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Je ne sais plus rien de moi. Tous mes souvenirs ont disparu. Qu'est-ce que je fais nu au milieu de cette prairie ? Qui sont ces mystérieux cavaliers orientaux et leur terrifiant chef qui me traquent ? Et pourquoi, suis-je le seul à voir ces sphères métalliques flotter dans les airs ? L'Egaré, c'est comme ça, que la fille m'a appelé. En compagnie d'une jeune princesse rebelle et d'une sorcière nordique, je vais devoir parcourir les terres hostiles des Quatre Royaumes de Lakoele à la recherche de souvenirs que j'aurais sans doute dû oublier. Ce roman d'Héroïc Fantasy comporte des scènes parfois choquantes et explicites. Il s'adresse à un public averti.
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Seitenzahl: 595
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Du même auteur
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Starburst, L’académie terrienne, Première année : La Prophétie, 2017
Starburst, L’académie terrienne, Deuxième année : Résistance, 2018
Parietal Art, 2023
Pour Marine et Jacques-François
CHAPITRE 1 : CHADIA
CHAPITRE 2 : JUDITH
CHAPITRE 3 : LE TOURNOI
CHAPITRE 4 : LA FUITE
CHAPITRE 5 : BIENVINO
CHAPITRE 6 : L’ÉTRANGLEUR
CHAPITRE 7 : BATAILLE NAVALE
CHAPITRE 8 : LA COTE GELÉE
CHAPITRE 9 : OLYMPE
CHAPITRE 10 : REBELION
CHAPITRE 11 : EPILOGUE
Impossible d’ouvrir les yeux. Tout mon corps semblait endolori. Je ne pouvais pas dire que j’avais réellement mal mais je me sentais faible et courbaturé. Cependant, mon inquiétude ne vint pas de cet état de faiblesse physique mais plutôt de son origine. Je n’avais plus aucun souvenir. Rien ne me revenait en tête.
Puis, une odeur d’herbe fraichement foulée titilla agréablement mes narines. Finalement, j’entrouvris mes paupières laissant ma vue s’habituer à la lumière environnante. Qui étais-je ? Où étais-je ? Je n’en avais pour le moment aucune idée. Mes muscles se contractèrent, mon ouïe perçut des bruits un peu plus loin. Je les identifiais comme ceux de chevaux. Oui, je savais ce qu’étaient des chevaux ou bien encore de l’herbe. Mais des données me manquaient. Quelque chose se bloquait dans mon esprit m’interdisant d’en savoir plus car j’en savais assurément plus. J’en avais l’intime conviction.
Une légère brise me fit frissonner. J’étais nu. En clignant des yeux, je parvins finalement à retrouver ma vision et à chasser ce flou handicapant. J’étais étendu dans une plaine à même l’herbe grasse. De nombreux bosquets se dressaient fièrement sur des collines verdoyantes cherchant la lumière réconfortante d’un soleil massif. Une rivière slalomait autour des monticules de verdures. Un peu plus loin, la lisière d’une vaste forêt composée de grands arbres centenaires marquait le début d’un nouveau territoire.
Les chevaux se rapprochaient et mon instinct me dicta de ne pas rester étendu là à attendre l’arrivée des cavaliers. Certes, cela aurait été sans doute la meilleure façon de savoir pourquoi j’étais là au milieu de nulle part, dans un endroit que je ne connaissais pas. D’ailleurs, à dire vrai, je ne me rappelais pas connaitre un quelconque autre endroit. Aussi, ai-je préféré infliger un effort douloureux à mon corps pourtant très musclé pour le forcer à me porter dans un bosquet non loin.
Je me jetais dans un fourré touffu et me dissimulais le long d’un tronc d’arbre pour observer discrètement les arrivants. Ma peau d’ébène m’aida à me fondre dans la pénombre.
Ils avaient plutôt fière allure. La troupe était composée d’une dizaine de cavaliers montés sur des purs sangs. Tous portaient la même tenue d’aspect oriental. Une grande robe noire de bédouin et un pantalon bouffant de la même étoffe se mariaient parfaitement avec le large turban noué qui dissimulait complètement leurs traits. Une ceinture en bandoulière supportait un lourd cimeterre à la crosse d’argent richement décorée. Certains avaient même un arc court accroché dans le dos.
Le groupe fit halte à l’endroit même où je m’étais réveillé quelques minutes auparavant. L’un des guerriers, car de tout évidence ils n’avaient pas l’apparence de marchands, mit pied à terre et scruta attentivement la zone. Si parmi eux, un seul avait des notions de pistage, ils ne mettraient pas longtemps à me trouver. Il suffisait d’observer la trace que j’avais laissée dans l’herbe en me trainant lamentablement jusqu’au bosquet.
J’allais m’enfoncer un peu plus dans le bois quand une lame acérée se posa délicatement sur ma gorge. Une agréable odeur d’ambre et de jasmin me signala que mon agresseur était sans doute une femme. Une jeune voix suave avec un léger accent oriental me chuchota l’ordre de ne pas bouger. Nous regardâmes approcher le cavalier. De toute évidence dans quelques secondes, il découvrirait notre cachette.
Suivant sans difficulté mes traces, l’homme écarta les premiers arbustes et avança dans notre direction. Il fallait fuir maintenant. Le fille collée à moi dut ressentir la crispation de mes muscles et intensifia immédiatement la pression de son couteau recourbé sur ma gorge. Je pus deviner de nombreux tatouages subtils dessinés au Khôl sur le dessus de sa main armée. Ses ongles subtilement peints étaient incrustés de minuscules pierres précieuses multicolores. Les effluves de son parfum m’enivrèrent rapidement.
A ma grande surprise, le guerrier passa à quelques centimètres de nous sans nous voir. Je n’osais à peine respirer et me demandais par quel subterfuge il ne pouvait pas nous remarquer. L’homme s’éloigna puis finalement rebroussa chemin avant de rejoindre ses compagnons. Il parla dans une langue gutturale que je ne connaissais pas puis enfourcha habillement sa monture avant d’entrainer ses comparses loin de notre cachette.
La pression de la lame se fit moins forte. Je pris un moment pour reprendre mon souffle et me retournais doucement. La mystérieuse inconnue tenait toujours dans sa main son poignard recourbé, finement ouvragé et le pointait en direction de ma poitrine. Elle portait une robe orientale en soie noire qui lui couvrait tout le corps. Un voile dissimulait ses cheveux et son visage. On ne pouvait voir que ses magnifiques yeux bleus très clairs mis en valeur par un rimmel sombre. Sa tenue partiellement transparente et légèrement indécente laissait deviner des formes parfaites, malgré son jeune âge. Elle devait à peine être sortie de l’adolescence. Des bijoux en or décoraient ses poignets et j’entraperçus un collier de perles à son cou. Poser mes yeux sur elle fut tout simplement un enchantement. Mon cœur se mit à battre la chamade. Je me sentis envouté ou plus justement ensorcelé par l’aura et le charisme qu’elle dégageait.
- Je ne sais pas trop comment tu t’y es prise mais je te remercie de ne pas m’avoir livré à ces gens-là.
- Je ne l’ai pas fait pour vous mais pour moi. Ces hommes étaient à ma recherche. Ce n’est que par le plus grand des hasards que vous vous êtes retrouvé à fuir en direction de ma cachette, dit-elle d’un ton légèrement hautain, voir agacé.
Sa voix n’en était pas moins suave, teintée d’un accent oriental plutôt exotique. Décidément cette jeune femme avait bien des charmes en sa possession.
- Qui sont ces hommes ?
- Des Yényitchéri, les membres de la garde personnelle du tout puissant Sultan Omek III.
- Tu vas me prendre pour un fou, mais je n’ai pas la moindre idée de ce que je fais ici, ni de qui je suis. Je me suis réveillé nu sans aucun souvenir de mon existence passée.
Elle fouilla sa besace et en sortit une large étoffe en coton qu’elle me jeta au visage.
- Commencez par dissimuler votre intimité. Qui que vous soyez, il est évident que l’on ne vous a pas appris les bonnes manières.
Je me confectionnais un pagne légèrement honteux d’avoir exposé ma virilité à ses yeux.
- Etant donnée votre allure, vous avez du vous faire détrousser par des malandrins ou bien encore vos acolytes n’ont pas voulu partager avec vous le butin que vous avez dérobé à une jeune et jolie princesse.
Elle se mit à sourire.
- Ça pourrait être toi, la princesse.
La fille reprit son allure hautaine.
- Je ne suis pas une princesse et ne me croyez pas démunie face à vous. Je vous ai déjà montré que je possédais des facultés particulières.
- Alors dis-moi ce qu’une si jolie créature fait cachée dans un bosquet en plein milieu de nulle part ?
- Ça ne vous regarde pas. Disons pour votre gouverne que j’ai pris la poudre d’escampette sans y être officiellement autorisée.
Elle sembla apercevoir quelque chose sur mon épaule et son attitude changea brusquement. Elle recula vivement l’air affolé et brandit son arme devant elle pour mieux se protéger.
- Ne m’approchez pas, dit-elle d’une voix bredouillante.
- Qu’est ce qui se passe ?
- Le tatouage, vous … vous êtes un Égaré.
Je regardais vivement mon épaule et j’aperçus avec surprise un tatouage coloré représentant une sphère emprisonnant trois étoiles et la lettre E. Une savante illusion d’optique donnait l’impression que les astres finement dessinés tourbillonnaient dans la boule autour du E avec un effet en trois dimensions. Pourtant mon esprit ne sembla pas s’affoler face à ce spectacle déroutant.
- Un Égaré, dis-tu ? Qu’est-ce que c’est ?
- Je ne veux rien avoir à faire avec un paria. Je suis en danger en restant ici à vos côtés. Les Yényitchéri seront le cadet de mes soucis si on me prend en compagnie d’un Égaré.
Elle semblait réellement paniquée.
- Calme-toi. La situation est déjà compliquée pour moi. Accorde-moi quelques explications et tu pourras reprendre ta route seule en toute sérénité.
Sa respiration haletante sembla se calmer et elle baissa son arme.
- C’est bien ma chance, se dit-elle pour elle-même.
- Quel est ton nom, jeune fille ?
- Mon nom ne regarde que moi. Quand ils vous auront mis la main dessus, vous gouterez à la trépanation. En tout cas, ils tentent toujours de faire parler ceux qu’ils capturent en utilisant la trépanation.
Elle tapota son index sur sa tempe.
- Dis-m’en plus, s’il te plait !
- Les Égarés apparaissent toujours vers cette période de l’année. Ils ne sont jamais très nombreux parfois cinq, rarement plus de dix. Nul ne sait d’où ils viennent vraiment. On raconte qu’ils auraient été bannis du royaume des dieux. Des anges déchus en quelque sorte. Ils sont alors envoyés ici avec le commun des mortels pour expier leur faute.
- Charmant ! Donc je serais un paria divin. Et ici c’est où ?
- Bienvenue dans les resplendissants Quatre Royaumes de Lakoele, répondit-elle sur un ton ironique.
- Et qui veut ma peau ?
- De ce que je sais, presque tout le monde. Les Égarés intéressent beaucoup de personnes car elles pensent pouvoir communiquer avec les dieux par leur intermédiaire. Certains déboursent des sommes folles pour pouvoir en capturer un. Mais les plus impitoyables sont les membres de la légion Wolfen à la solde du ténébreux roi Géhofft, seigneur incontesté des baronnies Teutoniques. Ils ont fait de la traque des Égarés un art parfaitement maitrisé.
La gamine se redressa et se faufila plus profondément dans le bosquet sans dire un mot de plus. Elle se déplaçait agilement et gracieusement exhibant de façon outrecuidante ses formes trop généreuses pour son jeune âge. Je la suivais sur mes gardes sans rien manquer du spectacle. De toute évidence, tout en elle éveillait au plaisir. Elle était beaucoup trop parfaite.
Au centre du bois se trouvait une petite clairière dans laquelle broutait paisiblement un cheval puissant et majestueux.
- Je vous présente Melkor, il vient directement de l’écurie royale du Sultan. C’est une de ses plus belles montures.
- Tu lui as volé ?
- Pas exactement.
Elle retira une gourde en cuir et un sachet d’une besace suspendue à la selle de l’étalon.
- Buvez et mangez, vous en aurez plus besoin que moi.
Je me jetais sur la nourriture offerte : du pain aux épices et des fruits secs. Puis, j’avalais goulument une désaltérante gorgée de boisson sucrée.
Voyant la jeune fille pouffer de rire, je lui tendis la gourde, tout penaud.
- Un vrai goinfre. Vous mangez sans aucune manière et vous allez devoir apprendre à vous rationner pour survivre. Je ne sais pas si vous êtes lié aux dieux mais j’en doute fortement. Et pensez-vous vraiment que je vais boire et manger après vous ? Là d’où je viens, bon nombre d’hommes ont eu la tête coupée pour juste oser me regarder.
- Mademoiselle, semble être une personne d’importance. Une princesse ou une reine peut-être ?
- Mangez et buvez. Nous reprendrons la route en pleine nuit. Le village de Folfougère n’est pas très loin. Une fois là-bas, je vous achèterai de quoi vous vêtir et vous défendre et nos routes pourront enfin se séparer.
- Pourquoi fais-tu tout ça pour moi ? Tu ne me connais même pas et tu m’as dit que je représentais un danger pour toi.
- Je suis comme vous : une traquée. Et une loi du Sultan dit « Si tu viens en aide à l’Égaré alors mort et souffrance seront tiennes pour l’éternité » mais un vieil adage transmis de génération en génération raconte que « l’Égaré est un dieu déchu. Aide le à retrouver sa place dans les cieux et tu recevras ton dû».
- Je saurai te remercier une fois que j’aurai retrouvé cette mémoire qui me fait défaut. Comment as-tu fait tout à l’heure pour échapper à nos poursuivants ?
- Le harem du Sultan est une des meilleures écoles des Royaumes de Lakoele. On y apprend dès le plus tendre âge à servir le Sultan sous toutes les formes possibles et inimaginables. La manipulation mentale et psychique est un art que peu de personnes se vantent de maitriser. Mon enseignante dans ce domaine fut la meilleure qui soit.
- Tu servais dans un harem ?
- J’acquerrais les connaissances et techniques nécessaires à faire de moi une bonne épouse. Mais les choses ont tourné court récemment et j’ai dû mettre un terme à ma formation.
- Je vois. Chacun a ses secrets. Pour ma part, je n’ai rien à te révéler car je ne sais rien de moi. Je te dois sans doute la vie et je ne supporte pas l’idée qu’une enfant mette la sienne en danger pour moi.
Elle sembla se vexer un instant.
- Je ne suis plus une enfant. D’ailleurs, j’ai passé l’âge de la procréation cette année. Melkor m’a été offert par le Sultan en personne à cette occasion.
- Je ne voulais pas te manquer de respect. Tu es ravissante et surprenante. Je te confie ma vie, les yeux fermés.
Elle me sourit sous son voile. Décidément, cette fille était un don des dieux.
- Gardez-les ouvert. Je vais devoir prendre un peu de repos pour récupérer des efforts que j’ai dû faire pour manipuler l’esprit du Yényitchéri. Réveillez-moi lorsque le soleil se sera couché.
La fille alla s’étendre sur l’herbe à l’ombre et sembla trouver rapidement le sommeil. Comment faisait-elle pour ne laisser transparaitre aucune peur? J’étais convaincu que là d’où je venais les jeunes adultes n’avaient pas autant d’assurance et de bravoure. Je m’assis dos à un arbre et finis mon frugale repas en contemplant la petite princesse se retourner dans son sommeil. La nuit tomba rapidement et ce fut le cri d’un oiseau nocturne qui me fit sortir de mon sommeil. Comment avais-je pu piquer du nez dans une situation pareille ?
Ma sauveuse était toujours étendue dans l’herbe et elle gémissait doucement. Je m’approchais discrètement quand quelque chose passa en volant sans bruit à quelques mètres d’elle. S’agissait-il d’une chouette ou d’une chauve-souris ? Dans la pénombre, je n’en étais pas sûr mais cela ressemblait bougrement à une sphère ronde et brillante de la taille d’un melon. La chose flotta un instant au-dessus d’elle, sembla se tourner vers moi et fila en direction de la forêt pour disparaitre dans l’obscurité.
Quelle étrangeté est-ce donc ? J’allais réveiller ma compagne mais je ne pouvais me résoudre à le faire immédiatement. Elle était si magnifique, couchée sur l’herbe. Sa robe de soie transparente laissait parfaitement transparaitre son corps de déesse au clair de lune. Sa peau était bronzée et sans défaut. Je pouvais deviner la naissance d’une poitrine proéminente grâce à un décolleté inopinément entrouvert. A l’instant où j’allais poser une main sur son épaule pour la faire quitter les bras de Morphée, une lame surgit de sous ses étoffes. Elle bondit agilement sur ses deux pieds en me menaçant.
- Garde ton calme ! Je ne te veux pas de mal. La nuit est tombée. Il est temps de partir, dis-je, surpris.
Je me demandais si elle m’avait vu la contempler pendant une bonne minute. Elle s’étira gracieusement.
- Oui, nous devons profiter de l’obscurité pour nous échapper. Sais-tu monter à cheval ? dit-elle en jonglant avec son arme.
- Ma foi, tant que je n’aurai pas essayé, je ne pourrai pas répondre à ta question.
Il s’avéra que j’étais un piètre cavalier. Aussi, elle prit les reines et accepta de bonne grâce de me faire monter derrière elle pour m’éviter de marcher. Nous quittâmes discrètement les sous-bois, à l’affut du moindre bruit et du moindre mouvement. Au loin, on pouvait deviner la position de plusieurs feux de camps.
Melkor prit un peu de vitesse sous l’impulsion de sa maitresse et le cheval se mit à galoper en direction du nord. Le vent me fouettait le visage. Je tentais de faire bonne figure en me cramponnant tant bien que mal à la selle mais finalement je dus me résoudre à me coller à la cavalière et à passer mes bras autour de sa taille. Elle ne dit aucun mot. Son contact était réconfortant. Les effluves de son parfum, diffusées par le vent, m’envoutaient aussi surement qu’une puissante drogue. Je réprimais l’envie de la caresser et de chercher un contact encore plus charnel avec ce fruit interdit.
Alors que nous étions à mi-parcours de notre objectif, la grande forêt salvatrice, des cris retentirent non loin de nous. Des cavaliers surgirent des bosquets alentours et convergèrent dans notre direction. Je ne pouvais pas voir exactement de qui il s’agissait. Pour moi, c’était déjà un miracle que notre monture puisse galoper à pleine vitesse uniquement sous le blafard rayonnement de deux lunes jumelles. Je sentis le corps de ma compagne se rigidifier et elle incita sa monture à accélérer sans prononcer aucune parole. Melkor parvint un temps à accroitre la distance qui nous séparait des poursuivants. Notre joie fut de courte durée quand, non loin des bois, une meute de cavaliers fit son apparition. Pris en étau, notre situation commençait à se compliquer dangereusement.
La fille tenta de lancer sa monture vers la droite puis vers la gauche mais à chaque fois des assaillants surgissaient toujours en plus grand nombre. Une compagnie avait dû être missionnée pour nous mettre la main dessus.
Les premiers cavaliers nous rattrapèrent non loin de la rivière : des Yényitchéri, à n’en pas douter.
L’un d’eux fit tourner des boules de métal reliées à une lanière en cuir au-dessus de sa tête puis projeta son arme en direction des pattes de notre cheval. Habillement, la fille esquiva le redoutable projectile. L’animal se démenait, écoutant les ordres de sa maitresse. Tous deux semblaient faire corps et réagissaient comme une seule et même créature. Mais bientôt la demoiselle montra des signes de faiblesse. Une fatigue soudaine sembla l’assaillir et je dus la serrer fortement contre moi pour lui éviter de défaillir.
L’un de nos assaillants se porta sur notre gauche alors que notre monture galopait dans l’eau sur la berge. A l’instant même où il allait lever son sabre pour me frapper, j’esquivais de façon vive et surprenante son coup pour lui porter un douloureux uppercut au menton. Il chuta et roula dans la boue. De toute évidence et à ma grande surprise, je disposais d’une connaissance avancée dans l’art de nuire physiquement à mon prochain. Ma condition physique était excellente et je semblais avoir d’une force accrue supérieure à la normale. Hélas, un nouveau tir fit mouche et emprisonna les pattes arrière de Melkor. L’animal perdit l’équilibre et nous entraina la tête la première dans les flots glacés du fleuve.
Nos poursuivants ne mirent que quelques minutes à nous repêcher pour nous trainer jusqu’à la rive bouseuse. Je n’étais pas beau à voir, étalé sur le sol. Agenouillée à côté de moi, ma belle inconnue gardait toute sa splendeur. Sa fine robe souillée collait à son corps nu. Elle retira sa coiffe laissant voler au vent une longue chevelure noire et soyeuse. Un regard fier et combatif transfigurait son visage fin et sans défaut. De façon surprenante, elle se laissa tomber sur moi et étala discrètement une pleine poignée de boue sur mon tatouage d’Égaré. Je la regardais un instant dans les yeux, profitant de ce contact charnel inattendu. Elle me rendit mon regard avec connivence et je compris alors à cet instant qu’elle venait de me voler mon cœur à jamais.
Elle fut relevée avec fort ménagement alors qu’on me bourra de coups pour me redresser. Un cavalier tourna autour de nous un moment avant de mettre pied à terre pendant que des hommes s’activaient à allumer des torches. Il avait bien l’apparence d’un Yényitchéri mais ses vêtements bleus foncés semblaient plus luxueux. L’homme impressionnant avait le visage dissimulé par un masque oblongue parfaitement lisse et sans aucun trou fait d’argent poli qui brillait à la lueur des flammes. Cela lui donnait une apparence surnaturelle et effrayante. Sa voix grave et profonde m’inspira la plus grande peur. Cet homme était-il vraiment un homme ?
- La gracieuse Chadia ne perd jamais de sa superbe. Cet accoutrement vous va à ravir.
Plusieurs hommes se mirent à rire.
Le colosse s’approcha, dégaina un lourd cimeterre et sans prévenir transperça de part en part l’un d’eux. Il le souleva du sol d’une seule main avec une facilité déconcertante et après un moment le laissa retomber sans vie dans la vase ensanglantée.
- Mille excuses, princesse. Ce vaurien a osé vous manquer de respect.
A cet instant tous les hommes baissèrent les yeux et je suivais prestement leur exemple.
Il dégrafa sa cape en peau de fauve et la posa sur les épaules de Chadia.
- Vous semblez avoir froid, vos mamelons pointent comme ceux d’une nourrice prête à allaiter. Couvrez-vous avant qu’il ne prenne l’envie à l’un de mes soldats de vous contempler à nouveau.
- Seigneur Falkomed, qui d’autre que vous, mon père aurait-il pu envoyer pour me ramener ?
- Vous auriez pu tomber dans les griffes des pisteurs de votre futur époux, mademoiselle. Je ne pense pas que la légion Wolfen aurait pris autant de peine à vous ménager. Heureusement, nous avons eu la chance de vous trouver avant eux.
- Auriez-vous rêvé en secret de me posséder, Seigneur ? Hélas, un autre que vous aura cette joie, moi le 5e joyau royal du Sultanat d’Abakour. C’est le choix du sultan mon père et il est dicté par les dieux.
Elle se mit à rire insolemment et passa sa langue sur ses lèvres de façon provocante.
- Vous venez de fêter votre dix-huitième anniversaire et vous avez toujours la langue de vipère de vos jeunes années. Je n’ai sans doute pas été suffisamment autoritaire lorsque je vous ai enseigné l’art de la guerre.
Il se tourna vers moi.
- Qui est ce vaurien qui vous accompagne ?
- Un vaurien qui m’est cher.
- Il vous a sans doute aidé à fuir. Serait-ce une vaine tentative pour retrouver votre sœur ? Je ferai bien de tuer ce bougre sur le champ afin de lui épargner mille tortures à Abakour.
Le guerrier souleva de nouveau son arme mais Chadia se jeta à ses pieds.
- Je vous en supplie seigneur, ne le tuez pas. C’est un fidèle esclave qui n’a fait qu’écouter mes ordres sans rien savoir de mes projets. Je lui dois plusieurs fois la vie.
- L’instant d’avant vous me ralliez et maintenant vous vous prosternez à mes pieds. Quel genre de femme êtes-vous ?
- Malgré votre rudesse, vous m’avez protégé depuis ma naissance. Je vous le demande comme une faveur personnelle.
- Votre perfidie n’a donc aucune limite ? Vous usez de vos charmes pour me convaincre de lui laisser la vie sauve. Est-il votre amant ? Ce chien a-t-il abusé de vous ? Vous a-t-il ôté votre précieuse virginité ?
- La route est longue jusqu’à Abakour. Je saurai vous divertir comme une parfaite demoiselle élevée dans le plus prestigieux des harems sait le faire.
- Pensez-vous que j’ai hâte de sentir vos lèvres de pucelle sur ma virilité? La jouissance par la bouche de la fille adorée de notre Sultan serait une bonne contrepartie à la vie sauve de cet homme. Seriez-vous une catin prête à cela, ma tendre enfant ?
- Seigneur Falkomed, vous êtes un pourceau. Si mon père vous entendait, il vous ferait couper la langue, dit-elle, manifestement offensée.
- Vous avez perdu votre sens de l’humour, princesse. Je n’abuserai ni de vos charmes, ni de vos compétences. Votre sœur a déjà perdu sa virginité et la voilà bannie à jamais du pays. Je suis votre serviteur et celui de votre père depuis des années. J’ai mille fois désiré vous posséder comme tous les membres du palais à dire vrai. Vous êtes la plus belle réussite de notre vénéré Sultan. Votre esclave aura la vie sauve mais il sera torturé et emprisonné à vie comme le prévoit la loi du Sultanat. La mort aurait sans doute été plus douce que le calvaire qu’il va avoir à supporter.
Les soldats me ligotèrent sans ménagement et on m’enferma dans une cage de fer juchée sur une carriole tirée par quatre chevaux de traits. Je n’étais pas seul dans mon étroite prison. Deux bougres se serraient dans un coin à l’opposée d’une vielle femme en guenilles. Ils croupissaient sur une couche en paille malodorante couverte de déjections. Personne ne m’adressa la parole et je trouvais rapidement un coin inoccupé pour réfléchir à ma situation. Mon mental en prenait un sérieux coup. Toujours aucun souvenir précis mais une conviction se gravait de plus en plus surement en moi : ce pays n’était pas le mien. Je n’avais rien à voir avec ces gens-là. Alors pourquoi je me retrouvais ici dans une cage à ruminer comme un lion en captivité.
Vers la fin de journée, on m’apporta du pain, de la viande séchée, une orange et un pichet d’eau. Je soupçonnais Chadia d’avoir corrompu le geôlier pour transformer un repas frugal en diner parfaitement honorable. J’en profitais pour partager mes rations avec les autres prisonniers. J’allais m’approcher de la vieille femme quand l’un des hommes me retint le bras.
- Ne t’approche pas d’elle, c’est une seiðkona, elle va te jeter un sort.
- Ce n’est qu’une vieille femme épuisée.
Je le repoussais sans ménagement et tendis le reste de mon pichet et un peu de nourriture à la prisonnière. Elle était fortement ridée et l’un de ses yeux vitreux lui donnait une apparence effrayante. Sa robe grise en lambeaux avait du mal à dissimuler sa maigreur squelettique. Pourtant, son œil valide était animé d’une lueur de vie pétillante. Elle attrapa vivement mes offrandes et se mit à mordre dedans, dévoilant une mâchoire partiellement édentée.
- Merci, les dieux sauront te rendre ton don.
Elle se mit à parler dans une autre langue plus chantante que je reconnus de suite comme étant ma langue natale.
- Toute sorcière, toute conjureuse, toute nécromancienne ou toute prostituée manifestement infectée qui sera trouvée sur le territoire sera expulsée. Nous demandons à chaque prêtre d'éradiquer le paganisme et d'interdire la wilweorthunga, la licwiglunga, la hwata, la galdra, l'idolâtrie et toutes les abominations pratiquées par les hommes comme sorcellerie, et frithspottum avec des ormes et autres arbres, des alignements de pierre, et toute sorte de fantômes. Voilà la nouvelle loi de l’église qui fait de moi une créature démoniaque.
- D’où viens-tu ? répondis-je dans la même langue.
La femme sembla surprise.
- Comment connais-tu la langue divine ? A part les prêtres et les érudits, peu de monde est capable de parler ce langage interdit. Approche.
Je m’exécutais tout en restant sur ma défensive. Elle passa sa main sur mon épaule sans pour autant y effacer la boue qui masquait mon tatouage.
- Je ressens bien mieux que je ne vois. Tu es donc un Égaré arrivé fraichement dans les Quatre Royaumes, n’est-ce pas ?
Il était inutile de lui mentir. Je tenais peut-être ma chance d’en savoir plus sur ma condition.
- Oui, je suis ici depuis un peu plus d’un jour. Peux-tu m’aider et m’en dire plus ? Je ne me rappelle de rien.
- C’est le propre de l’Égaré. Je peux sans doute te guider mais nous ne pourrons rien faire tant que nous serons dans cette cage.
- Je n’ai pas l’intention de pourrir dans une prison en plein désert. Je vais trouver un moyen de nous faire sortir d’ici.
- Bien, l’Égaré doit toujours garder espoir. On a déjà du t’enseigner qu’il valait mieux dissimuler ta condition que de la dévoiler à tous. Tes capacités vont se révéler au fil des jours, si tu réussis à survivre assez longtemps ! Tu es plus rapide, plus fort et plus intelligent que le commun des mortels. Certains Égarés développent même des dons extraordinaires. Les puissants de ce monde ne souhaitent pas voir leur suprématie remise en question. Aussi, ils s’attachent à éliminer ces bannis par les dieux après les avoir utilisés pour communier avec leurs créateurs.
- Mais quel est mon but exactement ? Est-ce uniquement de mourir entre les mains de despotes pour leur servir de communicateur avec les cieux ?
- L’une des tablettes runiques explique que l’Égaré pourra retourner dans les cieux auprès des dieux, s’il prouve sa grandeur d’âme. Alors, le jour du jugement dans le temple divin primitif, il remontera parmi les siens ou finira par bruler dans les flammes du dragon.
- Il suffit donc de faire le bien et de se rendre dans ce temple pour que tout soit pardonné.
- Ce n’est pas aussi simple que cela, hélas. La divine bonté est très relative. Le bien et le mal n’ont pas de frontière explicite. Parfois, tu croiras faire le bien mais ceux d’en haut attendaient de toi autre chose, voir que tu fasses le mal. Ils restent seuls juges et leurs désirs te sont rarement connus.
- Je vois. Des Égarés ont-ils réussi leur quête ?
- De mémoire de seiðkona, très peu mais ça arrive. Donc la chose n’est pas impossible.
- Où se trouve ce temple que je puisse être confronté au jugement ?
- Dans le nord, à l’extrême frontière du territoire des Côtes Gelées d’où je viens. C’est un voyage long et périlleux, semé d’embuches. Es-tu prêt à l’affronter ?
- Ai-je le choix ?
- Alors, je t’y aiderai du mieux que je puisse si tu parviens à nous sortir d’ici.
Elle cracha dans sa paume et me tendit sa main décharnée. Je fis de même et nous sellâmes ensemble notre pacte en nous serrant la main devant les yeux outrés des deux autres incarcérés.
- Quel est ton nom, veille femme ?
- Je porte de nombreux noms sur cette terre mais tu peux m’appeler Maëvilis, dit-elle d’un sourire étrangement carnassier.
La troupe avait dressé son campement pour la nuit sur une petite colline. Malgré les conditions ambiantes exécrables, je réussis à trouver un semblant de sommeil. Mon repos fut agité par un terrible cauchemar.
Je me tenais sur une femme partiellement dévêtue. Mes mains enserraient son cou avec violence. Ses yeux étaient exorbités et elle cherchait désespérément un peu d’air. J’étais en train de l’étrangler. Ses larmes coulaient sur ses joues tuméfiées. Je me rendis très vite compte que je n’étais pas maitre de la situation. J’étais en train de violer sans vergogne cette femme. Son rouge à lèvre se mélangeait au filet de sang qui s’écoulait lentement de sa bouche blessée. Je voulais desserrer ma prise et lui permettre de respirer mais je n’y parvenais pas. J’étais écœuré mais aucun son ne sortait de ma gorge. Tétanisé dans mon propre corps, j’assistais à la mort de cette femme inconnue. Son visage exprimait la terreur et la souffrance. Ses longs cheveux châtains s’étaient emmêlés entre eux au cours de la lutte. Elle essaya une dernière fois de se débattre et je me sentis jouir en elle à l’instant même où son cou se brisa entre mes poignes d’acier. Ses yeux gris me dévisagèrent une dernière fois avant qu’ils ne s’injectent de sang.
Je me réveillais en hurlant. Chadia se trouvait à quelques centimètres de moi derrière les barreaux. Elle avait passé une robe orientale violette très féminine, à manches longues. Elle était ornée de jolies coutures de couleur ocre parsemées sur sa face avant et sur ses extrémités. Une ceinture d'ornement était nouée autour de sa taille et cintrait la robe mettant en exergue sa poitrine parfaitement sculptée.
La princesse me sourit.
- Votre nuit semblait particulièrement agitée ! dit-elle avec compassion.
- Un cauchemar, rien de plus. As-tu réglé son compte à ce Falkomed ?
Elle me sourit.
- Falkomed est un ḥašašyīn. Il appartient à la secte des Nizârites dirigée par leur grand maître le mystérieux vieux de la montagne Hassan ibn al-Sabbah. Les « djins de Hassan », comme on les appelle chez nous, sont redoutés par tous et même par les puissants califes et autres vizirs. Ils mènent à bien des missions d'espionnage et des assassinats d'ennemis importants.
J’allais lui prendre la main quand des cris d’alerte retentirent. Il se passait quelque chose dans le camp. Plusieurs soldats passèrent en courant à côté de nous. On ne voyait pas grand-chose car les torches et les feux de camp s’éteignaient un à un. Soudain, notre geôlier fut projeté en arrière et s’écrasa sur la cage. Chadia cria. Une giclée de sang avait aspergé son visage. L’homme avait été transpercé et son corps était maintenant cloué à l’attelage par une longue lance. Quelques secondes après, un bruit de charge se fit entendre et nous aperçûmes au clair des lunes une colonne de chevaliers en armures lourdes montés sur des destriers de guerre caparaçonnés de métal.
Je m’empressais de fouiller la poche du cadavre pour en tirer les clefs et faire sauter le lourd cadenas afin de recouvrer la liberté. Les cris redoublèrent. Les premières escarmouches s’accompagnèrent des sempiternels entrechoquements d’armes. J’aidais la sorcière et les deux bougres à sortir de la cage. Ces derniers filèrent sans demander leurs restes. Il fallait profiter du chaos ambiant pour fuir rapidement. Inutile d’attendre de savoir qui allait remporter le combat. De toute façon, je ne donnais pas chère de notre peau qu’elle que soit l’issue de la bataille.
- Grimpez sur le chariot, nous allons l’utiliser pour foutre le camp d’ici, ordonnais-je à la veille femme et à la princesse.
Je pris les rênes de l’attelage et fouettais les chevaux pour qu’ils prennent rapidement de la vitesse. La carriole s’élança et dévala la colline projetant sur le bas-côté toute personne qui tentait de se mettre sur notre chemin. Par miracle aucun chevalier en armure ne croisa notre route. Nous nous enfonçâmes dans la nuit en direction de la grande forêt qui se trouvait non loin.
- Qui sont ces guerriers ? criais-je à Chadia qui se cramponnait tant bien que mal au chariot.
- Une escouade de Chevaliers Teutoniques. Nous sommes sur leur territoire et ils n’ont pas dû apprécier d’y voir camper une garnison du Sultanat. Les deux royaumes ne sont pas en guerre mais dès que l’occasion se présente, ils n’hésitent pas à en découdre. Après quelques morts de part et d’autre, ils repartiront chacun dans leurs pénates respectifs.
- J’espère que ton mentor au masque de fer y laissera la peau et que personne ne cherchera à nous pister.
- C’est bien mal le connaitre. En restant avec moi, tu mets ta vie en danger car je suis sans doute aussi recherchée qu’un Égaré.
- Dites-moi les enfants, je ne voudrais pas vous inquiéter mais il semblerait qu’on se soit lancé à notre poursuite. Ma vue est faible mais mon ouïe très fine. Ils sont deux et galopent à vive allure dans notre direction, cria la vieille femme.
- Je ne vois rien. Des chevaliers ou des camarades de la princesse ?
- Juge par toi-même, ils seront sur nous dans un instant.
Le premier Yényitchéri sortit de l’obscurité à notre droite et fondit sur nous. Le second nous prit en étau par l’autre côté. Une flèche siffla à quelques centimètres de mon visage. Ces satanés guerriers savaient parfaitement tirer tout en chevauchant en pleine nuit.
Nous étions trop lourds pour les semer, il fallait les affronter sans arme. L’un des cavaliers se porta à notre niveau et sauta adroitement sur la cage en s’agrippant aux barreaux. Il dégaina un poignard et le plaça entre ses dents pour faciliter son ascension. Je confiais les rênes de la carriole à la princesse et grimpais à mon tour sur la cage pour recevoir comme il se devait notre invité. Je fus surpris par ma vélocité et mon agilité à exécuter cette périlleuse tâche. Le soldat avait à peine eu le temps de se redresser sur la carlingue qu’il recevait déjà un violent coup de pied au visage. Malheureusement pour lui, mon attaque enfonça son arme profondément dans sa bouche. Partiellement décapité, son corps resta un instant immobile en équilibre avant de s’effondrer sans vie et chuter lourdement hors du chariot.
Son camarade tira une nouvelle flèche qui s’enfonça douloureusement dans ma cuisse gauche. Mon pied passa à travers les barreaux et je me retrouvais bloqué au sommet de la cage. Déjà, l’archer armait son arc pour me décocher un second trait mortel. Tout en criant de rage, je bandais mes muscles et me projetais à l’aide de ma jambe encore valide dans les airs. Ma voltige abracadabrantesque me projeta sur lui à sa plus grande surprise. Porté par l’adrénaline et ignorant la douleur, je parvins à le déséquilibrer pour le faire chuter. L’un de ses pieds resta coincer dans son étrier et le pauvre bougre fut trainer sur plusieurs dizaines de mètres avant que la lanière de cuir cède. Je tentais tant bien que mal de reprendre le contrôle de la monture pour lui faire suivre le chariot.
Nous galopâmes pendant une dizaine de minutes pour enfin atteindre la lisière de la forêt salvatrice. Je m’écroulais au sol, la jambe tétanisée couverte du sang qui s’échappait abondamment de ma blessure.
Maëvilis empoigna la flèche, la cassa et tira sans ménagement pour l’extraire de ma cuisse. J’hurlais et faillis perdre conscience.
- Il va falloir que tu apprennes à souffrir si tu veux rester en vie, jeune homme.
Elle se retourna vers Chadia qui semblait partager ma souffrance.
- Donne-moi un morceau d’étoffe de ta robe que je puisse stopper l’hémorragie. Ensuite, j’irai chercher quelques plantes près de la rivière pour lui confectionner un cataplasme. Nous ne devons pas trainer trop longtemps ici.
La seiðkona détacha deux de nos montures avant de susurrer quelques choses aux oreilles du reste de l’attelage. Le chariot repartit dans la vallée pour tromper nos éventuels poursuivants.
Je sombrais finalement dans l’inconscience.
Lorsque je rouvris les yeux, j’aperçus la seiðkona à mes côtés. Je ne ressentais plus aucune douleur sous le bandage qu’elle m’avait confectionné.
- Je suis resté dans les vapes longtemps ?
- Quelques précieuses heures. Chadia m’a informée que ta blessure était déjà en train de cicatriser. Elle n’en revenait pas. Tu sembles disposer d’une faculté de récupération plutôt extraordinaire.
- Où est-elle ?
- Près de la rivière. Suis le bruit de la chute d’eau et tu la retrouveras là-bas. Hâtez-vous, nous avons déjà que trop tardé dans cet endroit.
Non loin, je découvrais une cascade qui déversait ses eaux tumultueuses dans une petite cuvette. La rivière reprenait ensuite son parcours sinueux au cœur de la forêt tempérée. Au centre du bassin, la jeune fille était en train de nager. Ses vêtements avaient été soigneusement déposés sur un gros rocher au bord de la berge. Je me dissimulais rapidement derrière un arbre pour ne pas troubler la naïade. Après quelles brasses, elle se redressa et sortit de l’eau. Les gouttelettes qui ruisselaient sur son corps nu et bronzé étincelaient sous les premiers rayons du soleil matinal. Elle était définitivement divine. Trop parfaite pour être réelle, me dis-je. Toute personne avait à ma connaissance des défauts, même minimes. Je n’en voyais aucun dans cette innocente jeune fille.
Quelque chose bougea de l’autre côté de la cuvette. Dans la pénombre, je pouvais voir distinctement une forme humaine. Rien de bien précis. Quelque chose de flou. Une sphère surgit soudain des fourrés à côté d’elle et voltigea en direction de la princesse. Je m’empressais de bander l’arc que j’avais récupéré sur le cheval du Yényitchéri tué la veille.
La flèche frôla la baigneuse incrédule et frappa la sphère de plein fouet. L’objet perdit de la vitesse, ricocha sur la surface de l’eau avant de sombrer. J’encochais déjà une nouvelle flèche et visais en direction de l’autre berge mais la forme avait disparu.
Chadia tentait tant bien que mal de dissimuler ses atours.
- Il faut récupérer ce truc sous l’eau avant que le courant ne l’entraine, hurlais-je.
Je quittais mes vêtements à la hâte et plongeais dans l’eau. L’adrénaline me permit de ne pas faire un arrêt cardiaque. Comment la fille avait-elle fait pour prendre un bain dans une eau glacée ? J’apprendrais plus-tard que dès leur plus jeune âge les femmes du harem étaient accoutumées à se tremper dans l’eau glacée des montagnes pour vivifier leur peau.
Après quelques minutes de plongées successives, je pus enfin mettre la main sur la sphère et sortir triomphant des eaux.
Chadia avait remis à la hâte sa robe qui collait à sa peau encore mouillée. Elle aurait tout aussi bien pu rester nue devant moi. Cela n’en était que plus charmant.
- Vous m’avez fait une peur bleue. Ça vous prend souvent de reluquer les filles en train de prendre leur bain pour ensuite surgir à l’improviste et manquer de les abattre d’une flèche en pleine tête.
- Il y avait quelqu’un ou quelque chose là-bas. La sphère lui appartient sans aucun doute. Je l’ai déjà vue lors de notre première rencontre.
Au moment même où je m’apprêtais à l’examiner, une vive douleur m’obligea à lâcher l’objet.
Elle m’avait brulé la paume. La sphère se mit ensuite à luire fortement et à fondre sous nos yeux médusés. Il ne resta plus que des cendres l’instant d’après.
- C’est la magie des dieux, annonça Chadia. Ne restons pas là.
Nous reprîmes notre route dans la forêt à dos de cheval en prenant soin d’éviter les chemins trop fréquentés. La faim commença à se faire sentir et les quelques baies dégotées par la sorcière ne parvenaient pas à la combler. Depuis le début de notre périple sous les arbres, j’avais la désagréable impression d’être suivi. Plusieurs fois, à la limite de mon champ de vision, je crus apercevoir des bosquets bouger. Puis, quand une nouvelle sphère passa subrepticement au-dessus de la canopée, mes doutes furent confirmés. Nous étions bien de nouveau la proie de quelqu’un ou de quelque chose.
Dans la soirée, alors que notre destination n’était plus qu’à deux jours de marche, je décidais de passer à l’action et expliquais mon plan.
Après avoir franchi une petite colline, je grimpais discrètement dans un arbre non loin du sentier et me dissimulais dans les branchages. Le reste du groupe continua son chemin comme si de rien n’était.
Quelques minutes plus tard, j’entendis quelque chose passer en dessous de moi. Je ne voyais rien et pourtant je devinais des empreintes de pas dans l’herbe humide. Elles disparaissaient aussi vite qu’elles apparaissaient ne laissant aucune trace. Les empreintes s’immobilisèrent et une tête d’homme apparut soudainement, flottant mystérieusement dans les airs. Je n’en croyais pas mes yeux. Une autre tête se matérialisa non loin de la première. C’était une femme. Leur visage imberbe et dénué de cheveux était pourtant particulièrement gracieux. Par contre leur peau était d’une lividité cadavérique. Ces deux personnes semblaient porter une tenue les rendant totalement invisible. Ils avaient simplement retiré une sorte de cagoule.
- Arrête. Ils sont tout proche, dis la femme, légèrement énervée.
Une image apparut soudainement devant eux et se mit à flotter dans les airs. Je pouvais voir mes deux compagnes descendre le sommet d’une colline.
- Putain, il est où l’autre zouave ? interrogea la fille.
- Il doit sans doute jouer à l’éclaireur. De toute façon, il ne peut pas nous échapper. Tu veux t’en fumer une ?
- Il n’est pas comme les autres. Tu l’as bien vu. Il voit les angelots. Merde, c’est quand même l’étrangleur. Faut pas déconner avec ce type-là.
- Ne fais pas chier. C’est sans doute un défaut du réceptacle. Ça arrive parfois. L’étrangleur, je l’emmerde. De toute façon, il n’a pas le moindre souvenir de qui il est.
Il retira un sachet de sa poche, en sortit un peu de tabac et roula une longue cigarette qu’il tendit à sa coéquipière.
- C’est de la super bonne. Je la fais venir directement du marché noir de Kilimanftu. Elle me coute une blinde mais c’est sans doute la meilleure des Quatre Royaumes.
- C’est quand ta prochaine permission ? demanda la femme.
- Dans trois semaines. Je vais justement me payer une virée à l’extrême orient des Quatre Royaumes. J’ai assez économisé pour passer une bonne semaine là-bas. A moi les joies de la divinité réincarnée sur terre.
Une gouttelette de ma transpiration tomba sur le front de l’homme. Il leva la tête
Je n’eus d’autre choix que de me laisser tomber sur eux. Ma chute fut considérablement amortit par le corps massif du type à l’allure patibulaire. J’avais voulu seulement l’assommer mais mon poids lui brisa les cervicales dans un craquement écœurant.
La fille réagit très rapidement. Elle se jeta sur moi et m’envoya rouler de nouveau au sol. Impossible d’esquiver efficacement ses coups puisque je ne voyais que sa tête flotter dans les airs. Rompue au corps à corps, elle maitrisait parfaitement ses techniques de combat. Je ne donnais pas cher de ma peau face à une guerrière aussi aguerrie qu’elle. Elle parvint à balayer mes jambes et à se précipiter sur moi pour m’immobiliser à l’aide d’une clef de bras particulièrement douloureuse. Ses capacités surpassaient nettement ma force physique.
- Putain, je vais te butter saleté de boucher. Tu aurais dû crever depuis longtemps déjà… .
Elle ne put finir ses derniers mots car un éclair venu du ciel la frappa. Alors que son corps se mit à bruler, elle m’observa sans broncher :
- On se retrouvera, l’Etrangleur.
Elle se consuma sous mon regard horrifié ne laissant derrière elle qu’un tas de cendres qui se dispersa rapidement au vent. Un nouvel éclair foudroya le corps sans vie de son coéquipier qui disparut également en fumée. Je me retrouvais seul, percevant plusieurs sphères voltiger à quelques distances de moi.
Pour ne pas inquiéter mes deux compagnes de route, je pris le parti de ne pas révéler les étranges choses qui s’étaient passées sur la colline. Les bruits de tonnerre alors que le ciel était sans nuage avaient cependant éveillé leur curiosité et leur inquiétude.
Le soir, je les interrogeais discrètement afin d’en savoir plus sur ces étranges personnes.
- J’ai l’impression qu’il y a encore ces choses étranges qui nous tournent autour. J’ai cru apercevoir au bord du bassin une personne. Elle n’avait pas de cheveux, ni de cils, ni de sourcils. Son visage était très pâle. Pourtant… .
- Un divin, tu as vu un divin ou bien peut-être une divine, répondit inquiète Maëvilis.
- Un divin ! C’est quoi un divin ?
- Un ange, un envoyé des dieux. Ils ont tous la même apparence quand ils viennent nous rendre visite sur terre. Nous les honorons au même titre que nos dieux. Ils sont leurs messagers et parfois leur propre incarnation. Quiconque s’oppose aux divins finit foudroyé, répondit Chadia. Ce sont nos maîtres et nous leur devons respect et obéissance.
J’avais terrassé deux divins. Même s’ils m’avaient paru assez redoutables, je m’en étais débarrassé à mains nues. De toute évidence, ils me surveillaient de près. J’étais encore en vie. C’était la preuve que deux divins en moins ne manqueraient pas aux dieux perchés sur leur nuage. Bientôt je serai de retour parmi eux.
Au bout de deux jours, nous arrivâmes enfin dans la ville de Folfougère. Nichées au cœur de la forêt, d’innombrables maisons et huttes en bois étaient protégées par une imposante enceinte faite de troncs de chênes massifs. Un réseau impressionnant d’immenses cabanes avait été construit dans la canopée. De larges passerelles permettaient de se déplacer aisément d’un lieu à l’autre. Au sol, comme dans les airs, la vie battaient son plein. De nombreux commerçants et villageois vaquaient à leurs occupations dans ce pittoresque endroit.
Alors que nous nous apprêtions à passer la grande porte, un garde en gambison, armé d’une arbalète et d’une lance en bois, nous apostropha.
- Voilà donc un bien étrange cortège. Un gueux, une vieillarde et une jeune et jolie Yényitchéri. Qu’est-ce qui vous amène ici ?
- Je voyageais vers Hernstein pour rencontrer mon futur époux quand notre équipage a été attaqué par des malandrins. Mes servants et moi-même avons réussi à nous échapper par la grâce des dieux. Les routes dans cette région ne sont pas sûres.
- Comme toutes les routes des Quatre Royaumes, ma jolie dame. Je n’avais jamais vu de filles de harem avant mais il est vrai que votre beauté surpasse votre réputation. Capitaine Anton, chef de la garde, soyez prudente. Malgré nos patrouilles, certaines ruelles de la cité sont peu recommandables.
- Je vous remercie pour votre compliment, capitaine. Avez-vous un établissement en particulier à nous recommander pour passer la nuit ?
- L’auberge des cimes est un établissement respectable et bon marché dans le quartier commerçant. Si vous avez les moyens, vous pouvez également trouver un gite et un couvert excellent chez Maximilien Fortbras. Il tient la meilleure enseigne de la ville. Cependant ses prix sont prohibitifs.
- Merci encore pour vos conseils avisés, dit en souriant Chadia.
Anton nous salua et se porta à la rencontre d’une caravane de troubadours.
La ville grouillait d’activité. Bien que de taille modeste, il était facile de se perdre. Les constructions tarabiscotées formaient des chemins sinueux qui pouvaient vous conduire jusqu’au sommet des plus grands arbres.
Malgré la beauté des lieux, je ne me sentais pas en sécurité sur ces passerelles en lianes et j’avais la désagréable impression d’être encore suivi. Nous arrivâmes sur une place jonchée d’échoppes diverses. Chadia négocia la vente de ses bijoux auprès de plusieurs commerçants. Elle était particulière douée pour charmer ses interlocuteurs et parvint à en tirer une coquette somme mais bien en deçà de leur valeur réelle cependant.
- Tu n’avais pas besoin de tous les vendre, ils te donnaient un certain charme, dis-je en m’amusant.
- Il me rappelle trop ma servitude. Bien que fille du Sultan, je n’en reste pas moins sa propriété. Ces bijoux coutent une fortune et j’aurai besoin de tout l’argent possible pour organiser mon périple.
- Maëvilis et moi allons rejoindre les Côtes Gelées pour en apprendre plus sur ma condition d’Égaré. Viens avec nous ?
Elle ne s’attendait pas à ce que je lui propose une telle chose.
- C’est un voyage très dangereux. Sauf votre respect, Maëvilis est une vieille femme aveugle et tu ne connais rien au monde de Lakoele. Par ailleurs, j’ai une tâche importante à accomplir.
- Et quelle est cette tâche si importante ?
Je la regardais droit dans les yeux. Son regard s’embua. Troublée, sa voix se fit plus hésitante.
- Je recherche, Lubanah, ma sœur, le 4e joyau du sultanat. Elle était promise à un brillant avenir. Elle devait épouser mon futur époux le roi des Baronnies Teutoniques. Nous étions très complices et passions le peu de temps libre que nous avions, ensemble. Mais son destin fut brisé lors qu’elle fut victime d’une infâme agression dans les jardins du palais. Quelques semaines passèrent et elle s’aperçut qu’elle était enceinte. Les eunuques apprirent la nouvelle à mon père qui entra dans une rage folle. Séance tenante, pour éviter que la honte ne retombe sur le royaume, il envoya ma sœur à l’abbaye de Sainte-Catherine, une institution des baronnies à la sinistre réputation. Celles qui y rentrent avec leur enfant, n’en ressortent jamais. Manu militari, je me retrouvais à remplacer ma sœur dans ce mariage de convenance. Je ne me déroberai pas à ma tâche mais je dois d’abord tirer ma sœur et son enfant de leur geôle.
- Dans ce cas-là, je te viendrai en aide.
Je ne m’étais pas attendu à embuer de grosses larmes ses jolis yeux clairs.
Elle se jeta à mon cou et me sera fort contre elle.
- De toute façon, sans moi, vous n’iriez pas bien loin, dit-elle en m’adressant son plus charmant sourire. Et si nous allions nous restaurer ? Je meurs de faim.
Chadia acheta des côtelettes de viande rôtie marinée au miel dans une échoppe puis troqua sa tenue trop voyante pour une robe longue en coton noir et un long manteau à capuche en fourrure de loup. L’armurier me fournit une armure de cuir tanné, un casque à lunettes d’homme du nord qui dissimulerait facilement mes traits, ainsi qu’un glaive simple mais plutôt bien équilibré. Je lorgnais un moment sur un carquois de flèches et un petit arc facilement transportable. Cependant, la sorcière me proposa plutôt un pistolet à poudre. Certes plus bruyant mais plus impressionnant dans un combat rapproché.
Un attroupement sur la place attira notre attention. Plusieurs troubadours amusaient la plèbe en chantant et en dansant. Certains jonglaient pendant que d’autres effectuaient des pirouettes rocambolesques sous les acclamations des spectateurs.
-La compagnie Guerez est dans votre merveilleuse ville pendant quelques jours. Venez admirer nos artistes, vous n’en croirez pas vos yeux, harangua un homme. Pour quelques écus, vous pourrez participer à notre incroyable spectacle de magie et entendre la plus merveilleuse des divas de tous les temps.
Plusieurs gardes entourant une personne vêtue d’une longue toge et d’une capuche dissimulant son visage arrivèrent sur la place. Les badauds s’écartèrent devant eux. Face aux forains, le mystérieux inconnu dévoila lentement son visage à tous. C’était un divin. Les autochtones baissèrent leur regard n’osant le dévisager. Les artistes cessèrent leurs numéros.
- Continuez, dit le divin, votre spectacle m’est divertissant.
Les troubadours redoublèrent alors d’effort pour plaire à cet étrange personnage. J’étais légèrement écœuré.
- Ne restons pas là, nous pourrions attirer son attention, dis-je à mes compagnes.
Nous empruntâmes rapidement une ruelle qui grimpait afin d’éviter l’axe principal.
Au détour d’une passerelle, nous tombèrent sur un groupe d’individus plutôt louches et peu amicaux. Derrière nous, deux autres personnes se positionnèrent pour bloquer une éventuelle retraite. Leur chef s’avança dans notre direction.
- Bien le bonjour, mes seigneurs. Mes amis et moi souhaiterions vous soulager de quelques deniers. J’ai ouïe dire que votre bourse était pleine à craquer. Les étrangers riches ne devraient pas s’aventurer seuls dans ce quartier.
J’allais dégainer ma nouvelle épée quand la sorcière posa sa main sur mon bras.
- Inutile de créer un esclandre ici. Nous devons rester discrets. Chadia donne leur l’argent.
- Mais, je peux tuer ces malandrins sans grandes difficultés, ai-je répliqué.
- Je n’en doute pas et nous aurions sans doute la milice et les autres bandes à nos trousses. Faites-moi confiance. L’argent n’est pas une fin en soi. Nous aurons l’occasion d’en trouver lors de notre périple.
Chadia détacha à regret la bourse de sa ceinture et la jeta en direction du chef. Ce dernier l’attrapa en plein vol.
- Je vois que la raison de la vieille femme l’emporte sur la témérité du guerrier. C’est une bonne chose. Nos archers cachés dans les arbres vous auraient transpercés de flèches. Pour ce généreux don, nous allons vous octroyer à un sauf-conduit dans notre beau quartier. Vous faites de nous vos obligés. Bon séjour à Folfougère de la part de la bande du renard d’argent.
Notre groupe dépassa les malandrins alors que je rageais encore de ne pas pouvoir en transpercer quelques-uns. Il ne nous restait plus un sou pour loger à l’auberge.
- Je vais parlementer avec le patron et négocier une chambre pour la nuit. Attendez-moi ici, ordonna Chadia.
La gamine parla un moment avec le tenancier puis finalement revint vers nous avec une grosse clef en fer dans les mains.
- Nous ne passerons pas la nuit à la belle étoile. Allons nous installer à une table pour préparer notre périple ! J’ai également réussi à obtenir des rations pour quelques jours.
- Bravo, ma grande et qu’as-tu offert en échange à ce bougre ? Une nuit de plaisir.
- Je ne suis pas une prostituée ! Quand allez-vous vous mettre ça dans la tête ?
Ses yeux s’humidifièrent légèrement. Je ne pensais pas que ma petite blague l’avait à ce point touchée. Elle reprit cependant très rapidement de sa superbe.
- Je vais offrir à ses clients une danse nuptiale.
- C’est quoi une danse nuptiale ?
- Vous verrez bien.
Je me tournais vers Maëvilis.
- Dis-m’en plus ?
- C’est un art secret jalousement gardé par les harems Yényitchéri. Seules les plus exceptionnelles filles sont formées à procurer un plaisir sensoriel exquis à leur maitre à travers une danse et des chants presque divins. Peu de personnes ont pu assister à un tel spectacle et bon nombre payeraient un prix d’or pour le faire. Lors d’un raid dans le sud, nos navires ont mis la main sur une courtisane Yényitchéri. J’ai vu notre chef de guerre, Hakon, réputé pourtant pour tuer tous ses prisonniers, rendre sa liberté à la Yényitchéri et toute sa cour après avoir assisté à l’une de ces danses mystiques.
Notre plan était plutôt simple. Quitter la ville et les baronnies teutoniques pour trouver vers l’est un bateau dans l’archipel de Bienvino. De là, rejoindre le royaume des Côtes Gelées et le volcan abritant le temple sacré évoqué par Maëvilis. C’était un périple de plusieurs semaines semé de dangers et d’incertitudes.
Le soir venu, l’auberge était bondée. Le patron avait dû faire une bonne publicité pour attirer autant de monde afin que la bière coule à flots et que les bourses se délient. Tout reposait maintenant sur les épaules d’une jeune fille de moins de vingt ans.
Chadia apparut discrètement derrière le bar et se mit à chanter. Sa voix légèrement fluette prit de l’assurance puis devint de plus en plus mélodieuse. Bientôt, toute l’assemblée se tut pour écouter la jeune femme fredonner des mots dans sa langue natale. Puis, elle sortit une petite flute qu’elle posa sur ses lèvres pour prolonger sa mélopée. Les paroles et les sons s’enchainaient mutuellement provoquant une réelle ivresse.
Elle grimpa ensuite sur une table au milieu des habitués et laissa son manteau de fourrure tomber au sol. Sa poitrine était emprisonnée dans un soutien-gorge fait d’anneaux d’or finement ciselés. La même cotte de mailles recouvrait le bas de son ventre laissant cependant à la vue de tous ses jolies fesses sculptées.
Chadia se mit à chanter et à jouer de façon plus rythmé tout en dansant habillement sur la table. Elle remuait son corps de façon effrénée en se laissant accompagner par la musique. Sa danse devint de plus en plus osée et provocante. Bientôt son corps fut couvert de sueur mais elle souriait toujours, invitant son auditoire captivé à boire ses paroles. Personne n’osait l’approcher. On n’approchait pas une déesse, on la contemplait. Elle frôlait intimement les clients sans jamais vraiment les toucher. L’air était empli d’un parfum enivrant et pourtant bestial. Tout son auditoire était accroché à ses gestes. J’étais médusé devant tant de grâce, de beauté et d’invitation au plaisir.
Sa danse devint encore plus tendancieuse. Femmes comme hommes semblaient prendre un plaisir inhumain à contempler cette jeune femme danser pour eux. Certains s’embrassaient déjà. La danse arriva à son paroxysme quand, accroupie sur notre table, elle remonta et descendit son corps tout en mimant une jouissance physique certaine. Ses yeux étaient plongés dans les miens. A ce moment-là, comme tous les spectateurs, je crus réellement être en train de faire l’amour avec elle. Je me surpris même à grimper au septième ciel. Chadia s’écroula en hurlant de plaisir sur la table et mit fin au spectacle. Tout le monde se regarda incrédule. Bon nombre comme moi avait atteint l’extase le temps de cette danse nuptiale.
Je pris Chadia dans mes bras et la conduisis à l’abri des regards indiscrets dans notre chambre. Epuisée, elle dormait déjà quand je la glissais sous les draps.
De retour dans la salle, je constatais que l’ambiance était redevenue normale. On riait et on consommait des boissons fermentées à profusion.
Un grand type aux traits fins, habillé comme un bourgeois précieux, le visage poudré, demanda l’autorisation de s’assoir à notre table. Les deux coupes de vin qu’il déposa devant nous finirent par me convaincre de l’écouter.
- Je me prénomme Gustavo Guerez. J’ai contemplé votre amie danser ce soir. Je n’avais rien vu de tel de toute ma vie.
- Oui, elle est plutôt douée pour une esclave mais elle n’est pas à vendre. Que pouvons-nous pour vous, monsieur ?
- Je suis le chef d’une compagnie théâtrale ambulante. La présence de … votre jeune esclave serait un réel atout lors de nos représentations. Nous pourrions faire des tournées dans les capitales au lieu de nous contenter de vulgaires villes de province. Je puis vous assurer le versement d’une part non négligeable des revenus engendrés. Les gens vont se bousculer pour assister à la danse nuptiale d’une véritable beauté de harem Yényitchéri.
- Merci pour votre offre mais elle est encore trop jeune pour se lancer dans le spectacle. Peut-être un peu plus tard.