L’École des indifférents - Jean Giraudoux - E-Book

L’École des indifférents E-Book

Jean Giraudoux

0,0
1,49 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Dans L’École des indifférents Jean Giraudoux nous fait explorer grâce à l’esthétique du détail trois personnages « Jacques l’égoïste, Bernard le paresseux et le faible Bernard ».
La métaphore giralducienne loin de traiter les objets comme les humains et les humains comme des dieux, compare plutôt les humains à des objets et se livre à d’insolites jeux d’échanges entre le concret et l’abstrait.
Une écriture poétique avec des images en mouvement associant imagination, humour, fantaisie, lyrisme et profondeur philosophique.

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Copyright

First published in 1911

Copyright © 2022 Classica Libris

Jacques l’égoïste

J’ai d’abord un ami.

Nous sommes tous deux de grande taille, tous deux blonds. Nous irions du même pas, dans nos promenades, s’il n’était flâneur et badaud. Mais Étienne voit tout, excepté ce qui est devant lui ; je lui ferai commander des œillères. Quand un chat ronronne, sur un seuil, dans une fenêtre, il lui gratte longuement la tête, il énumère en miaulant ses charmes, mais si à sa vue l’animal voulut fuir, il esquisse les premiers pas d’une poursuite acharnée, pousse des cris, et l’épouvante. Aux chiens, déclare-t-il, il se doit de ne point celer qu’ils sont vraiment trop lâches, trop esclaves ; il ne se hasarde guère d’ailleurs à les caresser. Pour ses amis les oiseaux, aux boutiques des quais, il leur fait visite couple par couple. Il félicite l’oiseleur qui dressa son étalage comme une échelle vivante, les poules à la base, les cailles vers le centre, les colibris au sommet. Il caquète : – Rossignols, Rossignols, jamais l’on n’a fait assez remarquer combien peu vous ressemblez aux merles ! Et vous, perruches grises, qui courez à reculons, comme les écrevisses, devenez-vous rouges, sous l’Équateur ? Rossignols, camarades, ne vous battez point de la sorte. Croyez-en le petit homme ; ne vous aveuglez point entre vous : La nuit vient tous les soirs.

Un oiseau lui donne l’envie d’aller sans perdre une minute au Brésil ou au Jardin des Plantes, un fruit exotique lui rend insupportable tout produit que ne cueillirent point des nègres entre les Tropiques et l’Équateur, un chapeau en vitrine lui fait avouer son désir irrésistible de voir une femme et d’aimer. Or voici que nous dépasse une demoiselle aux yeux verts. Elle a croisé ses mains dans son manchon et porte, comme un collier fermé, au repos, son étreinte. Elle satisfait le dernier vœu d’Étienne, mais ravive impitoyablement les deux autres, car sur son chapeau voisinent un oiseau-mouche et deux belladones géantes. Nous la suivons. Elle disparaît par la première porte cochère, alors que nous espérions l’avoir pour nous seuls au moins jusqu’au prochain coin de rue. Étienne est désespéré. Il l’adorait.

Il doit avoir trouvé une consolation, car il chantonne. Il regarde le ciel à la dérobée. J’y suis : il a aperçu la lune. Dans ce midi d’automne, elle escorte, seconde roue inutile mais du moins silencieuse, le char de son frère aîné. Personne ne se doute que la nuit sera noire, mais le jour est plus clair de toute une clarté qui double de satin les taches de soleil. Étienne, qui me voit rêveur, n’ose me parler de la lune. Il faut que je la remarque le premier. Il me conduit hypocritement au bord du quai : elle flotte sur l’eau, vacille, plonge, un goujon a dû y mordre. Il me dirige face au Carrousel ; elle nous prend de face, vraiment trop ronde, ses trous fraîchement bouchés au mastic. Il ne résiste plus :

– Lune, déclame-t-il, sablier de lumière qui t’emplis et te vides à chaque saison. Lune chaste, seul astre honnête...

Le soleil entend tout cela. Et aussi le garde des Tuileries qui hausse les épaules. Je m’écarte d’Étienne, insensiblement.

Singulier ami ! À mesure que je m’éloigne de lui, il me semble moins le connaître ; un jour passé sans lui me le rend presque indifférent. Notre amitié ne se creuse point, ne se prolonge point en nous par des racines que chaque jour dédouble. Rien ne s’est modifié en moi du fait que je vis près de lui, si ce n’est que j’ai gagné, pour juger et animer le monde, son ironie, son lyrisme et son humour commodes. Nous avons échangé quelques bibelots : mes porte-plumes habitent maintenant son pot-à-tabac Louis XVI que mon encrier de faïence a remplacé. Nous avons échangé quelques manies : il a été maréchal des logis aux dragons, à son école j’ai appris à me baisser dans la rue pour ramasser les clous et les tessons qui blesseraient un cheval. Il prétend, c’est moi qui le prétendais depuis mon retour du Tyrol, distinguer à vingt pas un Allemand d’un Autrichien. Et, comme nous fréquentons chez les mêmes personnes, habitués à parler l’un de l’autre, nous nous sommes créé mutuellement une légende. Je suis celui qui dîne en ville : tous les soirs, entre sept et onze, affirme Étienne, je deviens invisible. C’est qu’un démon me pousse de table en table, m’imposant aux amis, me déguisant aux foyers inconnus sous le vêtement et la figure d’un parent de province. Au cours d’un voyage aux Antilles, si vous l’en croyez, gouverneur, proviseur, juges étant absents, j’ai trouvé le moyen de me faire inviter par une famille de couleur. Quant à lui, et j’exagère à peine, il ne peut évaluer les distances. L’obélisque lui paraît toujours à deux pas. Le soir, il s’imagine voir en cercle, à égale distance de lui, séparés par les mêmes intervalles, le Louvre, le Panthéon, Notre-Dame, le réservoir de Montrouge. Pour Versailles, il y part à pied.

C’est lui surtout qui cultive cette double fatalité. Il abuse aussi du don de se concilier les serviteurs et de les mettre en joie. Dans un thé, il appelle soudain la verseuse, avec le timbre, avec les bras, et, indigné, lui indique du doigt ma tasse, en la conjurant d’intervenir, que je prends mon thé beaucoup trop fort, que la maison est responsable. Au restaurant où nous déjeunons chaque jour, la caissière cesse pour lui seul de suivre la pensée qu’elle a eue dans son enfance, et l’avertit en souriant que je suis là. Il feint de me chercher partout, et s’assied à une table vide. Mais Thérèse, notre bonne, arrive au galop sur lui :

– Il est là ! Monsieur Étienne !

– Qui est là ? votre bon ami ?

Elle le guide en éclatant de rire, il s’attable avec fracas, il réclame contre un monsieur qui va dévorer tout le pain.

Cela a pu m’amuser. Cela m’agace. Certes je l’aime par moments comme on aime un ami. Dès que je ne l’aime plus, je crois que je le déteste. Il y a parfois, dans son sourire, tant de morgue que me monte aux lèvres le mot qui l’humiliera, tant de confiance dans son allure que j’en suis à souhaiter un fiacre et de la boue,... ou simplement la pluie, car l’averse la moins drue le met en déroute, l’arrête pour des heures sous un porche. Souvent au contraire sa paresse, son insuffisance, s’étalent aimablement sur tout son être. D’autres jours, son visage se ride, ses joues défaillent, il semble qu’on doive alors le consoler de la première chose venue, d’avoir manqué sa vie, de n’être point César, de ne point aimer les babas. Mais lui continue à se promener lentement et sans arrêt dans cette foule qui travaille et lui fait honte, comme les poules sous la pluie qu’elles sentent définitive.

Le voilà qui joue avec des enfants. Debout au milieu d’un cerceau tombé, il feint de ne pouvoir sortir du cercle. Seule une petite fille peut l’en tirer. Elle s’attarde à l’admirer, ses petites amies la rejoignent ; elles nous provoquent, sans qu’on les rappelle : les mères laissent leurs enfants s’approcher de l’inconnu, jouer avec lui, de même qu’elles leur permettent d’avancer jusqu’aux genoux dans l’Océan. Nous revenons à regret. Il n’est pas tard, mais je dîne en ville. Étienne se tait, il est triste, – tristesse légère sans doute, mais rien de plus difficile à gratter que des taches d’ombre. Je me trompe d’ailleurs, il est joyeux. Il vient de découvrir Paris. Du haut de l’impériale, il le raconte et il le loue : Paris n’a qu’une couleur ainsi que toute mer. Paris... Mais le voilà distrait par la lune, qui s’enfonce dans la tour de Saint-Sulpice comme dans une tirelire.

– Étoiles, interroge-t-il, n’êtes-vous pas bien délivrées ? Laissez-vous tomber maintenant un peu plus près de la terre, ainsi qu’une araignée au bout de son fil, silencieusement, un peu plus silencieusement, pour ne pas troubler celui-là, le voyageur à cravate parfaite, qui est mon ami !

Le suis-je ? Suis-je son ami ?

 

 

J’ai aussi une amie.

Une amie que je n’aimerais pas moins si elle était moins trépidante. C’est elle qui est chargée dans le monde d’établir les courants d’air. Elle ouvre sans répit les portes d’armoire, les tiroirs, les coffrets. Elle se contenterait au besoin d’un boîtier de montre. Si je parviens à la faire asseoir, elle met en marche une invisible machine à coudre, ou bien, jambes croisées, elle contrôle ses réflexes. Elle est peintre de miniatures : elle doit tourner autour des cercles qu’elle décore comme une aiguille de pendule autour de son pivot. Et il n’y a rien à faire : lui attacher les mains avec une courroie serait, prétend-elle, réunir ses deux pôles.

Son agitation ne l’empêche pas d’être rêveuse. C’est le temps qui trépide en elle comme dans les horloges. Comme les horloges, elle paraît toujours distraite, aveuglée. Elle se surprendra, dans les concerts, enthousiasmée, à saisir la main de chacun de ses voisins inconnus. Je suis sûr qu’elle pleure, qu’elle rit en marchant. Pleurer d’ailleurs n’est pas assez dire. Elle ne pleure pas, elle sanglote. Cela dure juste vingt secondes, et ses yeux ne sont jamais rouges. Ils sont en mica.

Elle se précipite dans mes bras.

– Jacques, Jacquot, crie-t-elle, je vous aime !

J’en suis pour un binocle, c’est l’habitude. Elle s’excuse.

– Jacquou, je vous promets d’être tranquille un jour entier. Au printemps, si vous voulez, nous irons dans une campagne où il n’y aura ni mulots, ni mouches, ni araignées. Vous me ferez boire au départ une liqueur qui engourdisse. Je coudrai du plomb dans mes doublures. Deux fois plus lourde, j’aurai peut-être le temps de rattraper mes gestes avant qu’ils ne soient terminés. Commençons. Apprenez-moi à dormir, Jacotot.

C’est ainsi, trop familière, qu’elle fripe à chaque minute mon prénom. Mon feutre n’est pas plus heureux. Je le mets en lieu sûr.

– Fermez les yeux, Dolly ! Encore un effort, ils y sont. Rouvrez-les, pour le contrôle. Là, dormez.

Un rayon fait flamber d’un coup ma chambre jaune-paille. Elle se dresse.

– J’ai les fourmis. Et une crampe. J’ai mal au front.

Tout est passé. Elle se rassied et tend vers la fenêtre un visage tiède que le soleil vaporise de lilas. Ses prunelles taillent la lumière comme des saphirs étoilés. Elles ont une transparence, une gaieté courante où se dilue toute arrière-pensée. Devant elles, que je sais si peu dangereuses, je deviens plus petit garçon, plus franc, plus soucieux, comme je le serais malgré tout sous la menace d’une arme que je saurais vide.

– Dolly, c’est aujourd’hui que les trois mois expirent !

Elle devait devenir ma maîtresse, si, dans l’intervalle, décidément, le courage lui manquait d’épouser un employé du ministère, qui est un peu trop blond et un peu trop doux. Nous avons eu d’ailleurs un premier trimestre d’attente. Elle baisse douloureusement les paupières.

– Jacques, mon ami, conseillez-moi. J’ai tout fait dans ma vie pour bien faire. De huit heures du matin à onze heures du soir, je travaille, j’amasse ma dot. Et c’est vous que j’aime, et vous ne voulez même pas, si je deviens votre amie, me laisser habiter avec vous. Permettez-moi de chercher mon mari un mois, un mois encore.

– Prenez six semaines, Dolly, et la soirée d’aujourd’hui ne comptera pas.

Elle s’assied à mes pieds, inoffensive.

– Vous souffrez, jeune Dolly, d’une maladie qui guérira peut-être. Vous n’avez pas de volonté.

– À chacun sa maladie. La vôtre ne guérira point.

– Quelle est la mienne ?

Elle sourit. Elle va dire, comme d’habitude, que j’ai des cravates trop sombres, que j’aime trop le whisky, que je donne trop d’argent aux mendiants...

– Vous, vous êtes égoïste. Vous plaisez, vous amusez, vous êtes de bon conseil. Mais chacun de vos gestes cache un arrière-geste. Vous ne prenez jamais parti entre deux personnes. Jamais vous ne m’avez contredite, jamais non plus vous ne m’avez approuvée qu’avec condescendance. Tout le monde aime confier des secrets à un ami, ainsi qu’on se plaît à enfermer une boîte précieuse dans un coffret plus grand ; vous, je crois que vous n’en avez pas. Vous êtes discret, mais parce que ce qui arrive aux autres vous est indifférent. Vous devez n’écrire à votre famille que des billets. Vous êtes de ceux qui s’attendrissent plus sur la photographie de leurs amis que sur leurs amis eux-mêmes. En vous couchant, peut-être prenez-vous mon portrait, l’approchez-vous de vos lèvres : la nuit qui vous émeut, la pensée que je suis seule et incertaine pour toute ma vie, ce sourire qui servit une seconde, comme une lueur de magnésium, à éclairer pour vous mon visage trop sérieux, tout cela vous incline vers moi. Mais la pitié est justement ce qui remplace l’amour, chez les égoïstes.

– Pauvre Dolly !

– Heureux Jacques !

Le jour qui resplendit, un oiseau qui chante, la pensée qu’elle a pu me blesser la haussent jusqu’à mes lèvres. Ses yeux repentants semblent me regarder chacun pour son compte ; elle me voit double ; elle me voit différent, car l’un va pleurer et l’autre va rire. Puis tous deux ramassent le soleil et me l’envoient malicieusement et tendrement comme un enfant qui joue avec un miroir.

Je l’accompagne jusqu’à son tramway. C’est l’heure de l’angélus où les Parisiens, en cohortes, vont voir coucher le soleil. Les jets d’eau des Tuileries sont déjà en veilleuse. Chaque maison, chaque objet n’est plus qu’un arc-boutant d’ombre dressé contre un arc-boutant de feu. Toutes les verrues de la terre s’épanouissent ; comme elle est bosselée, ce soir ! comme on dirait peu qu’elle est ronde et que le ciel jadis en fut le moule. Le cortège s’avance. D’abord passent les Académiciens, en chapeau à la française, à pied, frileux comme si le soleil, en les débarrassant de leur ombre, leur enlevait un vêtement. Puis le sénateur de jour. Puis, derrière la Garde municipale, les demi-mondaines, dans leur victoria, la tête sur des coussins, les prunelles couchées sur leurs yeux odorants comme des veilleuses violettes. Parfois une voiture essaie de ramener vers les boulevards un Parisien pressé. La foule arrête le cocher, le hue, force son voyageur à monter sur la capote et à dédier ses mains au couchant.

J’exagérais. Voilà qu’elle s’écarte devant un landau et salue. Qui donc a le droit de courir déjà vers l’Orient ? Je l’aurais deviné. C’est Madame Sainte-Sombre. Depuis ce matin j’apercevais des visages qui ressemblaient de plus en plus au sien. Elle devait enfin venir elle-même.

Il me semble maintenant que ma journée n’a plus de but, comme lorsque j’ai retrouvé un nom cherché pendant des heures. La présence de Dolly me pèse. Je l’abandonne, désemparée.

– Vous me lâchez ?

Je n’aime pas beaucoup cette expression.

– Oui. Je vous quitte.

Étriquée dans son chagrin comme dans ses joies, elle me regarde sans parler. Le crépuscule lui va bien mal, ses yeux s’enfoncent, son menton sort, son visage entier devient masque ; il ne lui manquerait plus que de sourire pour y ajouter les rides.

– Souriez-moi, Dolly.

Tendrement, pauvrement, elle me sourit.

 

 

La Mort ? Les morts ?

Je porte mille deuils qui ne m’appartiennent même pas. Des jeunes gens, des jeunes femmes, que je rencontrai une ou deux fois et dont j’ai appris soudain la mort, m’apparaissent et deviennent mes familiers. Je rêve presque continuellement à eux. Souvent c’est Laure de Bertilly, qui se penche, qui se tait. Souvent c’est Édith Gocelan, qui mourut après trois mois de mariage. Debout contre la muraille, elle ne sait non plus que dire. Je l’interroge.

– Édith, est-ce encore la vie, là où vous êtes !

Elle prend ma main et l’appuie contre sa poitrine. Son cœur est toujours là. Mais il ne bat pas à coups secs et meurtriers, comme notre cœur, bélier perfide qui sape, de l’intérieur même, la forteresse. Le cœur d’Édith flambe. Point de veines, point d’artères. Une chaleur égale gagne son corps. Sa chair est une comme la chair des fruits.

– Et vos mains, Édith ? On m’a conté que les doigts des morts sont soudés et que leurs jambes ne sont plus séparées.

Elle sourit, croise mes doigts dans ses doigts effilés et distincts, mais elle ne bouge pas.

– Tout est-il différent, là où vous demeurez, Édith ?

Les morts, pour répondre, ferment les yeux.

– Tout est semblable. Hors que nous commandons souverainement sur toutes les choses qui chez vous sont méfiantes. Les oiseaux, les taches de soleil se laissent attraper. Notre ombre ne tourne pas autour de nous comme un compas qui mesure la vie. Elle a toujours la longueur de notre corps, elle ne nous précède jamais. Et ce que l’on raconte des asphodèles est vrai ; les prairies en sont semées, ainsi que de coucous.

– Vous les cueillez ?

– Nous ne nous baissons point. Nous allons toujours debout.

– Édith ! Édith ! c’est donc vrai ? Vos chevilles, vos genoux sont soudés ?

Elle s’appuie contre mon épaule, sanglote, et je la console passionnément. S’arrachant à mes bras, elle s’enfonce, toujours droite, dans la muraille ; voilà que sa main seule dépasse la tenture, je l’embrasse, mais c’est déposer une caresse sur la main d’un enlizé. Et je me réveille avec une tristesse étrangère, comme si je trouvais au jour, après avoir rêvé des Indes, dans ma main, un bengali vivant.

Le souvenir d’André Bovy surtout me hante des nuits entières. Il était blond, avec des yeux bleus éclatants. Au lycée, il recherchait mon amitié sans jamais être importun, détournant les yeux de mon visage dès que je le regardais. Quand il ne comprenait pas sa version, il préférait avoir une mauvaise note et ne pas prendre ma copie. Il avait cherché longtemps à être assis près de moi, en classe, mais, tenant le cahier de Textes, j’obtenais des professeurs la permission de monter aux chaleurs dans les encoignures, de descendre en hiver jusqu’au poêle. Un jour enfin, comme on lui avait confié par intérim le registre de correspondance, il osa me rejoindre et ne me quitta plus. Grave, docile, il rêvait continuellement. De la chaire on l’interpellait.

– Que faites-vous, Bovy ?