L'affaire Walton - Edgar Wallace - E-Book

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Edgar Wallace

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Beschreibung

James Sepping, à qui s’adressaient ces mots, rougit légèrement et regarda d’un air un peu confus les trois violettes qui gisaient sur le gravier immaculé de la cour d’honneur. Il n’avait ni l’allure ni la physionomie d’un détective, et quoiqu’il fût déjà l’un des principaux chefs de la police secrète de Londres, il avait su se garder de tout trait professionnel et avait plutôt l’apparence insouciante et joviale d’un vigoureux et jeune fils de bonne famille en vacances.
– Non, ne ramassez pas ces fleurs, répondit-il au gardien… à moins que les règlements de la Tour de Londres ne s’y opposent. Elles ne font pas mauvais effet.
Le vieux militaire décoré qui avait pour mission de faire visiter la Tour de Londres à quelques centaines de gens par jour, se frotta le menton en jetant à son interlocuteur des regards quelque peu soupçonneux… Mais l’aspect parfaitement correct et sérieux de James Sepping le rassura.

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Edgar Wallace

L’AFFAIRE WALTON

1928

© 2023 Librorium Editions

ISBN : 9782383837404

I

– Monsieur, vous avez laissé tomber une fleur ! dit le gardien.

James Sepping, à qui s’adressaient ces mots, rougit légèrement et regarda d’un air un peu confus les trois violettes qui gisaient sur le gravier immaculé de la cour d’honneur. Il n’avait ni l’allure ni la physionomie d’un détective, et quoiqu’il fût déjà l’un des principaux chefs de la police secrète de Londres, il avait su se garder de tout trait professionnel et avait plutôt l’apparence insouciante et joviale d’un vigoureux et jeune fils de bonne famille en vacances.

– Non, ne ramassez pas ces fleurs, répondit-il au gardien… à moins que les règlements de la Tour de Londres ne s’y opposent. Elles ne font pas mauvais effet.

Le vieux militaire décoré qui avait pour mission de faire visiter la Tour de Londres à quelques centaines de gens par jour, se frotta le menton en jetant à son interlocuteur des regards quelque peu soupçonneux… Mais l’aspect parfaitement correct et sérieux de James Sepping le rassura.

– Les morceaux de papier sont défendus, mais pas les fleurs, dit-il.

L’officier de police glissa une pièce de monnaie dans la main du gardien.

– Il me semble, lui dit celui-ci, vous avoir déjà vu à la Tour, monsieur.

– Oui… cela m’est arrivé… en effet.

James Sepping avait apporté d’Oxford un accent un peu traînard qui l’avait passablement exposé aux plaisanteries de ses collègues, mais il n’était pas mécontent, pour son métier même, d’avoir passé par l’université et, lorsqu’il avait à se tenir éveillé durant des nuits entières pour quelque raison de service, il aimait à se réciter de longues tirades de vieux auteurs classiques.

Il demeura auprès des fleurs tombées jusqu’à ce que le gardien se fût éloigné, car il était quelque peu sentimental, et chaque année, à la même date, il revenait à la Tour et jetait quelques fleurs à l’endroit même où Fritz Haussmann avait vu pour la dernière fois la douce lumière du jour. Fritz était un Allemand et un espion. Sepping avait remué ciel et terre pour le découvrir ; il l’avait arrêté lui-même. Puis, un beau matin, on avait conduit le prisonnier dans cette cour pour le fusiller. Il était mort gaiement, bravement, en souriant, comme un soldat et un gentleman.

Et c’était pourquoi, chaque année, le grand détective revenait jeter quelques fleurs à cette place, afin d’honorer cette belle attitude devant la mort…

– … Jim !

Il se retourna vivement. Une jeune fille aux yeux d’un bleu profond, l’air amusé, le regardait.

– Hello ! s’écria-t-il en reconnaissant la personne qui l’interpellait. C’est vous, Jeanne ! Que vous voilà grande !

– Eh bien ! Jim, c’est que j’ai dix-huit ans.

Il n’avait pas revu Jeanne Walton depuis deux ans, et il était saisi d’étonnement à la voir devenue si jolie. Mais, en même temps qu’une rare perfection des traits, la fillette, dont Sepping se rappelait si bien la physionomie gamine, avait acquis un maintien plus digne, une allure même un peu distante, qui n’était d’ailleurs que la marque d’un parfait sang-froid.

– Vous me surprenez, reprit le jeune homme, en train de rallumer à mon cœur la flamme du patriotisme. Il y a à voir les joyaux de la Couronne, le donjon où furent assassinés les petits princes, les initiales de Jane Grey gravées sur un mur…

Elle secoua la tête en riant.

– Je ne crois pas un mot de ce que vous me dites. Il paraît que vous êtes un homme terriblement occupé, et que vous avez autre chose à faire que ranimer vos sentiments patriotiques.

– Rex est-il aussi par là ?

– Oui, avec Dora. Ne doit-il pas enterrer sa vie de garçon un de ces soirs en dînant avec vous ?

Jim sourit.

– En effet, jeudi, je crois… Et puisque je vous rencontre sans votre frère, laissez-moi vous dire que je lui trouve un air inquiet depuis quelque temps. Qu’est-ce qu’il a ?

– Asseyons-nous, répondit vivement la jeune fille. Nous avons une petite minute devant nous… Je dois vous avouer que je vous en ai voulu longtemps de vous être fait policier… Quelle horrible profession pour un homme bien élevé ! Me pardonnez-vous ?

– Vous êtes pardonnée d’avance… Mais parlons de votre frère.

– Oui, dites-moi, croyez-vous qu’il fasse bien de se marier si tôt après la mort de cette pauvre Édith ?

– Si tôt ! Mais il y a près de deux ans !

Alors, la physionomie de la jeune fille s’assombrit et Jim vit ses petites mains se serrer convulsivement sur le manche de son ombrelle.

– Oh ! s’écria-t-elle, comment se fait-il que l’on n’ait pas encore pu arrêter ce sinistre malfaiteur ? C’est affreux, affreux !

Le jeune chef-détective ne se hâta pas de répondre. Les affaires de lettres anonymes sont toujours délicates, mais celles de Kupie n’étaient pas d’un maître chanteur ordinaire. Par exemple, l’événement auquel Jeanne Walton venait de faire allusion n’était autre qu’un crime, un crime mystérieux et resté impuni. La veille même du mariage d’Édith Branksome avec le frère de Jeanne, la délicieuse fiancée avait été trouvée morte. Un flacon d’acide prussique gisait près d’elle avec une lettre, une de ces lettres dont le fameux Kupie était coutumier, et qui suffisaient à tuer…

– Nous avons fait de notre mieux, dit enfin Jim Sepping. Kupie ne pratique pas la lâche lettre anonyme pour le seul plaisir de faire du mal. Il y a là-dessous de très grosses affaires d’argent. Il a réussi à faire chanter une bonne moitié des millionnaires de Londres… Et la pauvre Édith n’est pas la seule qu’il ait envoyée au tombeau… assassinée en somme serait le mot… Ah ! pour le moment, oublions cela ! Voyons, Jeanne, nous nous connaissons depuis longtemps ; aimez-vous Dora Coleman, votre future belle-sœur ?

– Certes ! s’écria la jeune fille. Elle est adorable ; je suis folle d’avoir pensé à les prier de différer le mariage. Rex est très amoureux… Mais, il reste inquiet… Jim…

Un coup d’œil de son interlocutrice l’arrêta. Il avait vu, en effet, s’avancer vers eux celui-là même dont ils s’entretenaient. Avec lui se trouvait une jeune fille dont l’éclatante beauté ne manquait jamais de susciter une nouvelle admiration dans le cœur de Jim Sepping. Elle était grande et souple. Ses cheveux étaient de cet or riche que les mères s’efforcent de faire durer chez leurs filles, l’or vif de la jeunesse en fleur. Des yeux graves et doux lui donnaient un air sage, que ne démentait pas son teint naturellement éblouissant. Elle sourit et tendit la main à Jim.

Rex Walton, son fiancé, était brun, large d’épaules, d’allure un peu concentrée. Il avait huit ans de plus que Dora, étant exactement du même âge que Jim. Les deux jeunes hommes avaient été au collège ensemble, puis à l’université, et ils s’étaient gardé une amitié fidèle en dépit des immenses richesses de Rex et de la relative pauvreté de Jim Sepping.

– Que diable est-ce que tu peux bien faire par ici ? s’exclama Rex.

– Ne le lui demande pas, dit sa sœur. Jim connaît l’art des réponses évasives.

– Oh ! il me dira bien la vérité, dit l’autre jeune fille en s’asseyant… En attendant, reposons-nous un peu. La visite de la Tour est bien fatigante, et nous avons encore les donjons à voir.

– Allez-y ensemble, dit Rex aux deux jeunes filles. Pour moi, j’ai à causer avec Jim.

Certes, à son ton brusque et à ses regards un peu durs, il était manifeste qu’une sourde inquiétude l’étreignait. Mais, sans doute, sa fiancée était-elle déjà habituée à ses sautes d’humeur, car elle ne témoigna d’aucune contrariété, et elle s’éloigna docilement avec sa future belle-sœur.

– Je sens que je deviens une brute, s’écria Rex dès qu’il fut seul avec son ami. Si Dora n’avait le plus accommodant caractère du monde, elle m’aurait déjà plusieurs fois mis à la porte. Ah ! Jim, je suis bien ennuyé… et je voudrais tant pouvoir te dire tout…

– Au sujet de Kupie ?

– Oui… et tout ce qui s’ensuit. J’ai été fou… et encore, je n’en suis pas sûr. Si j’avais été si fou, je n’oserais pas te demander conseil… D’ailleurs, je ne puis le faire sans indiscrétion…

En Rex Walton régnait un curieux mélange de force et de faiblesse, de courage indomptable et de douceur inquiète. Il s’était si vaillamment comporté pendant la guerre qu’il était parvenu à un très haut grade et avait reçu toutes les décorations possibles. Fils unique d’un grand industriel, il avait hérité d’une énorme fortune, et ce n’était pas là le moindre de ses soucis, car il n’avait absolument aucun goût pour les affaires. Il était l’homme prédestiné à patronner les inventeurs malheureux, à recevoir des centaines de lettres de solliciteurs par jour, à être en proie à tous les démarcheurs des deux continents.

– Tu as reçu une nouvelle lettre ? questionna Jim.

Rex prit son portefeuille et en sortit une feuille de papier gris.

– J’ai reçu ça ce matin.

Jim flaira le papier ; il avait cette odeur de tabac qui caractérisait toutes les épîtres de Kupie ; il ne portait aucune date, aucune adresse. Le jeune homme lut :

Si vous épousez Dora Coleman, je vous réduirai à la mendicité. Quelque précaution que vous preniez, vous ne pourrez pas m’empêcher de vous enlever toute votre fortune. C’est la dernière fois que je vous avertis.

K.

Jim rendit le billet.

– Il n’a jamais fait aucune allusion personnelle à votre fiancée, n’est-ce pas ? Jamais de menace contre elle-même ?

– Non.

– Eh bien ! je pense que cette fois, c’est du bluff. Comment pourrait-il s’emparer de votre fortune ?

Rex secoua la tête.

– Il paraît cependant, dit-il, que c’est lui qui a ruiné Pelmar… D’ailleurs, j’ai eu un long entretien avec quelqu’un qui en sait long et qui prend ce criminel plus au sérieux que toi.

– Qui donc ?

– Je lui ai promis de ne pas le nommer. Il m’a conseillé…

Rex s’arrêta court.

– S’agit-il d’un personnage officiel ?

– Oui, c’est un de tes collègues à l’état-major de la police.

Pour toute réponse, Jim se mit à siffloter ironiquement.

– C’est à toi que je voulais faire ces confidences, reprit l’autre, mais je me suis rencontré avec ce personnage dans des circonstances particulières… Il n’a abordé ce sujet qu’avec de grandes réticences ; il semble avoir peur de Kupie lui aussi.

– Ne peux-tu vraiment pas me dire qui c’est ?

Rex garda le silence.

– Ne te préoccupe pas de ces lettres, reprit Jim. C’est bien la dixième depuis que tes fiançailles sont annoncées, n’est-ce pas ? Kupie est habile, mais pas tout-puissant. Il y a tout de même des choses qu’il ne peut pas faire. Est-ce que Dora est au courant ?

– Oui, et elle me rassure comme toi, quoique, souvent, elle témoigne de vives craintes, et c’est ce qui me peine. Voyons, Jim, ta police ne peut-elle mettre la main sur cet individu ?

Sepping ne répondit pas tout de suite, puis conclut :

– Je donnerais beaucoup pour savoir quel est celui de mes collègues qui t’a engagé à prendre Kupie au sérieux.

II

Chaque semaine, les trois grands chefs de la police secrète se réunissaient dans un petit bureau très retiré de Scotland Yard pour discuter des grosses affaires pendantes. Bill Dicker présidait, Jim Sepping faisait fonction de secrétaire. Le troisième, un gros brun, s’appelait Miller.

La petite pièce où ils se réfugiaient pour concerter leur action de la semaine, lire les rapports des agents et rédiger leurs ordres, était tout obscurcie de fumée. Sepping fumait sans arrêt de gros cigares très noirs, et ses deux collègues délaissaient rarement leur pipe.

Ce jour-là, le gai soleil de mai brillant aux fenêtres invitait plutôt aux vagabondes pensées, et les trois grands chefs retenaient avec peine de fréquents bâillements. Seul Dicker, tournant le dos à la fenêtre, essayait de maintenir la conversation sur les affaires professionnelles, et cela n’était pas facile, mais tout à coup Miller lui vint en aide en demandant :

– Et ce vol à Greenwich ?

– L’auteur est découvert, s’empressa de répondre Dicker. C’est un nommé Harry Feld. Et, à ce sujet, vous pouvez féliciter l’agent qui a trouvé la piste, son rapport est remarquable.

– Et cet assassinat à Hertford ? questionna Sepping.

– La police d’Hertford ne nous a rien demandé. Ils se croient sans doute très malins… Nous verrons bien…

Miller se leva et s’étira.

– Ce doit être à peu près tout, n’est-ce pas ? dit-il. Vous savez que nous avons repéré l’usine à faux billets américains.

Bill Dicker répondit :

– Oui, et j’espère que nous allons mettre la main sur le chef de la bande, cette fois. Ce ne sera pas mauvais pour nous. Rappelez-vous que nous n’étions pas fiers lorsque le fameux Tony Frascati s’échappa…

Il n’y avait certes aucune animosité dans ces paroles ; Bill Dicker n’évoquait là qu’un vieux souvenir qui avait perdu toute importance… Mais Miller crut devoir ramasser la balle :

– C’est moi, monsieur, fit-il, qui étais chargé de la surveillance de Frascati. J’étais un simple inspecteur, mais je vous assure que tous les bateaux en partance avaient été visités !

Quand l’un des Trois en appelait un autre monsieur, c’est que ça commençait à aller mal.

– Certes, répondit Dicker avec son meilleur sourire, de pareilles choses peuvent nous arriver à tous. Frascati, chevalier d’industrie de grande envergure, aurait dû avoir toute une escouade à ses trousses. Vous ne pouviez pas tout voir… Et d’ailleurs, Frascati est mort maintenant…

– J’ai offert ma démission… voulut poursuivre l’autre.

– Allons, allons ! Qui de nous n’a quelques distractions à son passif ? C’est de l’histoire ancienne… Mais il y a malheureusement des affaires plus actuelles et plus difficiles… par exemple celle de Kupie… C’est vous, Sepping, que cela intéresse.

– Je gardais ce sujet pour le dessert, fit Jim. Avez-vous du nouveau ?

– Pas aujourd’hui, répliqua Dicker ; mais cela devient sérieux. Il faut arrêter les machinations de cet individu. Vous avez lu les résultats de l’enquête sur la mort de Mr. Shale ? Voilà déjà trois suicides causés par Kupie cette année, et il va y en avoir d’autres. Qui sait ce que prépare ce maître criminel ? Cela devient grave. Il y a quarante-trois ans que je suis dans la police, et je n’ai jamais vu l’impunité gardée si longtemps par le même homme. De tous les criminels que j’ai poursuivis, tous sont en prison, ou morts ; celui-ci seul m’échappe depuis trop longtemps.

Dicker disait vrai. Il avait un prodigieux pouvoir de divination, un « flair », aurait-on pu dire, qui dépistait les plus habiles stratagèmes. Que d’hommes il avait envoyés au bagne ou à la potence, après quelques instants de réflexion sur les résultats de la première enquête !

– Mais Kupie me dépasse, poursuivit-il ; et, pour l’honneur de la police, messieurs, j’espère que vous serez plus heureux que moi. Voyons, Sepping, je sais que vous vous en occupez activement, qu’en pensez-vous ?

– Jusqu’à présent, les victimes de Kupie chantent toutes très bien, mais ne crient pas toujours, fit Jim en rallumant son cigare. Vous souvenez-vous de ce grand personnage qui vint nous demander les lettres qu’il avait écrites à une actrice ?

– Oui, eh bien ?

– Eh bien ! Kupie les a eues, en a fait faire des reproductions, a envoyé une des moins compromettantes à la femme, à la mère, à la sœur, aux associés de notre personnage… et, sous menace de faire connaître les autres, a fait payer notre homme. J’ai vu ce matin Lawford Collett, l’avocat qui s’est occupé de la chose ; il m’a affirmé qu’il avait bien conseillé à son client de ne pas donner un centime… Néanmoins, l’imbécile s’est vu alléger de plus de dix mille livres !

– Savez-vous s’il y a en ce moment de nouvelles tentatives en cours ?

– Il y a Walton qui a reçu une dizaine de lettres, mais les premières datent déjà d’un mois ou deux… À propos, Miller, vous ne connaissez pas Walton, n’est-ce pas ?

– Un peu, dit l’autre.

– Mais vous ne lui avez jamais parlé ?

– Il se peut, pourquoi ?

– Il m’a dit qu’on lui avait conseillé de ne pas plaisanter avec les tentatives de Kupie, qu’on lui avait donné des exemples de l’immense pouvoir de ce maître chanteur…

– Certes, fit Miller d’un ton bourru, si vous voulez le savoir, j’ai conseillé à M. Walton de veiller, j’ai approuvé une méthode défensive qu’il me soumettait. Si vous croyez que Kupie…

– Allons, allons, intervint paternellement Dicker, ne vous mangez pas. Kupie n’est pas un imbécile, nous non plus…

Il s’arrêta. Quelqu’un frappait à la porte. Un agent en uniforme entra, portant une lettre qu’il tendit…

– Pour moi ? fit Miller…

Il déchira l’enveloppe et en sortit deux feuilles dactylographiées. Dicker causait avec Sepping lorsqu’ils entendirent un cri étouffé. Ils se retournèrent : Miller se tenait debout devant la fenêtre. Il se serrait la gorge comme s’il eût voulu s’étrangler et ses doigts froissaient convulsivement la lettre qu’il venait de recevoir. Il avait la face livide, les yeux agrandis…

– Pour l’amour du ciel, qu’y a-t-il ? s’écria Dicker en se précipitant vers lui. Vous avez de mauvaises nouvelles ?

Miller secoua négativement la tête.

– Rien… rien, dit-il d’une voix rauque. Excusez-moi.

Il sortit rapidement. On entendit la porte de son bureau se refermer. Les deux hommes s’entre-regardèrent.

– Qu’est-ce qu’il peut bien avoir ? fit Dicker.

– Je ne sais, répondit Jim. Il est célibataire ; ce n’est donc pas une affaire domestique… Mais il est si peu communicatif ! Il faudra…

Il s’arrêta. Un coup de feu avait retenti dans une pièce voisine. En une seconde, Jim fut dans le corridor ; il se précipita à la porte du bureau de Miller : elle était fermée à clef.

– Le passe ! fit brièvement Dicker.

Jim courut et rapporta bientôt la clef. Ils entrèrent. Une légère fumée était dans l’air et, devant la cheminée, Miller était étendu, tenant encore son revolver dans sa main crispée. Du premier coup d’œil, Jim vit qu’un papier brûlait dans la cheminée, il se hâta de le retirer, mais il n’en restait qu’un fragment…

– Il est mort, dit Dicker qui s’était penché sur l’homme étendu. Qu’avez-vous trouvé dans la cheminée ? Ce bout de papier ? Il faudra photographier les fragments carbonisés… Voyons, qu’y a-t-il là ?

La lettre avait été déchirée en hauteur, de sorte que le morceau de papier non consumé conservait le début de plusieurs lignes de suite. Les deux policiers lurent :

Deux cent mille…

Tony Frasca…

fuite…

en banque…

Au-dessous se trouvait comme signature un K.

– … Ce que je redoutais… dit Bill Dicker après avoir réfléchi un instant… Depuis la fuite de Frascati, Miller avait de l’argent… Il a dû se laisser acheter pour laisser fuir le fameux faussaire… Mais Kupie – qui sait tout – l’a appris… et le faisait chanter… Pauvre Miller ; il expie un moment de faiblesse…

Dicker frotta une allumette et brûla le fragment de papier.

– Cela reste entre vous et moi, n’est-ce pas ? dit-il à Jim Sepping. L’honneur du service avant tout !

– Ah ! s’écria Jim, je le vengerai, j’arrêterai ce Kupie, de mes propres mains !

III

– Si la découverte d’un criminel était aussi facile que nous le représentent la plupart des auteurs de romans policiers, je pourrais faire la lumière sur toutes les affaires mystérieuses du monde avant d’aller me coucher, ce soir, dit Jim Sepping. Car, notons-le bien, dans ces romans, nous connaissons le milieu, les caractères des personnages. Le criminel ne peut être le jeune premier sympathique, ni la douce héroïne aux yeux bleus… même si toutes les apparences sont contre eux…

Rex Walton sourit et se versa un verre de bénédictine. Il dînait chez son ami, et se sentait enclin, en cette dernière soirée de garçon, à trouver la vie bonne et tout le monde charmant.

– Si tous les criminels étaient grands, bruns, habillés de noir et de physionomie sinistre ; si les yeux bleus étaient toujours une preuve d’innocence, notre tâche serait trop facile… Tiens, tu vas voir.

Jim se leva et alla prendre dans sa bibliothèque un gros album ; il l’ouvrit devant son invité. Il y avait là de nombreux portraits d’hommes et de femmes, des photographies de maisons et d’intérieurs, des échantillons d’écritures, des ébauches de plans, et même quelques fleurs séchées.

– Regarde cette photo.

Elle représentait un jeune homme aux yeux intelligents, au sourire aimable.

– Ça, c’est Balloane, l’assassin de Gateshead ; il a tué quatre femmes et a si bien dépecé les cadavres qu’on n’en a jamais rien retrouvé. Maintenant, considère cet autre portrait.

C’était celui d’un homme aux larges épaules, à la face ronde, l’air menaçant.

– Remarque les pupilles étroites, le nez régulier, la lèvre inférieure pendante…

– C’est donc un autre assassin, fit Rex.

– C’est l’inspecteur-chef qui arrêta Balloane, répondit Sepping. Et ajoute qu’il est célibataire et dépense toutes ses économies à subventionner un hôpital d’enfants.

Il tourna un feuillet.

– Ceci encore : est-ce le portrait d’une brave femme ou d’une criminelle ?

Rex examina attentivement la photo.

– On dirait une personne de classe moyenne, dit-il enfin, un peu vulgaire, mais pas méchante… une vieille servante, une petite épicière…

– C’est Jessie Heinz, gardienne d’enfants. Elle a tué sept garçons et filles et a été pendue à Cardiff.

Sepping referma l’album et ajouta :

– Quand la police arrive sur la scène d’un meurtre, elle ne se trouve que devant un cadavre. Toute la pensée, les haines, les craintes, toutes les complexités de la vie qui étaient là ont disparu à jamais. Les liens qui rattachaient la victime au monde sont rompus. Il faut tout reconstruire.

Rex Walton demeurait songeur. Enfin, il écrasa la cendre de son cigare sur le rebord de sa soucoupe et dit avec une émotion contenue :

– Plaise au ciel que tu arrives à reconstruire le milieu où s’agite ce Kupie, à l’identifier et à le faire pendre !

– J’ai déjà essayé, mon cher, mais jusqu’à présent, je ne suis arrivé à rien. Un esprit normal a beaucoup de peine à se représenter l’état d’âme et les mobiles d’un maître chanteur. Et il est plus que cela. Il ne confectionne pas toutes ses lettres anonymes en vue d’un gain ; il y a de la malice, je ne sais quelle force diabolique et corrosive, dans plusieurs d’entre elles…

– Ah ! c’est affreux, soupira Rex en frissonnant…

– Pardon, mon vieux… Ce n’est pas ce soir que je devrais ajouter de sombres couleurs au problème Kupie…

– N’importe, mes craintes ne datent pas d’aujourd’hui, et il vaut mieux savoir…

– D’ailleurs, reprit Jim, comme je te le disais, Kupie travaille pour le simple amour de l’art, par pure malignité… Ainsi pour la mort de Miller…

Rex se dressa vivement :

– Miller, dis-tu ? le chef de police, ton collègue ? Kupie l’a tué ?

L’expression de terreur qui avait envahi sa face montra à Jim qu’il avait deviné juste.

– Tu le connaissais ? C’est à lui que tu avais demandé conseil récemment ?

– Oui… Et… crois-tu qu’on l’ait tué à cause de ça ? Comment cela est-il arrivé ?

– Il s’est suicidé au reçu d’une lettre de Kupie… Mais je te le dis confidentiellement, parce que nous avons décidé que cette affaire-là ne serait pas ébruitée. Il avait commis une faute, il y a des années, et Kupie le savait, voilà tout.

Rex secoua la tête :

– Non, non, ce n’est pas cela, dit-il, c’est parce qu’il me voulait aider, parce que…

– Eh bien ? interrogea Jim voyant que son interlocuteur hésitait à poursuivre.

Rex passa sa main sur son front ruisselant de sueur, et reprit d’un air égaré :

– Je serai joliment content quand la journée de demain sera passée… Je ne suis pourtant pas un lâche, et j’ai vu des hommes paralysés de terreur devant les fils de fer barbelés… Mais l’on savait ce que l’on risquait alors, tandis que cet insondable inconnu où se meut Kupie…

Et subitement il éclata de rire :

– D’ailleurs, je suis un idiot, reprit-il ; ce dont j’avais peur ne peut plus se produire maintenant.

– Pourquoi… maintenant ? demanda vivement son ami.

… Mais à ce même moment, on frappa à la porte, et le valet de Sepping annonça :

– Miss Coleman et miss Walton.

Dora Coleman était délicieuse dans son manteau de velours rouge, et Jeanne Walton, si jolie fût-elle, avec ses cheveux courts et sa physionomie réfléchie, était presque éclipsée par la radieuse beauté de la jeune fiancée.

– Vous n’avez pas l’air de vous amuser comme cela se doit quand on enterre sa vie de garçon, fit Dora avec un éclair amusé dans les yeux.

Walton l’aida à quitter son éblouissant manteau :

– Oh ! dit-il, c’est que nous avons une façon grave de nous amuser, ce bon Jim et moi !

Rien dans sa voix ne pouvait déceler son inquiétude.

– Et de quoi parliez-vous donc ? De crime, d’assassinat et de choses de ce genre ? demanda Jeanne en enlevant son manteau avant que Jim eût songé à l’aider.

Elle s’assit et reprit :

– Nous arrivons du théâtre… La pièce était bien mauvaise. Heureusement que Dora, toute à ses heureuses pensées, n’écoutait pas… Qu’est-ce que cela ?

Elle fit un mouvement pour prendre l’album qui se trouvait encore sur la table, mais Jim l’en empêcha.

– Ce n’est pas pour les jeunes filles, dit-il ; c’est mon livre d’horreurs…

– Laissez-moi voir ça ! implora Jeanne. Il ne peut, certes, rien y avoir de plus horrible que le drame lamentable que nous venons de voir, encore plus lamentablement joué…

– Je croyais que vous étiez allées voir une comédie…

– Le programme le disait, répondit Jeanne en allumant une cigarette… mais c’était à pleurer ! Je me sens une âme de criminelle après ça… Regardez comme les yeux de Dora sont tristes !

Dora rit doucement.

– C’est impossible, dit-elle. Je ne puis pas être triste. Jeanne a essayé de m’épouvanter toute la soirée, mais elle n’y a pas réussi.

– Ma chère Jeanne, fit Walton, pourquoi cela ?

– C’est excellent pour elle, riposta Jeanne.

Elle prit la bouteille qui se trouvait sur la table et lut l’étiquette :

– « Budsteiner » ! Qu’est-ce que c’est que cette marque ? Je croyais que pour un dîner comme celui-ci il n’y avait que le bon et honnête champagne ! En tout cas, Jim, avez-vous donné de bons conseils à mon cher frère ?

– Jamais de la vie ! répondit Jim. Cela ne regarde pas la police !

Tous éclatèrent de rire. Dora prit une grappe de raisin et, tout en l’égrenant lentement :

– Rex vous a-t-il dit son secret ?

– Je ne savais pas qu’il eût un secret, répondit l’officier en levant légèrement les sourcils.

– Il fait un grand mystère de ses projets de voyage de noce, interrompit Jeanne en lançant d’énormes bouffées de fumée. En tout cas, je pense, rien de vulgaire comme un voyage à Venise, une escapade en Ecosse, ou une visite à Paris…

Elle lança à son frère des regards chargés de malice :

– Voyons, Rex, dis-le-nous maintenant, nous sommes entre amis. Je jure de garder ma langue…

– Ah ! Ah ! Serment de femme ! Merci bien ! s’écria Rex. Non, ma chérie, c’est mon secret, à moi ; Dora même ne saura où nous allons qu’après le mariage. Allons, mes enfants, je vous ramène ! Jim, à demain. Nous déjeunons avant la cérémonie… et, attention, pas de cadeau de noce !

– Ah ! cela, Rex, nous ne sommes pas d’accord ! dit Jeanne. Quand toi-même n’offrirais rien à ta fiancée, moi, je vous offrirai un huilier en argent. J’envoie un huilier à toutes mes amies qui se marient ; c’est mon habitude invariable et je n’y renoncerai pas pour vous ! Pour moi on n’est pas dûment marié tant qu’on n’a pas son huilier en argent. Tenez-vous-le pour dit.

… Jim accompagna ses visiteurs jusqu’à la porte cochère du vaste immeuble où il avait son appartement et suivit leur auto des yeux jusqu’à ce qu’elle eût disparu au coin de la rue. Comme il allait rentrer, un homme qui marchait très vite, le bouscula un peu…

– Pardon ! fit gentiment Jim sans songer qu’il n’était nullement responsable du choc.

Mais l’autre continua précipitamment sa route sans répondre.

Il rentra dans la salle à manger. En cherchant sa boîte d’allumettes dans sa poche, sa main rencontra un objet bizarre… qu’il sortit ; c’était une de ces petites poupées en celluloïd, avec des yeux torves et une bouche grimaçante, qu’on appelle des « Kupies ». Elle portait en guise de ceinture un ruban blanc sur lequel était écrit en caractères d’imprimerie :

Ne vous en mêlez pas. – K.

Il considéra longuement la petite poupée.

– D’où diable cela peut-il bien venir ? se demanda-t-il tout haut.

IV

M. Théophile Coleman, debout, devant la fenêtre de sa somptueuse salle à manger, regardait la place Portland. Il n’était pas de très bonne humeur. Pour un homme d’habitudes réglées comme lui, le jour du mariage de sa fille ne devait pas être des plus agréables. Évidemment, il avait dû, cette fois, renoncer à sa promenade matinale et invariable autour de la place Portland, à son ordinaire déjeuner de neuf heures, à sa lecture du Times, à son coquet bureau au ministère des Finances.

Ce n’était pas un sportif ; il préférait le whist à tout autre jeu. Dans ses propos toujours calmes et mesurés, il était facile de reconnaître les opinions invariables d’un bon bourgeois conservateur : il tenait en abomination particulière le socialisme, l’éducation populaire, les Américains.

Petit, gros, très chauve, les joues adornées de magnifiques favoris, le teint rose et frais, il offrait toutes les apparences d’un bon vieux riche. Pendant la guerre, il avait pris un emploi au ministère des Finances. Et il y était resté. Là, de dix heures du matin à quatre heures de l’après-midi, il numérotait et signait des documents, les passait à un fonctionnaire supérieur qui les signait et les numérotait pareillement. Sans doute, entre ces deux gentlemen, il devait y avoir quelqu’un, autre part, qui lisait ces documents, mais M. Coleman ne semblait s’être jamais soucié de savoir qui était ce laborieux individu.

Une fois la guerre finie, M. Coleman était resté au ministère bien qu’il y eût un traitement dérisoire, mais l’honneur lui suffisait sans doute, et sa grosse fortune devait le dispenser d’ambitions plus rémunératrices. Dans son entourage, beaucoup de gens croyaient qu’il avait toujours été dans les Finances.

Donc, ce matin-là, toutes les habitudes de cet homme ponctuel et méthodique subissaient une rude atteinte. Il ne s’en plaignait pas, il mariait sa fille à un homme de la plus haute société, jeune, extrêmement riche ; et devant la grande table toute surchargée de cristaux, d’argenterie et de fleurs rares, il se bornait à regretter en secret d’avoir été frustré de son ordinaire déjeuner… Bagatelle, d’ailleurs !

– Les malles de M. Walton sont-elles arrivées ? demanda-t-il à un valet aux cheveux blancs.

– Oui, monsieur. On les a apportées ce matin ; et je me suis permis de sortir le costume de voyage de M. Walton.

M. Coleman fronça du sourcil.

– On n’a pas de costume de voyage, Parker, on a des costumes au matin, du soir et de ville. Vous voulez dire que vous avez préparé le costume de ville de M. Walton.

– Oui, monsieur.

– Lorsque M. Walton reviendra de la cérémonie, vous l’aiderez à changer de vêtement, Parker. Il doit avoir l’habitude d’être servi… c’est un homme si mondain… Ah ! bonjour, chérie !

Ces derniers mots s’adressaient à sa fille qui entrait au même instant.

Peu de femmes paraissent aussi fraîches le matin que le soir, mais Dora Coleman faisait exception à la règle. Vive et légère comme une enfant, elle s’approcha de son père et l’embrassa.

– Bien dormi ? Ah ! heureuse fiancée pour qui tout est ensoleillé… Quoiqu’il pleuve !

– Je suis si heureuse, murmura-t-elle.

Lawford Collett arrivait à ce moment. À ses mérites de bon avocat s’ajoutait la gloire d’être conseil de M. Coleman. Et, qu’il fût également cousin de Dora, propre neveu de M. Coleman, cela avait certainement moins d’importance, aux yeux de M. Coleman en tout cas.

Quelques instants après, Rex Walton et sa sœur entrèrent, aussitôt suivis de Jim Sepping. Rex était visiblement nerveux et distrait. Sa physionomie s’éclaira cependant lorsqu’il aperçut sa fiancée. Ils se retirèrent un moment dans l’embrasure d’une fenêtre en causant gentiment.

– Ah ! Ah ! monsieur Sepping, fit M. Coleman, votre curiosité sera déçue ! Il n’y a pas de corbeille de noces !

– Je sais, répondit Jim, que Rex n’a pas voulu de cadeaux.

– Et c’est très sage, observa M. Coleman. M. Walton est si riche, d’ailleurs, qu’on peut lui pardonner cette fantaisie. Il a annoncé qu’il voulait être seul à offrir quelque chose à Dora.

– Ce qui ne m’a pas empêchée, intervint Jeanne Walton, de lui donner un huilier… Je l’ai apporté…

Sepping éclata de rire, mais M. Coleman fronça légèrement du sourcil. Il n’aimait guère Jeanne Walton et ne s’en cachait peut-être pas assez. C’est qu’elle représentait pour lui tout ce qu’il détestait dans la femme moderne. Elle fumait, jouait aux cartes, dansait – non pas ces danses modestes que pratiquait la grand-mère de M. Coleman – mais ces jazz dévergondés, et enfin il la trouvait impertinente.

– Tout le monde est là… Parker ?

M. Coleman s’approcha de sa fille et la conduisit cérémonieusement à table.

… Jim avait Jeanne à sa droite et Lawford Collett à sa gauche.

– Avez-vous enfin découvert de quel côté Rex a l’intention de se diriger ? demanda-t-il à la jeune fille.

Elle secoua la tête.

– Il est resté muet comme une carpe à ce sujet. Je ne sais même pas encore ce qu’il va mettre tout à l’heure dans la corbeille de noces. Ce doit être quelque chose d’extraordinairement précieux et rare, car tous les bijoutiers de Londres sont sens dessus dessous, et il paraît que Rex a refusé un collier de perles de plusieurs milliers de livres, ne le trouvant pas assez beau…

Ce disant, Jeanne soupira en regardant Dora. Jim devina sa pensée :

– À votre place, je ne songerais plus au passé, lui dit-il, et si Rex ne regrette rien, nous n’avons qu’à nous réjouir pour lui.

– Certes, fit-elle, j’aime beaucoup Dora, si douce, si gentille. Mais Édith était ma grande amie… et je n’aurais pas voulu que Rex se mariât si tôt après… Enfin, il l’aime et je suis heureuse de le voir heureux.

Puis elle changea de sujet et redevint gaie.

Le programme de la journée était fort simple. Le mariage devait être célébré à Sainte-Marylebone après quoi, les deux jeunes époux rentreraient place Portland, à l’hôtel particulier des Coleman, changeraient de costumes et monteraient dans la puissante auto de Rex Walton qui les emporterait vers leur destination encore inconnue.

Jim rencontra les regards, de son ami qui lui sourit. Rex semblait avoir oublié toutes ses craintes de la nuit précédente. Il ne pouvait détacher les yeux de sa brillante fiancée assise à la droite de son père.

Alors, l’important M. Coleman se leva, son verre à la main…

– Je parie qu’il va débuter par « mes chers amis », souffla Jeanne à Jim.

– Je tiens, répondit ce dernier qui perdit aussitôt.

En effet, l’excellent Coleman, après s’être éclairci la voix, commençait :

– Mes chers amis, en ce beau jour… hum… où deux cœurs amoureux… herr… vont être unis par les liens sacrés du mariage… il nous est doux de leur souhaiter la prospérité et le bonheur que… herrem…

Il acheva au milieu des applaudissements…

À ce moment, le solennel Parker s’approcha respectueusement de Rex Walton, se pencha et lui dit quelque chose à l’oreille.

Rex se leva et sortit de la pièce.

– Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Jeanne.

Ni M. Coleman ni sa fille ne paraissaient très étonnés ; cependant M. Coleman appela Parker d’un signe et lui posa quelques questions à voix basse. Puis, M. Coleman, hochant la tête d’un air entendu, parla à Dora qui ensuite, se pencha vers Jim. Jeanne entendit les derniers mots :

– Il avait demandé à Parker de l’appeler à dix heures dix… paraît-il. Je voudrais bien savoir pourquoi… Il a la passion de faire des surprises… mais, cette fois, je pense qu’il est allé chercher le fameux cadeau…

… Cinq minutes s’écoulèrent… puis dix, et Rex Walton n’était pas de retour à table. M. Coleman regarda sa montre :

– Eh ! Eh ! fit-il par manière de plaisanterie, notre jeune ami devrait se rappeler qu’il a un rendez-vous assez important tout à l’heure…

Cinq autres minutes passèrent. Alors Parker sortit de la salle à manger. Il rentra presque aussitôt.

– M. Walton n’est plus dans la maison, monsieur, dit-il.

… Et, en effet, on eut beau le chercher, il resta introuvable. Il avait disparu et personne ne l’avait vu sortir de la maison.