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Comment peut-on vivre en paix avec soi-même lorsque l’on est cultivée, ouverte sur le monde moderne, intellectuelle, tout en étant l’épouse d’un dictateur sanglant qui n’hésite pas à sacrifier son peuple pour conserver le pouvoir ? L’épouse du bourreau s’ouvre sur des interactions entre Alma, la femme d’un despote, et sa sœur qui tente de lui faire quitter son mari. Au fil de cet échange épistolaire, Alma prend peu à peu conscience de la véritable nature de son époux. Va-t-elle résister à sa tyrannie ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Gérard Muller est un vrai passionné de littérature qui consacre son temps libre à l’écriture en parcourant ses différents genres, du polar au roman psychologique. Par ailleurs, il anime un atelier littéraire consacré à l’écriture romanesque où il accompagne de jeunes auteurs dans le processus d’édition de leur premier roman. Il a également remporté de nombreux prix littéraires pour ses ouvrages et est membre de la Société des Poètes et Artistes de France et académicien des livres de Toulouse.
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Seitenzahl: 186
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Gérard Muller
L’épouse du bourreau
Roman
© Lys Bleu Éditions – Gérard Muller
ISBN : 979-10-377-9285-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À tous les réfugiés du Moyen-Orient
Qui ont dû fuir leur pays
Sous le joug des tyrans.
Toute révolution est commencée par des idéalistes,
Poursuivie par des démolisseurs
Et achevée par un tyran.
Louis Latzarus
1928
Ma chère Hana,
La lettre que tu viens de m’envoyer pour mon anniversaire m’a comblée, et l’annonce de ta visite prochaine me réjouit au-delà de tout. Tu ne peux pas savoir comme je suis heureuse ici, et à quel point mon mari me gâte. J’ai hâte de te faire partager ma petite vie de Première Dame, mes joies et mes devoirs. Tu vas découvrir notre grand bazar, nos monuments et nos musées, Alep et son effervescence industrieuse et, bien sûr, Palmyre où des siècles d’histoire de notre pays nous contemplent. Nous allons nous régaler pendant les deux semaines que tu as prévu de passer avec nous.
Tu verras aussi comment mes trois enfants ont grandi. Hafiz a maintenant 18 ans et il ressemble de plus en plus à son père. Zin est plus taciturne et notre dernier, Katim, possède toute l’énergie de son grand-père paternel. Eux également sont promis à un grand avenir, et j’espère de tout mon cœur qu’ils réussiront dans la vie, tout comme nous. Je pense que Zin deviendra médecin, comme notre père, qu’Hafiz fera un excellent ministre, mais que le véritable successeur de Bastar, Inch’Allah, sera Katim qui a déjà l’ascendant sur ses frères.
Ici, la vie se déroule à l’orientale, loin de l’agitation frénétique de Londres. Les gens marchent plus lentement, les affaires demandent de nombreuses palabres avant d’être conclues, et les prières rythment la journée comme autant d’étapes nécessaires à son bon déroulement, ce dans une quiétude de chaque instant. Tu sais que je n’étais pas vraiment croyante lorsque nous vivions en Angleterre, mais je le deviens de plus en plus, portée par la ferveur de mon peuple et toute la sagesse de l’Orient. J’ai l’impression que Dieu veille sur nous et qu’il organise le paradis sur terre qu’est devenue la Syrie. Tout y est fait pour la satisfaction morale, intellectuelle et économique de notre pays, et mon mari Bastar s’y emploie jour et nuit avec toute l’énergie qui le caractérise.
Je te ferai aussi découvrir les vallées vertes du croissant fertile qui n’ont rien à envier à la campagne anglaise. Nous y dégusterons nos kebabs, la fetté, et surtout ton dessert préféré : la basboussa arrosée avec de l’eau de la fleur d’oranger. Attends-toi à prendre quelques kilos que nous allons essayer de perdre au hammam, mais sans qu’il y ait trop de miracles en la matière. J’ai moi-même un peu grossi, bien que je fasse très attention à ma ligne, Bastar ne désirant pas que je me transforme en une de ces matrones que l’on voit assises sur le pas de leur maison. Il me réprimande gentiment à ce sujet, mais je sais très bien qu’il pourrait être plus sévère si je me laissais aller.
Je commence alors à compter les jours qui nous séparent de nos retrouvailles, et je suis heureuse que tu te sois enfin décidée à venir ici. Je suis sûre que mon mari t’accueillera avec tout le faste oriental, et qu’il fera tout pour que ton séjour soit le plus agréable possible.
Je t’embrasse très fort,
Ta chère sœur, Alma
Chère Alma,
En lisant ta lettre, je me réjouis encore plus de vous revoir après toutes ces années pendant lesquelles mes occupations ne m’ont pas permis de venir à Damas. J’ai hâte de rencontrer tes enfants qui ont dû bien changer, et qui sont maintenant presque des hommes, si j’en crois ce que tu me dis d’eux.
Je suis curieuse aussi de pouvoir approfondir mes relations avec ton mari que je ne connais, finalement, qu’assez peu. Ses nombreuses activités ne nous ont pas laissé le temps d’échanger, et j’espère que nous pourrons discuter tous les trois de notre pays bien-aimé. Pouvoir débattre avec un chef d’État n’est pas donné tous les jours, et j’avoue que j’aimerais bien m’entretenir avec lui de la situation du Moyen-Orient en général, et de celle de la Syrie en particulier. À l’heure des printemps arabes, à l’heure des bouleversements que connaît le monde islamique, je souhaiterais qu’il puisse m’éclairer sur l’avenir de notre pays, et sur le futur de ce coin de la planète qui fait autant parler de lui. Comment voit-il la confrontation entre les traditions ancrées au plus profond de notre culture et l’avènement du numérique, est une question que j’apprécierais de discuter avec lui. Depuis Londres, et malgré mes contacts avec la diaspora, il m’est difficile de me faire une idée qui sorte des clichés que je peux lire dans la presse ou entendre dans les salons. Je suis persuadée que les sociétés islamiques doivent évoluer et que, notamment, la femme doive jouer un rôle important dans cette transition. C’est aussi un des points que je souhaiterais discuter avec vous deux : comment va-t-il œuvrer dans ce sens, afin que les Syriennes deviennent plus indépendantes, et plus maîtresses de leur destin ?
Au-delà, j’espère également retrouver la complicité qui nous liait toutes les deux, lorsqu’adolescentes nous partagions les mêmes rêves, les mêmes ambitions et les mêmes illusions. La vie nous a séparées pour nous faire sillonner des chemins différents, et j’ai hâte de savoir comment elle peut nous réunir à nouveau dans cette connivence qui faisait que, quelquefois, nous avions l’impression de ne faire qu’une quand nous jouions dans le jardin de la maison familiale.
Je pense aussi à nos parents disparus qui seraient certainement ravis de savoir que nous nous retrouvons sur leur terre natale, et de voir que les valeurs qu’ils nous ont inculquées sont toujours présentes et nous guident tous les jours dans nos choix. J’ai une pensée pour eux, et suis émue à l’idée d’aller fleurir leur tombe en ta compagnie. Ce sera, j’en suis sûre, un moment privilégié, une sorte d’eucharistie que nous allons partager.
Sais-tu que j’ai commencé à préparer mes valises, bien que mon vol ne parte que dans une semaine, et qu’elles sont déjà pleines ? Il va me falloir faire des choix, et ne sélectionner que l’essentiel. Dans ma quête, j’oublie souvent que l’on trouve de tout en Syrie et que, de toute façon, la position de ton mari me permettra d’accéder à l’ensemble de mes désirs.
Voilà, à J-7, je t’embrasse, ma chère sœur, et je compte les jours qui nous séparent.
Hana
Ma chère Hana,
De mon côté aussi les préparatifs à ta venue vont bon train. J’ai organisé, dans une aile de la résidence présidentielle, un appartement rien que pour toi, isolé du reste du bâtiment. Tu y trouveras tout ce dont tu peux rêver et tu ne seras pas dépaysée par rapport à Londres. Deux personnes te seront attachées, deux caméristes qui maîtrisent la langue anglaise – ne sachant pas si tu as encore des souvenirs de l’arabe que nous parlions un peu à la maison –, et qui combleront le moindre de tes désirs. Tu bénéficieras alors de tout le confort moderne, de toute ton indépendance, et nous ne serons séparées que de quelques mètres.
J’ai aussi finalisé le programme des visites que je souhaite partager avec toi. Tout est réservé : les voitures officielles, la sécurité, les guides, les haltes et les hôtels. Tu auras ainsi un aperçu assez fouillé de notre Syrie que, finalement, tu ne connais pas, à part sa capitale. Tu verras, c’est un pays formidable : un pays de contraste, entre modernité et tradition, mais un pays attachant avec une population qui croit en son avenir et entièrement dévouée à Bastar, son président bien-aimé. Tu seras étonnée de l’aura et de la popularité de mon mari.
Par contre, il est très occupé en ce moment, une petite rébellion ayant éclaté à Deraa. Il lui faut y répondre rapidement pour éviter toute propagation, et j’ai peur qu’il n’ait pas beaucoup de temps à te consacrer pour les discussions que tu souhaites partager avec lui. Nous en serons d’autant plus libres pour visiter ton pays que j’ai hâte de te faire découvrir et passer des journées entières ensemble dans une complicité retrouvée.
J’ai pu avoir quelques informations confidentielles sur le spectacle que te préparent les enfants. Il s’agirait d’une petite pièce de théâtre basée sur le conte qui s’appelle : « la fille du génie » et que tu connais peut-être (je crois me souvenir que maman nous l’a raconté une fois). L’histoire se passe au sein des caravanes qui partent vers l’Inde. Il ne m’étonnerait pas qu’ils aient demandé à leur père de bénéficier de quelques vrais chameaux pour illustrer leur fable. Bastar ne leur refusant rien, papa gâteau comme il est, il a très bien pu accéder à leurs désirs, même les plus fous. Enfin, je ne t’en dis pas plus, car je souhaitais simplement te mettre l’eau à la bouche.
Dire que dans cinq jours tu seras à mes côtés, je n’en reviens pas. Je compte les heures et toutes mes pensées se préparent à ta venue, et aux moments que j’ai hâte de partager avec toi.
Ton Alma bien-aimée
Chère Alma,
Je viens d’annuler mon voyage à la dernière minute, compte tenu des événements qui se déroulent en Syrie. Je me sens dans l’impossibilité d’y arriver tant que la situation ne sera pas devenue plus calme. Ces révoltes populaires à Deraa me perturbent et je ne comprends pas que l’on s’en prenne à ces enfants qui ont scandé quelques paroles contre le régime.
Elle semble loin l’époque où toi et ton mari présentiez une certaine modernité et plaidiez pour une ouverture vers plus de démocratie et de liberté. J’ai l’impression que l’histoire se répète et que ton homme commence à se comporter comme son père, en massacrant des innocents. Alors que ces pauvres gosses essaient de s’exprimer dans la joie et l’espérance de leur jeunesse, les voilà réduits au silence, aux geôles ignobles du régime quand ils ne sont pas exterminés. Il est nécessaire que tout cela cesse très vite avant que notre pays chéri ne se transforme en un bain de sang.
Je ne comprends pas comment toi, universitaire et femme moderne, tu peux supporter cela sans réagir. Aussi, j’escompte que tu accomplisses tout ton possible pour tenter de faire revenir Bastar à la raison. Il faut libérer la parole, ouvrir les vannes de la liberté au lieu de tout verrouiller, car, tôt ou tard, tout cela explosera.
Rassure-moi donc, confirme-moi que tu t’efforces à influencer ton mari pour qu’il ne se lance pas dans une répression sanglante. Si tel n’est pas le cas, alors tu n’es plus la grande sœur que j’ai connue, que j’ai admirée au point d’essayer de l’imiter, mon aînée qui a toujours été un guide à la fois spirituel et moral.
Sois persuadée que c’est avec un immense regret que j’ai pris la décision d’annuler mon voyage, mais je l’ai fait sur la base des valeurs que nous ont enseignées nos parents, sur les idéaux dont je te croyais imprégnée et, que tu le veuilles ou non, sur tout ce que nous avons partagé jusque-là.
En espérant une réponse qui correspond à ce que j’attends, et que notre rencontre ne soit que partie remise.
Je t’embrasse très fortement.
Hana, ta sœur bien-aimée
Ma chère Hana,
Ta lettre m’a complètement anéantie, moi qui me réjouissais tant de ta venue et des complicités que nous allions partager. J’avais déjà tout organisé et les enfants se faisaient une joie de t’accueillir. Ils vont être horriblement déçus de ne pas pouvoir jouer la saynète préparée à ta seule gloire.
Tu parles d’événements inacceptables, alors qu’il ne s’agit que d’une petite révolte de gamins manipulés par des terroristes. Des gens qui souhaitent tout simplement la chute du régime pour installer un gouvernement islamiste basé sur la charia. Il est nécessaire de mettre très vite fin à tout cela, si nous ne voulons pas que la Syrie devienne un nouvel Iran administré par des fondamentalistes religieux qui ne désirent rien d’autre que de faire retourner notre beau pays dans le Moyen Âge.
Vu de Londres, tu ne peux pas comprendre la situation, et tu es sous l’influence de médias gauchistes. Aussi, la meilleure façon pour te faire une idée serait de venir et de juger sur place, par toi-même, loin des préjugés occidentaux qui sont forcément biaisés. D’ailleurs, la révolte est maintenant presque contenue et nous n’aurions couru aucun risque en décidant de réaliser le programme que j’avais organisé.
Sache que Bastar est furieux contre toi, et qu’il ne saisit vraiment pas ta position. Es-tu réellement Syrienne, ou bien es-tu devenue une de ces Européennes qui ne comprennent rien aux subtilités moyen-orientales ? Je te répète ce qu’il m’a dit mot pour mot. Je ne lui ai opposé aucun argument, car je partage son point de vue et lorsqu’il se met dans ces états, je dois avouer qu’il me fait un peu peur.
J’espère de tout mon cœur que ma lettre te fera changer d’avis, et que tu puisses prendre le prochain avion. Encore une fois, je te demande de venir analyser la situation avec tes propres yeux, et non pas d’écouter tous les mensonges racontés par la presse.
En attendant de te voir très rapidement, je t’embrasse.
Ton Alma
Chère Alma,
J’ai bien fait de ne pas t’écouter, car la situation à Deraa s’est nettement aggravée. Comment ce régime a-t-il pu torturer ces enfants entre 10 et 16 ans à coups de câbles électriques, et ce jusqu’à arracher leurs ongles ? C’est totalement inadmissible. Et quand le gouverneur requiert à leurs pères d’oublier leur progéniture, car leurs femmes leur en feront d’autres, on est dans la pure barbarie, et encore je pèse mes mots !
Où est le Bastar que j’ai connu ? Où est le timide ophtalmologue qui est venu demander ta main à nos parents en bégayant et en rougissant ? Le docteur éduqué cachait-il déjà un tyran encore plus démoniaque que son père ? Je me souviens maintenant que, au cours de nos conversations, son visage pouvait changer brusquement, que ses mâchoires se crispaient lorsqu’il n’était pas d’accord avec moi. Il devait ainsi contenir une colère qui ne demandait qu’à se libérer. Le gentleman raffiné dissimulait déjà un voyou ! Un bourreau !
Mais ce qu’il me fait le plus de peine, c’est toi. Tu ne peux pas autoriser cette situation, ou alors, je ne te reconnais plus, comme si tu avais subi le pire des lavages de cerveau. Suppose que ce soient tes fils qui aient été torturés ! Accepterais-tu ceci ? Ne te révolterais-tu pas, comme ces mères et ces pères de famille ?
Tu peux me donner tous les arguments que tu veux, jamais je ne pourrai approuver ces crimes. C’est une question d’humanité, tout simplement. On ne peut pas les cacher derrière un prétendu terrorisme islamique, alors que tous ces gens ne demandent qu’un peu plus de liberté.
La seule vérité est que le clan Asrad essaie par tous les moyens de se maintenir au pouvoir, de conserver ses privilèges, quitte pour cela à massacrer son peuple. Et toi, tu te fais complice de ce crime en ne disant rien, et en épousant les arguments de ton mari.
S’il te reste un peu d’humanité, je t’en prie, montre-moi que tu résistes, que tu tentes de tout ton cœur d’influer sur la politique de ton conjoint, que tu sois à nouveau celle que j’ai toujours connue et appréciée. Alors, dans ces conditions, je pourrais peut-être envisager de venir vous voir.
Une autre solution serait que tu partes pour Londres pour que nous en discutions en tête à tête. Tu peux même arriver avec tes enfants, je me ferais une joie de les accueillir et d’échanger avec eux.
Dans l’attente de ta réponse, je t’embrasse avec tout ce qui me reste de mon affection.
Hana
Mon Hana adorée,
J’ai essayé de comprendre tes arguments, et, sur cette base, de persuader Bastar d’être plus humain dans sa gestion de la situation à Deraa. Je l’ai supplié de toutes mes forces de ne pas s’attaquer aux enfants et à leurs familles. Il est devenu complètement fou de rage et m’a fait une scène comme il ne me l’avait jamais fait. C’est tout juste s’il ne m’a pas battue, avant de redevenir lentement plus doux et plus aimant.
Il m’a alors expliqué la situation. D’après ses services secrets, il y a bien une mouvance islamiste très puissante derrière les révoltes de Deraa. Les enfants et leurs parents sont en fait les otages de ces fondamentalistes qui veulent imposer la charia comme seule constitution en Syrie. Si le gouvernement lâche du lest, il donne raison aux insurgés et, par là même, adoube les partisans d’Al-Qaïda. Ce sera alors la fin de notre douce patrie, et un retour vers l’obscurantisme.
Si ce sont les enfants qui payent le prix, la faute en revient aux fous de dieu qui les ont envoyés en première ligne, car ce sont eux les vrais responsables de cette situation. Le régime n’a qu’un seul but : rétablir le calme et faire régner l’ordre pour le bien de tous. Mon mari m’a convaincue qu’il avait raison et qu’il n’y avait pas d’autre échappatoire si l’on veut arrêter l’anarchie.
Tu sais, gouverner un pays n’est pas chose facile, et demande quelquefois des sacrifices. Le monde n’est pas idéal, et il faut savoir être pragmatique, même si c’est difficile et, dans certains cas, inhumains. Quand je vois toute l’énergie qu’il dépense pour notre Syrie bien-aimée, tout le mal qu’il se donne pour qu’elle soit prospère et apaisée, je suis sûre qu’il fait les choses pour le mieux. J’en suis totalement convaincue lorsque j’observe la ferveur que son peuple lui renvoie à travers toutes les manifestations de soutien qu’il reçoit, et de la part de toutes les tranches de la population. Cette vénération ne peut pas s’adresser à un homme mauvais.
Je ne sais pas comment il a fait, mais il a pu lire dernièrement tes dernières lettres que, pourtant, j’avais dissimulées dans un tiroir secret de mon écritoire. Du coup, il s’est remis en colère, et ce, devant les enfants qui ne savaient plus quelle attitude prendre. Tu ne peux pas imaginer comment il t’a traitée, quels termes il a employés envers toi et tous les opposants bien à l’abri en Occident. J’en ai eu honte pour toi, et n’ai pas su quoi dire. Aussi, ai-je l’interdiction de quitter le pays pour aller te voir à Londres et, tu t’en doutes, ta visite n’est pas du tout jugée opportune. En d’autres termes, l’entrée dans notre patrie t’est proscrite jusqu’à nouvel ordre.
Nous qui avions décidé de ne pas utiliser les mails pour correspondre, voilà que nos lettres sont découvertes. Mais comme il n’est pas question que nous arrêtions tout échange, je te prie d’envoyer tes missives à l’adresse indiquée en annexe à cet envoi. La personne qui les recevra est sûre, je te le garantis, et elle me les fera parvenir en toute discrétion. J’utiliserai le même canal pour continuer à débattre avec toi.
Je suis si triste à l’idée de ne pas te revoir de sitôt. Il est vraiment temps que toute cette histoire se termine. Aussi, je te demande de poursuivre nos discussions épistolaires, car, dans mes moments de doute, ils constituent pour moi une sorte de bouée qui me permet de sortir la tête hors de l’eau.
Je t’embrasse de toutes mes forces.
Ton Alma chérie
Chère Alma,
Ton mari est encore pire que je le soupçonnais. Non seulement il attaque son propre peuple, mais il t’espionne et limite ta liberté. Il serait temps que tu te réveilles ma belle, et que tu t’affranchisses de lui. Je sais bien que tu es coincée par tes enfants que tu aimes par-dessus tout, mais, si tu te laisses faire, tu vas tout perdre : ta liberté, ton honneur et peut-être même ta vie ! Réagis, je ne sais pas comment, mais réagis vite, je t’en supplie.
La situation à Deraa est loin de se calmer si j’en crois la diaspora et les canaux d’information non gouvernementaux. La police tire maintenant à balles réelles, et on dénombre déjà entre 50 et 100 morts. De plus, la révolte commence à se propager vers d’autres villes, comme Al-Sanamayn. Il se dit à Londres et en Europe que ce n’est que le début et tout porte à considérer que les émeutes vont gagner tout le pays.
Le régime peut alors tomber rapidement, car la communauté internationale ne pourra plus le soutenir longtemps dans ces conditions. As-tu envie de finir comme Marie-Antoinette, guillotinée ? Désires-tu revêtir le manteau du déshonneur jusqu’à la fin de ta vie ? Que tes fils soient bannis à jamais ?