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HARCELEMENT : Luce a tout pour être heureuse : une famille aimante, des parents adeptes de l'éducation positive. Mais il y a une vie en dehors de la maison, même pour une toute petite fille. Et la rencontre entre Luce et l'école se passe mal. Elle s'y ennuie, n'aime pas les autres élèves et a beaucoup de mal à se faire des amis. Elle va alors devenir la cible d'intimidateurs. Luce n'en parle pas. Ni à ses parents, ni aux adultes qui l'entourent. Les années passent et le harcèlement s'intensifie. Encore et encore. Mais un jour, Luce rencontre Gudule : c'est un coach excentrique. Gudule va guider Luce pour qu'elle reprenne goût à la vie et qu'elle apprenne à s'aimer avec des méthodes originales qui les emmèneront jusqu'en Afrique.
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Seitenzahl: 258
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Je dédie ce livre d abord à ma fille qui a vécu cet enfer, raison pour laquelle je me suis formée pour l aider à s en sortir. Je le dédie aussi à mes autres enfants – pour qui l’école n a pas toujours été simple et qui ont aussi traversé des « zones de perturbation » – et à mon mari, toujours à mes côtés et indéfectible soutien. Je le dédie à toutes les personnes qui m ont fait confiance, et à tous les jeunes que j ai pu aider : chacun a su me faire grandir avec lui. Et je remercie infiniment Marie, qui m a formée à la prise en charge des victimes pour les aider à s’en sortir la tête haute et qui est une personne formidable et Jean-Pierre, qui m’a également formée à la prise en charge des intimidateurs : à chaque fois que j’écoute l’un ou l’autre (ils se sont associés dans le Centre RESIS) je suis émerveillée par la profondeur de leur raisonnement, par leur humanité et par la force avec laquelle ils se battent pour que les situations changent. Je me sens chanceuse qu’ils me fassent confiance et suis très heureuse de pouvoir, à mon niveau et à leurs côtés, participer aux formations des équipes pour la reconnaissance et prise en charge de ces situations.
Cette histoire est un roman. Elle est inventée de toutes pièces. Toutes ? Non pas vraiment ; J ai repris ici les réactions de certains jeunes que j accompagne, ainsi que celles de certaines écoles. Heureusement, toutes les écoles ne ressemblent pas à celles que je décris ici. Pourtant, il existe encore de bien trop nombreux endroits où la souffrance de l’élève est minimisée, où rien n est proposé, soit que l on soit de bonne volonté mais que l on ne sache que faire, soit que l on préfère ne pas reconnaitre… car tant que l’école ne reconnait pas, c est comme si cela n existait pas. Pour être tout à fait juste, je voudrais aussi dire ici que je rencontre chaque jour des professeurs et des personnels de tous ordres qui travaillent avec les enfants et les ados, qui font un travail remarquable auprès des jeunes, y compris sur les situations de harcèlement à l’école.
Ce roman s adresse tant à des parents qu’à de jeunes victimes de harcèlement. J espère qu il leur donnera de l espérance, car il y a toujours quelque chose à faire en la matière. Cela fait maintenant 10 ans que je me suis spécialisée dans le traitement du harcèlement scolaire, après que l une de nos filles ait été concernée et que ni l’école, ni la personne qu’elle a consultée n’ai pu l’aider à sortir et dépasser cette épreuve. Depuis j’ ai reçu des dizaines d enfants et ados et j’ai formé des centaines de professionnels sur le sujet. J utilise de très nombreux outils, puisque je suis coach et thérapeute depuis 15 ans. C est cela que j ai voulu partager avec vous.
Bonne lecture
Préface :
Première partie… la chute.
Et la lumière fut
Le début de ma non-vie sociale
L’école BRUTonière.
Descente aux enfers
Clara
Il faut qu’on parle
Et l’école dans tout ça ?
2
ème
partie : compréhension.
Le choix du psy
Gudule
Visite au « rat-boratoire » de recherches
On se fait un CINE ?
3
ème
partie : RENAISSANCE
Afrique
Massaïs
Lycée
Défis…
Epilogue : 10 ans plus tard
POSTFACE : conseils pour les adultes :
Ça avait pourtant bien commencé… Deuxième fille de la famille, j’étais attendue presque comme le Messie… Née dans une famille aimante qui savait me mettre en valeur, une famille aisée (ça aide de ne pas avoir peur des fins de mois difficiles pour être détendu !), avec des parents ayant reçu une excellente éducation et prêts à me la retransmettre… Tout aurait dû aller bien !
Et pourtant me voilà, en maillot de bains, en train de défiler sur des talons de 15cm… devant les regards un peu lascifs de certains spectateurs. Mais qu’allais-je donc faire dans cette galère ?
Je m’appelle Luce, j’ai 16 ans, et je vais vous raconter mon histoire.
Je suis née le 21 juin 2003 à Paris. Ma mère est psy(chologue) et mon père notaire. Ils se sont rencontrés lors d’une soirée étudiante et depuis ne se sont plus quittés. Ils s’aiment vraiment beaucoup, et ça me rend très fière même si personnellement, je n’y suis pas pour grand-chose ! Ils sont tout ce qu’il y a de plus bourgeois et traditionnel : fiançailles, mariage en grande pompe à l’église et soirée dans un château, désir d’avoir une famille nombreuse ; mais ils firent tout cela après avoir fini leurs études, c’était plus raisonnable. Ma sœur Clara est née en 2000, ils avaient 25 ans et une belle vie toute tracée devant eux : mon père allait reprendre l’Etude notariale de mon grand-père et ma mère s’installerait en libéral dans notre immeuble. Mais même dans les plus beaux contes, il y a toujours un grain de sable qui vient dérégler cette belle mécanique.
Les grains de sable, ici, furent les fausses couches de ma mère. 2 fausses-couches à la suite, après la naissance de ma sœur Clara. Même pour une psy, c’est difficile à vivre. Alors quand ma mère a découvert qu’elle était encore enceinte, elle n’a pas passé une grossesse sereine. Mon père, parait-il, arrivait à prendre de la distance. Il lui disait « si une nouvelle fausse-couche doit se produire, nous n’y pouvons rien, alors profite de l’instant présent, et arrête de te faire du mouron ! » (mon père aime utiliser des mots un peu désuets, ça doit tenir à son métier…). Facile à dire pour ma mère qui ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle avait une certaine responsabilité dans les deux premières fausses-couches : s’était-elle assez reposée ? Avait-elle mangé assez équilibré ? Avait-elle des problèmes génétiques l’empêchant de redevenir mère ? Pourtant le médecin le lui avait répété : « non, ce n’était pas votre faute, non vous n’avez rien fait de mal. C’est comme cela. Certains fœtus s’accrochent à la vie, et pas d’autres ». Mais bien entendu, elle ne le croyait pas.
Donc ma grossesse fut… stressée. Si ma mère ne me sentait pas bouger pendant quelques heures, elle se précipitait chez son médecin pour une échographie. Elle aurait mieux fait d’acheter un appareil pour les faire elle-même, elle l’aurait largement rentabilisé rien qu’en s’auscultant ! Elle mangeait extrêmement équilibré, se reposait beaucoup, écoutait de la musique classique pour moi… pour me détendre, allait marcher tous les jours dans le parc à côté de chez nous, évitait de porter ma sœur, ce que cette dernière avait du mal à accepter.
Alors quand le 21 juin 2002, pile 9 mois après ma conception, les premières contractions arrivèrent, ma mère souffla enfin… Enfin, presque. Il parait que les futures mamans n’arrivent jamais très détendues pour leur accouchement. Et pourtant, je fus exemplaire : née en 3 heures à peine, sans qu’il n’y ait besoin d’utiliser ni les forceps, ni la césarienne… ma vie démarrait bien. Mon père le remarqua « cette petite fait bien les choses : née pour le solstice d’été, ce sera notre lumière ! ». C’est ainsi qu’ils décidèrent de m’appeler « Luce ». Ce n’était pas le prénom qu’ils avaient choisi ; en fait, ils n’avaient pas vraiment choisi de prénom, juste une pré-liste : ça inquiétait ma mère qui pensait qu’il ne fallait pas « tenter le diable » ; Je me suis souvent demandé comment une femme aussi sensée avait pu être aussi superstitieuse à ce moment-là.
Va pour Luce, je serai donc la « lumière » de la famille. Autant dire que ma sœur, Clara, qui n’avait pas apprécié de ne pouvoir être portée par ma mère, fut fort jalouse. C’est vrai, c’est tout de même moins bien d’être juste « claire, ou clarté » que lumière.
Un jour, alors que maman préparait mon biberon, ma sœur vint à côté de moi, posée dans mon couffin. Un bruit de gifle se fit alors entendre. Ma mère se retournant vers ma sœur la gronda : « mais enfin Clara, que viens-tu de faire ? ». Ma sœur honnête répondit : « j’ai donné une claque à Luce ». « Mais pourquoi ? » s’enquit ma mère ; « Parce qu’elle me l’a demandé ! ». Cette histoire figure dans les annales de la famille ; Je suis certaine qu’on la ressortira pour son mariage… ou pour le mien.
Bref, la vie commençait plutôt bien, je devais faire face à la jalousie de ma sœur, mais cela n’inquiétait pas ma mère qui, en bonne psy, répétait à la cantonade « il vaut mieux que la jalousie s’exprime ; c’est beaucoup plus grave quand l’ainé ne montre rien. » En dehors de cela, je me développais… en taille, en poids et en intelligence. Pas très habile avec mon corps, je me rattrapais avec ma tête. Dès mes 8 mois je savais nommer les personnes autour de moi. A un an, je faisais des phrases entières. Et à trois ans je disais à ma grand-mère « Mamie, il faudrait que tu délaces mes souliers afin que je puisse ôter mon pantalon » (ça aussi, on le ressortira à mon mariage). Ma mère avait abandonné l’idée d’ouvrir un cabinet de consultation, préférant, « pour leurs premières années, si importantes pour leur construction » se consacrer à l’éducation de ses enfants.
On dit que la confiance en soi se construit d’abord dans le regard de l’autre : la façon dont nos parents nous regardent nous permet de nous sentir aimé inconditionnellement – ou non- et donc nous permet de nous aimer à notre tour, plus au moins bien. Si cela est vrai, alors j’aurais dû m’aimer infiniment. Je voyais dans les yeux de mes parents un amour et une admiration totale.
Si ma mère n’avait pas ouvert de cabinet, elle se tenait au courant de toutes les nouveautés en matière de psychologie ; en particulier elle lisait beaucoup sur les neurosciences, leur lien avec l’éducation et était adepte de l’éducation bienveillante ; Ainsi nos efforts étaient valorisés, nos réussites aussi. Une autorité sereine et saine était présente : nous connaissions les interdits, nous avions des libertés et au lieu des punitions mes parents préféraient les « conséquences éducatives » : nous laisser vivre les conséquences de nos actes, nous apprendre à nous excuser, à réparer ; c’était la norme à la maison. Autant dire que la première fois que j’allais chez ma meilleure amie, en CP, je tombais de haut : toutes excitées toutes les deux, nous avions fait tomber un verre qui s’était explosé sur le sol de la cuisine ; A la maison je me serai excusée, aurais ramassé… et sans doute proposé un peu de l’argent que j’avais dans ma tirelire pour en racheter un. Là j’entendis d’abord un hurlement « MAIS QU’AVEZ-VOUS DONC FAIT COMME BETISE ? MAIS CE N’EST PAS POSSIBLE CA ! ON VOUS LAISSE DEUX MINUTES ET TOUT CE QUE VOUS TROUVEZ A FAIRE… C’EST UNE BETISE ! VOUS ETES PUNIES ! TOUTES LES DEUX DANS LA CHAMBRE ! INTERDICTION D’EN SORTIR ! ET TOI ALIENOR TU N ES PAS PRETE DE REINVITER UNE AMIE. ». J’étais sous le choc… arrivée dans la chambre d’Aliénor, je me mis à pleurer « mais pourquoi ta mère nous déteste ? Pourquoi elle crie comme ça ? Il était précieux son verre ? Pourquoi on est punies ? ». Mon amie reprit avec beaucoup de tact : « non le verre n’est pas précieux. Mais c’est normal qu’elle crie, c’est quand même une bêtise ! Et nous avons de la chance, la dernière fois elle m’a envoyé au coin avec interdiction de bouger pendant une heure… et mon frère lui s’est pris une claque ». Un abysse s’ouvrait sous mes pieds : les parents n’étaient donc pas tous comme les miens ? Une autre catégorie de parents existait donc en ce bas monde. J’eu du mal à m’en remettre… et me dis que j’avais VRAIMENT beaucoup de chance dans ma famille.
Je continuais donc à grandir, sous le regard admiratif et bienveillant de mes parents, en me disputant régulièrement avec ma sœur ; j’avais compris le truc : il suffisait que je hurle « Clara ! mais arrête ! tu me fais mal ! arrête, arrête, arrête ! » pour que ma mère se précipite, gronde (un peu) ma sœur et vienne me faire un gros câlin.
Pour ce qui est de ma vie sociale, elle démarra tôt et bien : J’avais été gardée par maman, qui me mettait en halte-garderie régulièrement (pour aller écouter ses conférences sur l’éducation ou pratiquer la méthode Vittoz). J’étais une des chouchoutes de la halte-garderie : souriante, calme, je pleurais peu : j’étais une enfant facile. Et puis mes parents sortaient souvent le soir et nous avions deux super baby-sitters que nous adorions : Juliette ou son frère Edouard.
C’est à l’entrée de l’école maternelle que les premières difficultés apparurent : je rêvais d’entrer à l’école, pour faire comme Clara. Et d’avoir un cartable et de faire des devoirs. J’étais propre depuis un moment, mes parents pensaient donc que tout irait bien. Mais voilà… le premier jour, je fus soudain prise d’une peur panique en voyant tous ces enfants s’accrocher à leur mère en pleurant et hurlant… Si tout le monde pleurait, c’est sans doute qu’il y avait des raisons… La maîtresse s’efforçait de calmer chacun, aidée de son ATSEM : un petit mot gentil, un dernier câlin à maman et on lui fait au revoir de la main… Petit à petit le calme se fit : les mamans étaient parties, les enfants rassurés… sauf moi. J’avais vraiment pris en pleine tête ces cris, et rien ni personne n’arrivait à me calmer. Maman était repartie, sur les conseils de la maîtresse, et moi je hurlais, pleurais et me débattais. Je voyais bien les regards désolés que se lançaient les deux adultes… et je continuais. Je pleurais ainsi jusqu’à 11H30. Quand maman revint me chercher, la maîtresse lui conseilla de ma garder avec elle pour l’après-midi : « il va sans doute lui falloir un peu de temps, mais ne vous inquiétez pas, elle s’y fera. Surtout si on y va doucement, par étapes » Je crois que ces derniers mots étaient surtout prononcés pour permettre à la maîtresse et à l’ATSEM de souffler un peu. Je passais l’après-midi à la maison.
Le lendemain, ma mère me réveilla tôt pour me préparer pour l’école. Ma réaction fut immédiate : « mais pourquoi ???? J’y suis déjà allée hier ! ». Elle m’expliqua que l’école c’était tous les jours… enfin 4 jours par semaine, et que ça allait durer jusque mes 18 ans, au moins. Cette information m’anéantit totalement. Je crois que c’est à ce moment-là que je me mis à vraiment détester l’école. Je me fis une promesse « je me promets que jamais, au grand jamais, je n’aimerais l’école DE TOUTE MA VIE. » J’eu un peu de mal à tenir cette promesse, car ma maîtresse, Mademoiselle Patricia, était drôlement gentille. Avec beaucoup de tact elle parvint peu à peu à m’apprivoiser. Cependant, si j’aimais ma maîtresse, je n’aimais pas ce qu’on faisait à l’école ni mes camarades de classe. Je voyais et étais dépitée par leurs difficultés pour colorier sans dépasser, pour mettre le bon nombre de gommettes dans les cases de calcul, écrire leur prénom de façon toute tordue.
J’étais fière d’écrire mon prénom en attaché et réclamais à la maîtresse et à ma mère de m’apprendre à lire. Toutes deux refusèrent, arguant que j’avais bien le temps. Bref, à l’école je m’ennuyais ferme. Je n’avais pas d’amis. Je crois que les autres me trouvaient bizarre. Je leur parlais système solaire, ils me répondaient « âne Trotro ». J’essayais de les motiver pour réclamer à la maîtresse de nous apprendre à lire, ils n’en voyaient pas l’intérêt.
Je passais donc une très grande partie de mes récréations seule. Cela inquiétait beaucoup ma mère ; tous les soirs, en venant me chercher, sa première question était : « alors, as-tu joué avec quelqu’un ? ». Je haussais les épaules et reprenais ma demande d’apprentissage de la lecture « mais comme ça maman je pourrai prendre un livre dans la cour et je ne m’ennuierai pas. ». N’écoutant pas, elle montait des stratégies qu’elle cherchait à me faire partager : « et bien demain tu apporteras un sac de bonbons et tu iras en donner à tout le monde. Pour te remercier, ils voudront certainement jouer avec toi. » Régulièrement je me prenais au jeu… et espérais. Mais le lendemain lorsque j’arrivais avec le sac de bonbons, avant même que je l’ouvre un garçon de la classe – toujours le même – Mathis le grand (à ne pas confondre avec Mathis le maladroit qui tombait souvent dans la cour) m’arrachait le sac des mains et montant sur la pointe de ses pieds déjà grands m’interpellait « allez, viens les chercher les bonbons… On va voir si tu as de la force (ou si tu es grande ou courageuse, selon les jours). Bien entendu je n’arrivais à rien, et plus je m’énervais, plus lui et ses copains riaient. Ils finissaient par se partager les bonbons entre eux. Une fois, j’ai voulu en parler à la maîtresse qui surveillait la cour. Elle m’a dit que je n’avais qu’à faire attention à mes affaires, et qu’on n’allait tout de même pas faire une histoire d’un sac de bonbons. J’ai donc arrêté d’en parler aux adultes.
A ma mère je disais « oui oui, ils ont bien aimé. On a un peu joué. » ça semblait la rassurer. Et quelques jours après elle trouvait autre chose « et si nous invitions Léa à déjeuner ? Elle a l’air sympa Léa ? Si elle te connait mieux, elle pourrait t’intégrer dans son groupe ». J’acquiesçais, nous invitions Léa qui était tout à fait charmante devant ma mère, et me piquait des jouets dans ma chambre (sans que je m’en aperçoive tout de suite). Le lendemain, de nouveau pleine d’espoir, j’allais la voir : « tu veux jouer avec moi à la récré ? ». Léa acceptait. Alors je lui demandais si je pouvais déjeuner avec elle, et rejouer avec elle et me mettre en rang avec elle. Elle soufflait, me traitait de pot de colle, et retournait jouer avec ses amies.
Et puis ma mère disait : « et si j’allais voir la maîtresse pour lui dire de te faire faire un travail avec quelqu’un de sympa ? ». Moi « un travail maman ? Mais je suis en maternelle. On ne fait pas de « travail » en maternelle… en plus ils sont tous idiots dans cette classe, ils ne savent même pas écrire leur prénom ! ». Alors elle renonçait et je voyais bien un voile de tristesse passer sur ses yeux.
Je tins comme cela, tout à fait isolée en dehors des moments d’expériences menés par ma mère, seule dans la cour jusqu’à l’entrée en CP. Je n’avais aucun problème avec les maîtresses puisque je travaillais bien, quand je ne travaillais pas je rêvais, dans la cour je n’étais jamais dans les mauvais coups… et les enfants me laissaient tranquille… je crois qu’en disant que j’étais « bizarre », ils avaient en fait un peu peur de moi.
L’arrivée en CP fut pour moi une révolution. D’abord, j’allais ENFIN apprendre à lire ! Depuis le temps que j’en rêvais ! Mais aussi j’y rencontrais ma première amie Aliénor. Aliénor était toute douce. Elle était très jolie, brune avec ses grands yeux marrons. Elle semblait seule également, venant de déménager dans notre arrondissement, elle ne connaissait personne dans l’école ; Et puis surtout, elle était super intelligente ! Ensemble, nous parlions d’étoiles, de dinosaures, de nature. Chez elle non plus il n’y avait pas la télé (ah oui, j’ai oublié de vous le dire : ma mère refusait que l’on ait une télévision, parlant « d’abrutissement des masses » et de « niveau zéro de la culture »). Pour la première fois, j’étais heureuse le matin de me préparer pour l’école, sachant que j’allais retrouver Aliénor. Ensemble, nous parlions TOUT LE TEMPS : dans la cour, dans les rangs… et aussi en classe ; Cela avait le don d’énerver la maîtresse : « et les pipelettes, vous pouvez vous taire sinon je vous sépare ! ». Elle nous a séparées. Qu’à cela ne tienne, nous avions inventé un langage fait de gestes et de mimiques et nous continuions à discuter ainsi. Les autres avaient remarqué nos mimiques, et je les entendais murmurer : « regarde les débiles ! On dirait des gros boudins tout rabougris ». Je faisais comme si je n’avais rien entendu, mais je commençais à trouver cela un peu pesant.
Un jour, Aliénor ramena un paquet de bonbons que son père lui avait ramené des USA. Alors que nous nous réjouissions de pouvoir les gouter - enfin, elle avait attendu pour les ouvrir avec moi - le grand Mathis lui arracha des mains. Alors je vis rouge. Je me précipitai sur lui et commençai à le frapper. Ça le faisait rire, il disait « oh on dirait qu’une mouche m’attaque ! vous la voyez les amis ? Moi je ne sens rien. Qui veut un bonbon ? ». Je continuais à le taper, Aliénor essayait de me retenir et je criais « mais rends lui ses bonbons, espèce de débile ! Tu es vraiment complètement idiot ». Je n’aurais pas dû. Il est vrai que Mathis avait des difficultés à suivre, et le fait d’être traité de débile le fit enrager. Il lança le paquet de bonbons à Mathis le maladroit, et commença à riposter à mes coups. La partie était perdue d’avance : entre une fille d’un peu plus d’un mètre et un garçon de près d’un mètre 30. Je n’avais aucune chance. Il se mit à me frapper avec violence. Dans le ventre, sur le visage. Je tombais par terre et il me donna des coups de pieds. Et tout le monde riait. La seule qui hurlait était Aliénor « mais ARRETE ! Tu vas la tuer ! ». Les cris attirèrent les maîtresses qui nous séparèrent ; Elles promirent des punitions exemplaires - et effectivement punirent - Mathis… et moi ! Et oui, il était interdit de se battre dans l’école et c’est moi qui avais commencé. Mes parents furent scandalisés. Ils exigèrent de rencontrer la maîtresse, Mathis, ses parents, pour que l’on s’explique. La maîtresse demanda à Mathis de s’expliquer. Il dit que Aliénor lui avait donné un bonbon, ça ne m’avait pas plu parce que ça fait longtemps que je ne l’aimais pas, alors j’avais commencé à l’insulter et à le taper et que je lui avais fait très mal au ventre. Que n’en pouvant plus, il m’avait repoussé et que j’étais tombée, et que c’est tout ce qu’il avait fait. Ses parents confirmèrent « Mathis n’est pas un menteur. Et ce n’est pas parce que Luce est petite qu’elle ne peut pas faire mal. ». Je ne pouvais plus parler. Mes parents donnèrent alors ma version de l’histoire. La maîtresse les repris « oui oui, enfin c’est la parole d’un enfant contre un autre. On ne sait pas qui ment, mais il y en a bien un qui le fait ; Et à vrai dire, votre fille nous a plusieurs fois raconté des bobards… donc j’ai mon opinion. ». Je pus alors murmurer « mais ce n’est pas vrai… demandez à Aliénor, elle a tout vu. ». On fit venir Aliénor ; Celle-ci fixait le sol et ne me regarda pas. Quand elle prit la parole, ce fut pour dire « oui c’est vrai, j’ai donné un bonbon à Mathis. Mais après je suis partie et je n’ai rien vu. Je ne sais pas ce qui s’est passé. »
Comment avais-je pu ainsi être trahie par ma meilleure amie ? Ma seule amie ? Ma sœur ? Je ne comprenais pas et me mis à pleurer. La maitresse prit mes pleurs pour un aveu et dit « et bien tu vois bien Luce que tout cela est ta faute. Ne t’avise pas de recommencer à mentir, c’est très vilain et tes parents te puniront si tu mens. » Je voyais ma mère bouillir intérieurement : elle allait exploser, dire quelque chose comme « vous êtes bien naïve ! C’est scandaleux… et ne vous mêlez pas de l’éducation que je donne à ma fille. » mais mon père avait posé sa main sur son bras et l’empêchait de parler.
Sur le chemin du retour, mes parents parlèrent de me changer d’école. Moi je ne savais que penser : j’avais peur de me retrouver face à Mathis, mais j’avais enfin une amie. Enfin non, pas une amie, une traitre… un Judas, je ne voulais plus la voir. Il fut donc décidé de chercher une école privée qui pourrait m’accueillir rapidement. Il fallut quelques semaines et je dus donc retourner dans ma classe. Aliénor essayait de venir me parler. Je me détournais ostensiblement et refusais d’échanger le moindre mot, le moindre geste. Je voyais qu’elle souffrait. Je souffrais aussi. Mais j’avais ma fierté. Elle m’avait trahie. Enfin, j’eu une place dans une école privée. J’annonçais à la classe que c’était mon dernier jour avec eux. Une belle indifférence me répondit. Seule Aliénor se mit à pleurer. Nous étions en milieu d’année, elle savait écrire et au moment où je rangeais pour la dernière fois mes affaires, elle me tendit un mot rédigé en classe. Je le pris en haussant les épaules, le mis dans ma poche et partie, les larmes aux yeux. Dès que je franchis le coin de la rue avec maman, je ne pus m’empêcher de sortir le mot. Il était écrit : « pardon Luce. Je ne voulé pas. Mes Mathis ma di que si je disai la véritée, il me feré come toi et mème pir é qu’il s’ocuperé ossi de mon peti frére an maternel é qu’illui feré si mal que per sone ne le reconaitré. Tu va me menké. Je t’aime ». (oui elle savait écrire, mais façon élève de 6 ans). J’explosais en pleurs et supplia ma mère de me laisser dans cette école. J’allais perdre ma seule amie.
Mes parents refusèrent. Mais je pus continuer à voir Aliénor – parfois –en dehors des cours. J’appris qu’elle avait trouvé une nouvelle amie, et que tout allait bien pour elle. Elle demanda de moins en moins à me voir.
C’est le cœur bien lourd que je fis mon entrée en cours d’année en CP à l’école Sainte Marie. J’avais très peur. Je ne voulais pas que cela se voit, alors j’avais décidé de regarder tout le monde de haut. Je redressais les épaules, fixais les élèves dans les yeux jusqu’à ce qu’ils baissent le regard.
La nouvelle maîtresse voulait qu’on l’appelle « Madame » et qu’on la vouvoie. Des « tu » sortaient régulièrement de ma bouche, cela faisait rougir la maîtresse et rire les élèves. Bien entendu, les groupes d’amis étaient déjà faits depuis longtemps, et je ne trouvais pas vraiment ma place. Je restais seule, refusant toutes les nouvelles tentatives de ma mère pour pallier ce problème.
C’est en CE1 que les véritables problèmes commencèrent :
D’abord avec Fanny. Fany était « la » populaire de la classe… et même un peu de l’école. Manifestement ses parents étaient très riches, et elle arrivait chaque jour dans une nouvelle tenue - toujours de marque – et qui lui allait parfaitement. Elle était entourée d’une cour d’élèves qui se sentaient puissants et forts d’être amis avec elle. Moi aussi elle m’attirait. Je la trouvais drôle, souvent, et très jolie. Et j’admirais la façon dont elle arrivait à se faire apprécier. Je rêvais de faire partie de sa cour. Fany le savait et il lui arrivait de temps en temps de m’inclure dans ses jeux. Ces jours-là je revenais joyeuse à la maison, je chantonnais, mes parents me demandaient si j’étais amoureuse. Un jour Fany vint me demander si je pouvais tenir son cartable alors qu’elle était aux toilettes. Ravie de cette sollicitude, j’acceptais immédiatement. Je me disais « Ca y est, elle s’est rendu compte que j’existe, elle a envie de m’avoir comme amie ». Je rayonnais. Fany oublia juste de reprendre son cartable. « Pas grave, c’est qu’elle a confiance » pensais-je. Le lendemain, elle me redemanda si je pouvais tenir son cartable. De nouveau j’acceptais. Elle ne le reprit pas. Le surlendemain, elle m’accepta à sa table à la cantine. Quelle reconnaissance pour moi ! Être à la table de Fany ! Moi qui avais l’habitude de boucher les trous dans les tables déjà constituées par d’autres. A la fin du repas, Fany me demanda si je voulais manger ma crème au chocolat, parce qu’elle avait encore faim et en avait très envie. Je lui donnais de bonne grâce. Et chaque jour qui passait Fany me demandait quelque chose de nouveau : lui montrer mon exercice pour qu’elle le recopie, tenir le cartable de ses copines, porter son manteau pendant qu’elle jouait au loup… Je m’exécutais, trop heureuse d’exister aux yeux de Fany. J’étais persuadée que plus j’étais gentille, et plus elle m’intégrerait à son groupe. Et c’était parfois vrai. Il lui arrivait de me demander de jouer au loup ou de déjeuner à sa table. Bien entendu si je jouais au loup… j’étais le loup… toute la partie. Si je déjeunais à sa table, je devais lui donner mon dessert. Je finis par trouver le temps long pour qu’elle devienne gentille avec moi. Mais je ne disais rien, toujours heureuse d’entendre les autres dire « regarde, il y a Fany ET LUCE. ». Fany s’était même débrouillée pour que je sois assise à côté d’elle en classe, ce qui lui permettait de recopier tout ce qui lui plaisait.
Le soir, ma mère me disait qu’elle était heureuse de voir que je n’étais plus seule, mais elle me trouvait triste ; de plus en plus. Elle voulait savoir si quelqu’un me faisait du mal. Non Fany ne me faisait pas de mal - elle profitait juste de moi - je n’osais pas le lui dire. En réalité, j’étais de plus en plus malheureuse… Je ne pouvais plus rêver dans la cour, ou si cela arrivait Fany se précipitait en disant en riant « pousse-toi de là, c’est ma place ». Tout le monde riait avec elle. Et puis j’entendais les autres enfants dire « tu as vu, c’est la glue de Fany… elle est trop nulle. » Un jour Fany fit une remarque devant tout le monde : « dis donc Luce, je t’aime bien, mais si tu veux trainer avec moi il faudrait que tu t’habilles autrement. Tu dois comprendre que je ne peux pas être avec quelqu’un qui s’habille chez Emmaüs ». Ses admirateurs explosèrent de rire. Moi aussi. De rire jaune, car ça me fit le même effet que le premier coup de poing de Mathis. Je tentais une explication « mais je ne m’habille pas chez Emmaüs. Je reprends juste les habits de ma grande sœur… ». Eclat de rire général. Fany enchaîna « et bien ta sœur s’habille chez Emmaüs ! Elle ne te l’a jamais dit ? Trop la honte ! ». A partir de ce moment-là, mon surnom devint « Emmaluce ». Je l’entendais toujours et partout, assorti de petits ricanements. Ça me faisait très mal. Parfois, j’allais m’enfermer dans les toilettes pour pleurer. En silence car une fois une grande de CM1 m’entendit pleurer et me traita de « chialeuse ». Ce deuxième surnom vint s’accrocher au premier « Emmaluce la chialeuse ». Bien entendu, ce n’était jamais dit devant les adultes. J’aurais tellement aimé qu’ils voient ! Mais ils ne voyaient rien… ou peut-être ne regardaient-ils pas ? Je n’osais pas leur en parler, car j’avais peur de devenir « Emmaluce la balance. » ;