L'Ange déchu - Intégrale - Marion Obry - E-Book

L'Ange déchu - Intégrale E-Book

Marion Obry

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Beschreibung

Suivez la destinée de Lucifer, l'Ange déchu, père de nombreux êtres démoniaques...

Il fut un temps où le monde vivait dans l’amour de Dieu et sous la protection des Anges. Dans un passé lointain, Lucifer se rebella contre eux avant de créer les Enfers. Lui, l’Ange déchu, engendra de nombreuses lignées de Démons. Aujourd’hui, il prend sa revanche sur l’humanité et sur le Ciel.

Sa vengeance sera terrible ! Découvrez sans tarder l'intégrale de cette saga fantastique diaboliquement fascinante !

EXTRAIT

Légion les fixa avec une terrible envie de meurtre. Il voulait dévorer leurs chairs et ronger leurs os. C’était un monstre, un Démon qui avait faim de vies et soif de vengeance. Puis, soudain, il fit demi-tour, se dirigeant vers la ville.
— Il va faire le plein de sang…
— Pour souiller l’eau et passer, commenta Sceza. Vous avez besoin de moi, je suis bien plus rapide, je pourrais le ramener ici…
— Il en est hors de question, la coupa Cal. C’est trop dangereux.
— Je ne te fais pas confiance, appuya Sébastian. Tu es un Vampire. Qu’est-ce qui nous prouve que tu ne vas pas nous trahir ?
Il y eut des cris, des coups de feu. Sceza ne leur demanda pas leur avis et fusa. Cal fit un pas pour la rattraper, mais Sébastian l’en empêcha. Ils firent finalement demi-tour et se placèrent sous la coupole, le point le plus haut de l’église. Au plafond, caché parmi des fresques d’Anges et d’Archanges, était dissimulé le puissant sceau de Salomon. Cal passa derrière l’autel en fond et ouvrit un petit coffre pour en sortir une coupe dorée pleine d’hosties. Instinctivement, il porta son regard vers les Anges peints au plafond. Il se perdit quelques secondes dans leur contemplation. Comment Dieu et les Anges pouvaient-ils laisser les Humains endurer une telle épreuve ? Pensaient-ils que les Hunters soient assez forts pour sauver l’Humanité ?
— Sébastian, est-ce que tu crois en Dieu ?
Son compagnon d’armes se figea, répliquant d’un ton entre la surprise et la colère :
— Tu crois vraiment que c’est le moment d’en parler ?

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

C’est un réel plaisir de découvrir l’univers que Marion Obry a créé. Ce livre ne se lit pas, il se dévore, une fois commencé impossible de s’arrêter, les scènes, l’action, l’histoire, tout s’enchaîne donc impossible de le lâcher. - Blog Une critique aiguisée mais avisée

Concernant l'action, je dois dire que waaah ! Il y en a, et pas qu'un peu ! Du début à la fin on est dans un état de transe, tellement l'action est présente. L'auteure ne lésine pas sur les moyens de descriptions et au fil du temps nous croisons des détails des plus macabres. - Blog Lire une passion

Marion Obry est douée pour faire apparaître devant nos yeux des scènes particulièrement sombres et démoniaques, sanguinaires ou de destruction ou au contraire tendres et sensibles. - Aelynah, Babelio

La plume est sublime, le récit est palpitant, tous les éléments sont réunis pour passer un excellent moment de lecture. - Yumiko, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Née le 21 avril 1993, Marion Obry couche sur papier ses folles idées depuis ses douze ans, l’heure à laquelle est survenue cette passion de l’écriture amenant avec elle l’idée maîtresse qui donnera naissance à la saga Le Retour des Phénix, actuellement publiée aux Éditions SK. En avril 2013, le roman Une Vie par-delà la Lumière paraît aux Éditions Valentina (aujourd’hui fermées) et en juin de cette même année, La Guerre des Peuples fait une première apparition aux Éditions SK, suivi de près en novembre par L’Ange déchu, tome 1 : L’Hunter. Peu de temps après, ces deux derniers titres disparaissent de la circulation éditoriale. C’est aux Éditions Plume Blanche que ressort donc la trilogie L’Ange déchu sous forme d’intégrale.

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L’Ange
DEchu
ISBN : 979-10-9478671-0
L’Ange déchu, Intégrale
Copyright © 2019 Éditions Plume Blanche
Copyright © Illustration couverture, Jean-Mathias Xavier
Copyright © Illustrations intérieur et galerie des personnages, 
Jean-Mathias Xavier
Tous droits réservés
Conception ebook : Anthony Barril
Correction : J. Provot et S. Lucas

Marion Obry

L’Ange
DEchu
INTEGRALE
(ROMAN)
 « La détresse sera plus terrible que toutes celles qu’on a connues depuis le commencement du monde… »
EVANGILE DE MATTHIEU CH. 24 V.21
À Anthony,
À Sandra…
« Je suis le Premier et le Dernier, et le Vivant ; 
car j’ai été mort »
Première partie des Révélations selon Saint-Jean
Il ne sut depuis combien de temps il était là.
Il ne sut depuis combien de temps il attendait.
Il ne sut pourquoi son heure était arrivée.
Il ne sut pourquoi ce fut la chute.
Et le sang se répandit autour de lui comme une tache d’encre.
Prologue
La réunion des Guildes de Hunters avait commencé depuis plusieurs heures. Une Lune ronde et sinistre s’était levée dans le ciel. Des centaines de Chasseurs armés avaient pris place dans la grande salle d’un sombre manoir. Chapeaux, longs manteaux, bottes montantes, armes diverses, étaient les codes vestimentaires qui caractérisaient le mieux ces êtres dotés du pouvoir de détruire les Immortels. 
Une femme, assise dans un fauteuil roulant, âgée d’une soixantaine d’années avec une longue tresse blanche qui lui descendait au niveau de la taille, observait en silence. Elle était postée à une extrémité de table, et malgré les nombreuses conversations individuelles, elle semblait présider cette assemblée. Ses doigts étaient croisés sur le bois devant elle, jusqu’à ce qu’une porte s’ouvre à sa droite. La femme se tourna lorsqu’un homme maigre, des lunettes sur le bout du nez et le crâne rasé, entra. Nul, sauf elle, ne fit attention à lui. Il se pencha à son oreille et murmura de sorte qu’elle seule eut vent de l’information :
— Dame Alice, son état s’améliore. Il n’est plus en danger.
— Dieu soit loué. Est-il réveillé ?
— Pas encore, ma Dame. 
Elle acquiesça avant de réfléchir un long moment. Elle se racla la gorge et, rapidement, les Chasseurs présents cessèrent de discuter pour se tourner vers elle. Lorsqu’il n’y eut plus un bruit, elle déclara :
— Il est en vie. 
Des soupirs de soulagement s’élevèrent dans la salle, mais personne ne se risqua à couper la parole à Dame Alice. Elle reprit d’un ton qui se voulait à la fois calme et rassurant :
— Les jours à venir ne seront que sombres et amers. Les enfants de Lucifer continueront à s’étendre sur Terre ; toujours plus violents, toujours plus nombreux, et nous, nous devrons protéger les Humains de leur soif de sang. Peut-être serons-nous même surpassés, mais jamais nous ne devrons abandonner… 
Il y eut des protestations, des regards baissés, des mines dépitées, mais aucun d’entre eux n’avait le choix. Être Hunter, un Chasseur, c’était pour eux plus qu’une simple vocation, plus qu’un vulgaire métier, c’était leur vie.
— Qu’en est-il de cet homme ? déclara une voix au fond.
— Je le prendrai chez moi, dans ma Guilde. Écoutez, notre situation ne durera pas. Son arrivée ne peut être qu’un signe, quel qu’il soit et qui qu’il soit. En attendant, il est de notre devoir de poursuivre notre travail, comme de lui transmettre, si possible, notre savoir.
Les Hunters abaissèrent leurs chapeaux ou leurs têtes en signe d’acquiescement. Dans un coin, l’un d’entre eux dévisagea la foule avant d’écraser le mégot de sa cigarette dans le creux de sa main. Lui, plus que les autres, était prêt à se battre, car il était déjà très impliqué dans cette histoire. 
Les Hommes ne pouvaient plus compter sur Dieu ou sur la grâce des Anges. Les créatures célestes avaient cédé face à la puissance des Démons de Lucifer et du pouvoir des Enfers. L’Humanité serait ensevelie dans des abysses infernaux. Le temps et le courage des membres de cette assemblée étaient désormais les uniques choses dont dépendrait le salut de ce monde.
« Rappelle-toi donc d’où tu es déchu.
Reviens-y et reprends tes premières œuvres. 
Sinon je vais venir à toi »
Première partie des Révélations selon Saint-Jean
Chapitre 1
EXECUTION
Il courait. Son chapeau empêchait ses cheveux de danser au rythme du vent. Il déboutonna son long manteau de sorte que celui-ci ne l’entrave plus. Autour de ses bottes, il avait fixé de nombreuses armes : flacon d’eau bénite, croix, allumettes, petite bouteille d’alcool ainsi qu’un poignard avec une lame en argent. 
Telle une ombre, il suivait les traces dans le sol humide de la forêt. Ce corps que l’on avait traîné, il s’en servait pour remonter vers la source de toutes les souffrances de ces derniers mois. La mission avait été confiée à la Guilde de France qui, en manque d’effectifs, avait renvoyé la missive à Rome. Il s’était porté volontaire sans la moindre hésitation. Il ne vivait que pour chasser ; tant qu’il y aurait des Démons à vaincre et des innocents à aider, il serait volontaire.
Quant à sa traque, il n’avait pas mis longtemps à comprendre dans quel guêpier il avait décidé de plonger. Les Wendigowak possédaient la sale habitude d’accumuler les cadavres dans un antre pour une longue période d’hibernation. Ils étaient bien plus rapides que les êtres humains : leur vision nocturne, comme leur ouïe, n’avait pas d’égal et, l’un dans l’autre, ils étaient de puissants prédateurs. 
Soudain, il remarqua que les traces dans la forêt disparaissaient. Il se figea, essayant de faire le moins de bruit possible. Mais déjà, son souffle seul n’était pas suffisamment discret. Il était en terrain dégagé, et se demandait où l’animal avait pu aller. Puis, lentement, l’évidence le força à lever les yeux. Il distingua des griffures et des traces de sang sur le tronc des arbres. Le Wendigo n’était pas fou, il cherchait à brouiller les pistes. La créature avait pu grimper très haut.
Le Chasseur s’accorda un instant de réflexion, mais ne se découragea pas. S’il ne voulait pas perdre la trace de sa proie, il allait devoir l’imiter, mais en même temps, c’était dangereux. Le crépuscule s’était étendu sur le monde depuis plusieurs heures, il était désavantagé désormais. De plus, ce manque de lumière l’empêcherait de discerner avec précision les marques laissées par son adversaire. Il n’avait pas le choix… bien que les risques fussent grands, mais ils l’étaient toujours, quelle que soit la chasse dans laquelle il était entraîné. Jamais il ne pouvait se permettre la moindre erreur, la moindre inattention.
Il allait faire du bruit, mais de nouveau, il n’avait que cette solution. Il s’accroupit, retira un petit chiffon de la poche intérieure de son manteau et, le dépliant, il en sortit deux lames d’acier qu’il fixa solidement à la pointe de ses bottes. Il fit basculer son chapeau en arrière pour qu’il ne le gêne pas et entama l’escalade du premier tronc venu. Ses pieds se plantèrent dans le bois, l’empêchant de tomber, lui offrant ainsi un appui plus ou moins sûr. À la force de ses bras, il entreprit de se hisser de branche en branche jusqu’à ce qu’il parvienne à un point suffisamment haut et solide pour s’y asseoir. 
Maintenant qu’il était arrivé à ce stade, il allait devoir trouver le moyen de passer d’un arbre à l’autre sans chuter. Il examina attentivement son environnement, prenant en compte tous les facteurs : le vent, son orientation, la hauteur des branches, leur solidité. Il se redressa et décida de monter d’un ou deux mètres encore. Là, le tronc s’affinait dangereusement, mais il vivait avec le danger et la mort en permanence. Il n’avait pas peur. Il fixa l’arbre en face et bondit. 
Comme prévu, ses doigts se refermèrent avec violence sur le bois dur et épais, en contrebas. Ça avait été difficile et même un peu juste, mais il y était parvenu. Il inspira, soulagé, ne prenant pas garde aux échardes qui s’étaient enfoncées dans sa chair. À bout de bras, il progressa vers le tronc qu’il enlaça, tel un vieil ami. Sur sa gauche, il remarqua cinq longues entailles dans l’écorce. Il y déposa doucement le bout des doigts : c’était frais, il n’y avait pas de temps à perdre. Il aperçut une autre empreinte plus loin et s’élança lorsqu’il perçut un craquement sourd. 
Il se réceptionna gauchement, manquant de peu son rendez-vous avec la Mort. Il déglutit. Mais alors qu’il se stabilisait, un grognement lui fit brusquement lever la tête et tout ce qu’il put voir avant de perdre connaissance, fut une main griffue et repoussante qui le frappait. 
Lorsqu’il s’éveilla, ses membres douloureux lui arrachèrent une grimace. Il sentit un liquide épais couler sur sa joue à cause de l’attaque dans les arbres. Il n’avait pas ouvert ses paupières, préférant dans un premier temps prendre conscience de tout son être. Ses pieds ne touchaient pas le sol, et des liens serraient ses poignets, tirant sur les muscles de ses bras. Pour que la tension dans ses tissus soit si élevée, cela devait faire plus d’une heure qu’il était là, suspendu. Il déplia ses doigts un à un, lentement pour ne pas éveiller l’attention du monstre. D’ailleurs, il ne percevait pas le Wendigo, mais ses sens n’étaient sans doute pas suffisamment aiguisés pour l’affirmer avec certitude. Son rythme cardiaque restait calme et serein. Le Chasseur ne s’affolait que rarement. Ici, la situation n’était pas assez désespérée pour le faire paniquer : pendu dans ce qui devait être l’antre du Wendigo, quelque part au beau milieu d’un bois dont nul n’approchait… pas de quoi s’inquiéter. 
Finalement, il se décida à découvrir les lieux. Une faible lueur lunaire passait à travers un trou dans le plafond. Il découvrit qu’il était attaché à l’une des poutres de la charpente d’une vieille maison probablement abandonnée. Quoique « maison » fût un titre bien trop noble pour ces quatre murs. En réalité, il s’agissait plutôt d’une cabane de bûcheron. Deux possibilités s’ouvraient à l’esprit du Chasseur : ou le bûcheron avait été dévoré par la bête ou il était la bête. Les famines étaient monnaie courante, il n’était pas étonné de voir certains Humains emprunter la voie du cannibalisme. Il opterait naturellement vers la seconde solution pour justifier la transformation de cet homme. Sur sa gauche, dans un angle, le sol avait été creusé : la créature devait hiberner là et sa nourriture restait à sa portée. Il faisait trop sombre pour discerner tous les détails. Ce dont il était certain, c’était que le Wendigo n’était actuellement pas là. Peut-être surveillait-il les alentours… peut-être traquait-il une autre proie… peut-être… ce qui restait inévitable, était son retour à venir. 
Il contracta ses abdominaux, tout comme les muscles de ses bras, afin de rabattre brutalement ses jambes sur la corde qui les liait. L’animal n’avait pas été suffisamment intelligent pour lui ôter les pointes d’acier à l’extrémité de ses chaussures. Les lames se plantèrent dans la poutre, sectionnant la corde avant qu’il ne se décroche et chute au sol, sur le dos. 
— Aïe, souffla-t-il.
Il coupa le dernier morceau de ficelle qui retenait ses poignets entre eux avant de se redresser. En posant sa main sur le sol, il toucha une substance visqueuse et épaisse. Il récupéra la boîte d’allumettes dans sa botte et en sacrifia une pour apercevoir la configuration des lieux de façon plus précise. Sa main avait trempé dans une flaque rouge ; cette essence vitale qui avait été répandue sur la terre en même temps que des morceaux de chair. Il en souleva un du bout des doigts et remarqua une partie d’un tatouage gravé au fer chaud sur la peau d’autrefois. C’était bien le cadavre après lequel il courait. L’odeur était presque irrespirable, mais encore une fois, il avait connu pire. L’allumette finit de se consumer. Il en alluma une autre. 
Il prit le temps de mémoriser les divers emplacements du corps. Quand la flamme disparut, il s’activa à rassembler les pièces du puzzle humain sous la poutre où il avait été attaché. Il commença par un bras, puis un morceau d’estomac… ou de foie, il n’était pas sûr. Quand ses doigts se refermèrent sur trois orteils recouverts de boyaux, il soupira en se disant que ces monstres étaient vraiment répugnants. 
Il récupéra, grâce au rayon lunaire, quelques bouts de bois sec et vieilli qu’il mélangea à la chair. Il prit sa petite bouteille d’alcool, la renifla hésitant à en prendre une gorgée. Finalement, il en déversa le contenu sur son entassement de déchets organiques et végétaux. Il remit sa fiole vide autour de ses chaussures, à sa place de départ. Il profita de ce moment de répit pour ranger les pointes dans le torchon de sa poche intérieure. Il recula, prenant quelques pas d’élan, et bondit sans réfléchir pour s’accrocher à la poutre. Il se hissa sur celle-ci, se stabilisa en équilibre dessus et attendit. Le Wendigo s’était nourri, il aurait dû avoir un premier corps en réserve et allait en ramener un second. 
Le Chasseur prépara les allumettes à ses côtés. La bête ne devrait pas tarder à rentrer. Plusieurs minutes s’écoulèrent. Il devint une véritable statue. Sa concentration ne pouvait être plus optimale. Si jamais il hésitait, si jamais il se trompait ou s’il manquait son coup, il signait un aller simple pour l’Enfer… et ce n’était pas qu’une simple formule dans son cas. Qu’y avait-il de pire que le royaume de Lucifer ? 
Il remarqua soudain que la nuit venait de se taire. Les animaux faisaient silence ; même les arbres ne chantaient plus le requiem du monde. Comme souvent ces dernières années, les ténèbres apportées par la dame Lune effrayaient le reste de l’Humanité… pas lui. À défaut d’être courageux, peut-être était-il fou, mais aujourd’hui, la folie était plus sage que la raison et la peur.
Un grognement parvint à ses oreilles. Sa proie se rapprochait, et dans quelques secondes, elle serait là. Le Chasseur cessa de respirer. L’être arriva par le toit, par ce trou qui laissait passer la lumière naturelle. L’Humain ne cilla pas. Rien dans son attitude ne pouvait le trahir. La créature se redressa sur ses pattes arrière, autrefois des jambes. Sa peau s’était grisée, ses doigts considérablement allongés n’étaient que griffes mortelles. Ses oreilles avaient fusionné avec son crâne ; tandis qu’une crinière blanchâtre, partant du sommet de sa tête au bas de son dos, évoquant d’anciens cheveux, ajoutait à sa laideur. Il n’y avait pas de gras sur ce corps immonde, mais des muscles développés et fins. Sa gueule, car elle ne possédait plus rien d’une bouche, comportait des dents tranchantes, noircies par le temps et rougies par le sang. La viande humaine donnait de multiples pouvoirs… si dangereux et si répugnants. 
Le Wendigo s’approcha de l’amas de chair, puis envoya sa nouvelle capture évanouie au fond de la cabane. L’homme, immobile, attendait. L’ancien être humain se posa sur la viande sanglante, s’empara d’une partie du cadavre : une côte ou une épaule à moins que ce ne fût une partie du bassin. Il renifla le morceau. Bientôt, la créature gémit, grogna et secoua son visage, énervée par l’odeur qu’avait désormais sa nourriture. Maintenant, il devait agir maintenant. Il fit glisser l’allumette contre sa boîte tout en s’accordant de respirer à nouveau. L’animal leva brutalement la tête.
Trop tard.
Le Chasseur lâcha le bâton incandescent. Furieuse comme étonnée, la créature tendit ses griffes vers le Chasseur qui bondit, échappant également au feu. 
Le corps, avec l’alcool et le bois, s’était instantanément enflammé. Il n’y avait pas dix mille moyens de détruire un membre de l’espèce des Wendigowak : il fallait ou le brûler ou lui tirer une balle d’argent dans le corps. Or, excepté son poignard attaché à sa botte, le Chasseur n’avait pas de véritable autre arme sur lui. Par précaution, il dégaina tout de même sa courte lame. 
Le monstre s’extirpa en hurlant des flammes pour se jeter à sa gorge. Il roula sur le sol, passa sous l’être maléfique, se retourna pour lui planter la pointe tranchante dans le dos et descendre celle-ci le long de sa chair enflammée. La bête, enragée tout en étant meurtrie, fit violemment volte-face et lui donna un brusque, mais rapide, coup qui le projeta contre le mur, lui coupant le souffle. Son dos le faisait souffrir à présent. Mais c’était bientôt fini… Normalement. 
Les blessures faites avec l’arme en argent ne cicatrisaient pas, et les flammes léchaient directement l’intérieur du Wendigo. Cette créature qui hurlait à la mort tel un maudit Loup-garou. Le Chasseur se redressa avec une grimace tandis qu’au contraire, le Wendigo se retrouvait à terre. Son assassin, son implacable assassin s’avança, le toisant avec compassion. Il inclina légèrement la tête, fit un signe de croix avant de murmurer quelques paroles de bénédiction pour l’âme de cet Humain devenu vassal de Lucifer. Après tout, avant d’être un monstre, il était né enfant de Dieu. Jamais le Chasseur ne devait oublier ça. Tous ceux à qui il ôtait la vie n’étaient pas venus au monde dans le but de massacrer, de tuer et de dévorer. 
Il ne le lâcha pas des yeux, comme si cela pouvait aider son âme à trouver la paix et le repos. Les êtres de son espèce la possédaient-ils encore, cette âme ? Il n’était sûr de rien, mais voulait y croire. Si la mort était vraiment la fin de tout, alors ce monde n’avait aucun intérêt. Le Chasseur avait foi en quelque chose d’autre, en quelque chose de plus grand. Dans d’atroces souffrances, le monstre finit par mourir. 
Le Chasseur conserva un instant de silence avant de ramasser son poignard et s’avancer vers le corps de l’Humain à terre, encore inconscient. Il souleva délicatement sa tête, déboucha le flacon d’eau bénite qu’il porta aux lèvres du jeune garçon dans ses bras.
— Allez, bois, ça te fera du bien.
Lentement, cet être fragile reprenait ses esprits. Il eut un premier mouvement de recul paniqué, mais les bras forts du Chasseur le conservèrent contre lui.
— Chut, calme-toi, tu n’as plus rien à craindre. 
— Où… Le monstre ?
— Bois.
Le garçon, d’environ dix-sept printemps, obéit, avalant quelques gorgées, remerciant son sauveur d’une voix faible. Le Chasseur observa attentivement le comportement de la frêle victime : il ne réagissait pas à l’eau bénite, ce n’était qu’un simple Humain. Il sourit. 
— Tu as été attaqué par un Wendigo, mais c’est fini maintenant. Ça va ? Tu n’as rien ? Tu vas réussir à te lever et marcher ?
L’adolescent s’empressa de se redresser, mais le Chasseur préféra l’aider, dans un premier temps. Ce dernier remarqua alors qu’il n’avait plus son chapeau. Il avait dû le perdre… encore. On ne manquerait pas de le lui faire remarquer quand il rentrerait chez lui, tant pis. 
— Sortons d’ici.
Le cadavre se décomposait rapidement, et les odeurs de putréfaction n’avaient rien de bien agréable. Déjà, des mouches étaient en train de pondre sur les plaies, des vers venaient sucer délicieusement sa peau, se délectant de la viande cuite, du pus sulfureux qui s’échappait de quelques endroits, sans parler de la ligne de fourmis qui était en train de lui rentrer dans la bouche. Le Chasseur avait toujours été impressionné de la rapidité avec laquelle ces bêtes s’installaient, mais au fil du temps, il avait compris : tout ceci n’avait rien de naturel. Quelqu’un… quelque chose les contrôlait, de loin, dans l’ombre. 
Le jeune Humain passa devant afin d’ouvrir la porte à son sauveur et les deux hommes s’aventurèrent dans la forêt. Aussitôt, l’air frais de la nuit les frappa avec douceur. C’était tellement mieux que ce qu’ils avaient pu respirer à l’intérieur. Au bout d’à peine une dizaine de mètres, le nouvel aventurier frissonnant ne put s’empêcher de demander :
— Vous n’avez pas peur ?
— Non.
— Non, mais je veux dire, vous n’avez jamais peur ?
— Non. 
— Et votre visage là, cette plaie, elle ne vous fait pas mal ?
— Et tu poses toujours autant de questions aux gens qui te sauvent la vie ?
— Vous tuez souvent ce genre de… choses ? Et… Oh ! Pardonnez ma curiosité. En fait, je vous suis redevable. Alors, merci beaucoup.
Le Chasseur sourit, amusé par l’esprit vif et curieux du garçon. Cependant, ils étaient toujours dans la forêt et ils devaient conserver un maximum d’écoute en ces lieux démoniaques. 
Aucun d’eux ne prononça un mot ; l’adolescent, par crainte et respect, le Chasseur, car il se voulait discret sur un territoire de chasse. Ce ne fut qu’au lever du Soleil qu’ils quittèrent les arbres sinistres. Le tueur de monstres se détendit, s’autorisant ainsi à relâcher quelque peu son attention.
— Tu ne m’as pas dit ton nom.
Étonné, mais heureux qu’il lui adresse la parole, le jeune homme ne sut quoi répondre avant de se lancer :
— Léo. Léo Tard. J’habitais dans un pays voisin, mais un jour des hommes de notre village se sont mis à devenir fous. Ils s’en sont pris à leurs propres familles, violant les femmes, égorgeant leurs enfants, pendant les vieillards. Au début, le fléau frappa un brave paysan récemment veuf. On crut que c’était la folie qui l’avait emporté, et il fut tué pour notre sécurité. Cependant, le malheur ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Et rapidement, nombreux furent les fous. Je me suis enfui ; je n’ai pas eu le choix. 
— Tu racontes toujours tout dès que l’on te demande ton nom ?
— Je… Désolé. 
Le Chasseur éclata d’un rire joyeux, ce qu’il n’avait pas fait depuis longtemps, avant de passer sa main dans ses cheveux blonds. Tout en parlant, ils étaient parvenus à un petit village triste et endormi. Ils se rendirent dans une écurie, où l’homme récupéra son cheval avant de tendre les rênes à Léo, qui entrouvrit la bouche sans savoir quoi dire. Le Chasseur blond revint dans la bâtisse, déposa une bourse sur la table à l’intention du palefrenier, récupéra son matériel d’équitation et un sac imposant contenant ses armes. Une fois l’animal préparé, il équipa la selle avec des poignards, un fusil, des flacons d’eau bénite, et sur le flanc gauche, un sabre hachuré. Sans un regard pour Léo, il lui reprit les rênes et monta sur son destrier. Puis, il fit face à l’adolescent.
— Alors, que comptes-tu faire maintenant, Léo ?
— Eh bien je… je l’ignore. 
Le Chasseur lui tendit sa main.
— Je me rends à Rome. Si tu sais te rendre utile, tu devrais parvenir à trouver travail et protection là-bas. 
Léo sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Sans hésitation, il serra la main de son sauveur qui lui permit de s’installer à l’arrière de la selle au moment où le bel étalon noir s’élançait dans le jour naissant. 
— Vous ne m’avez pas dit votre nom à vous.
— Cal.
Chapitre 2
TOUT FEU TOUT FLAMME
Une goutte de sueur descendit le long de son visage. Il tendit son bras vers les flammes de sorte que le feu vienne lécher l’extrémité de sa cigarette qu’il porta ensuite à ses lèvres, sans le moindre complexe. Il prit le temps de laisser s’échapper un épais nuage de fumée de tabac avant de se redresser. Ce n’était pas le moment de traîner. Il tourna la tête vers sa gauche jusqu’à ce qu’il puisse distinguer un passage découvert. Il n’hésita pas. Il remonta son morceau de foulard sur son visage afin d’empêcher la fumée des flammes de l’étouffer. Il se mit à courir jusqu’à cette vieille porte en bois qu’il entreprit de défoncer à coups de pieds toujours plus violents les uns que les autres. 
Une poutre s’effondra à quelques mètres dans son dos. Tiens, les choses commençaient légèrement à se complexifier. Il n’était pas du genre à s’inquiéter, mais là, quand même, ça sentait le roussi.
Quand la porte céda enfin, il prit garde au retour de flammes et s’engouffra à l’intérieur. Là, dans un coin, le gamin était recroquevillé sur lui-même, figé par la peur et par l’approche imminente de la mort. 
Le Chasseur coinça sa cigarette entre ses dents et se précipita sur le gosse qu’il secoua par les épaules. Le petit semblait tellement perdu qu’il mit un moment à comprendre ce qui était en train de lui arriver. Cet étranger qui se tenait devant lui, qui était-il ?
— Eh, gamin, c’est quoi ton nom ?
— Je…
— Ton nom, gamin !
— Marcus.
Il acquiesça et souffla :
— Bien. Marcus, c’est ton jour de chance.
Le mioche le dévisagea avec une expression étrange, comme si on était en train de se moquer de lui. L’humour n’était pas dans les habitudes du Chasseur. Il souleva l’enfant et le prit dans ses bras. Il lui tendit son vieux morceau de tissu et ordonna :
— Plaque ça sur ton nez et surtout, ne l’enlève pas !
Marcus était à bout de force. Il ne chercha pas à tenir tête à cet homme venu de nulle part pour lui sauver la vie. Le Hunter voulut reprendre le chemin en sens inverse, mais une ombre se dressa entre lui et la porte. Alors, se tint devant lui un vieillard, appuyé sur une canne, le visage dissimulé sous un capuchon. 
— Qui êtes-vous ?
Le Chasseur n’eut aucune réponse, mais lorsque les doigts du vieux monsieur encapuchonné passèrent avec plaisir le long des murs enflammés, il n’eut plus aucun doute sur l’identité de cette créature : un Démon. Il avait suffisamment d’expérience dans la chasse pour savoir que celui-ci n’était pas tiré de bas étage, qu’il était différent de ceux auxquels il avait l’habitude de faire face. Seulement, se battre avec un enfant dans les bras, c’était tout sauf une réelle partie de plaisir. Attaquer un Démon : pas de problème, mais pas dans cette situation, pas si la vie d’un Humain innocent était en jeu.
Il laissa tomber sa cigarette sur le sol et chercha un moyen de fuir. Le Chasseur était quelqu’un de sérieux et de prévenant, il devait analyser la situation avec le plus de rapidité et d’objectivité possible. Sortir d’ici était essentiel, combattre n’était pas une nécessité dans l’absolu. 
« Je lis en toi ! »
Il serra les dents pour ne pas hurler lorsqu’il entendit cette voix résonner au fond de son esprit. Il allait devenir fou ! Marcus venait juste de perdre connaissance et lui ne tarderait pas à en faire de même s’il restait ici encore longtemps. Une sensation d’oppression et d’étouffement s’emparait de lui. Il sentait son corps se comprimer, ses poumons étaient écrasés dans sa cage thoracique. Il étouffa un cri alors que du sang se mettait à couler de son nez. Pourquoi ? Et comment était-ce possible ? Il n’avait pas été touché, en aucune façon le démon n’avait mis ses griffes sur lui. Il eut l’impression d’avoir de la lave qui remontait le long de sa gorge, et quand il ouvrit la bouche pour vomir, seule une chenille s’en échappa. Ce coup-ci, il eut un haut-le-cœur tout en serrant le gamin contre lui, il tomba à genoux et cracha une grande quantité de salive. Il fut soulagé que Marcus ait alors perdu connaissance. Il préférait que le garçon ne le voie pas dans cet état. 
« Ressens-tu la souffrance ? Ressens-tu la douleur, Hunter ? »
Oui, il la ressentait et il aurait souhaité que ce cauchemar prenne fin. Cette pensée le fit tout de même sourire : si les prières et les souhaits étaient exaucés ou même entendus, ça se saurait depuis le temps. Les Anges étaient partis se terrer au fond d’un trou à rat, et Dieu, dans le cas où il existait vraiment, n’était qu’un lâche. 
« J’aime ta perte de foi. »
Sa perte de foi ? Il n’avait eu foi qu’en une seule personne : lui. En lui et en sa Guilde de Hunters, en ceux qui crevaient jour après jour pour redonner de l’espoir. Alors qu’il relevait son visage pour soutenir le regard du Démon, ce dernier avait disparu de son champ de vision. Malgré la chaleur des lieux, un frisson remonta le long de son dos et tandis qu’il divaguait, la fumée était, elle, en train de le détruire. 
Soudain, à son esprit, des images de cadavres s’imposèrent. Il se voyait en train d’avancer dans ce champ de corps alors que des corbeaux poussaient des cris aigus tandis qu’ils grignotaient les yeux de leur déjeuner. Aussi fou que cela puisse lui paraître, il aurait juré être dans une maison de flammes. Alors qu’il avançait avec des pas lents et prudents, il aperçut la cité de Rome à l’horizon. Il ne s’élevait d’elle que de hautes colonnes de fumée et il crut mourir. Sa ville était tombée… sa ville ne pouvait pas tomber, il la protégerait et… brusquement, il fit volte-face et là, devant lui, se dressait alors une immense croix en pierre sur laquelle était cloué un ange aux ailes brisées. Il ne comprenait rien. 
« Plonge dans le désespoir. »
Il se reprit brutalement et la vision s’estompa. Il était plus fort que ça, bien plus fort que de simples tours d’esprit. Prenant sur lui, le Chasseur se leva et posa une main sur le front de Marcus, le marquant du signe de la croix, espérant ainsi éloigner les Ténèbres qui auraient pu empoisonner ses songes comme on venait de le faire avec lui. Son regard se durcit. Il valait mieux que ça. Il s’écria alors du mieux qu’il put :
— On… on se reverra !
Il tourna les talons et se précipita vers la fenêtre. La chute allait s’annoncer terrible. Il atterrit sur le toit, en contrebas, et crut qu’il s’était brisé quelque chose, mais non, il n’en était rien. Toutefois, ses problèmes étaient encore loin d’être finis. Ou il se redressait vite, ou il servirait de hors-d’œuvre au feu et à ce Démon qui ne devait pas être bien loin.
Il balança Marcus sur son épaule et s’approcha du rebord du toit. Il était à plus de trois mètres du sol. Il ne réfléchit pas et sauta. Il s’effondra sur le sol avec le gamin et eut le souffle coupé. Il n’avait pas le droit de flancher, pas le droit de rester ici et d’attendre la venue de la mort. Il prit sur lui pour éloigner la douleur et se mit debout, empli d’une force venue du plus profond de ses entrailles. Il tira Marcus avec lui afin de le mettre en sûreté, à l’écart des flammes. 
— MARCUS !
Le cri d’une femme tonna dans le dos du Chasseur. La mère du gamin se précipita vers eux, bientôt suivie par de nombreux autres villageois. Le Hunter tituba une seconde, mais fut aidé par un homme d’une quarantaine d’années. Il le gratifia d’un hochement de tête et leva son visage vers la fenêtre par laquelle il avait sauté. Dans l’obscurité des flammes, de la fumée et des ombres, il distingua la silhouette de ce Démon dont il ne connaissait pas le nom. Maintenant qu’il était seul, il serait plus à même de l’affronter. Il eut un geste dans l’espoir fou de pouvoir rentrer de nouveau dans l’habitation en feu. On le retint. La fatigue, le souvenir de cette vision et cette soudaine migraine qui s’empara de lui, lui firent perdre brutalement connaissance.
À son réveil, alors qu’il n’était pas particulièrement de bonne humeur, il tomba nez à nez avec Marcus dont un brillant sourire illuminait le visage innocent. Le Hunter se redressa et s’aperçut qu’il était allongé sur un lit miteux, mais tout de même plus confortable que le sol sur lequel il dormait depuis près de quinze jours maintenant. 
— Chouette, t’es debout !
Il grimaça et se massa le crâne une seconde. Que s’était-il passé ? Ah oui, l’incendie, le mioche, le Démon et le saut par la fenêtre. Il y avait des journées où il valait mieux rester au lit ! Il soupira et porta de nouveau son attention vers le gamin. L’image de l’ange aux ailes brisées lui revint en mémoire, mais il éloigna vite la pensée. Après tout, les Démons mentaient tout le temps, c’était bien connu. 
— Tu as du whisky ?
— Je suis un enfant, je ne bois pas d’alcool.
Évidemment. Comme quoi, il y avait du bon à être un adulte. Le Hunter ferma les yeux un instant alors qu’il sentit un doigt se poser sur le cache qui dissimulait la moitié gauche de son visage. Il saisit aussitôt le poignet de Marcus et précisa :
— On ne touche pas !
— Qu’est-ce qui vous est arrivé ?
— Hm ?
— À l’œil ? Pourquoi est-il dans un tel état ?
— Pour faire parler les curieux.
Il était hors de question de se livrer à un gosse qu’il ne connaissait pas. Il se leva et fit quelques pas, jusqu’à mettre la main sur ses vêtements qu’il enfila sans tarder. Tout ceci, cette blessure à l’œil, ces cicatrices qui parcouraient sa peau, toutes, faisaient partie de son histoire, de son passé, de ce qui l’avait construit en tant que Chasseur. 
— Et votre nom ?
— Sébastian.
— Sébastian comment ?
— Sébastian tout court !
Marcus croisa ses bras sur son ventre et se planta sur la route de Sébastian, l’empêchant de quitter la chambre sans avoir à le pousser. Le Hunter eut envie de sourire devant la forme de courage dont Marcus faisait preuve. Toutefois, l’humour n’était pas son fort. L’enfant se mit alors à déclarer d’une voix à la fois sûre et orgueilleusement fière d’énoncer son savoir :
— Vous êtes un Hunter. Les Hunters viennent d’une Guilde !
— Sébastian de Rome.
— Rome ?
Marcus écarquilla les yeux, autant stupéfait qu’émerveillé. Sébastian tapota avec son index la chevalière qu’il portait et sur laquelle était gravé le symbole de sa Guilde : la louve avec les jumeaux Remus et Romulus buvant son lait. La surprise lui permit de dépasser Marcus sans avoir à refréner la résistance vaine du petit.
— Vous travaillez avec le Vatican !
— Je travaille pour les Hommes… dans l’enceinte du Vatican.
Il chercha dans les poches de son manteau pour en tirer une cigarette qu’il porta à ses lèvres et poussa un soupir de plaisir. Rien n’était mieux que le tabac pour se détendre. Il se mit alors à fouiller dans les placards de la petite chaumière. Marcus s’assit sur un tabouret et l’observa faire.
— Ma mère ne va pas être contente. Elle n’aime pas quand on farfouille dans ses affaires.
— J’ai sauvé tes fesses, je suis persuadé qu’elle ne me dira rien.
La réplique cloua le bec de Marcus. Seulement, les recherches de Sébastian s’arrêtèrent lorsque la voix de la mère de Marcus s’éleva dans son dos.
— Nous n’avons pas d’alcool ici. Nous n’en avons pas les moyens. 
Sébastian, dépité, soupira derechef. Elle grommela quelques mots à propos de la cigarette qu’il était en train de fumer, mais n’osa pas lui faire la moindre remarque à voix haute. Tant mieux, il n’aurait pas besoin de l’envoyer balader. Il entreprit donc de rassembler ses affaires dans son sac et demanda :
— Mon cheval ?
— Dehors. Je suis allée vous le chercher. Je… je tenais à vous remercier. Sans vous, mon garçon serait mort et…
— Ouais, ouais, je sais ! Blabla… on n’avance pas avec du blabla.
Sébastian s’approcha de Marcus qui ne le quittait pas du regard, émerveillé par cette aura que le Hunter dégageait. Il en avait rêvé, comme tout le monde un jour dans sa vie, mais là… c’était bien réel. Il se tenait là, devant lui : en chair et en os. Un véritable Hunter, un véritable tueur de monstres !
— Qu’est-ce que tu faisais tout seul à l’étage ?
— De quoi ?
Marcus sursauta en constatant que le Chasseur était en train de lui adresser la parole. Il réfléchit un peu, mais fut dans l’incapacité de balbutier deux mots cohérents. Sébastian répéta alors, luttant contre l’impatience qui le gagnait avec une cuisante rapidité :
— Qu’est-ce que tu faisais à l’étage, dans cette maison ? Pourquoi est-ce que j’ai dû me cramer les fesses pour venir te chercher ?
— Je… eh bien…
Il baissa les yeux, mal à l’aise. Sébastian s’accroupit à son niveau et répliqua sur un timbre de voix bien plus doux :
— Je n’ai pas l’intention de me fâcher, je veux juste savoir pourquoi j’ai dû risquer ma vie, j’en ai bien le droit, non ?
— Eh bien… j’ai entendu des gens parler dans la rue. Ils disaient que la vieille maison abandonnée avait autrefois été habitée par un Hunter, et qu’aujourd’hui, il était devenu un fantôme. Je me suis dit que peut-être je trouverais un moyen de faire disparaître le fantôme, que le Hunter avait le droit de reposer en paix à côté de Dieu, lui aussi. Je me suis trompé et puis, je ne sais pas comment, mais la maison a pris feu et… et j’étais tout seul.
Sébastian ne dit rien. Il se redressa et attrapa le pot de gros sel avec lequel il dessina un cercle et quelques symboles sur la table. Intrigué, Marcus descendit de sa chaise pour essayer de comprendre ce à quoi le Chasseur était en train de jouer.
— Pour empêcher les Démons de rentrer dans ta maison. L’eau bénite, celle avec laquelle tu fais le signe de croix quand tu vas à l’église, c’est une arme très puissante contre la plupart de ces monstres, tout comme l’argent. 
Marcus buvait ses paroles et examina avec attention le dessin. Sa mère, par contre, n’était pas très à l’aise dans cette ambiance d’apprentissage au métier de « tueur de monstres ». Sébastian, s’en apercevant, balaya le sel de la table d’un revers de main et se dirigea vers la porte de sortie. Les gens normaux avaient peur des personnes comme lui, et pire encore, alors que ses frères mouraient souvent pour eux, ils n’étaient que rarement appréciés à leur juste valeur. Sébastian était un solitaire dans l’âme, il ne se plaignait pas de cette situation. 
— Merci de votre hospitalité !
Il ouvrit la porte et aperçut sa monture sur sa gauche. Le Hunter borgne se retourna vers Marcus et lui avoua d’un ton à la fois calme et étrangement mélancolique :
— Les Hunters ne peuvent pas devenir des fantômes, jamais.
Marcus ne comprit pas où Sébastian voulait en venir, mais ne broncha pas. Il ne perdit pas son héros des yeux, jusqu’à ce que celui-ci soit en selle. Il se tenait droit et fier avec un fusil attaché dans son dos. 
— Un jour, je serai comme vous !
— Je ne te le souhaite pas.
Interloqué, Marcus dévisagea le Chasseur sans avoir les mots pour lui répondre. Il s’était attendu à des encouragements, à des conseils ou encore à son avis quant au chemin à parcourir pour devenir comme lui. Pourquoi une telle réponse ? L’enfant déglutit, mais le Hunter ne lui lança pas un regard.
— Seuls les fous décident d’être un Hunter. Deviens boulanger, forgeron, bûcheron ou même prêtre ; tu t’assureras une vie bien meilleure que la mienne.
Marcus en resta interdit, bras ballants. Cependant, il était persuadé d’une chose : tout ce que cet homme venait de lui dire, jamais il ne l’oublierait ! Ce serait là, inscrit quelque part dans son esprit, prêt à resurgir au moment propice. Quel que soit le moyen, il deviendrait un Hunter. Il avait le temps après tout, il n’était qu’un petit garçon.
Sébastian poursuivit sa route en direction du sud. Il n’aurait jamais cru que son voyage de retour serait si épuisant. Après une chasse telle que celle qu’il avait menée une demi-dizaine de jours plus tôt, il méritait au moins de se reposer dans un endroit sec et chaud. Il enfonça le chapeau, qu’il avait récupéré dans la maison de Marcus, sur le dessus de son crâne, l’inclinant un peu de sorte qu’il dissimule ses yeux, et coinça une cigarette entre ses lèvres. Prenant le briquet, il en alluma l’extrémité et se mit à inspirer goulûment une première bouffée de fumée tout en émettant un soupir intense de satisfaction. De sa main libre, il caressa l’encolure de son cheval avec une certaine tendresse, puis fit claquer sa langue contre son palais, et l’animal partit au petit galop.
Direction Rome.
Chapitre 3
REQUIEM DU MONDE
Cal et Léo avaient fait une halte au sein d’un village, dans un paysage montagnard, entre la France et l’Italie. Cela faisait deux jours qu’ils voyageaient sans cesse. L’étalon, nommé Tao, avait besoin d’un réel repos, comme eux. L’auberge n’était pas de première qualité, mais au moins, ils auraient un toit et un lit pour dormir. Cal avait rapidement expliqué à son compagnon de voyage que la nuit, mieux valait ne pas s’arrêter pour camper à la belle étoile au risque de ne jamais revoir la lumière du Soleil. Un petit village, aussi misérable fut-il, apportait toujours une certaine forme de sécurité. 
Avec les années, les journées s’étaient considérablement assombries, ouvrant le chemin de la destruction et du chaos aux enfants de Lucifer. Dans quelque temps, ils ne souffriraient plus d’aucune limite de mouvements. Déjà, dans certaines contrées, on racontait que quelques seigneurs diaboliques préféraient s’allier aux Démons plutôt que de vivre dans la peur. Soumettre et non se soumettre. La guerre s’étendait bien au-delà du conflit entre les Immortels assoiffés de sang et les Humains assez fous pour les défier. 
Léo se laissa tomber sur le matelas vieilli et poussiéreux qui lui répondit par un affreux grincement. Tant pis. C’était ce qu’il avait connu de plus confortable en plus d’une semaine. Il n’avait pu obtenir ce style de plaisir depuis qu’il s’était enfui, mais contrairement à Cal, il avait pu dormir à cheval. Le Chasseur n’avait pas fermé l’œil, ne montrant pourtant pas de réels signes de fatigue. Léo préféra ne faire aucune remarque. Cal referma la porte de la minable pièce ; parquet sale et sinistre, odeur de renfermé, pas de lumière, mais au moins, la chaleur de la cheminée, dans la cuisine en bas, remontait jusqu’à eux. Il déposa le sac sur son lit, en tira une petite boîte en fer. 
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Léo, intrigué.
Cal lui sourit, expliquant calmement, comme chaque fois qu’il répondait aux interrogations du jeune homme :
— Du sel.
— Pour quoi faire ?
Le Chasseur blond ouvrit sa boîte en s’avançant vers la fenêtre. Il aéra un instant la pièce afin de pousser les volets de sorte à ne pas être gêné pour regarder dehors. Il avait vue sur une petite place. L’endroit semblait paisible et il en fut soulagé. La nuit serait peut-être tranquille, pour une fois. Après un instant, il referma la vitre. 
— Le sel repousse les esprits comme les corps possédés. 
— Ça veut dire qu’avec du sel, du simple sel, on aurait tous pu se protéger dans mon village ? Que… tous ces meurtres auraient pu… si j’avais su…
Cal revint vers lui et ébouriffa sa chevelure charbon pour le rassurer. Léo était un gamin naïf et bien trop gentil pour parvenir à mener sa petite existence dans ce monde. La bonté était une vertu qui n’avait que trop peu de place. 
— Tu n’aurais pas su t’en servir. Le sel n’agit que dans des conditions spécifiques. Ne te rends pas coupable d’un crime dont tu es la victime, d’accord ?
Mal à l’aise, Léo baissa les yeux, appréciant le réconfort amical du Chasseur. Cal s’approcha de la fenêtre et, précautionneusement, il dessina un pentagramme qu’il entoura d’un cercle fin avant de tracer sur la pointe la plus élevée un oméga majuscule, deux alphas minuscules sur les deux extrémités opposées et enfin, sur les deux pointes restantes des croix chrétiennes. Il allait réitérer l’opération devant la porte de la chambre lorsque quelqu’un frappa. Il ouvrit, mais déjà, plus personne n’était là. Une bassine d’eau chaude avait simplement été déposée pour eux. Cal la rentra à l’intérieur avant de fermer à clef pour finir ses installations de sécurité. 
— Pourquoi la personne est-elle repartie ?
— Ils ont peur de nous : deux étrangers seuls dans cette région hostile avec tout ce qui se trame. Ce n’est pas étonnant. 
Cal termina de disposer correctement le sel et Léo fit quelques pas pour examiner le résultat.
— C’est ça qui aurait pu protéger mon village ?
— Je t’ai bien dit que tu n’aurais pas su t’en servir seul.
Le garçon se rassit, désespéré. Il paraissait ailleurs, comme si, l’espace d’un moment bien court, il se retrouvait de nouveau chez lui, avec ceux qui l’avaient vu grandir, avec ses amis, avec Justine et ses tresses brunes et… et ce fut l’image de la belle demoiselle possédée. Son œil gauche était retourné, complètement blanc alors que celui de droite, habituellement bleu, était injecté de sang. Les veines de ses bras étaient ouvertes sur toute leur longueur et elle hurlait à la mort… sans raison. Il l’avait vue s’approcher d’un homme deux fois plus fort qu’elle et lui ouvrir le thorax comme s’il ne s’agissait que d’une motte de beurre. Cette vision lui avait fait froid dans le dos. Il ne s’était pas attendu à tant de violence de sa part, à tant de cruauté. C’était à ce moment qu’il avait compris qu’il l’avait perdue… elle aussi. Elle comme beaucoup d’autres ces derniers temps. Il avait fui. 
Il avait fui à l’instant où, sous ses yeux horrifiés, Justine avait fait éclater le cœur de l’homme entre ses mains en souriant. Le sang avait éclaboussé son visage, dégoulinant de son menton, descendant sur sa poitrine nue. Il l’avait désirée. Depuis plusieurs mois déjà, il tentait de conquérir son cœur, et de ses seins mis à nu, il en avait rêvé… plus d’une fois. La prendre contre lui, goûter à la tendresse sucrée de ses lèvres et à la douceur de sa peau dorée. Si le rêve l’avait embarrassé quelque temps plus tôt, maintenant, il lui faisait chaud au cœur, le ramenant à des souvenirs agréables et doux. Mais ce qui hantait le plus Léo, c’était ces quelques mots qu’elle avait prononcés d’une voix d’outre-tombe. Les possédés étaient… effrayants. 
— L’Humain est naïf et il verra le ciel devenir noir et ses bras bouger tous seuls et son corps avancer sans air et ceux qui croiseront son chemin seront fous à leur tour.
Léo avait pris peur. Il aurait pu croire, l’espace d’une seconde, que la terreur le paralyserait, mais la volonté de vivre était forte chez lui. Il s’était mis à courir, sans se retourner, sans hésiter. Ses pas l’avaient conduit sur le terrain de chasse du Wendigo. Il avait cru quitter le pire des cauchemars, il avait eu tort. Maintenant, ici, dans cette chambre miteuse avec ce type aussi gentil que dangereux, il avait l’impression de sortir des ténèbres. 
Cal, bien loin de se douter des préoccupations de l’adolescent, referma son paquet de sel, le rangea et offrit à Léo un morceau de viande séchée. Celui-ci savoura son maigre repas comme s’il s’agissait d’un met délicat et merveilleux, préparé dans un palais par un tas de cuisiniers talentueux avant d’être servi dans de l’argenterie luxueuse. Il sourit. Les bonheurs les plus simples étaient les meilleurs. Il lui demanda alors avec plus d’embarras que de curiosité :
— Vous n’en voulez pas ? Vous ne mangez jamais ?
Il espérait que Cal ne se prive pas pour lui. Il n’était qu’un invité-surprise et il avait déjà fait tellement de choses pour lui qu’il ne voulait surtout pas être un poids supplémentaire. 
— Je n’ai pas faim, merci.
Enfin, en deux jours, excepté une demi-tranche de viande séchée, il n’avait rien pris. Léo était surpris du peu de nourriture que le Hunter avait besoin de consommer, mais il n’osa pas le le faire remarquer ou en demander la raison. 
Cal retira son manteau, et eut tout de suite l’impression de se mettre à nu, comme s’il était chevalier et qu’il déposait son armure. Après tout, les Chasseurs étaient un peu de preux chevaliers, à défaut de se battre entre eux, leur croisade était commune et dans l’intérêt de l’Humanité. Il enleva ensuite son T-shirt tout en s’accroupissant devant la bassine d’eau chaude. Léo écarquilla les yeux, désignant en bafouillant le dos du Hunter.
— Ces… marques… qu’est… euh… ?
Cal tourna son visage vers le sien, lui renvoya un éclatant sourire tout en se lavant un peu. L’eau ruisselait sur son torse en perles de crasse et de sueur. 
— Je l’ignore. Aussi loin que je me souvienne, je les ai toujours eues. 
La curiosité l’emporta, Léo se leva et il ne put s’empêcher de toucher les cicatrices du bout des doigts. Elles s’étendaient du milieu de ses omoplates au bas de son dos à droite, à gauche et au centre, comme trois taches d’encre à la fois différentes et unies. 
— On dirait des brûlures, comme si on avait effacé quelque chose de votre peau. 
— Peut-être est-ce en rédemption de mes péchés. 
— Vos péchés ?
— Non… En réalité, je ne sais pas. 
Cal plongea ses cheveux dans la bassine, les décrassant aussi bien qu’il le put. La chaleur fit parcourir un frisson le long de son dos. Il avait toujours aimé la chaleur et le Soleil, mais au fur et à mesure, l’été devenait plus court et l’hiver, bien plus long et difficile. Quelle triste époque… Lorsqu’il ressortit sa tête de l’eau, Léo lui donna un morceau de drap qu’il avait réussi à dénicher au fin fond d’un tiroir. Cal ébouriffa sa chevelure blonde et vit dans les yeux de Léo l’envie qu’il avait de vouloir se laver à son tour. Cal finit de se sécher les cheveux avant de lui dire :
— Profites-en pendant que l’eau est chaude.
Le jeune homme ne se fit pas prier pour se nettoyer à son tour. Cal laissa la serviette improvisée sur le lit et s’avança vers la fenêtre. C’était si calme… Peu d’habitants étaient dehors. 
— Honnêtement, si je vous avais rencontré dans d’autres circonstances, je ne vous aurais jamais cru du genre : tueur à… euh… oui, Wendigo. Non, mais sérieusement, vous n’avez pas la carrure d’un Chasseur de monstres.
Cal ricana, amusé, mais n’interrompit pas le gamin. Physiquement, il était vrai que le Chasseur faisait plus vieux que Léo qui, quant à lui, conservait un côté enfantin, mais en vérité, ils ne devaient pas avoir une grande différence d’âge. 
— Vos cheveux blonds, ces yeux verts perçants et doux, vos manières gentilles et attentionnées, vous ne faites pas… enfin !
— Et comment imaginais-tu un « Chasseur de monstres » ?
Léo se frottait le torse, le frictionnant vigoureusement. À quand remontait la dernière fois où il avait pu se laver ? Il était incapable de le dire, mais ça lui manquait. Il parut réfléchir un long moment avant de reprendre plus sérieusement :
— Plus vieux, personnage sombre avec un air patibulaire, une cigarette à la bouche, de la barbe, un air bougon et… ah oui, avec des kilos en trop, solitaire, froid… Une sorte d’ours, en gros.
Cal sourit de plus belle alors que ses pensées l’éloignaient de ce lieu sordide. Léo continuait à bavarder de son côté. C’était un bon garçon, le Chasseur l’appréciait. La compagnie d’un autre Humain lui avait manqué. Sans trop prêter d’attention au monologue du garçon, il remit son haut et lui conseilla, coupant court à sa tirade : 
— Tu devrais dormir Léo, demain on partira tôt. Plus on sera discrets, mieux cela vaudra. 
— Il n’y a qu’un lit, fit remarquer ce dernier, gêné de prendre autant de place alors que le Chasseur aurait sans doute pu espérer plus de confort s’il avait été tout seul.
Cal rit aux éclats devant la mine déconfite de son ami avant de s’installer sur la chaise près de la fenêtre. Léo était prévenant, maladroit et légèrement naïf. Le Hunter affectionnait tout particulièrement sa gentillesse sincère. 
— Je ne dormirai pas, alors je m’installe là.
— Quoi ? Mais ça fait déjà deux jours que vous n’avez pas fermé l’œil… Vous… 
— Ne t’en fais pas. Repose-toi, Léo.
Abasourdi, il s’inclina quand même devant l’autorité que dégageait la voix de Cal. Il se mit sous les draps sans discuter davantage. Amenant son sac vers lui, Cal ouvrit un révolver qu’il chargea de balles d’argent. Il l’accrocha dans son dos, installa son sabre à sa ceinture par mesure de sécurité, puis, tout en aiguisant son petit poignard, il contempla les étoiles.
Il ne fallut que peu de temps à Léo pour s’endormir. Il était épuisé. Il était trop différent de Cal qui avait tant l’habitude de ce genre de régime : cheval, chasse, nuits blanches, combat… À force, le Hunter, ainsi que son étalon, avaient acquis une endurance telle qu’il lui suffisait de quelques heures pour se ressourcer, peut-être même moins pour Cal. Le Chasseur avait compris que Léo, bien qu’il ne se plaigne jamais, était à bout. Cette différence entre eux finissait d’endurcir les doutes de Cal… était-il réellement humain ? Lui, comme tous les autres Hunters, finissaient-ils de perdre leur lien avec les mortels au fil des ans ? Toutes ces questions finissaient de le mettre mal à l’aise avec les gens normaux. 
Cal s’occupait toujours de ses armes en admirant les cieux étoilés. Il aimait les fixer, il aimait la beauté du ciel et de la Lune comme la chaleur du Soleil et la caresse du vent. Il se concentra alors sur les sons, notamment sur le bruit des arbres. Ce chant triste et sinistre qu’ils colportaient n’était accessible qu’à ceux qui savaient écouter. Les gens comme Cal l’avaient gentiment nommé : le Requiem du Monde. 
Un cri.
Le Chasseur s’aperçut soudain qu’il avait fermé les paupières quelques minutes. Il baissa son visage, découvrant sur la place du petit village une foule qui encerclait un bûcher. Cal se leva précipitamment. Des protestations bruyantes remontèrent jusqu’à lui. Il savait déjà ce qui était en train de se préparer. Pour avoir vu cette mise en scène tellement de fois, il ne pouvait pas se tromper. La peur rendait décidément les Humains fous. Cal s’approcha rapidement du lit où Léo dormait toujours et le secoua vivement, histoire de lui faire reprendre au plus vite ses esprits. 
— Que se passe-t-il ? bougonna Léo se réveillant. On doit déjà partir ?
— Ils vont brûler une Sorcière.
— Quoi ?
Cal n’avait pas à rentrer dans les détails maintenant, il n’en avait pas le temps, il devait agir au mieux. Léo bondit à la fenêtre. Trois brutes traînaient dehors une vieille femme brune, habillée d’une simple chemise blanche. Plus elle approchait du bûcher, plus les gens autour étaient en train de crier. Léo en resta sans voix, se demandant si c’était elle la Sorcière à qui Cal venait de faire allusion. Pendant ce temps, le Chasseur était en train de finir de se préparer. Léo fut stupéfait de le voir armé jusqu’aux dents pour ce genre de situation. 
— Qu’est-ce que tu fais ?
— On ne brûle pas une Sorcière. Les êtres humains n’ont pas le pouvoir de les capturer et elles ne craignent pas les flammes. 
— Ça veut dire qu’ils vont tuer une innocente ?
Pire que ça, cela signifiait qu’ils tuaient toujours une innocente ; Cal le savait. Pour une fois, il pourrait peut-être intervenir à temps, empêcher un nouveau massacre. Cal balança son sac à Léo qui le rattrapa maladroitement sans savoir quoi en faire. Le jeune homme, paniqué, demanda rapidement :
— Je fais quoi, là ?
— Selle Tao, rassemble toutes nos affaires. Ah ! et… trouve-nous un autre cheval.
— Avec quel argent ?
— Vole-le.
Sans lui laisser le temps de le contredire, Cal ouvrit la porte, balaya le pentacle de sel avant de dévaler quatre à quatre les marches bruyantes. Une fois dehors, il comprit qu’il avait été trop lent. La vieille dame avait déjà été attachée à un gros poteau de bois ; il ne pourrait pas lui sauver la vie. Il était bien trop loin et il y avait beaucoup de monde autour. Toutefois, tourner les talons et partir en courant, ce n’était pas dans sa nature, aussi, il avança. Alors qu’il se faufilait dans cette foule de fous, il entendit :
— Brûlez la Sorcière !
— Au Diable la païenne !
Cal aperçut des larmes couler sur le visage de la femme qui ne fixait qu’un point à sa gauche. Il tourna à son tour la tête pour découvrir une jeune fille à la longue chevelure brune. Deux autres paysans, qui ressemblaient plus à des ours mal dégrossis, serraient les bras de la demoiselle ; sans doute la fille de ladite « Sorcière ». Elle serait la prochaine…
La femme hurla. Un impatient avait allumé le bois et la paille. C’était rapide. Cal joua des coudes, mais sa progression était lente et le feu, rapide, dévorait les jambes, le corps. Au début, ce n’était que des cloques formées par la peau, puis telle de la cire, la chair se liquéfia, fondant douloureusement. La jeune fille à l’écart pleurait, retenant l’envie qu’elle avait de crier ; mais de cela, sa mère s’en chargeait. Même la population spectatrice de la mort publique, n’était pas indifférente aux souffrances. Parmi les âmes les plus sensibles, quelques-unes avaient vidé leur maigre repas de la veille sur les pieds de leurs voisins. Un homme, qui paraissait être le « guide » de cette émeute, monta sur une petite estrade près du bûcher, une croix à la main. Cal se figea quand l’homme se mit à parler. Il avait attendu la fin des cris de la « Sorcière » pour émettre son petit discours. 
— Nous avons renvoyé la païenne Sorcière dans l’antre de Satan.
Les gens acclamèrent ses paroles, tel un messie. Cal secoua la tête. Il entendait toujours les mêmes conneries, les mêmes superstitions débiles et fausses. La peur, les Démons et leurs massacres embrouillaient les esprits et ne faisaient qu’entretenir les rumeurs sur la manière de les combattre. On ne s’improvisait pas Hunter. 
Cal n’en revenait pas de lire en eux une telle forme de violence. Il avait les yeux braqués sur le corps noirâtre. Il baissa la tête, fit un rapide signe de croix tout en balbutiant quelques douces paroles pour le repos de son âme. Une fumée chaude et nauséabonde sortait du cadavre. Les Loups-garous pourraient être attirés par la forte présence de viande. D’ici une nuit ou deux, ce village serait un cimetière. Ils n’avaient plus aucune raison de rester ici, désormais. Cal tourna la tête, remarquant en fond Léo avec les deux chevaux. Il ne devait plus perdre de temps, et de toute façon, aucun village isolé et désorganisé ne pouvait survivre à une attaque d’une meute de Lycans. 
— Purifions notre village, nos enfants et nos maisons de la descendance de la servante du Diable.
Cal soupira derechef, mais se retint de formuler le moindre commentaire à voix haute. Les villageois amenèrent l’innocente jeune femme vers le bûcher. Elle n’avait pas même la force de se défendre. S’ils avaient immolé la mère, ils le feraient avec la fille. Ni l’une ni l’autre n’étaient des démons maléfiques. Le Chasseur ne pouvait laisser faire cela : il n’appréciait pas la violence gratuite. Il concevait que la peur puisse pousser à des actes malsains, mais ce n’était pas une raison pour les laisser commettre une telle erreur !
Cal s’empara de son révolver jusqu’alors accroché à sa ceinture et, sans crier gare, logea une balle d’argent dans le crâne des deux gorilles qui tenaient la jeune fille. Il profita de la surprise générale pour sauter sur l’estrade. L’orpheline se laissa tomber à terre. En état de choc, le Chasseur savait qu’elle ne se débattrait pas, mais il savait aussi qu’elle ne le suivrait pas non plus… Il la pressa contre lui, l’enroulant de ses bras protecteurs et la souleva du sol, la chargeant sur son épaule. De son autre bras, il tenait toujours en joue une prochaine cible, passant d’une personne à une autre sans trembler. 
Mais les gens reprenaient leurs esprits, quittant leur état oisif. Cal ne perdit pas de temps à réfléchir ; il s’élança sur le poteau du bûcher où le corps fumant reposait encore. Peu solide, le bois bascula sur la foule qui s’écarta. C’était le moment. La jeune fille, immobile tout contre lui, ne disait rien. Il courut vers les chevaux et Léo. L’adolescent n’était pas idiot et avait déjà pris place sur l’animal volé. Les habitants, couteaux, torches et faux à la main, se rapprochaient. Ils ne craignaient plus le révolver : ils étaient nombreux et le nombre de balles toujours limité. Le Chasseur serait très vite dépassé. Il installa la fille sur Tao.
— Tenez les rênes.
Elle obéit simplement. Le Hunter cacha son étonnement : elle faisait ce qu’il lui disait, malgré le choc. Était-ce la peur de mourir ? Avait-elle compris qu’il était son unique chance de survie ? Il ne s’attarda pas sur la question. Un villageois se précipita sur lui. Il arrêta à deux mains le couteau avant que celui-ci ne lui transperce la tête de part et d’autre. Il s’accroupit et se retourna pour faire chuter l’Humain par-dessus son dos. 
— Léo, partez.
— Mais…
— Léo !