Tous les chemins de vie descendent du ciel - Gérard Muller - E-Book

Tous les chemins de vie descendent du ciel E-Book

Gérard Muller

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Beschreibung

Lors du vol AF 4020 au-dessus de l’archipel des Moluques en Indonésie, Léa, hôtesse de l’air, est éjectée de l’avion durant une violente tempête. Elle atterrit miraculeusement dans la jungle, attachée à son siège suspendu dans les arbres. Après avoir trouvé la terre ferme, elle rencontre un ermite, déclenchant ainsi une aventure épique. Cette histoire mêle exploration de la forêt indonésienne, découverte de cultures locales et des enjeux géopolitiques, tout en dévoilant la beauté de la nature et les défis auxquels les personnages sont confrontés.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Gérard Muller, membre de la Société des Poètes et Artistes de France, académicien des livres de Toulouse, s’inspire de son rôle en tant qu’animateur d’un atelier littéraire. Il guide de jeunes auteurs vers la publication de leur premier roman, enrichissant ainsi son propre style d’écriture. Il a également remporté plusieurs prix littéraires pour ses poèmes, nouvelles et romans.

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Seitenzahl: 267

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Gérard Muller

Tous les chemins de vie

descendent du ciel

Roman

© Lys Bleu Éditions – Gérard Muller

ISBN : 979-10-422-1396-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Patricia,

qui m’a inspiré ce roman

Nous sommes libérés de ce que nous acceptons, mais nous sommes prisonniers de ce que nous refusons.

Swami Prajnanpad

Partie I

Léa

Chapitre I

— Le passager du siège 3A n’arrête pas de me draguer ! Il a beau être charmant, joli garçon et bien élevé, je le trouve un peu lourd. Il m’a même proposé un rendez-vous à Nouméa. Que dois-je faire ? Qu’en penses-tu ?

En me préparant dans le galley, je m’adresse à ma cheffe de cabine qui me répond sur un ton sans équivoque :

— Tu fais ce que tu veux ! Tu es assez grande, non ! Ce n’est pas la première fois que cela t’arrive !

Je continue de m’occuper de mon chariot d’apéritifs, tout en poursuivant mon questionnement :

— Écoute, il me plaît, mais j’aimerais connaître ton avis. Essaye de lui parler pour voir ce qu’il a dans le ventre.

— Il a tout ce que les hommes ont dans leur ventre ! Surtout vers le bas ! Ne crois-tu point ?

Comme mon visage se pare d’un rictus désappointé, elle ajoute d’un ton moins ironique :

— Bon, je te promets de lui adresser la parole. Je trouverai bien un prétexte. Pour le moment, servons l’apéro.

Nous poussons ainsi notre chariot respectif pour le placer dans l’allée. Celle de gauche pour moi, et celle de droite pour Françoise, ma cheffe lors de cette traversée au-dessus de l’Indonésie. Préposées à la classe affaires, nous n’avons que six rangées sous notre responsabilité, soit douze passagers chacune. Nous avons donc le temps de répondre au moindre désir de notre clientèle, sachant que celle-ci doit être soignée avec attention. Il en va de l’image de la compagnie Air France auprès des entreprises qui l’utilisent en priorité, et qui représentent sa principale source de bénéfices.

Pour l’instant, le vol s’est déroulé sans problème, à l’exception d’une petite zone de turbulences au-dessus de la mer qui, heureusement, a été franchie rapidement. Il reste encore plus de cinq heures avant d’atterrir dans la capitale de la Nouvelle-Calédonie où les prévisions météo sont annoncées excellentes. De quoi agrémenter le séjour de l’équipage pendant les deux jours en attendant le vol retour. Au programme, farniente, piscine, plage, et plongée pour les afficionados.

— Que désirez-vous boire pour l’apéritif ? demandé-je à la femme qui occupe le fauteuil 1A. Une Américaine, au tailleur strict et au chignon impeccable. Certainement une avocate ou une banquière qui ferme son ordinateur portable pour que j’ordonnance la nappe blanche reposant sur la tablette rétractable.

— Un verre de champagne, s’il vous plaît.

J’ouvre une bouteille de Heidsieck, en tenant d’une main ferme le bouchon pour que le précieux liquide ne s’évade pas dans la cabine. L’opération, particulièrement délicate compte tenu de la basse pression régnant dans l’habitacle, s’avère une réussite pour ma plus grande satisfaction. Une coupe est alors remplie au trois-quarts avant d’être posée avec élégance sur le tissu. Elle est ensuite accompagnée de plusieurs ramequins comprenant amandes grillées et biscuits salés.

— Ce sera tout ? m’enquiers-je avec mon sourire numéro un. Le plus commercial.

— C’est parfait, répond la passagère en se mettant plus à l’aise.

Je me dirige ainsi, siège 1B, de l’autre côté du couloir. Il est occupé par un gros Australien dont le regard n’a pas décollé de son écran depuis le départ de Singapour. Casque audio sur les oreilles, visage couperosé, vêtu d’un polo qui met en valeur une bedaine généreuse, il continue à contempler son film tandis que je me soucie de lui. D’un signe de la main, il désigne la bouteille de bourbon dont une partie non négligeable rejoint le verre proposé. À peine l’apéritif est-il posé sur sa tablette que l’homme a déjà avalé la moitié du contenu des ramequins et vidé le quart de son breuvage. L’appétit d’un chasseur-cueilleur en mal de nourriture ! songé-je, amusée.

Les fauteuils 2A et 2B sont occupés par un couple de Brésiliens, à entendre leur accent portugais. La quarantaine, bronzés, le sourire affable, ils n’ont pas arrêté de discuter et de minauder depuis le décollage, à croire qu’ils ne s’étaient pas vus depuis des mois, ou qu’ils sont jeunes mariés.

— Du champagne pour nous deux ! s’exclame l’homme d’un ton joyeux, tandis que je prépare les nappes.

Il s’empresse d’ajouter :

— Nous adorons la France, ses vins, ses fromages et sa culture ! Savez-vous que la devise du Brésil – Ordre et Progrès – a été dictée par un de vos philosophes ? Auguste Comte, pour ne pas le nommer !

Son épouse en profite pour renchérir à voix basse, alors que je suis penchée sur elle :

— Cela nous change des Asiatiques ! Heureusement, nous allons retrouver un peu votre pays en visitant la Nouvelle-Calédonie !

J’évite de répondre, n’ayant aucune envie d’entrer dans une discussion trop longue et me devant de rester neutre, mais je m’oblige à répliquer quelque chose de positif de préférence :

— En tout cas, je vous souhaite un bon séjour à Nouméa. Avez-vous pu étudier le menu ? Vous satisfait-il ?

— Oui, tout à fait ! Nous prendrons le poisson et, bien sûr, le plateau de fromages !

— Excellent choix ! Je le note.

J’arrive maintenant devant le siège 3A. Occupé par mon admirateur qui n’a pas arrêté de me dévisager pendant tout le début de son service. L’impression d’être déshabillée littéralement du regard, de subir un entretien d’embauche s’apparentant à celui que j’ai dû passer pour intégrer la compagnie aérienne.

— Vous voilà enfin à moi ! s’exclame-t-il en guise d’introduction tout en arborant un sourire digne de Tom Cruise, avec de longues fossettes qui tombent jusqu’à son menton.

— Qu’est-ce que je vous sers ? Champagne ?

— Quoi de mieux que du champagne pour se connaître un peu plus !

L’homme ne bouge pas d’un cil lorsque je me penche pour lisser la nappe, m’obligeant à des contorsions afin d’éviter de le toucher. Tandis que sa bouche se trouve au plus près de mon oreille gauche, il murmure :

— J’adore votre parfum ! Mademoiselle Coco de Chanel, je présume !

— Vous présumez bien, réponds-je en me relevant et en l’observant un peu mieux.

De près, il ressemble encore plus à mon acteur fétiche. Il en épouse cet air très classe avec, en même temps, des soupçons de fantaisie dans une chevelure coiffée décoiffée et une barbe de trois jours. De quoi séduire la majorité des femmes, pensé-je. Et pourquoi pas moi ?

— Alors pour ce rendez-vous à Nouméa, avez-vous réfléchi ? demande-t-il, tandis que je remplis son verre de champagne.

Je ne sais pas pourquoi, mais je dépasse la dose officielle pour arriver presque à ras bord. Un début de favoritisme, ne puis-je m’empêcher de méditer.

— Je verrai si je n’ai rien d’autre à faire !

— C’est gentil, ça ! Je passe en dernier ! Après les autres ! Vous m’en voyez très déçu, j’espérais beaucoup mieux !

Le charme dégagé par le sosie de l’acteur américain opère une nouvelle fois. Une sorte d’attraction magnétique contre laquelle je n’arrive pas à lutter, malgré mon intention. Alors, je m’entends dire :

— OK, je vous promets d’honorer votre rendez-vous… mais en terrain neutre, bien sûr !

— Ah, je savais bien que vous alliez finir par accepter ma proposition. Demain, à 11 heures, devant le phare de la Baie des Citrons, ça vous va ?

— D’accord ! Je vois très bien où c’est. Pas très loin de notre hôtel. Désirez-vous autre chose pour l’apéritif ?

Un sourire éloquent me répond, et je crois deviner le mot « vous » se dissimuler dans les prunelles coquines de l’homme.

Je suis sur le point de passer au fauteuil 3B, lorsque le haut-parleur annonce :

— Ici, le commandant de bord qui vous parle. Nous entrons dans une zone de turbulences très active. Je vous demande alors d’attacher tout de suite votre ceinture de sécurité et de relever votre tablette, une fois que le personnel de cabine l’aura dégagée. PNC, débarrassez tout, et rejoignez vos places au plus vite.

Chapitre II

Au grand dam des passagers, je me hâte de remettre dans mon chariot, verres, ramequins et nappes que je venais d’installer. Je laisse néanmoins à mes clients le soin de finir rapidement l’apéritif qu’ils avaient entamé.

À peine ai-je ramassé la dernière coupelle qu’une première secousse traverse la cabine. Une secousse plus longue que d’ordinaire, annonciatrice d’une interminable série de convulsions. Alors, je m’empresse de placer mon chariot dans un des compartiments et de le verrouiller. Je peux ainsi enfin m’asseoir sur mon fauteuil et me harnacher en serrant les courroies de sécurité à leur maximum. Je suis rejointe par ma cheffe qui imite ma gestuelle, dans un processus bien rodé lors des exercices de simulation opérés au sol.

— Il paraît qu’on va entrer dans une série d’énormes cumulus. Impossible de les contourner, d’après le copilote ! s’exclame la responsable de cabine, après avoir vérifié une dernière fois son harnais, et s’être entretenue au téléphone avec le poste de pilotage.

— Je n’aime pas ça ! réponds-je, en me remémorant un vol Paris-Santiago du Chili particulièrement agité.

— T’inquiète pas, notre commandant de bord est un as. Un des meilleurs d’après les rumeurs.

Du coup, je tends mes ceintures de sécurité à leur maximum, me redresse sur mon siège, crispe un peu plus les muscles de mes fesses, et me cramponne au tissu, prête à entrer dans la lessiveuse.

Une nouvelle secousse fait trembler la structure, suivi d’une succession de soubresauts de plus en plus prononcés. Nous nous sentons ainsi brinquebalées de droite à gauche et de bas en haut, entraînées dans une machine à laver qui serait devenue complètement chaotique.

Soudain, un trou d’air ! Un trou d’air qui se prolonge. Tout vole dans la carlingue : de la vaisselle restante, des magazines, quelques couvertures et même une valise qui va s’écraser sur une cloison en la déchirant. Une bouteille d’eau en profite pour visiter le plafond avant de s’affaler sur ma veste qui s’en trouve entièrement trempée.

Une longue chute libre qui place l’ensemble des passagers en apesanteur. Des cris se propagent dans toute la cabine. Des cris stridents, paniqués, désespérés. Je croise les doigts, comme si je possédais le pouvoir d’arrêter ce lave-linge devenu fou et qui envoie tout valdinguer !

La dégringolade continue, aspirée par un énorme vortex, tandis que les hurlements redoublent. Et les pilotes qui ne disent rien ! Ils doivent être trop occupés à tenter de redresser l’appareil. Nous, les deux hôtesses, essayons de nous donner une contenance en forçant un sourire dans lequel chacun peut lire une panique à peine dissimulée.

La descente aux enfers s’arrête aussi brutalement qu’elle avait démarré. Je me trouve compressée sur mon siège, et dois peser plusieurs fois mon poids. La structure de l’avion ne peut pas résister à une force pareille ! songé-je en me plaçant dans une position fœtale, comme pour me protéger au sein du ventre maternel.

L’aéronef semble alors avoir récupéré une certaine horizontalité, et les hurlements s’estompent, portés par un vent d’espoir qui traverse la cabine. C’était sans compter sur les éléments. Le tambour de la lessiveuse reprend de plus belle. Ballottés, bousculés, malmenés, les passagers ne sont plus que des pantins entraînés dans une ronde infernale, soumis à la volonté d’une essoreuse devenue complètement démente.

Une nouvelle chute. Encore plus longue. Ponctuée de soubresauts désespérés, comme si l’avion tentait de résister dans des sursauts pathétiques. La cabine n’est plus qu’un immense cri qui la parcourt dans toutes ses dimensions. Toutes les hôtesses sont maintenant plus qu’inquiètes. Paniquées. Mais surtout, ne pas le montrer, serrer mon postérieur en attendant que cela passe. Prier aussi. Nous n’avons jamais connu de telles turbulences. Même dans les simulateurs de vol. Même au-dessus de l’équateur.

L’appareil semble se redresser, se cabrer comme un cheval devant un obstacle. Un vent d’espoir remplit alors l’habitacle. Un zéphyr très vite remplacé par un énorme craquement. Toujours amarrée à mon fauteuil, je me sens aspirée par un ouragan. Mon siège et moi entamons ainsi une série de loopings dans ce que je pense être une soufflerie. L’air me fouette les joues, installe le chaos dans ma coiffure, soulève ma jupe, et me gèle tant il est glacé. Ma respiration recherche désespérément l’oxygène qui me manque. Avant de m’évanouir, j’ai juste le temps de remarquer que je ne me trouve plus dans l’avion, mais que je tombe au milieu des nuages, complètement trempée et transie.

***

Une éternité plus tard, je me réveille lentement. Sonnée, le cerveau en vrac, j’ouvre les yeux pour découvrir un nouvel horizon. Toujours amarrée à mon fauteuil miraculeusement retenu par une branche à cinq mètres du sol, je me trouve entourée d’une végétation aussi dense que les cumulus que je viens de quitter. Une sorte de houle aux tons émeraude, aux effluves de sous-bois, remplie du chant des oiseaux qui semblent heureux d’accueillir un humain.

Alors, j’actionne mes membres un par un, pour constater qu’ils se meuvent sans douleur, hormis quelques courbatures. Un rapide examen du reste de mon corps m’indique qu’aucune trace de sang n’est apparente, à l’exception d’une légère griffure sur ma joue gauche. Mes vêtements sont en lambeaux, mes chaussures ont disparu, mes bas sont filés, mais l’ensemble de mes os et de mes organes sont en place.

Je commence peu à peu à me rendre compte de ma mésaventure. L’avion s’est disloqué, il n’a pas supporté la tempête. À moins que les pilotes n’aient été impuissants à le contrôler. J’ai dû être éjectée, toujours attachée à mon siège, pour me retrouver dans l’atmosphère. Heureusement, l’aéronef n’était sans doute plus à 10 000 mètres d’altitude, sinon j’aurais été asphyxiée par le manque d’oxygène, ou serais morte de froid avec une température de l’air extérieur de – 56 °C, même à cette latitude.

Une panique tardive s’empare alors de mes sens. Les battements de mon cœur s’accélèrent lorsque je prends conscience de la chance que j’ai eue. Survivre à un tel accident d’avion ! Être certainement la seule rescapée. Avoir atterri dans une forêt vierge après une chute de plusieurs milliers de mètres et avant de s’être posée sur la canopée, mon fauteuil coincé dans une branche, tout en étant retenue par ses sangles.

Soudain, un oiseau multicolore s’installe en face de moi, à moins d’un yard. Intrigué, il observe cette intruse en dodelinant de la tête, comme s’il souhaitait entrer en conversation. Il entame alors une sorte de mélopée, en ouvrant son bec crochu. Certainement un perroquet, me dis-je. Cette présence me rassure un peu. Peut-être un heureux présage. Le signe que je ne serai pas totalement perdue dans cette immensité vierge, et que j’y serai accueillie.

Le volatile, sans doute déçu par le manque de conversation de cet être bizarre, s’envole d’un simple coup d’aile. Je me retrouve ainsi seule face à moi-même. Avant toute chose, essayer de se libérer du siège pour rejoindre la terre ferme. Alors, en bonne hôtesse de l’air, je réfléchis avant d’agir avec trop de précipitation. Si je dégrafe la ceinture de sécurité, et les bretelles qui la maintiennent solidement accrochée au fauteuil, je risque de chuter lourdement. Avant tout, trouver un appui. Ensuite, imaginer le chemin que je vais emprunter branche après branche pour récupérer le sol.

Je me sens enfin prête. La main gauche fermement arrimée à une ramure, le pied droit soutenu par une autre, je peux défaire le système de sécurité. Les sangles, tout à coup libérées, se rétractent pour se recroqueviller sur le siège en émettant un son métallique. Mon autre pied rejoint alors le premier et, satisfaite, je peux entamer ma descente. Heureusement, l’arbre a eu l’intelligence de pousser avec régularité et de n’être pas trop touffu, m’offrant une sorte d’escalier naturel. Aussi, avec force et précautions, j’exécute la chorégraphie imaginée, mètre après mètre, avant de me retrouver sur un tapis d’humus couvert de feuilles mortes.

Là, debout, la respiration calmée, j’effectue une nouvelle inspection de mon corps. Je n’aperçois rien, à l’exception de cette égratignure poisseuse à la joue. Rassurée, priant pour ne rencontrer aucun serpent, j’entreprends de visiter mon environnement immédiat. J’avance alors pieds nus, posant délicatement chaque voûte plantaire sur un matelas de matière en décomposition, observant le moindre détail, avant de constater que tout se ressemble, et qu’aucune clairière ne se profile à l’horizon.

Un énorme poids tombe dès lors sur mes épaules. Après la chance incroyable d’avoir survécu à un tel crash, vais-je disparaître à jamais dans cette jungle inextricable ? Impossible ! Les éléments ne peuvent pas avoir imaginé un pareil scénario ! Ou alors, ils sont encore plus machiavéliques que le Diable en personne ! Non, il doit y avoir une échappatoire, et c’est à moi de la découvrir !

Chapitre III

Faire le point, mais il est vite fait ! Je ne possède plus aucune affaire personnelle, pas de chaussures, mes vêtements sont en lambeaux, et je me trouve perdue au milieu d’une forêt vierge aussi humide que dense, dont les effluves de moisi dégagés saturent mon odorat. En plus, la clarté décline très vite, et quelques gouttes de pluie commencent à tomber. Seule perspective positive : une température clémente, presque chaude, dans ce hammam naturel.

Première action à entreprendre : repérer un abri pour la nuit. Alors, je me fie au hasard, ayant cru apercevoir un halo plus pâle sur ma droite. Je me dirige vers lui, pour constater que j’ai été victime de mon imagination, c’était juste un jeu de lumière. La jungle est toujours aussi compacte, organisée en étages successifs : tapis de fougères sur le sol, arbustes au-dessus suivis par des arbres majestueux qui forment une voûte couvrant le ciel, comme une immense cathédrale sans vitraux.

Curieusement, je me sens moins paniquée qu’auparavant. La fatigue ? Le contrecoup du crash ? L’espoir que tout ceci ne peut pas se terminer par ma complète disparition ? Peut-être un mélange de tout cela ! pensé-je en continuant ma quête. Si seulement je pouvais trouver un officiant, songé-je en poursuivant l’inspection de cette basilique végétale.

L’obscurité gagne rapidement du terrain. Pas question de persévérer dans ces conditions. Ce serait trop dangereux. Pas le moment non plus de se fouler une cheville ou de se blesser en marchant sur un morceau de bois acéré. Alors, je m’approche du plus grand arbre qui se présente devant moi. Couvert de mousse, il pousse légèrement incliné. Si je me place sous lui, du côté où il penche, je pourrai peut-être me protéger de la pluie qui entame sa sérénade vespérale ! me persuadé-je en avançant vers lui.

À nouveau trempée, je me love sous le tronc, en position recroquevillée, les genoux, entourés de mes bras, soutenant mon menton. Constatant avec plaisir que l’averse tropicale m’épargne en partie, j’aperçois un filet d’eau qui coule verticalement à côté de moi. Je m’empresse alors de disposer ma bouche sous lui et me désaltère avec délectation, me rendant compte que ma panique m’avait ôté toute envie de m’abreuver.

La pluie s’arrête aussi vite qu’elle était apparue. Son crépitement sur les feuilles est rapidement remplacé par tous les bruits nocturnes de la forêt. Difficile d’identifier leur provenance, tant ils sont variés. Certains même plutôt inquiétants. D’autres, plus musicaux, se répondent comme des échos. Ainsi, je réalise que je ne dormirai pas cette nuit… ou très peu.

Alors, pour occuper mon esprit et tenter d’oublier l’angoisse de la jungle, j’essaye d’imaginer l’endroit où je peux avoir atterri. Je me rappelle avoir observé, un peu avant l’accident, la carte dynamique proposée sur tous les écrans à destination des passagers. Comme si j’avais dès lors anticipé le crash ! Ma dernière réminiscence est le survol de l’île principale de l’archipel des Moluques. Pas de doute. J’ai dû atterrir sur l’une des nombreuses terres que constitue cet ensemble d’îlots.

Quelques souvenirs de géographie remontent à la surface. La plupart de ces endroits émergés sont peuplés, quand d’autres sont pratiquement vierges, mais tous sont plus ou moins recouverts d’une végétation tropicale, voire équatoriale. Aussi, la chance va-t-elle se réitérer pour que je retrouve rapidement la civilisation, ou le destin changera-t-il d’avis en m’abandonnant dans un lieu dénué de toute vie humaine ?

La nuit ressemble maintenant à une caverne dans laquelle je serais enfermée. Même les bruits se sont estompés pour ne laisser la place qu’à des froissements de feuilles et des feulements angoissants. Comme je me suis un peu plus recroquevillée sur moi-même, j’essaye de m’endormir malgré l’inquiétude qui me ronge. J’ai beau tenter de ne penser à rien, ma situation dramatique remonte du fond de ma conscience à l’instar d’un ballon immergé qui réapparaîtrait systématiquement hors de l’eau après avoir été enfoncé sous la surface. Alors, je me place en position fœtale, dans un de mes réflexes habituels en situation de stress, afin de lutter contre la fraîcheur nocturne.

Je parviens néanmoins à m’endormir pendant quelques minutes, avant de revenir brutalement à la réalité. À chaque réveil, mon cerveau doit recommencer un effort particulier pour recoller les morceaux : me rappeler où je me trouve, les circonstances qui m’ont amenée là et l’incertitude sur mon futur. Une fois le puzzle reconstitué, des vagues d’angoisse parcourent l’ensemble de mon corps, tétanisant complètement mon esprit dénué de toute rationalité. Je ne suis plus qu’un être décérébré, une machine sensorielle qui continue à me ballotter, avant que je ne m’endorme à nouveau. Le cycle poursuit ainsi sa ronde infernale toute la nuit.

Chapitre IV

L’aube arrive aussi vite que le crépuscule avait disparu. Avec elle, les bruits nocturnes se sont tus, tandis que d’autres émergent. Ces sons me semblent plus joyeux, plus chantants, comme annonciateurs d’un heureux présage. Comme si la nature fêtait une nouvelle fois l’apparition du jour, des couleurs et de la vie apaisée. Même les senteurs se font plus douces, plus capiteuses, remplaçant les effluves de moisi par des fragrances davantage florales.

Bien que mon corps soit courbaturé, que ma bouche soit aussi pâteuse qu’un tube de dentifrice, qu’un mal de tête persistant occupe mon crâne, je me persuade qu’une solution devrait forcément se présenter. Il ne peut pas en être autrement.

Ma mémoire malicieuse et perverse me rappelle néanmoins l’histoire de ces naufragés qui ont passé plusieurs années sur une île déserte, retournant à l’état de chasseur-cueilleur, avant d’être secourus. Certains ne l’ont jamais été, et seul leur squelette a pu être récupéré bien plus tard. Aussi, dispersé-je rapidement ces pensées de mauvais augure pour revenir à une certaine rationalité.

Une nouvelle inspection de mon corps est réalisée, pour constater qu’il est toujours intact. Par contre, mes jambes et mes bras sont maculés de boue, et mon visage doit avoir subi le même sort. Heureusement, aucun miroir à l’horizon ne se présente pour me le confirmer. Quant à ma coiffure, d’ordinaire si bien ordonnée, elle doit ressembler à celle d’une sorcière ou à un épouvantail. Le pire, pour une personne autant soigneuse que moi, est de découvrir mes ongles auréolés d’une couche aussi persistante que noire, comme si je venais de réparer un moteur ou replacer la chaîne de mon vélo.

Je m’accroupis alors pour satisfaire une envie pressante, avant de me lever pour scruter l’horizon. Un horizon qui se limite à une vingtaine de mètres, bouché par des arbres majestueux qui ne laissent passer qu’une lumière diffuse. Tout est émeraude : le sol, les fougères arborescentes, les sous-bois et la forêt primaire. Des effluves humides de merlot m’enveloppent en outre comme si je me trouvais enfermée dans un tonneau de vin de Bordeaux.

Comment repérer un chemin dans cette jungle, et éviter de tourner en rond ? Je n’ai aucun repère et le soleil rejoindra bientôt la verticale le peu de fois où il deviendra apparent au détour d’une ouverture dans la végétation.

Je me rappelle alors les paroles de mon grand-père : Si tu es perdue dans la forêt, observe la mousse sur les arbres, elle sera toujours au nord ! Je me mets ainsi à chercher cette mousse, pour constater qu’en fait elle couvre l’ensemble des troncs, sans orientation privilégiée. Visiblement, mon aïeul n’avait pas prévu le cas de la jungle équatoriale ! songé-je en me remémorant son regard pétillant et rempli de malice lorsqu’il prononçait ces paroles.

Une stratégie se dessine lentement dans mes méninges : choisir un repère, le plus loin possible, le rejoindre, et là, en sélectionner un autre dans la continuité de la direction empruntée. Ainsi, devrais-je pouvoir suivre une ligne plus ou moins droite et éviter de revenir sur mes pas. Reste à bien choisir les arbres pour ne prendre que ceux qui présentent un caractère particulier, aisément reconnaissable. Ce qui est loin d’être évident dans cette monotonie végétale.

Alors que je m’apprête à entamer ma course de relais, un bruissement de plus en plus prégnant, entrecoupé de craquements et de cris perçants, se fait entendre, tout près de moi. Je me fige, paralysée par la peur dans un réflexe qui me vient du plus profond de mes origines d’homo sapiens. Soudain, une première tête apparaît, suivie d’une petite troupe de singes qui commence à m’entourer, tout en sautillant sur place, à l’instar d’une bande d’enfants encerclant leur maîtresse d’école.

Le plus grand, certainement le mâle dominant, se positionne devant moi pour entamer une sorte de danse initiatique, en poussant des hurlements plus graves et en montrant une dentition aux canines proéminentes. Une vague de frisson s’empare alors de mon échine qui pense que sa dernière heure est venue. Je tente donc de me faire encore plus petite, me mettre presque en boule, tout en évitant de fixer mon agresseur.

Tandis que les petits des primates prolongent leur ronde, que les femelles continuent de dévisager cette étrangère et peut-être cette concurrente, le chef poursuit sa gestuelle, avec un peu moins d’énergie. Au bout de très longues secondes de ce manège, il décide que l’animal qui se trouve en face de lui ne semble ni dangereux ni se déclarer comme un rival. Alors, dans un nouveau cri, il donne le signal du départ, suivi par toute sa troupe tel un seul homme, me laissant un corps qui se met à trembler de tous ses membres, tandis que la tension accumulée se relâche d’un seul coup.

Une fois un peu plus apaisée, je choisis d’appliquer le processus que j’avais décidé de suivre avant l’arrivée inopinée des singes. Un premier arbre retient mon attention. Situé à une vingtaine de mètres, il présente un énorme orifice dans son tronc, le rendant remarquable par rapport à ses congénères. Je m’avance vers lui, en posant délicatement mes pieds sur le tapis végétal qui s’avère aussi souple que du caoutchouc. Chaque pas peut réserver une surprise, libérer une bestiole ou proposer une aspérité dangereuse qui pourrait me blesser.

L’arbre sélectionné est atteint, et le suivant est choisi dans le prolongement de la direction empruntée. Un tronc filiforme dont les premières branches culminent très haut. Je marche avec un peu plus d’assurance, lorsque j’entends un feulement au loin. Je m’arrête pour constater que l’appel redouble. Y aurait-il des fauves dans ces îles ? me demandé-je en essayant de me souvenir de mes cours de géographie.

Je me fige une nouvelle fois, les oreilles aux aguets, le souffle coupé et le cœur en vrac. Le rauquement semble s’approcher et, curieusement, les autres animaux se sont tus, comme s’ils pressentaient le danger. Mon regard de victime potentielle scrute la végétation avec l’acuité d’un rapace, mais rien de probant ne se distingue dans cet océan de verdure.

Soudain, à trente mètres, je crois discerner une fourrure orange clair rayée de noir. Un tigre ! Un tigre sans aucun doute, d’autant que la bestiole tourne sa tête vers moi. Il semble humer quelque chose en balançant sa face verticalement. Aucun doute, il m’a sentie et m’a aperçue ! pensé-je en découvrant les prunelles jaunes du fauve qui paraît sourire d’un rictus carnassier, tandis que mon cœur résonne encore plus fort et que mes mains deviennent aussi moites que la forêt.

Un nouveau feulement retentit dans la jungle. Plus rauque et plus inquiétant. Le félin opère un pas souple dans ma direction et je recommence à trembler de tous mes membres. Dans ces cas-là, baisser les yeux et surtout ne pas fuir ! me rappelé-je des propos tenus par un aventurier dans un reportage. Facile à dire, mais pas facile à faire ! songé-je, tandis que mon estomac se tord dans un accès de bile qui me donne envie de vomir.

Le tigre semble maintenant hésiter. Il dodeline de la tête, comme s’il pesait le pour et le contre. Tandis que j’essaye de bouger le moins possible, je ressens un liquide chaud s’échapper de ma culotte. Pourvu que l’odeur d’urine ne fasse pas croire à l’animal qu’il entre en concurrence avec une autre si c’est une femelle ! raisonné-je en tentant de retenir ses sphincters. En vain.

La scène semble maintenant statique, chacun restant sur ses positions. Un nouveau feulement retentit, encore plus menaçant. Je me sens vibrer de tous mes muscles, comme si un moteur électrique les commandait. C’est sûr, ma dernière heure est venue ! Alors, l’athée que je pensais être se met à prier le Dieu de mon enfance. Je le prie de toutes mes forces, lui promettant de me convertir si je sors indemne de cette situation.

Le fauve aurait-il entendu mon vœu ? Ou bien, le Dieu évoqué aurait-il un pouvoir sur les éléments ? En tout cas, après un dernier rauquement, l’animal se tourne pour emprunter la direction opposée. Pensant à une ruse, je reste sur mes gardes, même si un commencement d’espoir frémit en moi.

Les minutes déroulent leur tempo sans qu’il se passe rien. À l’exception des bruits de la forêt qui reprennent peu à peu de la vigueur. Lorsque ceux-ci atteignent le niveau sonore d’avant l’incident, je reprends confiance. Aussitôt, je m’écroule sur le sol et me mets à pleurer sans pouvoir m’arrêter. Des larmes coulent à foison sur mes joues. Ainsi, j’empoigne ma tête entre mes mains, et jure que je pénétrerai dans la première église que je rencontrerai. Si j’en croise une un jour sur mon chemin !

Chapitre V

Je recouvre petit à petit mes esprits, tandis qu’un rayon de soleil, qui a réussi à se frayer un chemin à travers la végétation, vient me réchauffer les cuisses. J’y vois un signe de ce destin omniscient qui s’occupe un peu trop de moi depuis l’accident d’avion. Pourvu qu’il soit encore de bonne humeur ! songé-je en me relevant et en vérifiant une nouvelle fois que je suis toujours intacte.

Une rapide inspection me le confirme en même temps que je m’aperçois que ma jupe est en lambeau, que mon chemisier est parsemé de trous et maculé comme le cuir d’un cochon dans son auge, et que ma peau est devenue aussi noire que celle d’une Africaine. Dans un geste pathétique, je tente de mettre un peu d’ordre dans une coiffure qui doit ressembler à un champ de blé après une tempête. Mais mes mains crasseuses ne font que rendre mes cheveux un peu plus gras au toucher.