L'appel du collier - Alice Dumas - E-Book

L'appel du collier E-Book

Alice Dumas

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Beschreibung

Prise en flagrant délit d'école buissonnière, Juliette, une jeune collégienne impopulaire, se voit contrainte d’intégrer le club d’archéologie de l’école. Mais au-delà de l’intérêt pédagogique, l’expérience prend un tournant inattendu. En découvrant un ancien collier, elle fait la connaissance d’Akyane, une jeune fille de la période de l’âge de bronze au destin incertain. Plus qu’un cours d’histoire, Juliette s‘apprête à vivre une véritable aventure ! Deux jeunes filles. Deux époques.


À PROPOS DE L'AUTRICE

Alice Dumas est née en 1988 en Provence et fait des études de lettres à Lyon. L'agrégation en poche, elle commence sa carrière passionnée de professeur qui nourrit sa volonté de s'adresser à la jeunesse. En 2020, elle se lance dans l'écriture, son rêve de petite fille. Aujourd'hui maman, elle continue à enseigner tout en laissant le champ libre à sa plume.

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L’APPEL Du

COLLIER

De la même auteure :

Le Casier au fond du couloir, 2022

Cet ouvrage a été composé les Éditions La Grande Vague

et imprimé en France par ICN Imprimerie à Orthez

Graphisme de Leandra Design Sandra

Images libres de droits Pixabay/Pexels/IStock

Illustrations d’Iris Mouran

Loi N°49-956 du 16 Juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse

ISBN numérique : 978-2-38460-059-5

Dépôt légal : Décembre 2023

Les Éditions La Grande Vague

3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau

Site : www.editions-lagrandevague.fr

« À mes parents, solides et tendres aventureux agriculteurs, dont l’amour inconditionnel m’a donné des ailes. »

1

Juliette

De nos jours.

Le vendredi après-midi, la petite bande quitte le collège plus tôt pour se rendre au skatepark. Au début, Juliette refusait parce qu’elle avait latin et puis elle s’était rendu compte que c’était le seul moyen de se faire des amis. Du moins, les amis qu’elle voulait et pas les deux nigauds du cours de latin, Gédéon l’intello et Marie-Amélie la coincée.

Dans la petite bande, il n’y a que des gens populaires ; Rayan dont la touffe de cheveux compense les centimètres qu’il n’a pas encore pris, Tara la rebelle, Andréa la belle, Momo qui fait du rap, Jo le rockeur anarchiste et Mathias, surtout Mathias, et puis maintenant, un peu Juliette.

C’est le printemps de ses 13 ans, sur la zone bétonnée et graffée, on mange des chips tout juste achetées au Carrefour market d’à côté en buvant tous dans la même bouteille d’Ice Tea, en riant fort, en se bousculant, en se poursuivant, en se câlinant, surtout Andréa et Mathias.

Juliette regarde avec envie Andréa si à l’aise dans son corps de jeune fille qui fait des selfies à qui mieux mieux en ne souriant pas, en pinçant les lèvres, en tournant la tête, de profil, de dos, de biais, qu’elle postera en accompagnant le tout de citations inspirées.

Juliette rit avec les autres, mais son rire sonne faux.

Juliette fait comme si elle était à sa place.

Juliette fait semblant de manger des chips.

Elle aussi saute au cou des copines, poursuit les garçons, joue avec son portable et pourtant, elle est lointaine à tout ça.

Mais il y a Mathias. C’est pour lui qu’elle est là. Elle observe son ancien confident avec attention. Ils sont voisins et amis depuis l’enfance, ont partagé la même crèche, les mêmes goûters aux quatre-quarts brûlés de Line, sa mère, les mêmes après-midi à grimper aux arbres du parc ; traînant ensemble à chaque récréation du jardin d’enfants jusqu’en cinquième, faisant les quatre cents coups alors que flottait autour d’eux le parfum insouciant de l’enfance.

Et puis quelque chose est arrivé, quelque chose qui a déchiré sans signe avant-coureur le ciel bleu de leur amitié.

Mathias a grandi tout d’un coup. Et Juliette, un peu par esprit de contradiction, a refusé de grandir.

Elle ne s’était pas rendu compte tout de suite qu’il était devenu beau. Malédiction.

Mathias en quelques mois était devenu populaire, il avait laissé pousser ses cheveux ondulés, avait adopté le skateboard et la dégaine de la jeunesse.

Juliette, à l’inverse, était restée timide au premier abord, excellente élève, une madame-je-sais-tout.

Elle aurait continué à le voir comme le gamin mal coiffé qui la poussait dans les flaques de boue si Andréa n’avait pas débarqué. Aujourd’hui svelte, grand, aussi élégant qu’on puisse l’être à quatorze ans, Mathias attire les regards fascinés de toutes les filles qu’il croise.

Et Juliette a compris. D’un coup, d’un seul, un jour d’octobre en voyant Andréa minauder devant lui. Un cataclysme était en train d’arriver ; plus rien ne serait comme avant. Alors que l’adolescence est en train de les séparer, elle ouvre à peine les yeux sur le lien si fort et pourtant tabou qui les unissait, qui les unit toujours un peu peut-être.

Elle regarde le flirt flagrant qu’il a avec Andréa, la plus belle fille de la classe. Elle n’ose pas s’avouer qu’elle aimerait être à sa place.

C’est Mathias qui lui a permis de se faire accepter dans la petite bande au nom de leur longue amitié, même si elle sent que cette appartenance ne tient pas à grand-chose et que cela a un prix ; le cours de latin du vendredi en fait partie.

« Tu veux des chips ? lui demande Tara en lui tendant le paquet à peine ouvert.

— Non, merci, répond Juliette, alors que les autres foncent dessus comme des moucherons sur une lumière de camping. »

Dans la petite bande, personne n’a remarqué son manège autour de la nourriture, parce que personne ne fait réellement attention à elle. Parfois, elle a l’impression d’être transparente, de s’effacer à force de ne pas compter, alors elle trouve cohérent de s’effacer pour de bon, d’effacer ses hanches qu’elle voit énormes, ses fesses qu’elle voit énormes, ses bras, ses seins qu’elle voudrait ne jamais avoir vu apparaître.

Juliette, sans se l’avouer, sait qu’elle est en train de basculer. Cela fait plusieurs mois qu’elle se restreint ; elle se trouve plus belle, plus mince, quand elle ne mange plus de frites, même avec sa mère, lors de leur rituel du samedi. Pis encore, cela fait plusieurs mois qu’elle fait semblant de les manger, qu’elle trouve des excuses, qu’elle ment. « J’ai trop mangé au goûter avec les copines, Mamoune. » Elle se demande comment sa mère y croit. Elle n’a même pas de vraies copines.

Dix-sept heures, depuis le skatepark on entend très bien la sonnerie du collège. De loin, Juliette aperçoit Gédéon et Marie-Amélie qui sortent et se dirigent droit vers le bus.

Et puis, chose étrange, Juliette aperçoit Madame Bel, la prof de latin, elle sort le regard furibond et regarde partout. Elle doit chercher Juliette qui sèche le cours allègrement le vendredi après-midi.

La jeune fille se ratatine derrière le paquet de chips de Tara, en espérant ne pas se faire voir. Ça passe pour cette fois. Mais elle ne pourra pas toujours éviter Madame Bel.

« Bon les gars, je dois y aller, lance Mathias à la petite assemblée. Juliette, tu viens ? »

Dix-sept heures, c’est le moment préféré de Juliette ; l’heure où rien n’a changé. Tous les soirs, Mathias et elle rentrent ensemble, à pied, jusqu’à leur immeuble.

Malheureusement, depuis quelque temps, Mathias est beaucoup plus silencieux. Avant, il courrait partout, racontait des blagues, il la faisait rire. Maintenant, il est penché sur son écran, il a parfois les écouteurs dans les oreilles. Juliette a l’impression d’être à peine tolérée.

« C’était bien les cours ? Tu as Madame Bel en Français, c’est ça ?

— Pouapouapoua, c’était bien relou !
— Moi, je l’aime bien, Madame Bel.
— Sérieux ? Moi, non. Elle saoule. »

Juliette pense pourtant à la silhouette frêle de Madame Bel. Elle a un visage un peu dur et de grands yeux clairs mais elle est drôle, surtout en latin et très dynamique. Juliette l’aime bien, ça l’embête de devoir rater ses cours mais la vie sociale demande certains sacrifices.

En bas de l’immeuble, les deux camarades se saluent, enfin Juliette un peu plus chaleureusement que Mathias. Elle rentre dans l’appartement familial. Line, sa mère, éternelle queue-de-cheval sur une tignasse mal peignée, est en plein travail. Elle est mosaïste. Elle colle des milliers de tessons au milieu du salon le dos voûté sur l’ouvrage, le nez coiffé d’une paire de lunettes loupes qui lui donnent un étrange regard globuleux.

« Salut ma chérie, crie-t-elle sans se lever.

— Salut Mamoune.
— Salut Juliette, ajoute aussitôt son beau-père qui porte toujours son bleu de mécanicien. »

Juliette ne répond rien.

Dans ces soixante-dix mètres carrés, elle redevient presque la petite Juliette, pas celle des réseaux, ni de la petite bande, juste la petite Juliette, à quelque chose près. Elle regarde tendrement la photo de son père sur le rebord de la console dans l’entrée.

Et puis, elle va vite se terrer dans sa chambre. Comment expliquer qu’elle ne peut pas manger de gluten, ni de lactose, ni de sucre, pas ce soir, ni aucun autre soir ? Ils ne comprendraient pas. Elle pense déjà à l’excuse qu’elle va devoir trouver pour ne pas dîner. De toute façon, le sourire niais de son beau-père lui coupe l’appétit.

2

Akyane

Âge de bronze.

Au commencement, tout était noir.

Il faut un temps à l’œil entre la clairière-lumière et le bois-ombre. Je suis en embuscade, sur les plus hautes branches du chêne. L’écorce est rugueuse. Les branches craquent légèrement sous le vent.

Il est là.

Je sens l’odeur musc avant de le voir, une odeur forte qui pique la narine et emplit l’air.

J’entends le frottement des sabots sur le sol couvert de feuilles avant de le voir.

Je perçois sa respiration, souffle dans les cavernes, avant de le voir.

C’est un mâle solitaire. J’ai suivi sa trace.

C’était plus fort que moi.

Je cueillais les herbes de ma mère pour soigner les morsures du feu à l’orée du bois quand j’ai vu les branches cassées, les feuilles piétinées, les troncs écorchés.

La forêt m’appelle, toujours la forêt m’appelle. Je me suis mise en marche dans l’antre sombre et j’ai trouvé.

Ça y est. Je vois.

À travers les frondaisons, entre les ombres et les rayons de l’Astre Père, je devine son corps puissant, les muscles de son échine et de ses pattes roulent sous son cuir, son museau velu hume l’air alors que son œil s’agite. Il sait qu’il est épié. Ses larges cornes couteaux se frottent aux troncs des chênes. Il est beau. Il est énorme.

C’est dangereux de m’aventurer seule ici, mais je sais lire les traces et suivre les pistes et la forêt m’appelle. C’est mon don et mon fardeau.

L’Auroch m’appelle.

Il a perçu ma présence.

Soudain, l’immense silhouette frémit. Tout son corps se tend, ses muscles se bandent et il part comme une tempête à travers les ombres avec un meuglement puissant. L’énorme corps balaie tout sur son passage, se meut dans un galop gigantesque qui fait tonner le sol. Je m’accroche fort à la branche qui s’agite.

Je regarde les trous que laisse son parcours dans les buissons.

Je hurle, je chante comme le loup à la mort sous la lumière rouge. Je saute et je danse d’avoir vu l’Auroch.

Il est temps de rentrer au village. L’Oiseau Soir chante déjà, et en marchant pour rejoindre les maisons, je chante avec lui des airs immémoriaux, aussi vieux que la forêt, que chantaient déjà les pères du père de mon père et ma voix s’engouffre dans le vent, et ma voix devient vent.

Ma mère m’attend devant la case, elle me serre fort dans ses bras quand elle me voit. Elle a peur quand je pars seule en forêt. Je sens son odeur lait quand elle me serre contre sa poitrine.

3

Juliette

De nos jours.

Juliette essaie de cacher ses bâillements derrière son classeur. Elle regarde autour d’elle en attendant désespérément que la sonnerie abrège ses souffrances et le cours d’algèbre. Dans le fond de la classe, Rayan se balance sur sa chaise. Tara et Andréa pianotent sur leur téléphone à toute vitesse en se cachant derrière leur manuel.

Mathias n’est pas dans la même classe qu’elle, il est dans la 4eB avec Jo, le rockeur anarchiste.

Seuls Gédéon et Marie-Amélie, le dos bien droit, regardent Monsieur Chaume avec intérêt.

Le professeur après avoir achevé son incompréhensible discours finit par annoncer :

« Bien, le moment est venu de vous rendre vos devoirs et autant vous dire que ce n’est pas brillant ! »

Puis, il ânonne le nom des élèves en leur tendant les copies gribouillées de rouge.

« Juliette ! »

Il la cherche des yeux et s’approche. Juliette fait un effort surhumain pour redresser son corps avachi sur le bureau.

« Juliette, c’est la CA-TA. Vous êtes capable de faire mieux que ça ! Mais enfin qu’est-ce qui vous arrive, mon petit ?

— Je suis un peu fatiguée en ce moment, Monsieur.
— Un peu fatiguée ? Ressaisissez-vous et vite ! »

Elle hoche la tête et récupère le devoir sur lequel est noté en gros : 5/20.

Juliette a toujours été une élève douée. Souvent première de classe, elle a habitué tout le monde à de très bons résultats. Mais depuis le début du troisième trimestre, il y a des hauts et des bas. Des hauts très hauts et des bas abyssaux. Sa mère n’a pas encore eu l’occasion de s’en rendre compte, mais elle ne sait pas trop ce qu’elle lui dira à la réception du bulletin.

Au début, elle a été blessée, surprise, déçue de ces irrégularités inhabituelles dans ses notes et puis, elle a juste laissé couler parce que ça lui demandait trop d’énergie.

Ne pas manger fatigue.

Se faire accepter fatigue.

Aimer fatigue.

Enfin, la sonnerie met un terme au cours. Juliette glisse la copie dans son classeur et s’empresse de sortir dans le couloir. Au milieu du brouhaha général, elle aperçoit la silhouette de Madame Bel. Elle fait mine de ne pas l’avoir vue, tourne les talons et presse le pas au milieu de la foule. Madame Bel la poursuit. Elle fait semblant de ne pas entendre ses appels insistants, accélère, quitte à bousculer quelques sixièmes et se précipite dans la salle d’art.

Ouf, sauvée.

Le cours va commencer.

Mais, c’était sans compter sur la ténacité du professeur de latin qui toque à la porte et dit, devant la classe assise :

« Madame Dulac, ça t’ennuie si je t’emprunte Juliette un petit instant ? »

Madame Dulac fait une mine entendue et un signe de la main. Juliette n’a plus d’autres choix. Lorsqu’elle se lève devant la classe médusée, elle a l’impression que tout son sang cascade dans ses pieds. Derrière la porte, alors que le cours commence, elles sont seules.