Imagine - Elvan Sabatier - E-Book

Imagine E-Book

Elvan Sabatier

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Beschreibung

Luna est une lycéenne tout à fait normale, enfin presque, puisqu'elle vit en internat avec Hayvil, son chien. Un jour, elle rêve d'un monde éloigné du sien, où créatures étranges et humains cohabitent. Cependant, il semble avoir besoin de son aide. En parallèle, elle rencontre Simon, le nouveau de l'internat. Tous deux enquêtent sur les origines des terres imaginaires et sur les nombreux dangers qui pèsent sur leurs deux mondes. Luna se retrouve alors coincée entre deux mondes: le réel et l'imaginaire. Alors, est-ce que tout ça n'est qu'un rêve ?

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Seitenzahl: 395

Veröffentlichungsjahr: 2025

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À mes amis imaginaires, à mon chat Swann, Au monde imaginaire qui m’a suivi toute mon enfance, À Eli, Merci pour la joie que vous apportez (ou avez apporté) à mon quotidien.

Attention, ce livre aborde les sujets suivants : anorexie, anxiété, troubles dépressifs, homophobie, transphobie, dysphorie de genre, cancer, suicide, harcèlement, addiction, mutilation, alcoolisme, maltraitance infantile, violence, viol, inceste.

Galaxie ELV-408, Planète I-408…

Continent : Europia

Pays : France

Région : Bretagne

Département : Finiscus

Ville : Saint-Hilaire

***

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Motif : coexistence de plusieurs univers

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Bienvenue !

Sommaire

Chapitre 1 : Luna

Chapitre 2 : Luna

Chapitre 3 : Luna

Chapitre 4 : Luna

Chapitre 5 : Simon

Chapitre 6 : Luna

Chapitre 7 : Luna

Chapitre 8 : Simon

Chapitre 9 : Eddy

Chapitre 10 : Luna

Chapitre 11 : Simon

Chapitre 12 : Eddy

Chapitre 13 : Je dois vraiment me présenter ?

Chapitre 14 : Simon

Chapitre 15 : Simon

Chapitre 16 : ELEVEN

Chapitre 17 : Le monde est fade.

Chapitre 18 : CAROLLE FACE AU GRAND MÉCHANT GRIS

Chapitre 19 : Luna

Chapitre 20 : Luna

Chapitre 21 : Simon

Chapitre 22 : Simon

Chapitre 23 : Simon

Chapitre 24 : à quoi je sers dans l'histoire ?

Chapitre 25 : Simon

Chapitre 26 : Simon

Chapitre 27 : Simon

Chapitre 28 : Simon

Chapitre 29 : Luna

Chapitre 30 : Simon

Chapitre 31 : ELEVEN

Chapitre 32 : gay panic

Chapitre 33 : Simon

Chapitre 34 : nouvelle famille

Chapitre 35 : Luna

Chapitre 36 : Simon

Chapitre 37 : ELEVEN

Chapitre Final : Simon

Chapitre Bonus : Les fous du bus

Imagine, au milieu d’un océan infini, sombre et sans fin,

Il y avait cette île, seule au milieu de nulle part.

Elle était désertique, ravagée par des tempêtes passées et si calme,

Ou plutôt, c’était le calme avant la tempête.

Sept heures. Mon réveil sonne. La petite musique insupportable de chaque matin me réveille d’une nuit de deux heures de sommeil. Une journée qui commence mal. Je sens déjà que je vais passer une mauvaise journée. Je tends le bras vers mon téléphone, mais je lui donne un grand coup et il tombe par terre. J’en ai marre de cette musique agaçante. Je me décide et me redresse en position assise, énervée, et me penche au dessus du sol de ma chambre en cherchant à tâtons ce foutu téléphone. Je le trouve sous mon lit. Je m’en empare et coupe l’alarme. Mauvaise journée. Je suis déjà fatiguée. Je soupire avant de reposer mon téléphone sur la petite table de chevet à côté de mon lit. J’ai déjà envie de me rendormir. Je fais de gros efforts pour me lever de mon lit et aller allumer la lumière de ma chambre qui m’éblouit. Je traîne des pieds jusque mon armoire dans laquelle je prends ma tenue du jour : pull bleu gris, débardeur noir en dessous, jean bleu clair, pour un mois de novembre. Je me change en pensant à la journée qui m’attend, puis coiffe mes longs cheveux noirs en queue de cheval, n’ayant aucune motivation pour coiffer soigneusement chaque boucle, ce matin. Hayvil, mon chien, se réveille en baillant, aussi épuisé que moi vu son peu d’énergie. Il se lève et s’étire puis vient vers moi en remuant la queue.

— Salut mon chien, je chuchote en lui caressant la tête.

Je me dirige vers la porte et l’ouvre sur l’immense couloir qui me rappelle tous les matins que je suis condamnée à vivre ici, en internat. Et encore, j’ai la chance d’avoir une chambre individuelle car il n’y a presque personne, ici. Hayvil sort dans le couloir, l’air enthousiaste. Il a déjà mieux dormi que moi. La lumière du couloir s’allume – ayant détecté du mouvement – et je prends une grande inspiration avant d’éteindre la lumière de ma chambre, sortir dans le couloir et refermer la porte derrière moi. J’aurais tant aimé sécher les cours, mais ça, c’était avant. Je m’apprête à me diriger vers les escaliers lorsque j’entends une porte claquer dans mon dos. Je me tourne et aperçois Valentine, une fille de la chambre voisine.

— Salut Luna ! Tu vas au petit-déjeuner ?

— Salut ! Euh ouais, j’allais descendre avec Hayvil.

— Cool ! On y va ensemble, alors ! Tu as l’air fatiguée, aujourd’hui, dis donc.

— Je n’ai pas très bien dormi, mais ça va.

— Ah bon, allons-y.

Elle me devance et je la suis dans le couloir. Valentine n’est pas très sociable, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Elle est brune aux yeux marron, de peau mat, et s’habille comme la plupart des filles du lycée. Elle est plutôt bonne élève, et c’est un peu mon amie. Du moins, nous ne sommes pas très proches. Je n’ai pas d’ami proche, de toute façon, à part Hayvil.

— Allô, Luna, je t’ai perdue ?

— Quoi ?

Je me rends compte que maintenant que nous sommes arrivées en bas des escaliers et que Valentine m’avait posé une question.

— Je te demandais à quelle heure tu finis les cours.

— Ah euh…je ne sais plus.

Je n’ai pas menti en disant ça. Je ne sais vraiment plus. Seize heures trente ou dix sept heures trente ?

— Et bah, tu es vraiment fatiguée. Enfin, ça ne change pas de d’habitude, que t’oublies tout.

— Désolée. Et toi, tu finis à quelle heure ?

— Seize heures trente.

— Ah si, ça me revient, je finis à dix sept heures trente.

— Génial, tu n’oublieras pas que tu dois me rendre mon manuel de physique pour demain.

— J’essayerai.

Nous venons d’arriver au self. Comme tous les matins, il n’y a qu’une dizaine de personnes réparties sur deux tables, mangeant lentement tout en discutant.

— Tiens.

Je prends le plateau que Valentine me tend et la suis vers les tables où nous nous servons. Hayvil, derrière moi, me suit pour que je lui donne son repas – même s’il a une gamelle pleine dans ma chambre pour la journée, le matin, il mange avec nous. Je prends juste un jus d’oranges et un bout de pain – ainsi que la nourriture pour Hayvil – et m’installe à ma table habituelle pendant que Valentine finit de se servir.

— Salut Luna ! Alors, bien dormi ? me salue Victor, un autre camarade.

— Salut tout le monde. Ne m’en parle même pas, je n’ai dormi que deux heures !

— Tu commences bien ta semaine, on dirait, ironise Sophie.

Je lève les yeux au plafond.

— Valentine, comme toujours, mange la table entière du self, rigole Raphaël lorsque Valentine nous rejoint.

— C’est toi qui parle ! riposte la concernée en accusant les deux verres de jus de fruits, l’assiette remplie de croissants et de pains au chocolat, et la montagne de pâtes à tartiner sur le plateau de Raphaël.

— Autant profiter de ce qu’on a ! soupire l’accusé en levant les yeux au plafond.

Nous sommes six à notre table : Victor, un petit brun aux yeux bleus, Sophie, aux cheveux blonds et courts et aux yeux marron, Raphaël, un grand aux cheveux noirs et à la peau foncée, Hugo, qui a des cheveux châtains et qui est discret, Valentine et moi-même. À nous six nous formons les reclus qui devons vivre en internat à cause de nos problèmes de famille et qui ne voulons pas traîner avec l’autre groupe composé uniquement d’élèves perturbateurs de terminale et de première.

Je me penche pour déposer la gamelle de Hayvil par terre à côté de moi. Mon chien se précipite vers son repas et mange comme si je l’avais laissé mourir de faim pendant une semaine.

— Luna, tu nous écoutes ?

— Quoi ?

Et voilà, encore une fois, je n’ai pas suivi la discussion.

— Je disais qu’on a un nouveau dans l’internat. Apparemment, il est en seconde, répète Victor.

— Il s’appelle comment ? je demande.

— Aucune idée. William ne voulait pas me dire.

William, c’est notre surveillant préféré de l’internat. Il n’est là que le mardi et le vendredi, malheureusement. Les autres jours, on a Ulysse le lundi, lui, ça va, il passe juste son temps dans son bureau à écouter de la musique et lire, et le pire du pire, c’est le mercredi et jeudi, avec Marion, qui nous interdit limite de respirer. Les week-ends, on retourne chez nous, ou où on veut. C’est là que je vais chez ma grand-mère, la mère de mon père et la seule famille qu’il me reste. Bien que ma mère soit toujours vivante, elle ne veut pas entendre parler de moi car d’après elle, je lui rappelle trop mon père qui lui manque terriblement. Je peux le comprendre, mais c’est assez compliqué de perdre son père et de se faire rejeter par sa mère et toute sa famille du jour au lendemain, et de n’avoir comme compagnie que Hayvil, qui a connu mes pires jours au collège, et ma grand-mère à qui je dois parler fort et qui oublie même mon nom, des fois. Il y a mes camarades d’internat, mais je ne les connais que depuis septembre, et ils ne savent rien de ce qu’il m’est arrivé, à part que j’ai perdu mon père et que ma mère ne veut pas de moi.

Dès que j’ai fini de manger mon pain et de boire mon verre, j’abandonne les autres pour aller me balader dix minutes avec Hayvil. Dehors, le soleil est à peine levé et il fait encore froid. Je reste autour de l’internat, je n’ai pas vraiment le choix de toute manière, sinon, je vais me retrouver autour du lycée. Il y a quand même un mini parc avec simplement une pelouse et un banc au milieu. Il n’y a personne, à part Hayvil et moi. Je m’assois sur le banc et mon chien ne tarde pas à s’installer à côté de moi. Je lui caresse doucement la tête tandis que j’observe le ciel et le soleil qui se lève. Personne ne vient me déranger. Mes yeux deviennent lourds, je ne sais pas comment je vais tenir toute la journée. Je ne remarque même pas que je finis par m’endormir sur le banc.

Je suis dans une ville que je ne connais pas. Un rêve, sans doute ? Cette ville ne ressemble pas à une ville classique, pourtant, mais à une ville futuriste, avec des étagères géantes sur lesquelles reposent des maisons. Des escaliers et des ascenseurs sont situés de part et d’autre de ces sortes d’immeubles étagères. À part ça, il n’y a pas de route bétonnée, mais uniquement des chemins de graviers et de l’herbe. Le ciel paraît tout à fait normal. Le soleil est levé haut, c’est pourquoi je suppose qu’il est aux alentours de midi ou treize heures. J’aperçois alors une silhouette au loin. Elle s’approche rapidement vers moi. Je crois l’entendre crier un nom. Je distingue peu à peu chaque détail de la personne. C’est un garçon de mon âge, plutôt grand, avec des cheveux roux bouclés et des yeux marron ou verts. Il est mince et a des cernes noires sous les yeux. Il ralentit devant moi puis s’arrête pour me dévisager. Je reste perplexe car je suis persuadée de ne l’avoir jamais vu de ma vie.

— Qui es-tu ? je demande.

— Je pourrais te poser la même question. Tu viens de la Terre ?

— Comment ça ? Évidemment. Je sais que je suis dans un rêve donc tu n’es pas réel, et je ne t’ai jamais vu bizarrement à moins que je ne t’aie croisé qu’une fois mais que je ne m’en…

— Attends !

Son regard s’est illuminé.

— Elle t’a envoyée ?

— De qui tu parles ? Personne ne m’a envoyée enfin seulement ma propre conscience et tu ne m’as pas dit qui tu es.

Son euphorie se dissipe tout à coup et il soupire.

— Je suis Elven. Et toi, qui es-tu ?

— Luna.

— Tu as créé quelqu’un ?!

Je sursaute et fais volte-face vers la personne qui vient de parler. C’est une fille de petite taille, dans les un mètre cinquante, de corpulence moyenne, aux cheveux châtains clairs mi-longs et lisses, avec des yeux marron. Elle me lance un regard noir sans que Elven ne le remarque.

— Non, pas du tout. C’est une autre terrienne, répondit Elven.

— Comment c’est possible ?

— Je ne sais pas…

— Elle l’a envoyée ?

— Non.

— Oh, je suis là, je vous rappelle ! je les coupe.

Je suis toujours sûre de rêver. Ce que mon imagination peut être débordante ! La fille pince les lèvres et lève les yeux vers moi.

— Tu es qui ?

— Luna.

— Bon, Elven, retourne chez toi. Je m’occupe d’elle. Je ne veux pas que tu aies encore des...désagréments...avec les terriennes.

— Quoi ? Comment ça ? je demande, perdue.

Je n’ai aucune confiance en cette fille. Je ne l’aime déjà pas. Elven me fixe l’espace de quelques secondes avant de hocher la tête et de repartir. La fille attend qu’il soit complètement reparti pour me secouer par le bras.

— Tu vas me dire la vérité ! D’où tu viens ?!

— De Bretagne !

— Elle t’a envoyée n’est-ce pas ?! Je ne la laisserai pas faire ! Pas cette fois !

Elle enfonce ses ongles dans ma peau.

— Aïe ! Je jure que je ne sais pas de quoi tu parles ! Tu es qui, même ?

Elle me relâche le bras en soupirant.

— Je suis November Babou. Si ce n’est vraiment pas elle qui t’a envoyée, il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas, ici.

C’est un rêve, Luna, réveille-toi. Ce n’est qu’un rêve. C’est un délire. Ces personnes n’existent pas, ce monde n’existe pas.

— Bon, je vais t’envoyer voir ma mère. Elle aura peut-être des réponses.

Elle est bipolaire ou quoi ? Après tout, ce n’est qu’un rêve, c’est pourquoi tout est bizarre.

— Tu viens ou bien tu veux te faire tuer par des serpents rouges ?

Je me décide et la suis, malgré ma haute méfiance. Nous traversons plusieurs rangées d’immeubles étagères avant d’arriver devant une petite maison aux couleurs claires. November toque à la porte et entre juste après.

— Entre, me dit-elle.

J’obéis et arrive dans un petit hall décoré de plantes. November ferme la porte derrière moi. Je reste plantée dans le hall, ne sachant que faire, tandis que la fille disparaît dans la maison. L’endroit est paisible et chaleureux, avec une odeur de muguet dans l’air. Un petit escalier blanc mène à un étage. Le hall donne une ouverture sur un salon avec des fauteuils et une cheminée, et à ma droite un couloir.

November ne revient pas, mais c’est une femme qui vient m’accueillir.

— Tu es Luna, j’imagine ?

— Euh…oui.

Elle m’invite à m’installer dans le petit salon puis disparaît chercher du thé. Elle a l’air âgée, ou plutôt, vidée d’énergie. Ses cheveux châtains clairs similaires à ceux de November sont grisés et ses yeux vides sont gris. Elle est pâle, très pâle, et mesure quelques centimètres de plus que moi. Elle revient au bout de quelques minutes, deux tasses de thé en main, et vient s’asseoir sur le fauteuil face à moi. J’ai l’impression d’être dans le cabinet d’une psychologue un peu vaudou.

— Tu dois sûrement te demander ce que tu fais ici. Et tu dois sûrement penser que tu es dans un rêve. Mais ceci n’est pas un rêve, Luna Châtelet.

— Comment vous connaissez mon nom ?

— Nous t’attendons depuis un moment. Enfin, nous attendons la venue d’un terrien. Et c’est tombé sur toi.

— Je ne comprends pas.

— Tu es dans un monde parallèle, qui est censé ne pas exister. Hors, nous sommes là. Et nous avons besoin de ton aide.

— Euh…vous vous trompez de personne. J’ai une vie, je dois aller en cours, là, je dois me réveiller sinon je vais être en retard. Je ne suis qu’une lycéenne, je ne peux rien faire pour vous. Je ne vous connais pas, de toute façon, ce n’est qu’un rêve. J’ai un chien qui s’appelle Hayvil et…

Tout autour de moi commence à s’estomper. La dame disparaît, la maison disparaît, tout disparaît. Puis je me réveille.

Imagine, il n’y avait pas une seule vie, à part moi, à cet endroit.

La plage était de ce sable noir tranchant,

Les arbres étaient couchés et morts,

Le soleil ne faisait qu’une ombre à travers les épais nuages gris.

Je suis toujours sur le banc, dehors. Mon chien me fixe avec de grands yeux. Je cherche mon téléphone dans ma poche pour regarder l’heure mais me rappelle que je l’ai laissé dans ma chambre. Le soleil n’est pas complètement levé. De toute façon, Valentine serait venue me réveiller, si c’était l’heure d’aller en cours.

Je traîne des pieds pour retourner jusqu’à ma chambre, Hayvil sur mes talons. Je croise Victor dans les escaliers.

— Ah, Luna, je te cherchais. Valentine m’a dit que tu t’étais endormie et qu’il ne fallait pas te déranger, donc bon. Ça va être l’heure d’y aller, tu viens ?

— Ouais, je dois juste passer dans ma chambre ramener Hayvil et prendre mon sac, et j’arrive.

— Je t’attends en bas des escaliers !

J’acquiesce et poursuis mon chemin dans le couloir. Je croise là Valentine.

— Ah, Luna ! Bien dormi ?

— Ouais, on peut dire ça.

— Tu t’es fait quoi, au bras ?

Je suis son regard sur la marque d’ongles enfoncés dans mon pull. November. Comment c’est possible ?

— Oh, ce n’est rien, c’est Hayvil, ce matin. Bon, je vous rejoins en bas des escaliers.

Valentine n’insiste pas plus et répond vaguement avant de s’éloigner. J’examine de plus près la marque des ongles de November. À l’endroit exact où elle a enfoncé ses ongles dans mon rêve. Je décide de ne pas trop y réfléchir et marche jusqu’à la porte de ma chambre que j’ouvre. La pièce est plongée dans l’obscurité, je n’ouvre jamais les volets car j’ai une vue sur le lycée. J’ouvre légèrement quand je ne suis pas là pour Hayvil, mais autrement, non. J’allume la lumière de la chambre tandis que mon chien se précipite dans la pièce. J’entrouvre les volets avant de m’emparer de mon sac de cours et de mon téléphone. Je passe le sac sur mon épaule, dis au revoir à Hayvil, puis repars en fermant la porte derrière moi. Je traverse pour la troisième fois de la matinée ce couloir flippant puis redescends les escaliers. Valentine et Victor m’attendent. J’allume l’écran de mon téléphone pour voir l’heure. Sept heures cinquante.

— Allons-y, soupire Valentine.

Les autres sont partis avant nous pour rejoindre d’autres amis. Nous commençons à partir lorsque je me rappelle une chose.

— Oh non ! J’ai oublié de remplir la gamelle de Hayvil ! Ne m’attendez pas, j’y retourne.

Valentine soupire avant de bredouiller un « D’accord. ». Je fais demi-tour et reprends le chemin inverse. Heureusement, nous ne sommes qu’à deux minutes. Je me dépêche de monter les marches quatre à quatre. Je suis tellement précipitée que je ne vois pas que quelqu’un arrive vers moi. Et lui non plus, apparemment. Nous nous percutons de plein fouet et je manque de m’étaler par terre. Il me rattrape de justesse. Je lève les yeux pour le dévisager et m’apprête à m’excuser.

— Désolé, j’étais sur mon téléphone, je ne t’avais pas vue…

— C’est moi qui suis désolée, je devrais regarder où je vais ! Attends, je ne t’ai jamais vu ici ?

— Euh…je suis nouveau dans l’internat.

— Ah, donc c’est toi. Tu t’appelles ?

— Simon. Simon Engvall. Et toi ?

— Luna Châtelet.

Je l’observe plus en détails. Il me dépasse d’au moins dix centimètres. Il est plutôt pâle, mais naturellement, et a des cheveux blonds courts et des yeux bleus. Il est en tenue de sport et prend un air décontracté. C’est étrange, j’ai comme l’impression de l’avoir déjà vu, de lui avoir déjà parlé, pourtant, je suis en même temps sûre que ce n’est qu’une impression.

— Bien, j’ai été enchanté de te rencontrer, Luna. On se recroisera sûrement un jour.

— De même.

Il me sourit. Il est typiquement le gars qu’on pourrait trouver dans des films américains, populaire, que tout le monde aime. Et malheureusement, ça me fait de l’effet. Je me ressaisis lorsqu’il s’éloigne et poursuis mon chemin jusqu’à ma chambre. Je regarde rapidement l’heure sur mon téléphone. Il est huit heures. Donc Simon est du genre à arriver en retard en cours ? Je tourne la poignée de la porte de ma chambre. Elle ne veut pas s’ouvrir. Pourquoi ça n’arrive qu’à moi ? Évidemment, comme je suis partie, le gardien a dû fermer ma porte à clés alors qu’il doit la fermer à huit heures et quart au cas où on oublie quelque chose. Sans doute un nouveau ! J’essaie de forcer bêtement, puis rage en donnant des coups de pieds dans la porte.

— Besoin d’aide ?

Je sursaute et me retourne. C’est Simon. Il n’est pas parti ?

— Euh…

Il n’attend pas ma réponse et sort de nulle part une aiguille. Il l’insère dans la serrure et la trafique pendant quelques secondes, puis la porte s’ouvre.

— Merci beauc…

Je n’ai pas le temps de finir ma phrase que Hayvil me saute dessus. Je suis tellement prise par surprise que je tombe à la renverse. La honte.

— Tu as un chien ? La chance ! Il s’appelle comment ?

Je me dégage de Hayvil et me redresse.

— Hayvil.

Simon me tend la main. Je la prends et me relève.

— Merci.

— C’est normal. C’est un très beau prénom, Hayvil.

Il me fixe de ses yeux bleus absorbants. J’ai l’impression d’y voir un océan magnifique et qui n’est jamais coupé par la moindre terre. Je me ressaisis et détourne les yeux pour me focaliser sur la raison de mon retour.

— Merci.

Je me hâte de trouver le sachet de croquettes de Hayvil et lui remplis sa gamelle. Lorsque je referme la porte derrière moi, Simon n’a pas bougé.

— Tu m’attends, en plus ? C’est trop gentil pour moi, là. Je ne sais plus comment te remercier, à force.

Il rigole.

— Je t’ai un peu retardée donc je te dois bien ça. Enfin, sauf si je t’insupporte, évidemment, je serais contraint de m’en aller.

— Non non, il n’y a pas de problème. Ça me fait de la compagnie.

Nous commençons à marcher dans le couloir.

— Il est flippant, ce couloir, fait remarquer Simon.

— Tu vas devoir le traverser tous les jours, pourtant.

— Malheureusement.

Nous parvenons aux escaliers et les descendons lentement, même si nous sommes vraiment en retard, pour le coup. Simon regarde l’écran de son téléphone.

— Huit heures cinq. Un peu en retard, mais bon, ça va.

— Un peu ?

— Oh, tu sais, c’est habituel. Je ne fais pas exprès, mais je pense que c’est dû au peu de motivation d’aller en cours.

— Tu veux dire que tu arrives tous les jours en retard ?

— Hum, ça dépend des jours. Une fois, j’étais presque à l’heure, à huit heures deux, mais sinon, en général, j’arrive jusqu’à deux heures de retard, on va dire. Ou sinon je ne viens pas.

— Tu sèches les cours ?

— Avant, surtout.

Ça nous fait un point en commun.

— Enfin, je veux dire, je ne vois pas l’intérêt de faire de la physique chimie quand on veut faire de la musique ou du sport.

— Tu fais de la musique ?

— De la guitare. Et de la musique électronique. Et du basket. Et toi, tu fais quoi, dans ta vie ?

— Euh…de la danse. Et je dessine.

— Intéressant.

Nous sommes à présent sur le chemin du lycée. Le soleil s’est levé, et on le voit à peine à cause des nuages gris qui surplombent le ciel. C’est la première fois depuis longtemps que je parle de ce que j’aime faire, dans la vie. Nous venons d’arriver devant le portail fermé. Simon sonne à l’interphone.

— Oui ?

— Bonjour, nous sommes deux élèves légèrement en retard.

— Encore toi, Simon. Dépêchez-vous d’aller en vie scolaire.

Le portail s’ouvre.

— Après toi, me dit Simon.

— Me voilà flattée, je réponds.

— Tu n’en a pas l’air, en tout cas.

Je ne réponds pas et m’engouffre par le portail. Simon me suit.

— Bienvenue à notre soixante douzième jour ici, déclare-t-il.

— Tu comptes les jours ?

— Non. Le hasard fait bien les choses ?

— N’importe quoi !

Ma réponse le fait rire tandis que nous entrons dans le bâtiment.

— Tu commences par quoi ? me demande-t-il.

— Français. Et toi ?

— Maths. Horrible.

— Bon courage.

— À toi aussi.

Nous arrivons au bureau de la vie scolaire. Malheureusement, on tombe sur Marion.

— Et merde, pas elle, marmonne Simon.

— On l’a le mercredi et jeudi comme surveillante à l’internat, je lui chuchote.

Nous nous arrêtons face à elle.

— Luna Châtelet. Et Simon Engvall. Voilà qui ne m’étonne pas ! C’est quoi, votre excuse, encore ?!

— C’est de ma faute, j’ai retardé Luna.

— Tu n’as aucune excuse, toi. Et Luna non plus, donc. Si je vous revois encore une fois en retard, vous devrez nettoyer tout l’internat mercredi après-midi !

— Mais…

— Pas de mais ! Allez en cours.

Nous faisons demi-tour et nous éloignons.

— Elle est encore là demain matin, faut pas que j’arrive en retard. Tu me réveilleras de force, si tu vois que je ne suis pas parti. Je ne veux surtout pas laver l’internat.

— On est bien d’accord.

— C’est ici que nos chemins se séparent. Passe une bonne journée, Luna.

— Toi aussi.

Nous partons chacun vers notre bâtiment : B pour moi, et C pour Simon. Je me dépêche d’aller dans ma salle de français. La porte est fermée, donc je toque. La prof, Madame Péteur – beaucoup se moquent d’elle – m’ouvre.

— Assis-toi.

L’avantage, c’est que même si vous arrivez cinq minutes avant la fin du cours, elle ne vous dira rien. Madame Péteur est une prof peu respectée dont les cours sont très ennuyants et vous donnent encore plus envie de dormir dès huit heures du matin. Je me dirige vers ma place, au fond de la salle, contre la fenêtre, à côté de Victor.

— J’ai bien crû que tu ne viendrais pas. Pourquoi est-ce que tu as pris autant de temps ?

— Désolée, j’ai rencontré Simon, le nouveau de l’internat.

— Ce n’est pas vraiment le moment de faire des rencontres, à huit heures du matin, lundi, alors que tu es en retard pour les cours.

— Je sais bien !

— Alors, il est comment ?

— Ne m’en parle même pas.

— Oh, ça veut dire qu’il est pas mal ?

— Hum hum, Luna et Victor, au fond, nous coupe Madame Péteur.

— Désolée, madame, je réponds.

— Tu nous raconteras tout ce midi ! me chuchote Victor.

Je lève les yeux au plafond et regarde l’heure. Huit heures vingt. Victor et moi arrêtons de discuter pendant un moment. Je me perds dans mes pensées en regardant par la fenêtre. J’ai presque oublié le rêve étrange de ce matin. Du moins, je ne sais pas vraiment si c’était un rêve. De toute façon, je n’y retournerai plus.

— Luna ! me chuchote Victor.

Je tourne la tête vers lui. Il est en train de faire une catapulte avec sa pochette cartonnée et s’apprête à catapulter un bout de gomme sur nos voisins de devant, Jordan et Gabin. Il lève le doigt, puis l’élastique de la pochette se détend en effectuant un 5 retentissant. Le bout de gomme s’envole et atterrit dans le dos de Gabin qui se retourne en souriant.

— Tu pourrais faire mieux, Victor.

— Hum hum ! Victor ! Donne-moi cette pochette cartonnée tout de suite ! intervient la prof.

— Karma ! chuchote Gabin avant de se retourner vers le tableau.

Victor tend sa pochette cartonnée à la prof qui la saisit avant de repartir devant le tableau d’une démarche mal assurée. Dès qu’elle tourne le dos, Gabin et Jordan se tourne vers nous. Le premier tend à Victor un pistolet en origami avec un avion en papier.

— Ça, ça marche vraiment.

Victor arque un sourcil.

— De l’origami ?

Peu convaincu, il s’empare de la catapulte version 2.0. Nos voisins de devant se retournent face au tableau, l’air de rien. Madame Péteur écrit au tableau. C’est alors que Victor vise son dos avec son pistolet en origami. Et il tire. L’avion s’envole et survole toute la classe avant de s’écraser dans le dos de notre prof de français.

— Purée, ça marche vraiment ! s’écrie Victor un peu trop fort.

La prof se retourne et fusille Victor du regard.

— Tu es viré de cours !

— Le rêve, marmonna Victor.

Il se lève de sa chaise, range ses affaires puis prend son sac sur son épaule et quitte la salle.

— Bien, je disais, reprend Madame Péteur.

Je ne suis pas la suite du cours. Trente minutes d’ennui. Trente minutes de torture. Trente minutes à ne rien faire. Je sors de mon sac mon livre préféré. Le dernier cadeau de mon père. Le seul livre que j’ai. Nos étoiles contraires de John Green. Un livre que j’ai lu une vingtaine de fois. Il me fait penser à mon père, uniquement parce qu’il a eu un cancer, comme les personnages principaux. Et il en est mort.

— Luna ?

Je détourne mon regard de la fenêtre. Jordan et Gabin se sont tournés vers moi.

— X au carré part en forêt. Mais quand il en ressort, il ne reste plus que x. Pourquoi ?

— Il s’est pris une racine ?

— Bravo, tu es la seule parmi trente personnes à avoir trouvé.

— Hum hum, au fond de la classe, vous voulez être virés aussi, peut-être ? coupe la prof.

Tout le monde parle dans la classe, mais elle ne remarque que nous quatre, à chaque fois. Jordan lève les mains d’un air innocent, puis son ami et lui se retournent face au tableau. À ce même moment, Madame Péteur se prend un avion en papier dans la tête. Je tourne la tête vers la provenance de l’avion. C’est Clay, un des élèves perturbateurs de la classe.

— Clay ! Tu es viré de cours aussi ! s’énerve la prof.

Le concerné pouffe de rire, suivi par ses amis, puis quitte la salle. Je croise son regard juste avant qu’il ne disparaisse. Et merde. Il va embêter Victor.

— C’est chaud pour Victor, ça, je marmonne.

Jordan se tourne vers moi.

— Ne t’en fais pas, on a Marion, aujourd’hui, me répond-il.

Il n’a pas tort. Je garde mes craintes pour plus tard. Je retourne dans mes pensées et contemple le paysage par la fenêtre. Je soupire lorsque la sonnerie retentit dix minutes après.

Imagine, je me suis laissée échouer, les yeux rivés sur ces formes grises flottantes,

Le dos brûlant sur le sable tranchant.

Je pouvais humer de l’air sans me battre,

Rester ainsi des heures, malgré la douleur.

Je rejoins immédiatement Victor en salle de permanence, pour m’assurer qu’il aille bien. Heureusement, Marion surveillait, et Victor va bien. J’ai justement une heure de permanence pendant que Victor a latin. Je m’installe dans la salle, loin de Clay, tandis qu’une dizaine d’élèves s’installe à d’autres tables. Étant trop épuisée pour discuter avec qui que ce soit, je décide de dormir un peu et m’affale sur ma table, la tête dans les bras. Je ne mets pas beaucoup de temps à m’endormir.

Sauf que, j’atterris dans le même rêve. Je me retrouve à l’endroit exact duquel j’étais partie la dernière fois.

— Te revoilà, sourit la dame aux cheveux grisés, tenant toujours sa tasse de thé à la main.

— Comment ?

— Tu referas toujours le même rêve. Du moins, dès que tu dormiras, tu viendras ici, inévitablement. Donc, je disais, tu dois nous aider. Une menace pèse sur ce monde depuis que la dernière terrienne a disparu.

— Peut-être que je la connais, que je peux la retrouver et qu’elle reviendra vous sauver, comme ça ?

La dame soupira.

— Malheureusement, je ne pense pas. Elle doit habiter à dix heures de chez toi, au moins.

— Ah. Ça va être compliqué, en effet. Bon, qu’est-ce que je dois faire ?

— Ce monde est menacé par un autre monde. Celui d’un sorcier gris, Ronan.

Je pouffe de rire.

— Un sorcier ?

— Il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas. Oui, un sorcier. J’étais une fée, mais il m’a enlevé mes pouvoirs. Nous avons un mur nous séparant du monde de Ronan. Il veut détruire ce monde et le reconstruire à sa guise.

— Et en quoi je peux vous aider, moi ?

— On a besoin de quelqu’un d’humain, pour y arriver.

— Pourquoi ?

— Parce que tu peux contenir et maîtriser plus de choses que nous.

— Je ne comprends pas trop.

— Suis-moi.

Elle se lève et je l’imite.

— Au fait, c’est quoi, votre nom ?

— Appelle-moi Agent Babou.

Je remarque qu’elle a du mal à marcher jusqu’à la porte.

— Vous avez besoin d’aide ? je demande lorsqu’elle se rattrape de justesse à un mur.

— Ce ne serait pas de refus.

Elle s’appuie sur le bras que je lui tends et nous sortons de la maison. Nous croisons un autre garçon qui mesure presque ma taille, mais qui a l’air cependant un peu plus âgé. Ses cheveux châtains foncés forment des boucles courtes qui retombent sur son crâne. Ses yeux marron me scrutent avant de s’attarder sur Agent Babou.

— Bonjour, Monday. J’ai fait du thé, si tu veux.

— Qui est-ce ? demande-t-il en me fixant.

— Luna, une terrienne.

Il plisse un œil avant de repartir vers la maison, n’ajoutant rien. Nous poursuivons notre marche, passant plusieurs rangées d’immeubles. Au beau milieu de ces immeubles, Agent Babou s’arrête devant un bâtiment aux couleurs neutres, qui ressemble à un cube géant.

— Les immeubles ici ne sont pas tous habités. C’est une sorte de labyrinthe où nous pouvons cacher cette base. Je n’ai pas le droit d’y accéder, malheureusement…

— Je lui fais visiter ?

Nous nous retournons en même temps vers Elven que nous n’avions pas vu.

— Ah, Elven, tu tombes bien. Fais tout visiter à Luna, enfin, elle n’aura pas le temps, mais par parties à chaque fois qu’elle reviendra.

— Avec plaisir.

— Je vous laisse. Je suis épuisée.

Elle fait demi-tour et s’éloigne lentement. Elven attend qu’elle disparaisse pour m’adresser la parole.

— Bon, allons-y.

Je le suis jusqu’à l’entrée de la base. Un petit écran figure sur le côté. Elven y tape plusieurs choses que je ne comprends pas, puis une lourde porte s’ouvre devant nous. Le garçon entre dans le bâtiment, alors je fais de même.

— Pourquoi est-ce que tout le monde parle d’une terrienne disparue ? je demande.

Son regard s’attriste. Je crois qu’il ne répondra pas, mais il finit par dire :

— Il y a eu une fille, avant toi. Elle venait tous les jours nous aider, elle s’entendait bien avec tout le monde, mais je savais au fond que si elle était là, c’est parce qu’elle était seule. C’est ton cas aussi. Et puis, du jour au lendemain, elle a arrêté de venir.

— Désolée.

— Il n’y a pas de quoi s’excuser.

Je remarque une machine étrange, dans un coin.

— Qu’est-ce que c’est ? je demande en m’approchant.

Une capsule géante s’éclaire avec un petit bruit qui me fait sursauter. Un scanner commence à m’analyser.

— Euh…elle analyse la personne qui compte le plus pour toi. C’est un truc inventé par November pour se moquer de moi, répond Elven.

La machine arrête de m’analyser. Puis plus rien.

— Il n’y a personne à qui tu tiens ?

— La seule personne à qui je tenais est morte.

— Et tes amis ?

Je hausse les épaules.

— Je n’ai pas d’ami proche. Et toi, ça te met quoi ?

Je le prend par le bras sans son autorisation et le tire à côté de moi. La machine recommence à scanner.

— Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée… murmure Elven.

Un hologramme apparaît alors dans la capsule lorsque la machine arrête son analyse. Elven émet un gémissement dans mon dos tandis que je m’avance vers l’hologramme. Il est en couleurs et paraît presque réel. C’est une fille un peu plus jeune que moi, avec des cheveux châtains roux qui tombent en cascade juste en dessous de ses épaules et des yeux marron foncé à travers ses lunettes. Elle a l’air grande et fine.

— C’est qui ? je demande.

— Océane, la terrienne disparue. Elle a ton âge, maintenant.

Elven a l’air de souffrir terriblement en revoyant son image.

— Comment on arrête cette machine ? je demande.

Je me mets moi-même devant le scanner et attends jusqu’à ce que l’hologramme disparaisse. Je me tourne vers Elven, effondré par terre.

— Je suis désolée, je ne savais pas.

— Ce n’est pas grave…continuons la visite.

— Tu aimerais la retrouver ?

— J’essaie chaque jour de me rendre sur Terre pour la revoir. J’aimerais tant…mais c’est impossible. Enfin bref. On continue ?

Je hoche lentement la tête puis l’aide à se relever. Je le suis dans un petit couloir donnant sur une pièce. Ou plutôt, sur un espace extérieur au milieu d’un bâtiment. Le mur de droite est différent des autres murs gris taupe. On dirait un miroir de glace multicolore avec une fonctionnalité écran.

— C’est le Mur. C’est par là qu’on peut accéder à toutes les autres parties du monde, et c’est lui qui nous sépare de Ronan. Il est plus grand que ça, mais c’est la seule partie étrange dans laquelle nous avons retrouvé une magie ancienne et puissante qui nous permet d’accéder à d’autres lieux.

Je regarde le morceau de mur d’un air fasciné.

— Dis moi un chiffre entre un et neuf.

— Cinq ?

Il appuie au milieu du mur. Le paysage change brutalement et je me retrouve dans une sorte de toboggan de la même matière que le morceau du mur. Elven est juste devant moi, et j’ai l’impression que nous tombons indéfiniment. Je finis par atterrir sur les fesses à côté d’Elven.

— Aïe.

— Il faudra t’y habituer.

Nous sommes assis dans de l’herbe bleue, face à des arbres un ciel parfaitement bleu avec un soleil même bleu.

— Tout est bleu ?

— Oui, nous sommes dans la forêt bleue. Attention !

Je sursaute lorsque Elven se jette presque sur moi. Il s’écarte brusquement en tenant dans sa main un petit être bleu.

— Mais ? Qu’est-ce que…

C’est un gnome tout bleu d’à peine dix centimètres. Il grogne.

— Flûte alors ! Tu m’as ramené de la bière ? demande-t-il à Elven.

— Non, Richard. Pas cette fois. La dernière fois, tu courais après les Ratzés bleus et tu leur lançais tes myrtilles.

— Moi, lancer des myrtilles ? Pas possible !

— Tu t’en rappellerais si je te montrais une orange ?

— Ah ! Surtout pas ! C’est bon, je m’en rappelle !

Je reste perplexe. Richard se tortille dans les mains de Elven pour se tourner vers moi.

— C’est qui, celle-là ? Et repose-moi par terre !

Elven soupire avant de poser le petit être par terre.

— C’est une terrienne. Elle s’appelle Luna.

— Ah ! Encore une. Au moins, elle a compris que tout est bleu, ici.

Il désigne mes vêtements. Elven se lève.

— Bon, je lui faisais visiter. Richard, tu peux aller embêter les Ratzés, si tu veux.

— Tu es en train de me dire implicitement de dégager ? Non mais je n’y crois pas ! Je suis le guide, ici.

— OK, OK, reste avec nous.

— Et la prochaine fois, tu m’amènes des bières et des myrtilles !

Richard commence à s’enfoncer dans la forêt, et je me relève lorsque Elven le suit.

— Fais attention aux Ratzés, si tu en croises un, il risque de ne plus te lâcher pendant au moins une heure, ajoute Elven à mon attention.

Je hoche la tête, même si je ne sais même pas ce que c’est. Nous commençons à nous enfoncer dans la forêt, à la suite de Richard. Je sursaute lorsque je sens quelque chose toucher ma jambe. Je baisse la tête et vois un petit arbre vivant et adorable. Curieusement, il n’est pas bleu. Elven se retourne vers moi.

— Ah, c’est Elian, un Elisso. Il me tient compagnie, c’est un ami.

Elian me sourit. Il a un air de Groot dans Les Gardiens de la Galaxie, mais en plus petit. Je le prends dans ma main et il grimpe sur mon bras pour venir s’asseoir sur mon épaule.

— Bon, on continue ou quoi ? râle Richard.

Je reprends ma marche. J’entends soudain un sifflement.

— Et merde, pas ces saletés de serpents ! marmonne Richard.

— Qu’est-ce que c’est ? je demande, perdue.

— Un Serpent bleu. Ils sont très dangereux et te vident de ton sang, donc si on reste là à ne rien faire, on va mourir, m’explique Elven.

Un autre sifflement. Plus fort cette fois. Je tourne la tête vers sa provenance et là, j’ai la peur de ma vie. Un énorme truc immonde qui ressemble à un serpent géant croisé avec un mille pattes tout visqueux fonce droit sur moi.

J’entends un avant que tout ne disparaisse tout à coup. Et je me réveille.

— Luna ?

Je me recule un peu trop brusquement avec ma chaise, déstabilisée par ses yeux bleus qui me fixent. Simon m’observe, face à moi, appuyé sur mon bureau.

— Désolé, je ne voulais pas te faire peur. Je m’inquiétais, depuis dix minutes tu restais blasée, on aurait dit que tu avais vu un fantôme.

Je reprends mes esprits.

— Ah, c’est moi qui m’excuse. J’étais dans mes pensées, je ne t’avais pas vu.

Je suis toujours en permanence, et rien n’a changé. Clay est toujours à l’opposé, ainsi que le reste de la moitié de ma classe.

— Hum, c’était bien, le cours de français ?

Je tourne ma tête vers Simon, qui n’a pas bougé. Je remarque alors qu’il est blessé sur la joue. Un petit trait rouge. Je suis certaine qu’il ne l’avait pas, plus tôt, à huit heures.

— C’était horrible. Tu t’es fait quoi à la joue ?

— Je n’ose pas imaginer. Oh, ça, c’est un ami qui ne sait pas se servir correctement d’un compas qui a crû qu’il pouvait faire des combats de compas en cours de maths. Voilà le résultat.

Je ris.

— Avec un peu d’entraînement, il finira par maîtriser l’art du compas.

— Tu crois ?

— Qui sait ?

Il me sourit et je fonds presque sur ma chaise.

— À quoi est-ce que tu pensais ? me demande-t-il en devenant plus sérieux, tout à coup.

Je ne sais pas quoi répondre.

— Euh, rien en particulier.

Il n’insiste pas plus, heureusement. Je tourne la tête vers Marion qui vient d’arriver d’un pas déterminé dans la salle.

— Aïe, ça va chauffer, me murmure Simon.

Elle s’arrête devant tout le monde, poings sur les hanches.

— OH ! Ici, c’est un lieu pour TRAVAILLER ! Pas un salon de thé !

Tout le monde se tait et se retourne vers elle en sursautant. C’est à ce moment que nous regrettons de ne pas être sortis du lycée pour l’heure et d’avoir préféré rester dans cette salle. En même temps, il fait froid, dehors.

— Le prochain qui parle, c’est dans le bureau du principal !

J’entends un gloussement. Je tourne légèrement la tête pour apercevoir Clay qui se retient de partir en fou rire.

— Ça te fait rire, toi ?

Simon profite de ce moment de distraction pour se glisser sur la chaise à côté de moi.

— C’est sûr que son copain l’a larguée ce week-end, me chuchote-t-il.

Je souris en me retenant de rire. Clay est en train de se faire savonner par Marion, et il a arrêté de rire débilement. Tous deux finissent par quitter la salle, direction le bureau du principal. Tout le monde souffle dès que Marion est partie.

— Et bien, j’ai l’impression qu’elle est encore plus énervée que d’habitude, me dit Simon.

— Oh non, elle est toujours comme ça, à l’internat.

— Elle devrait changer de métier, franchement.

— C’est clair.

Je suis déstabilisée par son regard qui reste rivé sur mon visage.

— Pourquoi est-ce que tu es en internat ?

Je ne me suis pas attendue à cette question. C’est pourtant ce qu’on me demande souvent.

— Et bien…mon père est décédé et ma mère ne voulait plus de moi. Donc j’ai dû venir ici.

— Tu n’as personne d’autre, dans ta famille ?

— Si, ma grand-mère. Je passe les week-ends chez elle, mais tu sais, avec la vieillesse, ça lui arrive même d’oublier mon nom.

— Hmm, je vois.

— Et toi ?

Je remarque une once de tristesse dans son regard qu’il tente de dissimuler.

— Mon père est parti quand j’avais huit ans. Et ma mère ne s’occupait plus de moi.

— Pourquoi ?

Il soupire. J’ai touché un point sensible.

— Je n’aime pas trop en parler. Mais je vais te le dire, même si on ne se connaît que depuis ce matin. Après le départ de mon père, ma mère s’est effondrée. Elle a été virée de son entreprise, et elle passait ses journées dans le canapé ou au bar à boire constamment. Et pendant ce temps, moi, je me faisais harceler à l’école parce que j’étais en sous poids car je ne savais pas vraiment cuisiner, à neuf ans. J’ai dû me débrouiller seul pendant des années, puis ma mère a été envoyée en hôpital psychiatrique. Alors, je suis ici.

— Et le reste de ta famille ?

— En Suède. J’ai un grand frère, là-bas. Ils ont préféré rester dans notre pays d’origine. Et comme je ne sais pas parler suédois et que j’aime bien ici, et bien, j’ai choisi de rester.

— Je comprends.

Je ne sais pas quoi ajouter.

— Qu’est-ce que tu aimes dans la vie ?

Cette fois, je m’y suis encore moins attendue. C’est la première fois depuis de nombreuses années qu’on ne m’a pas posé la question. D’autant plus que, comme je l’ai dit, je ne parle jamais de moi. Enfin, presque jamais.

— Je l’ai déjà dit, dessiner, la danse…

— Je ne parle pas de ça, mais de tes goûts. Genre la bouffe, les livres ou même des films.

— Ah…et bien...les glaces à la vanille.

— Même pas au chocolat ?!

— Je préfère la vanille.

— Pauvre chocolat.

— Sinon, à part ça...les fraises aussi. Et les beignets de calamar.

— Qu’est-ce que tu préfères ?

Je réfléchis un instant.

— Les sorbets au citron.

— Tu me croirais si je te disais que j’adore les sorbets au citron ?

— Ça dépend.

— Et bien, je suis aussi un grand fan de sorbets au citron.

Un autre point en commun. Peut-être que nous ne sommes pas tellement différents, au final.

— Quoi d’autre ?

— Hum...le livre que je lis en boucle depuis des années ?

— Qui est ?

— Nos étoiles contraires.