Inclassable - EDITH LASSIAT - E-Book

Inclassable E-Book

EDITH LASSIAT

0,0

Beschreibung

« J’avais une sensation intime, que mes talents pourraient quand le temps serait venu, être semés ailleurs pour une autre récolte. L’humain, l’amour de l’autre, l’intuition, la poésie avaient probablement d’autres destinations, que la valeur ajoutée d’une marque... J’ai interrompu une vie dans laquelle mon désir de reconnaissance et de statut social était comblé. Une vie dorée comme une carte de visite des beaux quartiers. J’ignorais cependant que de mystère en mystère, je quitterais le chemin de la réussite pour celui de la vérité. Et redeviendrais vivante. »

« Inclassable » est un récit singulier, intense, inspirant. 


À PROPOS DE L'AUTRICE 

Le témoignage d’EDITH LASSIAT, femme aux 1001 vies qui a décidé de suivre sa voie hors des sentiers battus. Elle revisite de sa plume poétique et incisive, 21 moments forts de son parcours atypique: du monde du luxe à « Lady Chaman ».
À la fois auteure, journaliste et artiste, elle explore et utilise sa capacité singulière de dépasser les premiers niveaux de connaissance intérieure et se connecter à l’invisible, pour explorer les mondes les plus profonds auxquels elle a accès.
Aujourd’hui elle mentore des dirigeant(e)s en France et à l’international. Elle leur offre son expertise unique pour les aider à rayonner et accoucher de leur propre puissance.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 227

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Couverture

Page de titre

PRÉFACE POUR UNE AMIE

Il y a eu les Mille et Une nuits, et il y a Edith.

Mille et une Edith qui échangent, déclarent, affirment et cohabitent avec intelligence, en se partageant, selon l’heure du jour et l’humeur de la capitaine, son existence.

Rencontrée en 2020, lors du « grand n’importe quoi », d’abord virtuellement, malgré ces seuls petits soixante-cinq kilomètres qui nous séparaient en Charente-Maritime, Edith m’a ouvert son monde et son cœur.

Puis en de longs échanges, au gré de nos promenades, ci et là, nous avons confronté nos émotions, nos rires et parfois nos pleurs. Chanté en voiture, cuisiné – elle plus que moi – et parlé longuement et à tous propos. Dans des endroits toujours choisis.

Elle me faisait l’amitié de me lire, j’admirais l’éclectisme de son œuvre, et sa capacité à capter son monde autour d’elle. Sa dévotion à un hédonisme dont elle est la grande gardienne officielle.

Nous avons su être ensemble sans fards, sans masques, ainsi que des femmes sages et folles, seules, savent être.

Edith se définit comme chamane, enivrée de l’amour et entichée de l’élégance. Une de ses mille vies.

Son ouvrage n’est pas un livre, mais mille et un contes joués et déclamés par une prêtresse publiquement consacrée du beau et du non-ordinaire.

Edith n’a pas de ligne d’horizon, comme les flots, elle est multi-directionnelle.

Ne la cherchez pas, elle est déjà ailleurs. Cherchant encore et viscéralement.

Une autre version de l’histoire sans fin vous attend en feuilletant ces pages.

En toute amitié.

Nadalette La FontaÉcrivaineArcachon, le 20 Mai 2023

« CHAMANE CONTEMPORAINE » DRÔLE D’OXYMORE, ME DIREZ-VOUS !

Je ne joue pas au tambour, ne m’entoure pas d’attrape-rêves, mon apparence est tout à fait urbaine, élégante… Et pourtant !

On m’appelle depuis longtemps « Lady Chaman ».

J’ai un lien direct avec l’Invisible.

Ma vision du Chamanisme s’exprime en termes simples :

« Mettre notre espace intérieur en résonance profonde avec l’espace extérieur, pour retrouver une Paix intime, le Sacré en Soi et hors de Soi, et atteindre une forme de grâce.

Une connexion sans limite, quantique, avec l’Autre et avec l’Ailleurs. »

À MES CHERS LECTEURS ET LECTRICES…

Il n’est jamais assez tôt.

Il n’est jamais trop tard.

Pourquoi maintenant me direz-vous ?

Sans l’accouchement de ce livre, sans cette traversée, cette autorisation à explorer ma route et me dévoiler, je ne pense pas que j’aurais pu devenir la femme que je suis. Oser mes possibles, ouvrir mes cadeaux, mes canaux et mes rêves pour transmettre ce que la mentore d’aujourd’hui peut offrir au monde.

Les gens sans faille n’ont pas d’histoire.

Il est des passages indispensables pour naître à soi-même.

Mais ce n’est que par le mot et l’accès symbolique que cela peut se faire.

Savoir pourquoi vous êtes vous-même…

Et Dieu sait que vous l’êtes !

Il devient indispensable que l’humanité formule un nouveau mode de pensée si elle veut survivre et atteindre un plan plus élevé.

Albert Einstein, 1879-1955

CE LIVRE A UNE HISTOIRE SINGULIÈRE.

« Il est porté par les anges »…

Deux de ses nouvelles, celle du « Fœtus » et « L’homme aux yeux bleu de mer » ont été retenues dans un concours en 2010 par l’éditeur « du Bord du Lot ».

Puis il a été rebaptisé dans un rêve bien étrange…

Je le dédie aujourd’hui, à mon ami Pierre-Louis Humbert.

Pierre-Louis nous a quittés, il fut mon accoucheur. Présence empathique et parfois silencieuse, il m’a permis d’oser. Oser dire l’indicible, passer de la plume de critique d’art à celle de l’intime.

Il a ouvert une porte, celle des possibles, si longtemps retenus.

21 nouvelles en sont nées, qui évoquent les pépites placées par la Vie sur mon chemin et m’ont menée à moi-même. 21 contes pour vous relier à vos propres multiples.

C’est la découverte muette de sa plume d’exception qui déclencha mon propre désir, celui d’oser écrire, et engendra notre rencontre puis notre amitié.

Du « Moi-Peau » et du « Roseau de flanelle », à « Homme blanc long nez » ou sa « Machine d’Afrique », ses livres et ses mots avaient une délicatesse princière, une sensualité torride et une pudeur extrême.

Brûlants de réserve, des mots d’oxymore qui sont gravés dans mon cœur. Ces mots qui l’emportaient hors du réel dans un champ de poésie totale et fougueuse.

Il les lisait comme un amoureux, comme un fou, comme un élu. Ils étaient sa raison de vivre, son souffle intime, sa singularité inclassable…

Cher Pierre-Louis,

Vous nous avez quittés. Si vite, dans un souffle.

« Inclassable… »

C’est votre dernier message, cette nuit avant de nous quitter, vous m’avez soufflé ce titre. Chuchoté au cœur de mon rêve étrange. Le titre de ce livre, né de notre rencontre. Vous étiez une oreille précieuse.

Cette nuit curieusement, vous êtes passé me voir, comme un Ange, en catimini, au cœur de mon rêve, ici à Chassagne, ce lieu magique que vous avez tant aimé où nous vous attendions en convalescence…

Nous avions tant parlé de ces présences étranges que nous appelions ensemble « Les clins d’œil des Anges ». Vous n’y croyiez pas vraiment, nous nous battions sur ce sujet brûlant, ma folie vous amusait, nos folies se conjuguaient, pourtant, vous n’y avez pas échappé, vous êtes venu. Merci…

Vous m’avez saluée, une dernière fois. Désormais, seule votre âme de poète sera ici à nos côtés lorsque vous en éprouverez le désir, de là-haut, au pays de la Lumière. Nous vous y accueillerons avec joie, comme toujours …

Edith, 29 Mai 2010

La vie est notre mentor le plus précieux.

Pierre-Yves Jestin, né en 1973

PROLOGUE

On ne vit pas la vie des autres …

On ne vit pas sa vie pour les autres …

Je me suis longtemps glissée dans les attentes partiellement formulées de mes parents. Puis dans celles de la société et du monde qui m’entourait. J’y cherchais une forme de reconnaissance, de validation.

Les schémas familiaux construisent souvent une grande partie de nos vies.

Mais est-ce qu’ils construisent nos rêves et nos désirs profonds ?

Je suis arrivée, presque par hasard, dans un univers fascinant et brillant. L’univers du Luxe.

Gratifiant aux yeux de nos contemporains.

Fidèle à ma programmation, j’ai, pendant 17 ans, suivi un chemin professionnel dense. Valorisé. J’y ai rencontré des personnes connues et reconnues, beaucoup appris, donné et reçu.

Je réparais l’indicible, en bon petit soldat.

Ma nature a fait le reste.

Intuitivement, j’ai orienté cette route vers ce qui me remplissait, parfois inconsciemment. Mais avec une détermination invisible.

J’ai côtoyé des créateurs réputés et de grand talent. J’ai voyagé, loin, de plus en plus loin, appris des langues. Une langue étrangère, ce sont d’autres mots, nouveaux, ceux de l’autre. Ça développe l’empathie, ouvre de nouveaux schémas de pensée, élargit l’esprit et assouplit les synapses.

J’ai construit des projets avec des équipes, car avant tout, ce qui me faisait avancer, vibrer et réussir, c’était le partage.

Quand il fallait avancer, c’était ensemble.

Ma force, c’était cela, le lien à l’autre.

Et pourtant, je ressentais, dans toute cette vie, un appel, silencieux, mais suffisamment puissant pour qu’il se manifeste très tôt.

Je n’ai jamais été totalement dupe des apparences brillantes de cet univers qui m’accueillait.

Je n’y avais pas ma place profonde, ce qui m’animait était en contradiction avec les paillettes et ce que l’on y projette. Il existe parfois un plafond de verre, invisible mais réel, celui qui nous sépare d’une communauté parce que nos valeurs sont différentes.

C’est de l’ordre du non-dit, c’est subtil et c’est pourtant une évidence.

J’avais une sensation intime, que mes talents pourraient, quand le temps serait venu, être semés ailleurs, pour une autre récolte. L’humain, l’amour de l’autre, l’intuition, la poésie avaient probablement d’autres destinations, que la valeur ajoutée d’une marque, et ma structure de pensée pourrait nourrir de manière plus riche d’autres créations que des plans marketing.

J’ai rompu avec une tradition familiale, au risque de briser mon image au sein de l’écheveau générationnel. Interrompu une vie dans laquelle mon désir de reconnaissance et de statut social était comblé.

Une vie dorée comme une carte de visite des beaux quartiers …

Car je l’entendais, au fond de moi, petit à petit, un vide se creusait, une soif d’autre chose.

D’authenticité, de vérité.

C’était au début un petit ruisseau qui s’asséchait, la source semblait tarie ou bloquée. Je ressentais au cœur de moi-même un manque étrange et difficile à identifier dans la chance et l’apparente richesse de cette vie.

Une voix intérieure m’intima de prendre un chemin de traverse.

Sans idée réellement préconçue, juste sensible à mon ressenti profond, confiante, je me suis mise en route.

J’ignorais cependant que de mystère en mystère, je quitterais le chemin de la réussite pour celui de la vérité.

Et redeviendrais vivante.

Terminé le 5 août 2008.

LE FIL DE L’HISTOIRE SANS FIN…

Erreur de casting
Premier saut
Leçons de code
Les clins d’oeil des anges
L’homme aux yeux de mer
La femme qui fabriquait ses chaussures
A tempera
Maxime
L’ami du vent et du cosmos
Clins d’oeil des anges 2
Le foetus, retour a la terre …
Judie. L’oncle d’Amerique
Le tigre et la gazelle
Maîtres de papier
La face occulte - Un bien étrange druide
Le murmure de l’arbre
Nécessité intérieure
Comedia del arte
Bodies, the exhibition
Janus, phénomène et illusion
Le dragon dans les nuages - Saynètes chinoises

Le seul tyran que j’accepte sur cette terre, c’est ma petite voix intérieure.

Gandhi, 1869-1948

Ça commence parfois par une drôle d’impasse…

20 Sept 2003

Chère artiste,

Dans le cadre de notre prochaine manifestation d’Art Contemporain, vous trouverez ci-joint votre dossier d’inscription.

Veuillez nous transmettre les éléments complets avec les photos de vos œuvres et votre biographie.

« La Direction de MAC 2000 »

Ma bio…

A chaque fois, je ressens le même désarroi.

Comment résumer des mondes que tout oppose et exprimer une cohérence en quelques lignes ?

Comment gommer « le SOI », l’intime sans lequel rien ne tient, « bouts de ficelles et selles de cheval » disions-nous enfants.

Dire ce qui est, dans sa diversité, dans sa réalité parfois étrange, bribes de soi si distinctes que l’on en perdrait le fil…

Accueillir ce que l’on porte intrinsèquement.

Peut-être faut-il simplement remonter le temps.

La destination du chercheur dépend de la route qu’il suit.

Mohyiddin Ibn Arabi, 1165-1240

ERREUR DE CASTING

1974. Études de Commerce.

On n’y arrive pas par hasard. Et pourtant…

J’ai 17 ans. Mon frère a ouvert la voie, je rentre dans ses pas, comme ça, simplement, sans autre désir que d’avancer et un premier sillon se trace.

Dès le début, je me sens un peu décalée et je perçois très vite que je vais faire du slalom.

Surfer entre l’image du futur cadre et l’« Alien » qui sommeille en moi, un monde intérieur impérieux, chargé d’une conscience de la symbolique. Et d’une poésie envahissante, presque lyrique.

Dans les années 80. L’icône auto proclamée s’appelle Séguéla. Sulitzer multiplie les Best-Sellers, « Cash », « Money », la gauche est couleur caviar et rose pastel, c’est le début du « tout-marketing », de la pub Dim. De la consommation reine. Da-da-da-di-dou-dam…

La planète commence à souffrir, mais cette conscience est encore bien occultée par les valeurs de l’époque, l’injonction du « Tout, tout de suite ».

Nous sommes les filles des premières féministes.

Elles nous ont ouvert la route de l’émergence de la femme. Il faudra des années pour ancrer les changements de mentalité. Elles se sont battues, pour être reconnues dans leur existence propre. De lunaires, elles deviennent des femmes solaires. Déterminées, ambitieuses, consommatrices.

Notre génération a une dette. Elles ont défriché, nous allons conquérir.

Et il y aura du travail.

De monolithiques, elles deviennent potentiellement multiples et puissantes. Nos mères seront fières, le monde de demain sera féminin… ou ne sera pas.

Ma mère elle-même était promise à ces études, interrompues par la guerre et la rencontre de l’amour, c’est donc moi qui vais réparer l’inachevé. Elle devait faire HEC, je ferai Sup de Co, réparant cette frustration, cette blessure inconsciente.

Tout aussi involontairement, je vais répondre aux souhaits inconscients de mon père et à beaucoup d’autres injonctions silencieuses.

Mais cela, il me faudra des années pour en dénouer tous les fils invisibles.

Et comprendre cette « erreur de casting ».

Pour accepter cette tension permanente éprouvée au sein de mondes séduisants que j’allais être amenée à découvrir. Ne pas être dupe. Savoir que l’on boit à la coupe, ne pas s’y noyer, distinguer l’Ego de l’Être. Ne pas être réduite à une carte de visite, aussi dorée soit-elle.

Dans l’ombre des grands patrons, il y a peu de place pour s’épanouir.

À cinquante ans, je regarde cela avec une distance amusée.

L’Amérique nous proposait deux rêves opposés, le rêve hippie et le rêve des business schools, j’avais opté pour le second.

L’ESC Lille était à l’image de l’univers anglo-saxon, fascinant et prometteur. On y parlait de campus, de cursus, on y lisait Harvard Business Review, édité par l’Université non moins célèbre, on dévorait le magazine L’Expansion. Le Graal pour tout étudiant en management !

Le modèle était résolument Outre-Atlantique.

On se préparait à dominer le monde. Les grands groupes nous attendaient, en bataillons de futurs cadres dirigeants, belles dents longues, fleur au stylo.

On y parlait management, mastères, ambition et surtout salaires de sortie.

« Les plus de 100.000 » affichait sobrement L’Expansion dans sa rubrique « Postes à pourvoir ». Belle ligne d’horizon.

Je me méfiais des conditionnements, des comportements grégaires et sectaires. Des uniformes.

L’homo-economicus a toujours aimé porter la cravate, les mocassins bien cirés et l’attaché-case. Parfaite panoplie du futur cadre. En représentation.

« La Lady-economica » s’active dans un tailleur légèrement masculin, anthracite, les bas noirs sont signés Wolford et elle domine le monde perchée sur ses escarpins à talon en cuir fin. Parfaite pour le rôle. À New York, elle porte des tennis pour aller au bureau et glisse ses belles chaussures inconfortables dans son sac à dos…

Fort heureusement, dans ma promo plus marginale, il y a aussi quelques personnages atypiques, des jeunes moins formatés, parfois carrément originaux, résolument hors du moule, adeptes des « Libres enfants de Summerhill », de voyages intérieurs, libres et décalés, avec lesquels je découvrirai d’autres cultures. D’autres regards. D’autres sensibilités.

La vie s’ouvre sur un monde de possibles, j’embarque, prête à conquérir, prête à faire et défaire les valises, à me fondre dans un monde nouveau et vertigineux.

Un monde de « JE », de jeu et de pouvoir.

Je vais jouer !

Note de bas de page

« Summerhill, est l’aventure d’une école autogérée fondée en 1921 dans la région de Londres. Son fondateur, le psychanalyste A. S. Neill [...], a mis les découvertes psychanalytiques au service de l’éducation. » « Libres Enfants de Summerhill, publié aux éditions François Maspero en 1970, dix ans après sa première publication à New York et dans le bouillonnement de l’après-Mai 68, est devenu en quelques années un best-seller ».

Ça commence par

Être jeune, c’est être spontané, rester proche des sources de la vie, pouvoir se dresser et secouer les chaînes … oser ce que d’autres n’ont pas eu le courage d’entreprendre

Thomas Mann, 1875-1955

PREMIER SAUT

Au beau milieu des paquets et des cartons de déménagements, je suis prostrée. L’appartement est jonché de souvenirs, en complet désordre et je suis terrorisée.

Mais qu’est-ce que j’ai f… ? Je suis complètement folle.

Mon père avait raison, je suis folle.

J’ai 23 ans ; je viens de quitter, après deux années intenses, mon premier poste, qui m’avait pourtant envoyée à New York, à Miami, en Allemagne, en Autriche.

Un beau job avec de vraies responsabilités. Développement de cinquante boutiques de papier peint en Bavière et en Autriche, à Vienne, Graz, Linz.

Avec en prime, la découverte des jalousies de jeunes loups BCBG déjà bien installés dans la place et défendant âprement leur territoire, dont le comportement va très vite se révéler un poison sexiste.

Dans les années 80, les femmes doivent bâtir des espaces de reconnaissance dans l’univers professionnel, rien n’est encore acquis. Les hommes veillent.

Ceux-ci, chics sous tous rapports et au demeurant fort intelligents, ont résolument formé un clan très serré ; ils se retrouvent entre eux le week-end, leurs belles épouses blondes et leurs enfants, short marine et chemise blanche, réservés et tellement bien élevés, jouent au tennis et prennent le goûter ensemble. Ils partent aussi à la mer, à Stella – à prononcer [StellAA] – petite station balnéaire très mode, proche du Touquet.

Toujours en tribu. Une parfaite pub pour « Côte Ouest », entre Cyrillus et Burberry.

Je ne suis pas des leurs. Je me sens plus libre, plus artiste, célibataire hors des stéréotypes et autres héritages familiaux. J’ai profondément envie d’autre chose que de cette vie formatée bien écrite, d’où rien ne dépasse. Mes rêves me portent ailleurs, loin et libre.

Ils vont (in)consciemment s’organiser pour que j’en paie le prix.

Par des brimades subtiles et récurrentes :

Un oubli de partager des informations capitales, des réunions imprévues qui perturbent tout mon emploi du temps, des petites missions humiliantes et déplacées, je me souviens avoir dû passer une nuit à poser le papier peint sur le stand du salon Batimat, en les attendant frais émoulus le matin pour l’ouverture.

« Allez, ça vous formera », me dirent-ils avec un grand sourire.

Ils avaient dans ce domaine une créativité assez remarquable, sachant franchir subtilement la ligne entre l’expérience et le déni de l’autre.

Dans les études, ça s’appelle du bizutage, dans l’entreprise, c’est du harcèlement larvé.

Nombre de mes amies de l’époque, pourtant brillantes HEC, ont éprouvé cela, d’une manière encore plus tangible bien que très feutrée, dans l’univers bancaire, où les messieurs, en Weston et autres mocassins à pompons, étaient d’une férocité et d’une solidarité inouïe, mettant en place entre eux une véritable société masculine consanguine, bloquant aux femmes les vrais postes de pouvoir.

La perle fut ma mutation en province, alors que je voulais compléter mon parcours de marketing en Allemagne – Autriche, par quelques mois de terrain et de vente.

Entendue, je le fus, je fus même très gâtée…

En fait de terrain, j’ai connu le tout-terrain.

Sur le papier, la distribution régionale de tout le Sud-Est de la France, auprès de nos distributeurs, principalement des grossistes dans le bâtiment.

Réalité : banlieue de Lyon, une secrétaire à tout faire. Un vaste entrepôt, et au-dessus, un « appartement de fonction », avec des souris, une petite famille très active, le papier peint, ça doit attirer les petits rongeurs.

Et, pour que je n’échappe pas tout à fait à mes petits oligarques, obligation de retour au siège, à Amiens, chaque Samedi matin, pour la réunion hebdomadaire fixée à 10 heures, en R5 par tous les temps. Le TGV n’existait pas…

Premier rendez-vous, un client important m’attend, bon prescripteur, vaste bureau, sommairement décoré, et au-dessus de sa tête, un immense calendrier, avec une femme fort généreusement dotée par la nature, lascive, nous sommes en février, elle est fort peu vêtue. Je suis perchée sur mes petits talons et ne sais plus où poser mes yeux, dans les siens, ou sur les magnifiques seins de la brunette cambrée…

C’est le métier qui rentre, bienvenue chez les hommes, les vrais.

Je confirme que le bâtiment est un univers masculin.

J’en ris encore, comme bizutage, c’était réussi. Et ces six mois ont gardé un goût et un parfum d’aventure finalement très drôle.

Après-coup.

Un avant-goût de « Stupeur et tremblements », nous n’étions pourtant pas au Japon, mais en France profonde.

Leur clan s’était mis en place de manière très masquée et perverse.

En douceur, glissement progressif vers l’absurde, je découvre avec ma fraîcheur de femme libre que le harcèlement sexiste existe encore.

Je devine leur mépris, masqué sous un vernis extrêmement civilisé, tellement lisse, un vrai vernis au tampon, pour ces êtres dignes de leur antique lignée d’hommes solides et protecteurs.

Je lis dans leur regard que les femmes, surtout jeunes et pas idiotes, c’est à la maison… pas dans leurs jambes. Ou peut-être dans une alcôve… Egéries, secrétaires et assistantes, stagiaires peut-être, ça peut servir, surtout si elles sont dociles.

En fait ce n’était pas vraiment une découverte, ce sexisme, j’aurais pu le voir arriver, durant mes études à Sup de Co. Nous étions déjà peu nombreuses, une quinzaine de filles sur la promo de 100 étudiants, dont quelques filles d’industriels du Nord, arrivant au campus, très mignonnes, au volant de leurs Autobianchi Abarth et autres Austin, noires de préférence. Quelques-unes y cherchaient ouvertement un mari, futur industriel, comme papa, qu’elles ont parfois trouvé d’ailleurs, devenant de bonnes mères de famille.

Pas de femmes non plus dans le corps enseignant. Le plafond de verre qui séparait les hommes des femmes était une réalité, subtile, masquée mais réelle.

Les garçons portaient avec légèreté la mèche blonde, qu’ils dégageaient d’un petit mouvement de tête charmant, presque dédaigneux, aérien. Le monde leur appartenait.

Loden bleu marine, écharpe en cachemire rouge ou écru, ils avaient leur bouteille de Whisky nominative au club privé sélect de la ville.

Là encore, je me sentais autre.

Dans le monde professionnel, je retrouvais ce sexisme, mais d’une manière un peu plus frontale. 68 avait déblayé le chemin, apporté la liberté des corps, la pilule, mais pas encore modifié celui du monde social. Les réticences masculines ont la peau dure.

Alors, dans un sursaut, je réagis, d’instinct, et je démissionne, vite, sans trop y penser et surtout sans en faire part à qui que ce soit.

Seule. Dans le secret.

Surtout que l’on ne m’en dissuade pas.

Il aurait suffi d’une parole de mes proches et je ne serais pas partie.

Ce grand saut est un appel.

De toute façon, toutes ces responsabilités arrivent trop tôt et me laissent une sensation de me faire mûrir, je dirais presque vieillir, trop vite.

Je ne veux pas devenir comme eux.

Je ne veux pas de cette vie-là.

Je n’ai même pas eu le temps de me rencontrer vraiment.

Un amant parisien me dira avant mon départ, qu’il sentait que je devais « jeter ma gourme ».

Cet appel étrange, comme une injonction, il me faut l’entendre et plonger.

L’eau est froide, tant pis, raison de plus pour ne pas hésiter.

Sans filets. J’ai signé ma lettre de démission, ma décision est irrévocable. C’est seulement à ce moment-là, que j’appelle ma grande amie Patricia. Elle a aussi un très bon job, dans la grande distribution, un fiancé et une sœur qui a passé un an en Amérique du Sud.

Je lui demande si elle a envie que nous partions sur ses traces et prenions ensemble une année sabbatique.

Après un week-end de réflexion, de doutes, d’angoisse, elle se décide. Ce sera oui. Nous allons entamer un des moments forts de notre vie.

Reste à l’annoncer à mon père.

Ça le rend fou, il est atterré, menace de « me déshériter », s’effondre, se ferme.

Quelques mois plus tard, il m’écrira en poste restante à Lima, en réponse à ma première lettre :

– C’est maintenant ou jamais. Alors que tes contemporaines vivent en monochromatique, tu as choisi une vie haute en couleurs. Tu as raison, je suis fier de toi. Fonce !

Nous choisissons de partir en charter, billet open, Amsterdam – New York – Lima. Retour de New York. Entre les deux, une année, 5 $ par jour et une vie à écrire.

Jusqu’à ce que j’arrive à l’aéroport, je vis dans une angoisse indescriptible, ce n’est que posée dans l’avion, que tout s’ouvre en moi, et que je prends brutalement conscience de la chance incroyable que nous avons de pouvoir vivre et partager une telle aventure.

Je me sens boulimique et veux tout tester, tout apprendre. Dévorer le monde. Sentir mes ailes pousser.

Arrivée au Pérou, notre seul travail, c’est de choisir entre un départ vers le Nord, le Sud ou vers l’Est. Le coup d’État annuel Bolivien bloquera la route du Sud et nous donnera la direction, ce sera donc le Nord. Equateur, Bolivie, San Andres, Guatemala, Mexique…

Le Pérou, c’est à lui seul, une représentation de carte postale, un condensé de tous mes imaginaires sud-américains. La Cordillère et ses lamas, le Machu Picchu et Tintin, l’Amazonie, le désert, les marchés indiens, l’Altiplano, Miraflores, banlieue chic de Lima, petite ville européanisée… Belle transition avant l’aventure.

Ma vision est simpliste, naïve mais d’une extrême fraîcheur.

J’ai des ailes. Nous allons bourlinguer par tous les moyens possibles, surtout les moins chers.

Ce voyage est l’opportunité unique de couper les amarres, vivre une vraie aventure, la simplicité des rencontres, la qualité des liens ; chaque jour est une nouvelle page à écrire, tout est possible, une envie, une suggestion d’un voyageur de passage, tout est matière à décider. Partir ou rester quelques jours, connaître même les moments d’ennui, de doutes.

C’est cette aventure au quotidien qui en fera une véritable expérience humaine. Sans filets, seulement à l’écoute de nos désirs, sac à dos toujours prêt à décoller, des livres et des rêves plein la tête.

Nous allons sillonner la Cordillère et prendre le train mythique des Andes, avec ses trois classes et son ambiance « Nescafé », nous y croiserons des Indiennes aux costumes colorés donnant le sein à leur bébé, le plus naturellement du monde. Emprunter les « collectivos », taxis collectifs, des voitures antédiluviennes, des véhicules de rebut américains. Faire de l’autostop, prendre des bus dont la suspension a depuis longtemps expiré, où le klaxon remplace le frein, la vierge en plastique accrochée au rétroviseur faisant office de protection absolue. Talisman polychrome, superbe, altier.

Ici, on se signe d’abord, on klaxonne ensuite et si nécessaire, on pile.

Nous allons aussi emprunter des petits zincs, coucous improbables habitués à survoler l’Amazonie, on y décharge les quartiers de bœuf avant de nous faire monter.

Nous décidons de sillonner ce pays aussi longtemps que nécessaire, au fil des jours. De coïncidences en opportunités, nous y resterons deux mois et demi.

Autour de nous, d’autres aussi font « la route », je ne me sens pourtant pas non plus dans cette énergie de routard, trop marquée « amour, paix et LSD », détachée du réel. Mais je me sens aventurière malgré tout. Curieuse de découvrir une autre partie de moi-même, d’explorer un monde différent. D’apprendre, d’autres langues, d’autres cultures, d’autres regards, d’autres odeurs.

C’est l’époque à laquelle je côtoie avec une petite trace de convoitise, « ces routards babas-cool », grands fumeurs de pétards. Ils font des « trips » et en parlent comme de « trucs extraordinaires ».

Je repense à Muriel Cerf et à son sublime roman « L’antivoyage ». Ce tableau sensuel de ses pérégrinations en Inde, écrit d’une plume flamboyante, contrepoint lyrique aux récits des hippies chevelus, livre de chevet que j’emmène dans mon périple. Ecriture olfactive, jouissive, vibrante.

Je me sens appartenir au monde des baroudeurs, des découvreurs, des esthètes et je commence mes carnets de croquis en écumant les Alliances Françaises.

Au « Guide du Routard », je préfère une autre bible, le « South american handbook ».

Bien sûr, je suis attirée moi aussi par l’ailleurs, fascinée par la liberté, mais pas comme ça, les drogues me font peur, je sais qu’il existe autre chose, à découvrir, à écrire… Autrement.

Ce monde de substances m’attire et me repousse et je le refuse. Un écho se fait en moi, comme une petite alarme, qui rime avec danger final, avec risque de se perdre, relâchement et inconscience.

Je préfère résolument les petits pots de basilic à ceux de cannabis pour mes salades.

Nos aînés de 68, nous ont précédés et ont semé des graines de possibles, de liberté dont le parfum est très présent avec de beaux restes de slogans :

« Nous voulons tout, tout de suite. Il est interdit d’interdire ».