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Constance, Adam et Sarah, liés par une amitié profonde depuis leurs années universitaires, refusent de rompre leur attachement unique alors qu’ils entrent dans leur vie d’adulte. Ils décident de se retrouver tous les 4 ans en différents lieux, malgré des chemins de vie divergents. Constance s’installe aux États-Unis, Adam part en Grèce poursuivre ses études, Sarah devient professeure à la Sorbonne et renoue avec ses racines provençales. Entre secrets de famille, souffrances conjugales et retrouvailles teintées de vaines promesses, ils cherchent le bonheur en niant l’essentiel : le lien indéfectible qui les unit à la vie, à la mort.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Sa passion pour l’histoire et la littérature a guidé
Sandra Duhot dans la création de plusieurs œuvres remarquables. Après avoir publié Lola et Immortelles destinées chez Évidence Éditions en 2018 et 2019 respectivement, ainsi que L’encre des maux chez Le Lys Bleu Édition en 2022, elle nous présente son nouveau roman : "L’âme cœur".
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Seitenzahl: 302
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Sandra Duhot
L’âme cœur
Roman
© Lys Bleu Éditions – Sandra Duhot
ISBN : 979-10-422-1702-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Septembre 2003
Sarah aimait la nature luxuriante. La canopée l’avait toujours impressionnée. Ces vastes forêts tropicales, d’où émergeaient des sons discrets puis tout à coup stridents et dans lesquelles semblait grouiller une faune extraordinaire, étaient paradoxalement apaisantes. Elle observait à l’aube et au crépuscule cette faune sauvage tandis qu’elle disparaissait pour le reste de la journée avec les premiers rayons du soleil, comme si soudain tout semblant de vie n’avait plus lieu d’être. Les voyages l’avaient nourrie depuis toujours. Petite, elle se laissait guider par ses parents, confiante, vers des contrées inconnues ; l’Afrique, l’Asie, l’Amérique du Sud… Ses parents étaient médecins sans frontières. Ils changeaient donc d’espace, de lieu d’habitation, de pays, de culture au rythme des événements de par le monde ; conflits armés, catastrophes naturelles, épidémies. Comment s’attacher dans ces conditions ? Sarah était nulle part et partout chez elle à la fois. C’était un sentiment étrange que d’avoir la planète entière comme lieu d’existence. C’était à la fois troublant et rassurant.
Elle s’établit à Paris lorsqu’elle eut dix-huit ans, le baccalauréat en poche passé depuis le Gabon après l’avoir travaillé par correspondance. Elle quittait, pour la première fois, ses parents, le cocon familial et la nature sauvage au contact de laquelle elle avait grandi et s’était construite depuis l’enfance. Vouant une vraie passion pour les grands espaces indomptés où l’animal est roi, Paris lui fit l’effet d’une bombe. Trop de monde, trop de bruit, trop de pollution ! Comment allait-elle supporter un tel vacarme continuel ?
Elle décida d’aller de l’avant et fonçait tête baissée dans sa nouvelle existence d’étudiante assidue et sérieuse. Portée par l’histoire et les civilisations anciennes, elle s’inscrivit à la Sorbonne, en histoire de l’art et archéologie.
La Sorbonne, plus qu’un nom, était un monument qui impressionnait par sa beauté et son histoire. Construite pendant le moyen-âge et le Paris médiéval, à l’image des medersas islamistes, l’imposante bâtisse appelée « Collège » au treizième siècle, avant de prendre le nom de Sorbonne, avait accueilli, durant les siècles qui s’étaient succédé, des milliers d’étudiants en provenance de l’Europe entière. Les enseignants de la Sorbonne et ses illustres étudiants (nombreux devinrent et deviennent encore des hommes politiques, écrivains, philosophes ou historiens…) contribuèrent largement au débat intellectuel qui animait le royaume de France de l’époque, et participèrent à la renommée de l’Université dans le monde. Le cardinal Richelieu, proviseur de l’établissement au début du quinzième siècle, fut notamment à l’origine de la chapelle construite en son sein pour y placer son tombeau. Les rénovations successives des bâtiments tout au long des siècles dont celles des dortoirs et l’immense bibliothèque contribuant à son prestige, en avaient fait un monument d’exception pour étudier.
Pour toutes ces raisons, la jeune Sarah se réjouissait de poursuivre ses études à la Sorbonne. Ses Parents, Paul et Martha, lui avaient loué un petit studio à deux pas de la place du même nom, niché sous les toits, dans une ruelle adjacente débouchant sur le Panthéon, au cœur du Quartier latin, tout près des jardins du Luxembourg et à deux pas de l’île de la Cité. Elle mit un certain temps à s’habituer à sa nouvelle vie et à sa solitude, mais elle finit par prendre ses marques. Elle adopta un chaton, qu’elle prénomma Okka, pour ne pas se sentir trop seule. Le soir après les cours, travailler à son contact, l’entendre ronronner à ses côtés l’apaisait et lui permettait de supporter l’absence de ses parents qui poursuivaient, heureux, leur périple autour du monde. Ils avaient quitté le Gabon pour la Thaïlande où Sarah les rejoindrait à Noël. Ils avaient pris l’habitude de communiquer via Six Degrees et MSN aux prémices des réseaux sociaux puis avec Facebook, Messenger, WhatsApp, Skype qui avaient supplanté MSN. Bref, Internet n’avait pas de secret pour eux. Ils compensaient ainsi l’absence par des échanges interminables à travers leurs écrans et cette virtualité du contact leur convenait. Ils se racontaient l’essentiel ou des banalités et rompaient la communication avant de se lasser. De fait, les discussions houleuses étaient rares et les échanges heureux plus nombreux.
À l’Université, Sarah découvrit avec stupeur la difficulté de se lier d’amitié. Les étudiants étaient si nombreux en première année qu’il était difficile de recroiser les mêmes visages dans une même journée. Ainsi, Sarah restait plusieurs semaines, seule et désœuvrée, s’astreignant à une certaine routine pour ne pas déprimer. Levée aux aurores, elle rejoignait le jardin du Luxembourg à deux pas pour un footing matinal. À 7 h 15, elle prenait une douche vivifiante, avalait à la hâte son petit-déjeuner pour attaquer les cours à 8 h. Il lui arrivait de rentrer chez elle pour déjeuner si son emploi du temps le permettait sinon elle mangeait sur le pouce et finissait généralement la journée à la bibliothèque à la fois pour se donner du cœur à l’ouvrage, encouragée par l’ambiance studieuse qui y régnait, et parfaire les recherches que suscitait la formation qu’elle avait choisie.
L’histoire de l’art et l’archéologie étaient deux matières très complémentaires. Pendant cinq ans, l’enseignement allait se focaliser sur l’art et l’archéologie en Europe depuis l’Antiquité classique jusqu’à l’époque contemporaine, l’histoire des arts égyptiens, islamiques, indiens, chinois et amérindiens. Cette formation permettait aux étudiants d’acquérir une solide culture en histoire ancienne et un esprit critique. Mais ce qui l’avait surtout séduite était les fouilles archéologiques proposées au programme. Elle n’avait en revanche aucune idée du métier qu’elle souhaitait faire plus tard. Elle préférait se laisser porter par les événements, comme elle l’avait toujours fait, et se laisser guider par les opportunités de la vie. Il lui importait également de suivre son instinct. Et son instinct l’entraînait invariablement vers l’étude des civilisations qui avaient peuplé cette terre et du passé de l’humanité. Pourquoi ? Elle n’en savait trop rien, mais une chose était sûre, elle était plus intéressée par la compréhension de ce qui avait conduit l’humanité à être ce qu’elle est aujourd’hui plutôt qu’à chercher à se projeter dans le futur pour connaître ce que l’humain allait faire de tout le savoir emmagasiné depuis sa genèse.
Adam et Constance étaient entrés dans sa petite vie tranquille sans crier gare. Constance lui avait adressé la parole pour la première fois en cours d’histoire de l’art. Sarah s’était retournée et n’avait vu que les grands yeux bleus de cette jolie blonde qui la fixait sans détour. Comment n’avait-elle pas remarqué ce sublime regard azur ? La fille qui lui faisait face était tout simplement splendide et c’est à elle qu’elle voulait parler. Ayant perçu son étonnement, la belle blonde avait poursuivi en lui souriant, cherchant de toute évidence à créer le contact. Son sourire aussi était magnifique. Ses dents blanches illuminaient son visage de porcelaine auréolé d’une chevelure lisse et retombant en cascade sur ses épaules menues. Sarah n’aimait pourtant pas les filles, mais cette fille-là avait vraiment quelque chose de spécial.
Et c’est ainsi que Constance devint pour Sarah aussi indispensable que l’air qu’on respire… Elle devint sa meilleure amie. N’en ayant jamais eu, il ne fut pas très compliqué pour Sarah de la placer au-dessus des autres. En outre, cette incursion dans sa vie de solitaire endurcie allait changer beaucoup de choses. Finies les pauses déjeuner entre ses quatre murs ou assises sur les marches d’escalier de la faculté ; les deux amies déjeunaient ensemble dès que leur emploi du temps le permettait. Habitant tout près de la Sorbonne, Constance venait travailler chez Sarah pendant les permanences ou bien elles investissaient la bibliothèque des heures durant pour leurs recherches et autres devoirs chronophages qu’il était plus plaisant de peaufiner à deux.
Constance habitait depuis peu Boulogne-Billancourt. Elle arrivait de New York où elle avait vécu avec sa mère depuis le divorce de ses parents. Mais voilà, sa mère s’était remariée et avait donné naissance, il y a deux ans, à des jumeaux avec lesquels la cohabitation était devenue impossible. Happée par les deux petits garnements, elle n’avait plus aucune minute à consacrer à sa fille aînée. Cette dernière avait donc, à sa majorité, fait le choix de venir s’installer chez son père en France pour y poursuivre ses études. Fraîchement débarquée dans la capitale, Constance n’avait eu aucun mal à s’habituer au climat et à la frénésie parisienne contrairement à Sarah dont la dernière résidence, avant d’investir son studio du Quartier latin, était perdue en pleine savane africaine à plus de deux cents kilomètres de Libreville dans laquelle elle ne s’était jamais rendue hormis pour passer le baccalauréat six mois plus tôt. Pour la première fois, Sarah découvrait l’amitié et la satisfaction de se dévoiler, enfin, à une personne de confiance sans retenue. Comment naissait un tel sentiment ? Pourquoi certaines personnes se rencontrant, étaient-elles attirées l’une vers l’autre ? Quel était l’élément déclencheur ? Était-ce une question d’alchimie ou d’onde magnétique ? Pourquoi Constance et non Marie ou Julie ? Les questions affluaient dans l’esprit de Sarah sans qu’aucune réponse satisfaisante ne prenne corps. L’attirance physique se comprenait par la chimie des composants, mais l’attirance de l’esprit ?
Bref, elle avait tout d’abord beaucoup écouté Constance lui raconter sa vie. Son enfance heureuse en banlieue parisienne élevée par une nounou dévouée qu’elle voyait toujours ; ses parents aimants, mais ayant tous deux des fonctions haut placées dans la finance qui les avait rapidement conduits à quitter la France pour les États-Unis, Manhattan précisément, où ils avaient poursuivi leur vie et leurs carrières tambour battant ; puis un soir, le regard triste de son père l’avait alerté sur l’éminence du cataclysme qui allait à nouveau bouleverser son quotidien de jeune adolescente insouciante ; cette catastrophe portait un nom qui la faisait frémir depuis toujours. Et puis le mal du siècle l’avait frappé à son tour : ses parents divorçaient ; s’en était suivie une année horrible de larmes et de déchirement ; puis le choix cruel de rester à New York avec sa mère ; la séparation douloureuse d’avec son père rentrant à Paris ; son premier petit ami qui l’avait sortie du marasme ; le remariage de sa mère et leur départ en banlieue avec ce beau-père qu’elle n’avait jamais vraiment accepté, la naissance de ses deux demi-frères… Enfin, la libération pour Constance que représentait sa nouvelle existence parisienne et les retrouvailles avec son père…
À son tour, Sarah avait osé parler. D’abord de ses parents qui ne juraient que par leur travail ; un travail difficile au plus près des populations locales dans le besoin, éloigné le plus souvent des grandes villes et des agglomérations surpeuplées de ces contrées retirées. Là-bas, pourtant, elle n’avait jamais réellement souffert de la solitude. Peut-être parce qu’elle avait rapidement trouvé le remède pour s’en prémunir… Fille unique elle aussi, Sarah partageait le quotidien des enfants des villages qu’elle traversait ou des autres médecins et infirmiers qui œuvraient dans les dispensaires aux côtés de ses parents. Chaque déplacement était l’occasion de côtoyer d’autres jeunes, mais aussi, à son grand regret, de perdre de vue de nombreux camarades de jeu. La séparation était devenue pour elle, au fil des années, une véritable plaie purulente. Aussi, afin de ne plus souffrir, avait-elle inconsciemment fait le choix de ne plus s’attacher. Elle avait également trouvé la parade : elle s’était créé, enfin le supposait-elle, un double imaginaire toujours présent à ses côtés. Son double portait un nom. Elle l’avait prénommée « Elle ». « Elle » parce que c’était une fille, « Elle » parce qu’elle lui ressemblait et que Sarah n’avait aucun secret pour elle. « Elle » était sa conscience, sa petite voix, son étoile qui guidait ses pas depuis l’enfance, dans l’apprentissage de la vie. Quelquefois, « Elle » disparaissait. Mais il suffisait que Sarah y pense pour que « Elle » réapparaisse… « Elle » l’avait beaucoup aidée à appréhender sa nouvelle existence loin des siens et de sa vie d’avant. C’est parce que « Elle » était là que la solitude n’avait jamais été un fardeau. Ainsi, Okka et son double avaient réussi à combler le vide qu’avaient laissé ses parents depuis qu’elle s’en était éloignée.
Lorsque Sarah avait parlé à Constance de son double, cette dernière avait beaucoup ri. Elle ne s’en était pas offusquée, mais cela l’avait surpris.
Constance avait fait une drôle de tête et Sarah s’en était étonnée, car, pour elle, il était évident que tout le monde avait son « Il » ou son « Elle » à portée de main.
Sarah ne comprenait pas où Constance voulait en venir. Elle touchait du doigt en revanche, qu’elle n’avait pas de double et trouvait cela très surprenant et angoissant. Comment faisait-elle pour appréhender le quotidien en étant totalement livrée à elle-même ?
Sarah s’était figée.
Sarah n’avait pas répondu et avait baissé les yeux.
Constance l’avait longuement observé, les yeux ronds, prête à éclater de rire.
Sarah avait baissé la tête, prête à verser sa première larme.
Constance était sincère. Il était vrai qu’à leur âge, beaucoup de filles avaient déjà eu une première relation avec un garçon. Elle-même avait eu son premier rapport sexuel à seize ans et demi avec son ami américain qu’elle avait laissé tomber par la suite. Ce n’était pas le cas de Sarah et Constance venait de le réaliser. Et tel qu’elle appréhendait la chose, ce n’était pas prêt d’arriver. Elle était affreusement timide et pudique. Son corps lui faisait horreur, alors le montrer à quelqu’un d’autre… elle ne s’en sentait pas capable. Constance s’était rapprochée et avait passé son bras autour de ses épaules. Elle s’en voulait d’avoir été si dure et avait consolé son amie. À quand remontait sa dernière étreinte amoureuse ? Sarah devait avoir quinze ans et il ne s’agissait que d’un simple flirt.
Ainsi, avec le temps, les deux amies étaient devenues plus intimes et plus proches physiquement et il n’était pas rare qu’elles déambulent dans les rues de Paris bras dessus, bras dessous, où qu’elles s’enlacent à l’occasion de retrouvailles ou de séparations. Les marques d’affection n’étaient pas seulement l’apanage du sentiment amoureux. L’amitié pouvait également se traduire par une effusion de gestes et de mots sans équivoque, a priori.
Un soir de juin, pourtant, les faits leur avaient prouvé le contraire.
C’était arrivé juste avant les vacances d’été qui allaient les séparer pendant deux longs mois. Constance repartait à New York chez sa mère tandis que Sarah allait voir ses parents à Bangkok. Constance avait pris l’habitude de passer le vendredi après-midi chez Sarah où elles avaient coutume de prendre le thé. Elles n’avaient pas cours si bien qu’elles les passaient généralement à discuter et à refaire le monde. Cet après-midi-là s’était étiré jusque tard dans la soirée où elles s’étaient laissées aller à un tout autre type de rapprochement. Était-ce la proximité de la séparation ou le verre de vodka frappée de trop ? Les filles avaient beaucoup ri et s’étaient, sans l’avoir réellement cherché, retrouvées joue contre joue.
À son contact, le souvenir du premier baiser de Sarah lui était revenu en mémoire. Constance sentait bon la vanille et sa peau laiteuse semblait d’une douceur exquise. Son souffle enveloppait sa nuque et un frisson la parcourut jusqu’aux pieds. Mais c’est son regard qui la fit basculer. Ses yeux bleus la transpercèrent, elle rendit les armes et se laissa embrasser. La bouche de Constance sur la sienne fut un délice. Ses mains devinrent fouineuses et descendirent jusqu’à son entre-jambes.
Sarah se laissait faire, haletante. Comment avait-elle pu se laisser à ce point envoûter par une fille ? Elle trouvait cela presque obscène, mais ne la repoussait pas. Mais alors que Constance effleurait ses seins du bout des doigts, Sarah, d’un geste brusque, la repoussa violemment.
Constance, surprise, s’arrêta net. Elle reprit ses esprits et se confondit en excuses.
Sarah s’était mise à trembler de tous ses membres en conservant les bras croisés sur sa poitrine à en avoir mal.
Sarah croisa le regard clair de Constance et prit une grande inspiration. Il était temps qu’elle assume son infirmité en la dévoilant enfin à quelqu’un qui n’était pas du corps médical. Cette pudeur maladive avait depuis sa préadolescence façonné sa vie amoureuse, la rendant désespérément vide.
D’un geste vif, elle dégrafa son corsage libérant ses petits seins traversés de part en part d’une affreuse cicatrice violine défigurant de manière abjecte et définitive, ce qu’il restait à sa poitrine de féminité.
Rentrée universitaire 2004
Adam avait fait son entrée dans la vie de Sarah l’année suivante, comme Constance un an auparavant, sans s’annoncer, beau comme un dieu et terriblement intelligent.
Sarah et Constance avaient réussi leur première année et étaient donc parties rejoindre leurs parents respectifs installés aux antipodes. Deux mois de mousson pour l’une ; deux mois d’une chaleur suffocante pour l’autre ; deux mois, en somme, d’un ennui mortel pour les deux amies qui s’étaient quittées sur une révélation majeure concernant Sarah et une expérience inédite qui resterait leur secret. Elles n’étaient pas homosexuelles. Elles aimaient les garçons. Constance en était certaine d’expérience ; Sarah le sentait au fond d’elle. Elles avaient pourtant décidé de vivre à fond cette relation inattendue qui resterait l’exception à la règle, l’entorse, l’interdit auquel on s’adonne à cet âge et qui fait grandir.
Lorsqu’enfin les couleurs chatoyantes de l’été avaient laissé place aux premières teintes mordorées de l’automne sonnant le tocsin de la rentrée, elles s’étaient comportées, l’une et l’autre, de manière gauche et empruntée. Elles avaient pourtant attendu ce moment des semaines entières. Elles avaient imaginé cent fois leurs retrouvailles. Elles les avaient rêvées, envoûtantes et érotiques. Ces dernières furent convenues et presque banales. Quelle déception !
Le soir même avant de reprendre la ligne 10 en direction de Boulogne où elle résidait, Constance, n’y tenant plus, était passée à l’appartement de Sarah et s’était littéralement jetée sur elle, la couvrant de baisers enflammés. Sarah s’était montrée entreprenante et enjouée si bien que, tout à leurs étreintes passionnées, elles n’avaient pas vu passer le temps et Constance avait raté le dernier métro. Elle avait alors appelé son père pour lui dire qu’elle resterait dormir chez son amie. Bien sûr, il n’y avait vu que du feu comme tous ceux qui les côtoyaient à cette époque, sauf peut-être Adam…
Adam Baletti s’était inscrit à la Sorbonne en histoire de l’art et archéologie, en début de deuxième année, sur un coup de tête, à la suite d’une grosse dispute avec sa mère qu’il tenait pour responsable du divorce de ses parents et du départ précipité de son père six mois plus tôt. Philippe était tout pour lui, son modèle et mentor. Sans ce dernier au domicile familial, plus rien ne le retenait à Toulouse, sa ville natale. Il avait donc quitté famille et amis pour s’installer chez son frère aîné, rue de la Fédération dans le quinzième arrondissement de Paris. Sarah et Adam s’étaient rencontrés à la bibliothèque de l’Université un soir d’automne où le ciel était bas et électrique. Il avait besoin d’une information sur un devoir à rendre en anthropologie. La bibliothèque fermait ses portes et ils étaient les derniers. Il s’était présenté de manière claire et concise. Sarah avait fait de même et l’avait renseigné. Au moment de quitter la faculté, des éclairs menaçants avaient zébré le ciel de la capitale et des trombes d’eau s’étaient abattues dans les rues de Paris. Adam avait proposé à Sarah de la raccompagner chez elle. Ils s’étaient alors élancés sur le boulevard, bravant les éléments, serrés l’un contre l’autre, sous son large manteau qu’il avait placé au-dessus de leurs têtes pour les protéger de la pluie battante. Arrivés devant l’immeuble, ils s’étaient regardés longuement et sans mot dire, s’étaient quittés le sourire aux lèvres. Sarah avait refermé, à regret, la lourde porte du hall d’entrée sur elle et s’était précipitée dans l’escalier puis à la fenêtre de son studio pour le voir disparaître au loin. Mais elle se trompait. Il était toujours là, sur le trottoir, trempé jusqu’aux os, les yeux rivés sur la façade, la cherchant du regard une dernière fois avant de rebrousser chemin. Ils avaient alors échangé un dernier regard et, satisfait, Adam était reparti guilleret sous l’orage, emporté par le sentiment amoureux qu’il sentait poindre au fond de ses entrailles et dans son cœur.
Pour Sarah également, tout s’était joué ce soir-là, sous la pluie, tel un vieux film muet de Chaplin, en noir et blanc.
Évidemment les ennuis commencèrent entre Sarah et Constance au lendemain de cette rencontre. Adam et Sarah avaient pris l’habitude d’échanger quelques mots lorsqu’ils se croisaient dans les couloirs ou dans les amphithéâtres de l’Université. Les regards appuyés du jeune homme en disaient long sur l’intérêt croissant qu’il portait à la jeune femme. Un jour, Constance les avait surpris et, quelques heures plus tard, dans l’intimité du studio de Sarah qui était devenu un peu le sien, avec le temps, elle l’avait sévèrement rabrouée.
Voilà comment, sans le vouloir, Adam était venu perturber la douce harmonie, l’absolue quiétude qui unissaient Constance et Sarah, depuis plus d’un an.
Ses manifestations d’intérêt s’étaient faites avec le temps plus fréquentes. Il avait commencé par inviter Sarah à prendre un verre après les cours. Comme il connaissait son appétence pour les musées, il lui avait demandé, un week-end, de l’accompagner au Grand Palais pour l’exposition temporaire consacrée à Nicolas de Staël ; une autre fois, il lui avait proposé d’aller au cinéma pour voir le dernier Almodovar.
Elle refusait toutes ses invitations. Sarah ne pouvait se permettre de trahir Constance. Elle ne le lui pardonnerait pas et elle ne pouvait se résigner à la perdre. Constance l’avait réconciliée avec son corps. Sarah avait moins de pudeur à le montrer. Elle ne découvrait certes encore que très rarement sa poitrine, mais pour le reste, elle s’était libérée et lui en était infiniment reconnaissante.
Pourtant, elle ne pouvait nier que ce garçon l’attirait et, comme il persistait dans ses avances, elle finit par admettre que ses sentiments envers elle étaient sans doute sincères. Un samedi, ils s’étaient croisés par hasard sur le parvis de Notre-Dame. Sarah, horriblement intimidée, n’avait pas trouvé les mots, mais Adam avait comme toujours engagé la conversation et détendu instantanément l’atmosphère.
Était-ce parce que Constance était rentrée voir son père ce week-end-là ou tout simplement parce qu’elle était à court d’arguments ? Sarah avait accepté son invitation et ils s’étaient retrouvés assis l’un en face de l’autre dans un café en bord de Seine joliment décoré qui fut propice aux confidences.
Le débat était clos. Adam avait fait mouche et remporté la partie. Sarah était au supplice. Déchirée entre son amour secret pour Constance et son trouble croissant pour ce garçon généreux, attentionné et bourré de charme qui lui faisait face, elle se sentait perdue.
Adam ressentit son malaise et trouva les mots justes.
Sarah le dévisagea, sans voix.
Et Adam se leva.
Elle le rattrapa par la manche.
Adam se rassit et la fixa intensément. Sarah prit ses mains dans les siennes. Se penchant vers le jeune homme, elle approcha sa bouche de ses lèvres entrouvertes et l’embrassa. Ses lèvres avaient un goût de miel. Y goûter, tel un fruit défendu, lui donna le vertige. Son corps tout entier fut secoué par un indicible frisson de plaisir. L’amour naissant pouvait-il être aussi jouissif ? Elle ferma les yeux pour profiter de l’instant. Quand elle les rouvrit, Adam la regardait de manière attendrie. Un sourire amoureux se dessinait sur ses lèvres.
C’est ainsi qu’elle trompa Constance dans leur propre lit et fréquenta Adam au nez et à la barbe de sa meilleure amie pendant trois mois.
Dans le même laps de temps, Adam devint plus proche de Constance. Ils fréquentaient les mêmes groupes d’amis, les mêmes soirées et tous deux avaient développé une belle amitié. Constance qui s’était tout d’abord méfiée du jeune homme avait décidé de changer d’approche. Si Sarah l’appréciait, s’en faire un ami lui permettrait de ne pas être exclue de leur relation naissante. Au final, elle avait découvert un garçon charmant, bienveillant et digne de confiance. Adam trouvait Constance sociable, avenante, joviale. Constance ne se lassait pas de l’humour caustique d’Adam, de son tempérament enjoué et de son verbe toujours assuré et percutant. Ainsi, Adam et Sarah devaient redoubler de prudence, car Constance était aussi très intuitive et analytique. Un regard trop appuyé, un geste trop explicite l’aurait mis sur la voie. Aussi, gardaient-ils leurs distances lorsqu’ils étaient ensemble. Pour rester discrets, ils évitaient de se promener dans le quartier ou aux abords de l’Université, préférant l’appartement de Bruno, le frère d’Adam ou chez Sarah lorsque Constance s’absentait. Il leur arrivait également de profiter des sorties entre amis en boîtes de nuit ou dans les cafés bondés pour s’éclipser discrètement et échanger un court baiser à l’abri des regards ou plus si l’opportunité leur en était donnée… Les toilettes des établissements qu’ils fréquentaient étaient la solution facile, mais horriblement stressante pour Sarah qui craignait toujours d’être vue ou entendue. C’est aussi pour cela que la situation ne pouvait pas durer. Elle n’aimait pas ce qu’elle était devenue et était lasse de se cacher. Elle aimait de plus Constance d’une amitié pure et la trahir comme elle le faisait depuis des mois entachait son intégrité et cela ne lui était pas supportable. Elle aimait Adam d’un amour profond et il était devenu urgent à ses yeux d’assumer ses sentiments au grand jour. Elle prit enfin conscience qu’à trop vouloir jouer avec le feu elle risquait de tout perdre et il était donc nécessaire de rétablir entre eux trois, l’équilibre. C’est ainsi qu’elle décidait, malgré ce qu’il lui en coûtait, de mettre Adam à contribution.
Adam avait accepté de partager Sarah avec Constance plutôt que de renoncer à elle. Il se réjouissait désormais que Sarah décide de mettre un terme à sa relation avec son amie pour se consacrer à lui. Secrètement depuis trois mois, il avait espéré cette issue, mais s’était montré patient. Si près du but, il ne pouvait refuser d’aider Sarah, bien qu’il ne sache, pas plus qu’elle, la manière dont il devait s’y prendre pour amener Constance à reconsidérer la situation présente. Comme toujours il avait opté pour la patience partant du principe que la solution viendrait avec le temps. Et la solution était en effet apparue quelques semaines plus tard, arrivant tout droit des États-Unis.
Lors d’une soirée plutôt arrosée, à laquelle Sarah, partie en voyage universitaire, n’avait pu assister, Adam s’était rapprochée de Constance. Elle venait de recevoir un appel qui l’avait contrariée et Adam avait décidé de la sortir de sa morosité en l’invitant à danser.
Adam s’était alors installé à ses côtés.
Constance, en confiance avec Adam, lui avait alors parlé sans détour. Elle avait évoqué sa relation avec Sarah qui commençait à lui peser. Car voilà, depuis quelques mois, son ex-petit ami new-yorkais avait repris contact avec elle et ils projetaient de se revoir aux prochaines vacances. Rongée par le remords et la peur de la perdre, elle n’osait pas l’avouer à Sarah. Adam avait évidemment saisi la balle au bond et confié à Constance que Sarah était dans la même situation.
Constance avait pris les devants au retour de voyage de Sarah. Elle l’avait embrassée avec passion et elles s’étaient abandonnées l’une à l’autre. Couchées l’une à côté de l’autre après l’étreinte, heureuses et repuejésuss, ses mots avaient pourtant été sans appel.
Sarah comprenait enfin.
Adam et Constance avaient parlé et tous étaient quittes. Elles resteraient amies, mais leur histoire d’amour s’arrêtait là. Constance était désormais libre d’aimer de nouveau Greg. Sarah allait pour sa part enfin pouvoir se consacrer pleinement à Adam qui était, pour elles deux, devenu l’ami providentiel et indispensable.
Leur trio était né. Adam, Sarah et Constance venaient de sceller, à la mort, à la vie, leur pacte d’amitié.
Années 2005 à 2008 ou la folle épopée de nos vingt ans