Glanes beauceronnes - Adolphe Lecocq - E-Book

Glanes beauceronnes E-Book

Adolphe Lecocq

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Extrait : "Nous allons mettre sous les yeux du lecteur une pièce curieuse et laisser à son jugement le soin de décider si nous avons calomnié un illustre chirurgien-opérateur du temps passé, en l'appelant charlatan."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Veröffentlichungsjahr: 2016

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Simple avis au lecteur

Le titre de ce petit volume, GLANES BEAUCERONNES, indique bien son contenu ; il exprime, en effet, tout naïvement, qu’il ne doit renfermer que quelques faits ou bribes intéressantes, échappées aux historiens de notre Département, ou dédaignées par eux. Ce sont, en grande partie, des découvertes inattendues, que, dans nos recherches locales touchant le passé de nos pères, un heureux hasard nous a, souvent, mises sous la main ; ce sont des épaves manuscrites ayant trait à l’archéologie, à la biographie, à l’histoire, ou concernant des questions d’administration municipale, relativement à des innovations projetées ou à des démolitions accomplies. Ces GLANES BEAUCERONNES nous ont paru dignes d’être recueillies et arrachées ainsi à l’oubli. Peut-être serviront-elles, un jour, à compléter les annales, ou fastes relatant les évènements intéressants, ou les sinistres de notre province.

Quant au plan scientifique ou littéraire, ne le cherchez pas, car nous n’avons jamais eu d’autre prétention que de réunir, en un faisceau, ces faits épars, publiés successivement par nous, dans une des feuilles périodiques de notre localité, le Journal de Chartres. Nous prîmes soin, toutefois, avant de les soumettre à une nouvelle composition typographique, de les enrichir de nouveaux détails, ou de les modifier, suivant les circonstances, et cela en faveur de la présente publication.

Notre modeste recueil ne vous offrira pas l’apologie systématique du passé, dans le but de dénigrer le présent, car le passé eut ses travers, et notre siècle, il faut bien l’avouer, n’en est malheureusement pas exempt. Dans la composition de ces GLANES BEAUCERONNES, notre plume s’est exercée avec une entière liberté d’action. Si, parfois, notre Éditeur nous invita à mettre une sourdine à certains détails historiques et un peu trop frondeurs, peut-être était-il inspiré par la raison. Il est, en effet, si difficile, dans la province, de plaire à tout le monde en disant la vérité, et surtout en l’imprimant ! À la moindre allusion un peu malicieuse que vous faites, touchant un personnage important, chacun, aussitôt, s’empresse d’indiquer du doigt la victime, laquelle, à son tour, et par représailles, montre le poing à l’auteur. Il faudrait, au gré decertaines gens, que l’écrivain, dans ses recherches locales, prit soin d’être neuf et amusant, mais en évitant, toutefois, de parler trop franchement du prochain, de la politique en général, et surtout de l’administration, en particulier, à moins que ce ne fût sous forme laudative. Mais est-ce toujours possible ? et votre conscience, si vous en avez une, que vous dirait-elle ? Enfin nous répéterons avec Jehan Meliot, auteur du XVe siècle :

Celuy ne choisit pas qui glane.

Ces GLANES BEAUCERONNES n’ont constamment de rapports intimes qu’avec notre contrée. Notre horizon se trouve de la sorte assez étroitement circonscrit. Mais, nous laisserons clairement apercevoir, que le passé, grâce aux études spéciales et aux recherches d’histoire locale, auxquelles nous nous sommes particulièrement voués par goût, a conquis peut-être notre préférence ; c’est ainsi que nous aimons à le mettre en regard des hommes et des choses de notre époque, si séduisants d’aspect, mais si petits ou si mesquins, aux yeux du penseur qui sait voir et apprécier, au fond, les uns et les autres, à leur juste valeur.

Ami lecteur, celui qui a l’honneur d’être votre concitoyen vous laisse l’entière liberté de le juger sévèrement, si vous le croyez coupable ou imbu defausses idées sociales. Ce qu’il a voulu, c’était de ne pas être un moraliste morose, ni un progressif ou un humanitaire de la nouvelle école (grands mots sonores de notre langage moderne, et qui sont plus creux que profonds). Notre unique but fut de vous distraire, et de vous convier à recueillir de toutes parts et à conserver précieusement, après les avoir consignés par écrit, les moindres faits historiques accomplis jadis, ou ceux qui se passeraient, à l’avenir, dans notre localité ou ses environs. Voilà notre seul désir et notre unique ambition.

Cet humble recueil semble être destiné à devenir le patrimoine spécial des bibliophiles Beaucerons, puisque le tirage n’est fait qu’àquarante-cinq exemplaires ! Assurément, cette modeste édition ne devra attirer à l’Auteur qu’une bien petite renommée, mais l’Éditeur, pour soutenir la sienne, en sa qualité de typographe, a cru devoir, pour ce motif, employer du papier de choix, et mettre en évidence son beau caractère… d’imprimeur. Si, en publiant ce volume, il a chance d’acquérir quelque gloire, il peut être assuré que bien mince sera son profit.

AD. LECOCQ.

Chartres, 3 janvier 1870.

PREMIÈRE GLANEUn illustre charlatan

« À beau mentir qui vient de loin. »

Proverbes populaires.

Nous allons mettre sous les yeux du lecteur une pièce curieuse et laisser à son jugement le soin de décider si nous avons calomnié un illustre chirurgien-opérateur du temps passé, en l’appelant charlatan.

Nous avons entre les mains une de ses circulaires imprimées en placard, sans nom de lieu ni d’imprimeur : elle a de grandeur 37 centimètres sur 27. Ce prospectus servait de chemise à un dossier de pièces manuscrites locales, portant la date de 1691, et il avait pour but, comme cela se pratique encore de nos jours, d’être distribué dans les villes où ce disciple d’Esculape et de Saint-Côme daignait s’arrêter, pour exercer sa science et utiliser ses merveilleux secrets.

La circulaire Lemaire, tel est le nom du savant qui nous occupe, est un chef-d’œuvre de boniment, digne du siècle qui a vu fleurir les Tabarin, Gros-Thomas, Barry, et autres empiriques du Pont-Neuf, vendant à ce bon peuple de Paris la santé, soit en poudres, soit en flacons.

Si cet imprimé peut servir à prouver que notre époque n’a guère progressé en fait de réclame, il nous fait reconnaître encore, ce que nous savions par la lecture d’anciens livres, que les oreilles de nos pères étaient de force à entendre certains mots que la morale actuelle ainsi que nos mœurs, plus policées, dit-on, défendent d’imprimer.

Notre volume, par le petit nombre d’amateurs choisis auxquels il s’adresse ne nous imposait pas la réserve qu’une première publication de cette pièce exigeait des lecteurs du Journal de Chartres ; aussi avons-nous pensé devoir la reproduire avec toutes les crudités d’expressions qui s’y trouvent.

Par permission du roy

Messieurs, Vous êtes avertis que le sieur le MAIRE Chirurgien Juré à Paris, est arrivé dans cette Ville, lequel fait toutes les opérations Chirurgicales après les grandes preuves qu’il a données de les Secrets et belles opérations, la quantité de Certificats et Attestations qu’il porte avec luy de trois cens Villes par où il a passé, et même il a la Lettre du Roy Signé, LOUIS, et le grand Sceau, Vous êtes avertis de cette vérité, et on vous le confirmera dans vôtre propre Ville. Premièrement, il a chez luy des Secrets infaillibles pour guérir les descentes de Boyaux, autrement dit les personnes relaxées, soit au nombril ou la partie honteuse ou hernieuse sans tailler ny donner aucune médecine intérieure, soit hommes, femmes ou enfants, lesquels ne laisseront pas de faire leurs voyages, et d’aller par eau et par terre, ou à cheval sans aucune incommodité, comme vous pouvez être assurez qu’il en a guery un grand nombre dans toutes sortes de Païs, comme en Flandre, Allemagne, Hollande, Angleterre, Italie et dans la France, en vingt-quatre ans plus de douze cens personnes qui avoient des descentes de Boyaux, tant hommes qu’enfants, même quand l’accident seroit gros comme la tête, ou qu’il fut descendu depuis vingt ans : Dont Messieurs, qu’un chacun se fasse guérir de sa descente ou relaxation pendant que vous avez en vôtre Ville ce fameux Operateur, il vous asseure que c’est un Secret inconnu de tout le monde. On vous diroit les personnes qu’il a guéries où il a passé, mais vous sçavez qu’un chacun ne veut pas être nommé. Et comme il trouve qu’il y a de cinq fortes de descentes, desquelles il guérit trois fortes sans tailler, les deux autres il faut être taillez, desquelles il fait l’opération fort habilement, sans rendre la personne impuissante, ny sans qu’ils perdent aucune goûte de sang, ny même qu’ils gardent le lit d’avantage que six à sept jours : les personnes qui font trop avancées en âge qui veulent seulement avoir des Brayers, approchez-vous de luy, il vous servira fort-bien, car toutes sortes de Bandages pour l’un et l’autre sexe, sans rendre la personne impuissante.

II. Il a un fort beau Secret pour faire piffer la fable des reins, et toutes les flegmes par un divretique qui n’est pas malaisé à prendre et pour la pierre aussi.

III. Il a encore un Secret infaillible pour le mal Caduc ou Epylepsie, encore que vous ayez eu ce mal vingt ans, vous êtes asseurez d’être guéris par la grâce de Dieu. Il fait l’opération de la Parafantesle.

IV. Il a un beau Secret pour guérir les Hydropiques ou les personnes qui font enfler, il fait aussi fauter les Ecroüelles, et les guérit en quatre semaines de temps.

Il a aussi un beau secret pour apaiser les goûtes promptement, mais pour les guérir il ne vous en parle pas, parce que

Tollere nodosas noscit Medicina prodagras.
Quando per longas invaluere moras.

Il est aussi Oculiste, il abat la Cataractte fort subtilement, et a une Eau pour les rougeurs des Yeux.

Il a encore un beau Secret pour le bruitment et tintement des oreilles : Il guérit aussi fort bien les Fièvres tierces et quartes : Il réunit fort bien le bec de Lièvre, ou Leuvre autrement fendues, tant doubles que simples, et les guérit en cinq jours de temps : Il guérit aussi la Teigne de la teste en quinze jours : Il extirpe les Cancers et les guérit fort bien ; Il donne aussi un Emplâtre pour les douleurs et l’opilation de Ratte. Il guérit aussi la dissenterie, et arreste le flux de Sang en vingt-quatre heures.

Il fait encore d’une forte d’Eau qui guérit toutes sortes d’Ulceres malines, et Louppes aux jambes sans aucun Onguent, et en peu de temps. Enfin pour les maladies de la grosse Verolle, la Gonorée virulente ou Chaudepisse. Bubons veneriens, autrement Poulains : Il fait des Bougies pour manger la carnosité de la Verge, et la guérit fort bien, et autres accidents qu’il guérit avec une d’exterité si surprenante qu’à peine s’en aperçoit-on, et sans que le malade soit obligé de garder le lict, ny pas même la chambre, le tout en fort peu de temps. Il arrache fort bien les dents gastées, fait un Opiat pour les conserver et entretenir blanches et nettes : Il a aussi un beau secret pour faire guérir les Pasles-Couleurs des filles en fort peu de temps, il vous asseure que font tous secrets particuliers qu’il a, et font infaillibles. Si vous désirez de luy parler, vous prendrez s’il vous plaist la peine de le venir trouver en la Ville marquée à la fin du Billet avec le nom de la maison ; Addressez-vous donc à luy librement, vous verrez qu’il vous satisfera en peu de paroles.

C’est pourquoy vous ne devez pas laisser échapper l’occasion qui vous est favorable, de peur que vous ne la regretiez et recherchiez, comme dit le Proverbe, Après la mort le Médecin.

MESSIEURS et DAMES, s’il y a quelques personnes qui ayent quelques maladies invétérées ou abandonnées des autres Médecins, vous pourrez vous addresser à luy, et il vous donnera de fort bons Remedes pour vôtre guérison : C’est pourquoy il vous exhorte à ne pas perdre une si bonne occasion puisque vous l’avez dans vôtre Ville, et qu’il n’est pas pour y demeurer toute sa vie, et qu’il ne fait que de passer, mais s’il trouve quelque belle Cure, il demeurera dans la Ville jusques à ce que les Malades soient guéris et satisfaits : Vous ferez aussi advertis qu’en son absence sa femme traite de toutes sortes de Maladies, principalement celles des Femmes, Filles et Enfants. Il supplie les Personnes ausquelles il a eu l’honneur de présenter de ses Billets, de prendre garde à la fin du Billet le nom de la Maison où il fera loger, se trouvant quelque autre Operateur dans la même Ville, il pourroit se servir de son nom pour s’attirer de la pratique : Il juge les Urines.

Il est logé

Ici était indiquée, manuscrites, la maison où l’hôtellerie où ce savantissime docteur était descendu.

Ainsi vous avez dû remarquer que Lemaire était un digne précurseur de ces empiriques qui ornent l’intérieur des Vespasiennes de la capitale, de leurs annonces immorales, et que l’épouse du docteur étant mise dans la confidence de tous ces secrets, pouvait le suppléer en son absence, dans ses opérations et consultations.

Je crains, pour l’honneur de notre province Chartraine, que le savant homme n’ait été un de nos concitoyens. Ma crainte a pour fondement une note tirée d’un manuscrit de la Bibliothèque de Chartres, où il est dit :

« Le 13 janvier 1696. Entre les maîtres chirurgiens de la ville de Bonneval, demandeurs, par exploit dudit jour et dudit mois, controllé ledit jour. Contre Jacques Lemaire opérateur et chirurgien, au bourg de Brezolles ; vu les provisions accordées par Sa Majesté audit Lemaire, d’opérateur, signées Louis et plus bas Phelippaux, du 26 juillet 1662 ; ouy le procureur fiscal en ses conclusions, avons fait deffenses audit Lemaire, de faire aucunes fonctions de chirurgien en cette ville et lieux circonvoisins, à peine de 25 livres d’amende, et permis sa fonction d’opérateur pendant un mois ; et lui avons fait deffense de faire farces ni divertissements, pendant le service divin, sur les peines des ordonnances ; et s’exécutera nonobstant l’appel, sagissant du fait de police.

Signé DAGUET. »

En présence de cette sentence rendue en la Prévôté de Bonneval (Eure-et-Loir), on pourrait quasi affirmer, attendu la corrélation des dates existant entre la publication du placard et celle de cette sentence ; entre la conformité de nom ainsi que celle de la profession, que l’illustre Lemaire, possesseur de si beaux secrets, et que l’on pourrait surnommer le Bienfaiteur de l’humanité souffrante, est un enfant du pays Chartrain ; que son nom, sa renommée ainsi que sa circulaire, sont dignes de vivre ad vitam eternam.

Trop heureux serions-nous, d’avoir découvert une nouvelle illustration médicale beauceronne, ou peut-être avons-nous été malavisé d’avoir fait de la réclame et des recherches pour un charlatan ! Pour un empirique qui a parcouru trois cents villes et visité toute l’Europe, qui, avec son habileté peu commune, a guéri douze cens personnes qui avoient des descentes de Boyaux ! qui savait si bien faire sauter les Ecroüelles, et était sans pareil pour abattre la Cataracte fort subtilement ! ! ! C’est désolant pour l’humanité que ce digne descendant d’Hippocrate se soit laissé mourir, ayant de si beaux secrets à sa disposition. Le proverbe a dit avec raison : Les bons s’en vont. Et Michel Morin répétait toujours cet axiome : « Omnis mortes, mes frères. »

 

5 décembre 1863.

DEUXIÈME GLANEÀ propos sur Collin-d’Harleville

« Le style c’est l’homme. »

BUFFON.

Le poète beauceron Collin-Harleville (Jean-François), naquit dans la petite ville de Maintenon, le 30 mai 1755 ; il est décédé à Paris, membre de l’Institut, le 24 février 1806. Afin de perpétuer la mémoire de ce littérateur aussi modeste que bon, ses concitoyens ont eu l’heureuse idée d’élever sur l’une des places de sa ville natale et par souscription, un petit monument orné du buste du poète ; l’idée est bonne et doit fructifier.

Notre intention n’est pas d’écrire ici la biographie de Collin-Harleville, cette tâche a été accomplie par son ami Andrieux, aucun des ouvrages biographiques n’a omis le nom de cette illustration de province. Si nous lui consacrons quelques lignes, c’est pour faire remarquer à nos concitoyens comment certains critiques et littérateurs de nos jours qualifient et dénigrent nos poètes français de second ordre.

Le Vieux Célibataire, comédie en vers, est regardé, à juste titre, comme le chef-d’œuvre dramatique de notre poète : donnée pour la première fois, le 24 février 1792, sur la scène du Théâtre-Français, cette pièce obtint un grand et légitime succès ; reprise fréquemment au même théâtre, où elle est restée au répertoire, elle fut encore représentée au mois de juin 1859 : cette reprise donna occasion à plusieurs de MM. les feuilletonistes du lundi de crier Haro ! sur la pièce du Vieux Célibataire. Voici en quels termes M. Paul de Saint-Victor, dans son compte-rendu du journal la Presse, s’exprimait à ce sujet :

« Le Vieux Célibataire ! Était-il bien nécessaire de remettre au jour cette comédie puérile et sénile, sortie de l’étroit cervelet du bon Collin-d’Harleville ? Elle dormait si bien, elle avait si bien gagné son sommeil ! Après tant de tableaux énergiques et vrais de la vie privée, qui peut s’intéresser aujourd’hui à ce blafard intérieur habité par de sottes figures, où l’ennui suinte, où le lieu commun tisse sa toile filandreuse, où des vers incolores et fades tombent à petit bruit, quatre heures durant, sur des rimes banales comme des pavés ? Qui ne préférerait l’exécrable à ce médiocre, le mauvais goût le plus effréné à cette élégance douteuse, à ce béotisme douceâtre, à ce style plat et ratissé, que limitent des idées mesquines à la façon de murs mitoyens ?

Les personnages sont d’une espèce trop infime pour que l’esprit s’y intéresse un instant. Le bonhomme Dubriage a bien fait, quoi qu’il en dise, de rester garçon : il a le joug, il aurait eu les cornes. La faiblesse, à ce degré d’inertie, touche de près l’infirmité. Ce vieux commerçant qui se laisse voler par un goujat d’intendant, ce célibataire, régenté par sa gouvernante, que le bonheur conjugal de son portier plonge dans une niaise extase, cet oncle qui déteste son neveu sans savoir pourquoi, et qui répète machinalement des malédictions serinées : trois têtes d’idiots sous la même perruque…

La comédie entière ressemble d’ailleurs à son principal personnage, elle en a l’allure cacochyme et la sénilité débonnaire, elle abonde en attendrissements imbéciles, en maximes sages comme des images, en homélies larmoyantes ; son sourire est celui des grands papas d’étrennes et de berquinades. Les méchants mêmes de la pièce sont aussi bonasses que ses gens vertueux ; ils ressemblent à des enfants qui font la grosse voix.

Ajoutez à l’insipidité de la fable et des personnages, cette prose versifiée de la comédie bourgeoise, auprès de laquelle la langue de l’algèbre paraît poétique. Pas un angle, pas une saillie, dans ce langage flasque et faux, qui rappelle le ton de convention des épîtres. Les vers marchent sur leurs douze pieds plats, endimanchés de gauches périphrases, enjolivés des fleurs les plus communes de la rhétorique. Tous ces gens-là parlent comme des académiciens de province, le portier lui-même a l’air de tirer le cordon du Temple du Goût. » J’en ai passé et des meilleurs.

Voici ce que l’on peut regarder comme un spécimen de la critique théâtrale moderne : quelle beauté de style, que de mots choisis et pittoresques ! Nos arrière-neveux devront être saisis d’admiration lorsqu’ils liront ces pages de haute critique que notre époque aura vues éclore. Andrieux, dans sa notice sur le Vieux Célibataire, nous apprend que cette pièce fut composée en douze jours ! ! ! Peut-être me répondrez-vous comme Alceste du Misanthrope :

« Voyons, Monsieur, le temps ne fait rien à l’affaire. »

Jusqu’alors tous les biographes et les aristarques littéraires, avaient reconnu dans les œuvres de Collin-Harleville, diverses qualités actuellement trop dédaignées. Voici comment un de ses condisciples, dans une notice sur la vie du poète, apprécie son talent : « La douceur, le moelleux, l’harmonie de la versification, la pureté morale y dominent et une teinte de sensibilité y est répandue avec profusion, aucun de ses écrits ne blesse les personnes, les mœurs et la morale. Peut-être ce trait manquera à beaucoup d’autres. » Et c’est avec raison que l’on a pu le comparer à Térence, et qu’il fut appelé pour sa naïveté, le Lafontaine du théâtre.

Il est à croire que, pour les palais habitués à se désaltérer avec des vins de Rancio ou de Porto, ceux d’Irancy ou de Beaune doivent être estimés bien fades et bien plats ; je reconnais que les personnes qui tombent en admiration devant certaines pièces modernes et proclament comme chefs-d’œuvre de savoir et de goût, Vautrin, Marion Delorme, la Dame aux Camélias, les Filles de Marbre, et autres productions de la même école, doivent avoir en horreur tout le répertoire théâtral du XVIIIe siècle, et qu’alors Lesage, Marivaux, Sedaine, Destouches, etc., peuvent leur paraître de bien piètres auteurs.

Il semblerait également que le critique de la Presse (qui trouve d’ailleurs plus facile et moins dangereux de frapper un mort qu’un vivant), aurait cru avoir mal accompli son devoir en restant au-dessous de l’appréciation sévère que Palissot de Montenoy avait faite de Collin-Harleville, dans ses Mémoires littéraires, où il dit : « Le ton doucereux, le ton sentimental et quelquefois un peu niais, qui est le ton dominant de presque tous les ouvrages de Collin-d’Harleville, l’absence totale de sel et l’insipidité qui les caractérisent, prouvent qu’il n’était pas né pour la poésie. »

Il serait intéressant de connaître l’avis de M. P. de Saint-Victor, sur les poètes dramatiques nés au pays chartrain. Le naïf Remy Belleau, avec sa pièce de la Reconnue, lui paraîtrait bien fade, Boissin, de Gallardon, avec ses tragédies chrétiennes, bien ennuyeux, puis Rotrou, d’Allainval, Panard, Colardeau, Guillard, etc., de bien petits auteurs ! Que de bons motifs de feuilletons à écrire en style de Bohême, et pour employer une expression énergiquement pittoresque, quels bons sujets d’éreintements, si quelques-unes de leurs pièces venaient à être reprises au théâtre. Il serait peut-être aussi curieux de connaître l’opinion du critique sur nos auteurs dramatiques chartrains contemporains. L’auteur de Fabio et de la Juive de Constantine, recevrait assurément quelques camouflets. Celui de Mathurin Regnier, du Juif de Venise, des Fugitifs, etc., a dû sentir les lanières de son martinet, et l’auteur de l’Usurier de Village doit se tenir sur ses gardes.

Si la critique était toujours ainsi pratiquée, au lieu d’être l’amie utile et nécessaire de la littérature, elle en serait le fléau. Tout le monde sait que la littérature bohémienne a des formes de phrases à son usage, ainsi qu’un dialecte particulier. Elle regarde avec dédain les auteurs classiques qui furent la gloire du XVIIe siècle ; ses adeptes consentent volontiers à ce que l’on conserve les œuvres de Corneille et de Racine dans le Musée des Antiques, afin que nos descendants puissent voir à quoi leurs ancêtres amusaient leurs loisirs. Mais quant aux œuvres d’auteurs tels que Chénier, Laharpe, Ducis, Lebrun, Arnault, etc., etc., ils estiment qu’elles doivent être, sans pitié aucune, reléguées chez l’épicier pour y finir leurs jours.

Nous acceptons de grand cœur la conclusion de M. H. Lucas, au sujet des pièces modernes et de leur style.

« Qu’on ne nous montre plus avec leurs haillons, des échappés de nos bagnes, dont l’aspect seul fait frissonner le cœur et dont l’ignoble argot épouvante les oreilles, qu’on ne suspende plus sur la tête du spectateur, en quelque sorte le hideux couteau avec lequel ils égorgent leurs victimes… Mais nous ne saurions trop nous élever contre l’absence des principes sociaux et de sens moral qui déprave quelques-unes de nos pièces modernes ; elles sont un sarcasme contre la probité et la raison, une amère raillerie jetée à la conscience humaine, en un mot une protestation du mal contre le bien…. »

Chartres a toujours regardé Collin-Harleville comme un de ses enfants, puisque du côté maternel une nombreuse parenté le liait à cette ville dont une des voies publiques porte le nom du poète. Lors de ses débuts poétiques et pendant qu’il exerça à Chartres la profession d’avocat, ses vers étaient recherchés et chacun les possédait manuscrits. L’Almanach des Muses, modeste recueil du temps passé, renferme ses essais ; dans celui de l’année 1782, quatre pièces y figurent ; la plus jolie : Les Aventures de Thalie, lui attira des éloges les plus flatteurs, mais il eut aussi comme de nos jours d’obscurs et méprisables détracteurs. Sa comédie l’Inconstant, qui avait été représentée à Paris le 13 juin 1786, fut jouée sur le théâtre de Chartres, au mois de février suivant. Elle eut trois représentations consécutives (ce qui est prodigieux en province, même de nos jours), l’enthousiasme fut grand parmi les Chartrains. À cette occasion des couplets ont été composés, puis chantés sur la scène ; c’était un hommage rendu à Collin-Harleville ainsi qu’aux autres poètes dramatiques beaucerons. Voici un des couplets :

Dans ce pays que l’Eure arrose,
Thalie au front du gai Panard,
Plaça le laurier et la rose ;
Melpomène inspira Guillard,
Dudoyer est fêté des Grâces
Et qui n’applaudiroit Collin,
Lorsqu’à grands pas il suit les traces
De Térence et de Poquelin !

Voici l’opinion de Diderot sur cette première comédie du poète beauceron : « Il y a là-dedans beaucoup de talent, les vers sont faciles et bien tournés, mais l’action est faible ; c’est une pelure d’oignon brodée en paillettes d’or et d’argent. » Ceci est une critique vraie mais honnête.

Laissant de côté l’opinion et les critiques erronées de ces Aristarques de la littérature, nous pensons que les concitoyens de Collin-Harleville remplissent un devoir en élevant un monument à la mémoire d’un de leurs compatriotes. C’est une dette de reconnaissance que chaque localité qui a vu naître dans ses murs une illustration, devrait s’empresser de payer dans la mesure de ses ressources. Nous n’avons nul doute que leur appel ne soit entendu, car quiconque aime la poésie suave et estime les œuvres morales, s’empressera de déposer son obole pour aider à mener à bonne fin l’érection du modeste monument que la ville de Maintenon veut édifier à la gloire d’un des siens.

Nous aimons à croire que la Société Archéologique d’Eure-et-Loir, qui s’occupe également de littérature, et qui renferme dans son sein un grand nombre de gens de goût, apportera à cette œuvre son influence morale et pécuniaire. Enfin, à tous ceux qui voudront encore à l’avenir, par esprit de coterie ou de dénigrement, ternir la réputation justement acquise de Collin-Harleville, il suffira de répondre que ses œuvres, et à la suite de longues années, eurent l’honneur de plusieurs éditions, et que certaines de ses pièces sont restées au répertoire du Théâtre-Français.

 

2 janvier 1864.

TROISIÈME GLANEUn parrain d’autrefois et une marraine d’aujourd’hui

On connaît les grandes gens à leurs grands dépens.

Dicton populaire.

Dans les premiers siècles du Christianisme, lors de la primitive église, on n’administrait le baptême qu’aux adultes, et ils étaient plongés nus dans la cuve baptismale. Les jeunes gens, dans cette cérémonie de régénération spirituelle, n’étaient accompagnés que d’un homme qui leur imposait un nom, et également les filles n’avaient qu’une marraine. Plus tard, l’église accorda, pour les enfants nouveau-nés, la permission de leur donner tel nombre de parrains et marraines que les parents pouvaient souhaiter. En France, et jusqu’au XVIIe siècle, il était d’usage de donner deux parrains et une marraine, si c’était un garçon, et deux marraines et un parrain, si c’était une fille.

Dans le diocèse de Chartres, un Mandement fait en 1609, par l’évêque Philippes Hurault, prescrivit qu’à l’avenir, il n’y aurait plus pour chaque enfant des deux sexes, qu’un seul parrain et une seule marraine. Les siècles passent, les usages varient et les mœurs se transforment.

Lorsqu’on compulse les registres d’état-civil de nos anciennes paroisses beauceronnes, on est surpris du grand nombre d’enfants dont chaque mariage devait accroître la famille. D’après nos recherches, ce nombre varie de cinq à douze enfants par ménage ! ! ! Il est juste de dire également que certaines maladies épidémiques, telles que la coqueluche, la petite-vérole, etc., enlevaient assez fréquemment, et en quelques mois, un sixième de cette jeune progéniture. Heureusement aussi qu’à cette époque, les charges des parrains et des marraines étaient moins onéreuses que de nos jours, car s’il en eût été ainsi, beaucoup auraient probablement décliné un pareil fardeau.

Il y a seulement quarante ans, dans les campagnes et même dans les petites villes, rien n’était plus simple et moins dispendieux que les frais attachés au titre de compère et de commère. Le parrain, même parmi les gens aisés, n’avait d’autre charge que celle, d’acheter trois livres de dragées (et souvent de quelle qualité ?), un bouquet artificiel et une paire de gants pour sa commère, celle-ci était obligée de confectionner pour le nouveau-né, le bonnet qui devait servir à l’enfant pour la cérémonie du baptême. Dans quelques localités il était d’usage que le cierge fût payé par le parrain si le nouveau-né était un garçon, et par la marraine si c’était une fille. Puis il était encore question d’aviser à la rémunération d’usage pour les serviteurs de l’église.

Dans les villages, lorsque c’était l’enfant d’un membre de l’administration municipale qui recevait le baptême ou celui d’un riche fermier, il fallait que le parrain fît quelques largesses en faveur de la population, attendu que la cloche ne cessait de carillonner avant, pendant et après la cérémonie. Dans la circonstance, le cortège était assailli, depuis le domicile du père jusqu’à l’église, de détonations soudaines et bruyantes d’armes à feu, à l’aller comme au retour. Toute la jeunesse était en liesse et toutes les femmes de la paroisse formaient une haie compacte auprès du porche de l’église. C’était un spectacle curieux de voir, après la cérémonie religieuse, le parrain ainsi que la marraine jeter aux bambins de l’endroit ainsi qu’aux autres assistants, des poignées de dragées et quelques pincées de menue monnaie où les liards dominaient ; quiconque usait d’une pareille générosité était signalé, voilà ce qu’on appelait un baptême de bon ton, on chantait les louanges du compère, tout en souhaitant de voir s’accroître indéfiniment la famille du notable de la paroisse. Lorsqu’on était arrivé au domicile de l’enfant, et après la dernière explosion des armes à feu, il y avait encore à débourser un écu de six livres aux garçons, pour payer leur poudre et fournir un pourboire à la santé et à l’heureuse prospérité du nouveau-né.

Car un baptême
Est une fête
Pour des parents, pour des amis.

Il nous souvient d’avoir, il y a environ trente ans, assisté dans la commune de Ch… aux environs de Chartres, à la cérémonie du baptême d’un enfant notable, c’était celui de M. l’adjoint au maire. Il y avait foule, les abords du cimetière pouvaient à peine contenir cette population bruyante. Tout à coup le cortège sort de l’église et la distribution des dragées faite à toute volée commence ; mais le parrain, d’une nature peu généreuse, et sans doute par motif d’économie, avait imprudemment mélangé avec ses dragées une notable portion de haricots blancs de Soissons, et comme monnaie seulement des liards ! ! ! Les gamins ne s’étaient pas plus tôt aperçus de la fraude, que des huées, des imprécations de toute nature pleuvaient sur l’imprudent. Les commères qualifiaient à haute voix par des jurons énergiques, une telle conduite. Les gamins étaient outrés, aussi firent-ils une conduite des plus actives et à coups de pierres au parrain qui, par une ladrerie sans exemple, les avait mystifiés. Des menaces de poursuites judiciaires eurent lieu, mais les sages du village firent comprendre que les délinquants étaient presque dans leur droit.

Toutes ces coutumes se perdent de jour en jour. L’autorité ayant interdit et avec raison, à cause des fréquents accidents qui en résultaient, de faire emploi d’armes à feu aux mariages ainsi qu’aux baptêmes, puis les liards ayant été démonétisés furent encore une cause pour anéantir ces usages du passé.

M. de Jouy nous a laissé sur le sujet qui nous occupe, une bonne page d’étude de mœurs, dans un article intitulé : LE PARRAIN ; là il nous décrit toutes les tribulations ainsi que les frais qu’occasionnait cet honneur en 1811, il dit : « Il faut pour la marraine, une corbeille de baptême de 80 fr. six douzaines de paires de gants superfins assortis, deux éventails, l’un brodé en acier, l’autre en écaille blonde à lorgnette ; un bouquet de fleurs artificielles ; quelques sachets ; deux flacons d’essence de rose ; un collier de pastilles du sérail. Pour l’accouchée : une veilleuse de vermeil et une jatte en porcelaine. Pour la garde : une garniture de bonnet en Valenciennes. Pour la nourrice : un schall en mérinos. Pour le nouveau-né