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Ludine est abordée par un homme inquiétant. Elle est amenée à côtoyer des personnages aussi diaboliques que bienveillants. Ces derniers l’entraînent sur un chemin plein d’imprévus. Son parcours est alors semé de multiples aventures qu’elle ne maîtrise pas… mais nul ne peut échapper à son destin.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Écrit en 1998,
L’enfant des ténèbres est resté en sommeil. Après quinze ans sur son voilier dans l’océan Indien,
Pascal Céhair décide de soumettre cet ouvrage à la lecture. Pour cette histoire, il s’est inspiré de l’enseignement de Krishnamurti « L’éveil de l’intelligence ».
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Seitenzahl: 163
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Pascal Céhair
L’enfant des ténèbres
Roman
© Lys Bleu Éditions – Pascal Céhair
ISBN : 979-10-377-8843-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce roman comporte deux énigmes à résoudre. Qui est l’enfant des ténèbres et qui l’a conçu ? Pour la première, trois indices : L’âge de Ming, l’anneau, le chien. Pour la seconde, votre première hypothèse ne sera pas la bonne. La deuxième s’en rapproche, mais c’est la troisième qui est la plus plausible. Elle demande certaines connaissances un peu particulières en biologie végétale et animale. Mais des chercheurs étudient actuellement ce sujet pour l’appliquer à l’Homme.
Bonne réflexion.
Si nous voulons que la gloire et les succès accompagnent nos armes, nous ne devons jamais perdre de vue : la Doctrine, le Temps, l’Espace, le Commandement, la Discipline.
Sun Tzu
Pour un sacré réveillon, ça allait être un sacré réveillon ! Depuis un an, ils le préparaient ce début de millénaire ; c’était le leur. Attention ! Le vrai, pas celui de 1999-2000 où ils avaient tant ri de voir tous les gogos incultes se souhaiter un bon début de siècle. Mais celui-ci, 2000-2001, il ne fallait absolument pas le louper.
Ils ne concevaient pas de mégoter sur les moyens, et s’étaient solennellement promis de bâtir un souvenir qui ferait date dans leur vie. Un an de préparation, pas moins ; toute la bande à bûcher sur le sujet. Douze à plancher comme des forçats, à se creuser le cerveau en combinaisons alambiquées alliant originalité et exotisme, créativité et idéalisme. Quatre couples et quatre célibataires pétillant de jeunesse et de dynamisme. Chaque vendredi, ils se rencontraient pour échanger entre eux de nouveaux projets et enterrer les anciens, périmés et déjà ringards.
À la tête de ce petit groupe de copains, Pierre, couronné d’un buisson de cheveux fous, secondé dévotement par Marine, sa compagne. Jacques et Andrée, responsables d’une agence de voyages, les alimentaient en rêves, et tous depuis plusieurs mois avaient déjà fait plusieurs fois le tour du monde, dans leur tête. Les éternels étudiants, Luc et Ludine, ainsi que Paul et Sophie, couraient toujours après les quatre sous qui leur permettraient de boucler le mois. L’air de rien, ceux-là freinaient les imaginations, tempérant l’enthousiasme général en apportant bien malgré eux un peu de réalisme et de pragmatisme.
Les quatre autres, les moins assidus, les plus sceptiques, participaient à cette agitation, essayaient d’accompagner le mouvement, mais le reflux les rejetaient sur la rive de leur morne quotidien. Pour sûr, ils prendraient le navire en marche et on pouvait compter sur eux pour souquer ferme en cas de nécessité. Marc et Jean tentèrent séparément d’apporter leur eau au moulin des inventifs, mais leurs propositions, mal étayées, sans ambition ni panache, tombèrent rapidement dans l’oubli. Quant aux deux filles, Magali et Sylvie, elles prenaient inlassablement des notes et se risquaient parfois à faire un point qui ramenait inexorablement le groupe à la case départ.
Tout cela les mena à la fin de l’été, après leurs vacances au cours desquelles le soleil avait grillé et leur peau et leurs illusions. Ils s’étaient retrouvés, un peu fatigués, vaguement désabusés. Ils s’évitaient presque, de peur de devoir avouer leur démission. Novembre arriva trop rapidement, engourdissant les compères de ses brumes humides. Les esprits s’émoussaient, l’enthousiasme s’alourdissait et retombait lourdement en s’étalant en flaques glauques autour des pieds trop lourds de ceux qui ont trop rêvé sans jamais n’avoir rien osé.
Le Concorde ? Surfait (interdit de dire trop cher). Les Bahamas ? Trop américain. Le Maroc ? Trop populaire. Le Sahara ? Trop désert. Alors l’Amazonie ? Trop humide. Et l’Ardèche ? Trop baba. Pour arriver mi-décembre à : chez Paul et Sophie ? Pourquoi pas, au point où on en était…
Leur désœuvrement les avait rassemblés là, chez Sophie. Ils s’étaient pimenté la soirée en imposant un thème : le libertinage. Les femmes avaient mis leur tenue la plus sexy, les hommes, dégrafé d’un bouton leur chemise. Ils devaient arriver séparément et faire semblant de ne pas se connaître, puis se draguer un peu, s’émoustiller beaucoup sur de vieux tubes des années soixante-dix. En fait, les couples étaient venus à deux, c’était moins compliqué pour le transport. Seuls les célibataires avaient tenu parole, logique de leur condition matrimoniale.
À onze heures, Pierre sortit de sa brume éthylique :
— Dis donc Paul, il arrive quand ton ami d’enfance ?
Tiens, celui-là, on l’avait presque oublié. Il faut dire que ce devait être le seul imprévu de la soirée, et bien sûr, il manquait. L’histoire remontait à la fin de l’après-midi, et Sophie l’avait déjà racontée au moins trois fois comme l’événement de la soirée. C’est Paul, cette fois, qui fit son petit flash-back, version personnelle. Il devait être à peu près dix-neuf heures quand il avait entrouvert la porte d’entrée de l’appartement de Sophie. Il avait immédiatement compris que l’accueil qui lui était réservé serait des plus glacials. Les bruits provenant de la cuisine indiquaient très clairement que la maîtresse de maison traversait une phase cyclonique de mauvais augure dont il allait certainement se retrouver responsable. Son instinct ne l’avait pas trompé.
— Mais où donc est-il passé ? Cela fait plus d’une heure que je l’ai envoyé faire une course à deux pas d’ici, et il trouve le moyen de traîner ! Et moi comme une grosse gourde, je suis là, plantée avec tous les préparatifs de ce maudit réveillon historique.
— Calme-toi, il ne va pas tarder. À nous deux, on va très bien s’en sortir.
Magali était venue prêter main forte. Elle allait peut-être apaiser la tempête. Alors Paul pénétra pour de bon dans l’appartement et, d’un pas mal assuré, se dirigea vers son calvaire. Il n’eut même pas le temps d’entrer dans la cuisine que l’orage éclata.
— Tout de même, voilà plus d’une heure que tu es parti. On peut savoir ce que tu faisais ?
— Je suis allé faire un tour dans le parc, j’avais besoin de me détendre.
Là, Sophie en eut le souffle coupé.
— Dans le parc, te détendre ? Qu’est-ce que tu radotes ? Tu n’y vas jamais dans le parc. Quant à ce qui est de te reposer, tu choisis mal ton jour, il me semble ! J’espère au moins que tu as les cornichons que je t’ai envoyé chercher.
Paul la regarda, totalement tétanisé, puis avec difficulté parvint à articuler :
— Ben non, je les ai oubliés.
— C’est une plaisanterie ?
C’est le moment que choisit Magali pour intervenir. Elle sentit fort bien que Sophie puisait dans ses ressources, mais que la coupe débordait ou peu s’en fallait, que les digues qui contenaient sa colère allaient céder sous la pression, laissant se déverser une vague incontrôlée charriant de charmants noms d’oiseaux. Elle contourna habilement son amie et poussa Paul dans le hall.
— Mon petit Paul, tu n’as pas l’air d’être dans ton assiette. Va t’asseoir dans le salon, sers-toi un bon whisky et détends-toi. On va très bien s’en sortir toutes les deux, même sans cornichons.
Paul se laissa guider docilement en se tenant au bras de Magali, suivi de Sophie une louche à la main. Complètement décontenancée par l’état de son compagnon, elle contenait sa fureur. Paul s’affala dans un fauteuil ; en fin de compte, la situation tournait à son avantage.
— Au fait, nous serons un de plus ce soir, j’ai rencontré un ami et je l’ai invité.
— Et où l’as-tu rencontré cet ami ?
— Ben, dans le parc.
— Dans le parc ! Et c’est qui ?
— Tu ne le connais pas. Je t’en ai jamais parlé. Tu verras, il est très sympa, un peu spécial, mais très sympa.
— Et tu choisis le soir du réveillon pour inviter un ami que tu viens de rencontrer à l’instant même dans le parc. C’est bien ça ?
— Tout à fait, répondit Paul, tout rayonnant. Ça me fait plaisir que tu le prennes si bien. Je peux avoir mon whisky ?
Sophie serra les poings, leva les yeux au plafond et prit une profonde inspiration. Magali la saisit par les épaules, la fit pivoter et la poussa délicatement en direction de la cuisine.
— Viens, il nous faut finir avant que tout le monde arrive. On a douze bouches à nourrir. Non, treize maintenant. J’espère que personne n’est superstitieux…
— Au point où on en est ! L’année va mal finir, je le sens.
— Tu as tort de t’énerver. Une nouvelle tête parmi nous, cela ne fera pas de mal. On traîne toujours avec les mêmes, autant renouveler un peu le cheptel.
— Tu cherches un homme toi !
— Et pourquoi pas ! Ce serait une bonne façon d’entamer le millénaire, non ?
Ce petit échange leur avait permis de retrouver leur tâche culinaire et d’oublier provisoirement l’épisode du petit tour de Paul dans le parc.
L’heure tournait, les plateaux de toasts s’accumulaient dans le séjour sous les yeux de Paul. Le regard un peu vague, il avait décidé de se le servir lui-même son whisky, puisque tout le monde l’avait lâché. Les deux femmes passaient à côté de lui sans même le voir, il se sentait exilé sur sa planète, détaché et béat dans ses vapeurs d’alcool.
— Et tu ne nous as toujours pas dit qui c’était !
— C’est un copain de la maternelle, comment veux-tu que je me souvienne de son nom !
— Tu l’as pourtant reconnu !
— Mais non, je vous l’ai dit. C’est lui qui est venu vers moi.
— Et tu es sûr que ce n’est pas une blague ?
— On a eu la même institutrice en CP, et il m’a rappelé des anecdotes qu’il n’a pas pu inventer. Mais c’est vrai que je ne l’ai absolument pas reconnu. On change tout de même !
— Depuis le CP, c’est certain ! répondit Sophie d’un ton acerbe.
Et tous d’éclater d’un rire un peu forcé.
Encouragé par la liesse générale, Paul poursuivit :
— Et vous ne savez pas la meilleure, il avait un corbeau perché sur son épaule, et il parlait !
Là, un silence soupçonneux lui répondit, chacun se demandant s’il n’en rajoutait pas un peu trop. Paul les regarda successivement et insista :
— Je vous assure, il parlait comme vous et moi et n’hésitait pas à se mêler à la conversation. Un vrai animal de foire.
— Il ne serait pas un peu ventriloque ton ami ?
Paul se referma sur lui-même, non pas parce qu’on ne le croyait pas, mais vexé de ne pas avoir pensé lui-même à cette éventualité.
— En tout cas, si c’est vrai, c’est très fort !
— Mais c’est vrai ! insista leur compagnon.
C’est à ce moment précis que la sonnette de la porte d’entrée retentit. L’enchaînement était si parfait que personne ne réagit immédiatement. Tous se regardèrent pour vérifier sur le visage de l’autre s’ils n’avaient pas rêvé. Paul se dressa enfin et leur faisant face :
— Vous allez voir par vous-même.
Il alla ouvrir. Ils virent apparaître un drôle de bonhomme vêtu d’un costume sombre que recouvrait une cape noire doublée de rouge. Pour couronner le tout, il portait un haut-de-forme. Il se découvrit et salua l’assemblée de façon fort cérémonieuse. Bizarrement, il ne paraissait pas du tout gêné par sa tenue et affichait, tout au contraire, un sourire un peu condescendant. Il était grand et maigre, mais son visage dégageait une énergie peu commune. Il dévisageait chacun de ses yeux sombres incrustés dans un visage taillé à la serpe. Son nez saillant et d’une taille hors du commun surplombait une bouche aux lèvres fines, légèrement pincées. De longs cheveux bruns encadraient ce paysage un peu ingrat et en adoucissaient les traits. Et les femmes de rajuster leur toilette et les garçons de reboutonner le plus discrètement possible leur chemise.
Paul aurait bien aimé présenter son ancien ami, mais ne se souvenant plus de son nom, il restait planté à ses côtés, attendant désespérément que quelqu’un prît une initiative. Sophie s’avança et lui tendit la main. L’inconnu la saisit délicatement et s’inclina dans un baisemain très protocolaire.
— Magoa.
Il fallut un certain temps pour comprendre qu’il se présentait. Aussitôt, les femmes s’avancèrent en se bousculant légèrement et ne sachant quelle contenance prendre mimèrent une petite génuflexion en lui tendant la main d’un air légèrement affecté. Les hommes, se reprenant un peu, lui serrèrent énergiquement la main. Seul Paul paraissait soucieux :
— Vous n’avez pas votre corbeau ?
— Non, Cerbère est occupé de son côté. Il est sorti seul.
Cet humour pince-sans-rire plut immédiatement et détendit l’atmosphère. Sophie happa Magoa par le bras et l’entraîna vers le buffet tandis que la musique reprenait, brisant un silence un peu pesant. Malgré son allure empruntée, ses manières légèrement affectées et son costume de carnaval dans lequel il flottait, Magoa s’intégra rapidement. Sa conversation était agréable ; parlant peu de lui, il écoutait beaucoup. Il devint même le centre d’intérêt, chacun distillant ses confidences comme s’il le connaissait depuis toujours. Magoa se contentait la plupart du temps de hocher la tête d’un air entendu et complice. Il dansa aussi, et les femmes prenaient un plaisir certain à se lover dans ses bras sous le regard inquisiteur de leur homme. Seule Magali, totalement désinhibée, attaquait franchement, s’abandonnant dans une langueur édifiante contre son cavalier. De son côté, Ludine restait sur la réserve, un peu intimidée par la forte personnalité qui se dégageait de cet homme mystérieux. Elle trembla quand il se dirigea dans sa direction et sentit le rouge lui monter aux joues. Il lui tendit la main et l’invita. Elle le suivit d’un pas mal assuré et se laissa prendre à la taille par deux mains habituées à imposer leur volonté. Pour échapper à son embarras, elle engagea la conversation.
— Magoa, c’est un prénom étrange.
Elle se mordit aussitôt les lèvres, se traitant de sotte. A-t-on idée de se lancer ainsi !
— C’est un très vieux nom effectivement, mais Ludine non plus n’est pas commun.
Sa voix était chaude et grave, presque envoûtante avec de légères inflexions qui trahissaient une origine étrangère et rajoutait encore à son charme. Elle se reprit pourtant.
— Comment connaissez-vous mon nom, ici tout le monde m’appelle Lude ?
— Vous vous êtes présentée ainsi tout à l’heure.
Elle fronça les sourcils. Elle s’étonnait d’avoir décliné son nom complet et pourtant ne pouvait pas jurer ne pas l’avoir fait.
— De plus, je préfère nettement Ludine, il convient mieux à votre sourire.
Un peu éculé comme flatterie, pensa-t-elle et pourtant elle se sentait ravie par cette simple déclaration.
— Ludine, c’est vous que je suis venu chercher.
Toujours perdue dans ses pensées, la jeune fille ne réagit pas. Les dernières paroles de son cavalier ne l’avaient pas encore pénétrée. Puis d’un coup, elle se tendit. Instinctivement, elle sentit le danger. Tous ses sens entrèrent en alerte tandis qu’elle se demandait encore si elle avait bien entendu. Pâle, elle s’écarta de l’homme et osa affronter son regard.
— Qu’avez-vous dit ?
— Vous avez bien entendu. Je viens de loin pour vous emmener.
— Mais où, pour quoi faire ? Et qui êtes-vous ?
Elle s’était plantée devant lui et avait presque crié, du moins l’avait-elle cru, car sa gorge nouée ne pouvait plus émettre aucun son.
— Calmez-vous, Ludine. Je suis très maladroit et je vous prie de m’en excuser. Sachez qu’il n’y a rien de grave, et rien n’est pressé. Vous avez été contactée, il y a quelques mois déjà. Nous avons besoin de vous. Mais je vous vois bouleversée, pardonnez-moi. Nous nous reverrons, il le faut.
Le couple s’était arrêté de danser. Il se tenait dans un angle de la pièce et paraissait converser aimablement. Nul ne prêtait attention à la pâleur mortelle qui la gagnait. Elle voulait se dégager, mais les mains de l’homme sur ses épaules semblaient peser une tonne et la clouer au sol. Ses jambes la trahissaient et elle rassemblait toutes ses forces pour ne pas défaillir. Un grand froid montait en elle, la vie la quittait, elle ne pouvait trouver l’énergie de lutter contre ce vide qui l’envahissait. Seuls ses yeux invoquaient un secours qu’elle n’espérait même pas, car ils restaient rivés sur ceux de l’inconnu, envoûtés par ce regard de plomb qui la tenait sous son emprise.
— Je vous laisse, remettez-vous, ce n’est rien. Une dernière chose tout de même. Demain, allez voir votre père.
Et il disparut. Quand elle reprit ses esprits, il n’était plus devant elle. Elle sut qu’elle vivait toujours quand elle sentit deux larmes rouler sur sa joue. Alors là seulement, elle relâcha sa tension et s’autorisa à perdre connaissance. Le monde bascula lentement autour d’elle et à son grand soulagement, tout s’obscurcit enfin.
Quand elle rouvrit les yeux, elle crut que son cauchemar continuait. Une méduse aux multiples têtes la survolait en grimaçant. Elle les referma aussitôt ne pouvant en supporter davantage. Elle entendit un bourdonnement au-dessus d’elle, la bête fondait sur sa proie. Alors elle hurla et se redressa soudain, mue par l’ultime instinct de vie. Elle regarda autour d’elle et découvrit ses compagnons qui venaient de sauter en arrière et la dévisageaient, atterrés et inquiets. Elle retomba et éclata en sanglots.
— Elle a trop bu, elle ne supporte pas l’alcool.
— Mais non, elle est fatiguée, voilà tout.
— Allez, écartez-vous, laissez-lui de l’air.
Ludine pleura son saoul, jusqu’à, lui semblait-il, ne plus avoir de larmes. Elle se calma enfin, elle réclama un verre d’eau qu’elle but d’un trait avant d’en demander un autre. Puis elle articula péniblement.
— Il est encore là ?
— Qui ?
Elle se sentait si lasse qu’elle attendit avant de reprendre
— L’autre, Mago-machin.
Tous se redressèrent et firent du regard le tour de la pièce.
— Ben non, où est-il passé ?
Paul sortit du salon et visita l’appartement. Il ne trouva personne. Il revint dans le séjour pour annoncer que son ami d’enfance s’était éclipsé de façon un peu cavalière. Personne ne prêta attention à lui, et tous questionnaient à présent Ludine pour savoir ce qui s’était passé.
— La dernière fois que l’on t’a vu, tu discutais tranquillement avec lui. Et puis le fracas de ta chute sur le guéridon nous a fait accourir. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Elle raconta tout, ou presque. Elle dit que l’homme voulait l’emmener, mais elle ne savait pas où ni pourquoi. Elle n’avait pas voulu et il l’avait laissée. Après, elle ne se souvenait plus bien, si ce n’est qu’elle était tombée.
— Dis donc Paul, c’est un rapide ton copain. Et il fait un drôle d’effet aux femmes.
C’était Pierre qui, mis sur la touche depuis l’arrivée de l’inconnu, voulait retrouver la vedette. Magali, vexée de la fuite de ses projets immédiats, renchérit :
— Dites voir, vous lui donnez quel âge à votre Don Juan ?
— Trente, trente-cinq, pourquoi
— Et tu as bien vingt-cinq ans, Paul ?
Paul ne comprenant rien à ses questions acquiesça.
— Il devait être sacrément en retard pour être avec toi en CP, tu ne trouves pas ?
Paul ouvrit la bouche, puis aussitôt la referma quelque peu embarrassé par cette évidence. Dans ses yeux, l’incompréhension. Alors une petite voix timide s’éleva :
— Dites, les amis, il est minuit trente-cinq. Le troisième millénaire a commencé sans nous.