L'âme celte - Ernest Renan - E-Book

L'âme celte E-Book

Ernest Renan

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Beschreibung

Ernest Renan est l'un des plus grands historien français, à dire vrai l'un des fondateurs de cette discipline dans notre pays, avec Jules Michelet ou Fustel de Coulanges. Comme tous les Français du XIXème siècle, il s'est beaucoup interrogé sur les origines et la nature de la Nation française, pour tenter de comprendre ce qui réunissait ces millions d'hommes et de femmes en une même communauté. Et la réponse à cette question, il l'a trouvée dans les structures mentales de notre civilisation, forgées pendant les longs siècles de l'époque celtique. Mais cette époque celtique, Renan considère qu'elle n'est toujours pas achevée... Un point de vue pour le moins passionnant, que l'auteur a développé dans un essai remarquable, La poésie des races celtiques, réintitulé ensuite L'âme celte, écrit en 1854, dont la profondeur est rendue plus percutente par la concision même du texte. Le texte fut par la suite augmenté d'un discours prononcé en Sorbonne en 1882, Qu'est-ce qu'une Nation ?

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Sommaire

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

I

Si l’excellence des races devait être appréciée par la pureté de leur sang et l’inviolabilité de leur caractère, aucune, il faut l’avouer, ne pourrait le disputer en noblesse aux restes encore subsistants de la race celtique1. Jamais famille humaine n’a vécu plus isolée du monde et plus pure de tout mélange étranger. Resserrée par la conquête dans des îles et des presqu’îles oubliées, elle a opposé une barrière infranchissable aux influences du dehors : elle a tout tiré d’elle-même, et n’a vécu que de son propre fonds. De là cette puissante individualité, cette haine de l’étranger qui, jusqu’à nos jours, a formé le trait essentiel de ces peuples. La civilisation romaine ne les atteignit qu’à peine et ne laissa parmi eux que peu de traces. L’invasion germanique les refoula, mais ne les pénétra point. À l’heure qu’il est, ils résistent encore à une invasion bien autrement dangereuse, celle de la civilisation moderne, si destructive des variétés locales et des types nationaux. L’Irlande en particulier (et là peut-être est le secret de son irrémédiable faiblesse) est la seule terre de l’Europe où l’indigène puisse produire les titres de sa descendance, et affirmer avec assurance, jusqu’aux ténèbres anté-historiques, la race d’où il est sorti.

C’est dans cette vie retirée, dans cette défiance contre tout ce qui vient du dehors, qu’il faut chercher l’explication des traits principaux du caractère de la race celtique. Elle a tous les défauts et toutes les qualités de l’homme solitaire : à la fois fière et timide, puissante par le sentiment et faible dans l’action ; chez elle, libre et épanouie ; à l’extérieur, gauche et embarrassée. Elle se défie de l’étranger, parce qu’elle y voit un être plus raffiné qu’elle, et qui abuserait de sa simplicité. Indifférente à l’admiration d’autrui, elle ne demande qu’une chose, qu’on la laisse chez elle. C’est par excellence une race domestique, formée pour la famille et les joies du foyer. Chez nulle autre race, le lien du sang n’a été plus fort, n’a créé plus de devoirs, n’a rattaché l’homme à son semblable avec autant d’étendue et de profondeur. Toute l’institution sociale des races celtiques n’était à l’origine qu’une extension de la famille. Une expression vulgaire atteste encore aujourd’hui que nulle part la trace de cette grande organisation de la parenté ne s’est mieux conservée qu’en Bretagne. C’est en effet une opinion répandue en ce pays que le sang parle, et que deux parents inconnus l’un à l’autre, se rencontrant sur quelque point du monde que ce soit, se reconnaissent à la secrète et mystérieuse émotion qu’ils éprouvent l’un devant l’autre. Le respect des morts tient au même principe. Nulle part la condition des morts n’a été meilleure, nulle part le tombeau ne recueille autant de souvenirs et de prières. C’est que la vie n’est pas pour ce peuple une aventure personnelle que chacun court pour son propre compte et à ses risques et périls : c’est un anneau dans une longue tradition, un don reçu et transmis, une dette payée et un devoir accompli.

On aperçoit sans peine combien des natures aussi fortement concentrées étaient peu propres à fournir un de ces brillants développements qui imposent au monde l’ascendant momentané d’un peuple, et voilà sans doute pourquoi le rôle extérieur de la race kymrique a toujours été secondaire. Dénuée de toute expansion, étrangère à toute idée d’agression et de conquête, peu soucieuse de faire prévaloir sa pensée au dehors, elle n’a su que reculer tant que l’espace lui a suffi, puis, acculée dans sa dernière retraite, opposer à ses ennemis une résistance invincible. Sa fidélité même n’a été qu’un dévouement inutile. Dure à soumettre et toujours en arrière du temps, elle est fidèle à ses vainqueurs quand ceux-ci ne le sont plus à eux-mêmes. La dernière, elle a défendu son indépendance religieuse contre Rome, et elle est devenue le plus ferme appui du catholicisme ; la dernière en France, elle a défendu son indépendance politique contre le roi, et elle a donné au monde les derniers royalistes.

Ainsi la race celtique s’est usée à résister au temps et à défendre les causes désespérées. Il ne semble pas qu’à aucune époque elle ait eu d’aptitude pour la vie politique : l’esprit de la famille a étouffé chez elle toute tentative d’organisation plus étendue. Il ne semble pas aussi que les peuples qui la composent soient par eux-mêmes susceptibles de progrès. La vie leur apparaît comme une condition fixe qu’il n’est pas au pouvoir de l’homme de changer. Doués de peu d’initiative, trop portés à s’envisager comme mineurs et en tutelle, ils croient vite à la fatalité et s’y résignent. À la voir si peu audacieuse contre Dieu, on croirait à peine que cette race est fille de Japhet.

De là vient sa tristesse. Prenez les chants de ses bardes du VIe siècle ; ils pleurent plus de défaites qu’ils ne chantent de victoires. Son histoire n’est elle-même qu’une longue complainte ; elle se rappelle encore ses exils, ses fuites à travers les mers. Si parfois elle semble s’égayer, une larme ne tarde pas à briller derrière son sourire ; elle ne connaît pas ce singulier oubli de la condition humaine et de ses destinées qu’on appelle la gaieté. Ses chants de joie finissent en élégies ; rien n’égale la délicieuse tristesse de ses mélodies nationales ; on dirait des émanations d’en haut, qui, tombant goutte à goutte sur l’âme, la traversent comme des souvenirs d’un autre monde. Jamais on n’a savouré aussi longuement ces voluptés solitaires de la conscience, ces réminiscences poétiques où se croisent à la fois toutes les sensations de la vie, si vagues, si profondes, si pénétrantes, que, pour peu qu’elles vinssent à se prolonger, on en mourrait, sans pouvoir dire si c’est d’amertume ou de douceur.

L’infinie délicatesse de sentiment qui caractérise la race celtique est étroitement liée à ses besoins de concentration. Les natures peu expansives sont presque toujours celles qui sentent avec le plus de profondeur ; car plus le sentiment est profond, moins il tend à s’exprimer. De là cette charmante pudeur, ce quelque chose de voilé, de sobre, d’exquis, qui éclate d’une manière admirable dans les chants publiés par M. de la Villemarqué. Rien de plus opposé à cette rhétorique du sentiment, trop familière aux races latines, et à la naïveté réfléchie de l’Alle-magne. La réserve apparente des peuples celtiques, qu’on prend souvent pour de la froideur, tient à cette timidité intérieure, qui craint de se définir à elle-même. Ils semblent croire qu’un sentiment perd la moitié de sa valeur quand il est exprimé, et que le cœur ne doit avoir d’autre spectateur que lui-même.

S’il était permis d’assigner un sexe aux nations comme aux individus, il faudrait dire sans hésiter que la race celtique, surtout envisagée dans sa branche kymrique ou bretonne, est une race essentiellement féminine. Aucune race, je crois, n’a porté dans l’amour autant de mystère. Nulle autre n’a conçu avec plus de délicatesse l’idéal de la femme et n’en a été plus dominée. C’est une sorte d’enivrement, une folie, un vertige. Lisez l’étrange mabinogi de Pérédur ou son imitation française, Perceval le Gallois ; ces pages sont humides, pour ainsi dire, du sentiment féminin. La femme y apparaît comme une sorte de vision vague, intermédiaire entre l’homme et le monde surnaturel. Je ne vois vraiment aucune littérature qui offre rien d’analogue à ceci. Comparez Guenièvre et Iseult à ces furies scandinaves de Gudruna et de Chrimhilde, et vous avouerez que la femme telle que l’a conçue la chevalerie, — cet idéal de douceur et de beauté posé comme but suprême de la vie, — n’est une création ni classique, ni chrétienne, ni germanique, mais bien réellement celtique.

La puissance de l’imagination est presque toujours proportionnée à la concentration du sentiment et au peu de développement extérieur de la vie. Le caractère si limité de l’imagination de la Grèce et de l’Italie tient à cette facile expansion des peuples du Midi, chez lesquels l’âme, toute répandue au dehors, se réfléchit peu elle-même. Comparée à l’imagination classique, l’imagination celtique est vraiment l’infini comparé au fini. Dans le beau mabinogi du Songe de Maxen Wledig