégale, dont la légère inclinaison annonçait déjà le début des flans de la faille. Des sortes de stalagmites pointues sortaient du sol par endroit, les obligeant à se montrer prudents, car les répulseurs ne pouvaient survoler d’obstacle au-dessus d’un mètre. Vest et Isis étaient assis sur leur véhicule, tandis qu’Alma et Miria étaient occupés à vérifier les attaches de leurs sacoches. Silver, quant à lui, scrutait les alentours à l’aide de jumelles électroniques.
Ils portaient tous les mêmes bottes et combinaisons en fer-cuir brun, une matière souple et indéchirable, que chacun avait agrémentée à sa façon avec des ceintures utilitaires et des vestes de voyage.
Alma s’approcha de GaIA et s’assit près d’elle. Il avait un physique athlétique, plutôt grand et le faciès franc. Une fine pellicule bleue recouvrait le haut de son crâne.
— Que crois-tu que nous allons découvrir derrière le gouffre ?
La jeune femme se redressa sur les coudes.
— Je n’en sais rien. À part d’étranges créatures, je suppose que l’environnement ne sera pas très différent.
Ils n’avaient jamais beaucoup discuté ensemble, il en était d’ailleurs de même pour Isis et Vest. Alors que les humains avaient cette manie de toujours tenter la communication dans un but d’échange, eux n’éprouvaient pas forcément le besoin de se parler. Ainsi, GaIA n’avait jamais tissé de liens qu’avec quelques-uns de ses semblables. Il ne fallait pas y voir un désintérêt ou de l’asociabilité, leurs paramètres n’incluaient simplement pas ce besoin.
Isis était petite, mais élancée, une chevelure lisse tombant en carré de chaque côté de son visage. Elle avait déployé une carte sur le capot de son glisseur, dont une moitié décrivait leur territoire à l’ouest de la faille, et l’autre était vierge. Elle aurait la tâche de cartographier leur progression au fur et à mesure.
Vest, la carrure fine et les cheveux retenus en catogan, descendit de son véhicule et se retourna face à elle.
— Tu vas t’en sortir avec les cartes ?
Son interlocutrice daigna à peine relever la tête.
— Si j’ai un problème, tu sauras m’aider ?
Vest avoua que ce n’était pas sa spécialité.
— Alors, oui, je vais m’en sortir.
Avec une mine renfrognée, l’homme tourna des talons pour s’éloigner un peu, croisant Miria qui s’avançait vers GaIA. Cette dernière se leva à son approche. Les deux jeunes femmes étaient de même stature, grande et fine, bien que Miria paraissait moins musclée. Les Androïdes ne se musclaient pas au sens propre de terme, leur physique étant préétabli au moment de leur conception. Même si parfois des sortes d’anomalies pouvaient survenir avec le temps. C’était pourquoi GaIA était un des rares androïdes à avoir les yeux vairons. Le gauche affichait une belle couleur noisette, tandis que le droit était plus sombre, tirant sur le noir.
GaIA épousseta sa tresse pleine de poussière.
— On va bientôt pouvoir repartir, lui dit Miria. Silver !
Le jeune homme avait toujours les yeux vissés à ses jumelles.
— Mais qu’est-ce que tu regardes comme ça ? Il n’y a rien sur des kilomètres !
— On n’est jamais trop prudent. On ne connaît pas bien le coin, si ces saloperies ont réussi à traverser…
Miria secoua la tête.
— On n’en a jamais vu, détends-toi.
Silver acquiesça et se dirigea vers son glisseur pour y ranger les jumelles.
— OK tout le monde, lança-t-il, on peut reprendre la route.
Tous enfourchèrent leur engin et démarrèrent. Une légère tonalité mécanique emplit alors l’espace avant que les pieds n’actionnent la marche avant, en direction de la pointe sud de la Grande Faille.
Ils ne s’arrêteraient plus avant leur prochaine étape.
Le terrain était un plus pentu à l’approche de la Grande Faille, dont les falaises apparurent bientôt, noire comme du charbon. Cette immense balafre avait de quoi surprendre n’importe qui par ses dimensions titanesques comme par sa profondeur insondable.
Les six compagnons stoppèrent à quelques mètres du bord de la falaise, et le silence fut de rigueur devant un spectacle aussi sinistre. Selon ce qu’on en savait, la faille était le résultat d’une gigantesque explosion tellement puissante qu’elle avait ouvert le sol sur une immense caverne naturelle, le tout s’effondrant pour donner naissance à ce gouffre.
Ils continuèrent sur plusieurs kilomètres avant d’atteindre la pointe sud, qu’ils contournèrent sans effort, laissant sur leur droite la monstrueuse brèche. Ils décidèrent de faire halte un peu plus loin, afin de recharger leurs glisseurs et de faire un point sur la suite de leur périple. Le sol était un mélange de basalte et d’obsidienne, sombre et friable, mais coupant comme du rasoir.
— Bien, je pense qu’il serait judicieux de faire un état de nos structures, proposa Alma. Lancez vos auto-scans, s’il vous plaît.
Chacun se figea pendant quelques secondes. Tous les scans étaient bons sauf pour Silver, qui se diagnostiqua une fibre de l’épaule sur le point de lâcher. Cela devait cependant dater d’avant leur départ de Refuge. Quelques minutes suffirent à remédier au problème. Si leur « squelette » interne était en ultracier, le reste de leur composant était plus fragile. Il s’agissait d’un épais réseau de ferro-fibres, sorte de câblage en majeure partie translucide. S’ajoutait à cela des « organes », amalgames électroniques très sophistiqués dont la pièce maîtresse était le fameux techno-cœur, peut-être l’une des inventions les plus incroyables de l’homme. Il était disposé au centre de la poitrine et son fonctionnement tenait d’une science alliant la physique quantique, la mécanique des fluides et l’énergie nucléaire. C’est ce qui les rendait si difficiles à fabriquer.
Pendant que Silver relançait un second scanner de confirmation, GaIA porta son regard vers le lointain. Cette fois-ci, l’environnement était fait de petites collines et d’amas rocheux entre lesquels il serait très difficile de se déplacer.
Vest prit alors la parole.
— Sans vouloir dramatiser, on est bien d’accord que c’est ici qu’on risque de rencontrer les monstres qui ont attaqué les précédentes expéditions ?
GaIA opina de la tête. Il avait raison.
— Exact, et il est temps de prendre nos précautions à ce sujet. On va s’armer avant de continuer.
— Justement, répliqua Alma. Le plan est d’aller vers l’est, mais avons-nous un point de repère ?
Isis s’avança, dépliant une très vieille carte.
— Le seul que l’on ait, c’est la ville de Paris.
Les regards se tournèrent vers elle. Voilà un nom qu’on n’avait pas entendu depuis deux mille ans.
— Si nos souvenirs sont bons, précisa Silver, c’est encore assez loin… rien d’autre entre les deux ?
Isis fit non de la tête.
— Au vu des destructions de l’époque et des siècles qui ont passé, c’est le seul endroit assez vaste pour que ses vestiges soient exploitables.
Ils étaient tous d’accord sur ce point.
— OK, fit GaIA, cap sur Paris. Mais d’abord, équipons-nous. Je suggère aussi que nous camouflions nos cheveux.