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Toutes les œuvres de Guillaume Apollinaire réunies en un seul ebook !
Considéré comme un avant-gardiste, Guillaume Apollinaire a insufflé au début du XXe siècle un renouveau dans la poésie française grâce à la modernité de son écriture. Toute une génération de poètes tels qu’André Breton et Louis Aragon, représentants du mouvement surréaliste, ont notamment été influencés par ses créations.
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Veröffentlichungsjahr: 2015
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Grâce à la grande modernité de son écriture, Guillaume Apollinaire a insufflé au début du XXe siècle un renouveau dans la poésie française. Son oeuvre a fortement influencé toute une génération de poètes, tels qu’André Breton et Louis Aragon, représentants du mouvement surréaliste. Très souvent considéré comme un avant-gardiste, nombre de ses poèmes ont été adaptés en chansons, notamment par Léo Ferré.
Guillaume Apollinaire naît à Rome le 26 août 1880 sous le nom de Guglielmo Alberto Wladimiro Alessandro Apollinare de Kostrowitzky. Sa famille, issue de la noblesse polonaise, s’installe à Monaco en 1887, où le jeune Guillaume poursuit sa scolarité au collège religieux des Maristes. Ses études se poursuivent aux lycées de Cannes et de Nice. Ses professeurs le jugent bon élève, mais malgré ses résultats encourageants, Guillaume n’obtient pas son baccalauréat. En 1899, il passe l’été à Stavelot, une ville wallonne située en province de Liège. Cette période marque son écriture : le paysage des Hautes Fagnes et le vocabulaire régional l’influenceront de façon considérable.
Après l’épisode belge, le jeune homme s’établit en 1900 à Paris, se trouvant dans une situation d’extrême précarité. Face à la pression familiale, il est contraint de passer un diplôme de sténographie. Il est ensuite employé dans une banque, et devient en parallèle, nègre pour la rédaction d’un roman-feuilleton, marquant ainsi ses débuts d’écrivain. En 1901, il rédige des articles pour le journal satirique Tabarin et publie ses premiers poèmes dans la revue Grande France en utilisant le nom Wilhelm Kostrowiztky. À cette époque, il devient pour un an précepteur chez la vicomtesse Elinor de Milhau. Rapidement, il tombe amoureux de la gouvernante, Annie Playden, mais celle-ci ne partage pas ses sentiments. En 1905, elle part pour l’Amérique. Son absence et son manque de réciprocité inspirent profondément Apollinaire. C’est à cette période qu’il compose, entre autres, La Chanson du mal-aimé et L’Emigrant de Landor Road. Entre 1902 et 1907, le poète délaisse le nom de plume « Wilhelm Kostrowiztky » pour prendre définitivement celui de « Guillaume Apollinaire », en hommage à la fois au prénom de son grand-père paternel et au dieu grec de la poésie, Apollon. À Paris, il devient ami avec Pablo Picasso, Maurice de Vlaminck ainsi que le Douanier Rousseau, et commence à se faire remarquer en tant que poète. Il écrit également de nombreux articles et des critiques d’art dans le journal L’Intransigeant.
En septembre 1911, il est interné pour une semaine à la prison de la Santé, après avoir été accusé de complicité dans l’affaire du vol de la Joconde. Cette incarcération l’influence de façon sensible. En 1913, Alcools regroupe les poèmes qu’Apollinaire avait publiés auparavant. La douleur de ses ruptures amoureuses, son admiration pour les paysages rhénans, et la modernité de son écriture forment des thèmes majeurs de ce recueil.
Alors que la guerre éclate, il souhaite s’engager dans l’armée française en août 1914. Malheureusement, sa requête est refusée, car il ne possède pas la nationalité française. Sa demande sera néanmoins acceptée quelques mois plus tard, lui offrant ainsi la naturalisation. Avant de partir pour Nîmes, il entame une liaison avec la comtesse Louise de Coligny-Châtillon. Les nombreuses lettres qu'il lui envoie sont plus connues sous la forme des Poèmes à Lou. En mars 1916, après avoir obtenu le grade de sous-lieutenant, il est victime d’une grave blessure à la tempe. S’ensuit une longue période de convalescence, pendant laquelle il publie ses Calligrammes (nom qu’il a d’ailleurs inventé) et emploie pour la première fois le terme de surréaliste, dans sa correspondance avec l’écrivain belge Paul Dermée. Fortement diminué, il meurt de la grippe espagnole à Paris le 9 novembre 1918, quelques jours avant la signature de l’armistice. Il est enterré au cimetière du Père-Lachaise.
Alcools
, composé entre 1898 et 1913, 1913
Calligrammes, poèmes de la paix et de la guerre
1913-1916, 1918
Ombre de mon amour
, poèmes adressés à Louise Coligny-Châtillon, 1947
« Mon bateau partira demain pour l’Amérique Et je ne reviendrai jamais Avec l’argent gardé dans les prairies lyriques Guider mon ombre aveugle en ces rues que j’aimais »
Alcools, L’Émigrant de Landon Road, 1913
« Un soir de demi-brume à Londres Un voyou qui ressemblait à Mon amour vint à ma rencontre Et le regard qu'il me jeta Me fit baisser les yeux de honte »
Alcools, La Chanson du mal-aimé, 1913
« Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu'il m'en souvienne La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure »
Alcools, Le Pont Mirabeau, 1913
« L'homme est à la recherche d'un nouveau langage auquel la grammaire d'aucune langue n'aura rien à dire. »
Calligrammes, 1918
(1911)
Admirez le pouvoir insigne Et la noblesse de la ligne : Elle est la voix que la lumière fit entendre Et dont parle Hermès Trismégiste en son Pimandre.
Du Thrace magique, ô délire ! Mes doigts sûrs font sonner la lyre. Les animaux passent aux sons De ma tortue, de mes chansons.
Mes durs rêves formels sauront te chevaucher, Mon destin au char d’or sera ton beau cocher Qui pour rênes tiendra tendus à frénésie, Mes vers, les parangons de toute poésie.
Les poils de cette chèvre et même Ceux d’or pour qui prit tant de peine Jason, ne valent rien au prix Des cheveux dont je suis épris.
Tu t’acharnes sur la beauté. Et quelles femmes ont été Victimes de ta cruauté ! Ève, Euridice, Cléopâtre ; J’en connais encor trois ou quatre.
Je souhaite dans ma maison : Une femme ayant sa raison, Un chat passant parmi les livres, Des amis en toute saison Sans lesquels je ne peux pas vivre.
Ô lion, malheureuse image Des rois chus lamentablement, Tu ne nais maintenant qu’en cage À Hambourg, chez les Allemands.
Ne soit pas lascif et peureux Comme le lièvre et l’amoureux. Mais que toujours ton cerveau soit La hase pleine qui conçoit.
Je connais un autre connin Que tout vivant je voudrais prendre. Sa garenne est parmi le thym Des vallons du pays de Tendre.
Avec ses quatre dromadaires Don Pedro d’Alfaroubeira Courut le monde et l’admira. Il fit ce que je voudrais faire Si j’avais quatre dromadaires.
Belles journées, souris du temps, Vous rongez peu à peu ma vie. Dieu ! Je vais avoir vingt-huit ans, Et mal vécus, à mon envie.
Comme un éléphant son ivoire, J’ai en bouche un bien précieux. Pourpre mort !.. J’achète ma gloire Au prix des mots mélodieux.
Regardez cette troupe infecte Aux mille pattes, au cent yeux : Rotifères, cirons, insectes Et microbes plus merveilleux Que les sept merveilles du monde Et le palais de Rosemonde !
Le travail mène à la richesse. Pauvres poètes, travaillons ! La chenille en peinant sans cesse Devient le riche papillon.
Nos mouches savent des chansons Que leur apprirent en Norvège Les mouches ganiques qui sont Les divinités de la neige.
Puces, amis, amantes même, Qu’ils sont cruels ceux qui nous aiment ! Tout notre sang coule pour eux. Les bien-aimés sont malheureux.
Voici la fine sauterelle, La nourriture de saint Jean. Puissent mes vers être comme elle, Le régal des meilleures gens.
Que ton cœur soit l’appât et le ciel, la piscine ! Car, pécheur, quel poisson d’eau douce ou bien marine Égale-t-il, et par la forme et la saveur, Ce beau poisson divin qu’est JÉSUS, Mon Sauveur ?
Dauphins, vous jouez dans la mer, Mais le flot est toujours amer. Parfois, ma joie éclate-t-elle ? La vie est encore cruelle.
Jetant son encre vers les cieux, Suçant le sang de ce qu’il aime Et le trouvant délicieux, Ce monstre inhumain, c’est moi-même.
Méduses, malheureuses têtes Aux chevelures violettes Vous vous plaisez dans les tempêtes, Et je m’y plais comme vous faites.
Incertitude, ô mes délices Vous et moi nous nous en allons Comme s’en vont les écrevisses, À reculons, à reculons.
Dans vos viviers, dans vos étangs, Carpes, que vous vivez longtemps ! Est-ce que la mort vous oublie, Poissons de la mélancolie.
La femelle de l’alcyon, L’Amour, les volantes Sirènes, Savent de mortelles chansons Dangereuses et inhumaines. N’oyez pas ces oiseaux maudits, Mais les Anges du paradis.
Saché-je d’où provient, Sirènes, votre ennui Quand vous vous lamentez, au large, dans la nuit ? Mer, je suis comme toi, plein de voix machinées Et mes vaisseaux chantants se nomment les années.
Colombe, l’amour et l’esprit Qui engendrâtes Jésus-Christ, Comme vous j’aime une Marie. Qu’avec elle je me marie.
En faisant la roue, cet oiseau, Dont le pennage traîne à terre, Apparaît encore plus beau, Mais se découvre le derrière.
Mon pauvre cœur est un hibou Qu’on cloue, qu’on décloue, qu’on recloue. De sang, d’ardeur, il est à bout. Tous ceux qui m’aiment, je les loue.
Oui, j’irai dans l’ombre terreuse Ô mort certaine, ainsi soit-il ! Latin mortel, parole affreuse, Ibis, oiseau des bords du Nil.
Ce chérubin dit la louange Du paradis, où, près des anges, Nous revivrons, mes chers amis, Quand le bon Dieu l’aura permis.
(Poème refusé)
Cet oiseau s'appelle condor. Et que les filles ne l'ont-elles ! Savez-vous quoi ? Il n'est pas d'or, L'anneau merveilleux d'Hans Carvel.
(Poème refusé)
Imitons la ténacité De cet insecte qu'on méprise. Dames, Messieurs, qui vous grattez, Il ne lâchera jamais prise.
(1911)
À la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes La religion seule est restée toute neuve la religion Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventures policières Portraits des grands hommes et mille titres divers
J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom Neuve et propre du soleil elle était le clairon Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi Les inscriptions des enseignes et des murailles Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent J'aime la grâce de cette rue industrielle Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'avenue desTernes
Voilà la jeune rue et tu n'es encore qu'un petit enfant Ta mère ne t'habille que de bleu et de blanc Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize Vous n'aimez rien tant que les pompes de l'Église Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège Tandis qu'éternelle et adorable profondeur améthyste Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ C'est le beau lys que tous nous cultivons C'est la torche aux cheveux roux que n'éteint pas le vent C'est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère C'est l'arbre toujours touffu de toutes les prières C'est la double potence de l'honneur et de l'éternité C'est l'étoile à six branches C'est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche
C'est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs
Il détient le record du monde pour la hauteur
Pupille Christ de l'oeil Vingtième pupille des siècles il sait y faire Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l'air Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder Ils disent qu'il imite Simon Mage en Judée Ils crient s'il sait voler qu'on l'appelle voleur Les anges voltigent autour du joli voltigeur Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane Flottent autour du premier aéroplane Ils s'écartent parfois pour laisser passer ceux que transporte la Sainte-Eucharistie Ces prêtres qui montent éternellement élevant l'hostie L'avion se pose enfin sans refermer les ailes Le ciel s'emplit alors de millions d'hirondelles À tire-d'aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux D'Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts L'oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes Plane tenant dans les serres le crâne d'Adam la première tête L'aigle fond de l'horizon en poussant un grand cri Et d'Amérique vient le petit colibri De Chine sont venus les pihis longs et souples Qui n'ont qu'une seule aile et qui volent par couples Puis voici la colombe esprit immaculé Qu'escortent l'oiseau-lyre et le paon ocellé Le phénix ce bûcher qui soi-même s'engendre Un instant voile tout de son ardente cendre Les sirènes laissant les périlleux détroits Arrivent en chantant bellement toutes trois Et tous aigle phénix et pihis de la Chine Fraternisent avec la volante machine
Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule Des troupeaux d'autobus mugissants près de toi roulent L'angoisse de l'amour te serre le gosier Comme si tu ne devais jamais plus être aimé Si tu vivais dans l'ancien temps tu entrerais dans un monastère Vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière Tu te moques de toi et comme le feu de l'Enfer ton rire pétille Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie C'est un tableau pendu dans un sombre musée Et quelquefois tu vas le regarder de près
Aujourd'hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées C'était et je voudrais ne pas m'en souvenir c'était au déclin de la beauté
Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m'a regardé à Chartres Le sang de votre Sacré-Coeur m'a inondé à Montmartre Je suis malade d'ouïr les paroles bienheureuses L'amour dont je souffre est une maladie honteuse Et l'image qui te possède te fait survivre dans l'insomnie et dans l'angoisse
C'est toujours près de toi cette image qui passe
Maintenant tu es au bord de la Méditerranée Sous les citronniers qui sont en fleur toute l'année Avec tes amis tu te promènes en barque L'un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur
Tu es dans le jardin d'une auberge aux environs de Prague Tu te sens tout heureux une rose est sur la table Et tu observes au lieu d'écrire ton conte en prose La cétoine qui dort dans le coeur de la rose
Épouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit Tu étais triste à mourir le jour où tu t'y vis Tu ressembles au Lazare affolé par le jour Les aiguilles de l'horloge du quartier juif vont à rebours Et tu recules aussi dans ta vie lentement En montant au Hradchin et le soir en écoutant Dans les tavernes chanter des chansons tchèques
Te voici à Marseille au milieu des pastèques
Te voici à Coblence à l'hôtel du Géant
Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon
Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde On y loue des chambres en latin Cubicula locanda
Je m'en souviens j'y ai passé trois jours et autant à Gouda
Tu es à Paris chez le juge d'instruction Comme un criminel on te met en état d'arrestation
Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages Avant de t'apercevoir du mensonge et de l'âge Tu as souffert de l'amour à vingt et à trente ans J'ai vécu comme un fou et j'ai perdu mon temps
Tu n'oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais sangloter Sur toi sur celle que j'aime sur tout ce qui t'a épouvanté Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare Ils ont foi dans leur étoile comme les rois-mages Ils espèrent gagner de l'argent dans l'Argentine Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune Une famille transporte un édredon rouge comme vous transportez votre coeur Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels Quelques-uns de ces émigrants restent ici et se logent Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans des bouges Je les ai vus souvent le soir ils prennent l'air dans la rue Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque Elles restent assises exsangues au fond des boutiques
Tu es debout devant le zinc d'un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux
Tu es la nuit dans un grand restaurant
Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant
Elle est la fille d'un sergent de ville de Jersey
Ses mains que je n'avais pas vues sont dures et gercées
J'ai une pitié immense pour les coutures de son ventre
J'humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche
Tu es seul le matin va venir Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues
La nuit s'éloigne ainsi qu'une belle Métive C'est Ferdine la fausse ou Léa l'attentive
Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie
Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied Dormir parmi tes fétiches d'Océanie et de Guinée Ils sont des Christ d'une autre forme et d'une autre croyance Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances
Adieu Adieu
Soleil cou coupé
Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu'il m'en souvienne La joie venait toujours après la peine.
Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passe Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante L'amour s'en va Comme la vie est lente Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines Ni temps passé Ni les amours reviennent Sous le pont Mirabeau coule la Seine
À Paul Léautaud
Et je chantais cette romance En 1903 sans savoir Que mon amour à la semblance Du beau Phénix s'il meurt un soir Le matin voit sa renaissance.
Un soir de demi-brume à Londres Un voyou qui ressemblait à Mon amour vint à ma rencontre Et le regard qu'il me jeta Me fit baisser les yeux de honte
Je suivis ce mauvais garçon Qui sifflotait mains dans les poches Nous semblions entre les maisons Onde ouverte de la Mer Rouge Lui les Hébreux moi Pharaon
Que tombent ces vagues de briques Si tu ne fus pas bien aimée Je suis le souverain d'Égypte Sa soeur-épouse son armée Si tu n'es pas l'amour unique
Au tournant d'une rue brûlant De tous les feux de ses façades Plaies du brouillard sanguinolent Où se lamentaient les façades Une femme lui ressemblant
C'était son regard d'inhumaine La cicatrice à son cou nu Sortit saoule d'une taverne Au moment où je reconnus La fausseté de l'amour même
Lorsqu'il fut de retour enfin Dans sa patrie le sage Ulysse Son vieux chien de lui se souvint Près d'un tapis de haute lisse Sa femme attendait qu'il revînt
L'époux royal de Sacontale Las de vaincre se réjouit Quand il la retrouva plus pâle D'attente et d'amour yeux pâlis Caressant sa gazelle mâle
J'ai pensé à ces rois heureux Lorsque le faux amour et celle Dont je suis encore amoureux Heurtant leurs ombres infidèles Me rendirent si malheureux
Regrets sur quoi l'enfer se fonde Qu'un ciel d'oubli s'ouvre à mes voeux Pour son baiser les rois du monde Seraient morts les pauvres fameux Pour elle eussent vendu leur ombre
J'ai hiverné dans mon passé Revienne le soleil de Pâques Pour chauffer un coeur plus glacé Que les quarante de Sébaste Moins que ma vie martyrisés
Mon beau navire ô ma mémoire Avons-nous assez navigué Dans une onde mauvaise à boire Avons-nous assez divagué De la belle aube au triste soir
Adieu faux amour confondu Avec la femme qui s'éloigne Avec celle que j'ai perdue L'année dernière en Allemagne Et que je ne reverrai plus
Voie lactée ô soeur lumineuse Des blancs ruisseaux de Chanaan Et des corps blancs des amoureuses Nageurs morts suivrons-nous d'ahan Ton cours vers d'autres nébuleuses
Je me souviens d'une autre année C'était l'aube d'un jour d'avril J'ai chanté ma joie bien-aimée Chanté l'amour à voix virile Au moment d'amour de l'année
C'est le printemps viens-t'en Pâquette Te promener au bois joli Les poules dans la cour caquètent L'aube au ciel fait de roses plis L'amour chemine à ta conquête
Mars et Vénus sont revenus Ils s'embrassent à bouches folles Devant des sites ingénus Où sous les roses qui feuillolent De beaux dieux roses dansent nus
Viens ma tendresse est la régente De la floraison qui paraît La nature est belle et touchante Pan sifflote dans la forêt Les grenouilles humides chantent
Beaucoup de ces dieux ont péri C'est sur eux que pleurent les saules Le grand Pan l'amour Jésus-Christ Sont bien morts et les chats miaulent Dans la cour je pleure à Paris
Moi qui sais des lais pour les reines Les complaintes de mes années Des hymnes d'esclave aux murènes La romance du mal aimé Et des chansons pour les sirènes
L'amour est mort j'en suis tremblant J'adore de belles idoles Les souvenirs lui ressemblant Comme la femme de Mausole Je reste fidèle et dolent
Je suis fidèle comme un dogue Au maître le lierre au tronc Et les Cosaques Zaporogues Ivrognes pieux et larrons Aux steppes et au décalogue
Portez comme un joug le Croissant Qu'interrogent les astrologues Je suis le Sultan tout-puissant O mes Cosaques Zaporogues Votre Seigneur éblouissant
Devenez mes sujets fidèles Leur avait écrit le Sultan Ils rirent à cette nouvelle Et répondirent à l'instant À la lueur d'une chandelle
Plus criminel que Barrabas Cornu comme les mauvais anges Quel Belzébuth es-tu là-bas Nourri d'immondice et de fange Nous n'irons pas à tes sabbats
Poisson pourri de Salonique Long collier des sommeils affreux D'yeux arrachés à coup de pique Ta mère fit un pet foireux Et tu naquis de sa colique
Bourreau de Podolie Amant Des plaies des ulcères des croûtes Groin de cochon cul de jument Tes richesses garde-les toutes Pour payer tes médicaments
Voie lactée ô soeur lumineuse Des blancs ruisseaux de Chanaan Et des corps blancs des amoureuses Nageurs morts suivrons nous d'ahan Ton cours vers d'autres nébuleuses
Regret des yeux de la putain Et belle comme une panthère Amour vos baisers florentins Avaient une saveur amère Qui a rebuté nos destins
Ses regards laissaient une traîne D'étoiles dans les soirs tremblants Dans ses yeux nageaient les sirènes Et nos baisers mordus sanglants Faisaient pleurer nos fées marraines
Mais en vérité je l'attends Avec mon coeur avec mon âme Et sur le pont des Reviens-t'en Si jamais reviens cette femme Je lui dirai Je suis content
Mon coeur et ma tête se vident Tout le ciel s'écoule par eux O mes tonneaux des Danaïdes Comment faire pour être heureux Comme un petit enfant candide
Je ne veux jamais l'oublier Ma colombe ma blanche rade O marguerite exfoliée Mon île au loin ma Désirade Ma rose mon giroflier
Les satyres et les pyraustes Les égypans les feux follets Et les destins damnés ou faustes La corde au cou comme à Calais Sur ma douleur quel holocauste
Douleur qui doubles les destins La licorne et le capricorne Mon âme et mon corps incertains Te fuient ô bûcher divin qu'ornent Des astres des fleurs du matin
Malheur dieu pâle aux yeux d'ivoire Tes prêtres fous t'ont-ils paré Tes victimes en robe noire Ont-elles vainement pleuré Malheur dieu qu'il ne faut pas croire
Et toi qui me suis en rampant Dieu de mes dieux morts en automne Tu mesures combien d'empans J'ai droit que la terre me donne O mon ombre ô mon vieux serpent
Au soleil parce que tu l'aimes Je t'ai menée souviens-t'en bien Ténébreuse épouse que j'aime Tu es à moi en n'étant rien O mon ombre en deuil de moi-même
L'hiver est mort tout enneigé On a brûlé les ruches blanches Dans les jardins et les vergers Les oiseaux chantent sur les branches Le printemps clair l'Avril léger
Mort d'immortels argyraspides La neige aux boucliers d'argent Fuit les dendrophores livides Du printemps cher aux pauvres gens Qui resourient les yeux humides
Et moi j'ai le coeur aussi gros Qu'un cul de dame damascène O mon amour je t'aimais trop Et maintenant j'ai trop de peine Les sept épées hors du fourreau
Sept épées de mélancolie Sans morfil ô claires douleurs Sont dans mon coeur et la folie Veut raisonner pour mon malheur Comment voulez-vous que j'oublie
La première est toute d'argent Et son nom tremblant c'est Pâline Sa lame un ciel d'hiver neigeant Son destin sanglant gibeline Vulcain mourut en la forgeant
La seconde nommée Noubosse Est un bel arc-en-ciel joyeux Les dieux s'en servent à leurs noces Elle a tué trente Bé-Rieux Et fut douée par Carabosse
La troisième bleu féminin N'en est pas moins un chibriape Appelé Lul de Faltenin Et que porte sur une nappe L'Hermès Ernest devenu nain
La quatrième Malourène Est un fleuve vert et doré C'est le soir quand les riveraines Y baignent leurs corps adorés Et des chants de rameurs s'y trainent
La cinquième Sainte-Fabeau C'est la plus belle des quenouilles C'est un cyprès sur un tombeau Où les quatre vents s'agenouillent Et chaque nuit c'est un flambeau
La Sixième métal de gloire C'est l'ami aux si douces mains Dont chaque matin nous sépare Adieu voilà votre chemin Les coqs s'épuisaient en fanfares
Et la septième s'exténue Une femme une rose morte Merci que le dernier venu Sur mon amour ferme la porte Je ne vous ai jamais connue
Voie lactée ô soeur lumineuse Des blancs ruisseaux de Chanaan Et des corps blancs des amoureuses Nageurs morts suivrons-nous d'ahan Ton cours vers d'autres nébuleuses
Les démons du hasard selon Le chant du firmament nous mènent À sons perdus leurs violons Font danser notre race humaine Sur la descente à reculons
Destins destins impénétrables Rois secoués par la folie Et ces grelottantes étoiles De fausses femmes dans vos lits Aux déserts que l'histoire accable
Luitpold le vieux prince régent Tuteur de deux royautés folles Sanglote-t-il en y songeant Quand vacillent les lucioles Mouches dorées de la Saint-Jean
Près d'un château sans châtelaine La barque aux barcarols chantants Sur un lac blanc et sous l'haleine Des vents qui tremblent au printemps Voguait cygne mourant sirène
Un jour le roi dans l'eau d'argent Se noya puis la bouche ouverte Il s'en revint en surnageant Sur la rive dormir inerte Face tournée au ciel changeant
Juin ton soleil ardente lyre Brûle mes doigts endoloris Triste et mélodieux délire J'erre à travers mon beau Paris Sans avoir le coeur d'y mourir
Les dimanches s'y éternisent Et les orgues de Barbarie Y sanglotent dans les cours grises Les fleurs aux balcons de Paris Penchent comme la tour de Pise
Soirs de Paris ivres du gin Flambant de l'électricité Les tramways feux verts sur l'échine Musiquent au long des portées De rails leur folie de machines
Les cafés gonflés de fumée Crient tout l'amour de leurs tziganes De tous leurs siphons enrhumés De leurs garçons vêtus d'un pagne Vers toi toi que j'ai tant aimée
Moi qui sais des lais pour les reines Les complaintes de mes années Des hymnes d'esclave aux murènes La romance du mal aimé Et des chansons pour les sirènes
Le pré est vénéneux mais joli en automne Les vaches y paissant Lentement s'empoisonnent Le colchique couleur de cerne et de lilas Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-la Violatres comme leur cerne et comme cet automne Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne
Les enfants de l'école viennent avec fracas Vêtus de hoquetons et jouant de l'harmonica Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières Qui battent comme les fleurs battent au vent dément
Le gardien du troupeau chante tout doucement Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l'automne
À Max Jacob
Vers le palais de Rosemonde au fond du Rêve Mes rêveuses pensées pieds nus vont en soirée Le palais don du roi comme un roi nu s'élève Des chairs fouettées des roses de la roseraie
On voit venir au fond du jardin mes pensées Qui sourient du concert joué par les grenouilles Elles ont envie des cyprès grandes quenouilles Et le soleil miroir des roses s'est brisé
Le stigmate sanglant des mains contre les vitres Quel archet mal blessé du couchant le troua La résine qui rend amer le vin de Chypre Ma bouche aux agapes d'agneau blanc l'éprouva
Sur les genoux pointus du monarque adultère Sur le mai de son âge et sur son trente et un Madame Rosemonde roule avec mystère Ses petits yeux tout ronds pareils aux yeux des Huns
Dame de mes pensées au cul de perle fine Dont ni perle ni cul n'égale l'orient Qui donc attendez-vous De rêveuses pensées en marche à l'Orient Mes plus belles voisines
Toc toc Entrez dans l'antichambre le jour baisse La veilleuse dans l'ombre est un bijou d'or cuit Pendez vos têtes aux patères par les tresses Le ciel presque nocturne a des lueurs d'aiguilles
On entra dans la salle à manger les narines Reniflaient une odeur de graisse et de graillon On eut vingt potages dont trois couleurs d'urine Et le roi prit deux oeufs pochés dans du bouillon
Puis les marmitons apportèrent les viandes Des rôtis de pensées mortes dans mon cerveau Mes beaux rêves mort-nés en tranches bien saignantes Et mes souvenirs faisandés en godiveaux
Or ces pensées mortes depuis des millénaires Avaient le fade goût des grands mammouths gelés Les os ou songe-creux venaient des ossuaires En danse macabre aux plis de mon cervelet
Et tous ces mets criaient des choses nonpareilles Mais nom de Dieu! Ventre affamé n'a pas d'oreilles Et les convives mastiquaient à qui mieux mieux
Ah! nom de Dieu! qu'ont donc crié ces entrecôtes Ces grands pâtés ces os à moelle et mirotons Langues de feu où sont-elles mes pentecôtes Pour mes pensées de tous pays de tous les temps
Et l'unique cordeau des trompettes marines
À Mademoiselle Marie Laurencin
Frôlée par les ombres des morts Sur l'herbe où le jour s'exténue L'arlequine s'est mise nue Et dans l'étang mire son corps
Un charlatan crépusculaire Vante les tours que l'on va faire Le ciel sans teinte est constellé D'astres pâles comme du lait
Sur les tréteaux l'arlequin blême Salue d'abord les spectateurs Des sorciers venus de Bohême Quelques fées et les enchanteurs
Ayant décroché une étoile Il la manie à bras tendu Tandis que des pieds un pendu Sonne en mesure les cymbales
L'aveugle berce un bel enfant La biche passe avec ses faons Le nain regarde d'un air triste Grandir l'arlequin trismégiste
Sur la côte du Texas Entre Mobile et Galveston il y a Un grand jardin tout plein de roses Il contient aussi une villa Qui est une grande rose
Une femme se promène souvent Dans le jardin toute seule Et quand je passe sur la route bordée de tilleuls Nous nous regardons
Comme cette femme est mennonite Ses rosiers et ses vêtements n'ont pas de boutons Il en manque deux à mon veston La dame et moi suivons presque le même rite
À Maurice Raynal
S'étendant sur les côtés du cimetière La maison des morts l'encadrait comme un cloître À l'intérieur de ses vitrines Pareilles à celles des boutiques de modes Au lieu de sourire debout Les mannequins grimaçaient pour l'éternité
Arrivé à Munich depuis quinze ou vingt jours J'étais entré pour la première fois et par hasard Dans ce cimetière presque désert Et je claquais des dents Devant toute cette bourgeoisie Exposée et vêtue le mieux possible En attendant la sépulture
Soudain Rapide comme ma mémoire Les yeux ses rallumèrent De cellule vitrée en cellule vitrée Le ciel se peupla d'une apocalypse Vivace
Et la terre plate à l'infini Comme avant Galilée Se couvrit de mille mythologies immobiles Un ange en diamant brisa toutes les vitrines Et les morts m'accostèrent Avec des mines de l'autre monde
Mais leur visage et leurs attitudes Devinrent bientôt moins funèbres Le ciel et la terre perdirent Leur aspect fantasmagorique
Les morts se réjouissaient De voir leurs corps trépassés entre eux et la lumière Ils riaient de voir leur ombre et l'observaient Comme si véritablement C'eût été leur vie passée
Alors je les dénombrai Ils étaient quarante-neuf hommes Femmes et enfants Qui embellissaient à vue d'oeil Et me regardaient maintenant Avec tant de cordialité Tant de tendresse même Que les prenant en amitié
Tout à coup Je les invitai à une promenade Loin des arcades de leur maison
Et tous bras dessus bras dessous Fredonnant des airs militaires Oui tous vos péchés sont absous Nous quittâmes le cimetière
Nous traversâmes la ville Et rencontrions souvent Des parents des amis qui se joignaient À la petite troupe des morts récents Tous étaient si gais Si charmants si bien portants Que bien malin qui aurait pu Distinguer les morts des vivants
Puis dans la campagne On s'éparpilla Deux chevau-légers nous joignirent On leur fit fête Ils coupèrent du bois de viorne Et de sureau Dont ils firent des sifflets Qu'ils distribuèrent aux enfants
Plus tard dans un bal champêtre Les couples mains sur les épaules Dansèrent au son aigre des cithares
Ils n'avaient pas oublié la danse Ces morts et ces mortes On buvait aussi Et de temps à autre une cloche Annonçait qu'un autre tonneau Allait être mis en perce Une morte assise sur un banc Près d'un buisson d'épine-vinette Laissait un étudiant Agenouillé à ses pieds Lui parler de fiançailles
Je vous attendrai Dix ans vingt ans s'il le faut Votre volonté sera la mienne
Je vous attendrai Toute votre vie Répondait la morte
Des enfants De ce monde ou bien de l'autre Chantaient de ces rondes Aux paroles absurdes et lyriques Qui sans doute sont les restes Des plus anciens monuments poétiques De l'humanité
L'étudiant passa une bague À l'annulaire de la jeune morte Voici le gage de mon amour De nos fiançailles Ni le temps ni l'absence Ne nous feront oublier nos promesses
Et un jour nous auront une belle noce Des touffes de myrte À nos vêtements et dans vos cheveux Un beau sermon à l'église De longs discours après le banquet Et de la musique De la musique
Nos enfants Dit la fiancée Seront plus beaux plus beaux encore Hélas! la bague était brisée Que s'ils étaient d'argent ou d'or D'émeraude ou de diamant Seront plus clairs plus clairs encore Que les astres du firmament Que la lumière de l'aurore Que vos regards mon fiancé Auront meilleure odeur encore Hélas! la bague était brisée Que le lilas qui vient d'éclore Que le thym la rose ou qu'un brin De lavande ou de romarin
Les musiciens s'en étant allés Nous continuâmes la promenade
Au bord d'un lac On s'amusa à faire des ricochets Avec des cailloux plats Sur l'eau qui dansait à peine
Des barques étaient amarrées Dans un havre On les détacha Après que toute la troupe se fut embarquée Et quelques morts ramaient Avec autant de vigueur que les vivants
À l'avant du bateau que je gouvernais Un mort parlait avec une jeune femme Vêtue d'une robe jaune D'un corsage noir Avec des rubans bleus et d'un chapeau gris Orné d'une seule petite plume défrisée
Je vous aime Disait-il Comme le pigeon aime la colombe Comme l'insecte nocturne Aime la lumière
Trop tard Répondait la vivante Repoussez repoussez cet amour défendu Je suis mariée Voyez l'anneau qui brille Mes mains tremblent Je pleure et je voudrais mourir
Les barques étaient arrivées À un endroit où les chevau-légers Savaient qu'un écho répondait de la rive On ne se lassait point de l'interroger Il y eut des questions si extravagantes Et des réponses tellement pleines d'à-propos Que c'était à mourir de rire Et le mort disait à la vivante
Nous serions si heureux ensemble Sur nous l'eau se refermera Mais vous pleurez et vos mains tremblent Aucun de nous ne reviendra
On reprit terre et ce fut le retour Les amoureux s'entr'aimaient Et par couples aux belles bouches Marchaient à distances inégales Les morts avaient choisi les vivantes Et les vivants Des mortes Un genévrier parfois Faisait l'effet d'un fantôme
Les enfants déchiraient l'air En soufflant les joues creuses Dans leurs sifflets de viorne Ou de sureau Tandis que les militaires Chantaient des tyroliennes En se répondant comme on le fait Dans la montagne
Dans la ville Notre troupe diminua peu à peu On se disait Au revoir À demain À bientôt Bientôt entraient dans les brasseries Quelques-uns nous quittèrent Devant une boucherie canine Pour y acheter leur repas du soir
Bientôt je restai seul avec ces morts Qui s'en allaient tout droit Au cimetière Où Sous les Arcades Je les reconnus Couchés Immobiles Et bien vêtus Attendant la sépulture derrière les vitrines
Ils ne se doutaient pas De ce qui s'était passé Mais les vivants en gardaient le souvenir C'était un bonheur inespéré Et si certain Qu'ils ne craignaient point de le perdre
Ils vivaient si noblement Que ceux qui la veille encore Les regardaient comme leurs égaux Ou même quelque chose de moins Admiraient maintenant Leur puissance leur richesse et leur génie Car y a-t-il rien qui vous élève Comme d'avoir aimé un mort ou une morte On devient si pur qu'on en arrive Dans les glaciers de la mémoire À se confondre avec le souvenir On est fortifié pour la vie Et l'on n'a plus besoin de personne
L'anémone et l'ancolie Ont poussé dans le jardin Où dort la mélancolie Entre l'amour et le dédain
Il y vient aussi nos ombres Que la nuit dissipera Le soleil qui les rend sombres Avec elles disparaîtra
Les déités des eaux vives Laissent couler leurs cheveux Passe il faut que tu poursuives Cette belle ombre que tu veux
À M. Léon Bailby
Oiseau tranquille au vol inverse oiseau Qui nidifie en l'air À la limite où notre sol brille déjà Baisse ta deuxième paupière la terre t'éblouit Quand tu lèves la tête
Et moi aussi de près je suis sombre et terne Une brume qui vient d'obscurcir les lanternes Une main qui tout à coup se pose devant les yeux Une voûte entre vous et toutes les lumières Et je m'éloignerai m'illuminant au milieu d'ombres Et d'alignements d'yeux des astres bien-aimés
Oiseau tranquille au vol inverse oiseau Qui nidifie en l'air À la limite où brille déjà ma mémoire Baisse ta deuxième paupière Ni à cause du soleil ni à cause de la terre Mais pour ce feu oblong dont l'intensité ira s'augmentant Au point qu'il deviendra un jour l'unique lumière
Un jour Un jour je m'attendais moi-même Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes Pour que je sache enfin celui-là que je suis Moi qui connais les autres Je les connais par les cinq sens et quelques autres Il me suffit de voir leur pieds pour pouvoir refaire ces gens à milliers De voir leurs pieds paniques un seul de leurs cheveux De voir leur langue quand il me plaît de faire le médecin Ou leurs enfants quand il me plaît de faire le prophète Les vaisseaux des armateurs la plume de mes confrères La monnaie des aveugles les mains des muets Ou bien encore à cause du vocabulaire et non de l'écriture Une lettre écrite par ceux qui ont plus de vingt ans Il me suffit de sentir l'odeur de leurs églises L'odeur des fleuves dans leurs villes Le parfum des fleurs dans les jardins publics O Corneille Agrippa l'odeur d'un petit chien m'eût suffi Pour décrire exactement tes concitoyens de Cologne Leurs rois-mages et la ribambelle ursuline Qui t'inspirait l'erreur touchant toutes les femmes Il me suffit de goûter la saveur de laurier qu'on cultive pour que j'aime ou que je bafoue Et de toucher les vêtements Pour ne pas douter si l'on est frileux ou non O gens que je connais Il me suffit d'entendre le bruit de leurs pas Pour pouvoir indiquer à jamais la direction qu'ils ont prise Il me suffit de tous ceux-là pour me croire le droit De ressusciter les autres Un jour je m'attendais moi-même Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes Et d'un lyrique pas s'avançaient ceux que j'aime Parmi lesquels je n'étais pas Les géants couverts d'algues passaient dans leurs villes Sous-marines où les tours seules étaient des îles Et cette mer avec les clartés de ses profondeurs Coulait sang de mes veines et fait battre mon coeur Puis sur cette terre il venait mille peuplades blanches Dont chaque homme tenait une rose à la main Et le langage qu'ils inventaient en chemin Je l'appris de leur bouche et je le parle encore Le cortège passait et j'y cherchais mon corps Tous ceux qui survenaient et n'étaient pas moi-même Amenaient un à un les morceaux de moi-même On me bâtit peu à peu comme on élève une tour Les peuples s'entassaient et je parus moi-même Qu'ont formé tous les corps et les choses humaines
Temps passés Trépassés Les dieux qui me formâtes Je ne vis que passant ainsi que vous passâtes Et détournant mes yeux de ce vide avenir En moi-même je vois tout le passé grandir
Rien n'est mort que ce qui n'existe pas encore Près du passé luisant demain est incolore Il est informe aussi près de ce qui parfait Présente tout ensemble et l'effort et l'effet
Dans la Haute-Rue à Cologne Elle allait et venait le soir Offerte à tous en tout mignonne Puis buvait lasse des trottoirs Très tard dans les brasseries borgnes
Elle se mettait sur la paille Pour un maquereau roux et rose C'était un juif il sentait l'ail Et l'avait venant de Formose Tirée d'un bordel de Changaï
Je connais des gens de toutes sortes Ils n'égalent pas leurs destins Indécis comme feuilles mortes Leurs yeux sont des feux mal éteints Leurs coeurs bougent comme leurs portes
À Fernand Fleuret
Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant
La vie est variable aussi bien que l'Euripe
Tu regardais un banc de nuages descendre Avec le paquebot orphelin vers les fièvres futures Et de tous ces regrets de tous ces repentirs Te souviens-tu
Vagues poissons arqués fleurs submarines Une nuit c'était la mer Et les fleuves s'y répandaient
Je m'en souviens je m'en souviens encore
Un soir je descendis dans une auberge triste Auprès de Luxembourg Dans le fond de la salle il s'envolait un Christ Quelqu'un avait un furet Un autre un hérisson L'on jouait aux cartes Et toi tu m'avais oublié
Te souviens-tu du long orphelinat des gares Nous traversâmes des villes qui tout le jour tournaient Et vomissaient la nuit le soleil des journées O matelots ô femmes sombres et vous mes compagnons Souvenez-vous-en
Deux matelots qui ne s'étaient jamais quittés Deux matelots qui ne s'étaient jamais parlé Le plus jeune en mourant tomba sur le côté
O vous chers compagnons Sonneries électriques des gares chant des moissonneuses Traîneau d'un boucher régiment des rues sans nombre Cavalerie des ponts nuits livides de l'alcool Les villes que j'ai vues vivaient comme des folles
Te souviens-tu des banlieues et du troupeau plaintif des paysages
Les cyprès projetaient sous la lune leurs ombres J'écoutais cette nuit au déclin de l'été Un oiseau langoureux et toujours irrité Et le bruit éternel d'un fleuve large et sombre
Mais tandis que mourants roulaient vers l'estuaire Tous les regards tous les regards de tous les yeux Les bords étaient déserts herbus silencieux Et la montagne à l'autre rive était très claire
Alors sans bruit sans qu'on pût voir rien de vivant Contre le mont passèrent des ombres vivaces De profil ou soudain tournant leurs vagues faces Et tenant l'ombre de leurs lances en avant
Les ombres contre le mont perpendiculaire Grandissaient ou parfois s'abaissaient brusquement Et ces ombres barbues pleuraient humainement En glissant pas à pas sur la montagne claire
Qui donc reconnais-tu sur ces vieilles photographies Te souviens-tu du jour où une vieille abeille tomba dans le feu C'était tu t'en souviens à la fin de l'été Deux matelots qui ne s'étaient jamais quittés L'aîné portait au cou une chaîne de fer Le plus jeune mettait ses cheveux blonds en tresse
Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant
La vie est variable aussi bien que l'Euripe
Vous y dansiez petite fille Y danserez-vous mère-grand C'est la maclotte qui sautille Toutes les cloches sonneront Quand donc reviendrez-vous Marie
Les masques sont silencieux Et la musique est si lointaine Qu'elle semble venir des cieux Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine Et mon mal est délicieux
Les brebis s'en vont dans la neige Flocons de laine et ceux d'argent Des soldats passent et que n'ai-je Un coeur à moi ce coeur changeant Changeant et puis encor que sais-je
Sais-je où s'en iront tes cheveux Crépus comme mer qui moutonne Sais-je où s'en iront tes cheveux Et tes mains feuilles de l'automne Que jonchent aussi nos aveux
Je passais au bord de la Seine Un livre ancien sous le bras Le fleuve est pareil à ma peine Il s'écoule et ne tarit pas Quand donc finira la semaine
Les anges les anges dans le ciel L'un est vêtu en officier L'un est vêtu en cuisinier Et les autres chantent
Bel officier couleur du ciel Le doux printemps longtemps après Noël Te médaillera d'un beau soleil D'un beau soleil
Le cuisinier plume les oies Ah! tombe neige Tombe et que n'ai-je Ma bien-aimée entre mes bras
Le 13 juillet 1909
En voyant des drapeaux ce matin je ne me suis pas dit Voilà les riches vêtements des pauvres Ni la pudeur démocratique veut me voiler sa douleur Ni la liberté en honneur fait qu'on imite maintenant Les feuilles ô liberté végétale ô seule liberté terrestre Ni les maisons flambent parce qu'on partira pour ne plus revenir Ni ces mains agitées travailleront demain pour nous tous Ni même on a pendu ceux qui ne savaient pas profiter de la vie Ni même on renouvelle le monde en reprenant la Bastille Je sais que seuls le renouvellent ceux qui sont fondés en poésie On a pavoisé Paris parce que mon ami André Salmon s'y marie
Nous nous sommes rencontrés dans un caveau maudit Au temps de notre jeunesse Fumant tous deux et mal vêtus attendant l'aube Epris épris des mêmes paroles dont il faudra changer le sens Trompés trompés pauvres petits et ne sachant pas encore rire La table et les deux verres devinrent un mourant qui nous jeta le dernier regard d'Orphée Les verres tombèrent se brisèrent Et nous apprîmes à rire Nous partîmes alors pèlerins de la perdition À travers les rues à travers les contrées à travers la raison Je le revis au bord du fleuve sur lequel flottait Ophélie Qui blanche flotte encore entre les nénuphars Il s'en allait au milieu des Hamlets blafards Sur la flûte jouant les airs de la folie Je le revis près d'un moujik mourant compter les béatitudes En admirant la neige semblable aux femmes nues Je le revis faisant ceci ou cela en l'honneur des mêmes paroles Qui changent la face des enfants et je dis toutes ces choses Souvenir et Avenir parce que mon ami André Salmon se marie
Réjouissons-nous non pas parce que notre amitié a été le fleuve qui nous a fertilisés Terrains riverains dont l'abondance est la nourriture que tous espèrent Ni parce que nos verres nous jettent encore une fois le regard d'Orphée mourant Ni parce que nous avons tant grandi que beaucoup pourraient confondre nos yeux et les étoiles Ni parce que les drapeaux claquent aux fenêtres des citoyens qui sont contents depuis cent ans d'avoir la vie et de menues choses à défendre Ni parce que fondés en poésie nous avons des droits sur les paroles qui forment et défont l'Univers Ni parce que nous pouvons pleurer sans ridicule et que nous savons rire Ni parce que nous fumons et buvons comme autrefois Réjouissons-nous parce que directeur du feu et des poètes L'amour qui emplit ainsi que la lumière Tout le solide espace entre les étoiles et les planètes L'amour veut qu'aujourd'hui mon ami André Salmon se marie
J'ai cueilli ce brin de bruyère L'automne est morte souviens-t'en Nous ne nous verrons plus sur terre Odeur du temps brin de bruyère Et souviens-toi que je t'attends
Pour que sourie encore une fois Jean-Baptiste Sire je danserais mieux que les séraphins Ma mère dites-moi pourquoi vous êtes triste En robe de comtesse à côté du Dauphin
Mon coeur battait battait très fort à sa parole Quand je dansais dans le fenouil en écoutant Et je brodais des lys sur une banderole Destinée à flotter au bout de son bâton
Et pour qui voulez-vous qu'à présent je la brode Son bâton refleurit sur les bors du Jourdain Et tous les lys quand vos soldats ô roi Hérode L'emmenèrent se sont flétris dans mon jardin
Venez tous avec moi là-bas sous les quinconces Ne pleure pas ô joli fou du roi Prends cette tête au lieu de ta marotte et danse N'y touchez pas son front ma mère est déjà froid
Sire marchez devant trabants marchez derrière Nous creuserons un trou et l'y enterrerons Nous planterons des fleurs et danserons en rond Jusqu'à l'heure où j'aurai perdu ma jarretière Le roi sa tabatière L'infante son rosaire Le curé son bréviaire
La porte de l'hôtel sourit terriblement Qu'est-ce que cela peut me faire ô ma maman D'être cet employé pour qui seul rien n'existe Pi-mus couples allant dans la profonde eau triste1 Anges frais débarqués à Marseille hier matin J'entends mourir et remourir un chant lointain Humble comme je suis qui ne suis rien qui vaille
Enfant je t'ai donné ce que j'avais travaille
1. « Les poissons pi-mu (aux yeux accouplés) n'ont qu'un œil. Les oiseaux pi-i (aux ailes accouplées) n'ont qu'une aile. Ils vont par couple. (Poème chinois) »
Le soleil ce jour-là s'étalait comme un ventre Maternel qui saignait lentement sur le ciel La lumière est ma mère ô lumière sanglante Les nuages coulaient comme un flux menstruel
Au carrefour où nulle fleur sinon la rose Des vents mais sans épine n'a fleuri l'hiver Merlin guettait la vie et l'éternelle cause Qui fait mourir et puis renaître l'univers
Une vieille sur une mule à chape verte S'en vint suivant la berge du fleuve en aval Et l'antique Merlin dans la plaine déserte Se frappait la poitrine en s'écriant Rival
O mon être glacé dont le destin m'accable Dont ce soleil de chair grelotte veux-tu voir Ma Mémoire venir et m'aimer ma semblable Et quel fils malheureux et beau je veux avoir
Son geste fit crouler l'orgueil des cataclysmes Le soleil en dansant remuait son nombril Et soudain le printemps d'amour et d'héroïsme Amena par la main un jeune jour d'avril
Les voies qui viennent de l'ouest étaient couvertes D'ossements d'herbes drues de destins et de fleurs Des monuments tremblants près des charognes vertes Quand les vents apportaient des poils et des malheurs
Laissant sa mule à petits pas s'en vint l'amante À petits coups le vent défripait ses atours Puis les pâles amants joignant leurs mains démentes L'entrelacs de leurs doigts fut leur seul laps d'amour
Elle balla mimant un rythme d'existence Criant Depuis cent ans j'espérais ton appel Les astres de ta vie influaient sur ma danse Morgane regardait de haut du mont Gibel
Ah! qu'il fait doux danser quand pour vous se déclare Un mirage où tout chante et que les vents d'horreur Feignent d'être le rire de la lune hilare Et d'effrayer les fantômes avants-coureurs
J'ai fait des gestes blancs parmi les solitudes Des lémures couraient peupler les cauchemars Mes tournoiements exprimaient les béatitudes Qui toutes ne sont rien qu'un pur effet de l'Art
Je n'ai jamais cueilli que la fleur d'aubépine Aux printemps finissants qui voulaient défleurir Quand les oiseaux de proie proclamaient leurs rapines D'agneaux mort-nés et d'enfants-dieux qui vont mourir
Et j'ai vieilli vois-tu pendant ta vie je danse Mais j'eusse été tôt lasse et l'aubépine en fleurs Cet avril aurait eu la pauvre confidence D'un corps de vieille morte en mimant la douleur
Et leurs mains s'élevaient comme un vol de colombes Clarté sur qui la nuit fondit comme un vautour Puis Merlin s'en alla vers l'est disant Qu'il monte Le fils de ma Mémoire égale de l'Amour
Qu'il monte de la fange ou soit une ombre d'homme Il sera bien mon fils mon ouvrage immortel Le front nimbé de feu sur le chemin de Rome Il marchera tout seul en regardant le ciel
La dame qui m'attend se nomme Viviane Et vienne le printemps des nouvelles douleurs Couché parmi la marjolaine et les pas-d'âne Je m'éterniserai sous l'aubépine en fleurs
À Louis Dumur
Dans la plaine les baladins S'éloignent au long des jardins Devant l'huis des auberges grises Par les villages sans églises
Et les enfants s'en vont devant Les autres suivent en rêvant Chaque arbre fruitier se résigne Quand de très loin ils lui font signe
Ils ont des poids ronds ou carrés Des tambours des cerceaux dorés L'ours et le singe animaux sages Quêtent des sous sur leur passage
CHOEUR Maraudeur étranger malheureux malhabile Voleur voleur que ne demandais-tu ces fruits Mais puisque tu as faim que tu es en exil Il pleure il est barbare et bon pardonnez-lui
LARRON Je confesse le vol des fruits doux des fruits mûrs Mais ce n'est pas l'exil que je viens simuler Et sachez que j'attends de moyennes tortures Injustes si je rends tout ce que j'ai volé
VIEILLARD Issu de l'écume des mers comme Aphrodite Sois docile puisque tu es beau Naufragé Vois les sages te font des gestes socratiques Vous parlerez d'amour quand il aura mangé
CHOEUR Maraudeur étranger malhabile et malade Ton père fut un sphinx et ta mère une nuit Qui charma de lueurs Zacinthe et les Cyclades As-tu feint d'avoir faim quand tu volas les fruits
LARRON Possesseurs de fruits mûrs que dirai-je aux insultes Ouïr ta voix ligure en nénie ô maman Puisqu'ils n'eurent enfin la pubère et l'adulte De prétexte sinon de s'aimer nuitamment
Il y avait des fruits tout ronds comme des âmes Et des amandes de pomme de pin jonchaient Votre jardin marin où j'ai laissé mes rames Et mon couteau punique au pied de ce pêcher
Les citrons couleur d'huile et à saveur d'eau froide Pendaient parmi les fleurs des citronniers tordus Les oiseaux de leur bec ont blessé vos grenades Et presque toutes les figues étaient fendues
L'ACTEUR Il entra dans la salle aux fresques qui figurent L'inceste solaire et nocturne dans les nues Assieds-toi là pour mieux ouïr les voix ligures Au son des cinyres des Lydiennes nues
Or les hommes ayant des masques de théâtre Et les femmes ayant des colliers où pendaient La pierre prise au foie d'un vieux coq de Tanagre Parlaient entre eux le langage de la Chaldée
Les autans langoureux dehors feignaient l'automne Les convives c'étaient tant de couples d'amants Qui dirent tour à tour Voleur je te pardonne Reçois d'abord le sel puis le pain de froment
Le brouet qui froidit sera fade à tes lèvres Mais l'outre en peau de bouc maintient frais le vin blanc Par ironie veux-tu qu'on serve un plat de fèves Ou des beignets de fleurs trempés dans du miel blond
Une femme lui dit Tu n'invoques personne Crois-tu donc au hasard qui coule au sablier Voleur connais-tu mieux les lois malgré les hommes Veux-tu le talisman heureux de mon collier
Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros Il est plus noble que le paon pythagorique Le dauphin la vipère mâle ou le taureau
Qui donc es-tu toi qui nous vins grâce au vent scythe Il en est tant venu par la route ou la mer Conquérants égarés qui s'éloignaient trop vite Colonnes de clins d'yeux qui fuyaient aux éclairs
CHOEUR Un homme bègue ayant au front deux jets de flammes Passa menant un peuple infime pour l'orgueil De manger chaque jour les cailles et la manne Et d'avoir vu la mer ouverte comme un oeil
Les puiseurs d'eau barbus coiffés de bandelettes Noires et blanches contre les maux et les sorts Revenaient de l'Euphrate et les yeux des chouettes Attiraient quelquefois les chercheurs de trésors
Cet insecte jaseur ô poète barbare Regagnait chastement à l'heure d'y mourir La forêt précieuse aux oiseaux gemmipares Aux crapauds que l'azur et les sources mûrirent
Un triomphe passait gémir sous l'arc-en-ciel Avec de blêmes laurés debout dans les chars Les statues suant les scurriles les agnelles Et l'angoisse rauque des paonnes et des jars
Les veuves précédaient en égrenant des grappes Les évêques noir révérant sans le savoir Au triangle isocèle ouvert au mors des chapes Pallas et chantaient l'hymne à la belle mais noire
Les chevaucheurs nous jetèrent dans l'avenir Les alcancies pleines de cendre ou bien de fleurs Nous aurons des baisers florentins sans le dire Mais au jardin ce soir tu vins sage et voleur
Ceux de ta secte adorent-ils un signe obscène Belphégor le soleil le silence ou le chien Cette furtive ardeur des serpents qui s'entr'aiment
L'ACTEUR Et le larron des fruits cria Je suis chrétien
CHOEUR Ah! Ah! les colliers tinteront cherront les masques Va-t'en va-t'en contre le feu l'ombre prévaut Ah! Ah! le larron de gauche dans la bourrasque Rira de toi comme hennissent les chevaux
FEMME Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques Emplissez de noix la besace du héros