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Etta Desanti, la trentaine bien entamée et traductrice pour l'entreprise de son père à Paris, ne s'attendait pas à être envoyée jusqu'en Corée du Sud, à Busan, pour les besoins d'un partenariat. Elle s'attendait encore moins à l'accueil qui lui serait réservé, notamment par la gente masculine, et à adorer ce pays asiatique au charme aussi moderne que désuet. La jeune femme indépendante et terrifiée à l'idée de s'engager qu'elle est, se laissera-t-elle aller à trouver là-bas plus que des amitiés ?
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Seitenzahl: 414
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Je tiens tout particulièrement à remercier les personnes qui
m’ont inspirée à travers leurs contenus vidéo sur la diversité et
la richesse de la culture coréenne tout au long de mes recherches
pour l’écriture de ce roman :
Ines et Sixtine de @veryfrenchtrip qui m’ont divertie autant
que cultivée par leurs aventures aussi rocambolesques que lou-foques
au travers de leurs vlogs et mésaventures où la bonne
humeur était toujours le mot d’ordre.
Laurent Caccia de @laurentcaccia, baroudeur invétéré que
j’ai suivi virtuellement dans plusieurs pays du monde et avec
qui j’ai découvert une Corée du Sud aussi innovante que pitto-resque
quand il a décidé d’y poser ses valises.
« Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. »
Les chansons citées dans le roman ne m’appartiennent pas : je ne suis qu’une humble auditrice qui a été bercée et inspirée par leurs mélodies :
« Noël à Paris » (Charles Aznavour, Dee Shipman et Jacques Plante)
« Tell it like it is » (ré-interprétation de Bettye Swann. Chanson originale de Lee Diamond et George Davis pour Aaron Neville)
« Korean Maknae » Français
«Korean Maknae»Anglais
« Korean Maknae » Coréen traduit ou romanisé
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Etta Desanti était une femme de taille moyenne, douce et délicate d’apparence, à la presque quarantaine si gracieuse que son âge réel étonnait toujours un peu au début.
De ses origines italiennes lointaines du côté de sa mère, et siciliennes de son père, il ne restait rien, ou presque, physiquement, avec ses longs cheveux dorés, ses yeux bleus et sa peau claire dont la seule particularité était de ne jamais brûler, ce dont elle était reconnaissante.
Née à Paris même et revenue s’y installer après ses études, elle était à l’aise dans cet environnement bétonné, contrairement à sa mère, Claudia, qui était une enfant du Nord de la France : elle avait rencontré et suivi son prince charmant à la capitale, à vingt ans, sur l’espace de quelques semaines à peine, pour se marier, mais son inaptitude à trouver le bonheur dans cette vie très rythmée des grandes villes, et les infidélités chroniques de son compagnon, les avaient menés au divorce et au retour de la femme dans le pays des corons peu après les dix ans de la petite.
Etta sous le bras et une vie complète à recommencer après avoir tout quitté sur un coup de tête, son salut lui était venu de retrouvailles avec un ami d’enfance, Renaud, devenu le beau-père de la petite fille pour ses treize ans.
Bien entendu, la mère avait pu compter sur sa famille et sa propre volonté de s’en sortir mais le soutien d’un homme attentif à ses sentiments lui avait comme donné des ailes dans les moments de découragement. La seule éclaircie dans les nuages administratifs et pratiques d’une migration loin de la vie qu’elle avait construite pendant plus d’une décennie auprès de son mari, était que jamais son ex-conjoint n’avait fait de problèmes concernant l’éducation de leur fille, soucieux de subvenir à ses besoins économiques mais également bien conscient de son incapacité à s’occuper de la gamine à plein temps.
De son enfance sur le sol à charbon, Etta ne gardait que des bons souvenirs sur fond d’entraide et de familiarité polie qu’elle se surprenait parfois à regretter quand ses propres voisins de palier restaient muets à ses salutations.
Ses parents vivaient toujours dans la maison achetée peu de temps après leur mariage : un petit havre de paix de plein-pied, au fond d’une impasse, qu’on aurait pu croire à la campagne quand on s’y trouvait tant il avait été aménagé avec goût pour laisser place à une nature bucolique toujours plus variée et colorée, mais qui se situait en fait à quelques minutes à peine d’un des plus grands centres commerciaux du département. Elle avait plaisir à y retourner régulièrement, pour visiter sa mère d’abord, mais également pour la sérénité que lui apportait inébranlablement son retour sous le ciel un peu gris mais tellement accueillant de sa région de coeur et le sentiment de liberté qui l’avait toujours accompagnée quand elle y était, et ce depuis ses plus jeunes années.
Bien sûr, elle aimait Paris, mais sa vie ici était et avait toujours été très différente : aujourd’hui, parce que ses responsabilités d’adulte la confrontaient aux réalités du quotidien et hier, parce que l’ambiance chez son père, qu’elle visitait aussi souvent que l’emploi du temps de celui-ci le permettait, était à l’opposé de l’ambiance familiale qu’elle connaissait chez elle.
Parce que oui, chez elle, à l’époque, c’était dans le Nord. À la capitale, elle était chez Anton, ou du moins, c’était l’image qui lui était restée de cette époque.
Antonio Desanti, la trentaine bien tassée au moment de sa rencontre avec la mère de sa fille, était un vieux jeune homme un peu coureur qui pensait réellement, Etta l’avait appris plus tard, pouvoir changer pour les beaux yeux de la jeunette dont il ne manquait jamais de demander des nouvelles même après tant d’années.
Ses bonnes résolutions avaient duré quelques années mais bien vite, les rendez-vous professionnels tardifs et le défilé des assistantes en stage dans son entreprise de traduction étaient devenus tellement banals que même la bambina, pourtant à peine sortie de la petite enfance, était consciente que quelque chose clochait dans la relation de ses parents. Claudia avait pris patience, tenté d’arranger les choses, de faire face pour sauver leur couple, puis était partie en claquant la porte sans se retourner, un beau matin, avec un simple mot laissé dans la cuisine : « Tu sais bien pourquoi je pars. »
Et oui, il savait bien pourquoi… et s’étonnait même, maintenant que la maturité de l’âge l’avait rattrapé, de sa patience et du nombre de chances qu’elle lui avait donné sans qu’il ne les saisisse : elle l’aimait probablement plus qu’il ne l’avait imaginé.
Tout à ses remords, que sa fille savait sincères dans une certaine mesure, il ne tarda pas pour autant à reprendre sa vie de célibataire et c’est ainsi que la petite fille passait des soirées entières avec son père et ses différents amis, au lieu d’aller dormir, à écouter de la musique et jouer aux cartes en regardant les adultes savourer des alcools forts, jusqu’au petit matin. Elle se demandait encore comment son père pouvait être opérationnel, à peine quelques heures plus tard, alors qu’elle peinait à garder les yeux ouverts, installée dans le canapé du salon dans l’appartement de celui-ci, ou effondrée sur le sofa de la salle de détente des bureaux familiaux.
Les sorties au restaurant, au théâtre ou même dans les bars étaient son quotidien parisien avant même ses quatorze ans mais ne vous y méprenez pas, le surnommé Tony par ses nombreuses conquêtes, n’en n’oubliait pas son rôle de paternel et gardait systématiquement un œil sur sa progéniture si bien que malgré une vie mouvementée en sa compagnie, la fillette puis l’adolescente qu’elle était devenue avec le temps, ne s’était jamais retrouvée dans une situation fâcheuse ou dangereuse en sa présence : son premier verre d’alcool avait été un verre de champagne à seize ans, pour fêter son anniversaire, son premier cigare à dix-huit, pour son baccalauréat, et gare à quiconque, peu importait leur âge, osait s’approcher de sa princesse avec des pensées autres qu’amicales ou fraternelles. Le sicilien avait des yeux derrière la tête et plusieurs copains de confiance comme espions.
Des amis, d’ailleurs, que la jeune femme avait toujours connus et considérés, bien qu’ils n’eussent aucun lien du sang, comme ses oncles : les femmes défilaient dans la vie de son père mais pas les compagnons. L’un d’entre eux, Federico, tenait un bar à Jazz en plein coeur de la ville – depuis bien avant sa naissance – et elle fréquentait encore le lieu, à ce jour, parfois seule, parfois avec le patriarche dont elle s’était éloignée pendant ses études mais dont l’amour de la musique n’avait jamais faibli et était bien une des seules choses qui les réunissait encore sans faute.
Forcément, avec un prénom en hommage à Etta James, elle n’aurait pas imaginé lui faire l’affront d’être insensible au doux son d’une trompette cuivrée ou d’une contrebasse.
En fait, elle ressemblait au moins autant à Antonio dans son caractère et ses goûts, qu’à sa mère physiquement, et c’était sans aucun doute la raison de leurs querelles : elle avait grandi, voulu faire ses propres choix, et quand ceux-ci ne convenaient pas à l’homme, il ne manquait pas de le lui dire, ce à quoi elle répliquait, avec autant de véhémence, creusant un écart de plus en plus grand entre eux.
Les disputes entre les deux Desanti pouvaient être tout aussi déchaînées que fulgurantes et elle peinait à accepter le côté macho de son aîné qui considérait véritablement que les femmes n’étaient pas faites pour être indépendantes et fortes mais avaient besoin d’une protection masculine tôt ou tard. Elle rageait intimement à chaque fois qu’il faisait allusion aux valeurs des femmes modernes, qu’il trouvait trop libres mais dont il appréciait encore les faveurs à son âge, et comme la colère de sa fille restait rarement intérieure… Il lui restait peut-être plus de sang italien dans les veines qu’elle ne voulait bien l’admettre.
Parce qu’indépendante, Etta aimait à penser qu’elle l’était. Elle avait fait ses études loin des deux foyers qu’elle connaissait en cumulant deux petits boulots, et bien qu’elle se soit dirigée vers la traduction elle aussi – comme Anton – elle avait fait ses classes, démarré du bas de l’échelle et même travaillé pour une société concurrente à celle de son père, avant que celui-ci ne lui demande de le rejoindre pendant une période d’accalmie dans leur relation conflictuelle.
La transition n’avait pas été aussi tranquille qu’elle l’aurait espéré et même si officiellement elle occupait le même poste dans l’entreprise parentale que dans son ancien emploi, elle se trouvait souvent à batailler avec Antonio, en coulisses, pour qu’il ne s’immisce pas dans son travail. S’il ne le faisait pas avec ses collègues, il n’était pas question qu’il le fasse avec elle et qu’elle doive lui rendre des comptes ou voit des projets lui passer sous le nez pour être confiés à des hommes moins méritants qu’elle sous le simple prétexte de leur genre : le côté un brin misogyne de l’homme n’avait pas sa place dans le milieu professionnel, peu importait leur lien de parenté.
Elle avait menacé de claquer la porte plusieurs fois mais restait, consciente de l’âge maintenant avancé de son père et de la liberté toute relative que la sécurité d’un emploi stable lui apportait quand on savait que le monde littéraire grouillait de free-lance.
Le chef d’entreprise aurait pu, lui, prendre sa retraite depuis plus de dix ans déjà mais s’accrochait à son poste tant que ces capacités mentales ne déclinaient pas et déléguait peu à peu les tâches physiques nécessaires à l’expansion de sa société, comme les voyages d’affaires ou les déjeuners professionnels à rallonges qui le fatiguaient beaucoup.
Mais il veillait toujours au grain.
Après chaque rendez-vous important dans son agenda, de plus en plus nombreux bien qu’elle eût préféré s’en tenir à la traduction, elle se rendait donc inévitablement dans le bureau à la moquette sombre et aux énormes fenêtres où Antonio attendait avec patience son résumé. Elle avait toujours connu l’imposant meuble en bois travaillé et teinté sur lequel son père travaillait et se rappelait qu’elle se posait souvent la question de son poids étant jeune, impressionnée par la stature qu’il octroyait à son occupant. Son sentiment restait inchangé et elle prenait toujours un instant pour le contempler en entrant.
Dans un coin de la pièce, une authentique machine à expresso italienne attirait l’oeil de tout connaisseur et l’amatrice de caféine qu’elle était, adorait arriver pour sentir l’odeur caractéristique d’un ristretto fraîchement servi.
Malheureusement pour elle, cette effluve commençait à lui paraître amère puisque quand celui-ci l’attendait sur la petite table basse coincée entre les deux fauteuils en cuir, ces derniers temps, il s’agissait de lui annoncer un énième déplacement.
Cela aurait pu être gratifiant, me direz-vous, d’évoluer professionnellement des longues séries de mots et de phrases à retranscrire, si les voyages qui lui étaient proposés voir imposés, n’étaient pas systématiquement les projets refusés par d’autres sous prétexte de la durée ou de la destination. Comme elle était la dernière entrée dans l’entreprise, et la fille du patron, elle se voyait mal chipoter sur le travail qui lui était donné mais force était de constater que son statut familial de célibataire sans enfant, et la volonté de son père à la former sur le long terme à son poste, la desservait souvent comparé à ses collègues.
Elle aimait voyager mais ses petites habitudes lui manquaient vite, aussi, se méfia-t-elle tout de suite en entrant dans le bureau pour y trouver une petite boîte de macarons – ses préférés – à côté de la tasse fumante.
Cela n’inaugurait rien de bon.
Son regard se dirigea naturellement vers son aîné. Il portait un de ses costumes noirs préférés sur un tee-shirt blanc immaculé qui laissait entrevoir sa grosse boucle de ceinture. Ses souliers vernis, sa chaîne et sa chevalière dorée venaient compléter le look que sa fille l’avait toujours vu arborer au travail, même si ses longs cheveux sombres avaient été coupés il y a plusieurs années pour lui arriver à peine sous les oreilles, leur couleur argentée ramenant systématiquement la jeune femme à la dure réalité du temps qui passe.
Il ne faisait pas plus de soixante-cinq ans et elle s’enorgueillissait d’avoir tiré de lui cet avantage tous les matins devant le miroir de sa salle de bain, mais pour le moment, elle était surtout intéressée par le faux air innocent qu’il essayait de prendre : avec un visage aussi expressif, pas étonnant qu’il ait eu si peu de réussite au poker contre Federico.
Elle s’assit et saisit le breuvage ébène qui lui faisait tout de même envie.
— Non, lança-t-elle en portant la tasse à ses lèvres.
— Je n’ai encore rien dit, se défendit-il.
— Je rentre à peine du Luxembourg.
— On a signé avec la maison d’édition de Busan, il me faut quelqu’un là-bas pour mettre en place le partenariat, on pourra bosser via la modernité par la suite mais il faut faire le déplacement les premiers temps, par respect.
— Busan ?
— En Corée du Sud.
— Je sais que je ne faisais pas des étincelles en Géographie au lycée mais j’ai un minimum de culture internationale, merci. Et je suis traductrice à la base, pas commerciale.
— Justement, c’est différent cette fois, il me faut quelqu’un pour superviser les traducteurs sur place et faire la liaison avec nos équipes ici. Tu n’imagines pas la masse de travail qui nous attend vu le nombre de contenus susceptibles d’intéresser nos clients-cibles.
— Je ne parle et n’écris pas un seul mot de Coréen.
— On va travailler par étapes pour pouvoir faire parvenir, en plus, la version en Anglais directement aux partenaires européens. Tu seras en binôme avec un natif parfaitement bilingue.
— J’ai dit non.
— Écoute, ça ne me réjouis pas plus que toi de me passer de tes services ici pendant deux mois mais les autres ne sont pas disponibles…
— Deux mois ?!
— C’est pour ça que j’ai pensé à toi. C’est une mission un peu longue par rapport à d’habitude, et tu n’as jamais vu l’Asie, il me semble.
— Tu te figures que je vais te croire si tu me dis que tu me fais une fleur ?
— Tu voulais visiter le Japon quand tu étais plus jeune.
— Oui, pour une semaine, en vacances. Ce projet ne m’intéresse pas, désolée. Bertrand voudra peut-être...
— Qu’est-ce qui te retient au juste ? Ton mari ? Tes enfants ?
— Remarque déplacée. On est au bureau, tu ferais ce genre de réflexion à mes collègues ?
— Je n’offre pas de macarons à tes collègues.
— Mais fais-le donc, si c’est eux qui vont à l’autre bout du monde pendant deux longs mois, ça ne me dérange pas du tout.
— C’est encore moi qui décide de l’emploi du temps de mes collaborateurs il me semble, et ce n’est pas si long, j’ai effectué des déplacements bien plus étendus quand tu étais enfant. J’ai fait mes recherches, l’automne est la meilleure période pour séjourner là-bas, avec le printemps. Ça te plaira, j’en suis sûr et vu la déferlante culturelle de ses derniers temps, on ne peut pas se permettre de rater le coche sur ce coup.
— L’automne ? Ne me dis pas que ça tombe pendant le Festival du Livre ? Je t’ai dit que j’avais accepté d’accompagner Victor en Bretagne…
Mais rien n’y fit.
Sa promesse était du domaine du privé et ne concernait donc en rien son emploi du temps professionnel et un retour, même pour quelques jours, était inenvisageable vu la distance à parcourir. Et puis, pouvait-on vraiment dire non à son propre père quand il était aussi celui qui signait vos fiches de paie ?
L’homme en question avait été déçu mais compréhensif.
C’était tout Victor Simon, d’ailleurs. Malgré les années qui passaient, son ex-petit-ami, devenu ami, restait fidèle à lui-même. Ils s’étaient rencontrés une dizaine d’années plus tôt, au détour d’un couloir dans l’ancienne maison d’édition pour laquelle Etta travaillait en tant qu’indépendante à l’époque. Elle venait récupérer un projet papier qui lui avait été attribué et il venait discuter de l’avancée de son dernier roman avec son référent.
Elle avait vingt-huit ans, les cheveux au bas des fesses, des converses en toiles beiges accordées à une robe à fleurs légère, justifiée par la canicule exceptionnelle de ce mois de juin, et de la paperasse plein les bras.
Il en avait trente-six, une barbe brune de trois jours parsemée de quelques poils gris et des yeux bleus perçants derrière ses lunettes imposantes. Fraîchement divorcé et toute nouvelle sensation littéraire dans le domaine de l’écriture de fictions historiques, il incarnait le stéréotype de l’auteur à succès dont les dames s’arrachaient les livres, aussi bien pour son talent que pour son physique.
Elle n’oublierait probablement jamais le sourire engageant qu’il lui avait donné en lui tenant la porte ouverte à la sortie du bâtiment, ni sa surprise quand il l’avait rejointe à sa voiture pour l’aider avec la portière et engager la conversation de façon malhabile et timide, les mains enfoncées dans les poches de son jean clair.
Trois jours plus tard, ils avaient leur premier rendez-vous. Trois mois plus tard, les premières frictions se faisaient sentir : il était casanier et un brin romantique refoulé, il voulait qu’ils vivent ensemble rapidement. Pas elle.
Son esprit cartésien, sa maturité et l’attention qu’il lui portait sans jamais l’étouffer l’avaient séduite mais cela ne suffisait pas à ses yeux pour se précipiter dans une vie commune si peu de temps après sa séparation d’avec sa femme et leur rencontre.
Bon an, mal an, leur relation avait survécu après qu’il avait accepté de ralentir la cadence, conscient que les compromis étaient de rigueur avec une jeune femme plus jeune et surtout, si autonome, mais trois ans après leur mise en couple, ils en étaient toujours au même point et même lui, pourtant si patient et réfléchi, commençait à se questionner sur leur avenir : ne vivant toujours pas ensemble, les deux années qui suivirent furent pour le moins rock’n’roll avec deux demandes en mariage et deux refus, suivis de pauses plus ou moins longues, jusqu’au jour où confrontés à la distance qui s’était installée entre eux, ils s’étaient décidés à se séparer puisqu’ils n’allaient visiblement pas dans la même direction.
Les premiers mois avaient été difficiles des deux côtés, mais à force de se croiser dans les musées et les expositions, ils en étaient venus à se côtoyer de nouveau, en toute amitié et bien heureux à présent de pouvoir repartager leurs intérêts communs. Victor l’avait toujours impressionnée par sa culture et son instruction : ce qui lui avait le plus manqué pendant les semaines suivant le délitement de leur histoire était sans contexte sa conversation.
Leur amour avait donc duré presque cinq ans, et leur amitié frôlait la même longévité après la pause nécessaire à leur guérison commune. Il avait fréquenté d’autres femmes bien sûr, avait fini par se remarier et divorcer de nouveau. Etta l’avait beaucoup mieux vécu que ce à quoi elle s’attendait, comme si finalement, ses sentiments n’avaient pas été aussi ardents qu’elle aimait à le penser. Elle aussi avait eu quelques flirts mais rien de bien sérieux.
Ils se voyaient moins qu’au début puisqu’il avait déménagé à plusieurs heures en transport de Paris avec sa dernière compagne et décidé de garder la maison après leur rupture, mais restaient toujours en contact et essayaient de déjeuner ensemble un peu plus souvent maintenant qu’il avait retrouvé son célibat.
Il l’avait vue évoluer professionnellement avec beaucoup de fierté et s’amusait beaucoup de sa petite rivalité avec son père, après tout, désormais, il n’était plus son beau-papa et l’auteur pouvait donc se le permettre. Du haut de ses quarante-cinq ans, il avait gardé un humour un peu potache dont Etta était encore victime, avec une certaine régularité.
— Tu te fous de moi ?!
Seul le rire de l’homme lui répondit.
Ils s’étaient retrouvés à la terrasse d’une brasserie de quartier près du lieu de travail de la jeune femme. Le soleil de ce premier jour de septembre réchauffait doucement les épaules de celle-ci alors qu’ils dégustaient un verre de bière bien frais, face à face, avec le bruit des voitures qui descendaient la rue un peu plus loin en fond sonore. Quand il était arrivé avec un sac en papier kraft contenant une boîte en carton d’un magasin qu’elle connaissait bien, elle ne s’était pas méfiée devant son excuse : un petit cadeau de départ puisqu’elle s’était résignée à obéir à son patron et puis, il avait manqué son anniversaire au printemps.
Elle aurait peut-être dû être sur ses gardes.
Devant elle, dans le contenant d’une de ses marques de vêtements préférées, rangés avec soins pour en caser le plus possible dans l’espace rectangulaire, s’étalaient des sachets de nouilles instantanées de toutes sortes, dans leur papiers métallisés et colorés, et un mini dictionnaire de poche Français-Coréen.
— J’avais oublié à quel point tu pouvais être pénible parfois, sourit-elle tout de même avant de replacer le couvercle à sa place et l’ensemble à ses pieds.
Elle était amusée mais son esprit de contradiction la poussait à faire son cinéma.
— C’est histoire de commencer à t’acclimater à la cuisine locale.
— Mais bien entendu. Loin de toi l’idée de te moquer, tu n’es pas si mesquin.
Son sourire était toujours aussi attirant se dit-elle en observant les petites traces du temps autour de ses yeux rieurs. Comment la vie pouvait-elle être aussi cruelle avec les femmes et si indulgente avec la plupart des hommes ?
— Deux mois, ça va passer vite avec tout le travail qui t’attend. Et puis, c’est une occasion de visiter de grands monuments reconnus par le monde entier, tout ça aux frais de ton paternel.
Bien entendu, il pensait culture là où elle pensait voyage pro solitaire et barbant.
— En soi, je n’ai rien contre la destination, c’est la durée du séjour qui me gêne. Je suis toujours de corvée pour les longues absences et quand je rentre, j’apprends que d’autres ont décroché les projets qui m’intéressaient le plus.
— Antonio veut peut-être tester ton implication dans la société.
— Je suis impliquée.
— Quand est-ce que tu as participé aux activités extra-pro organisées pour la dernière fois ?
— On est allés à la fête de Noël ensemble y’a pas si longtemps, contra-t-elle.
Elle n’avait pas eu le courage d’y aller seule alors que la plupart de ces collaborateurs y seraient avec conjoints et enfants. Tony avait été enchanté de revoir Victor et l’avait accaparé toute la soirée, laissant sa fille se débattre en solo avec les autres invités.
— C’était il y a neuf mois. On a connu plus concerné.
— Je les vois toute la semaine, pourquoi est-ce que je voudrais passer du temps avec eux le weekend aussi ?
— Tu sais bien que le problème n’est pas là. Créer des liens avec les gens qui travaillent pour ton père, c’est accepter que sa place pourrait te revenir à un moment ou à un autre, c’est pour ça que tu fais le strict minimum socialement parlant. Tu as du mal à t’engager sur le long terme.
— Bien sûr que non.
— C’est à moi que tu dis ça ? ironisa-t-il avec une expression douce sur le visage.
Il avait fait son deuil de leur histoire et ne gardait pas de rancoeur envers son amie.
— Pourquoi est-ce que tu es toujours en colocation dans cette vieille usine alors ? préféra-t-il changer de sujet.
— Parce que j’aime ma petite fabrique, j’y ai plein de souvenirs, et l’immobilier est surcoté dans le coin maintenant.
— Tu as les moyens d’acheter, c’est jusque tu meurs de trouille à l’idée d’être coincée, au même endroit, avec un crédit sur plusieurs dizaines d’années.
— … Tu pourrais pas aller dans mon sens pour une fois ? Un ami c’est fait pour ouvrir une oreille attentive quand je veux me plaindre, pas pour me raisonner.
Elle plaisantait et il le savait bien mais l’engagement ? C’était sa plus grande faiblesse. Il avait fini par l’accepter après en avoir fait les frais.
— Tu as le temps de déjeuner ? préféra-t-il demander en saisissant le menu.
— Seulement si tu m’invites, taquina-t-elle.
Un mois plus tard exactement, Etta se débattait avec sa valise en plein milieu de l’aéroport, sous les regards plus ou moins moqueurs des autres futurs passagers.
Non pas parce qu’elle avait trop chargé celle-ci, non : un quatrième et dernier tri s’était opéré avant de quitter son appartement, quand sa colocataire, Mélissa, jolie métisse Franco-Congolaise de trente deux ans et aficionada des destinations exotiques, avait eu la bonne idée de lui rappeler le prix au kilo d’un excédent sur la compagnie choisie par son père pour son périple.
Son astuce de baroudeuse ? Arranger son linge par association pour créer une tenue et tout plier ensemble, des chaussettes au pantalon, en passant par la culotte, pour créer une espèce de pochette aussi petite que possible, répéter l’opération si nécessaire et n’emmener que le strict minimum quitte à devoir foncer à la supérette dès ses premiers pas sur le sol coréen… La blonde devait le reconnaître, c’était grandement futé, mais savait pertinemment, aussi, que l’aménagement intérieur de sa valoche au retour ne ressemblerait en rien à cette partition minutieuse.
Non, rien à voir avec un surplus quelconque.
Mais sur les conseils de sa grande voyageuse de copine, elle avait pris soin d’emballer son bagage dans du film transparent, plusieurs fois sinon ce n’était ni efficace ni drôle, afin d’éviter toute casse, tentative de vol ou d’introduction quelconque… Mais où son amie avait-elle voyagé au juste ?
Puis, juste au moment de présenter son billet à l’accueil, elle avait réalisé que son précieux pc portable ne se trouvait pas dans son sac cabine. Elle avait hésité un instant. Oh, elle aurait bien pu se contenter de l’offre multimédia proposée dans l’avion, si le vol Paris-Séoul ne s’éternisait pas sur près de douze heures, sans compter le trajet en train vers Busan qui l’attendait à son arrivée à Incheon Airport, et si elle ne devait pas profiter de cette période pour travailler ses dossiers et accessoirement ses formules de politesse.
Elle le savait déjà, le monde de l’entreprise en Asie était bien plus codifié qu’en France et même si elle avait eu des réticences à ce voyage au début, elle voulait, pour elle autant que pour l’image de la société paternelle, faire bonne impression et éviter les impairs sur place. Forte d’un premier contact virtuel avec son binôme, elle ne se faisait pas vraiment de soucis pour les moments où ils seraient ensemble mais voulait apporter une attention toute particulière à connaître au moins certaines marques et expressions de respect.
Après tout, le pauvre Park Beom-Seok, dont la masse de projets à gérer était pour le moins impressionnante, n’allait pas pouvoir la suivre sur les talons indéfiniment malgré sa gentillesse apparente : il s’était proposé pour venir la chercher directement à son arrivée à la gare et la déposer à sa location, avec son propre véhicule, et c’était déjà beaucoup.
Non, il fallait qu’elle récupère ce fichu ordi avant de confier sa valise à la compagnie… et qu’elle prenne le temps de la ré-emballer juste après.
Comment avait-elle pu être assez distraite pour le mettre dans son imposant bagage au lieu de sa valisette… Ou peut-être était-ce Mélissa qui l’y avait glissé ?
Elle commençait à s’énerver sérieusement, là, à quatre pattes sur le sol pas franchement nickel, dans son jogging et sweat à capuche noirs, ses longues mèches claires glissant déjà du chignon approximatif qu’elle avait noué le matin… Elle avait envie de ronchonner tout haut… Victoire !
Trois heures plus tard, alors qu’Etta sirotait son jus de fruit d’accueil, classe business oblige – merci papa – elle se félicita d’une tape mentale sur l’épaule pour avoir laissé de côté toute considération vestimentaire et privilégié le confort avant tout. Elle avait une dégaine à faire peur à toutes les nouvelles fashio-nistas de son quartier, à Paris, et soyons honnêtes, plusieurs de ses comparses devaient se demander pourquoi elle s’était perdue en classe affaires mais il faisait toujours un peu frais en avion pour l’invétérée frileuse qu’elle était depuis l’enfance, aussi avait-elle déplié la petite mais douce couverture à sa disposition pour la déposer sur ses genoux malgré l’épaisseur de son pantalon.
Un craquement de nuque ou deux et elle allait pouvoir commencer à répondre, dans un premier temps, aux nombreux mails qu’elle avait soigneusement évité d’ouvrir depuis quelques jours.
Oui, elle aimait rentabiliser les services non inclus offerts avec bienveillance par son paternel et alors ?
D’ailleurs, en parlant d’Antonio, était-ce vraiment de l’altruisme ou savait-il qu’elle ferait bon usage de son billet d’avion onéreux, avec option WI-FI, par conscience professionnelle ?
Elle finit par se concentrer et ne releva les yeux de son écran, enfin libérée de la paperasse numérique, qu’au moment pile où l’hôtesse de l’air annonçait le plateau repas. Elle prendrait le temps de s’éduquer à l’étiquette locale dans les dernières minutes de son vol mais pour le moment, place à la détente et à la récupération de ses heures de sommeil.
Comme à chaque veille de déplacement, elle avait peiné à s’endormir et même après y être parvenue, la nuit avait été peu reposante.
Après un atterrissage tout en douceur, un transfert et un dernier périple de plus de deux heures en train, Etta parvenait enfin à se frayer un chemin entre les voyageurs pour se rendre dans le hall de la gare de Busan.
Elle aperçut bien vite Beom-Seok et grimaça quand elle réalisa qu’il était plus de vingt-trois heures ici : elle se sentait un peu coupable de le monopoliser sur son temps libre, pensa-t-elle en rangeant son portable.
Il était bien différent de ce qu’elle avait imaginé. Leur seul contact par vidéo ne permettant pas de la renseigner sur autre chose que son visage somme toute avenant, elle se félicita d’avoir pris le temps, à l’aéroport, de faire un brin de toilette et de se changer lorsqu’elle réalisa qu’il portait encore son costume de travail sombre et sa cravate assortie. Elle ne se sentit que plus condamnable encore. Avait-il seulement eu le temps de dîner entre sa sortie des bureaux et le moment où il était venu l’assister ?
La seconde chose qui frappa la blonde fut l’apparence physique de son binôme. Il faisait, au coup d’oeil, pas loin d’un mètre quatre-vingt-dix, d’après elle, et elle s’y connaissait pas mal en estimation de taille du haut de son ridicule mètre soixante. Bon d’accord, elle était plus ou moins dans la norme pour une femme, mais qu’est-ce qu’elle pouvait envier sa colocataire aux longues jambes dorées et qui pouvait de ce fait tout se permettre, de la mini-jupe à la robe longue.
Enfin bref, elle ne perdit pas de temps à s’approcher, et en deux enjambées à peine, il l’avait reconnue et rejointe également, sa main masculine se dirigeant avec un empressement qu’elle soupçonna de naturel, vers la poignée de sa valise, pour la débarrasser de son fardeau roulant. En l’espace de quelques secondes à peine, entre ses mensurations, son tout nouveau et parfait petit bouc – si soigné qu’il avait l’air dessiné sur son menton – et son anglais impeccable à l’accent aussi rond qu’un natif américain, ce cher Park venait de sacrifier à lui seul trois grands stéréotypes sur l’homme asiatique, tandis qu’il lui offrait une petite inclinaison pour la saluer.
Elle lui répondit avec le même geste et le visage de l’homme se fendit d’un sourire sincère quand elle bredouilla son plus beau Annyeonghaseyo1. Il fit un mouvement vers son sac de cabine également, bien grand il était vrai, mais elle déclina son acte de gentillesse avec une autre courbette un peu moins prononcée que la première et le suivit jusqu’à son véhicule sur le parking extérieur.
Juste avant de prendre place à l’avant de la berline, le regard d’Etta se posa bien malgré elle sur l’alliance argentée au doigt de son compagnon alors qu’il hissait ses effets personnels dans son coffre. Une fois assise, elle fut étonnée de le trouver debout juste à côté d’elle : il referma la portière avant droite avant de faire le tour du véhicule pour démarrer.
— Vous devez être pressée d’arriver à votre location.
— Un peu oui, même si je viens de passer les dernières vingt-quatre heures assise.
Elle exagérait à peine.
— Je comprends. Mais vous allez avoir le temps de vous faire au décalage horaire ce weekend.
— J’espère. À quelle heure dois-je être au bureau lundi ?
— Comme à Paris mais attendez-vous aux heures supplémentaires en soirée, c’est la norme ici, même si on fera des efforts.
Oui, parce que tout à son sens pratique, Antonio, qui avait été un habitué des voyages longue distance, avait planifié le vol de sa fille avec la secrétaire afin qu’elle arrive le vendredi soir précédant sa première semaine en fonction et que des horaires dit « européens » soient plus ou moins respectés au sein de la société qui l’accueillait.
Elle aurait donc un peu de temps pour se reposer, prendre ses marques et peut-être même faire un petit tour de repérage pour la fin de semaine, et aurait un agenda plus souple que ses collègues pour visiter, un peu, le pays.
Ils arrivèrent bien vite, en échangeant toujours des banalités, dans la rue sélectionnée par la jeune femme lors de sa recherche de location : contrairement aux séjours courts où elle résidait normalement en hôtel, elle avait décidé cette fois-ci de louer un petit studio, plus ou moins en accord avec le budget qui lui était alloué par la société – mais elle ne rechignait pas à compenser la somme par ses propres deniers – non loin de son futur lieu de travail.
La cuisine serait dans la même pièce que la chambre d’après les photos, mais les nombreux placards de l’entrée et la salle de bain moderne avaient fini par la convaincre après avoir épluché des dizaines et des dizaines d’annonces. Elle ne comptait pas vraiment cuisiner de toute façon, maintenant impatiente de pouvoir tester la cuisine et la street food locales après s’être donné faim dans l’avion pendant ses recherches.
— C’est un quartier tranquille, vous n’aurez pas de problèmes ici. Il y a bien quelques bars un peu plus loin mais ce n’est pas aussi animé que les rues touristiques.
— Me voilà rassurée, même si j’ai l’habitude de la vie nocturne parisienne.
— Oh, ici, la vie la nuit est très différente. Il est encore tôt, les lieux de sorties ferment très tard, quand ils ferment. Je vous montrerai ça à l’occasion quand on aura fait connaissance.
— Merci beaucoup pour votre aide, le remercia-t-elle, devant le salon de coiffure où elle devait rencontrer son propriétaire.
Il venait de déposer ses bagages sur le trottoir.
— Pas de soucis, avec tout le temps qu’on va passer ensemble dans les semaines à venir, je pouvais au moins venir vous accueillir. Vous avez bien enregistré mes coordonnées en cas d’urgence ?
— Oui, dans mon agenda. C’était quand même très gentil.
— Vous voulez peut-être que je reste pour régler les détails de la location ? demanda-t-il alors, en regardant sa montre discrètement.
Peut-être était-il attendu ?
— Non merci, allez-y. J’ai déjà usé de votre temps libre. Il parle anglais, je devrais réussir à m’organiser seule. Merci encore.
— Si vous en êtes certaine…
La vitrine du salon de coiffure qui lui faisait face lui semblait familière malgré son incapacité à lire les caractères Hangeul2 qui remplaçaient les bonnes vieilles formules en français dont elle avait l’habitude, tant par sa décoration extérieure typique de commerce de beauté, que parce qu’elle l’avait déjà entrevue sur l’annonce pour la location.
Elle savait que celle-ci se situait juste au dessus, un peu en décalé et en retrait, avec un accès par une petite porte sur le côté : le propriétaire était le même et comme il n’avait pas usage du local, il l’avait transformé récemment pour profiter de l’attractivité de son emplacement pour les touristes internationaux, toujours plus nombreux.
Bien que le salon D&K Hair fermait déjà tard contrairement à la plupart des commerces européens, et qu’il avait été convenu qu’elle s’adresserait là pour les clés du logement, elle fut surprise de voir, non seulement les lumières encore allumées à l’intérieur mais aussi deux clients, hommes, se faire coiffer à une heure aussi tardive. En effet, même à la capitale française, il était assez rare que les salons de quartiers restent ouverts pour la clientèle en soirée.
En poussant la porte vitrée, elle put constater que la décoration était simple mais moderne, dans un style épuré et un peu boisé qu’elle appréciait beaucoup : un petit canapé d’angle en cuir marron à sa droite délimitait l’espace d’attente dès le sas d’entrée où un large tapis noir laissait place à un carrelage effet parquet. Le mur sur lequel le mobilier s’appuyait était recouvert d’un parement de briques rouges avec en son centre un empiècement massif en bois où trônait l’enseigne en fer forgé noir, tandis que sur les autres murs, blancs, à sa gauche, étaient rangés de grands miroirs ovales noirs qui se voulaient faussement baroques. Devant chacun d’eux, un fauteuil de barbier un brin vintage venait compléter l’ensemble.
Bizarrement, se dit-elle, l’ambiance lui rappelait son appartement et menaçait de la rendre nostalgique dès ces premières heures ici.
Occupée jusque-là à passer le balai, une jeune femme à la moitié de sa vingtaine environ, aux cheveux longs et soyeux rassemblés en une natte sophistiquée qu’Etta aurait été incapable de reproduire, et habillée d’un tablier noir dont dépassait de la poche centrale une paire de ciseaux mauve et un peigne fuchsia, vint à sa rencontre, l’interpelant poliment mais directement dans un anglais un peu cérémonial et limité dont on se doutait qu’il avait été appris par coeur.
Celle qui avait aujourd’hui le rôle de l’étrangère expliqua bien vite qu’elle cherchait son loueur, M. Kim Dong-Chul, afin de prendre possession du studio, tout en observant du coin de l’oeil un jeune homme dans la même tranche d’âge que sa collègue épousseter son client avant de lui retirer son peignoir et son propre tablier.
Il s’approcha alors et signifia à la coiffeuse d’un signe de tête et d’un sourire qu’elle pouvait prendre sa suite pour encaisser : il était visiblement en charge du salon.
Dès qu’il fut à moins de cinq pas d’elle, le coeur d’Etta rata un battement tant elle le trouva beau. Il semblait bien plus jeune finalement, vu de près, et il avait sans aucun doute sa place dans un magazine ou sur une affiche publicitaire, si vous lui demandiez son avis de femme. Son air juvénile contrastait et en même temps s’harmonisait à merveille avec ses longs cheveux noirs à moitié retenus en catogan, ses sourcils fournis, ses yeux typés d’un noir intense où on ne distinguait même pas la pupille, et sa bouche charnue. Il n’y avait par contre aucune ambiguïté sur sa masculinité à la vue de sa mâchoire carrée, ses épaules larges et ses avant-bras dont elle pouvait deviner la force rien qu’à leur définition.
Son tee-shirt léger dont les deux boutons du col étaient ouverts et son jean noir à trous lui seyaient à merveille… Et elle n’avait pu observer que la face A.
Toutes ses observations, elle les fit bien vite mais peut-être pas aussi vite qu’elle l’avait imaginé. Elle fut néanmoins un cheveu troublée de voir, quand elle releva précipitamment les yeux de peur d’être prise sur le fait, que ceux de son interlocuteur étaient eux aussi égarés sur sa personne.
Elle avait troqué sa tenue de combat, dans les toilettes de l’aéroport, pour son petit blaser doublé sombre dont les manches retroussées laissaient apparaître celles plus claires de sa robe, des escarpins noirs à talons compensés et une chance pour elle, une des chemises longues mi-cuisse de son armoire qui mettait le plus sa silhouette en valeur, tout en restant présentable pour le domaine professionnel. Pour son maquillage et sa coiffure par contre, après autant de temps passé dans les transports… Elle préférait éviter d’y penser, elle avait fait ce qu’elle avait pu.
Secouant la tête une fois, comme pour se reprendre, le jeune homme prit enfin la parole.
— Bonjour, je suis Kim Ki-Moon, mon père est la personne que vous cherchez. Je suis chargé de vous installer en son absence. C’est avec moi que vous avez échangé par mail. Enchanté.
— Enchantée également. Etta Desanti, répliqua-t-elle en avançant machinalement sa main : ses habitudes occidentales allaient avoir la vie dure ces prochaines semaines se gifla-t-elle mentalement mais il ne sembla pas troublé et accepta la salutation, de sa main ferme et chaude, avant de s’adresser à sa collègue.
Il semblait attendre son arrivée puisque les clés du logement se trouvaient déjà dans la poche de son pantalon et il proposa de ne pas la faire patienter plus longtemps avec un geste vers la sortie.
— Je vais prendre la valise, les escaliers sont un peu raides.
Il la précéda devant la petite entrée en métal gris et après avoir appuyé sur un interrupteur qui illumina les marches, il commença l’ascension jusqu’au premier étage où se trouvait une seule et unique porte, que la blonde savait être la sienne pour les mois à venir. Le couloir était étroit mais on pouvait voir qu’il avait l’habitude de s’y déplacer. Une clé donc, pour le bas, mais un digicode à l’entrée de l’appartement, nota-t-elle, ça lui plaisait bien : on était jamais trop prudente dans un pays inconnu.
Entrant à sa suite après avoir pris la peine de se déchausser elle aussi, elle constata que les lieux étaient fidèles à la description et aux photos de l’annonce. La couleur dominante était le blanc, en dehors du sol carrelé comme le salon de coiffure et de la fausse crédence en briques rouges sous les meubles hauts de la kitchenette. Les rangements allaient lui être utiles et bien sûr, il faisait nuit, mais comme les longs rideaux n’étaient pas fermés elle pouvait entrevoir la luminosité traversante dont elle allait profiter le matin grâce au manque de vis-à-vis immédiat face à la fenêtre arrière qui donnait sur une petite cour intérieure décorée de petits spots et dont elle ignorait si elle faisait parti du lot immobilier ou non : même à cette heure-ci, c’était mignon à souhait.
La cuisine prenait tout le mur de droite, dans le prolongement des premiers placards, et à gauche, après la salle de bain, un petit mange-debout accroché au mur et deux tabourets faisaient office de table-bar. Le lit combiné qui paraissait être de fabrication artisanale, d’une place et demie à son grand étonnement, finissait de meubler la pièce, à moitié sous la baie vitrée. Des draps neufs, si elle ne se trompait pas, y avaient déjà pris place et semblaient crier son nom.
— Voilà. On a déjà discuté des modalités de location. Dans ce tiroir, il y a de la documentation sur la ville et les environs, et la notice du digicode, si vous voulez changer le numéro mais il faudra remettre le code initial avant de partir. Les numéros importants pour les urgences aussi, mais vous pouvez simplement venir au salon pendant les heures d’ouverture, je suis là tous les jours ou presque.
— C’est parfait, merci beaucoup. Le studio est exactement comme convenu.
— Bien. Alors, je vous laisse...
— Pour le règlement ?
— On a déjà la caution, le reste peut attendre que mon père revienne. Il voudra un virement bancaire à mon avis.
— Pas de soucis… Est-ce que par hasard, il y aurait une supérette pas loin ? l’interpella-t-elle alors qu’il remettait ses chaussures.
— Bien-sûr, en sortant à gauche, au bout de la rue, à droite, juste après la banque. C’est ouvert jour et nuit.
— Merci.
— Pas de soucis… J’ai presque terminé ma journée… Je peux vous montrer le chemin, si vous pouvez attendre dix minutes ?
— … Pourquoi pas. Je veux bien, comme c’est ma première fois ici.
— À Busan ?
— En Asie.
— Oh d’accord. Ça va peut-être vous faire un peu drôle au début. On se rejoint en bas alors ?
Elle acquiesça d’un mouvement de tête et il sortit de l’appartement mais elle tarda un peu à entendre ses pas descendre les escaliers : restait-il derrière la porte tout comme elle était bloquée à la fixer depuis près d’une minute ?
Elle ne s’attarda pas à déballer sa valise mais prit soin de l’ouvrir quand même – dieu que cela avait été plus facile avec des ciseaux qu’à mains nues – pour enfiler un léger chandail. Il avait fait de même, remarqua-t-elle au moment ou elle posait le pied sur le trottoir et rangeait le trousseau dans son sac : il était de dos, à verrouiller le salon, désormais sombre. La face B valait le coup d’oeil aussi.
D’un geste du bras, toujours, il lui indiqua qu’ils pouvaient se mettre en marche. La conversation démarra presque immédiatement – elle suspecta que c’était pour la mettre à l’aise – avec quelques questions banales telles que son âge et la raison de son séjour : rien de déplacé ou de bien personnel en soi donc, et tout dans l’intonation de la voix de Ki-Moon et dans son attitude désinvolte montrait qu’elle était libre de ne pas répondre. Elle prit soin d’expliquer ses intentions professionnelles mais évita de préciser le nombre de ses printemps.
Pourquoi ? Elle l’ignorait.
Il ne sembla pas vouloir insister non plus au début, mais réitéra sa demande quand l’enseigne lumineuse du magasin fut en vue, lui précisant le sien comme pour l’inciter à répondre, ce qu’elle fit juste avant de franchir la porte du commerce.
Elle préféra ne pas se retourner pour voir son expression.
Elle acheta le strict nécessaire, et surtout ce qu’elle put distinguer assez facilement d’après les emballages, pour un snack d’avant coucher et pouvoir petit-déjeuner le lendemain matin, mais préféra attendre de revenir le jour suivant, à tête reposée et avec une liste, pour l’ensemble des choses qui lui seraient nécessaires. Quand elle passa à la caisse, elle remarqua qu’il était déjà ressorti, les mains vides.
Le chemin du retour fut bien moins bavard et parut plus court que l’aller où ils avaient pris un plaisir inconscient à marcher plus lentement : il aurait vingt cinq ans avant Noël, âge international3, elle en avait trente-sept depuis six mois déjà. Elle le remercia mais les salutations furent brèves et un peu froides à son goût, se dit-elle en le regardant s’éloigner dans la rue tranquille. Il était grand temps qu’elle monte se coucher.
Le weekend passa assez vite : Etta s’était levée tard dans la matinée le samedi, s’était étalée comme jamais en organisant ses effets personnels dans sa nouvelle vie temporaire et n’avait eu à faire que quelques pas dans le quartier – après ses courses vitales – pour trouver un stand de burgers. Pour le dépaysement, elle aurait pu faire mieux mais bon… Il lui restait des choses à faire au studio alors autant faire vite et simple.
Elle fit un effort le lendemain avec un restaurant de poulet épicé cuit au chaudron où elle se promit de retourner rapidement, avec quelqu’un si possible vu la quantité de nourriture servie et sa volonté de ne pas gâcher un plat prévu pour plusieurs, et poussa le vice jusqu’à aller se délasser les pieds à la plage. Elle n’avait pas vraiment anticipé la distance à parcourir ni la foule qui y serait présente en ce dimanche un peu frais mais ensoleillé mais l’ambiance et l’odeur de la mer lui mirent du baume au coeur autant qu’elles la détendirent. Elle se sentait pleine de courage pour sa première semaine de travail.
Les jours passèrent, et bientôt ses deux premières semaines furent révolues. À part les premiers tâtonnements et une ou deux déconvenues dans les transports en commun, quand elle s’était trompée de sens, le bilan était plus que positif.
Beom-Seok avait tenu sa promesse et s’était littéralement réincarné en une ombre la suivant partout où elle allait pour l’épauler quand nécessaire, l’équipe mixte qu’elle devait encadrer était travailleuse et agréable, et elle avait même réussi à se trouver un point de chute post-bureau : son collègue connaissait une adresse en ville tenue par un couple Franco-Coréen, l’y avait emmenée pour un verre bien mérité de fin de journée et l’endroit était vite devenu un des bars préférés de la jeune femme pour décompresser.