L'Erasme - Michel Masmejean - E-Book

L'Erasme E-Book

Michel Masméjean

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Beschreibung

Il s'agit d'une aventure qui intrigue et ne laisse rien présager du contenu. C'est l'histoire d'un écrivain soudain frappé par les affres de la page blanche. et qui décide d'embarquer sur un bateau de fret reliant Marseille à Shangaï, qui transporte éventuellement des voyageurs. Il espère ainsi retrouver sa plume afin d'abreuver sa réalité et en faire un roman. Nul doute que les épris d'aventure, les curieux, trouveront dans ce livre l'évasion qui nous manque à tous.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

ÉPILOGUE

1

Quand le réveil sonna, Manuel Marval avait déjà les yeux grands ouverts. Cette nuit, comme les précédentes, lui avait paru interminable. Les draps repoussés au fond du lit, il gisait les bras en croix à la recherche d’un brin de fraîcheur.

Une sensation de vide le hantait. Planté devant son ordinateur portable, il découvrait la difficulté d’écrire les choses les plus simples. Heureux ceux qui ne doutent jamais.

Lui, il hésitait, il reprenait le texte, le lisait, le relisait encore. Il traquait les répétitions, les " mais ", les " car ", les " cependant ", les " quelques " enfin tout ce que la prose a de diabolique.

En définitive, il se demandait s’il n’était pas en train de perdre la foi. Son écriture poussive ne le satisfaisait plus.

Quel drôle d’idée de suer tous les jours ainsi sur des textes sans jamais jouir, par combien de découragement et d’amertume était-il passé tout au long de ces mois.

N’est-ce pas absurde de se donner tant de peine ?

Plumitif laborieux, il se sentait bien médiocre. Pourtant, émergeaient parfois de son esprit des idées intéressantes, il pensait encore pouvoir faire de bonnes choses, le succès obtenu lors de la parution de son dernier roman en était une preuve, mais il y avait si longtemps.

Depuis, il traînassait, il ressentait une lassitude et chaque jour, il se disait, devant sa glace de la salle de bains :

- À quoi bon continuer, je ne suis qu’un écrivaillon, même plus capable d’écrire pour moi seul, pour ma propre satisfaction personnelle.

Il n’avait jamais subi les affres de la page blanche, ce moment détestable où, les doigts suspendus au-dessus du clavier, rien ne sort.

Il réfléchissait, il tentait de se rassurer en pensant au travail que cela entraînait de confectionner un roman. Écrire une histoire est une sacrée entreprise se répétait-il. Les gens n’ont aucune idée de la souffrance que l’on s’impose, tout le temps que l’on passe à se monter le bourrichon, à créer un semblant de littérature, à ficeler les phrases entre elles comme le fait un boucher avec son rôti de porc.

Il avait su. Mais aujourd’hui, il pinaillait, il mégotait, il faisait du sur place.

Dans son appartement, il soliloquait :

- Me voilà revenu au temps des pyramides, du travail, de la patience et de la sueur voilà ce qui m’attend ! Il se devait de réagir, en finir avec ce marasme ambiant, ce n’était qu’une mauvaise passe, il avait traversé d’autres embûches et s’en était sorti.

Par exemple, sa rupture avec Maureen, il y a deux ans, qui l’avait mis dans une profonde léthargie pendant des semaines. Il n’avait rien vu venir. Un soir de décembre, peu avant les fêtes elle l’avait quitté :

- Nous vivons dans le même appartement et je ne te vois jamais, je n’en peux plus, je m’en vais, je te laisse à tes écritures.

Elle avait fait sa valise, passé la porte sans plus d’explications et il ne l’avait jamais revue, effaçant d’un trait quelques années de pur bonheur.

Être seul ne l’indisposait pas plus que ça, il s’y était habitué. D’ailleurs, il disait souvent :

- La solitude ne me dérange pas au contraire, elle me grise autant que l’alcool.

Il alla sous la douche, se rafraîchir.

À midi, il avait rendez-vous avec Jordan Picot, son éditeur.

- Tu t’affoles tout de suite, est-ce que je suis inquiet moi ?

Jordan tentait de le rassurer, de lui redonner confiance. Il était certes son éditeur, mais il y avait aussi une relation d’amitié entre eux deux.

C’était quand même lui qui l’avait poussé à se présenter à ce concours littéraire. Ce succès avait contribué à resserrer les liens. À compter de cette consécration, il ne cessa pas de le tarabuster, lui prédisant un bel avenir.

Mais depuis sa séparation avec Maureen, Manuel n’avait rien produit de positif. Juste un recueil de nouvelles qui avait été tiré à quelques centaines d’exemplaires.

- Souviens-toi en 1972, Jean Carrière et son bouquin " L’épervier de Maheux " premier roman et vlan, le Goncourt, pas moins … après, le désert, la grosse déprime et puis plus rien ! et bien pour moi, c’est pareil, je suis devenu stérile !

- D’abord tu ne t’appelles pas Carrière et tu n’as pas encore le prix Goncourt. Tu traverses une mauvaise passe et cela arrive à tous les écrivains mêmes les plus célèbres. Laisse passer un peu du temps, sort, rencontre des gens, prend du bon temps et tu verras ça reviendra tout seul.

- L’envie me manque !

- Force-toi, pars en vacances, voyage … arrête de te regarder le nombril, de te replier sur toi-même, à te gratter tes plaies.

Le serveur apporta le plat de choucroute que Manuel avait commandé. Un mois de juillet, manger de la choucroute, Jordan n’en revenait pas.

- Avec la chaleur qu’il fait, je me demande comment tu peux avaler ça !

L’air désabusé, tout en paradoxe, Manuel répliqua :

- Quand l’appétit va, tout va …

- C’est ce qui se dit, j’aime bien quand tu es positif !

Au tout début du mois d’octobre, comme le lui avait conseillé Jordan, Manuel décida de s’éloigner du vacarme de Paris.

Il monta dans sa voiture et descendit dans le midi.

Il souhaitait prendre du recul, se reposer et réfléchir.

Il s’installa à Banyuls-sur-Mer, un village proche de la frontière espagnole, côté méditerranée. Quelques touristes flânaient encore sur la promenade en bord de mer, des personnes âgées, des couples sans enfant, qui profitaient des derniers rayons de soleil. Il occupait un appartement qui surplombait la baie et sa plage de galets.

L’arc de cercle parfait qu’elle formait se finissait par l’imposante bâtisse du musée océanographique, en prolongement d’une jetée, avec sur une butte un monument aux morts, une œuvre de Maillol, sculpteur et enfant du pays.

Son PC ouvert sur une table face à la fenêtre, il cogitait sur le sujet que pourrait être son nouveau livre.

Il tapa, en vrac, quelques idées sur son ordinateur, en effaça la plupart, puis recommença.

Un semblant de scénario se fit jour.

Il échafauda un plan, resta longtemps rêveur, les mains à plat sur le clavier, la tête dans les étoiles

À force de regarder la mer, il lui vint une idée.

Pourquoi ne pas raconter une histoire de marins, un sujet sur un cargo, un ouvrage qui empoignerait les lecteurs, les tiendrait en haleine, leur ferait oublier le temps et le monde dans lequel ils vivent.

Pendant trois jours, il resta planté devant son ordinateur portable et peaufina le canevas de son nouveau récit.

Au soir de ce troisième jour, il en toucha un mot à Jordan. À l’autre bout du fil, son éditeur et néanmoins ami l’encouragea dans cette future aventure.

- Je te l’avais dit, c’est une affaire de temps, une affaire de patience et de courage. Tu le sais comme moi, écrire un livre est une lourde machine à bâtir. Je suis persuadé que tu vas y arriver, tu es sur la bonne voie, Manuel.

Dopé par ces propos, Manuel se trouva dans une phase d’excitation qu’il avait bien connue lors de l’édition de son précédent roman.

Cependant, il souffrait de son manque de connaissance de la vie en mer, du milieu marin, de la navigation en général.

Les quelques expériences vécues à bord d’un bateau s’étaient soldées par des déceptions et une affirmation qui ne méritait aucune contestation, il n’avait pas le pied marin !

Bien entendu, rien ne lui interdisait de se documenter. Internet, les médiathèques et autres librairies, regorgeaient d’ouvrages sur le sujet, des témoignages, des récits et des mises au point indispensables à la construction d’un roman.

* * *

Cela faisait un mois qu’il travaillait sur son futur livre. Il mettait le réveil à six heures et demie, prenait une douche et descendait dans un bistrot proche de son appartement pour petit déjeuner.

Il avait sympathisé avec le patron qui voyait arriver depuis plus de trois semaines tous les matins, à la même heure, ce bonhomme, un cahier sous le bras et qui s’installait en terrasse et suçait le bout de son crayon en même temps qu’il prenait son café.

En bon commerçant, loquace, il se trouva ravi d’avoir comme client un homme de lettres et le bombarda de questions. Il en oubliait les habitués qui venaient de bon matin avaler leur petit déjeuner avant d’aller travailler. Il courait de la salle à la terrasse, Manuel s’amusait de ce jeu puéril. Le bistrotier parlait aussi beaucoup de lui, Manuel connaissait le sujet.

Lors de ses dédicaces, il se coltinait sans broncher les logorrhées de ses admirateurs.

Les gens avaient tendance à se confier, à discourir, à raconter leur vie et plus souvent leurs déboires que leur satisfaction.

Patient, poli, Manuel écoutait et prêtait une oreille attentive aux plus abracadabrants bobards.

- Vous devriez aller traîner à Port-Vendres, vous mélanger avec les pêcheurs, ils pourraient vous donner des tuyaux, lui dit le patron entre deux coups de chiffon sur une table voisine.

Ce n’était peut-être pas une mauvaise idée et petit à petit elle fit son chemin.

Un soir il en parla au téléphone avec Jordan.

- J’envisage de faire un voyage en cargo, en tant que passager, c’est une formule qui peut m’intéresser, elle me permettrait surtout de rencontrer des hommes de la mer et de me faire une idée sur leur condition de vie ainsi que le mode du fonctionnement d’un navire.

- ?

- Tu m’entends Jordan ?

- Oui, oui ! dit-il surpris par le propos.

- J’ai évidemment creusé un peu le sujet avant de t’appeler. Un Marseille / Shanghai, cela fait un peu plus d’un mois de mer … cela me donnerait l’occasion de mieux en appréhender le thème !

- T’imagines bien que ce n’est pas du tout le style " La croisière s’amuse " ! Les conditions de vie sont spartiates, tu risques de trouver le temps long.

- Cela ne me dérange pas outre mesure.

- Réfléchis bien avant de te lancer. Pense aux inconvénients d’une telle aventure. La promiscuité, la vie à bord un peu austère, l’alimentation sans doute pas trop équilibrée, la solitude et je ne te parle pas du mal de mer.

Manuel lui coupa la parole :

- Tu me diras après que c’est moi qui vois tout en noir !

- Non, je veux seulement que tu ne t’emballes pas et que tu pèses le pour et le contre.

- Fais-moi confiance, j’aime l’aventure, mais uniquement quand elle est mûrement réfléchie et bien planifiée. Écoute Jordan, je me renseigne davantage, je consulte et dans quinze jours je prends une décision.

* * *

Voyager en cargo c’est revenir à l’origine étymologique du mot voyage, c’est-à-dire parcourir un chemin, découvrir un nouveau rapport au temps et approcher le huis clos des hommes de mer et de leur travail.

Voilà en substance ce que lui avait dit le responsable de l’agence du village.

Puis il avait rajouté :

- Je vous rassure, le passager est très autonome sur un cargo. Bien entendu, il a quelques contraintes, par exemple, lors des escales qui peuvent durer quelques heures et parfois quelques jours, il faut impérativement que le voyageur soit rentré à bord à l’heure prévue pour l’appareillage, le navire n’attend jamais le passager.

Il faut savoir également que les installations portuaires sont souvent éloignées des centres-villes ce qui peut poser des problèmes de trajet et refroidir l’envie de se déplacer. L’attente dans les ports peut être longue et pénible. Si l’occasion vous est donnée de descendre du bateau, il faut absolument se munir d’un plan sommaire de la ville d’escale. Cela peut s’avérer très utile ainsi que de la monnaie locale afin de régler les frais éventuels de taxi. Après un temps mort, le vendeur poursuivit :

- Certains pays peuvent exiger des visas voire des vaccinations, il est préférable d’être à jour de ce côté-là. Lors des escales, il faut impérativement prendre le numéro de téléphone du bateau, le nom du port et du quai auquel est amarré le bateau et donner votre numéro de portable au capitaine dans le cas où le bateau devrait appareiller plus tôt que prévu.

Voilà les généralités, maintenant, c’est à vous de me dire ce que vous souhaitez faire comme voyage, sa durée, sa destination.

- J’avais pensé à un départ de Marseille vers l’Asie, Shanghai par exemple ?

L’homme se leva, ouvrit une armoire placée derrière lui. Tout en sortant un énorme classeur, il dit à Manuel :

- Si je ne m’abuse, pour cette destination, il faut compter, environ un bon mois de mer.

Une fois le classeur étalé sur son bureau il se mit à le compulser avec attention. Le doigt sur une page, il lisait comme pouvait le faire un écolier.

- Si par exemple vous prenez le Ker Elios …

Il leva la tête et ajouta :

- C’est un porte-conteneurs de moyennes dimensions. Il peut embarquer jusqu’à deux mille conteneurs.

Il crut déceler chez Manuel un moment de surprise et ajouta :

- C’est peu, en comparaison aux super porte-conteneurs qui peuvent en charger jusqu’à quinze mille.

Il attendait que Manuel soit interloqué par cette affirmation, mais devant son mutisme et son manque de réaction, déçu, il poursuivit et reprit sa lecture :

- Les escales prévues sont l’île de Malte, Port-Saïd en Égypte, Jeddah situé au bord de la mer Rouge en Arabie Saoudite, Port Kelang en Malaisie et Singapour.

Bien sûr, la vie à bord n’a rien à voir avec les croisières classiques.

Un sourire en coin, il précisa :

- Les distractions sont différentes. Quoi de plus excitant que de découvrir la micro-société des marins, leur histoire personnelle quand ils veulent bien vous la raconter.

Le vendeur lui faisait part de sa science, il faisait son métier, Manuel opinait et le laissait s’exprimer.

Vint le moment de parler argent.

- Vous n’êtes pas sans savoir que le prix de ce type de voyage est plus important. Il faut compter un peu plus de cent euros par jour, tout compris. En règle générale la cabine dispose de toutes les commodités, elle peut varier entre vingt et vingt-cinq mètres carrés. Elle est en tous points similaire aux cabines des officiers avec toilettes et salle de bains et un sabord. Les repas, le petit déjeuner, le déjeuner et le dîner sont pris, en règle générale, dans la salle réservée aux officiers.

En ce qui concernait le prix, Manuel connaissait les tarifs, il en avait discuté avec Jordan.

- Je te propose de prendre en charge la moitié du montant des frais du voyage à valoir sur la vente de ton prochain roman à condition d’en avoir l’exclusivité bien entendu !

Il avait dit cela avec un sourire aux lèvres. Leur amitié était bien réelle, il n’y avait entre eux aucune ambiguïté et dans leur relation, les problèmes d’argent ne prenaient jamais le dessus.

Manuel coupa court à toute discussion et demanda à la personne de l’agence :

- Je connais les tarifs ! Une seule question, quand pourrais-je embarquer ?

Surpris par la répartie, il bafouilla un peu :

- Je … je …je ne peux pas vous donner une réponse immédiate, il faut que je pose la question à l’affréteur.

Puis il rajouta :

- Je me renseigne et vous appelle dès que j’ai une réponse. À mon humble avis, elle devrait être assez rapide.

Une fois dehors, Manuel se sentit pousser des ailes. Il avançait, il tenait enfin son sujet, tout au moins la base de son roman, même si les contours lui paraissaient encore un peu flous.

Il s’empressa de téléphoner à Jordan pour lui annoncer la bonne nouvelle. Il ne connaissait pas la date de départ, mais la décision avait été prise, il passerait au moins un mois en mer, destination l’Asie.

L’agence ne tarda pas à répondre.

Le lendemain en fin d’après-midi, le vendeur l’appela. Il tomba sur la messagerie et laissa un rapide et concis message.

- Dans quinze jours, il y a un bateau qui part pour Shanghai, c’est un transconteneur de taille moyenne qui peut prendre en charge jusqu’à trois passagers. Le trajet qu’il effectue est sensiblement le même que celui dont nous avions parlé. Sachez qu’à ce jour, vous êtes le seul susceptible d’embarquer. Si vous voulez profiter de cette aubaine, venez au plus vite à l’agence, il y a tout un tas de documents administratifs à remplir avant l’embarquement.

Ah ! j’oubliais le bateau s’appelle l’Érasme, vous pourrez voir des photos sur Internet et lire des commentaires. C’est un bateau français qui navigue sous pavillon panaméen. Le capitaine et son adjoint sont français, les marins à bord sont de diverses nationalités.

Encore une fois, ne tardez pas, le temps presse !

Dès que Manuel prit connaissance du message, il rechercha sur le Net les informations sur l’Érasme.

Outre le fait que ce nom représentait le saint patron des marins, ce qui était ma foi de bon augure, les photos prises dans le port de Marseille étaient en apparences, plutôt rassurantes. Il pouvait transporter jusqu’à cinq mille boîtes, sa longueur de cent dix mètres le plaçait dans la catégorie des transconteneurs moyens.

Le lendemain matin, Manuel se rendit à l’ouverture de l’agence. Il remplit quelques imprimés, parapha un nombre important de pages, entre autres les demandes de visa lors des escales prévues, il s’étonna notamment d’une obligation de produire un certificat médical signé par son médecin traitant le désignant en bonne santé et de l’assurance de rapatriement en cas d’urgence médicale.

- Les compagnies sont pointilleuses sur la santé de leurs passagers. En cas de problème, si c’est nécessaire, le bateau se rapprochera du port le plus proche pour débarquer le passager malade.

Ces détournements représentent des pertes conséquentes de trésoreries et des complications énormes au niveau de la navigation. Ceci explique cela !

- Je comprends, rectifia Manuel.

Une heure après, il sortit de l’agence avec en poche sa demande d’inscription et d’embarquement sur l’Érasme pour un trajet Marseille / Shanghai avec des escales à La Valette (Malte), Port-Saïd (Égypte), Djibouti, Cochin (Inde), Singapour et Shanghai.

* * *

Pour Manuel c’était une véritable aventure. Il se lançait dans l’inconnu. Lui le sédentaire, qui ne pratiquait aucun sport et ne s’intéressait qu’à la douceur de son lit, il allait partager la vie de marins de haute mer.

Au téléphone, Jordan tempéra son engouement, en substance, il lui dit :

- Fais gaffe, Manuel, ne t’emballe pas, si tu crois que les marins vont te parler, t’ouvrir leur cœur, se raconter … tu te goures ! Pour eux, la vérité porte malheur. Il va te falloir beaucoup de patience et de diplomatie si tu veux connaître leur secret.

Le soir, il étala sur la table toute la paperasse et relut les imprimés avec soin.

Il ânonna le parcours que lui avait dressé l’agence, sans préciser le jour de départ :

- Départ Marseille du quai de la Joliette le xxx arrivée à La Valette le xxx, distance 635 nautiques soit 1143 kms.

Départ de La Valette le xxx arrivée à Port-Saïd le xxx le xxx, distance 939 nautiques soit 1690 kms

Départ de Port-Saïd le xxx et passage du Canal de Suez arrivée à Djibouti le xxx, distance 1377 nautiques soit 2478 kms

Départ de Djibouti le xxx, arrivée à Cochin (Inde) le xxx, distance 1973 nautiques soit 3551 kms

Départ de Cochin le xxx, arrivée à Shanghai le xxx, distance 4090 nautiques soit 7500 kms

Pensif, il alluma une cigarette, le regard figé sur le bout de papier. Avec les jours d’escales prévues et sans miser sur les imprévus, il fallait compter un bon mois.

Il avait posé la question à son interlocuteur à propos du mal de mer.

Il l’avait à moitié rassuré :

- Ces types de bateaux bougent modérément ... et puis il y a les petits cachets bleus, efficaces, en cas de tempête. Vous n’avez pas à vous inquiéter de ce côté-là, les itinéraires sont calculés de sorte à contourner les zones à risques.

* * *

2

Il était vingt et une heures passées et l’Érasme en terminait avec les opérations de chargement.

Du pont supérieur du cargo, Manuel assista en partie à ce jeu de Légo géant, un ballet incessant de grues, d’élévateurs, de palans dans des bruits de sirènes, de poulies, de ferrailles entrechoquées sous une lumière crue des projecteurs, provoquant par endroits des ombres chinoises fantasmagoriques.

De cet étrange ballet, peu d’hommes apparaissaient, seuls quelques cris surgissaient parfois, des ordres brefs lancés lors de manœuvres périlleuses et complexes.

L’Érasme s’éloigna du quai. Ses cent vingt mètres de long et sa cargaison de mille six cents boîtes multicolores chargées dans ses entrailles et sur le pont avec une hauteur correspondant à un immeuble de six étages, glissaient sur une eau noire.

Les ombres du Château d’If se distinguaient au loin dans la nuit étoilée. Manuel reflua vers sa cabine que lui avait attribuée le second du bord.

Une cabine en tout point identique à ce que lui avait indiqué la personne de l’agence. D’une surface d’au moins vingt mètres carrés, elle était meublée d’un lit, d’une table, d’un fauteuil, d’une commode, la salle de bains et les toilettes complétaient l’aménagement. Tout était scellé au sol pour éviter lors de grosses tempêtes le chambardement des meubles.

Il s’amusa du rebord de la table et des trous adéquats pour remiser un verre et une assiette.

Une affichette posée dessus demandait au passager de ne rien laisser traîner à cause d’un possible tangage du cargo. L’ensemble n’offrait qu’un confort de vie spartiate, mais pouvait-il en être autrement ?

Le point fort était l’immense sabord qui faisait de la pièce un espace lumineux des plus agréable.

Le capitaine trop occupé par les manœuvres avait remis au lendemain le débriefing.

Manuel eut du mal à s’endormir, pas de tangage, mais un bruit sourd et persistant lié à la proximité de la salle des machines.

Le lendemain il fut réveillé par une alarme. Inquiet, il sortit précipitamment de sa cabine qui longeait une coursive.

Sur le pont principal, des marins s’activaient et couraient dans tous les sens. Un marin, en passant devant lui, l’interpella en anglais :

- Pas de panique, c’est un exercice, vous pouvez réintégrer votre cabine.

Peu de temps après, quelqu’un tapa à sa porte. Un jeune homme habillé d’une veste blanche lui dit :

- Bonjour monsieur, le capitaine Pradel, souhaiterait vous entretenir, pourriez-vous vous rendre à sa cabine dans une heure, elle est au fond du couloir à droite en sortant.

Il précisa :

- À neuf heures quarante-cinq exactement !

- Entendu !

Manuel s’étonna de cette façon un peu cavalière de recevoir un passager, mais il mit ceci sur le compte du stress occasionné par le départ de nuit du bateau et de sa méconnaissance des règles habituelles pratiquées à bord.

À l’heure prévue, Manuel toqua à la porte de la cabine du capitaine.

Il entendit vaguement un ordre d’entrer, il hésita un instant puis pénétra dans la pièce.

L’espace était sensiblement identique à sa cabine. Seul l’aménagement en était différent.

Le bureau faisait face à la porte, derrière se tenait assis, dans un fauteuil, monsieur Pradel, un homme d’une cinquantaine d’années, les cheveux à la Titus, sur un visage carré.

Il accompagna du regard Manuel, il lui indiqua d’un geste un des deux fauteuils scellés au parquet face à son bureau.

- Je suis désolé de n’avoir pu vous recevoir avant, mais les conditions ne me permettaient pas de le faire.

Il se racla un peu la gorge et poursuivit.

- Je tiens à vous dire que je n’ai jamais été partisan d’accueillir sur mon bateau des passagers. C’est mon armateur qui me l’impose.

Il avait dit cela d’un ton désabusé les mains posées à plat sur le bureau, la tête relevée il fixait de ses yeux noirs Manuel.

Sans attendre une quelconque réponse de la part de Manuel, il poursuivit :

- Quoiqu’il en soit, je ferai tout pour que votre voyage se passe dans les meilleures conditions. Après cet entretien, je vous ferai visiter le navire et vous présenterai le personnel. La majorité du personnel travaille jour et nuit sur ce cargo. De fait, il convient de respecter les règles de sécurité, d’éviter de faire du bruit sachant que certains marins œuvrent de nuit.

Les passagers ont droit d’accès à tout le navire y compris la passerelle et la salle des machines, mais bien entendu à la seule condition, d’être discret et de ne pas gêner les manœuvres. Par contre, aux escales je vous demanderai de ne pas vous balader sur le bateau lors des manœuvres de chargement ou de déchargement.

Par ailleurs, à vous d’être vigilant lors de vos déplacements dans les coursives et les escaliers. Il est recommandé de ne pas sortir sur le pont par mauvais temps.

À propos des escales, sachez que le navire n’attend jamais les passagers en retard, c’est un principe sur lequel nous ne revenons jamais.

Comme l’on ne peut pas entrer et sortir dans un port comme on le fait dans une église, il est impératif de se munir d'une pièce d’identité, de se fixer des points de référence afin de ne pas se perdre dans une ville que vous ne connaissez pas. Un peu de monnaie du pays est recommandée pour effectuer les éventuels achats.

Le billet vert est en général accepté de partout.

Le capitaine s’exprimait d’une voix monocorde, mais au fil des minutes le ton devenait plus chaleureux, moins cassant.

Manuel se contentait de sourire, d’opiner du chef, de balancer des " oui je comprends, bien entendu, il va de soi, etc. "

Imperturbable, le capitaine continua son discours.

- En ce qui concerne les repas, ils sont pris dans le mess des officiers, je tiens impérativement à ce que les heures de service soient respectées, il est hors de question de se faire servir en cabine. J’espère que vous aimez la cuisine italienne, le cuistot est natif de Calabre.

De manière abrupte, il termina :

- Je vous souhaite de passer un excellent voyage.

Il se leva et Manuel put constater la carrure impressionnante du personnage. Le pantalon, la veste blanche et ses trois sardines cousues sur la manche étaient certes un peu désuets, mais il fallait reconnaître que le capitaine Pradel avait de l’allure.

Il tendit son bras et serra d’une main ferme celle de Manuel, ce geste signifiait la fin de l’entretien.

Il le raccompagna jusqu’à la porte. Dans la coursive, il interpella un jeune asiatique :

- Va me chercher Coudert !

Se retournant vers Manuel, il ajouta :

C’est le copilote, il est français, c’est lui qui va vous faire découvrir le bateau.

Puis il referma la porte de sa cabine.

Drôle de bonhomme, se dit Manuel.

Antoine Coudert, le second du capitaine, celui qui l’avait accompagné la veille à sa cabine, n’était que pilotin, c’est-à-dire qu’il préparait encore ses diplômes de la marine marchande. Dans la force de l’âge, il portait avec élégance, une veste croisée de serge bleu avec des boutons dorés et un pantalon en lin de couleur crème.

Un large sourire fendait son visage, d’une main ferme il serra la main que lui présentait Manuel.

- Aujourd’hui, je vais vous montrer uniquement l’intérieur du bateau, les parties communes. Nous allons commencer par la passerelle.

Il précéda Manuel et emprunta un escalier d’une dizaine de marches.

Il ouvrit une porte et Manuel resta stupéfait par la grandeur de la pièce. Des bureaux étaient encombrés de divers instruments de marine, des cadrans, des ordinateurs éclairaient en partie l’espace plongé dans la pénombre.

- Sachez que vous serez toujours le bienvenu dans cet endroit, mais vous ne devrez en aucun cas toucher à quoi que ce soit, le silence est aussi une règle d’or.

Deux marins debout en bleu de chauffe avaient les yeux rivés sur l’océan. Manuel s’approcha de l’ouverture et constata l’énorme chargement, des boîtes rangées les unes à côté et sur les autres, vue d'en haut l’ensemble ressemblait à un immense jeu de Lego. Mais rien d’anarchique à cela.

À la mine étonnée de Manuel, Coudert répondit :

- Ce que vous voyez là n’est que le quart de ce qu’il y a dans la cale. Demain je vous y emmènerai pour vous rendre compte vous-même.