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Un homme et une femme se rencontrent dans un train. Rien de plus banal, et pourtant, leur vie va basculer. Trouveront ils, l'un et l'autre, l'amour, cette chose la plus douce qui soit, mais aussi parfois la plus amère ? Accéderont ils au bonheur, cet équilibre indispensable dans l'existence, pour tout un chacun ?
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Seitenzahl: 196
Veröffentlichungsjahr: 2022
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La couverture a été réalisée par l'auteur :
Peinture à l'huile sur toile : H : 0,72 x L 0,62
copie d'un tableau
d'Edward Hopper intitulé "Automat".
Quand il voyageait en TGV, Mathieu choisissait toujours les sièges situés en milieu de wagon, ceux qui comportent quatre places.
Cela lui avait réussi quelquefois et le trajet lui avait paru plus court.
Aujourd’hui, il n’avait pas dérogé à son habitude et se trouvait assis contre la vitre dans un coin au départ de Paris et en direction de Montpellier.
L’équipe de rugby qui venait de monter dans le train, menait fort tapage, elle revenait en terre languedocienne après avoir obtenu un titre de champion de France dans la capitale. Une quarantaine de personnes, joueurs, staff et supporters s'étaient groupés à l'intérieur du wagon et faisaient un raffut du diable.
Deux gaillards sans doute des piliers ou des troisièmes lignes, s’assirent, sur les deux sièges côté couloir.
Au milieu de ce vacarme, une femme, billet à la main et valise dans l’autre se frayait un chemin dans le couloir central, investi par la troupe de joyeux lurons.
Elle s’arrêta au niveau des deux costauds qui entamaient un chant guerrier et montra d'un signe de la main la place vacante.
Un des gars se leva pour la laisser passer. Galant, il lui prit sa valise pour la caser dans le porte-bagages avec une facilité déconcertante.
Mathieu se trouva coincé, côté fenêtre au milieu du wagon, avec en face de lui une jolie fille.
Elle possédait de jolis yeux bleus très clairs, transparents même, un nez fin et droit, une petite bouche aux lèvres vermillon, un teint d’une blancheur irréprochable et une gorge à perdre son sang-froid.
Au départ, il s’était imaginé pouvoir entamer une conversation avec cette femme élégante et souriante. Mais le train partit, les chants de victoire reprirent de plus belle et il lui fut impossible d’adresser la parole à sa voisine.
Le train, une fois sorti de la capitale et de sa banlieue, entra en pleine vitesse.
Dépité, Mathieu dégagea un bloc de papier de sa serviette, le posa sur la petite table qui le séparait de la fille et entreprit de faire son courrier. En panne d’imagination, saoulé par les vociférations des joueurs et troublé, il faut bien le dire, par la présence de cette jolie femme, il lui vint une idée.
Lui écrire un mot et voir si en quelque sorte le poisson mordrait à l’hameçon ! Il suçota son stylo puis finit par écrire en haut de la page de son bloc.
- Ne trouvez-vous pas nos voisins bruyants ?
Et il tourna le bloc de papier en direction de la fille, posa dessus son stylo et lui dégaina son plus beau sourire.
Commença alors un bref dialogue épistolaire.
Un rien d’étonnement dans le regard de la fille. Elle lut rapidement le mot, rendit le sourire, délaissa le stylo proposé par Mathieu, retira de son sac un crayon papier et répondit :
- Je préfère les gens qui chantent et s’amusent à ceux qui font la gueule ou pleurent !
En lisant la phrase, Mathieu opina du chef à l’attention de la fille puis, encouragé reprit son stylo :
- Dommage, car j’aurais bien aimé faire la conversation à ma "compagne de voyage, dont les yeux, charmant paysage, font paraître court le chemin "…
Il avait pris le soin de mettre entre guillemets la dernière phrase et citer l’auteur de ces quelques mots. (Brassens)
Sans se départir, elle barra le nom du poète et ajouta :
- Brassens ne fut que l’interprète, le poème est d'Antoine Paul !
Mathieu le savait, mais entraîné par le jeu des échanges, il était allé au plus court. Cultivée avec ça ! se dit-il !
Et les échanges d’écriture continuèrent.
Mathieu n’était pas en peine. Ragaillardi par les réponses de la fille il s’empressait de trouver matière à échanger.
- Tant pis, si je me trompe à nouveau, mais n’ai-je pas affaire à une secrétaire de direction ?
- Pas du tout ! Là aussi, elle barra, secrétaire de direction, et ajouta en dessous "traductrice" !
Toujours dans l’impossibilité de communiquer tant le bruit était intense, il reprit le stylo et écrivit :
- Quelle langue ?
- Anglais, allemand !
- Si vous le voulez, je peux vous offrir un café à la voiture-bar ?
La réponse fut laconique. - Non … merci !
Elle ne facilitait pas les choses … mais semblait accepter le jeu des questions-réponses.
Il fallait donc trouver autre chose, car le tintamarre au lieu de se calmer redoublait. Il était hors de question d’entamer une discussion verbale. Il aurait fallu crier et à ce jeu-là poursuivre une conversation avec une dame eut été plus que hasardeux.
Il souriait, bêtement à l’idée de crier à sa voisine "vous avez un joli sourire"… hormis la banalité du propos, le hurler pour qu’elle entende lui paraissait d’une extravagance extrême.
Il convenait donc de trouver un autre artifice pour ne pas couper le lien.
De bonne humeur, elle attendait.
- Encore heureux que j’aie ce bloc de papier. Sinon comment aurions-nous pu échanger ?
Elle sortit un carnet de son sac, le posa sur la tablette, et écrivit sur la première page.
- Je ne sors jamais sans mon bloc et mon crayon papier !
Décidément, elle était futée, mais ces réponses sommaires obligeaient Mathieu à se renouveler.
Derrière lui, il entendit le claquement caractéristique des bouchons de champagne. La troupe de joyeux drilles faisait bien les choses. Des gobelets passèrent de main en main. Mathieu et la fille furent conviés à trinquer.
Les jeunes gens étaient persuadés qu’ils formaient un couple, les sourires échangés, les mimiques complices et les feuilles de papier faisant des allers-retours entre l'homme et la femme pouvaient le laisser supposer.
Le sourire aux lèvres, la fille se remit à écrire.
- Je n’aime pas trop le champagne, mais ils sont si heureux de faire partager leur bonheur !
Elle avait une dextérité pour écrire, surprenante, dans ses doigts le crayon dansait.
- Le bruit ne semble pas vous perturber !
- Je cache bien mon jeu !
- C’est bien la première fois que j’engage ainsi une conversation.
- Il faut un début à tout.
Elle paraissait se réjouir de ce jeu d’écriture. Les rugbymen faisaient toujours autant de bruit, ils entonnèrent un nouveau chant, toute la voiture en profita.
Le pilier assis à côté de la jeune femme s’époumonait, sa carrure impressionnante tranchait avec celle de sa voisine. Sa voix de stentor raisonnait.
Stoïque, elle semblait l’ignorer.
Mathieu avait du mal à relancer la conversation, le stylo en l’air il hésitait. Il la regarda, l’air innocent :
- Vous faites souvent ce trajet Paris – Montpellier ?
- Oui, au moins une fois par mois.
Elle répondait tellement vite qu’il avait du mal à enchaîner. La fille l'observait, amusée par le comportement de cet étrange passager qui insistait à poursuivre ce dialogue épistolaire.
Il remarqua l’absence d'alliance à sa main gauche, mais était-elle à notre époque une marque de célibat ?
Il posa toutefois la question :
- Vous êtes mariée ?
La réponse ne tarda pas !
- Non, et vous ?
- Non, célibataire sans enfant ! crut-il bon de préciser !
- Vous travaillez dans quoi ?
Mathieu trouva son attitude positive, à son tour, elle posait des questions.
- Je suis informaticien.
C’est elle maintenant qui avait pris la main.
- Vous écrivez toujours autant ?
- D’habitude, je parle, c’est plus pratique.
Une bonne demi-heure déjà qu’ils s’échangeaient des petits mots. Il avait tourné deux fois les pages de son calepin. Son écriture tranchait avec celle de la jeune femme. Beaucoup plus nerveuse, elle prenait toute la largeur de la page.
À l’arrêt en gare de la Part Dieu, il y eut dans le wagon un calme relatif. Il tenta de lui adresser la parole en s’efforçant de bien articuler, la voix assez forte et audible.
Peine perdue, ses yeux s’écarquillèrent, sa bouche se fendit pour montrer une double rangée de dents blanches.
Elle reprit son bloc de papier et son crayon.
- Désolée, je n’entends pas, lui signifia-t-elle, en poussant le bloc vers Mathieu.
Surpris, il ne renouvela pas sa demande. Et écrit sous cette phrase :
- Croyez-vous au destin ?
La réponse fut plus longue à venir, le train redémarra elle n’avait toujours pas fini d'écrire.
Par contre, les sportifs avaient repris leur sérénade et redoublaient de puissance.
- Je pense, comme pour toute croyance, que l’on choisit la version qui nous convient le mieux. Pour ma part, il me serait insupportable de croire que tout est écrit à l’avance et que quoique je fasse je n’y peux rien changer, tout en ne sachant pas (et heureusement !) quel est ce destin. Si je pensais ainsi, je me mettrais tout de suite, dans mon lit en attendant que se joue ce destin qui ne me demande pas mon avis ni mon intervention.
- J’ai moi aussi une idée, qui est un peu différente de la vôtre, mais il me paraît difficile de l’exprimer sur une feuille de papier.
Il y eut ensuite plusieurs questions générales, de part et d’autre. Le temps passa, les regards entre eux devinrent plus chaleureux, leur jeu d’écriture avait bien pris, l’un et l’autre y prenaient réellement du plaisir.
* * *
Arrivés à Montpellier, ils descendirent du train, suivis par l’équipe de rugby. Sur le quai, il fallut bien se séparer. Le bras tendu, Mathieu montra les escaliers roulants qui permettaient d’accéder au buffet de la gare et proposa à nouveau, à la jeune femme de prendre une collation. Elle se contenta de lui sourire, mais ne répondit pas. Lui crut comprendre qu’elle acceptait. Au bas des escaliers, il lui fit signe de passer devant, elle hésita, étonnée, comme si elle avait mal compris, puis s’engagea.
À l'intérieur du buffet, le garçon les plaça proche de l’entrée, ils avaient sous leurs yeux l’immense salle des pas perdus, une vraie fourmilière, les gens se croisaient, s’entrecroisaient.
Manifestement certains savaient où ils allaient d’autres temporisaient et se plantaient sous le panneau des horaires des trains, la tête levée l’air dubitatif. Tout en retenant son attention sur le hall de la gare, Mathieu se mit à parler.
La femme le dévisageait, fixait sa bouche. Il racontait l’histoire un peu fantasque de cette gare construite au beau milieu des champs et qui pendant longtemps n’avait accueilli aucun train et pour cause, la voie ferrée n’existait pas.
Il se rendit compte de son long bavardage et lui dit :
- Je suis désolé, je parle, je parle et je ne me suis même pas présenté. Je m’appelle Melville, Mathieu Melville.
Il s’arrêta net et attendit, pensant qu’elle allait en faire de même.
Les yeux de la jeune femme restaient figés sur la bouche de Mathieu. Elle releva la tête, sourit et retira de son sac une carte d’invalidité où étaient indiqués, sous son portrait, son nom, prénom, sa date de naissance et son handicap " Je suis sourde et muette".
La tête de Mathieu allait de la carte à la jeune femme. Au sourd, l’œil sert d’oreille … voilà pourquoi elle ne quittait pas ses yeux ma bouche, se dit-il !
Il articula péniblement :
- Je suis désolé …
Elle s’empressa de ressortir son carnet et son crayon et écrivit en grosses lettres :
- Vous n’avez pas à vous excuser !
Il chercha autour de lui du secours, puis dit en détachant bien les mots :
- Comment aurais-je pu me douter …
Elle fit une moue, leva ses épaules, le tout accompagné d’un magnifique sourire.
Il ne savait plus quoi dire. Cela ne changeait pas grand-chose puisqu’elle n’entendait rien.
Ils restèrent ainsi les yeux dans les yeux quelques secondes puis Mathieu, tout en montrant la tasse de café posée devant elle, se mit à parler en martelant exagérément les mots :
- Vous voulez autre chose, un croissant, un gâteau ?
Elle reprit son crayon et son carnet :
- Non merci, il faut que j’y aille …
Elle se leva. Il en fit de même. Avec prévenance, il ouvrit la porte de la brasserie et la devança dans les escaliers.
Il pensa, "n’en fais pas trop, elle est muette, sourde, mais pas aveugle !"
Dans la salle des pas perdus, il se posa devant elle, la regarda bien en face et articula clairement :
- Nous pourrions peut-être nous revoir ?
En même temps, il fouilla dans la poche de son veston et en retira une carte de visite. Il pointa le doigt sur le numéro de téléphone portable et balbutia de façon maladroite :
- Par SMS … c’est pratique …
Elle prit la carte, la lut, esquissa un sourire et opina de la tête. La foule les bousculait, elle leva la main, lui fit un signe d’au revoir et emprunta l’escalier mécanique pour accéder à l’extérieur.
Mathieu resta un long moment immobile, encore sous le coup de la révélation. Il venait d’échanger des banalités, trois heures durant, avec une femme sans s’être aperçu de son handicap.
Il se rendait compte maintenant que son envie de la retrouver relevait d’une véritable gageure.
Il ne savait rien d’elle, ni son nom, ni son prénom, ni où elle vivait. Que pouvait-il espérer, la revoir ? Même pas en rêve.
Cette rencontre l’avait déstabilisé. Bien sûr, la fille se trouvait affligée d’une cruelle infirmité, mais il était tombé sous son charme.
Quel dommage tout de même, cette fille, était d’une rare beauté. Des cheveux auburn entortillés en un chignon. Un visage d’ange maquillé sans excès, des yeux bleus aux cils longs et épais, un nez fin et droit aux narines délicatement rapprochées, une bouche sensuelle, une rangée de dents d’une blancheur irréprochable.
Il n’en revenait pas.
De réfléchir ainsi, il s’était trompé de tramway. Il avait dû rebrousser chemin et téléphoner à son bureau qu’il arriverait, sans doute, avec un peu retard.
Une heure après, il se trouvait dans les couloirs de la société Cosmos, une startup fraîchement créée.
Son dirigeant, monsieur Ramos, attendait dans son bureau. Plongé dans un dossier, il n’avait pas vu entrer Mathieu.
- Désolé du retard, mais j’ai fait une rencontre, je t’expliquerai plus tard.
- Une femme ? demanda Ramos.
Mathieu se contenta de sourire.
- Belle ? renchérit-il.
- Merveilleusement belle !
* * *
Une fois seule, elle se remémora son voyage et constata une nouvelle fois qu’elle attirait les hommes, et que son charme n’était pas qu’une vue de l’esprit.
Mais depuis longtemps, elle avait fait son deuil de pouvoir envisager une vie à deux, elle savait l’impossibilité de pouvoir nouer une relation pérenne. Son infirmité la destinait à rester isolée ou bien trouver quelqu’un ayant le même handicap.
La carte de visite de Mathieu Melville traînait depuis deux jours sur son bureau. Elle hésitait. Hier après-midi, elle l’avait rangée dans un de ses tiroirs.
Nouer un lien avec ce Mathieu ne serait pas raisonnable. Que pouvait-elle attendre ? Cela ne ressemblait à rien. Elle n’était pas indifférente à sa façon d’être. Il possédait, a priori, une délicatesse non feinte, un esprit sain et un comportement de gentleman, mais toutes ses qualités ne suffisaient pas pour entamer une relation durable. Elle avait ressenti plusieurs fois ce sentiment d’impuissance face à des hommes pourtant de bonne volonté, mais converser à l’aide de papier, crayon ne menait pas loin, c’était peut-être bien pratique, mais on ne constitue pas un lien affectif fort et constant en communiquant de cette façon.
À trente-quatre ans, elle avait fait une croix sur la possibilité de se marier et d’avoir des enfants. Elle se contentait de ses relations au sein de l’association des sourds et muets de la ville de Montpellier.
Proche de la gare, elle fréquentait assidûment le "café des rêves", un endroit convivial où se retrouvait la communauté des sourds et muets de la ville.
Elle consacrait beaucoup de temps à son métier de traductrice, elle travaillait pour une agence, et traduisait toutes sortes de documents officiels concernant aussi bien, le domaine de la médecine, du droit que de la littérature.
Elle habitait au centre de la ville, un appartement dans un immeuble de standing. L'héritage de ses parents décédés dans un accident, il y a quelques années, lui avait permis d'acheter ce bien.
Elle tournait et retournait dans sa main la carte de Mathieu, elle hésitait dans le choix de l'attitude à prendre. Après tout que risquait-elle ?
Un pudique silence, un refus poli, ou bien un rendez-vous pour continuer à bavarder … façon de penser !
Elle prit son téléphone et commença à écrire.
- Je suis la dame du train, il y a trois jours … vous souvenez-vous ? J’espère ne pas vous déranger ?
Elle relut plusieurs fois ce court message et finit par l’envoyer.
* * *
Deux jours passèrent. Mathieu, pris par son métier, ne voyait pas passer les journées, cela ne l’empêchait pas de consulter toutes les demi-heures sa boîte de messagerie avec fébrilité.
Il sursautait chaque fois que son téléphone portable, posé à ses côtés, émettait une alarme déclenchée par la réception d’un message. Le soir rentré at home, il tournait en rond, cette fille devenait une obsession.
Il marmonnait d’une voix sourde :
- Comment la joindre ?
Puis toujours à voix haute :
- Comme un imbécile, je ne lui ai pas demandé, son numéro de téléphone, d'ailleurs, me l’aurait-elle donné ? Quel c.. je fais ! Cela va devenir très compliqué !
Il était en train de préparer son repas quand le téléphone se mit à vibrer. Il lâcha la cuillère avec laquelle il touillait une sauce dans une casserole.
Il voulut la rattraper, mais elle tomba sur le carrelage de la cuisine avec fracas. Il jura puis d’un élan alla au salon et se saisit du téléphone.
Le message s’afficha. Ses yeux s’illuminèrent et un grand sourire éclaira son visage. Levant le bras, le téléphone au bout de la main, il fit mine de décrocher la timbale, en criant ;
-Yes !
Le contact était rétabli. Avec application et clairvoyance, il se mit à répondre.
- Non vous ne me dérangez pas, je suis très content de recevoir de vos nouvelles …
Il enleva "très" et poursuivit. Il tapait trois ou quatre mots puis les effaçait pour ensuite recommencer.
Il avait du mal à se concentrer et n’était jamais satisfait de ce qu’il écrivait.
Il termina son message par une phrase un rien pompeuse :
- Il me serait très agréable de vous revoir.
Dans la minute qui suivit, il eut la réponse :
- Je vous propose demain à 18 h au "Café des rêves" qui se trouve à droite à la sortie de la gare Saint Roch.
À trente-six ans, Mathieu ne se faisait guère d’illusion, sa rupture avec sa femme, deux ans seulement après son mariage, l’avait profondément touché et il n’était pas prêt à recommencer une pareille aventure.
Mais les amoureux c’est comme les pendules, il faut de temps en temps les remonter pour qu’ils retrouvent vie.
Ainsi, il espérait et dès qu’il rencontrait une femme à son goût il essayait de tisser des liens pour combler le vide amoureux de son existence.
Avec cette fille dont il ne se rappelait pas ni son nom ni son prénom, cela allait être, sans aucun doute, très difficile.
Il le savait ! Mais il avait envie de tenter l'aventure, même si échanger en écrivant sur des bouts de papier ce n’était pas l’idéal.
Quoi qu'il en soit, il ferait bien attention de ne pas laisser cette femme dans une espérance folle avec de belles promesses qu'il ne pourrait manifestement pas tenir.
* * *
Quand il pénétra dans le café, il fut surpris par le silence qui y régnait.
La plupart des tables étaient occupées. Assis sur des hauts tabourets, deux hommes éloignés l’un de l’autre buvaient une bière. Derrière le comptoir un homme jeune essuyait des verres après les avoir lavés.
Mathieu repéra assez vite la jeune femme. Elle l’attendait, car dès qu’il entra elle lui fit signe de la main. Il fut accueilli par un magnifique sourire et elle poussa légèrement la chaise pour qu’il puisse s’asseoir.
Elle avait déjà sorti son calepin et son crayon, elle avait également tiré de son sac une ardoise magique, un système utilisé par les écoliers dans les années soixante, constitué d’un gel spécial et dont le contenu peut s’effacer en passant une réglette sur ce qui était écrit.
Aussitôt elle s’en servit et montra à Mathieu ce qu’elle venait d’écrire :
- Merci d’être là !
Par réflexe, il dit à voix haute :
-Tout le plaisir est pour moi !
Puis il s’assit bien face d'elle et répéta la même chose, en articulant exagérément.
Dans la salle, sa voix retentit, mais personne n’en fit cas. Il toussota tandis que la fille fixait sa bouche avec intensité. Il se souvenait qu’assis à la table du buffet de la gare elle avait agi de manière identique. Il avait trouvé ce comportement très érotique, mais compris par la suite qu’elle essayait de lire sur les lèvres.
Gêné par la situation, il se dandinait sur sa chaise et ne savait pas trop quoi faire de ses mains.
Elle leva son bras et tenta de capter le regard du garçon derrière son bar.
Il se présenta le plateau sous un bras, il se mit à gesticuler ses mains dans tous les sens. La fille en fit de même et elle montra l’ardoise à Mathieu, sur laquelle elle avait écrit :
- Vous prendrez quelque chose ?
Mathieu s'adressa au garçon et dit :
- Un café serré !
L’homme acquiesça d’un hochement de la tête pour signifier qu’il avait bien compris et tourna les talons.
Le silence de la salle décontenançait Mathieu. Autour de lui, les tables occupées par des hommes et des femmes gesticulaient à qui mieux mieux, un ballet étrangement silencieux. Il s’étonna aussi des mimiques excessives parfois exagérées des individus. Ce langage corporel le déroutait. La fille s’en aperçut et avec une grande rapidité d’exécution écrivit sur l’ardoise.
- La langue des signes est toujours surprenante pour ceux qui la découvrent !
Mathieu approuva la remarque en écarquillant ses yeux. Il se sentait impuissant et ne savait plus très bien comment réagir. On ne pouvait pas dire qu’entre eux deux le silence s’installait, mais cette ambiance paisible n’était contrariée que par le tintement des verres que le garçon lavait dans son évier.
Il eut un éclair et demanda à la fille son prénom. Aussitôt, elle inscrivit sur sa tablette :
- Claire.
Il pointa son doigt vers lui et dit :
- Moi, c'est Mathieu !
Il s'obligea à répéter, car il avait répondu trop vite et sans bien articuler chaque mot.
Elle secoua la tête en signe d'assentiment et lui montra sa carte de visite qu'il lui avait donnée deux jours auparavant.
Le temps passait, ils se souriaient, l'un et l'autre avec bienveillance. Claire avait appris à être patiente et communiquait avec le monde extérieur de façon parcimonieuse. Mathieu se ramassait de plus en plus sur sa chaise.
La difficulté de partager avec Claire ? il y avait pensé, mais ne se doutait pas que les échanges seraient aussi délicats. Face à elle, il éprouvait de la gêne et son trouble allait grandissant.
Il n’était pas insensible à sa beauté. Déjà dans le train il avait remarqué ses traits parfaits, ses yeux bleus, pétillants comme des étincelles, ce chignon posé sur la nuque, ce front gracieux et rêveur à la fois, son nez droit et sa bouche aux lèvres carmin et charnues. Il était tombé sous son charme.
* * *
Assise devant sa glace, elle se démaquillait et songeait à Mathieu. A priori, un gentil garçon, mais elle savait, par expérience, qu’il ne fallait pas aller trop vite en besogne. Elle avait besoin de temps. Les relations vécues précédemment avec des hommes l’incitaient plutôt à la retenue.