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Léo Delacroix est l’écrivain français à succès du moment. Tout lui sourit jusqu’au jour où il est frappé par le syndrome de la page blanche. Il décide alors, en pleine crise sanitaire qui paralyse le pays, de s’isoler sur ses terres, au fin fond de la Lozère, afin de retrouver l’inspiration. Ce retour aux sources, loin de son quotidien surfait, lui permet de renouer avec les vraies valeurs de l’existence et ses racines.
Terré dans la maison familiale, il y découvre un carnet de notes, vieux de plus de soixante-quinze ans, ayant appartenu à Léo Marsac, son grand-père, soldat dans l’armée française puis résistant pendant la Seconde Guerre mondiale. Exhumant le passé de sa propre lignée, Léo Delacroix écrira, au fil de ses découvertes, son plus grand succès littéraire.
L’écrivain, à l’encre des pages qu’il noircit avec passion, est pourtant loin de se douter du bouleversement que son récit va provoquer sur ses proches, dont sa propre mère…
À PROPOS DE L'AUTEURE
Directeur dans l’industrie,
Sandra Duhot est également passionnée d’histoire et de littérature depuis son enfance. À la suite de
Lola,
Immortelles destinées et
L’Âme cœur publiés chez Évidence Éditions,
L’encre des maux est son quatrième roman traitant de l’inévitable retour aux sources pour renaître à la vie.
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Seitenzahl: 314
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Sandra Duhot
L’encre des maux
Roman
© Lys Bleu Éditions – Sandra Duhot
ISBN : 979-10-377-5806-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
En hommage à sa mémoire, le parcours de mon grand-père, issu de son propre récit, respecte fidèlement la réalité des faits jusqu’à son évasion du camp de Givonne, tandis qu’il est militaire puis soldat de l’armée française pendant le second conflit mondial. Les lieux cités sont véridiques ainsi que ce qu’il s’y passe.
Le reste du roman, en revanche, s’appuie, pour les besoins de l’histoire contée, sur des situations ainsi que des personnages fictifs et imaginaires.
Ainsi toute ressemblance avec des lieux existants, personnes ou faits réels, serait purement fortuite.
À nos racines
Rien dans la vie n’est à craindre,
Tout doit être compris.
C’est maintenant le moment de comprendre davantage,
Afin de craindre moins
Marie Curie
Écrire, c’est ne pas parler. C’est se taire.
C’est hurler sans bruit.
Marguerite Duras
Léo, de son existence, ne s’était jamais senti aussi mal. Tout semblait lui échapper. Son mariage battait de l’aile, sa vie professionnelle était un désastre. Que lui arrivait-il exactement ? Était-ce un passage à vide momentané ou le mal qui le rongeait était-il plus profond ? Il n’avait pourtant pas eu à se plaindre de sa vie jusqu’à présent. Originaire du Midi de la France, il avait eu une enfance heureuse entre Garrigue et Grande bleue, ses parents étaient aisés et avaient contribué à son épanouissement au fil des années. Ils n’avaient que ce fils, ils le protégeaient sans pour autant l’étouffer ou l’empêcher de se réaliser. Très tôt, Léo avait montré une appétence particulière pour la littérature et les arts en général. Ses parents, pourtant tous deux chirurgiens émérites à l’hôpital de la Timone à Marseille, ne s’étaient ni offusqués ni opposés à ses décisions d’orientation. Ils l’avaient au contraire soutenu dans ses aspirations et choix.
À dix-huit ans, après un parcours scolaire sans encombre et un bac littéraire en poche obtenu avec mention, Léo avait donc intégré sans grande difficulté la prestigieuse hypokhâgne du lycée Thiers à Marseille qui l’avait conduit, après deux années de classe préparatoire, à présenter le concours de l’École Normale Supérieure à Paris dont il était sorti dixième de sa promotion avec les félicitations de son directeur de l’époque. Jusqu’en dernière année cependant, seuls les études et l’apprentissage l’intéressaient. Ce qu’il allait faire de sa vie une fois son diplôme obtenu, ne le souciait guère. L’argent n’ayant jamais manqué, la manière d’en gagner par lui-même fut longtemps le cadet de ses soucis. Léo se délectait au contraire d’apprendre et d’emmagasiner du savoir dans le seul but de s’enrichir intellectuellement. Était-il pour autant un doux rêveur ? Non, pas vraiment… Ce n’était pas le qualificatif qui le caractérisait le mieux car, par ailleurs, il était organisé, rigoureux et soucieux de son image. Il était également doté d’une grande imagination. C’était un créatif et il avait toujours eu la passion de l’écriture. Embrasser une carrière d’écrivain à la fin de ses études coula donc de source. Mais pour cela, il lui fallait une ambiance différente de celle de la cité phocéenne. Il lui fallait investir Paris et ses guinguettes, Paris et ses Quartier latin et de Saint-Germain. Il rêvait de déambuler sur les quais de Seine, ou sur les bords du canal Saint-Martin, brûler un cierge à Notre-Dame ou dévaler les escaliers de la basilique du Sacré-Cœur. Vivre en somme, avec quelques moyens en plus, la vie de bohème si bien dépeinte dans la chanson d’Aznavour qui avait bercé son enfance.
Pierre et Marie, ses parents, bien qu’inquiets de la décision de leur fils d’aller faire ses armes à Paris, n’avaient pas voulu contrarier ses plans. Léo avait vingt-trois ans. Il était temps qu’il quitte le nid et vole de ses propres ailes. Ils l’avaient donc accompagné jusqu’à gare Saint-Charles et l’avaient laissé partir vers sa destinée.
Léo suivit son instinct et s’installa au cœur du Quartier latin, dans un petit deux-pièces sous les toits à deux pas des jardins du Luxembourg, et vécut de petits boulots la nuit lui permettant de s’adonner le jour à sa passion de l’écriture.
Les mois et les années défilèrent ainsi, à noircir des pages entières, à carburer au café et à la clope pour lutter contre le sommeil, à servir des clients grincheux dans des bars de troisième zone qui sentaient le cannabis et la vodka à plein nez.
Ses premiers romans, qu’une petite maison d’édition parisienne avait accepté de publier à compte d’éditeur, n’eurent pas, ce que l’on peut appeler, le succès escompté mais Léo ne se découragea pas. Il tira même parti de ses premières expériences laborieuses du monde de l’édition pour apprendre les arcanes du métier et les pièges à éviter. Il comprit notamment que percer dans ce milieu très élitiste relèverait davantage de ses relations que de son seul talent intrinsèque. Une maison d’édition ne misait jamais sur un très grand nombre d’auteurs ; il fallait être tête de liste pour avoir tous les honneurs et la chance que sa création soit mise en lumière. Faire les rentrées littéraires, là était la clé, car là étaient les budgets communication des maisons d’édition.
Pauline Lefèvre, l’une des femmes qui compta le plus dans la vie de Léo, fut l’âme providentielle, l’atout majeur, l’élément déclencheur de sa carrière d’écrivain. Mais pas que cela… Avec Pauline, Léo découvrit l’amour et, pour la première fois de son existence, le désir vrai de s’engager.
֎֍֎
— Un whisky, s’il vous plaît…
— Je suis à vous tout de suite.
Léo avait remarqué cette femme d’âge mûr, très belle mais très triste, dans le fond du café dans lequel il travaillait, place de la Bastille, pour arrondir ses fins de mois. Seule, elle semblait avoir beaucoup pleuré.
— Voici votre whisky, madame. Vous faut-il autre chose ?
— Un peu de compagnie me ferait le plus grand bien…
— C’est-à-dire que je ne suis pas censé passer du temps avec les clients, vous comprenez ?
C’est alors que la femme, d’une élégance rare qui ne cadrait pas du tout avec le décor défraîchi du vieux café des Termes, leva vers Léo, son regard troublé par l’alcool, avant d’éclater de rire. Un rire forcé, empli d’une douleur sourde et amère.
— C’est très gentil à vous, jeune homme, mais je ne pensais pas à votre compagnie en particulier ! Navrée que vous l’ayez pris pour vous.
— Je voulais simplement vous être agréable mais le règlement est le règlement, enchaîna Léo sans se départir de son flegme naturel et de sa répartie.
Pauline observait son interlocuteur du coin de l’œil. Sa jeunesse autant que son allure l’interpellaient. Finalement, ce jeune homme courtois et aux bonnes manières valait sans doute mieux que tous ces vieux grincheux bedonnants qui tentaient de la séduire depuis sa récente rupture avec son philosophe de mari qui avait animé la chronique du tout Paris. Dans un autre contexte, elle se serait sans doute autorisée à badiner un peu mais, ce soir, elle n’avait pas le cœur à rire. L’infidélité de son époux avait été une épreuve difficile. Le savoir au bras de sa principale rivale, laquelle avait été sa meilleure amie à l’université, était au-dessus de ses forces.
Hormis les grands crus de Bourgogne dont elle était originaire, Pauline détestait l’alcool. Pourtant ce soir-là, noyer son chagrin dans ce qu’il y avait de plus fort était son seul réconfort. Pauline se sentait salie, trahie. Apaiser la douleur qui broyait son cœur était son vœu ultime. Ainsi, passer la soirée avec un bon vieux Dalmore lui était apparu comme étant la solution la plus rapide et radicale pour tuer cette souffrance lancinante qui meurtrissait sa poitrine aussi bien que son âme.
Comment avait-elle atterri dans ce café miteux ? Elle ne savait plus. Au bout de trois verres, elle n’était déjà plus en mesure de porter un jugement objectif sur la situation.
— Madame, il est presque minuit et notre établissement ferme dans quelques minutes. Vous devriez rentrer chez vous. Je peux vous appeler un taxi si vous voulez.
— J’ai ma voiture quelque part dans la rue. Servez-moi plutôt un dernier Dalmore.
— Ce ne serait pas raisonnable. Et vous n’êtes pas en état de conduire.
— Que savez-vous de ce qui est raisonnable ? Et puis qui êtes-vous pour m’importuner ainsi et me faire la leçon ?
Mais Léo ne l’écoutait plus.
— Paul, je termine le service un peu plus tôt. Peux-tu fermer seul ce soir ?
— Tu ne vas quand même pas la ramener chez elle ! lui lança son collègue de salle.
— Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? On ne peut pas la laisser prendre le volant dans son état.
— Ta bonne âme te perdra, mon Léo.
Léo était revenu à la table de Pauline qui tentait désespérément de se mettre debout.
— Je ne me sens pas bien du tout. Pourriez-vous m’aider à rejoindre les toilettes, s’il vous plaît ?
— Je vais vous aider et ensuite je vous ramène chez vous.
Léo soutint Pauline jusqu’aux toilettes où elle s’aspergea le visage. La nausée et les vertiges ralentissaient ses gestes qui demeuraient maladroits. Ses traits tirés et pâles se reflétaient dans le miroir qui lui faisait face lui renvoyant la pire image d’elle-même. Ayant repris un peu de contenance, elle réalisa alors le ridicule de la situation.
— J’ai une mine affreuse et quel tableau sordide je suis en train de vous dépeindre !
— On ne peut pas toujours être au mieux de sa forme. Vous m’avez montré votre côté obscur, le meilleur reste donc à venir, madame.
Une fois de plus, Pauline, entre deux céphalées qui lui compressaient les tempes, fut charmée par le verbe juste de son jeune interlocuteur. Elle tenta de lui sourire mais un nouveau haut-le-cœur vint déformer son visage creusé par le manque de sommeil de ces dernières quarante-huit heures.
— Les clés de mon Audi sont dans mon sac. Je vous en prie, ramenez-moi chez moi, finit-elle par lâcher entre deux spasmes.
Pauline Lefèvre habitait Neuilly-sur-Seine dans un bel immeuble de type haussmannien de la rue Madeleine-Michelis. Léo avait garé le véhicule dans le parking qui lui était réservé et était entré dans l’intimité de cette femme qu’il connaissait à peine comme on entre au musée.
Pauline Lefèvre n’était pas seulement belle, elle était aussi très riche et aimait le montrer. Son appartement de grand standing situé dans l’un des quartiers les plus huppés de la capitale transpirait tout ce qu’il exécrait à cette époque. Tant de richesse et de raffinement, tandis qu’il croupissait encore, à trente ans, dans une chambre de bonne de quinze mètres carrés, sous les toits d’un immeuble sans fioriture du cinquième arrondissement de Paris, le mirent mal à l’aise.
Pourtant lorsque Pauline lui proposa de s’installer au salon pendant qu’elle prenait un peu de repos dans sa chambre à coucher, il n’osa pas refuser son invitation. Elle voulait une présence masculine rassurante à ses côtés et il éprouva une certaine fierté à être cette épaule réconfortante sur laquelle, Pauline Lefèvre avait décidé de s’appuyer.
— Vous m’avez sauvée de mes démons ce soir. Si personne ne vous attend, j’aimerais que vous restiez près de moi.
Léo était donc resté. Il avait même fini par troquer ses quinze mètres carrés contre le sublime appartement de la rue Madeleine-Michelis, trois mois après leur rencontre, lorsque Pauline l’avait supplié de ne plus la laisser s’endormir seule le soir.
Ils s’étaient rapidement mariés et avaient vécu quelques années rue Madeleine-Michelis jusqu’à ce qu’ils tombent sous le charme d’une très belle villa, située dans le même arrondissement, disposant de magnifiques jardins jouxtant le bois de Boulogne.
Ainsi, la vie pouvait tenir à une rencontre. Et cette rencontre était la plus belle d’entre toutes, pour Léo, car Pauline ne lui avait pas seulement ouvert son cœur. Elle lui avait ouvert toutes les portes et fait de lui quelqu’un, une célébrité, un écrivain… Pauline n’était pas seulement cette femme à la plastique parfaite malgré son âge ; elle était aussi éditrice et directrice d’une prestigieuse maison d’édition. Pauline éditait les plus grands auteurs de la littérature de ce pays dont certains avaient leur entrée à l’Académie française. Ses écrivains culte faisaient la une des émissions littéraires ou de la Grande Librairie de François Busnel…
Tout comme Michel Houellebecq ou Amélie Nothomb, Léo Delacroix était désormais un nom, une sommité du monde fermé de la littérature. Il en était à son cinquième roman lorsqu’il avait rencontré Pauline et ce cinquième ouvrage avait fait une rentrée littéraire fracassante. Il avait raflé tous les prix de cette merveilleuse année 2010. « Vengeance Assassine », traduit en plusieurs langues et diffusé de par le monde, avait même été adapté au cinéma.
L’argent commençait aussi à peser son poids dans le fond des poches de Léo qui avait changé de tailleur, de coiffeur et de style de vie. Fini les bars mal famés pour terminer le mois ; Léo côtoyait le beau monde et la jet set parisienne. Ses parents vieillissants étaient fiers de lui et, malgré leur différence d’âge, ils avaient applaudi des deux mains et béni le mariage de leur fils avec la belle et charismatique Pauline Lefèvre.
Léo avait surfé sur la vague du succès pendant près de huit ans. Il avait enchaîné les romans et tous s’étaient parfaitement vendus.
Que s’était-il donc passé à la veille de ses quarante ans pour qu’il perde pied ? Il ne s’était rien passé ou plus exactement il ne se passait plus rien d’exaltant dans la vie de Léo. Et là était tout le problème. Léo était à court d’inspiration. Il ne trouvait plus rien de transcendant à écrire, si bien que son éditrice commençait à s’impatienter, entraînant leur couple sur la pente douloureuse du naufrage conjugal.
— Cela fait près de deux ans que tu n’as pas écrit une ligne. Tu te laisses vivre, Léo, et je n’aime pas ça.
— Pauline, je t’en prie. Sois compréhensive. Je me suis épuisé depuis huit ans à ne cesser d’écrire. J’ai besoin de souffler un peu.
— Tes lecteurs sont en attente et tu ne peux pas les décevoir.
— Je ne peux pas non plus leur pondre de la merde !
— Je te prie de rester poli ! Et si tu continues à t’entêter à ne faire aucun effort, ce ne sont pas uniquement tes lecteurs que tu vas perdre, c’est aussi ton éditrice.
— Tu es trop dure avec moi !
— Léo, je ne veux pas me battre avec toi mais comprends-moi, je ne peux pas continuer de miser sur toi si tu ne me donnes rien en échange.
— Pauline, je suis ton mari… Je ne suis pas seulement un écrivain.
— Tu es pour moi le meilleur mais le succès est fragile et nous devons l’entretenir et je n’y arriverai pas sans toi.
— Je suis fatigué de cette pression permanente. Ce n’est pas comme cela que je vais arriver à retrouver l’inspiration…
— Tu as raison sur ce point et je te propose un marché.
Les disputes de plus en plus fréquentes avec Pauline étaient de nature à déprimer Léo. Aussi, fut-il enclin à écouter sa proposition afin que cessent les tensions qui s’étaient, depuis quelques mois, invité entre eux au grand désespoir de ce dernier qui refusait obstinément de tout perdre.
— Je te laisse six mois pour me proposer le plan détaillé de ton prochain manuscrit. Tu as carte blanche. Tu quittes Paris s’il le faut mais pendant six mois tu n’entends plus parler de ton éditrice.
— Et de ma femme ?
— Si tu décides de te mettre au vert à la campagne ou à l’étranger, je viendrai te rendre visite bien évidemment et je te promets qu’alors, nous n’aborderons pas tes travaux. Nous profiterons l’un de l’autre uniquement.
Léo trouva le marché plutôt loyal voire à son avantage. Il l’accepta donc pensant au fond de lui que cette trêve lui serait profitable tant professionnellement qu’à titre personnel.
Il avait en effet grand besoin de se mettre au vert pour faire le point, prendre du recul. Paris lui sortait par les yeux et l’inconsistance du milieu dans lequel il évoluait depuis presque dix ans finissait par lui peser. Ne s’était-il pas un peu perdu dans les limbes de la notoriété ? N’avait-il pas, en flirtant de trop près avec le succès, inhibé sa nature profonde, sa vraie personnalité ? Ne devait-il pas finalement accepter de revenir sur ses pas, pour se retrouver et renouer avec l’inspiration et le plaisir d’écrire ?
Il lui vint alors l’idée de retourner sur les traces de sa vie d’avant. Lorsque son image n’intéressait personne et qu’il était libre de ses faits et gestes. Lorsqu’il n’était le héros que de ses géniteurs, le portant aux nues, et que son bonheur était fait de petits riens…
La vie à cette époque était légère et simple. Entouré de ses parents et grands-parents, Léo était heureux. Vivant à Marseille, il se réjouissait de rejoindre, à chaque vacance, le petit village de Saint-Just en Lozère, où vivait sa famille maternelle. En comparaison de la cité phocéenne, bouillonnante et tapageuse, Saint-Just lui apparaissait comme un minuscule hameau composé d’à peine une dizaine de maisons perdues en pleine nature, entre Lot et forêts de chênes et de mélèzes, où le silence était roi.
Le renouveau a toujours été d’abord un retour aux sources.
Romain Gary
1er janvier 2020
Léo avait passé les fêtes de Noël et du Nouvel An avec Pauline et ses parents et s’était éclipsé le lendemain du réveillon du 31 décembre. Les parents de sa femme vieillissant, la soirée du 24 décembre s’était terminée après la traditionnelle messe de minuit. Il en avait été de même de la Saint-Sylvestre que Pauline avait, cette année, souhaité également consacrer à ses parents.
En temps normal, toute la jet set parisienne aurait pris possession des lieux pour un réveillon mémorable. Léo avait donc applaudi des deux mains lorsque Pauline lui avait annoncé l’organisation des festivités. Ces repas de famille étaient de loin ses préférés, désormais.
Était-ce la quarantaine qui rendait Léo nostalgique ou bien l’absence de petites têtes blondes dans l’entourage du couple ?
Il est vrai que Léo et Pauline avaient fait le choix de ne pas avoir d’enfants. Léo se serait pourtant bien laissé tenter, au début de leur relation, quand Pauline pouvait encore envisager une grossesse. Mais son épouse, peu encline à se consacrer à l’éducation d’un enfant, trop occupée à faire fructifier son entreprise, l’en avait rapidement dissuadé. Tout d’abord, elle se trouvait trop vieille, ensuite elle pensait n’avoir aucune appétence pour la maternité et être totalement dépourvue de fibre maternelle.
« Ce serait un désastre, Léo, si nous décidions d’avoir un enfant. Quand trouverais-je le temps de m’en occuper ? Mon premier mari avait lui aussi tenté de me convaincre. À l’époque je me trouvais beaucoup trop jeune et il est évident que je n’aurais jamais pu développer mon activité et récupérer la présidence de la maison d’édition, si j’avais fait le choix d’élever un enfant. Maintenant il est trop tard. À presque quarante-cinq ans, une grossesse serait beaucoup trop risquée ».
Bref, Pauline s’était défaussée une fois de plus et Léo avait cessé d’aborder le sujet, se résignant à vivre sa vie sans progéniture. Il est vrai que lui aussi manquait de temps. L’écriture de romans nécessitait d’y employer une énergie folle et représentait des heures de travail assidues. S’occuper d’un enfant était peu compatible avec la disponibilité qu’exigeait le métier d’écrivain. Au-delà d’une hygiène de vie irréprochable qu’il était loin d’avoir lorsqu’il était en pleine création, il ne pouvait souffrir d’aucun dérangement ni distraction. Ainsi, comment aurait-il pu s’accommoder des cris permanents d’un bébé ou de biberons à préparer à heures régulières ?
Il avait donc fini par se ranger à l’avis raisonnable de Pauline et avait mené, tout comme elle, sa carrière tambour battant jusqu’à ses trente-huit ans et la sortie de son dernier roman : « À l’aube du troisième jour… »
Il en avait désormais presque quarante et n’avait plus écrit une ligne depuis lors. Aussi, comprenait-il le désarroi de sa femme et l’enjeu de cette retraite pour retrouver l’amour et l’inspiration.
— Sois prudent sur la route, avait lancé Pauline d’un ton détaché sur le perron de leur villa lorsqu’il lui avait effleuré les lèvres en guise d’au revoir.
— Ne t’inquiète pas. J’ai tout mon temps et je n’ai aucune envie de me tuer au volant.
Léo voyageait léger. Ses biens les plus précieux étaient son ordinateur portable et son sac de voyage Louis Vuitton, offert par sa femme pour fêter leur première année de vie commune, dans lequel il avait jeté, pêle-mêle, quatre chemises, deux pulls, trois pantalons, quelques polos, un pyjama qu’il ne déplierait sans doute pas car il avait pour habitude de dormir nu, sa brosse à dents et son rasoir…
Installé au volant de sa Porsche 911, il avait jeté un dernier coup d’œil en direction du perron de leur demeure où Pauline n’était déjà plus. Il avait alors laissé derrière lui la propriété, regardant droit devant.
Il avait quitté Paris le 1er janvier 2020, par une journée froide et maussade, le cœur serré ; ce dernier s’allégeant au fil des kilomètres qu’il commençait d’avaler.
Il avait tout d’abord emprunté le pont de Sèvres pour rejoindre la nationale 118, puis quitté Boulogne-Billancourt et dépassé le Christ de Saclay ainsi que la ville d’Orsay, dans la grande descente, avant de s’engager sur l’autoroute A10 en direction de Chartres-Orléans. L’autoroute défilait. Les villes avaient laissé place aux bourgs et villages disséminés de-ci de-là. Les champs et grandes forêts du centre de la France s’étaient alors succédé.
Plus il s’éloignait de la région parisienne, plus sa poitrine semblait se décongestionner, libérant sa respiration et son enthousiasme en berne depuis des mois.
Lorsque Clermont-Ferrand fut en vue, Léo réalisa qu’il roulait déjà depuis près de quatre heures en silence. Seul le bruit mélodieux du moteur de sa Porsche accompagnait, depuis le début du voyage, ses rêveries silencieuses et solitaires.
Depuis quand ne s’était-il pas senti aussi bien ? Chaque kilomètre qui défilait sous ses roues semblait l’éloigner un peu plus du marasme émotionnel qui était encore le sien quelques heures plus tôt. Que fuyait-il de la sorte ? Pauline était-elle à l’origine de son mal-être ? Il est clair qu’elle lui mettait une pression dingue. Il est vrai également que cette maîtresse-femme n’attisait plus sa virilité comme au début de leur relation. Elle avait nécessairement vieilli en dix ans. Approchant les cinquante-cinq ans, des rides avaient creusé de petits sillons dans ses joues autrefois hautes et bombées et les années avaient terni son regard de madone italienne. Sa silhouette, autrefois svelte, s’était également légèrement épaissie au fil du temps ; sa chevelure rousse, malgré les shampooings colorants que Pauline faisait réaliser chaque mois chez un coiffeur-coloriste de renom pour paraître plus jeune, avait blanchi au niveau des tempes et était moins fournie. Mais en était-elle moins désirable ?
Lui-même, à près de quarante ans, n’avait-il pas pris un coup de vieux ? Tempes grisonnantes, binocles obligatoires, bedaine apparente. Il la désirait certes moins mais il l’aimait toujours. En revanche, il ne supportait plus l’autoritarisme avec lequel elle orchestrait désormais leur relation professionnelle. Car n’en déplaise à certains, elle était son éditrice, son manager, sa responsable de communication avant d’être sa femme ; tout ce qu’il exécrait en somme entre eux et qui tuait à petit feu ce qui les avait rapprochés aux prémices de leur aventure amoureuse : la beauté d’un geste sans équivoque et désintéressé, la douceur d’un baiser, la promesse de lendemains baignés d’amour et de tendresse…
Que restait-il de leur relation passionnelle ? De l’amertume pour lui et sans aucun doute de l’indifférence pour elle… Alors oui, ce voyage devait être salutaire à double titre : faire renaître la passion du début entre Léo et Pauline et permettre à Léo de redevenir l’écrivain emblématique d’une époque. Léo n’était pas dupe ; seul un bon manuscrit lui permettrait de séduire à nouveau sa belle. Pauline n’était pas sensible à la plastique masculine. Ce qui la transportait était les mots purs, la poésie, la prose, le talent littéraire. Pour la reconquérir, Léo devait retrouver l’inspiration qui avait fait de lui, l’homme dans lequel Pauline avait placé tous ses espoirs de femme amoureuse et d’éditrice avertie.
Arrivé au niveau de la préfecture auvergnate, Léo avait fait une pause sur l’aire des volcans d’Auvergne. Il avait besoin de se dégourdir les jambes et d’avaler un petit café bien serré. Au sortir de l’habitacle de son bolide confiné, l’air glacial du Massif central le prit par surprise. Il mit du temps à apaiser les douleurs de son corps occasionnées par la position recourbée de ses cuisses pendant les quatre heures de voyage écoulées. Mais le sentiment de liberté qu’il perçut au contact de l’air pur des volcans, recouverts des premières neiges de l’hiver, balaya rapidement toute gêne corporelle ressentie. Il respira à pleins poumons et se surprit à sourire en embrassant d’un seul regard le paysage environnant.
Depuis quand n’avait-il pas foulé ces terres ? Une éternité. Plus jeune, les volcans et la ville de Chamalières jouxtant celle de Clermont-Ferrand étaient des destinations de villégiature. Son grand-père paternel, Armand Delacroix, y était né avant de s’installer dans le Midi de la France pour travailler en tant qu’armateur au port de Marseille et d’y rencontrer sa femme, Luisa Delcourt, une Marseillaise pure souche. À la retraite, souffrant de rhumatismes, il avait convaincu son épouse de le suivre sur les terres qui l’avaient vu grandir. Ils avaient acheté une villa aux abords de l’institut thermal où il passait tous ses après-midi pour soulager ses membres et articulations endoloris. Léo et ses parents avaient donc pris l’habitude de venir en Auvergne prendre le frais pendant les grandes vacances. Ainsi, ils fuyaient la chaleur écrasante du Midi, en plein mois d’août, profitant par la même occasion d’Armand et Luisa qui commençaient à vieillir. Léo se souvenait des longues promenades, entouré de ses parents et grands-parents, dans la chaîne des Puys et dans les forêts entourant la ville de Chamalières.
Le retour vers le Midi s’échelonnait ensuite de pauses bien rodées permettant de rendre visite au reste de la famille. Son père avait une sœur vivant au Puy-en-Velay en Haute-Loire qu’il visitait tous les ans après ses parents. L’ascension de la vierge rouge dominant la vieille ville était le pèlerinage obligé de cette halte annuelle. Et les honneurs étaient bien sûr rendus à celui qui en atteignait le sommet en premier entre son père encore jeune à cette époque, son oncle, Léo et son cousin Antoine. Enfin, ils terminaient leur périple estival par Saint-Just en Lozère où résidait la famille maternelle de l’enfant.
À cette époque, tandis que le garçon n’avait qu’une dizaine d’années, le village de Saint-Just grouillait de jeunes de son âge. Son oncle, vivant au village, avait un garçon et une fille et quelle joie de les retrouver et partir courir dans les champs et forêts entourant le bourg ! Ses grands-parents maternels, Jeannette et Léo Marsac, étaient encore alertes. Léo partait alors pêcher avec son grand-père et s’occupait de la traite des vaches avec sa grand-mère. Le temps des moissons était aussi une bonne façon de s’évader et respirer l’air pur de ce coin de France dépourvu d’usines polluantes.
Léo remonta en voiture. Il se retourna une dernière fois vers l’agglomération clermontoise qu’il distinguait à peine, tant la brume s’était épaissie tout à coup, et dans laquelle Chamalières était désormais perdue.
Que restait-il de cette réalité d’autrefois ? Presque rien hormis le souvenir. Ses grands-parents paternels étaient décédés et leur villa avait été vendue par sa tante et son père qui ne montaient plus guère en Auvergne. Sa tante vivait toujours mais, pour leurs vieux jours, elle et son mari avaient choisi de rejoindre la Côte d’Azur. Ils avaient élu domicile à Antibes les rapprochant de Marseille où vivait Pierre. Quant à ses grands-parents maternels, eux aussi étaient partis depuis longtemps, léguant à sa mère, Marie, la maison familiale, qu’il rejoindrait d’ici quelques heures pour tenter de retrouver l’inspiration.
Bientôt Léo sortit de l’autoroute pour prendre la nationale en direction de Langogne, traversant les plaines et monts du Massif central puis les causses de Lozère pour rejoindre Mende, sa préfecture, et enfin Saint-Just. Les routes étaient dégagées mais les bas-côtés, les champs et les forêts de chênes et de mélèzes, caractéristiques de la région, étaient recouverts de neige fraîche. Quand il entra dans le village de Saint-Just d’à peine cinquante âmes en cette période de l’année, la neige s’était remise à tomber dru, assombrissant tout à coup l’atmosphère et le cœur du pilote.
Léo n’était pas revenu dans le bourg familial depuis au moins deux décennies et il en ressentit de la culpabilité. Il traversa la rue principale à faible allure pour ne pas rompre le silence qui y régnait et s’imprégner de toutes les sensations qui remontaient en lui à la vue des maisons familières, du pont de pierres, de la fontaine symbolisant le cœur du village. Il ralentit encore après le passage du petit pont pour se laisser envahir par le souvenir. Ce pont n’était pas un simple ouvrage de génie civil pour Léo. Il représentait une frontière entre le haut et le bas de Saint-Just qui lui avait toujours donné le sentiment que le village était coupé en deux. Aussi, existait-il, pour l’enfant qu’il était, les habitants du haut et ceux du bas se livrant bataille dans ses rêves les plus fous. Il faut dire que, petit garçon, son imagination déjà fertile lui permettait de s’évader facilement. Les petits soldats de Saint-Just furent l’une de ses premières créations virtuelles qui lui revint en mémoire en traversant le bourg. Y repenser lui mit la larme à l’œil lorsqu’il franchit le pont sur lequel une rambarde avait été installée pour la sécurité des piétons. Pour le reste, tout était comme dans son souvenir.
Savourant ce retour aux sources, Léo prenait le temps de la redécouverte. Il avait besoin de ce sas de décompression avant d’atteindre la maison familiale. Celle de son enfance. Cette enfance qu’il avait balayée d’un revers de main lorsqu’il avait décidé de s’éloigner des siens pour aller tenter sa chance à Paris et se perdre dans les limbes de la capitale et de la notoriété…
Cette célébrité qu’il avait tant désirée, ne l’avait-elle pas, finalement, éloigné des vraies valeurs de l’existence ? Il était riche, bien marié, avait une demeure splendide. Il côtoyait les grands de ce monde. Mais à l’intérieur de lui-même, qu’en était-il ?
Il en était qu’il se sentait vide, épuisé et perdu, telle une terre en friche qui ne donnait plus aucun rendement. Après presque dix ans d’une vie trépidante mais superficielle, il avait besoin de se régénérer au contact de la nature et de ses racines.
Voilà ce qu’il était venu chercher dans ce petit village de Lozère : l’authenticité des sentiments et des émotions ressentis. Paris ne l’inspirait plus. Bien au contraire, cette ville enchanteresse, qui l’avait tant charmé et attiré à ses débuts, était désormais source d’aliénation et de contraintes. Il devait s’en libérer pour se retrouver afin de renouer avec l’envie d’écrire et le plaisir de ravir à nouveau, par l’émotion suscitée par le récit, ses fidèles lecteurs. Bien qu’il ne connaisse pas encore le thème de son prochain roman, il espérait que revenir aux sources de la vie et de sa propre histoire allait le mettre sur la voie. Traverser cette rue silencieuse, bordée de ces maisons de pierres aux toits d’ardoises centenaires, était déjà porteur d’un délicieux sentiment libérateur. Léo baissa la vitre, ferma les yeux et huma l’air ambiant. Il sentit les parfums de la terre et des images heureuses vinrent se blottir derrière ses paupières ; des images du temps où il gambadait dans cette rue avec sa grand-mère pour aller aux champs ou à l’étable. Il vit le troupeau de vaches investir le bâtiment ; son grand-père dans la grange leur verser dans les mangeoires le foin séché mis en bottes l’été d’avant ; sa grand-mère mettre en route les machines à traire et préparer le lait pour les veaux nés au printemps. L’air sentait maintenant la crème et le foin fraîchement coupé et, dans la gorge de Léo, coulait le lait que Jeannette avait coutume de lui faire boire après la traite du soir…
La maison familiale était au bout du chemin, après l’ancien four à pain et le champ de pommiers. En longeant le pré planté de fruitiers, le regard de Léo se porta sur le petit ruisseau coulant en contrebas et il se souvint de Mistigri, le chat préféré du grand-père, qu’il avait jeté à l’eau un jour où il s’ennuyait fermement. Ce souvenir le fit sourire.
Au détour du dernier virage, la maison de son enfance se montra enfin. Celle qu’il avait gardée en mémoire était grande. Maintenant qu’elle se tenait devant lui, elle lui apparut minuscule et biscornue et ne lui plut que davantage. Ses grands-parents, comme ses parents désormais, avaient coutume de cacher les clés sous la troisième auge de la terrasse servant de pot de fleurs. Sans surprise, il trouva le trousseau et pénétra dans la maison. Tout était en ordre, l’intérieur sentait le propre et n’avait plus rien à voir avec ce qu’il avait connu du temps de Jeannette et Léo Marsac. Sa mère et son père y venaient, depuis leur retraite, de manière régulière. Ils avaient entrepris de gros travaux de rafraîchissement dont Léo n’avait jusque-là jamais mesuré l’ampleur. La rénovation de la demeure familiale, qui manquait cruellement d’entretien depuis la mort de Léo Marsac survenue en janvier 1999, avait été lancée au décès de son épouse, onze ans plus tard.
Ainsi, Pierre et Marie commençaient à peine à profiter de leur maison refaite à neuf. Ils s’y terraient l’été pour fuir la fournaise que devenait Marseille et reprenaient la direction de la cité phocéenne à l’approche de l’automne pour profiter de leur maison du quartier des Goudes jusqu’au début de l’été suivant.
Lorsque Léo leur avait annoncé, quelques semaines plus tôt, son intention de s’installer dans la demeure familiale pour quelques mois, ils n’avaient pas immédiatement compris le sens de sa démarche.
— Mon fils, que t’arrive-t-il ? Tu es malade ? avait lancé sa mère sans détour,
— Je ne suis pas malade, maman… Ce n’est pas ça du tout.
— Comprends notre surprise. Nous ne t’avons pas revu à Saint-Just depuis des lustres. Pourquoi tout à coup décider de t’isoler de la sorte pendant les pires mois de l’année ? Il n’y a personne au village à cette époque, les nuits sont glaciales et il n’y a rien à faire.
— Maman, j’entends ta surprise et la comprends tout à fait.
— Je suis ravie que tu comprennes notre réaction. Quand es-tu allé au village la dernière fois ? Pour réviser ton bac ! C’est cela, tu avais dix-huit ans et tu voulais t’isoler avant les épreuves pour te préparer.
— Eh bien disons que c’est un peu la même chose. J’ai besoin de m’isoler pour écrire mon prochain roman…
— Es-tu sûr qu’il n’y a pas autre chose ? poursuivit sa mère. Tout va bien avec Pauline ?
— Tout va bien avec Pauline, maman. Ne t’inquiète pas et cette retraite est organisée d’un commun accord avec elle.
— Bon, si tu le dis. Nous respectons ta volonté. Tu peux bien sûr t’installer dans la maison le temps que tu voudras…
Ses parents avaient toujours été là pour lui. Et une fois de plus, sans insister davantage, ils avaient tout arrangé pour que son installation temporaire se passe au mieux. Sans le lui dire, ils avaient fait un aller-retour, la semaine précédant son arrivée, malgré des routes peu praticables, pour remplir les placards, le congélateur, le frigo, lui préparer sa chambre, lui sortir des serviettes de toilette propres, rentrer du bois pour la cheminée, remplir la cuve à fioul, et remettre les radiateurs à température ambiante, si bien que lorsque Léo était entré dans la maison, une douce chaleur l’avait enveloppé en guise d’accueil. Ému, la culpabilité l’avait à nouveau submergé.
Il réalisait désormais combien il avait dû peiner ses parents d’avoir déserté l’environnement familial pendant toutes ces années. Trop occupé à vivre sa vie, jamais il n’avait proposé de leur prêter main-forte pour retaper la demeure de ses aïeuls qui serait un jour la sienne. Ce constat le bouleversait et l’attristait profondément. Il s’en voulait pour son égoïsme et réalisait combien il n’avait pensé qu’à sa petite personne pendant toutes ces années.
Léo chassa d’un revers de main ce sentiment désagréable pour se concentrer sur ses dernières résolutions : rattraper le temps perdu et vivre l’instant présent. Bien au-delà de son propre bien-être, il en allait de sa survie professionnelle. Il devait renouer avec le vrai Léo Delacroix pour toucher à nouveau ses lecteurs en écrivant avec son cœur.