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Alors qu’ils dispersent les cendres de Diane, Marc, Kevin et Laura mettent à jour une petite boîte métallique enfouie dans les flancs de la dune du Pilat. Son contenu leur permettra de suivre la trace de celui qui l’avait dissimulée dans le sable, près de quatre-vingts ans plus tôt. C’est le début d’une histoire troublante dans laquelle hier et aujourd’hui pourraient bien être connectés. La vie est-elle un éternel recommencement ? Est-ce que toutes les coïncidences sont dues au seul hasard ? Faut-il y déceler des signes que nous enverraient nos défunts ? Marc se lancera dans des recherches qui le conduiront jusqu’en Inde dans l’espoir de retrouver celle qu’il a tant aimée et dont il n’admet pas la disparition.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Didier Kimmel a résidé, pendant sa jeunesse, à Versailles, au théâtre Montansier, ce qui lui a permis de s’initier aux pièces classiques et de parcourir les jardins du château qu’il connaît dans ses moindres détails. C’est de cette époque que son goût pour les mots, la littérature, l’art et la nature s’est révélé avec l’intuition qu’un jour, il parviendrait à faire bon usage de toutes ces données assimilées.
Après
Les roses bleues – Si aimer pouvait se conjuguer au pluriel publié en 2021, il signe, avec
Je ne serai jamais loin de toi, son deuxième roman.
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Seitenzahl: 289
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Didier Kimmel
Je ne serai jamais loin de toi
Roman
© Lys Bleu Éditions – Didier Kimmel
ISBN : 979-10-377-8387-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
Les roses bleues – Si aimer pouvait se conjuguer au pluriel, Le Lys Bleu Éditions.
À Raymonde et Jean
Es-tu encore là, simplement invisible mais pas absente ?
Oui, je veux croire qu’une partie de toi a poursuivi son chemin.
La vie ne peut pas s’arrêter comme ça.
Et d’ailleurs étais-tu quelqu’un d’autre, hier ?
Les disparus embellissent dans le souvenir.
On les habille toujours de leur sourire le plus clair.
Antoine de Saint-Exupéry
Six heures du matin est une heure assez inhabituelle pour se hisser en haut de la dune du Pilat mais il était indispensable qu’ils se retrouvent seuls à son sommet. Lorsqu’ils débutèrent son ascension, ce 3 mai 2021, ils n’avaient pas le cœur à converser. Ils restèrent silencieux et le visage fermé. C’est Marc qui ouvrait la marche, il avait emporté avec lui un bouquet composé de sept roses bleues qu’il avait réussi à dénicher chez son fleuriste habituel à Bordeaux. Kevin et Laura qui portaient un petit sac à dos le suivaient et c’est Laura qui fermait la marche. Ils avaient choisi tous les trois de se rendre très tôt au sommet de la dune ce jour-là car ce qu’ils allaient y faire nécessitait qu’ils soient seuls pour accéder à une intimité partagée indispensable.
Arrivés au sommet, et bien qu’ils soient les seuls visiteurs de si bon matin, ils s’éloignèrent de la zone où les touristes ont l’habitude de s’amasser pour admirer le spectacle panoramique extraordinaire offert sur le bassin. Ils empruntèrent la crête, en partant sur la gauche en direction de l’océan.
Leur progression ralentit après un peu plus d’un kilomètre parcouru dans ce sable si fin qu’il complique singulièrement l’avancée des marcheurs. Marc suggéra que Kevin réfléchisse à un emplacement légèrement en contre-bas de la crête pour faire face au bassin. C’était un moment particulièrement important et il était indispensable que ce soit lui qui détermine précisément l’endroit où ils allaient déposer les cendres de Diane. D’ailleurs, il s’était arrêté spontanément de marcher avant même que Marc le lui propose. Oh, ils avaient pleinement conscience de ne pas être dans le respect de la loi qui n’autorise pas de disperser des cendres humaines sur le domaine public mais ils avaient décidé de passer outre. De toute façon, le vent aura tôt fait de les entraîner pour qu’elles aillent rejoindre les eaux du bassin et de l’océan.
Kevin s’était décidé. Il était persuadé que l’emplacement choisi était exactement celui qu’aurait aimé sa mère. C’était certain ! La magie de ce spectacle magnifique depuis la dune quelle que soit l’heure de la journée, celle du banc d’Arguin sur lequel elle s’était rendue à plusieurs reprises, cette luminosité et ces couleurs si changeantes, ces étendues d’eau parfois si calmes mais également capables de se déchaîner, ces oiseaux si joyeux de les survoler et toutes ces embarcations colorées l’auraient ravie, sans aucun doute.
Kevin ouvrit délicatement son sac à dos pour en sortir l’urne cinéraire qui contenait les cendres de sa mère. Marc tapota légèrement le sable pour aménager une petite surface bien dégagée et propre pour les accueillir. Laura tenait les roses que son père lui avait remises et observait Marc et Kevin, visiblement terriblement bouleversés. Kevin déposa l’urne au sol et ils formèrent un cercle tous les trois autour d’elle, en se tenant les mains. Ils se recueillirent ainsi quelques minutes, sans dire un mot, tout juste accompagnés par le ressac des flots en contrebas. Puis Kevin ouvrit l’urne et déposa une partie des cendres de Diane sur la petite plateforme creusée à même le sable. Les larmes qui s’écoulaient sur ses joues finissaient leur course sur les cendres mêlées au sable. Ensuite, il demanda à Marc et à Laura de l’imiter pour finir de la vider.
Chacun à leur tour, ils déposèrent alors une poignée de sable sur les cendres, et, Laura, un coquillage auquel elle tenait beaucoup et qu’elle avait trouvé quelques années plus tôt sur la grève océanique du banc d’Arguin. Ils observèrent encore quelques minutes de silence. Dans le ciel, quelques sternes semblaient rendre hommage à Diane, en poussant leurs cris caractéristiques, tout en se laissant porter par le vent pour survoler le petit groupe.
C’est alors que Kevin décida subitement que l’urne devait rester sur place. Il désigna un emplacement situé un peu plus loin sur la crête, côté forêt de pins, sans savoir pour quelles raisons, il avait choisi spontanément cet endroit précis, au beau milieu de cette immensité de sable. Marc se chargea de creuser un trou aussi profondément qu’il le pouvait à l’aide d’une petite pelle que Laura avait emportée. Alors qu’il achevait ce trou, il heurta un objet métallique qui ressemblait à un débris d’assez petites dimensions enveloppé dans ce qu’il restait de lambeaux de toile de jute. Contrarié qu’un déchet abandonné puisse venir troubler leur projet, il la jeta, un peu plus loin, sur le côté. Une fois l’urne enfouie et recouverte, ils décidèrent de s’asseoir, les uns à côté des autres, face au bassin, et de prendre le temps de contempler cet incroyable panorama, cette immensité naturelle dans laquelle les cendres de Diane venaient de trouver leur place pour l’éternité.
Lorsqu’ils se relevèrent, et avant d’entamer la descente, sans savoir pourquoi, Laura plaça machinalement le petit débris qui avait été exhumé dans son sac à dos.
Parvenus en bas de la dune, tout près des eaux bouillonnantes, ils y jetèrent les roses bleues porteuses de tant de souvenirs partagés entre Marc et Diane. Au début, elles étaient agitées et bousculées par les vagues puis rapidement, les courants commencèrent par les éloigner du bord de la grève. Au bout d’un moment, il n’était plus possible de les distinguer. Ces roses étaient porteuses d’un amour passé, celui que Marc et Diane avaient vécu ensemble et qui avait débuté précisément par un bouquet de ces merveilles. Quel symbole plus fort aurait pu l’incarner ?
Déjà huit heures et il fallait rentrer ! Ils n’avaient pas le choix, ils grimpèrent à nouveau la dune puis la redescendirent sur l’autre versant pour retrouver leur véhicule qu’ils avaient garé sur le parking. Pour un exercice physique matinal, c’en était un ! Mais cette marche permettait aussi de réintégrer lentement le monde des vivants, comme s’il s’agissait de réaliser un palier de décompression après une plongée en eau profonde. Tous les trois débutèrent l’ascension muets, complètement focalisés sur leurs pensées. Peu à peu, ils échangèrent quelques phrases assez courtes puis les conversations reprirent précisément, une fois franchi le sommet, lorsqu’ils amorcèrent la descente de la pente.
Le moment de tristesse et de mélancolie qu’ils venaient de vivre avec une telle intensité devait s’effacer de leur esprit maintenant ou tout au moins, s’atténuer, dans un premier temps.
La vie continue et le plus difficile perdure pour ceux qui restent et se désespèrent d’avoir perdu un être cher.
La liberté est un bien immense, mais qu’on ne peut goûter qu’à la condition de vivre.
Jules Verne
Ce matin, Fernand fut réveillé par quelqu’un qui tambourinait à la porte. Des coups violents qui traduisaient une impatience évidente et une agressivité certaine. Son père alla ouvrir la porte d’entrée. Face à lui, un représentant de la gestapo. S’il n’avait pas été aveugle, il lui aurait été facile d’identifier immédiatement ce genre d’énergumène dédaigneux et repoussant, persuadé d’agir pour la bonne cause. Pas d’erreur possible, drapé dans son grand manteau sombre, coiffé d’un chapeau noir et complètement surexcité. Derrière lui, deux gendarmes avaient pour mission de l’accompagner pour apporter un peu de légitimité à la démarche et pour faire respecter la décision en cas de résistance de l’individu concerné.
— Nous venons chercher Fernand, qui, ne s’étant pas rendu à sa convocation, est considéré comme réfractaire au service du travail obligatoire. Il sera donc envoyé dans un camp de travail allemand.
Fernand se doutait bien que ça arriverait un jour. On ne peut pas se cacher éternellement. Il n’essaya pas de s’échapper ou de résister. À quoi cela aurait-il servi sauf à se faire trouer la peau. Et puis surtout, il ne voulait pas que ses parents puissent subir les conséquences de ses agissements. Fernand leur jeta un dernier regard. Sa mère sanglotait déjà et son père avait l’air pétrifié. Tout s’est passé très vite. Il eut juste le temps d’attraper sa veste pour se couvrir un peu. Les deux gendarmes, visiblement pas à l’aise dans le rôle qu’on leur faisait jouer, l’ont encadré. Ils sortirent de la maison et prirent place à l’arrière d’une traction noire. Les portières claquèrent et la voiture démarra immédiatement pour se diriger vers la gendarmerie. À l’avant de la voiture, côté passager, le représentant de la gestapo était particulièrement euphorique, fier d’avoir mené à bien sa mission. Une banquette les séparait seulement et pourtant deux visions du monde bien différentes se côtoyaient dans cet habitacle. Fernand rêvait d’une France libre et résistante où il ferait bon vivre mais il était emporté vers un futur dont il ignorait tout mais qui lui faisait peur.
Arrivé dans les locaux de la gendarmerie, il prit place sur un banc en bois installé dans le couloir en attendant qu’on l’interroge. Un autre homme en tenue vint le chercher et le conduisit dans son bureau.
— Bonjour, je suis l’adjudant-chef Louis Massort. Comment t’appelles-tu ?
— Fernand Darmin.
— Fernand Darmin ?! Es-tu le fils de Léon Darmin qui habite au Moulleau ?
— Oui, c’est bien ça, je suis bien son fils.
— Quelle est ta date de naissance ?
— 15 juin 1920.
— Tu es donc complètement concerné par la loi de Vichy du 16 février 1943.
— De quelle loi parlez-vous ?
— Celle qui assujettit tous les hommes âgés de 21 à 23 ans à un service du travail obligatoire (STO) en Allemagne, d’une durée prévisible de deux ans. Ne me fais pas croire que tu n’es pas au courant. Tu t’es mis dans une situation bien difficile mon gars. À partir du moment où tu as choisi de ne pas te présenter à ta convocation pour le travail obligatoire, tu es considéré comme un réfractaire, tu le sais ?
— Je le sais bien, mais…
— Tais-toi. Et passons au sous-sol pour poursuivre cet interrogatoire.
— Pourquoi allons-nous dans ce sous-sol ? Vous avez l’intention de me torturer ?
— Mais non, rassure-toi. Simple précaution pour être sûr que personne ne puisse nous entendre. Je suis persuadé que tu vas m’expliquer que tu as de bonnes raisons qui excusent ton comportement. Mais moi, en tant que gendarme, tu comprends bien que je dois appliquer les ordres du Préfet. Ce matin, la personne qui a frappé à la porte de la maison de tes parents, c’est un membre de la gestapo. Il avait été informé que tu habitais avec eux et c’est pour cela qu’il est venu te chercher, accompagné de mes deux gendarmes. Tu sais que la loi de Vichy prévoit des sanctions très fortes, financières et d’incarcération, pour toute personne ayant saboté pour son compte ou pour le compte d’autrui cette nouvelle institution du Service du Travail Obligatoire ?
— Oui, je suis au courant.
— Tu peux dire que c’est ton jour de chance.
— Mon jour de chance ?!
— Oui, mais pour cela, il va falloir que tu m’aides un peu. Nous sommes obligés de parler à voix basse alors approche-toi. Tu sais qu’Hitler a accepté l’échange de 50 000 prisonniers de guerre français autorisés à rentrer au pays, contre 150 000 ouvriers qualifiés français. La fameuse et fumeuse relève ! Il y a un énorme besoin de main-d’œuvre pour le mettre au service de l’économie de guerre puisque leurs ouvriers ont été envoyés au front. Les Allemands demandent encore davantage de main-d’œuvre, des centaines de milliers supplémentaires. Mais tu as dû entendre dire que nous sommes bien loin du chiffre espéré puisqu’à peine 20 000 ouvriers ont répondu à cet appel. Si tu suis un peu la politique, tu as constaté que Laval a présenté l’engagement volontaire en Allemagne comme un devoir national. Pour moi, ça ressemble plutôt à de la collaboration active. Et c’est pour cela que le gouvernement de Vichy s’est engagé à recruter sous sa propre responsabilité ces ouvriers français. Tu comprends donc qu’en théorie, tu dois être envoyé dans un camp de travail en Allemagne comme plein d’autres jeunes de ton âge ?
— Je refuse complètement l’idée d’être volontaire pour travailler au service des Allemands. Simplement, imaginer que je puisse être soupçonné de collaborer avec la puissance occupante me révulse au plus haut point. C’est pour cela que je me suis soustrait comme d’ailleurs des milliers d’autres jeunes Français.
— Bon Dieu, ne parle pas aussi fort car, même si cette pièce est bien insonorisée, je ne voudrais pas que l’on puisse nous entendre. Nous ne sommes plus entre nous ici, la gestapo nous surveille et nous épie sans arrêt. Ces hommes sont prêts à tout pour faire avancer leurs idées. Nous autres, gendarmes, n’avons pas d’autre choix que de leur obéir provisoirement.
— Je me doute bien que vous n’adhérez pas à cette cause.
— Tu as forcément vu et lu l’annonce de la commission de relève qui s’adresse aux jeunes requis du service du travail obligatoire ?
— Ah oui, je n’ai pas pu la louper. Elle est insupportable à lire. Avec des phrases du genre « Vous partez pour l’Allemagne, mais c’est la France qui vous mobilise », « On n’y fera pas de vous un soldat par force », « Vous travaillerez pour la France ». Quelle honte ! Et le pire, à vomir, c’est la fin de ce texte dont je me souviens par cœur, tant il est odieux « Donnez votre travail avec joie, et vous reviendrez heureux dans un pays grandi par l’épreuve que vous allez subir, en vous y comportant comme de vrais Français ». Et tout ça au prétexte de la relève, cette mascarade pour échanger des prisonniers de guerre contre de la main-d’œuvre forcée. Pour moi, les vrais Français restent dans leur pays et combattent l’occupant.
— Beaucoup de jeunes gens comme toi, pour se soustraire au STO, ont choisi la clandestinité et ont rejoint la résistance. Tu n’as pas été tenté ?
— Bien sûr que si. Si ça ne tenait qu’à moi, c’est ce que j’aurais fait. Mais je dois m’occuper de mes parents depuis qu’Arcachon est occupé. C’était le 25 juin 1940, je m’en souviens comme si c’était hier. Déjà plus de trois ans que nous subissons le rationnement, la pénurie d’aliments, le manque de presque tout y compris le charbon pour se chauffer. Mon père Léon souffre toujours de sa blessure de guerre dont il ne parviendra jamais à se remettre. Il est très fatigué et dans l’incapacité de faire quoi que ce soit. Ma mère, Léontine, essaie de tenir la maison, comme elle le peut mais toutes ces restrictions de liberté l’angoissent et devoir vivre dans une région occupée par l’ennemi lui provoque beaucoup d’inquiétude. En France, depuis 1940, des hommes, des femmes et des enfants ont été pourchassés, persécutés, arrêtés, internés, torturés et beaucoup ont été déportés vers l’est et exterminés. Personne n’est à l’abri : les juifs, les francs-maçons, les syndicalistes les communistes et bien d’autres encore. Mais dans quelle époque sommes-nous ? Quand tout cela va-t-il s’arrêter ?
Même tout près d’ici, au Moulleau, la directrice de la petite école et son mari instituteur ont été arrêtés et il y a plein d’autres exemples comme celui-ci.
En mai 1943, j’ai vu arriver des renforts de troupes allemandes comme si tous ceux déjà présents ne suffisaient pas à nous pourrir la vie.
Ma mère et mon père restent là, sans réelle activité, ils ne vivent plus qu’au ralenti. La peur du lendemain les ronge peu à peu. Voilà pourquoi, je suis resté en sachant que je risquais d’être dénoncé et capturé.
— Écoute-moi, stp et calme-toi. Il se fait que je connais très bien ton père Léon avec qui nous étions à l’école ensemble et avec qui j’ai passé beaucoup de temps pendant notre jeunesse. Nous avons été mobilisés tous les deux au même moment avec deux autres copains. Mais cette première guerre mondiale aura véritablement modifié le cours de nos vies. Nous étions quatre jeunes gens, amis d’enfance, tous originaires de la région, envoyés au front en 1916. Nous n’avions que 19 ans. Je m’en souviens comme si c’était hier. Sur ordre, nous avons tenté d’avancer sur une tranchée ennemie. C’était la première fois que nous étions engagés sur le champ de bataille pour essayer de reprendre la position adverse. Quelques minutes après le lancement de l’assaut, une grenade est venue exploser au-dessus de la tête de ton père. Nos deux copains ont été tués sur le coup. Moi, j’ai reçu plusieurs éclats métalliques dans une cuisse, d’où mon claudiquement aujourd’hui. Étonnamment, Léon, ton pauvre père, blessée très grièvement à la tête a réussi à s’en sortir. Mais à quel prix. Resté complètement aveugle et classé parmi les gueules cassées de cette guerre effroyable, il en est revenu infirme à vie. Heureusement que tu es là, aujourd’hui, pour l’aider dans son quotidien. Et merci à ta maman qui se dévoue tant pour lui.
Avec ton père, notre amitié est très forte. Il y a des épisodes de la vie qui marquent à jamais et nous nous sommes promis de toujours être présents l’un pour l’autre. Et j’ai justement l’impression que je pourrais honorer cet engagement aujourd’hui. Tu te doutes bien qu’il m’est impossible de te libérer purement et simplement, même si l’envie ne m’en manque pas, car c’est moi qui aurais alors de sérieux problèmes avec les Allemands. Tu ne le sais sans doute pas mais il existe une réglementation qui dispense d’aller en Allemagne certaines professions jugées indispensables : agriculteurs, mineurs, cheminots, policiers et pompiers. Il y a aussi des dispositions pour que les étudiants puissent passer leurs concours mais tu n’es pas dans ce cas. Voilà ce que je te propose. Tu vas me déclarer que tu es sur le point d’être recruté comme sapeur-pompier.
— Non, pas du tout, je n’ai pas postulé !
— Réfléchis bien avant de me répondre n’importe quoi ! Donc, disais-je, ton recrutement comme pompier n’est plus que l’histoire de quelques semaines voire quelques mois d’après tes déclarations.
— Je ne suis pas tout à fait sûr de bien comprendre mais, à la réflexion, effectivement, puisque vous m’en parlez, je me suis porté volontaire pour devenir sapeur-pompier. Ça fait déjà un bon moment et du coup, je n’y pensais plus vraiment !
— Voilà, je vois que tu comprends bien et assez vite les choses une fois qu’on te les a expliquées. Donc, tu te doutes que cette candidature va encore demander un certain temps avant d’aboutir. En attendant, pour que tu ne sois pas envoyé en Allemagne, tu dois absolument montrer tes bonnes intentions et je vais demander à ce que tu sois affecté à la construction des bunkers que les Allemands sont en train de multiplier aux entrées du bassin. Ils font partie de ce qu’ils appellent le mur de l’Atlantique. Ils redoutent une attaque sur leur flanc ouest, et envisagent un possible débarquement des alliés. Du coup, tu sais qu’ils ont déjà installé une ligne de défense, le long des côtes, de la Norvège jusqu’à l’Espagne, avec des dizaines de positions mises en place sur le secteur d’Arcachon. Maintenant, ils veulent construire ces bunkers, plusieurs dizaines sur le littoral ou dans les terres.
— Mais ça ne va jamais marcher, je n’y connais rien en construction. Moi, ce que je voulais, c’était travailler dans les métiers de l’art avant que cette foutue guerre vienne tout compromettre. Et puis, y’en a marre de ces Allemands. Depuis leur arrivée à Arcachon le 25 juin 1940, ils n’arrêtent pas de mettre en place des camps et des casemates pour mitrailleuses pour tout contrôler et pouvoir réagir en cas de débarquement allié sur nos côtes. Ils ont placé des mines marines, des mines terrestres, des obstacles de plage, des barbelés un peu partout et voilà maintenant qu’ils veulent construire des bunkers !
— Je pense que les constructions d’abris et de bunkers vont se multiplier car il semblerait que Feld – maréchal Rommel fasse un point sur la construction du mur de l’atlantique et qu’il le trouverait insuffisamment résistant et protégé et que les positions actuelles seraient bien trop vulnérables aux attaques terrestres et aériennes.
— Mais quand est-ce que toute cette abomination s’arrêtera-t-elle ?
— Ne t’inquiète pas, tu seras au milieu d’autres jeunes dont certains seront dans la même situation que toi. Chacun trouve sa place. Il y a tant à faire. Tu ne seras pas affecté à la maçonnerie, il y a plein d’autres tâches à accomplir. Du déboisement, de la préparation de terrain, du port de charges, du transport de matériaux, de l’intendance. Bref, il te faudra tenir un peu, le temps que je m’occupe de ton recrutement chez les sapeurs-pompiers. Je vais me débrouiller pour te faire affecter sur le bassin ou à proximité, sois sans crainte. Les Allemands considèrent depuis longtemps cette région comme un point stratégique offrant un accès direct à Bordeaux. Ils veulent construire des dizaines de bunkers, on appelle ça aussi des blockhaus, pour abriter des hommes et du matériel.
— Franchement, c’est très sympathique mais je n’ai vraiment pas envie de participer à ces travaux.
— Sois raisonnable. C’est provisoire en attendant ton recrutement chez les pompiers et ensuite, garde confiance, la fin de cette période douloureuse se rapproche. J’ai des contacts sur le secteur du Pyla. Les troupes allemandes qui y sont stationnées sont nombreuses mais visiblement elles se comportent relativement bien vis-à-vis des civils. Ce ne sont pas des SS mais des soldats qui n’ont sans doute pas eu le choix lorsqu’il a été question de participer à cette guerre. Il semblerait que ceux qui travaillent déjà sur leurs sites sont relativement bien traités. Les Allemands, trop contents de ne pas être envoyés sur le front de l’est, essaient de profiter au maximum des plaisirs de la région, du soleil, de la plage et des bains de mer. Des pauses sont régulièrement accordées et la nourriture est bonne. Allez, dis-moi que tu es partant. Je ferai au plus vite pour te sortir de là, tu peux me faire confiance.
— Qu’est-ce que vous voulez que je vous réponde ? Vous croyez que j’ai le choix ? C’est d’accord, je veux bien essayer de faire comme ça même si je me rends compte que ça ressemble à un passe-droit.
— Ne pense pas à ce genre de chose. Tu pourras aussi apporter ta pierre dans la collecte d’informations. Tu verras cela plus tard. Bon, tu vas être emmené à la Kommandantur. C’est le passage obligatoire qu’imposent les Allemands. Ne t’inquiète pas, ce sera une pure formalité pour ce qui te concerne. J’ignore s’ils t’emmèneront à Arcachon, à Saint-Médard ou à Bordeaux. Ils vont t’interroger. Il faudra t’en tenir à ce que nous nous sommes dit. Tu dois t’occuper de tes parents et tu as déposé ta candidature pour devenir sapeur-pompier, ça devrait les convaincre. Les Allemands cherchent à identifier des membres éventuels des mouvements anti allemands et des réseaux de résistance qui commencent à s’organiser dans la région. Tu l’as dit, ils visent en priorité, parmi les étrangers et nationaux, les juifs, les francs-maçons, les communistes mais également, tous ceux, de près ou de loin, qui alimentent ou participent à ces organisations. Tu as dû entendre dire qu’a eu lieu, dans les environs de Marcheprime, un parachutage d’armes et d’explosifs, au mois d’avril de cette année. Quand ils ont appris ça, les allemands sont devenus fous furieux. Depuis, ils recherchent ceux qui osent braver leur autorité. Attention, car ils ont même eu des indications, par des Français, que les plus dangereux d’entre eux seraient des fonctionnaires.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, certains de nos concitoyens collaboreraient activement avec l’ennemi. Sois donc particulièrement vigilant.
Ton cas ne va pas du tout les intéresser. Par contre, comme ils ont besoin de main-d’œuvre pour bâtir leurs fortifications, ils vont te réquisitionner provisoirement pour intégrer les équipes de travailleurs. Ils redoutent une intensification des bombardements par les alliés donc ils seront preneurs que, plus tard, tu deviennes sapeur-pompier. Crois-moi, dès que tu seras accepté chez les pompiers, les Allemands te laisseront les rejoindre. C’est la seule façon d’éviter ton envoi en Allemagne.
Je te laisse mon garçon, sois courageux et ne t’écarte surtout pas de cette version. Sois persuadé que tu pourras être bien plus utile à ton pays en faisant ce choix.
— J’imagine qu’il me reste à vous remercier même si je ne mesure pas complètement, à ce moment précis, l’importance du geste que vous accomplissez pour moi et mes parents.
— Ce n’est pas grand-chose et je suis tellement heureux de pouvoir t’aider au nom de l’amitié qui me lie à tes parents. Ah, si je pouvais trouver une solution pour chaque personne arrêtée par la gestapo, j’en serais ravi. Tu sais, nous autres les gendarmes de cette brigade, nous faisons au mieux pour protéger le maximum de jeunes de cette foutue loi qui veut vous contraindre à vous envoyer en Allemagne dans le cadre du service du travail obligatoire. C’est loin d’être évident, et notre petit groupe fait tout son possible pour empêcher les débordements de la gestapo et des Allemands. Heureusement, notre brigade ne comporte que six hommes. Nous sommes tous du coin et nous nous connaissons tous depuis notre plus tendre enfance. Je t’assure qu’il nous faut faire preuve de beaucoup d’habileté pour y parvenir sans que nous apparaissions instantanément comme des opposants à leur projet. C’est notre façon à nous de résister dans l’ombre et tu perçois bien que nous opérons sur le fil du rasoir. Pour le moment, nous parvenons à faire en sorte que nos agissements ne soient pas détectés mais tout peut basculer d’un jour à l’autre. Je te l’ai dit et je le répète, il s’agit d’être extrêmement prudent au quotidien. Alors, n’oublie pas, reste calé sur notre version et surtout, ne montre aucun signe d’agressivité ou de défiance envers les interlocuteurs que tu rencontreras à la Kommandantur.
Je renseigne le document qui t’accompagnera et qui attestera que tu es un garçon sans problème, prêt à apporter ta contribution aux travaux entrepris sur le littoral en attendant ton incorporation chez les sapeurs-pompiers et que tu n’es aucunement impliqué dans un quelconque mouvement de résistance.
— C’est d’accord, je m’en tiendrai à cette version.
— Tu transmettras mes amitiés à tes parents, à ton retour. Je compte également sur ta discrétion sur ce que nous venons de conclure. Hélas, il faut se méfier de tout le monde par les temps qui courent et avant d’accorder ta confiance, il faut être extrêmement vigilant.
Au fait, tu ne m’as pas dit mais à part tes parents qui te font rester ici, tu as une petite amie ? D’ailleurs, tu n’es pas obligé de me répondre, si tu veux garder ça pour toi.
— Une petite amie ? Oui, plus exactement, celle de qui je suis tombé follement amoureux et à qui je vais, très certainement, demander de devenir mon épouse. Elle est du Moulleau et s’appelle Rose.
— C’est génial et je suis très heureux pour vous. Bon maintenant, je vais te conduire au camion dans lequel tu vas monter avec d’autres jeunes de ton âge pour ton entretien à la Kommandantur.
Le parfum de l’âme, c’est le souvenir.
George Sand
Arrivé allée Fructidor au quartier du Moulleau d’Arcachon, Marc appuya sur la sonnette de la maison sur laquelle la mention « M et Mme Henri Darmin » figurait. C’était une belle demeure arcachonnaise implantée sur un terrain ombragé par plusieurs grands pins et Marc était devant le portail d’entrée en bois qui délimitait la propriété. Au bout de quelques instants, un homme assez grand, apparu sur le seuil de la porte d’entrée.
— Bonjour. Vous voudrez bien m’excuser de vous déranger mais j’aimerais pouvoir échanger avec vous. Je m’appelle Marc Carboire et je voudrais savoir si vous êtes bien le fils de Fernand ?
— Bonjour. Oui, effectivement, je suis Henri, que désirez-vous ?
— C’est un peu long à expliquer mais je suis certain que ce que j’ai à vous dire va vous intéresser. Je détiens des informations de la plus haute importance sur votre père. Puis-je entrer ?
— Sur mon père me dites-vous ! Écoutez, s’il s’agit d’une plaisanterie, elle n’est pas la bienvenue. Mon père est décédé depuis très longtemps alors je ne vois vraiment pas ce que vous pourriez me dire le concernant.
— Je comprends tout à fait votre étonnement, mais, s’il vous plaît, laissez-moi le temps de vous expliquer. J’ai retrouvé, récemment, un objet et une lettre qui lui appartenaient. Je suis prêt à vous les remettre si vous ne désirez pas me parler. Vous ne me connaissez pas et votre méfiance est tout à fait légitime. Mais permettez-moi d’insister, je désirerais vraiment vous entretenir de cette découverte.
— Euh, écoutez, vous n’avez pas l’air d’un brigand et si vous le voulez, je suis disposé à vous écouter. Profitons du beau temps pour nous installer sur la terrasse.
— Afin de vous rassurer sur ma démarche, je tiens à vous dire que je n’ai rien à vendre. Je suis à la retraite aujourd’hui mais je suis ingénieur et spécialiste de neurosciences. Je réside à Arcachon et il est extrêmement important, pour moi, de pouvoir vous rencontrer.
— Comment m’avez-vous dit que vous vous appeliez ? Et vous habitez à Arcachon ?
— Je m’appelle Marc Carboire et j’ai une maison depuis de nombreuses années située sur les bords du bassin, pas très loin du centre-ville, sur le boulevard de la plage au niveau de la plage d’Eyrac, si vous voyez où ça se trouve.
— Bien sûr, je vois tout à fait. Alors, que voulez-vous me dire, de si important, au sujet de mon père ? Vous n’allez pas me révéler que vous êtes mon frère caché, je suppose, car à ma connaissance, je suis fils unique !
— Non, pas du tout, soyez rassuré. Eh bien, voilà. Il se fait qu’en voulant enfouir les cendres de Diane, une amie très chère, décédée, j’ai mis à jour une boîte métallique qui contenait une gourmette en argent et une lettre. Après avoir effectué quelques recherches avec ma fille et le fils de Diane, ce qui n’a pas été si compliqué que cela, nous avons pu identifier le nom et l’adresse de celui qui avait dissimulé cette boîte. Il s’agit très vraisemblablement de votre père Fernand.
— Mon père ? Mais où avez-vous trouvé cette boîte enfouie ?
— Nous étions au sommet de la dune du Pilat que nous avions choisi comme lieu de dispersion des cendres de Diane, une femme dont j’ai été follement amoureux et avec laquelle nous avons passé de nombreux séjours à Arcachon. Elle adorait cet endroit et Kevin, son fils, avait décidé que c’était précisément là que nous allions les disperser. Après avoir vidé l’urne cinéraire sur le sable, nous avons voulu l’enfouir assez profondément dans les entrailles de la dune. C’est en creusant le sable que j’ai découvert cette boîte et son contenu. Au départ, je pensais qu’il s’agissait d’un débris métallique et je n’y avais pas prêté grande attention. Je l’avais d’ailleurs jeté un peu plus loin, assez agacé d’être perturbé dans la réalisation de ce trou. Heureusement, ma fille Laura avait récupéré l’objet qu’elle avait placé dans son sac à dos de façon assez réflexe. Alors que nous avions oublié son existence, ce n’est que quelques jours plus tard, à la maison, alors qu’elle cherchait une pochette de mouchoirs dans son sac, que Laura s’est souvenue qu’elle l’avait emporté. Nous l’avons alors ouvert et c’est à ce moment que nous avons mis à jour la gourmette et la lettre. Depuis, nous avons mené une petite enquête pour essayer de savoir si l’auteur de la lettre pouvait avoir des descendants et de parvenir à les localiser. C’est ainsi qu’elle nous a conduits tout naturellement à Arcachon, au Moulleau et à votre adresse. Vous comprenez sans doute mieux maintenant pourquoi j’ai souhaité pouvoir vous rencontrer.
— J’avoue être complètement troublé et curieux d’en savoir davantage. J’ai très peu connu mon père puisque j’avais tout juste sept ans lorsqu’il est décédé assez brutalement à la suite d’un accident. J’ai soixante-quinze ans aujourd’hui et j’ai toujours eu, tout au long de ma vie, ce manque d’amour paternel et l’absence de souvenirs avec lui. J’ignore encore beaucoup de sa vie même si ma mère m’en a souvent parlé et s’est attachée à me transmettre une image aussi fidèle que possible de lui. Mais comment avez-vous fait pour me retrouver ?
— Les éléments que votre père avait placés dans la boîte ont rendu possible cette rencontre. Il a eu l’intelligence de laisser suffisamment d’indices pour que nous puissions aboutir dans nos recherches. Fort heureusement, vous habitez la maison de vos parents et cela a grandement facilité la tâche.
— Oui, mon épouse et moi avons choisi de nous installer dans la maison familiale qui appartenait historiquement à mes grands-parents paternels, les parents de Fernand. Ma mère y a vécu jusqu’à ses quatre-vingt-quinze ans. Il y a maintenant presque quatre ans, nous avons dû nous résoudre à placer maman dans un EHPAD situé tout près d’ici. En effet, les médecins considéraient qu’elle ne pouvait plus rester seule, victime de chutes à répétition et qu’un établissement médicalisé serait la solution la plus adaptée et la plus sécure pour elle. J’ai été étonné de constater qu’elle adhérait à cette solution avec un certain enthousiasme car la solitude lui pesait au quotidien. Depuis, nous avons réalisé quelques travaux de jouvence et de modernisation dans cette vieille bâtisse et nous voici les occupants de cette maison de famille.
— Cette maison est splendide. Son cachet typique de la région illumine votre rue. Vous avez là un bien bel endroit.