Coleen - Lydie Fassin Lamant - E-Book

Coleen E-Book

Lydie Fassin Lamant

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Beschreibung

"Coleen Prescott-Andrews, dix-sept ans et fraîchement de retour dans sa ville natale avec ses deux papas, pensait vivre une vie paisible bien que divertissante auprès de sa famille de coeur aussi nombreuse qu'hétéroclite. Entre les soirées cinéma, le sport et les blagues en tous genres, elle n'imaginait pas que son quotidien serait bouleversé de cette façon un après-midi bien particulier ... Le soutien de sa tribu 2.0 sera-t-il suffisant ?"

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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À mes parents, qui ont vite compris que la meilleure façon de

me soutenir était de me laisser évoluer dans mon coin et à mon

rythme,

À mon frère, qui a encore du mal à le comprendre au moment

où j'écris ces mots mais que je ne peux imaginer différent,

Ad vitam aeternam.

Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

1

Le soleil était déjà haut sur la petite ville de Kempsington, mais deux des trois membres de la famille Prescott-Andrews semblaient ne pas vouloir quitter la douceur réconfortante de leurs literies, alors que derrière leurs fenêtres, les voisins âgés un peu trop curieux observaient, avec beaucoup d’intérêt, le camion de déménagement stationné devant le numéro 3 de la rue Caswell : une petite maison individuelle comme beaucoup d’autres.

Arrivés à destination durant la nuit, ni les adultes ni l’adolescente n’avaient été disposés à décharger ce qui constituait une partie de leur vie dans leur nouvelle demeure, et, armés de draps propres, ils avaient tous rejoint leurs lits, fraîchement installés lors d’un premier voyage.

Cependant l’heure n’était plus au sommeil, certes reposant, mais bien à l’action, ce que tentait désespérément de faire comprendre à sa famille, Luke Andrews, homme de trente-neuf ans, à l’allure svelte, aux cheveux châtains et aux yeux couleur miel. Il avait déjà essuyé plusieurs refus de la part de son conjoint et s’étonna quand celui-ci, grand homme brun aux yeux bleus, à l’aspect dégingandé, et répondant au nom d’Édouard « Eddy » Prescott se décida finalement à se lever après avoir saisi son oreiller, pour se diriger à l’autre bout du couloir, d’une démarche malhabile, bien sûr suivi de près par son compagnon, qui avait fini par comprendre le revirement de situation.

La patience est une vertu de l’âme.

Alors que ce dernier poussait la porte blanche et pénétrait dans la chambre de leur adolescente, seulement éclairée par les rayons de soleil qui filtraient au travers des rideaux, en évitant les cartons qui jonchaient encore la moquette sombre, Luke ne put s’empêcher de penser que père et fille se ressemblaient affreusement, et pour tout dire, jusque dans leur façon de dormir : allongés sur le ventre, une jambe hors des draps, les deux bras sous l’oreiller et la tête pratiquement enfuie dans celui-ci.

Le brun se laissa donc tomber à côté de la jeune fille, dont seule la chevelure emmêlée, si semblable à celle de l’homme, et le mollet gauche dépassaient de sous la couette, ce qui ne manqua pas d’arracher un gémissement plaintif à cette dernière, peu encline à accepter un réveil aussi brusque qu’une masse non identifiée s’écrasant du haut de ses un mètre soixante-dix-sept exactement sur son pauvre matelas inoffensif. Le châtain se baissa et posa avec douceur sa main sur la cheville dénudée de sa fille.

— Levez-vous, il est temps qu’on se mette au travail.

— Dis à ton père qu’on est samedi.

— P'pa, on est samedi… Quoi ?

La brunette venait de sortir la tête des draps et de se tourner vers l’homme allongé à ses côtés. Son regard était interrogatif, bien qu’encore très ensommeillé, et son visage exprimait nettement son incompréhension et sa lassitude.

— On est mercredi.

— T’es sûre ?

— On était mardi hier.

— Effectivement.

— J’ai dit debout, et plus vite que ça ! finit Luke, irrité.

— Naaaaaan !

La réponse avait fusé des deux parts du lit alors que ses occupants essayaient de se cacher le plus et de toutes les manières possibles de leur principal obstacle à une grasse matinée en bonne et due forme.

— Dommage, je prévoyais de faire des muffins et…

— Je suis levé ! bondit Eddy tel un ressort, maintenant tout à fait alerte.

En effet, il ne fallut au père de famille que quelques minutes pour se précipiter dans la salle de bain parentale au grand dam de l’adolescente, à qui il ne laissait plus aucune solution de repli après l’avoir aussi lâchement abandonnée au profit de son estomac.

Ce traître !

— Tu peux prendre ton temps pour te lever, mais j’aimerais vraiment qu’on ait commencé à tout ranger avant quatorze heures, expliqua l’homme, avec un dernier sourire.

Il se dirigea donc vers le couloir, décidé à laisser sa fille émerger sans plus la brusquer, elle n’était de toute façon pas la plus difficile à motiver…

Observant la porte de sa chambre se refermer, Coleen Prescott-Andrews, car c’était comme ça qu’elle se nommait officiellement, reposa la tête sur son coussin et consentit à sortir une main de sous l’oreiller dans le but de retourner son authentique réveil matin à cloches vintage : il était onze heures trente-neuf, une fois de plus, son père avait été prévoyant.

Ce ne fut que plusieurs minutes plus tard, après avoir profité du silence ambiant, que l’adolescente daigna ouvrir ses yeux d’un vert brillant et pousser sa couverture avant de s’asseoir sur le bord de son lit pour étirer son mètre soixante-dix et tenter, je dis bien tenter, de passer sa main dans ses longs cheveux bruns… Elle savait pourtant qu’elle devait éviter d’aller au lit avec les cheveux détachés et encore mouillés si elle voulait ressembler à quelque chose le matin…

Satanée chevelure des Prescott…

Elle était née d’une mère adolescente, Laura Prescott, décédée trop tôt pour voir grandir sa fille et d’un père à peine plus âgé, Luke Andrews, lui-même toujours trop jeune pour la dure expérience de la vie de père célibataire. Histoire triste, mais malheureusement vécue par trop de couples, même en ces temps modernes.

Là où l’histoire devenait plus alambiquée, était dans la relation qui était née entre ledit papa et son beau-frère, amis de toujours, après plusieurs années de chagrin et de solitude de chaque côté : ce dernier avait été un soutien indéfectible pour le nouveau papa à la mort de sa petite sœur tant aimée.

Eddy Prescott était ouvertement gay. Un biker un peu rockeur, mais un gay revendiqué quand même, malgré la réaction plus qu’hostile de sa famille proche, et il avait été d’un grand secours pour son ami nouvellement bisexuel, sans arrière-pensée ni profit, quand les sentiments entre eux avaient évolué.

L’anniversaire des trois ans de Coleen avait marqué l’emménagement à trois, dans l’anonymat d’une grande ville, où la ressemblance entre oncle et nièce éclipsait souvent la paternité de Luke, qui n’en prenait pas ombrage à la vue de la complicité entre les deux personnes les plus importantes de sa vie. Et l’anniversaire des cinq ans de la petite fille avait marqué le mariage légal des deux hommes, heureux de donner une certaine forme de stabilité à leur fille unique, sous les yeux de leurs copains d’enfance et de leurs enfants respectifs, qui ne manqueraient pas eux-mêmes de devenir les compagnons fidèles de celle-ci.

En effet, Luke Andrews, Eddy Prescott et Jacob Evans étaient amis depuis l’école primaire. Au début du collège, Richard Wright était venu se greffer à leur groupe déjà bien soudé et ils étaient devenus un quatuor tout aussi admiré que craint et bien que les années aient passé, ils avaient gardé contact durant les nombreuses épreuves de la vie.

Tous avaient eu leurs premiers enfants assez jeunes, mais malheureusement, les choses avaient été plus compliquées pour le jeune couple Evans que pour la famille Wright quand était venu le moment fatidique de faire d’autres enfants : Richard et sa femme avaient décidé de s’arrêter à quatre bambins après la naissance de leurs jumelles, quand Jacob et son épouse avaient dû patienter plus de huit ans pour que leur petite fille vienne agrandir leur famille de trois.

Eddy et Luke, eux, étaient toujours sur la même longueur d’onde après tout ce temps : leur fille unique leur suffisait et son caractère bien trempé également. Aucun d’eux ne regrettait l’époque si redoutée des couches, biberons et bavoirs à balader un peu partout, sans arrêt, ni cette période difficile où l’enfant refusait de marcher, bien qu’elle en soit capable, pour se faire porter partout. Elle avait démontré un caractère déterminé dès ses premières années.

C’est pour cela que ce joli petit groupe se réjouissait autant du retour en ville d’une partie de leur clan de cœur. Même s’ils avaient multiplié les vacances d’été et d’hiver en commun durant ses dix dernières années, il était grand temps que tous soient réunis à proximité les uns des autres, comme la véritable famille de cœur qu’ils pensaient former.

Chacun y était allé de son grain de sel pour aider au déménagement familial et faciliter le changement de vie qui correspondait à partir d’une grande ville où un couple homosexuel avec un enfant était peu remarqué, pour reprendre racines dans une petite ville aux premiers abords assez conviviale mais où certains esprits avaient encore du mal avec ce qu’ils appelaient «

les modes de vies modernes de la capitale ».

La moyenne d’âge du quartier avoisinait les soixante ans, les ados de la tribu faisant contrepoids de tout leur nombre, alors autant dire que les chevelures grises était monnaie courante dans les parages.

Mrs Charlie Wright avait sauté sur l’occasion, en tant que secrétaire dans une agence immobilière de la ville riveraine, quand une maison dans leur rue, pratiquement en face des Evans, s’était libérée après le décès de son propriétaire et n’eut pas beaucoup plus de mal à trouver un restaurant à retaper pour son ami Luke, cuisinier de métier, quand celui-ci exprima l’envie de rentrer au pays. Le mari de ce dernier, comptable à son propre compte se ferait assez rapidement une nouvelle clientèle dans ce secteur en plein renouveau. Ils allaient devoir travailler d’arrache-pied, mais ils allaient y arriver !

Ils n’avaient d’ailleurs, d’autres choix, maintenant que de grands frais étaient venus entailler leurs économies, tant au niveau du restaurant, que dans leur nouveau foyer dont l’ancienne décoration datée, mais qui fut autrefois splendide, nécessitait un changement radical aux dires de l’adolescente de la famille : les moulures en bois et l’imposante cheminée pouvaient rester, mais les grandes fleurs et imprimés bucoliques sur les tapisseries, très peu pour elle.

Les adultes s’étaient rangés à son bon sens… Encore heureux !

Enduits, peintures, papiers peints : une grande partie de l’été y avait été consacré, lors de nombreux séjours qui leur fournirent les excuses parfaites pour profiter de l’hospitalité de leur famille choisie, à la plus grande joie du trio 2.0, toujours excité à l’idée de passer du temps ensemble malgré les années passant et leur différence de genre. La maison était à présent beaucoup plus moderne et colorée tout en restant chaleureuse et accueillante.

La voiture familiale et la précieuse moto d’Eddy avaient pris place dans le garage, accompagnées de tout un tas de bric-àbrac dont seul ce dernier se servait. Les armoires de la cuisine étaient prêtes à recevoir de nombreuses victuailles et la box internet était branchée.

Oui, la maison était enfin vivable…

Et si une autre chose prouvait bien que l’emménagement récent de Coleen dans sa nouvelle demeure était complet, c’était l’état dans lequel elle avait mis sa chambre en à peine quelques jours de résidence et bien qu’elle ait essayé de la ranger le plus sérieusement possible pendant le déballage interminable de ses cartons.

Tu as les premiers symptômes du syndrome de Diogène, ma fille…

En moins d’une semaine, la plupart de ses cintres ne portaient plus de vêtements, ses nombreux vinyles n’étaient absolument plus classés par ordre de préférence et bien entendu, son chargeur de portable était aux abonnés absents.

Ça avait été rapide, mais prévisible.

Aussi rapide, malheureusement pour elle, que son retour en cours. Le lycée avait été appelé avant même le changement de maison et le transfert tout aussi précipité. Trop précipité, visiblement, pour une certaine adolescente qui descendait justement l’escalier menant à la cuisine, en pyjama, les cheveux à moitié attachés et la marque de l’oreiller sur la joue, saluant d’un grognement ses deux pères attablés devant le petit déjeuner et attendant apparemment quelque chose d’elle vu leur façon de la fixer :

— Quoi ?

— Il est sept heures trente-cinq, répondit Luke.

— Et ?

— Tu retournes au lycée aujourd’hui ?

— Quoi ? Non. Ce n’est pas mardi ?

— Et on était quel jour hier ? demanda le plus âgé.

— Lundi ?

— Et on sera quel jour demain ? ne put s’empêcher de questionner de nouveau l’homme brun, un rictus taquin déjà dessiné sur les lèvres.

— Mercredi ? … Et merde !

— Langage ! Eddy arrête de rire ! intervint Luke.

— Je ne comprends pas ce que P’pa te trouve, lança-t-elle à l’attention de son motard de père.

— Moi aussi je t’aime mon bébé d’amour.

— Chérie, salle de bain, tout de suite ! Amour, sors ta moto du garage, je prends la voiture pour l’accompagner au lycée et arrête de rire bon sang ! ordonna l’homme châtain, déposant sa tasse de café sale dans l’évier. Il en aurait bien bu un deuxième, mais cela semblait hors de question pour le moment, commencer la vaisselle du petit déjeuner aussi apparemment, se dit-il en regardant sa fille monter les escaliers deux à deux pour se dépêcher, mais n’oubliant pas une remarque de son cru, tout de même, à l’attention de son père farceur :

— J’espère que tu vas te prendre les cheveux dans la porte automatique du garage.

— Non, mais tu entends comment ta fille me parle ?!

— C’est ta fille aussi j’te signale.

Bien sûr malgré tous leurs efforts et quelques infractions au Code de la route qu’ils passeront sous silence, Coleen était arrivée en retard pour son premier jour de classe. De dix minutes. Donc pas assez pour avoir une raison valable aux yeux du corps enseignant, mais juste assez pour bien se faire remarquer à son arrivée à son premier cours de la journée… Qu’elle ne partageait avec aucun de ses amis actuels et durant lequel, sa professeure d’histoire, un brin vieux jeu, lui avait demandé de se présenter, brièvement, mais de se présenter quand même, devant la classe avant de lui donner plusieurs travaux à réaliser hors temps scolaire pour se mettre au même niveau que les autres élèves.

Elle était assise au troisième rang, près de la fenêtre, à côté d’un jeune homme à la peau ébène, qui l’avait regardée un moment avant de se détourner, sans même lui donner son nom, mais qui avait quand même partagé avec elle ses notes des derniers jours pour qu’elle puisse suivre et lui avait indiqué la route pour se rendre à sa prochaine salle.

Trois autres périodes et matières plus tard, le déjeuner était le bienvenu, jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’elle ne partageait pas l’heure du repas avec ses acolytes, avait oublié son déjeuner et sa monnaie dans la précipitation… L’idée de changer certaines de ces options, nouvelles avec son changement d’établissement, de toute façon, commença à lui chatouiller les neurones.

C’est ainsi qu’elle se retrouva, le soir même, après avoir littéralement dévalisé le réfrigérateur, attablée dans la cuisine lumineuse, en compagnie de son père, Luke, tandis que celui-ci préparait des lasagnes maison et un gâteau à la carotte : une heure trente déjà qu’elle travaillait sur ses devoirs de Biologie, demandait l’aide de son paternel et n’en voyait pas vraiment le bout. Heureusement, elle était en avance en Littérature.

— P’pa, comment tu écris « fumerolle » ?

— Avec un « o » et deux « l ».

— « Fuligineux » ça prend un ou deux « l » ?

— Ça suffit, je ne suis pas une encyclopédie, utilise ton téléphone.

— J’ai plus de batterie, il est en haut.

— Alors prends le dictionnaire.

— On a un dictionnaire ? s’enquit avec beaucoup d’étonnement l’adolescente.

À cet instant, l’homme se demanda si sa fille ignorait réellement qu’ils possédaient un tel livre, mais face au silence interrogatif de celle-ci, il ne put que se rendre à l’évidence : premièrement, elle ne savait vraiment pas qu’ils en avaient un en leur possession, et ce depuis des années, ni où il était rangé, cela va de soi.

Deuxièmement, elle travaillait encore moins en cours que ce qu’il pensait puisque dans le cas contraire, elle aurait eu besoin d’un dictionnaire bien des années avant, en fait dès qu’il avait cessé de la suivre activement au sujet de ses devoirs de classe dans l’espoir de la rendre plus autonome.

Et, troisième point de ce bilan, ô combien accablant pour le père qu’il était, Coleen ressemblait beaucoup, mais alors beaucoup trop à Eddy : jamais en près de vingt ans, il n’avait vu son compagnon s’approcher de près ou de loin de quelque chose qui pourrait ressembler à un ouvrage.

Enfin, sauf si on considère ses magazines spécialisés en motos et autres engins du genre comme de la littérature.

Et surtout, il avait toujours réussi de façon correcte, mais sans plus ses études, en survolant uniquement celles-ci et leur fille prenait le même chemin : que de talent perdu.

— Tu me fatigues, il est sur l’étagère du salon, près des livres de recettes exotiques, souffla-t-il alors qu’un défaitisme certain s’emparait de lui et que le découragement se faisait visible sur les traits de son visage.

— Dad ? Tu peux m’apporter le dictionnaire ? héla alors l’adolescente, en direction du salon où son second père regardait la télévision.

— … Parce qu’on a un dictionnaire ?

À peine une semaine plus tard, Coleen venait de passer la fin d’après-midi à remettre en ordre sa chambre : poussières, aspirateur, draps propres, et descendait justement les escaliers avec son panier de linge sale. Quoi de mieux à faire un lundi, après les cours, alors que ses propres pères s’évertuaient à nettoyer de fond en comble la maison pendant le seul jour de repos de la semaine de Luke. Plus tard, une fois que le restaurant aurait décollé et qu’il aurait les moyens d’embaucher, il pourrait peut-être se permettre plus de flexibilité, mais pour le moment, le seul jour propice à l’entretien de leur demeure était en début de semaine. Ses pensées furent interrompues par la sonnerie stridente du téléphone fixe mural, qu’il était urgent de changer quand ils auraient une minute.

— Coleen ! Oliver au téléphone !

— J’suis juste derrière toi bon sang ! dit-elle en se tenant l’oreille.

— Oh pardon, répondit-il, penaud, avant de s’éclipser de nouveau avec ses chiffons.

— Pourquoi t’appelles sur le fixe ?

— Bonjour à toi aussi, ô meilleure amie.

Ils ne s’étaient pas croisés ce jour-là, bizarrement, les jumelles, en revanche, lui avaient collé aux basques pendant toute la pause du midi : elle comprenait pourquoi le rouquin avait un verrou à sa porte de chambre, maintenant.

— Désolée. Bonjour. Alors ?

— J’ai appelé sur ton portable comme tu répondais pas à mes messages, mais j’ai eu ta messagerie.

— J’dois plus avoir de batterie.

— Ça va finir par devenir un sketch comique… On veut aller au ciné avec James et les Twins. On vote pour le nouveau film d’action, mais les pestes veulent voir le dernier navet pour midinettes. On est à deux contre deux.

Cette situation arrivait de plus en plus souvent depuis que les jeunes filles avaient pris de l’âge et que Callum, le grand frère d’Oliver, était parti à l’université.

— C’est pas vraiment pour leur âge vu les extraits qui passent sur les réseaux sociaux, et je vote pour les courses-poursuites.

— YES ! Pour te remercier, tu as droit de t’asseoir à l’avant avec moi.

— La place du mort, c’est trop d’honneur, merci.

— Ouais ouais, tiens-toi prête, on attend juste que mon père rentre du boulot avec la voiture et on passe te prendre. T’as pas quelques snacks qui traînent par hasard ?

— Je vais regarder. James est encore chez toi ?

— Non, il va sûrement venir sonner chez…

Mais elle n’entendit pas la fin de sa phrase sous le bruit de la sonnette de la porte principale. Trois fois, comme toujours.

— Ouais, c’est lui. J’ai des guimauves. Entre ! lança-t-elle assez vaguement en direction de l’entrée.

— Cool, James a des bonbons acidulés. À plus.

Elle rejoignit donc le jeune homme, et surprise, sa petite sœur Madeline, dans le salon où le couple d’hommes les avait fait entrer.

— Qu’est-ce que tu fais là la puce ?

— James m’abandonne…

— Euh… Okay.

Celui-ci prit la parole devant l’étonnement de la brunette.

— Vous êtes certains que ça ne vous dérange pas de la garder ?

— Non, personne ne travaille ce soir, répondit Luke.

— C’est cool, merci.

— James devait me garder, mais il va voir un film avec sa chérie, expliqua l’enfant, tout naturellement.

— Je comprends mieux, répondit l’adolescente à la petite fille, avec humour.

— J’ai pas dit ça… J’veux dire, j’ai pas dit que j’avais une chérie… Elle a mal compris, tenta maladroitement l’ado.

— Bien sûr, bien sûr, compléta alors Eddy, mort de rire et toujours présent pour entasser le fils Evans.

— Bref… On y va ? proposa Coleen.

— Et votre couvre-feu alors ? On est en semaine, je vous signale.

Luke ne perdait jamais le nord.

— On devrait être rentrés pile à l’heure, si le film ne commence pas en retard. On peut peut-être avoir un petit délai ?

— Bon ça va pour cette fois, concéda-t-il. Tu es de corvée de vaisselle demain.

Oui, vraiment, Luke ne perdait jamais le nord.

Le petit groupe était donc arrivé sans encombre majeur au cinéma de la ville voisine, en dehors de quelques chicanes pour qui aurait la place avant passager au retour, juste au moment où les lumières principales laissaient place à celles d’ambiance, pour les publicités.

Les jumelles murmuraient déjà entre elles : finalement le héros n’était pas moins sexy que l’idole de leur teen-movie, juste plus mature, et restait un très bon acteur de film d’action. Oliver était assis entre ses sœurs, pour les empêcher de discuter tout le long du film comme si elles étaient seules dans la salle – une sale habitude dont il avait trop souffert plus jeune – et son meilleur ami et Coleen… Et bien Coleen avait été littéralement lancée la première dans la rangée par James, et n’avait eu d’autre choix que d’avancer au maximum vers le milieu du rang pour laisser à tout le reste du groupe une chance de se mettre sur la ligne. Il s’était bien entendu précipité à sa suite pour la coincer.

Que de délicatesse.

Le ricanement du rouquin avait redoublé, avec très peu de subtilité, sous le regard faussement noir de l’adolescente et les roucoulements des cadettes, quand le jeune homme avait sorti son portable pour faire un selfie avec la brunette, tous trois conscients de l’aversion de leur amie pour les photos.

— Et nous ? On sent mauvais ? s’offusqua Anouk, quand elle vit James ranger son portable après trois clichés, en duo uniquement.

— Tu vas casser mon écran, répondit-il avec naturel.

Il y avait longtemps qu’il ne prenait plus de gants avec les cadettes du groupe.

À mesure que le film entraînait les spectateurs dans son scénario animé, plein d’armes à feu, d’explosions et de voitures splendides, le fils Evans se mit à remuer de moins en moins discrètement : à faire craquer son cou, puis à étendre ses bras, puis ses jambes, puis à bâiller…

— Si tu me fais le coup du « je bâille et je repose mon bras sur elle ni vu ni connu », j’te le casse.

— Euh… Ok.

James venait d’être brutalement extirpé de sa bulle : il pensait vraiment être discret et décida donc de rester sage à présent. Si bien qu’au bout d’un moment, elle reprit la parole.

— Tiens-moi la main plutôt, mais oublie les tactiques de films romantiques. C’est pas Hollywood.

— Je peux ?

— Oui.

— Alors tu m’aimes bien… un peu quand même.

— Bien sûr que je t’aime bien. On se connaît depuis longtemps et je ne t’ai pas cassé le nez quand tu m’as embrassée à ton anniversaire. Je ne vois pas ce qu’il te faut de plus.

— Rien. Je t’aime beaucoup aussi.

— Bien, mais tais-toi.

Et le jeune homme s’exécuta, tout sourire, comme s’il venait de gravir une montagne enneigée au parcours sinueux.

Victoire !

Le film avançant, l’adolescente se laissa de plus en plus aller vers la chaleur réconfortante de son ami et après un moment où elle fixa son profil pas encore tout à fait masculin, elle releva l’accoudoir les séparant et reprit sa main dans la sienne pour lui prouver son intérêt réciproque, avant de se replonger dans les courses-poursuites extrêmes du scénario.

Le blockbuster était terminé et Oliver roulait en direction de leur cité commune, gardant un œil sur Anouk à ses côtés, qui déréglait encore l’autoradio de leur père, et dans le rétroviseur intérieur : James, dans un élan de confiance, avait de nouveau agrippé les doigts de son amie en sortant de la salle de visionnage et ne l’avait pas lâchée depuis.

Il venait d’assister à la mise en couple de ses meilleurs amis, après des années de chamailleries entre eux, et surtout, de béguin pour James, qui avait toujours été fou de Coleen et qui ne rêvait que de l’instant où elle reviendrait vivre à Kempsington avec ses deux pères. Il avait beau beaucoup s’énerver et jurer haut et fort que c’était faux, l’aîné se souviendrait toujours du jour où le brun avait écrit son prénom et le nom de famille de sa Leen dans son cahier, en primaire, comme une écolière. Oui, tout à son petit cœur juvénile et énamouré, il se voyait James Prescott-Andrews au lieu d’imaginer partager son patronyme avec sa dulcinée.

Bien qu’elle soit un peu dure parfois avec lui, il ne se faisait aucun souci pour eux : elle-même avait montré très peu, voir aucun, intérêt pour d’autres garçons auparavant et elle semblait au contraire de plus en plus proche et tendre avec lui. Il lui avait fallu des années, mais ça avait fonctionné.

C’est pourquoi il les déposa rapidement devant la porte du numéro trois avant de redémarrer tout aussi brusquement dans un crissement de pneus digne de leur dernière séance au cinéma, pour empêcher ses petites pestes de sœurs de s’en mêler et de tout gâcher.

Le tout nouveau couple les regarda alors s’éloigner le long de la rue, avec un sourire aux lèvres. Les jumelles embrassaient les vitres qui faisaient face aux deux adolescents, sur le trottoir, dans le but de les mettre mal à l’aise.

Mais cela ne suffit pas, et gentiment, James attira à lui son amie et reprit d’un ton doux :

— Je t’aime vraiment beaucoup, tu sais ?

— J’avais compris. Je t’aime beaucoup aussi… Surtout quand tu es sûr de toi.

— Ça, c’est un coup bas. Je suis toujours sûr de moi, sauf avec toi.

— Et si je te dis que tu n’as aucune raison de douter ?

— Alors ça change tout… Je vais t’embrasser là.

— Merci du spoiler…

Et c’est ce qu’il fit. Doucement d’abord, puis avec un peu plus d’aplomb, pour un peu plus longtemps… Jusqu’à ce que la porte d’entrée des Prescott-Andrews ne claque derrière eux, les obligeant à se séparer, et que la lampe à côté de ladite porte ne se mette à clignoter sauvagement, des murmures assez peu subtils venant de l’intérieur.

— Laisse-les tranquilles bon sang !

Coleen reconnut Eddy.

— Son couvre-feu est passé !

Définitivement Luke.

— Elle est juste devant la porte !

— Justement, ils vont dire quoi les voisins ?

— Mais on s’en fiche, mon bébé vit sa première histoire d’amour !

— Oh Jacob, toi et vos idées farfelues !

La vie de Coleen était une série ringarde pour ados.

— Ouais. Je crois que je vais rentrer avant qu’ils réveillent le quartier.

— Ouais, c’est mieux.

— Tu viens me chercher pour aller prendre le bus demain ?

— Tu commences pas à dix-heures les mardis depuis que tu as changé tes options ?

— Si, mais j’irai à l’étude.

— Ok, cool, génial… À demain ? Ou je t’appelle ce soir ?

— Appelle-moi.

Elle le regarda traverser la route pour se rendre chez lui, avant de se retourner vers la porte et de lancer, haut et clair :

— Je suis sur le point d’ouvrir violemment cette porte. Si vous êtes encore derrière, tant pis pour vous !

Après cela, le temps reprit son cours et les habitudes se multiplièrent jusqu’à un week-end de ce début d’octobre. Une jolie petite troupe était réunie dans le salon coloré du 125 rue Caswell, où les parents Wright se préparaient à faire place libre pour permettre à leurs enfants de profiter de leur soirée : ils étaient eux-mêmes attendus pour un repas dans un restaurant assez chic de la capitale et faisaient les dernières recommandations d’usage comme ils avaient prévu de dormir sur place. Ils n’étaient pas tristes de s’accorder un moment seuls.

— J’ai tout ce qu’il me faut. Bien. On vous fait confiance pour ce soir, ne nous le faites pas regretter.

— Ou c’est vous qui allez le regretter, menaça alors Charlie, la mère, finalement très convaincante du haut de son mètre soixante.

— On en a discuté avec Jacob et Luke. Callum, et ses amis, ont le droit de boire raisonnablement, Oliver, Coleen et James ont le droit à une bière chacun, pas plus, ou on le saura, continua-t-il avec un regard appuyé vers ses cadettes, Anouk et Nina…

Les cafteuses.

— Et les jumelles restent au soda, peu importe leur moyen de pression, ajouta leur mère.

— Hey ! réagirent-elles immédiatement au sous-entendu maternel.

— Et par pitié, ne mettez pas le bazar dans mes DVD ou votre mère vous obligera à les ranger.

— Ouais ouais, on gère.

— J’espère bien pour toi mon fils, parce qu’en tant qu’aîné, si ça dérape, c’est ta faute, contrecarra la maman.

— Super, grommela Callum, enfant le plus âgé de toute la bande et également de la famille des Wright.

Il venait de rentrer de l’université à trois heures en train de Kempsington pour un week-end prolongé et trois de ses amis l’avaient accompagné. Ils prévoyaient une petite fête simple, mais sympa avec quelques copines de leur âge, revenues elles aussi sur les lieux pour de courtes vacances, et avaient accepté la compagnie des plus jeunes. La tribu version 2.0 et, exceptionnellement Joséphine, le nouveau béguin du rouquin, allaient donc tous pouvoir passer un bon moment ensemble. À ceci près que :

— Mr Moore sera là pour récupérer Joséphine à dix heures tapantes.

— Dix heures ??

— Oliver.

— Dix heures, c’est noté.

— Bien, dans ce cas, on est prêts. Tenez-vous bien ou alors… Laissa de nouveau planer Charlie. Elle était terrifiante et sans aucun doute, la main de fer de la maisonnée.

Une fois les adultes partis, tous s’affairèrent à décorer et préparer un peu la fête : décorations en papier, gobelets et assiettes en carton de rigueur puisque personne ne voulait s’occuper de la vaisselle. Joséphine avait insisté pour que tout soit biodégradable… Oliver avait acquiescé, tout à sa volonté d’impressionner la toute jeune femme de quatorze ans.

Oui, quatorze ans.

Coleen, aussi, lui avait demandé de répéter, quand il en avait parlé avec James et elle, et maintenant qu’elle était face à