GaIA - Tome 2 - Vincent Brienne - E-Book

GaIA - Tome 2 E-Book

Vincent Brienne

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Beschreibung

Les androïdes poursuivent leur voyage sur la Terre, à bord de leur navette extraterrestre. Pris dans une violente tempête, ils percutent dans le ciel un gigantesque vaisseau abritant des centaines de leurs semblables. Cette arche prodigieuse s’avère être sous l’autorité d’Omen, un androïde qui souhaite bâtir une utopie d’un nouveau genre. Rapidement, il voit en eux bien plus qu’une rencontre hasardeuse… De l’immensité des cieux au plus profond de la Terre, GaIA et ses compagnons vont être confrontés à des périls qu’ils ne soupçonnaient pas et découvrir une incroyable vérité, pour leur bien… ou leur perte.


À PROPOS DE L'AUTEUR 


Vincent Brienne a toujours montré un vif intérêt pour la lecture, l’ésotérisme et la science-fiction étant ses domaines de prédilection. GaIA est né d’une volonté de décrire un monde post-apocalyptique afin de confronter le lecteur à un questionnement sur la nature de la vie et de l’existence.

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Seitenzahl: 358

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Vincent Brienne

GaIA

Tome II

L’Éveil

Roman

© Lys Bleu Éditions – Vincent Brienne

ISBN : 979-10-377-9903-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Première partie

L’Arche

1

Dallas, État du Texas, République fédérale des Amériques, Année 2498

La technologie des androïdes a toujours suscité de nombreux fantasmes. On prenait un malin plaisir à imaginer ce qui pouvait bien se passer au fin fond des laboratoires et des usines de construction. On imaginait des salles remplies d’ordinateurs dernière génération du sol au plafond, affichant autant de données, de graphiques et de formules compliquées. Et devant eux, des blouses blanches s’affairant à la conceptualisation du futur modèle de machine qui sortirait des ateliers. On imaginait aussi le hangar secret, sévèrement gardé par l’armée, où de brillants esprits travaillaient à la fabrication d’une nouvelle source d’énergie ou d’une nouvelle forme d’intelligence artificielle. Il y avait aussi le fantasme ô combien populaire du bon vieux savant ébouriffé, noyé sous une montagne de papiers, se grattant la tête en face d’un tableau parsemé d’équations. Les jeunes rêvaient de faire partie de cette élite qui assurait le futur du monde et les débats allaient bon train dans les cours d’école sur l’utilité d’inclure un distributeur de pop-corn dans chaque androïde ou l’importance capitale qu’ils possèdent des lasers dissimulés dans leurs yeux.

Il va de soi que la réalité était toute autre.

Et cette réalité, Rudy Kalgan la connaissait mieux que quiconque. Il avait toujours un sourire en pensant à tous ces imbéciles qui se figuraient son métier comme une espèce de mission secrète, comme un privilège auréolé des mystères de la science et de la technologie.

Et ce qui le faisait sourire, c’était cette réalité qui l’entourait.

Assis, ou plutôt « emboités » dans son fauteuil, les cent kilos de Rudy Kalgan faisaient face à un large écran sur lequel courait la flèche d’une souris.

Il était affublé d’un jean sans âge et d’un tee-shirt portant un souvenir de chacun de ses repas de la semaine. Ses yeux, couverts d’imposantes lunettes, fixaient l’ordinateur sans jamais cligner.

Kalgan réajusta sa posture, faisant au passage gémir le fauteuil qui vraisemblablement n’en pouvait plus. Il passa sa main dans le peu de cheveux ornant son crâne, dont la surface luisait de transpiration sous l’unique néon du bureau. Ses gros doigts pianotèrent sur le clavier digital quelques secondes, avant de saisir à nouveau la souris.

Il y avait un contraste incroyable entre le matériel qu’il utilisait et son environnement de travail. Si l’ordinateur à lui seul valait un prix astronomique, le fauteuil, le bureau et l’éclairage étaient de véritables reliques.

Depuis cinquante ans déjà, ce genre de paradoxe était monnaie courante dans de nombreuses usines d’androïde. La demande avait fini par dépasser et supplanter l’offre, si bien qu’il avait fallu concentrer les budgets sur des points bien précis au détriment d’autres. Le calcul était à la portée d’un nouveau-né : un beau bureau avec un éclairage optimal, un siège confortable, des meubles solides et pratiques… mais un ordinateur en milieu de gamme. Retirez tout le confort, superflu en somme et balancez l’économie qui en résulte sur le matériel informatique qui semble alors venir d’une autre planète. Et qui assure une conception et une fabrication plus rapide.

La première ligne de la grande industrie de l’androïde était la conception par ordinateur, selon des critères précis et des règles strictes énoncées sur un schéma de préproduction propre à chaque androïde.

Environ cinquante de ces schémas parvenaient à Rudy chaque jour. Certains plus simples que d’autres. Il s’agit la plupart du temps de conceptualiser des modèles standards, qui n’auront que quelques points de différences. Il y avait aussi les demandes particulières, qui elles demandaient plus de travail, selon les modèles.

Le travail de Rudy consistait, comme pour les dizaines d’employés dans son cas, à établir les plans techniques précis de chaque androïde qui seront ensuite envoyés aux chaînes de fabrication.

Il utilisait pour cela un logiciel extrêmement sophistiqué qui lui permettait de déterminer avec une précision au millimètre la structure et la silhouette d’un androïde. Après dix ans d’expérience, Rudy était capable de finaliser un modèle en à peine une demi-heure. Et cela n’était pas à la portée de tout le monde. Les cent soixante de QI de l’ingénieur n’étaient pas de trop.

Ce qui lui plaisait le plus dans son travail, c’était la création. Rudy avait souvent l’impression d’être une sorte de dieu, créant des hommes et des femmes, robotiques certes, mais des êtres qu’il avait le loisir de voir déambuler dans les rues. Il lui arrivait souvent de s’arrêter net dans les rayons d’un magasin ou au détour d’un parc en voyant apparaître une femme ou un homme dont il avait ajusté la taille sur son ordinateur, remonté un sourcil, allongé un menton ou encore affiné une bague de maintien au niveau de la gaine thermique d’un techno-cœur. Oui, il avait un rapport particulier avec son métier.

Et il savait que ce rapport n’allait pas s’arranger avec le dossier qu’on lui avait confié tôt ce matin.

À son arrivée, ledit dossier était posé en évidence sur son plan de travail, une chemise beige portant une simple note lui indiquant de garder un silence absolu sur cette tâche qui devait être accomplie dans l’heure. C’était signé du directeur de l’usine en personne.

C’est sur ce dossier qu’il travaillait quand la porte de son bureau s’ouvrit.

— Rudy, comment ça va ce matin ?

Le repli de peau qui servait de cou à Kalgan pivota vers son interlocuteur.

— Orson ? Je… n’avais pas vu l’heure…

Orson Hughs était le chef de service de Rudy. La quarantaine bien portée, les tempes grisonnantes et toujours vêtu d’un antique par-dessus anthracite.

« Je suis arrivé plus tôt, trop d’affaires en cours. Tu travailles sur quoi ? »

Le front de Rudy se couvrit d’une fine pellicule humide. Il avait bien compris que si le fameux dossier était arrivé sur son bureau à la première heure, c’était pour qu’il puisse boucler son travail avant l’arrivée de son patron. C’était raté.

— Euh… rien de bien important… la routine… balbutia l’ingénieur.

Machinalement, Hughs porta le regard sur l’écran affichant une silhouette composée de milliers de filaments bleus. Rien de bien surprenant donc.

— Bien, je ne vous dérange pas plus longtemps, lança son patron en claquant la porte derrière lui.

Rudy inspira profondément. Mais après tout, si cela venait directement de la direction, qu’avait-il à craindre ? Seulement voilà, son intuition lui disait qu’il y avait quelque chose de louche dans tout ça. Il se remit au travail, ajustant la silhouette selon les spécifications qu’on lui avait communiquées.

Il avait tout juste terminé que sa porte s’ouvrait sur un homme qu’il n’avait jamais vu, habillé tout de noir, comme un méchant de mauvais film. Il lui demanda s’il avait terminé, ce que Rudy confirma. L’homme lui demanda d’envoyer les plans par ordinateur à une certaine adresse puis s’empara du dossier et rappela à l’ingénieur le caractère secret de ce qu’il venait de faire. Rudy se retrouva alors seul avec cette petite voix qui lui disait que tout cela ne sentait pas bon.

Si cette même voix avait pu lui dire que le soir même, son corps inerte serait abandonné entre deux bennes à ordures dans la ruelle en bas de son immeuble, Rudy Kalgan aurait su que son intuition première était la bonne.

Sixième sous-sol du Pentagone 3, Arlington, État de Virginie, deux jours plus tard

La salle de réunion était d’une austérité lugubre. Il y avait juste ce qu’il fallait de lumière pour se voir l’un en face de l’autre.

— Messieurs, nous abordons la phase deux du projet. L’androïde sera prêt dans quelques jours.

Celui qui avait pris la parole était le Chef du service de sécurité du Président. Il était assis devant une pile de papiers protégée par une chemise cartonnée blanche.

Assis à sa droite, parfaitement ajusté dans son uniforme militaire, se tenait le Général en chef des armées. Et à sa gauche, le conseiller personnel du Président pour la sécurité globale. Ce dernier tira une bouffée de sa cigarette.

— Pas de vague autour de la mort de l’ingénieur, dit le conseiller. Comme prévu, son bureau à était vidé et l’ordinateur détruit la nuit suivante. Aucune trace de son travail.

— Parfait, reprit le Chef. Et suivant la procédure, les plans ont transité par deux cents serveurs différents avant d’atteindre leur destination. Ils sont intraçables.

— Nous jouons gros là-dessus, commenta le Général. Vous êtes certain que les fichiers ne se sont pas retrouvés assez longtemps sur le réseau pour avoir atterri n’importe où ?

— Aucun risque, reprit le Chef. Et je vous rappelle qu’ils sont cryptés, de toute façon. Parfaitement illisibles pour le commun des mortels. Bien. Une fois l’androïde terminé, il sera programmé en conséquence et il ne restera plus qu’à l’introduire dans la place.

— Il nous faudra agir vite, précisa le Conseiller. Les choses commencent à mal tourner de l’autre côté de l’Atlantique. Et je ne parle pas du reste du monde. Si l’étincelle de la France se propage, ce sera l’escalade vers l’apocalypse si vous me permettez cette tirade un peu théâtrale.

Le Général posa ses coudes sur la table.

— Nous ferons notre possible pour éviter le pire. Mais tout repose sur le succès de cette opération. Et surtout sur le fait que personne ne se rende compte de la différence.

— Aucune crainte là-dessus non plus. L’androïde sera une copie parfaite, répondit le Conseiller. Elle pourra s’approcher de l’émetteur anglais sans aucun souci et l’activer. À partir de là, nous prendrons le relais et éviterons, je l’espère, la guerre.

Le Conseiller et le Général acquiescèrent.

— Messieurs, continua le Chef, prions pour que le temps ne joue pas contre nous.

Sur ces mots, il referma la chemise cartonnée dont la couverture était frappée de grosses lettres rouges :

PROJET GaIA.

2

Une vaste étendue d’eau. Une ligne d’un bleu profond marquait l’horizon, dessinant une frontière abstraite entre l’océan et le ciel aux teintes rougeâtres.

L’eau était d’huile, calme, plane, ressemblant à s’y méprendre au sol de quelque fantastique désert. Elle cachait pourtant des profondeurs insondables et sa surface n’était dérangée, de temps à autre, que part l’émergence de formes de vie mystérieuses reprenant leur souffle.

Il eut été plus que légitime de confondre ce ciel et cet océan, s’ils n’avaient de couleur différente, tant leurs calmes se répondaient.

Mais la toile rougeâtre fut bientôt traversée par une flèche d’un noir opaque, traçant sa route à grande vitesse et n’émettant qu’un léger bourdonnement.

Sa trajectoire changea brusquement, l’appareil vrilla sur un côté avant de reprendre sa position initiale.

— Je t’ai dit en douceur !

Alma tentait de garder une contenance sous le regard d’Isis qui endossait le rôle d’instructeur de fortune.

— Tu ne dois pas te crisper sur les commandes. La moindre pression involontaire et notre ami s’excite.

Alma opina du chef et détendit ses mains sur le guidon de direction. Le Miria, puisque que c’était désormais son nom, poursuivit sa route docilement.

À présent que le vaisseau était leur seul moyen de transport, il importait que tous sachent le piloter. C’est pourquoi Isis, forte de ses récentes connaissances en la matière, se chargeait du travail. Elle avait passé des jours à ausculter la mécanique très avancée du vaisseau Tô durant leur séjour à Nouvel Eden et, loin d’être devenue experte, pouvait tout de même se vanter d’en avoir saisi la quintessence.

À quelques mètres derrière eux, GaIA était assise contre la carlingue de l’habitacle au revêtement couleur or, les jambes croisées, la tête calée sur ses bras. La scène avait de son point de vue quelque chose de comique. Alma, assis devant le tableau de bord, avait une carrure de gorille à côté d’une Isis toute mince, les mains sur les hanches, reprenant le moindre de ses écarts. Ses cheveux bleu électrique semblaient se hérisser à chaque remontrance.

Elle imagina dans un sourire son camarade perdre patience et d’un simple revers de main envoyer valdinguer sa pointilleuse monitrice dans un coin de la cabine. Elle fit rouler quelques secondes son épaule droite. Elle s’était déplacé une fibre d’alimentation cervicale, l’équivalent d’un tendon pour les humains, pendant leur course poursuite à Nouvel Eden et Silver était intervenu pour régler le problème. Tout semblait être rentré dans l’ordre, la gêne n’ayant été que purement mécanique, l’empêchant de lever le bras plus haut que son épaule.

La porte dorée de la cabine s’ouvrit et Silver apparu, affichant une expression satisfaite.

— Tout est en ordre, notre bébé tient le coup.

Depuis leur départ de refuge il y a deux jours, il n’avait cessé de vérifier et revérifier les composants du Miria.

— Rien de neuf depuis dix minutes donc ? lui lança GaIA sans même le regarder.

— Ahahah… au moins si on menace de se crasher je serai le premier à le savoir ! rétorqua l’androïde.

GaIA lui fit un clin d’œil en riant.

Cela faisait quelques heures qu’ils survolaient l’océan que l’on appelait autrefois l’Atlantique. En maintenant leur vitesse, ils devraient atteindre les côtes de l’ancien monde d’ici cinq ou six heures.

Ils avaient choisi leur destination un peu au hasard. Le but était de rallier d’autres possibles colonies d’androïdes établies sur le globe, d’établir des contacts. Mais force était d’admettre qu’après l’épisode fâcheux qu’il venait de vivre, une certaine appréhension était apparue dans la perspective de découvrir d’autres colonies comme Nouvel Eden.

GaIA avait bien sûr expliqué ce que Circée lui avait révélé sur elle et ses anciennes fonctions. L’histoire des émetteurs sensés pouvoir, une fois activés, prendre le contrôle total des androïdes n’avait pas vraiment choqué ses camarades. Une telle mesure, à y réfléchir, était assez logique venant des humains toujours enclins à vouloir se protéger de leur propre création qu’ils prétendent pourtant « contrôler ».

— De toute façon, c’est du passé tout ça, avait conclu Silver. Quand bien même ce serait vrai, quelle importance aujourd’hui ? Le tout est d’espérer que cette sorcière ne trouve jamais le moyen de mettre cette saloperie de machine en route…

— Et même, avait répondu Alma. Qu’elle dirige son petit empire de robot soumis. Cela ne va pas changer grand-chose à notre situation.

GaIA savait qu’ils avaient raison. Ce qui l’avait dérangée le plus était de savoir que ses souvenirs étaient faux. Circée lui avait dit que ces derniers avaient été implantés dans son cerveau quantique afin de dissimuler toute trace de l’existence des émetteurs. En fait, cela ne l’avait pas « dérangée » au sens commun du terme. Disons juste que pour son intelligence artificielle, ces souvenirs étaient comme des parasites résultant d’une programmation pirate et elle avait songé à la place qu’ils prenaient dans sa mémoire interne. À une autre époque, il eut été facile de les supprimer avec la technologie adéquate. Mais aujourd’hui, même les talents de Silver en la matière ne suffisaient pas.

La jeune femme s’était donc employée à cloisonner ses fausses images dans un coin de sa mémoire. Un exercice auquel n’importe quel androïde pouvait se livrer au besoin et qui permettait en général de libérer de la mémoire tout en conservant des données pouvant encore servir. Les humains avaient constamment leurs souvenirs, des images remontant à quelques secondes comme d’autres remontant à leur petite enfance. Il en était de même pour les androïdes, à ceci près qu’il s’agissait d’images enregistrées contenues dans une interface mémorielle maintenue en activité de conscience permanente. GaIA avait donc stocké ses souvenirs dans une sous-interface de sa mémoire, comme on conservait autrefois des fichiers dans un dossier informatique. Elle y avait toujours accès, mais elle devait pour cela « ouvrir » le fameux dossier.

En cela, ils n’étaient pas différents des ordinateurs.

GaIA avait conservé juste ce qu’il lui suffisait pour la poursuite de leur voyage.

Alma quitta le poste de pilotage, tirant GaIA de ses pensées. Isis remplaça son élève. Ce dernier dépassa GaIA pour sortir de la cabine.

— Après, c’est ton tour… bon courage… lui dit-il en maugréant.

Silver prit place sur le siège passager à droite d’Isis.

— Ce n’est pourtant pas compliqué ! dit Isis sans s’adresser à quelqu’un en particulier, mais sur un ton assez fort pour que tout le monde en profite. Quand l’oscillateur indique vingt pour cent, tu enclenches le temporisateur thermique pour éviter une surchauffe du réacteur…

Pensant qu’elle s’adressait à lui, Silver se pencha sur le tableau de bord constellé de points lumineux.

— Hein ?

Manifestement surprise, Isis porta les yeux sur son voisin.

— Le machin là, quand tu vois que la barre est rouge, tu appuies là-dessus.

— Ah ben tu vois quand tu veux…

Isis se renfrogna et garda les yeux rivés sur la vitre du cockpit.

La navette qu’ils avaient volée aux extraterrestres était une véritable aubaine. Sans se concerter, chacun s’était pourtant posé la question de ce qui se serait passé sans elle. C’était le meilleur moyen de transport dont ils pouvaient rêver. Rapide, solide… et armé, bien qu’Isis n’eût pas eu le temps encore de s’atteler au fonctionnement de ce qui devait s’apparenter à des canons lasers, réduits à deux larges fentes de part et d’autre de la coque triangulaire de l’engin.

Une heure passa encore et la couleur du ciel changea d’un coup. Le rouge tendre fit place à un gris sinistre qui vira au noir orageux en quelques minutes.

Ce genre de phénomène était fréquent dans les terres, dû à la profonde évolution climatique des derniers siècles. Des tempêtes d’une violence inouïe se déclenchaient sans crier gare et pouvaient durer des heures. C’était la première fois que GaIA et ses semblables en vivaient une au-dessus de l’océan.

Isis tenta de sortir de la tempête naissante, mais déjà d’épais nuages entouraient le vaisseau et il était impossible de discerner quoi que soit au travers.

Les premiers éclairs zébrèrent la couche vaporeuse qui devenait noire comme du charbon. Au frémissement de la coque, GaIA comprit que le vent devenait de plus en plus fort. Malgré tout, Isis maintenait son cap, si tant est qu’elle savait dans quelle direction elle allait. Alma avait rejoint l’équipe dans la cabine de pilotage et tous se sanglèrent sur leur siège. Un seul était différent des autres et au lieu du style Tô, il n’était fait que de deux plaques d’acier soudées ensemble afin de remplacer le siège d’origine que GaIA avait détruit après leur départ du Vaisseau-monde. Le vaisseau subissait la violence des vents de tous les côtés et devenait difficilement contrôlable. La vue panoramique du cockpit n’était qu’une plage de formes noires cotonneuses et lézardées d’éclairs d’un blanc immaculé.

— On s’accroche tout le monde ! cria Isis.

— Isis ! lui répondit GaIA, tu devrais tenter de remonter au-dessus de la tempête !

— Cela se tente… répliqua le pilote en tirant sur le guidon de toute ses forces.

La navette se redressa et fendit le monstre noir et blanc comme une énorme flèche tirée vers les cieux.

La coque tremblait sur toute la structure. Un éclair frappa l’engin sur le côté tribord, le choc le dévia sur quelques mètres. Mais le plaquage de carbonium Tô tint bon. Isis était crispée sur les commandes, jonglant entre la direction et l’ajustement de paramètres de navigation. L’éclair avait provoqué une surcharge énergétique et le tableau de bord crépitait de petites étincelles éparses.

Le vaisseau prenait de plus en plus d’altitude. L’épaisseur des nuages semblait ne pas avoir de fin.

— Mais bon sang ! s’écria Silver, où s’arrête cet enfer ?

Isis secoua la tête.

— Je tire un maximum sur la propulsion, si on n’en sort pas très vite, je ne suis pas sûre que les réacteurs tiennent !

Un deuxième éclair frappa la coque. Puis un troisième. L’habitacle était secoué dans tous les sens.

Alors la couche noire sembla s’éclaircir. Un lent dégradé de gris entoura la navette.

GaIA se pencha pour tenter de mieux voir.

— Je pense que nous…

À peine eut-elle terminé sa phrase que le vaisseau transperça d’un coup la couche nuageuse, telle une énorme créature auréolée de vapeur charbonneuse. Mais à la grande surprise de ses passagers, ce n’était pas le ciel qui les attendait.

Une masse titanesque masquait le paysage. La navette, lancée à pleine vitesse, fonçait droit dessus. Isis commença à ralentir, mais elle savait très bien qu’ils allaient beaucoup trop vite.

L’obstacle se rapprocha inévitablement et le vaisseau le percuta de plein fouet. Sa forme en flèche diminua le choc de l’impact qui fut malgré tout suffisamment puissant pour que l’engin s’enfonce de tout son long dans un bruit assourdissant de métal broyé.

Il s’immobilisa et tout redevint calme.

Ce fut Alma qui rompit le silence.

— Tout le monde va bien ?

— Oui, lui répondit GaIA qui venait de se dessangler.

— OK de mon côté… Isis ? demanda Silver.

— Ouais, ouais…

Cette dernière tenait toujours le guidon de commande et avait le regard fixé sur la vitre du cockpit. On y distinguait une haute structure de bois et de métal.

Le vaisseau s’était stabilisé à la verticale, si bien que les passagers durent sauter depuis leur siège et se rattraper sur la cloison au fond de la cabine de pilotage. Alma tenta une sortie, mais le système d’ouverture de la porte ne répondit pas. Il assena alors un grand coup de pied au milieu de celle-ci, gondolant le métal doré. L’accès s’ouvrit alors dans un curieux bruit de glissière mal huilée. Le vaisseau n’avait subi aucun dommage intérieur au premier regard. Les androïdes parvinrent au compartiment de la rampe d’accès extérieure dont le mécanisme semblait fonctionner.

— Mais, dit Silver en désignant la jointure de la porte avec l’encadrement du compartiment, la porte s’est enfoncée dans son cadre sous le choc. Elle est bloquée.

— Eh bien, répliqua GaIA, appliquons la méthode Alma.

Le désigné et elle-même se postèrent devant la rampe et donnèrent de forts coups de pied en cadence contre la paroi. Sans résultat.

— À part vous arracher une électro-fibre vous n’arriverez à rien là !

Isis avait raison.

— Alors on fait quoi ? s’enquit Alma les mains sur les hanches.

Alors que chacun réfléchissait à une solution, un bruit sourd se fît entendre de l’autre côté de la rampe. Comme si on y accrochait quelque chose.

L’instant d’après, elle fut arrachée de ses fixations d’un seul coup et tomba lourdement au sol. Une silhouette masculine apparue dans l’ouverture, une touffe de cheveux bleu électrique ébouriffés couvrant son crâne. Posant un pied sur le rebord métallique, il s’adressa à eux :

— Vous êtes cinglés ou quoi !

3

Omen plongea son regard sur l’horizon.

À cette altitude, impossible de discerner le sol, à presque trois mille mètres en dessous. Il caressa de ses iris verts la couverture grise entachée de noir qui dissimulait la tempête. Parfois, un coin de nuage s’éclairait d’un blanc intense, trahissant un violent éclair.

Les mains jointes dans le dos, la stature haute et fière dans sa tunique bleue parfaitement lissée, Omen était l’image même d’un souverain contemplant son royaume. Même si l’on pouvait trouver cela un tantinet prétentieux de sa part, il aimait à penser qu’il régnait sur les cieux. Et tout compte fait, on ne pouvait pas lui en vouloir. Car il était bien le seul, en compagnie d’un millier d’autres, à pouvoir évoluer dans les airs. Voilà des siècles qu’aucun appareil n’avait décollé du sol.

Et des siècles que lui et sa communauté faisaient le tour de la Terre.

Il se retourna et détailla le mur qui lui faisait face, couvert de très vieilles photographies glanées avant le Départ. Elles montraient le monde tel qu’il fut, celui dont il se rappelait par bribes de temps à autre. Des images de villes, de campagnes… et d’êtres humains. Si Omen avait une certaine forme de nostalgie envers l’antique nature terrestre, si son IA pouvait caractériser ce terme dans son sens propre, il ne regrettait pas l’humanité. Loin de là. Sa condition d’androïde l’encourageait dans ce sens, mais pas seulement. Au fil du temps, il avait développé une certaine forme de ce qui pouvait s’appeler du ressentiment. Il n’avait d’ailleurs gardé dans son système mémoriel que très peu de choses concernant son propre passé. L’essentiel. Omen avait été l’un des très rares androïdes religieux qui foulèrent le dernier siècle de l’espèce humaine. Il était employé par le Temple du Saint Devoir, une organisation religieuse pacifique, mais très conservatrice, centrée sur le caractère infiniment divin des agissements humains sur son environnement. Une obédience parmi tant d’autres, qui avaient germé en même temps que la prise d’ampleur de la technologie de l’intelligence artificielle.

Conformément à l’usage, Omen avait l’aspect d’un homme entre deux âges, pas trop jeune pour inspirer le respect et assez vieux pour inspirer la sagesse. Sa voix devait être à la fois ferme et rassurante, son timbre affirmé et harmonieux. Il avait le charisme et la prestance que se devait d’avoir un homme de foi.

C’est à cet instant qu’un bruit sourd se fît entendre, suivi d’une curieuse vibration. Comme si l’on avait heurté quelque chose. Ou plutôt comme si un objet à grande vitesse s’était écrasé contre la coque. Pour répondre à son questionnement, une alarme se déclencha, emplissant la cabine d’une tonalité stridente. Il s’avança vers son bureau et pressa une commande avant d’ajouter :

— Que se passe-t-il ?

Une voix monocorde lui répondit tout de suite.

— Quelque chose vient de heurter l’Arche, Monsieur.

L’incident avait fait écho et de nombreux androïdes entouraient à présent l’étrange appareil qui venait de transpercer la coque.

GaIA posa le pied au dehors la première, scrutée par des yeux aussi surpris qu’accusateurs. Elle aida ses compagnons et ils se retrouvèrent maintenant devant un public silencieux. L’androïde qui les avait accueillis faisait le tour de leur vaisseau en estimant les dégâts et, par le fait, faisait montre d’un mécontentement. Il réapparut à leur hauteur en vociférant.

— Vous avez de la chance de ne pas avoir traversé l’habitacle de part en part ! Vous imaginez un peu le drame ? Et les réparations que cela aurait occasionnées ? Et ceux d’entre nous qui auraient pu être mis en pièce ? Et…

Ne sachant comment s’insérer entre deux questions de son virulent interlocuteur, GaIA détailla l’assemblée qui leur faisait face. Des androïdes, tous sans exception. Certains ne portaient pas de vêtement, d’autres n’arboraient qu’une tunique utilitaire de cuir. Les plus couverts portaient des pantalons de toile, des bottes, des gilets ou des vestes, la plupart usés ou élimés par le temps. Ce fut Silver qui brisa la glace, en levant une main dans un signe pacifique.

— Bonjour, nous sommes désolés de cette arrivée un peu… brutale. Nous avons été pris dans la tempête en dessous et en voulant nous en extirper indemne, nous avons heurté votre… votre…

— Arche, mon ami.

Le groupe devant eux s’écarta pour laisser passer un homme d’âge respectable, impeccablement cintré dans une tunique de soie bleu sombre. Il s’avança lentement vers les quatre arrivants, les jaugeant un par un au fur et à mesure qu’il approchait.

— Je m’appelle Omen, dit-il. Je vous souhaite la bienvenue sur notre vaisseau des cieux.

Il s’approcha alors de la navette dont la proue pontait vers le haut comme une énorme épine noire.

— C’est un curieux appareil que vous avez là… d’où venez-vous ?

— C’est une longue histoire, lui répondit Alma. Et pas sûr que vous la croyez jusqu’au bout.

Omen eut un sourire amusé. Il s’adressa alors à l’androïde qui pestait sur les dégâts depuis le début.

— Han, s’il te plaît. Nous allons dégager leur véhicule et réparer la coque. Cela ne devrait pas être trop difficile. Tu feras au mieux.

L’intéressé leva les bras au ciel.

— Oui, évidemment que je vais faire au mieux… le mieux eut été qu’il passe à côté, mais bon…

Il s’éloigna en grommelant.

— Excusez-le, reprit Omen. C’est notre meilleur ingénieur et c’est lui qui a pensé cette structure. C’est un peu son bébé, je suppose. Bien, suivez-moi, j’ai hâte d’entendre votre fameuse histoire.

L’épisode qui suivit leur rappela leur arrivée à Nouvel Eden. Avec, à quelques détails près, les mêmes questions posées et les mêmes réponses données. Omen avait écouté leur récit patiemment, assis derrière son bureau. Plusieurs heures furent nécessaires à l’échange, durant lequel ils apprirent aussi l’histoire de la fameuse Arche. Ils n’étaient partis de rien. Arrivés sur le littoral Ouest de ce qui avait été autrefois les côtes du Mexique, un groupe d’androïdes, menés par Omen en personne, avait entrepris la construction d’un dirigeable juste après la fin de la Dernière Guerre. L’idée venait d’Omen qui avait trouvé plus opportun de se déplacer via les airs, au vu des ravages causés au sol. D’une poignée d’individus, ils se retrouvèrent à plusieurs centaines, le groupe initial ayant été rallié par d’autres, errants sans véritable but. Le projet d’Omen était séduisant et cela avait rendu à tous un but dans leur existence. Et ce qui devait être un simple dirigeable se transforma en un colossal vaisseau qui fut baptisé l’Arche. Le chantier dura cent cinquante ans. Un siècle et demi pour donner naissance à une merveille de mécanique et d’architecture. Omen en avait fait réaliser une maquette qui trônait sur un meuble de son bureau. De l’extérieur, l’Arche ressemblait à un navire de guerre du temps où les humains n’avaient pas encore la maîtrise des moteurs et comptaient sur les vents pour les mener à destination. Son armature était de métal et son bardage de bois. Elle se composait d’une coque mesurant cinquante mètres de large pour cinq cents mètres de long que surplombaient trois gigantesques ballons remplis d’air chaud lui assurant son maintien en vol. Ces derniers, ovales et disposés perpendiculairement à la coque, étaient reliés au vaisseau par des centaines de câbles et de cordages. Un dense réseau de tuyaux occupait la poupe, alimentant en air chaud les ballons depuis un réacteur parfaitement autonome lui-même relié à une dizaine de générateurs électriques. Ils alimentaient également quatre grandes hélices assurant la propulsion. L’Arche comptait un millier d’androïdes à son bord. Les différents organes du vaisseau étaient répartis sur vingt niveaux, totalisant près de soixante-dix mètres de hauteur. La surface extérieure était percée d’une infinité de hublots, et chaque niveau avait reçu une décoration propre, si bien que l’Arche semblait faite de vingt bandes superposées figurant des entrelacs de cuivres, des ciselures d’acier, des finitions de chrome…

Omen, malgré son respect apparent, n’accorda pas une grande importance aux Tô et à leur implication technologique dans la création des Androïdes, qu’il qualifia de bien dérisoire après tous ces siècles passés. Il était cependant intrigué par la navette et il lui tardait de l’inspecter de plus près. GaIA, Silver, Alma et Isis furent invités à rester à bord.

— … sans possibilité de redescendre, avait terminé Omen.

— Que voulez-vous dire par là ? lui demanda GaIA.

— Quand l’Arche fut lancée, un grand débat anima les premiers jours de notre voyage. Après un vote, il fut décidé de ne plus jamais redescendre sur Terre. Elle n’a plus rien à nous offrir aujourd’hui, alors que le ciel lui est resté le même. Nos soutes sont pleines de techno-cœurs de rechanges, assurant notre pérennité. Nous restons donc en altitude et faisons le tour de la planète en suivant la ligne imaginaire de l’Équateur. Et cela depuis près de deux mille ans.

— Vous n’avez jamais remis un pied sur la terre ferme ? s’enquit Isis. Comment avez-vous fait pour vous maintenir en l’air pendant tout ce temps ?

— Grâce à notre savoir-faire, notre ténacité… et un réacteur à impulsion sonique récupéré flambant neuf dans une usine d’armement.

Les réacteurs à impulsion sonique utilisaient une technologie basée sur des ondes soniques réagissant à un niveau quantique. Ils étaient autoalimentés une fois mis en route et très économes en énergie. Conçus comme une alternative au nucléaire quelques siècles avant la Dernière Guerre, les RIS étaient, en contrepartie de leur performance, extrêmement coûteux et furent réservé à quelques entreprises dans le monde.

— Nous avons toutes les ressources matérielles nécessaires dans nos soutes, poursuivit Omen. Pour le ballon, pour les générateurs… et nous prenons grand soin de la mécanique. Qui plus est, nous n’avons aucun danger auquel faire face, ce qui réduit considérablement les probabilités de devoir effectuer des réparations. Du moins… jusqu’à aujourd’hui.

GaIA, les bras croisés sur la poitrine, était fascinée par le personnage qui leur faisait face. Omen renvoyait l’image d’un chef avisé, charismatique et elle était persuadée que chacun des androïdes à son bord serait prêt à se démembrer ferro-fibres après ferro-fibres pour lui. Mais il n’avait pas l’air d’un tyran. Elle le voyait plutôt dans un rôle plus… guide en fin de compte. À l’inverse de Circée.

Omen se leva alors de son élégant bureau.

— Bien, vous comptez désormais parmi la communauté de l’Arche. Je vais vous assigner un compartiment où vous installer et vous pourrez ensuite aller et venir à votre guise.

Isis se leva à son tour pour lui faire face.

— Et si nous voulons repartir ?

Omen lissa par réflexe la soie de sa tunique.

— Vous n’êtes pas prisonniers, si c’est le sens de votre question. Vous pouvez évoluer comme bon vous semble parmi nous. Ou bien repartir dans votre vaisseau extraterrestre. Mais réfléchissez bien… le monde en dessous est mort. Ici, nous pouvons vivre.

Les quatre nouveaux reçurent le meilleur des accueils. Ils furent logés au niveau cinq de l’Arche, qui servait habituellement d’espaces de stockage en tout genre. Le niveau dix était celui des logements, mais il n’avait jamais été question de prendre des passagers supplémentaires après ce qui devait être l’unique décollage du vaisseau. Faisant de mauvaise fortune bon cœur, Omen avait ordonné l’aménagement de trois pièces de vingt mètres carrés, disposées en « L » et qui avait été meublées juste ce qu’il faut. Une seule possédait un grand hublot sur l’extérieur, et c’était là qu’Isis et GaIA avaient décidé de s’installer. Elle s’ouvrait sur la deuxième pièce servant d’atelier. L’extrémité du « L » était occupée par Alma et Silver. Les espaces n’avaient pour vocation que de permettre un isolement pour la mise en veille prolongée, les éventuelles réparations ou de s’adonner à des jeux. Les occupants possédaient chacun un caisson de protection étanche et ignifugé en cas d’accident.

Il va sans dire que les androïdes n’occupaient guère leur logement respectif. Les tâches étaient réparties de façon à occuper chacun et tous se relayaient à chacune des tâches régulièrement. L’Arche était assez gigantesque pour que le travail ne manque pas.

Deux jours après leur arrivée, GaIA et les autres furent soumis à un bilan technique qui s’avéra positif hormis un détail : leur dermo-silicone avait subi beaucoup de dommages, cela allait d’une simple décoloration pour Alma à des écorchures éparses pour Isis. Mais l’Arche possédait de nombreuses ressources parmi lesquelles une machine permettant de renouveler intégralement leur peau synthétique. Autrefois, ces appareils étaient largement utilisés par diverses entreprises afin de réparer leurs androïdes.

GaIA fut la première à s’introduire dans le grand tube de métal blanc et lisse. Elle se figea, debout, laissant une multitude de faisceaux lasers dissoudre littéralement la dermo-silicone qui s’évaporait en une fine poudre rosée aussitôt aspirée dans les parois du tube. L’opération terminée, GaIA ne put s’empêcher de contempler les ferro-fibres recouvrant la surface brillante de l’ultracier. Bien qu’ils eussent pleinement conscience de leur constitution, il était rare qu’un androïde se soit déjà vu… nu, à vrai dire. Le corps de la jeune femme était parcouru d’un dense réseau de fibres grises transparentes, d’à peine deux millimètres de diamètre, dissimulant elles-mêmes une compression de centaines d’autres fibres blanches de l’épaisseur d’un cheveu. Par zones, l’ultracier était apparent, sa surface parfaitement polie reflétant les traits d’un visage, humain d’apparence, mais aussi lisse et brillant que le métal lui-même. Des dizaines de petites trompes mobiles se substituèrent aux pointes lasers et commencèrent à pulvériser la nouvelle enveloppe. D’abord sous forme liquide, la substance se solidifiait rapidement au contact des ferro-fibres, composant alors une épaisse couche semblable à la plus belle des peaux humaines.

GaIA ressortit de la machine avec une délicieuse impression de neuf. Impression artificielle qui n’était qu’une résultante indirecte de la programmation de son IA visant à détecter les dommages de sa structure et qui par conséquent, le diagnostic étant nul, lui signifiait qu’elle était en parfait état.

Isis et Silver eurent droit au même traitement. Le procédé fut plus long pour Alma, qui dû attendre que l’on introduise un pigment à la solution liquide de l’appareil afin de lui donner la couleur chocolat qui le caractérisait.

Isis était tellement satisfaite du résultat qu’elle ne cessait de lancer des auto-scans pour le seul plaisir de savoir qu’elle était presque neuve.

— J’adore… il faudrait renouveler cela plus souvent ! jubilait-elle pendant qu’ils arpentaient une coursive extérieure.

— Tu peux toujours faire exprès de t’endommager, mais ça va finir par se voir, plaisanta Alma dans un sourire.

GaIA observa l’environnement autour d’elle. À une telle altitude, il n’y avait qu’une vaste étendue de nuages blancs, rosés et légèrement bleutés.

— Bon alors, on décide quoi au juste ? lança Silver sur un ton décidé. On reste ou on continue notre périple ?

— Franchement à quoi bon ? répondit Isis en s’adressant au petit groupe. On n’est même pas sûr de trouver qui que soit. Bon, la première fois, c’était un gros loupé, certes. Mais là, on est plutôt bien tombé non ?

Alma soupira fortement.

— Oui, on ne peut pas dire le contraire. On est en sécurité. GaIA ?

Cette dernière ne décrocha pas son regard de l’océan de nuage.

— Je suppose que oui. Et on fait quoi du Miria ?

— Il est à nous de toute manière, répliqua Silver. On va le conserver ici et peut-être que nous arriverons à convaincre Omen de s’en servir pour je ne sais quoi. C’est bien la seule chose qui l’a passionné dans toute notre histoire.

— Même l’évocation des humains en stases à Nouvel Eden ne l’a pas plus impressionné que ça, continua Isis.

— Et pourquoi cela devrait ? dit GaIA. Il est peut-être du même avis que moi. Hors de question de les réveiller, donc autant faire comme s’ils n’existaient pas.

Cette dernière réplique jeta un silence pesant, rappelant le souvenir de leur divergence d’opinions concernant le réveil des humains de Circée.

Silver ralentit le pas pour être à la hauteur de GaIA.

— Ne te mets pas en colère, ma belle, mais ton avis est toujours aussi tranché sur la question ?

Un simple regard lui donna une réponse sans équivoque.

— De toute façon, continua-t-il, on ne les reverra jamais.

Leur décision de demeurer sur l’Arche fut encouragée par les conditions climatiques. Le vaisseau survolait à présent une zone d’orages électriques très violents, empêchant tout décollage de leur navette. Selon Omen, cela pouvait durer des mois, voire des années. Il leur était arrivé de faire la moitié du tour de la Terre avant de voir enfin une accalmie.

Ils passèrent alors plusieurs jours à se fondre dans leur nouvel habitat.

Au début de la troisième semaine, Omen demanda à rencontrer GaIA seul à seul. Elle arriva dans son bureau et le trouva debout devant sa baie vitrée.

— Entrez mon amie, comment se passe votre intégration parmi nous ? Je vois que vous vous êtes mise à notre mode vestimentaire.

Non pas que leurs vêtements d’origine auraient dénoté, mais les nouveaux arrivants avaient trouvé opportun de s’adapter au maximum. Ainsi GaIA s’était vêtue d’une tunique de cuir brune sans manches sur un pantalon de toile beige. Ils avaient dû se choisir une tenue parmi un fatras de vêtements stockés dans une soute, empilés et mélangés si bien qu’il n’était pas vraiment possible d’accorder les styles ou les couleurs ensemble. Les bottes de style Rangers de GaIA arboraient de ce fait une teinte jaune délavée.

Omen l’invita à s’asseoir.

— Nous nous faisons petit à petit à notre nouveau foyer, dit-elle.

Omen secoua la tête.

— Bien, bien ! Je suis heureux de l’entendre. J’en viens à ce qui vous amène ici. Il s’agit de votre hétérochromie…

Il avait prononcé le mot tout en fixant un peu plus le regard vairon de son interlocutrice.

— Vous m’avez raconté votre mésaventure avec cette androïde… Circée, c’est bien cela ? Concernant les émetteurs et leur gardien dont seul l’œil modifié permet d’activer lesdites machines.

— C’est cela, oui, répondit GaIA. Selon elle, il s’agissait d’un protocole visant à permettre une prise de contrôle totale de nos semblables en cas de soulèvement. Mais comme je vous l’ai dit, mes souvenirs ont été modifiés avant la Dernière Guerre.

Omen croisa les bras sur son bureau.

— Et je n’ai aucune raison de ne pas vous croire, d’autant plus que vous n’êtes pas la seule dans ce cas sur l’Arche.

— Vraiment ?

— En réalité, vous êtes trois. Saku était le gardien d’un émetteur présent sur le sol japonais et Esteban était celui d’un émetteur basé en Espagne. Ils ont les yeux vairons, comme toi. Mais eux se souviennent parfaitement de leur mission d’origine et c’est pourquoi je peux t’affirmer que la chose est véridique. Mais ce n’est pas la seule raison de ce rendez-vous.

Omen pressa un bouton chromé et un écran d’ordinateur s’éleva de l’intérieur du meuble. Omen l’orienta de façon qu’ils puissent tous les deux voir ce qui s’y passait. Il pianota sur l’écran digital, affichant plusieurs fichiers.

— C’est ton nom qui m’a rappelé quelque chose, dit Omen sans la regarder.

Un texte apparu sur l’écran, avec pour seul titre : PROJET GaIA.

GaIA se rapprocha un peu pour tenter de lire.

— Cela parle d’un projet secret mis en place par la République Fédérale des Amériques. Un projet consistant à remplacer un androïde gardien par un clone à la solde du gouvernement. Il devait, en temps voulu, activer l’émetteur et prendre le contrôle d’une armée de nos semblables afin de renverser la Présidente suprême de la Grande Union des Nations Occidentales.

GaIA le dévisagea.

— Et… vous pensez qu’il pourrait s’agir de moi ?

Omen manipula à nouveau quelques commandes sur l’écran, qui afficha désormais les plans détaillés d’un androïde. Tout correspondait à la jeune femme. Dimensions, silhouette, visage…

— Voilà ce que nous avons, reprit Omen. Tu as été conçue comme le clone parfait d’un androïde, soit dit en passant suivant une procédure illégale, et tu devais le remplacer à la surveillance de l’émetteur basé en Angleterre, selon les informations présentes ici. Au plus proche de la France et de la Présidente suprême. C’est l’Angleterre qui a été choisie aux vues des nombreuses collaborations industrielles du vingt-cinquième siècle et permettant facilement la permutation des deux gardiens. Tu devais alors, à un moment précis, prendre le contrôle de milliers d’androïdes.

— Mais dans quel but exactement ? demanda GaIA.

Omen soupira profondément.